T-8340-82
Alberta Government Telephones (requérante)
c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes et Télécommunications CN -CP
(intimés)
et
Procureur général du Canada (intervenant)
Division de première instance, juge Reed—
Edmonton, 28, 29, 30, 31 mai; Ottawa, 26 octobre
1984.
Télécommunications — Compétence — CRTC — Requé-
rante mandataire de la Couronne provinciale exploitant un
système de télécommunications — Voudrait faire interdire au
CRTC de connaître d'une demande de services de raccorde-
ment — Pouvoir réglementaire du CRTC à l'égard de la
requérante — La requérante n'est pas une entreprise locale —
Immunité de la Couronne — La législation fédérale ne lie pas
la Couronne provinciale sauf disposition expresse ou déduction
nécessaire — Aucune renonciation à l'immunité — Bref de
prohibition accordé — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
chap. R-2, art. 5, 102(1)c),d), 130(1), 265(1),(7), 320(1),(7),(12)
(mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 41, art. 1) — Loi sur les
chemins de fer, 51 Vict., chap. 259, art. 3 — Acte des chemins
de fer de l'Etat, S.R.C. 1886, chap. 38 — Loi sur les chemins
de fer de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-11 — Loi nationale sur
les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par S.C.
1976-77, chap. 26) — Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970,
chap. A-3 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 26) — Public
Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P-37.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Manda-
taire de la Couronne provinciale exploitant un système de
télécommunications — Entreprise locale ou interprovinciale?
— Critère: activité interprovinciale régulière et continuelle
dans une proportion significative — Caractéristique cruciale:
la nature de l'entreprise, non l'équipement matériel — Inter-
connexion organisationnelle et matérielle suffisante pour faire
entrer l'entreprise dans la compétence fédérale — Décision
fondée sur le réel — Entreprise interprovinciale et non de
nature purement locale — Loi constitutionnelle de 1867, 30 &
31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
92(10)a),c).
Couronne — Immunité — La requérante, mandataire de la
Couronne provinciale et exploitante de services de télécommu-
nications, est-elle liée par la législation fédérale? — La des
cription donnée de «Sa Majesté» à l'art. 28 de la Loi d'inter-
prétation n'introduit pas, à l'art. 16 de la Loi, l'immunité pour
toutes les émanations de la Couronne — La Couronne provin-
ciale n'est pas liée par une législation fédérale à moins de
déclaration expresse ou par déduction nécessaire ou renoncia-
tion à l'immunité — Aucune déclaration expresse dans la Loi
sur les chemins de fer — Déduction nécessaire vu le texte de la
loi — Les dispositions législatives invoquées ne sont d'aucune
aide — Aucune renonciation à l'immunité — Théorie du revers
de la médaille — La requérante ne s'est pas soumise à
l'autorité réglementaire du CRTC en participant aux profits
— Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 3(1),(2),
14(2)a), 16, 28 — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
chap. R-2 — Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C.
1970, chap. R-12.
La Cour est saisie d'une demande concluant à un bref de
prohibition qui interdirait au CRTC d'entendre plus avant une
demande que lui a présentée CN -CP. CN -CP conclut à une
ordonnance du CRTC qui obligerait Alberta Government Tele
phones (AGT) à lui fournir des services de raccordement. On
soutient que le CRTC est incompétent pour deux raisons: 1)
AGT constituerait un ouvrage ou une entreprise locale, donc de
compétence provinciale exclusive en vertu du paragraphe
92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (question constitu-
tionnelle); 2) à titre de mandataire de la Couronne provinciale,
AGT ne serait pas liée par la législation fédérale (question de
l'immunité de la Couronne).
Les faits montrent que les installations de télécommunica-
tions d'AGT sont matériellement reliées aux systèmes de télé-
communications d'entreprises situées à l'extérieur de l'Alberta,
soit par micro-ondes, soit par câbles souterrains. AGT reçoit les
signaux émis par ses abonnés (ou émis à l'extérieur de l'Al-
berta) et les retransmet à l'extérieur de l'Alberta (ou en
Alberta). Au niveau de l'organisation, il existe une entité,
dénuée de toute personnalité morale, le Réseau téléphonique
transcanadien (RTT), dont AGT fait partie intégrante et dont
sont membres les diverses entreprises de télécommunications.
Chaque membre du réseau conserve le contrôle ultime de son
propre système de télécommunications.
Jugement: la demande est accueillie.
1) La question constitutionnelle
Le critère applicable pour déterminer si une entreprise est
locale ou interprovinciale consiste à établir si elle exerce de
façon continuelle et régulière une activité interprovinciale suffi-
samment importante. Le critère du «caractère véritable», qui
selon AGT serait le critère applicable, sert à démontrer la
validité d'une loi, ce qui n'est pas en cause en l'espèce. Il s'agit
plutôt de savoir si AGT, une fois constituée, peut validement
être régie par une loi fédérale à cause de la nature de son
entreprise.
AGT soutient, puisque ses installations matérielles ne débor-
dent pas les frontières de la province de l'Alberta, qu'elle
n'exerce pas une activité interprovinciale. L'alinéa 92(10)a) de
la Loi constitutionnelle de 1867 ne s'applique pas uniquement
aux entreprises «s'étendant au-delà des limites de la province»,
il s'applique aussi aux entreprises «reliant la province à une
autre ou à d'autres». L'alinéa n'exige pas que des installations
matérielles soient situées à l'extérieur de la province pour
qualifier l'entreprise d'interprovinciale. En outre, l'argument
d'AGT insiste indûment sur le lieu et la nature des installations
matérielles de l'entreprise, insistance que la jurisprudence ne
supporte pas.
La caractéristique qui s'avère cruciale donc, c'est la nature
de l'entreprise elle-même, non le matériel qu'elle emploie. Les
installations matérielles d'AGT lui servent à fournir à ses
abonnés des services de télécommunications locaux, interpro-
vinciaux et internationaux, sans distinction. Ces services sont
totalement intégrés. On ne pourrait séparer le local de ce qui ne
l'est pas sans émasculer l'entreprise qu'est AGT dans son état
actuel.
L'arrêt de la Cour suprême du Canada Kootenay & Elk
Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du
Pacifique, [ 1974] R.C.S. 955, n'est d'aucun secours pour la
requérante. Dans cette affaire, la Cour ne s'intéressait à la
compagnie qu'antérieurement à tout rattachement. Il était
clairement indiqué qu'une fois le rattachement avec le chemin
de fer américain effectué, le caractère de toute l'entreprise
pouvait changer et être assujetti à la législation fédérale.
Mais un lien matériel n'est pas suffisant pour faire entrer
l'entreprise dans la compétence fédérale. Il faut examiner la
structure organisationnelle de l'entreprise. Il doit y avoir,
d'après la requérante, un lien organisationnel suffisant. La
requérante fait valoir que cet élément ne se retrouve pas en
l'espèce: le RTT n'est pas une personne morale et, en consé-
quence, on ne peut dire qu'il fournit des services à qui que ce
soit; ce sont les parties contractantes qui fournissent certains
services à leurs abonnés et qui conservent le contrôle ultime de
leur propre système de télécommunications.
L'argument n'est pas décisif. C'est là un distinguo juridique
par trop subtil pour qu'il puisse servir de fondement à une
décision qui doit reposer sur le réel. L'existence du RTT, et la
participation d'AGT à ce réseau, démontrent l'existence d'une
entreprise commune et conjointe de télécommunications. Cela
indique qu'AGT exploite son entreprise de télécommunications
comme une entreprise interprovinciale et non pas comme une
entreprise de nature purement locale. Si, aux yeux de la loi,
AGT conserve le contrôle de ses installations, en pratique, elle
ne peut s'isoler de l'entreprise conjointe qu'est le RTT sans
détruire son système de télécommunication tel qu'il existe
actuellement.
Enfin, le fait que les gouvernement et Parlement fédéraux
n'aient jamais tenté, au cours des 80 dernières années, de
réglementer AGT ne signifie pas que s'opère par le fait même
une forme de prescription extinctive. AGT n'est pas une entre-
prise locale aux termes de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867.
2) L'immunité de la Couronne
L'article 16 de la Loi d'interprétation porte que nul texte
législatif ne lie Sa Majesté «sauf dans la mesure y mentionnée
ou prévue». L'article 28 de la même Loi définit «Sa Majesté»
comme le souverain de tous ses royaumes et territoires. L'argu-
ment que la description de l'article 28 introduirait à l'article 16
une immunité dont bénéficierait la Couronne dans toutes ses
émanations (y compris Sa Majesté du chef de la province
d'Alberta) ne saurait être accepté. L'article 28 n'est qu'une
description des titres de Sa Majesté, reprise de la Loi sur la
désignation et les titres royaux.
La question demeure de savoir si l'article 16 devrait être
interprété comme se rapportant autant à la Couronne provin-
ciale qu'à la Couronne fédérale. Que l'on considère l'immunité
de la Couronne comme un principe fondamental d'interpréta-
tion législative ou comme un aspect de la prérogative, il y aurait
aujourd'hui de bonnes raisons de croire que l'immunité prévue
dans la législation fédérale ne vise que la Couronne fédérale et
non pas la provinciale. Cela découle du partage des fonctions
législatives et de la prérogative dans notre fédération. Quoi
qu'il en soit, que la règle de l'immunité de la Couronne soit un
héritage historique du temps où les gouvernements étaient
moins actifs dans les domaines gouvernementaux non-tradition-
nels, ou du temps où l'unité de la Couronne était une réalité,
elle fait toujours partie de notre droit. En conséquence, il est
clair qu'AGT n'est pas régie par la Loi sur les chemins de fer
ni par l'autorité réglementaire du CRTC, à moins que les
dispositions pertinentes de cette loi, expressément ou tacite-
ment, ne lient la Couronne provinciale ou à moins qu'on puisse
dire qu'AGT a renoncé à l'immunité de la Couronne.
Par disposition expresse ou par déduction nécessaire
Il n'existe aucune disposition expresse dans la Loi sur les
chemins de fer qui lie la Couronne provinciale. CN -CP soutient
qu'AGT est liée par déduction et que cette déduction est
nécessaire de par le texte de loi lui-même. L'argument d'AGT,
que la Cour suprême du Canada dans ses arrêts Sa Majesté du
chef de la province d'Alberta c. Commission canadienne des
transports, [1978] 1 R.C.S. 61 et R. c. Eldorado Nucléaire
Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551, a voulu abandonner la théorie de la
déduction nécessaire, n'est pas convainquant. Il serait justifié
de le dire si la Cour suprême avait examiné l'interaction des
articles 3 et 14 de la Loi d'interprétation, rapprochés de
l'article 16 de ladite Loi.
Le premier argument de CN -CP, fondé sur les alinéas
102(1)c) et d) et le paragraphe 130(1) de la Loi sur les
chemins de fer, doit être rejeté, ces articles n'étant pas
pertinents.
Le second moyen de CN -CP, fondé sur le paragraphe 320(1)
et l'article 5 de la Loi sur les chemins de fer (en son état actuel
et tel qu'il apparaissait dans la Loi sur les chemins de fer de
1888), doit aussi être considéré comme rejeté. Il n'est pas
raisonnable d'interpréter les dispositions actuelles concernant
les entreprises de télécommunications en renvoyant â une dispo
sition concernant les chemins de fer remontant à 1888, vu la
croissance anarchique de la Loi sur les chemins de fer.
La renonciation à l'immunité
CN -CP fait valoir qu'AGT, du fait de son comportement, a
renoncé à son immunité et est donc liée par la Loi sur les
chemins de fer. Elle s'appuie sur l'arrêt de la Cour suprême du
Canada The Queen in the Right of the Province of Ontario v.
Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118. Dans
cette affaire, la Cour suprême a appliqué la théorie du revers de
la médaille: si un ordre de gouvernement renonce à son immu-
nité en se prévalant des avantages de certaines dispositions
législatives, il sera considéré comme ayant accepté et les avan-
tages et les inconvénients qui en découlent; il ne peut choisir
uniquement les dispositions qui l'avantagent. Mais ce serait
pousser cette théorie trop loin que de tenir qu'AGT, par sa
participation aux avantages des accords du RTT, a accepté la
compétence générale du CRTC. Il n'y a aucun lien entre une
renonciation à l'immunité relativement aux accords du RTT et
la prétention de CN -CP qu'on ordonne à AGT de lui permettre
un raccordement. La conclusion pourrait être différente si
CN -CP était membre du RTT ou si le raccordement demandé
avait un rapport avec un accord en vigueur entre AGT et
CN -CP.
Enfin l'argument de CN -CP, qu'AGT n'est mandataire de la
Couronne que dans la mesure où elle fournit des services de
télécommunications locaux mais, hors de cette sphère d'activi-
tés, qu'elle perd son statut, doit être rejeté. Le pouvoir d'un
gouvernement, fédéral ou provincial, de constituer des compa-
gnies est tout à fait distinct de ses compétences législatives. Les
arrêts de la Cour suprême Fulton et autres c. Energy Resour
ces Conservation Board et autre, [1981] 1 R.C.S. 153 et
Kootenay & Elk (précité) semblent indiquer qu'une législature
provinciale peut constituer des personnes morales destinées à
oeuvrer dans des champs de réglementation fédéraux.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Queen in the Right of the Province of Ontario v.
Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118;
Toronto Transportation Commission v. The King, [1949]
R.C.S. 510; Schwella, John F. v. The Queen and Hydro
Electric Power Commission of Ontario et al., [1957]
R.C.E. 226.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil
de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141;
In re Regulation and Control of Radio Communication
in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.); Toronto Corporation
v. Bell Telephone Company of Canada, [1905] A.C. 52
(P.C.); Régie des services publics et autres c. Dionne et
autres, [1978] 2 R.C.S. 191; Kootenay & Elk Railway
Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifi-
que, [1974] R.C.S. 955; Luscar Collieries v. McDonald,
[1927] A.C. 925 (P.C.); Sa Majesté du chef de la
province de l'Alberta c. Commission canadienne des
transports, [1978] 1 R.C.S. 61; R. c. Eldorado Nucléaire
Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551; 50 N.R. 120.
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954]
A.C. 541 (P.C.); Fulton et autres c. Energy Resources
Conservation Board et autre, [1981] 1 R.C.S. 153;
[1981] 4 W.W.R. 236; R. v. Borisko Brothers Quebec
Ltd. (1969), 9 C.C.C. (2d) 227 (C.S.P. Qué.); Re Wind-
sor Airline Limousine Services Ltd. and Ontario Taxi
Association 1688 et al. (1980), 30 O.R. (2d) 732 (H.C.);
Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire
minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Northern Telecom Ltée
c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1
R.C.S. 115; Re Ottawa-Carleton Regional Transit Com
mission and Amalgamated Transit Union, Local 219
[sic] et al. (1983), 144 D.L.R. (3d) 581 (H.C. Ont.),
confirmé par (1984), 1 O.A.C. 177 (C.A.); Arrow Trans
fer Co. Ltd. and Canadian Assoc. of Industrial, Mecha
nical and Allied Workers, Local I (B.C.) and General
Truckdrivers and Helpers Union, Local 31 (Intervener),
[1974] 1 Canadian LRBR 29 (C.-B.); Procureur général
du Manitoba c. Forest, [1979] 2 R.C.S. 1032; Maritime
Bank of Canada (Liquidators of) v. Receiver-General of
New Brunswick, [1892] A.C. 437 (P.C.); Bonanza Creek
Gold Mining Company v. Rex, [1916] 1 A.C. 566 (P.C.);
Attorney -General for the Dominion of Canada v. Attor-
ney -General for the Province of Ontario, [1898] A.C.
247 (P.C.); Regina v. Secretary of State for Foreign and
Commonwealth Affairs, Ex parte Indian Association of
Alberta, [1982] Q.B. 892 (C.A.); Province of Bombay v.
Municipal Corporation of the City of Bombay and Ano
ther, [1947] A.C. 58 (P.C.); In re Silver Brothers Ld.,
[1932] A.C. 514 (P.C.); Conseil des Ports Nationaux v.
Langelier et al., [1969] R.C.S. 60; Société Radio-
Canada, la station de télévision C.B.O.F.T. et autre c. La
Reine, [1983] 1 R.C.S. 339.
AVOCATS:
John D. Rooke, W. Henkel et D. W. Kinloch
pour la requérante.
C. R. O. Munro, c.r., et Michael Ryan pour
Télécommunications CN -CP, intimée.
Eric A. Bowie, c.r., et D. J. Rennie pour le
procureur général du Canada, intervenant.
Gregory van Koughnett pour le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, intimé.
PROCUREURS:
Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary, pour
la requérante.
Contentieux, Canadien Pacifique Limitée,
Montréal, pour Télécommunications CN -CP,
intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le
Conseil de la radiodiffusion et des télécommu-
nications canadiennes, intimé, et le procureur
général du Canada, intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La Cour est saisie d'une
demande concluant à bref de prohibition qui inter-
dirait au Conseil de la radiodiffusion et des télé-
communications canadiennes (le CRTC) d'enten-
dre plus avant une demande que lui a présentée
Télécommunications CN -CP. La demande du
CN -CP conclut à une ordonnance du CRTC qui
obligerait Alberta Government Telephones (AGT)
à mettre à sa disposition certaines installations
pour faciliter l'échange des télécommunications
entre ses systèmes et lignes de télégraphe et de
téléphone et ceux d'AGT. La demande conclut
aussi, notamment, à la fixation par le CRTC d'une
indemnité à cet égard.
AGT soutient que le CRTC est incompétent et
ne saurait être saisi de la demande, pour deux
raisons: (1) AGT constituerait un ouvrage ou une
entreprise de nature locale et en conséquence
échapperait à la compétence constitutionnelle du
Parlement fédéral (la question constitutionnelle);
(2) AGT serait mandataire de la Couronne provin-
ciale et échapperait donc à la compétence du
CRTC car elle ne serait pas liée par la législation
fédérale pertinente (la question de l'immunité de
la Couronne).
La requête de CN -CP au CRTC se fonde sur les
paragraphes 320(7) et (12) et 265(1) et (7) de la
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap.
R-2, modifiée [par S.C. 1974-75-76, chap. 41, art.
1]. Malgré son nom, cette Loi régit les entreprises
de télécommunications qui y sont visées. La Loi
permet au CRTC d'exercer les pouvoirs réglemen-
taires qu'elle établit.
Les articles pertinents, cités ci-dessus, sont pour
ainsi dire d'un libellé tortueux, aussi je n'entends
pas les énoncer ici. Qu'il suffise de dire que si l'une
ou l'autre des prétentions d'AGT était fondée, le
CRTC serait incompétent et ne pourrait être saisi
de la requête. Si aucune n'est fondée, alors le
CRTC est compétent.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé d'omettre 15 pages environ
des motifs du jugement. L'omission ne concerne
que les faits: il s'agit d'une description des instal
lations matérielles d'Alberta Governement Tele
phones et du système de télécommunications
canadien, des services offerts, des tarifs exigés,
des arrangements contractuels, de l'organisation,
de la gestion et des fonctions du Réseau télépho-
nique transcanadien.
Résumons certains des faits importants: les ins
tallations de télécommunications d'AGT sont
matériellement reliées aux systèmes de télécom-
munications des entreprises situées à l'extérieur de
la province de l'Alberta soit par micro-ondes, en
deux points à la frontière de la Saskatchewan, en
deux points à la frontière de la Colombie-Britanni-
que, en un point à la frontière américaine et en un
point à la frontière des Territoires du Nord-Ouest,
soit par câbles souterrains franchissant les frontiè-
res en divers points. Quand je dis que le lien
micro-ondes est matériel, j'utilise ce terme dans
son sens le plus large. Je n'oublie pas les commen-
taires de lord Porter dans l'arrêt Attorney -General
for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541
(P.C.), à la page 574, suivant lesquels qualifier
l'écoulement d'une décharge électrique à travers la
frontière d'une province de lien matériel est exa-
géré. Mais il est clair, comme l'a montré l'arrêt de
la Cour suprême Capital Cities Communications
Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision
canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, la page 159,
que la technologie de transmission n'est pas un
facteur de validité législative important.
AGT reçoit les signaux émis par les téléphones
de ses abonnés et les transmet à l'extérieur de
l'Alberta; elle reçoit des signaux en provenance de
l'extérieur de l'Alberta et les transmet à leurs
destinataires en Alberta et, dans certains cas, elle
retransmet à l'extérieur de l'Alberta certaines
transmissions provenant elles-mêmes de l'exté-
rieur.
Les installations matérielles de télécommunica-
tions d'AGT sont raccordées aux frontières, et il
existe en outre une intégration plus complète. Les
mêmes appareils, lignes et réseaux micro-ondes
téléphoniques servent à des fins locales, interpro-
vinciales et même internationales. Il est clair que
de nombreux employés d'AGT travaillent à fournir
un service autant extra-provincial qu'intraprovin-
cial, sans distinction.
Au niveau de l'organisation, il existe une entité
dénuée de toute personnalité morale, le RTT
[Réseau téléphonique transcanadien], dont sont
membres les diverses entreprises de télécommuni-
cations, chacune ayant une voix égale. Cet orga-
nisme, dont AGT fait partie intégrante, tant au
niveau du conseil d'administration qu'au niveau du
personnel cadre apparemment, planifie le dévelop-
pement et l'exploitation d'un réseau global com-
posé des installations de chacun de ses membres,
fixe les normes techniques, ainsi que les conditions
et modalités selon lesquelles les services de télé-
communications seront fournis par ses membres,
assure une mise en marché commune, fixe les
tarifs, sert d'intermédiaire dans les négociations et
l'exécution des accords relatifs aux services inter-
nationaux et voit à la mise en oeuvre d'un système
de partage des revenus grâce à sa chambre de
compensation.
La question constitutionnelle
AGT soutient que le CRTC n'a pas la compé-
tence constitutionnelle de lui ordonner de fournir
des raccordements à CN -CP parce qu'elle serait
un ouvrage ou une entreprise d'une nature locale et
serait en conséquence de compétence provinciale
exclusive en vertu du paragraphe 92(10) de la Loi
constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)]:
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive-
ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté-
gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que
ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:
a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins
de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entrepri-
ses reliant la province à une autre ou à d'autres provinces,
ou s'étendant au-delà des limites de la province;
Il faut d'abord examiner l'argument de la requé-
rante voulant que le critère applicable pour décider
si une entreprise est locale ou interprovinciale aux
termes du paragraphe 92(10) consiste à décider si
le caractère véritable de son activité est local ou
interprovincial. On soutient qu'il ne suffit pas de
déterminer si l'entreprise exerce de façon conti-
nuelle et régulière une activité interprovinciale
suffisamment importante. Pour étayer cette propo
sition, on cite les décisions suivantes: Attorney -
General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C.
541 (P.C.), à la page 582; Fulton et autres c.
Energy Resources Conservation Board et autre,
[1981] 1 R.C.S. 153; [1981] 4 W.W.R. 236; R. v.
Borisko Brothers Quebec Ltd. (1969), 9 C.C.C.
(2d) 227 (C.S.P. Qué.); et Re Windsor Airline
Limousine Services Ltd. and Ontario Taxi Asso
ciation 1688 et al. (1980), 30 O.R. (2d) 732
(H.C.), aux pages 736 et 737.
Il se peut qu'il y ait en fait peu de différence
entre les deux critères précités mais, à mon avis,
c'est le dernier que la jurisprudence a dégagé. La
notion de caractère véritable sert à déterminer la
constitutionnalité d'une loi; je crois que c'est con-
fondre les choses que d'y avoir recours pour déci-
der de la nature (interprovinciale ou locale) d'une
entreprise. Le critère du caractère véritable s'ap-
pliquera bien entendu en cas de contestation de la
validité d'une loi, par exemple, si elle cherche à
contrôler des entreprises intraprovinciales ou
extra-provinciales, selon le cas; mais souvent ce ne
sera pas là le litige. Souvent la loi en elle-même est
neutre, la question qui se pose est de savoir si elle
s'applique à certaines entreprises compte tenu de
la nature (locale ou interprovinciale) de ces entre-
prises. Dans un tel cas, il n'est pas nécessaire de se
prononcer sur la constitutionnalité de la loi. Il ne
m'a pas semblé que l'avocat de CN -CP soutenait
que la loi albertaine constituant AGT était inva-
lide ni que Public Utilities Board Act [R.S.A.
1980, chap. P-37] de l'Alberta n'était pas constitu-
tionnelle. Il s'agit plutôt de savoir si AGT, une fois
constituée, peut validement être régie par une loi
fédérale à cause de la nature de son entreprise.
Je constate aussi que les tribunaux se sont servis
de la notion de caractère véritable (p. ex. affaire
Winner (précitée)) pour faire comprendre qu'ils
n'étaient pas prêts à considérer comme locales ou
comme extra-provinciales des entreprises qui ten-
taient de se déguiser en l'une ou en l'autre mais ne
l'étaient pas vraiment. Hogg, dans son ouvrage
intitulé Constitutional Law of Canada, à la page
327, en parle comme d'un exemple de [TRADUC-
TION] «la théorie bien connue du déguisement
appliquée aux entreprises interprovinciales». Même
cet emploi du concept du «caractère véritable» pour
qualifier la nature des entreprises a cédé le pas, me
semble-t-il, au critère ultérieurement dégagé exi-
geant [TRADUCTION] «une activité extra-provin-
ciale continue et régulière suffisamment impor-
tante».
Ce critère n'exige pas que la portion extra-pro-
vinciale de l'entreprise domine, mais il signifie
qu'une activité extra-provinciale occasionnelle et
irrégulière ne conduira pas à une qualification de
l'entreprise comme étant de compétence fédérale.
Voir en général: Construction Montcalm Inc. c.
Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S.
754; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en
communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115,
aux pages 131 133; Re Ottawa-Carleton Regio
nal Transit Commission and Amalgamated Tran
sit Union, Local 219 [sic] et al. (1983), 144
D.L.R. (3d) 581 (H.C. Ont.), confirmé par
(1984), 1 O.A.C. 177 (C.A.), spécialement aux
pages 183à 186.
Notons en second lieu que tous conviennent
qu'AGT constitue bien une entreprise aux termes
du paragraphe 92(10). Là où il y a litige, c'est
lorsqu'il s'agit de savoir si elle devrait être quali-
fiée d'entreprise locale ou au contraire d'entreprise
«reliant la province à une autre ou à d'autres
provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la
province».
Les preuves rapportées ne semblent laisser d'au-
tre alternative que de conclure qu'AGT exerce un
degré important d'activités interprovinciales conti
nues et régulières et qu'elle doit donc être considé-
rée comme de la seconde espèce.
Les arguments d'AGT pour soutenir que ce n'est
pas le cas font ressortir deux aspects de l'entre-
prise: (1) ses installations matérielles ne débordent
pas les frontières de la province de l'Alberta (si
l'on ne tient pas compte du cas de Lloydminster et
du débordement aux confins de la frontière dans le
cas des services de radio-téléphone); (2) le RTT
n'a pas de personnalité morale, sa structure orga-
nisationnelle est telle que chaque membre conserve
le contrôle ultime de son propre système de télé-
communications, la qualification réelle du système
devant le concevoir comme un groupe d'entreprises
locales, non comme un système national intégré.
Je paraphraserais le premier moyen que fait
valoir AGT comme suit: les preuves démontrant
que le réseau micro-ondes du RTT en Alberta est
identique à celui d'AGT n'établissent pas qu'AGT
forme partie intégrante d'une entreprise fédérale,
mais laissent entendre plutôt qu'aucune entreprise
de ce genre n'existe, ce qu'on appelle le «réseau
national» n'étant qu'un groupe de systèmes locaux
et régionaux. AGT ne fournit aucun service de
quelque genre que ce soit hors des frontières de
l'Alberta; elle fournit simplement à ses abonnés le
moyen de rejoindre les abonnés de certains autres
systèmes de télécommunications, dans d'autres ter-
ritoires, sans fournir le service elle-même.
Le premier obstacle que rencontre cet argument
c'est le texte de l'alinéa 92(10)a) lui-même. Ce
texte ne se contente pas de couvrir les entreprises
«s'étendant au-delà des limites de la province»; il
s'applique aussi aux «entreprises reliant la province
à une autre ou à d'autres». Les termes de l'alinéa
ne semblent pas exiger, pour qualifier une entre-
prise d'interprovinciale, qu'il doive y avoir des
installations matérielles de cette entreprise situées
à l'extérieur de la province.
En outre, il me semble que l'argument d'AGT
insiste indûment sur le lieu et la nature des instal
lations matérielles de l'entreprise, insistance que la
jurisprudence ne supporte pas. L'arrêt In re Regu
lation and Control of Radio Communication in
Canada, [ 1932] A.C. 304 (P.C.), aux pages 314 et
315, définit ce que c'est qu'une «entreprise». Dans
cette affaire, on prétendait qu'une entreprise de
radiodiffusion n'était pas une entreprise parce que
les termes «ouvrages et entreprises» de l'alinéa
92(10)a) signifiaient des ouvrages matériels, et
non des services, et aussi parce que l'émetteur et le
récepteur constituaient des biens qui fonction-
naient entièrement dans leurs provinces respecti-
ves. Le Comité judiciaire du Conseil privé déclara:
[TRADUCTION] La prétention de la province repose en réa-
lité, comme on l'a déjà dit, sur une distinction nette entre les
postes émetteurs et récepteurs. De l'avis de leurs Seigneuries,
cela est impossible ... Un réseau de radiodiffusion ne peut
exister sans qu'il y ait à la fois un poste émetteur et un poste
récepteur. Certes, le récepteur est inutile sans l'émetteur, et il
peut être réduit à l'impuissance si l'on ferme ce dernier. Le
système ne peut être divisé en deux parties indépendantes l'une
de l'autre.
Une «entreprise» n'est pas une chose matérielle, mais une
organisation dans laquelle, cela va de soi, on utilise des choses
matérielles.
Leurs Seigneuries ne doutent donc pas que la radiodiffusion
est une entreprise «reliant la province à d'autres provinces et
s'étendant au-delà des limites de la province». Mais en outre,
comme on l'a déjà dit, elles sont d'avis que la radiodiffusion
tombe dans le domaine des «télégraphes». À n'en pas douter,
dans le langage courant, le mot télégraphe sert presque exclusi-
vement à désigner l'appareil électrique qui, au moyen d'un fil le
reliant à un autre appareil, permet de transmettre des signes ou
des mots de toutes sortes. Mais, d'après son sens primitif, le
mot anglais «telegraph», tel que le donne le dictionnaire Oxford,
signifie «Un appareil pour la transmission à distance des messa
ges, d'ordinaire par des signes de quelque sorte.» Or, pour la
transmission d'un message, il faut un récepteur aussi bien qu'un
émetteur. Le message peut ne pas être entendu, mais du moins
il arrive à destination. De plus, la définition stricte du mot
«télégraphe», donnant à ce mot le sens qu'on lui attribue
d'ordinaire, a déjà été écartée dans l'affaire Toronto Corpora
tion v. Bell Telephone Co. of Canada. [C'est moi qui souligne.]
Cet arrêt, Toronto Corporation v. Bell Tele
phone Company of Canada, [1905] A.C. 52
(P.C.), bien entendu, traitait d'une compagnie
dont les installations étaient, et sont, situées dans
deux provinces (l'Ontario et le Québec) et que la
loi qui la constituait autorisait à fonctionner ainsi.
Dans ce contexte, le Comité judiciaire du Conseil
privé, à la page 59, a décrit les activités de la
compagnie comme suit:
[TRADUCTION] L'entreprise de Bell Telephone n'était pas plus
un ensemble d'affaires distinctes que l'entreprise d'une compa-
gnie de télégraphe qui possède une ligne de longue distance en
même temps qu'un service local, ou que l'entreprise de chemins
de fer qui peut avoir un fort trafic suburbain et des centaines de
milles de voie ferrée communiquant avec des localités éloignées.
En outre, je note que dans l'arrêt Capital Cities
(précité), à la page 159, la Cour suprême parle
d'entreprises interprovinciales comme étant celles
«qui s'étendent au-delà des limites de la province
où sont situées leurs installations» et que dans
l'arrêt Régie des services publics et autres c.
Dionne et autres, [1978] 2 R.C.S. 191, à la page
197, elle dit:
Dans tous ces cas, il faut rechercher quel est le service fourni et
pas simplement quels sont les moyens utilisés.
La caractéristique qui s'avère cruciale donc,
c'est la nature de l'entreprise elle-même, non le
matériel qu'elle emploie. AGT offre à ses abonnés
des services de télécommunications locaux, inter-
provinciaux et internationaux. Ses installations
matérielles servent à fournir ces trois services, sans
distinction—ils sont totalement intégrés. D'ailleurs
on ne pourrait séparer le local de ce qui ne l'est pas
sans émasculer l'entreprise qu'est AGT dans son
état actuel.
La requérante s'appuie fortement sur l'arrêt
récent de la Cour suprême Kootenay & Elk Rail
way Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Cana-
dien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955. Dans cette
affaire, la Cour suprême a jugé que la compagnie
ferroviaire Kootenay and Elk ne faisait pas partie
d'une entreprise extra-provinciale et qu'en consé-
quence sa constitution par le gouvernement de la
Colombie-Britannique était valide. La compagnie
avait été constituée dans le but de construire et
d'exploiter un chemin de fer s'étendant jusqu'à un
quart de pouce de la frontière américaine. On
disait que le personnel de Kootenay assurerait le
fonctionnement du chemin de fer jusqu'à la fron-
tière et qu'il serait pris en charge par le personnel
de la compagnie Burlington au sud de la frontière.
Je ne crois pas que cet arrêt soit d'un grand
secours pour la requérante. Certes, la Cour
suprême a jugé que la compagnie Kootenay ne
faisait pas partie d'une entreprise extra-provin-
ciale, mais la Cour ne s'intéressait à la compagnie
qu'antérieurement à tout rattachement. Pour la
Cour, il s'agissait de savoir si une législature pro-
vinciale pouvait ou non constituer une compagnie
pour la construction d'une ligne de chemin de fer
jusqu'à un quart de pouce de la frontière, comme
voulait le faire Kootenay. Tout en répondant par
l'affirmative à la question, il était clairement indi-
qué qu'une fois le rattachement avec le chemin de
fer de Burlington effectué, le caractère de toute
l'entreprise pourrait changer. Ainsi, à la page 982:
En résumé, je suis d'avis qu'une législature provinciale peut
autoriser la construction d'une ligne de chemin de fer qui est
entièrement située à l'intérieur des limites de la province. Le
fait qu'un tel chemin de fer puisse par la suite, en raison de sa
liaison avec un autre chemin de fer ou de sa mise en service,
devenir soumis à la réglementation fédérale ne touche pas au
pouvoir de la législature provinciale de le créer.
Outre cette concentration sur la construction du
chemin de fer, M. le juge Martland, auteur de
l'arrêt majoritaire de la Cour dans l'affaire Koote-
nay & Elk, cite, à la page 980, l'arrêt Luscar
Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.).
Dans cette affaire, une ligne de chemin de fer
exploitée entièrement dans une province et appar-
tenant aux intimés pour leurs propres fins indus-
trielles fut considérée comme une entreprise inter-
provinciale. À la page 932, le Comité judiciaire du
Conseil privé déclarait:
[TRADUCTION] Il est impossible, à leur avis, de dire d'une
section quelconque de ce réseau qui ne s'étend pas jusqu'à la
frontière de la province, qu'elle ne relie pas cette province à une
autre. Si elle est reliée à une ligne qui est elle-même reliée à
une ligne dans une autre province, alors elle constitue un
maillon de la chaîne, et on peut dire à bon droit qu'elle relie la
province dans laquelle elle est située avec d'autres provinces.
Dans la présente affaire, considérant le mode d'exploitation
du chemin de fer, leurs Seigneuries sont d'avis qu'il s'agit en
fait d'un chemin de fer reliant la province de l'Alberta avec
d'autres provinces . Il existe une liaison continue par chemin
de fer entre ce point de l'embranchement Luscar qui est le plus
éloigné du point de raccordement avec l'embranchement Moun
tain Park et les régions du Canada situées à l'extérieur de la
province de l'Alberta. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Luscar, l'embranchement n'était
pas exploité par son propriétaire mais par le Cana-
dien national conformément à un accord avec lui.
Cette exploitation étroitement reliée parut impor-
tante tant aux yeux du Comité judiciaire qu'à ceux
de M. le juge Martland dans l'arrêt Kootenay &
Elk. Celui-ci écrit, aux pages 980 et 981:
Dans Luscar Collieries, Limited v. McDonald, il s'agissait de
décider si la Commission des chemins de fer fédérale pouvait
rendre une ordonnance accordant des droits de circulation sur
la ligne de l'appelante ... Cependant, dans cette affaire-là, la
décision a été fondée sur le fait que la ligne de Luscar était
mise en service par C.N.R.
Il convient de signaler que, dans cette affaire-là, la loi qui a
autorisé la construction de la ligne Luscar avait été adoptée par
la législature de l'Alberta et que cette loi autorisait aussi la
compagnie Luscar à conclure un traité avec C.N.R. pour la
mise en service de son chemin de fer. Il est clair que la ligne
Luscar était destinée à aider à la mise en marché du charbon de
Luscar à l'extérieur de la province. Dans cette affaire-là, il n'a
pas été prétendu que la législature de l'Alberta ne pouvait
adopter une telle disposition. Ce que l'arrêt a décidé c'est que,
une fois que la ligne, en raison de sa mise en service, était
devenue partie d'un réseau de chemin de fer inter-provincial,
elle devenait assujettie à la réglementation fédérale. [C'est moi
qui souligne.]
Il est clair donc, comme le soutient AGT, qu'un
lien matériel peut ne pas être suffisant pour faire
entrer l'entreprise dans la compétence fédérale. Il
faut quelque chose de plus; ce quelque chose, on l'a
décrit comme la manière dont le système est
exploité.
Ce qui nous amène au second moyen que fait
valoir AGT. Elle soutient que le second élément
nécessaire pour autoriser à dire qu'il s'agit d'une
entreprise interprovinciale (que j'appellerai le lien
organisationnel suffisant) ne se retrouve pas en
l'espèce. Pour paraphraser l'argument: le RTT
n'est pas une personne morale et en conséquence
on ne peut dire qu'il fournit des services à qui que
ce soit; ce sont les parties contractantes qui four-
nissent des services à leurs abonnés dans leur
propre système et qui s'échangent le trafic avec les
autres entreprises; il en est ainsi même si, pour des
raisons commerciales ou de relations publiques,
AGT a choisi de se présenter (de concert avec
d'autres entreprises de télécommunications)
comme exploitant conjointement un réseau natio
nal de télécommunications; et les parties, ayant
convenu de ne prendre de décisions qu'à l'unani-
mité, conservent le contrôle ultime de leur propre
système de télécommunications.
Je ne trouve pas cet argument décisif. Il me
semble que c'est donner là trop d'importance aux
subtilités de la structure juridique en écartant la
réalité des faits. Implicitement dans cet argument
on admet que, si le RTT était doté de la personna-
lité morale, il s'agirait manifestement d'une entre-
prise interprovinciale. C'est là un distinguo juridi-
que par trop subtil pour qu'il puisse servir de
fondement à une décision qui en somme doit repo-
ser sur le réel. Je note que dans l'arrêt Northern
Telecom Ltée c. Travailleurs en communication
du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, aux pages 132 et
133, la Cour suprême a cité la décision de la
Commission des relations de travail de la Colom-
bie-Britannique Arrow Transfer Co. Ltd. and
Canadian Assoc. of Industrial, Mechanical and
Allied Workers, Local 1 (B.C.) and General
Truckdrivers and Helpers Union, Local 31 (Inter-
vener), [ 1974] 1 Canadian LRBR 29 [aux pages
34 et 35]:
[TRADUCTION] Dans chaque cas la décision est un jugement à
la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de
l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques de
la structure de la société en cause ou des relations de travail.
La question qui se posait dans ces affaires, naturel-
lement, était de savoir si les entreprises en cause
étaient extra-provinciales et relevaient par consé-
quent de la compétence fédérale en matière de
relations de travail.
À mon avis, l'existence du RTT, et la participa
tion d'AGT à ce réseau, démontrent l'existence
d'une entreprise commune et conjointe de télécom-
munications. Cela indique qu'AGT exploite son
entreprise de télécommunications comme une
entreprise interprovinciale et non pas comme une
entreprise de nature purement locale. Aussi, aux
yeux de la loi, il se peut qu'AGT conserve le
contrôle de ses installations mais, en pratique, elle
ne peut s'isoler de l'entreprise conjointe qu'est le
RTT sans détruire son système de télécommunica-
tions tel qu'il existe actuellement. Le fait qu'il
faille l'accord unanime des membres du RTT ne
saurait masquer les contraintes que l'existence du
système intégré et l'interdépendance de ses mem-
bres imposent.
On a rappelé à plusieurs reprises que le gouver-
nement et Parlement fédéraux n'ont jamais tenté,
au cours des quelque 80 années de croissance des
systèmes téléphoniques, de réglementer AGT. Bell
Canada, dont les activités s'étendent et à l'Ontario
et au Québec et qui a été déclarée, en vertu de
l'alinéa 92(10)c), ouvrage pour l'avantage général
du Canada, est réglementé par l'ordre fédéral, de
même que British Columbia Telephone Company
(qui a aussi fait l'objet d'une déclaration aux
termes de l'alinéa 92(10)c)) et le CN, dans le cas
de «Norouestel». Télésat Canada, naturellement,
est assujettie à la réglementation fédérale. Le fait
qu'une compétence constitutionnelle n'est pas
exercée pendant de longues périodes, ou est irrégu-
lièrement exercée, ne signifie pas que s'opère par le
fait même une forme de prescription acquisitive.
(Voir Procureur général du Manitoba c. Forest,
[1979] 2 R.C.S. 1032, pour une affaire dans
laquelle un comportement inconstitutionnel
demeura incontesté pendant quatre-vingt-dix ans.)
Je conclus donc qu'AGI n'est pas une entreprise
locale aux termes de l'alinéa 92(10)a) de la Loi
constitutionnelle de 1867.
L'immunité de la Couronne
De prime abord, la Couronne (tant fédérale que
provinciale) est une personne morale qui, n'étaient
les règles spéciales concernant l'immunité de la
Couronne, serait visée par le texte on ne peut plus
clair des articles pertinents de la Loi sur les che-
mins de fer.
Cependant, la requérante soutient qu'elle est
mandataire du gouvernement provincial et que, à
ce titre, elle ne saurait être liée par une loi fédérale
à moins que celle-ci ne dise expressément qu'on
entend lier la Couronne provinciale. L'argument
s'appuie sur l'article 16 de la Loi d'interprétation
fédérale, S.R.C. 1970, chap. I-23, et sur la défini-
tion que l'article 28 de cette Loi donne des termes
«Sa Majesté».
L'article 16 porte:
16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa
Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté ou sur les droits
et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mention-
née ou prévue.
La définition des termes «Sa Majesté» que donne
l'article 28 de la Loi d'interprétation (applicable à
toute la législation fédérale) dispose que:
28....
«Sa Majesté», «la Reine», «le Roi» ou «la Couronne» désigne le
souverain du Royaume-Uni, du Canada et de Ses autres
royaumes et territoires, et chef du Commonwealth;
Cette définition doit jouer dans le cas de l'article
16 de la Loi en vertu de son paragraphe 3(2):
3....
(2) Les dispositions de la présente loi s'appliquent à sa propre
interprétation.
On prétend que, puisque les termes «Sa
Majesté», que définit l'article 28, signifient le sou-
verain de tous ses royaumes et territoires, cela
introduit dans la législation fédérale la notion d'in-
divisibilité de la Couronne et, en particulier dans
l'article 16, la notion de l'immunité de la Cou-
ronne dans toutes ses émanations (dont celle de la
Couronne du chef de la province de l'Alberta).
Je ne suis pas sûre qu'on puisse recourir à la
définition de l'article 28. Ce n'est qu'une descrip
tion du titre de Sa Majesté reprise de la Loi sur la
désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970,
chap. R-12. Ce qui est plus important, si la des
cription que donne de Sa Majesté l'article 28
implique la notion d'indivisibilité de la Couronne,
il me semble que cela a pour effet d'introduire
dans la législation fédérale une immunité dont
doivent bénéficier tous les gouvernements et subdi
visions de gouvernements, à l'échelle mondiale,
dont Sa Majesté est la souveraine. Je n'oublie pas
que les gouvernements étrangers (membres ou non
du Commonwealth) jouissent d'une immunité à
l'égard d'une grande partie du droit interne du fait
de certaines autres règles ou présomptions juridi-
ques. Néanmoins, il m'est difficile d'accepter, au
niveau conceptuel, que l'article 16 de la Loi d'in-
terprétation, par le jeu de la définition qu'on y
donne de Sa Majesté à l'article 28, accorde à
toutes les institutions gouvernementales dont Sa
Majesté est la souveraine, une immunité à l'égard
de la législation fédérale.
En outre, il me semble que ce genre d'interpré-
tation littérale de l'article 16, rapproché de l'arti-
cle 28, signifierait que le dispositif de toutes les
lois fédérales devrait être interprété comme visant
non seulement Sa Majesté du chef du gouverne-
ment fédéral du Canada, mais aussi toutes les
autres émanations de Sa Majesté.
Qu'en est-il alors de l'article 16, si on ne peut
l'interpréter en faisant intervenir la définition que
donne des termes «Sa Majesté» l'article 28?
Devrait-il être interprété comme ne se rapportant
qu'à la Couronne fédérale ou doit-il être interprété
comme accordant une immunité à la Couronne
provinciale aussi?
L'immunité de la Couronne est parfois considé-
rée comme un principe fondamental d'interpréta-
tion législative, parfois comme un aspect de la
prérogative. (Voir McNairn, Governmental and
Intergovernmental Immunity in Australia and
Canada (1977), la page 1; Hogg, Constitutional
Law of Canada (1977), aux pages 163 et 172;
Hogg, Liability of the Crown (1971), la page
166.) Selon l'une ou l'autre interprétation, il y
aurait aujourd'hui de bonnes raisons de croire que
l'immunité prévue dans la législation fédérale ne
vise que la Couronne fédérale et non pas la Cou-
ronne provinciale. Cela découlerait de ce que tant
les fonctions législatives que la prérogative sont,
dans notre fédération, partagées.
Si on la considère comme un principe fondamen-
tal d'interprétation législative, rien vraiment ne
permet de supposer que l'omission dans une loi
fédérale d'un article liant expressément la Cou-
ronne provinciale soit le fait d'une décision cons-
ciente du Parlement en ce sens. Il est plus probable
que personne ne s'est posé la question (cette immu-
nité peut avoir des conséquences importantes au
niveau commercial, par exemple, en cas d'investis-
sements dans certaines valeurs mobilières ou dans
certains autres instruments financiers par une ins
titution gouvernementale provinciale). Si l'immu-
nité ne devait s'appliquer qu'aux activités qu'on
pourrait qualifier de gouvernementales, sa raison
d'être deviendrait claire: interdire à un ordre de
gouvernement de subordonner l'autre ordre. Mais
quand l'immunité doit jouer aussi dans le cas des
institutions commerciales ou financières du gou-
vernement, surtout lorsqu'elles font concurrence à
des entreprises privées assujetties à une réglemen-
tation gouvernementale, il devient plus difficile
d'en comprendre la raison d'être.
Dans la mesure où la règle de l'immunité de la
Couronne découle de la prérogative de la Cou-
ronne, il est difficile de comprendre comment, au
Canada, elle peut être une source d'immunité pro-
vinciale à l'égard de la législation fédérale. La
prérogative n'a pas d'existence unifiée dans notre
fédération. La jurisprudence constitutionnelle
montre clairement que la prérogative de la Cou-
ronne est divisée conformément au partage fédé-
ral-provincial des compétences législatives. Voir en
général: Maritime Bank of Canada (Liquidators
of) v. Receiver-General of New Brunswick, [1892]
A.C. 437 (P.C.); Bonanza Creek Gold Mining
Company v. Rex, [1916] 1 A.C. 566 (P.C.);
Attorney -General for the Dominion of Canada v.
Attorney -General for the Province of Ontario,
[1898] A.C. 247 (P.C.). Et, pour une récente
affaire britannique où on analyse la notion d'unité
de la Couronne, voir: Regina v. Secretary of State
for Foreign and Commonwealth Affairs, Ex parte
Indian Association of Alberta, [1982] Q.B. 892
(C.A.).
Quoi qu'il en soit, que la règle soit un héritage
du temps où les gouvernements étaient moins
actifs dans ce que souvent on appelle les domaines
gouvernementaux non traditionnels, ou qu'il
s'agisse d'un héritage du temps où l'unité de la
Couronne était une réalité (avant l'apparition du
gouvernement responsable et celle d'États indépen-
dants sous la même Couronne), elle demeure tou-
jours la règle. Le juge en chef Laskin dans Sa
Majesté du chef de la province de l'Alberta c.
Commission canadienne des transports (l'affaire
P.W.A.), [1978] 1 R.C.S. 61, la page 71, a écrit:
On peut avancer que vu la nature du système fédéral canadien,
la notion d'indivisibilité de la Couronne devrait être abandon-
née. La Constitution du Canada répartit le pouvoir législatif
entre le Parlement central et des législatures provinciales et le
pouvoir exécutif, dit de prérogative (officiellement conféré à la
Reine), est réparti comme le pouvoir législatif et relève donc de
différents pouvoirs exécutifs. Cependant les décisions des tribu-
naux, notamment celles du Conseil privé, ont considéré qu'une
mention générale de la Couronne dans la législation provinciale
et fédérale renvoyait à la notion de Couronne indivisible. Il
suffit à ce sujet de citer l'arrêt du Comité judiciaire dans
Dominion Building Corporation c. Le Roi .. .
Et, à la page 76:
... la règle de common law fait partie de ce qu'il convient
d'appeler le droit de la Couronne et constitue un principe
historique faisant partie du droit de notre pays depuis son
origine; elle fait partie de notre droit en vertu du régime fédéral
entré en vigueur en 1867, l'avantage à la fois de la Couronne
du chef du Canada et de la Couronne du chef d'une province. A
mon sens, si le gouvernement de l'Alberta ne peut se prévaloir
de la protection prévue à l'art. 16 de la Loi d'interprétation
fédérale, il peut à juste titre invoquer le principe de common
law énoncé dans l'arrêt Bombay. Quoi qu'il en soit, je conclus
qu'il n'est pas lié par les art. 19 et 20 du Règlement sur les
transporteurs aériens.
En conséquence, il est clair qu'à moins que les
dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins
de fer, expressément ou tacitement, ne lient la
Couronne provinciale, ou à moins qu'on ne puisse
dire qu'AGT a renoncé à l'immunité de la Cou-
ronne, celle-ci n'est pas régie par cette loi ni par
l'autorité réglementaire du CRTC.
a) Par disposition expresse ou par déduction
nécessaire
En common law, la règle était claire; la Cou-
ronne n'était pas liée à moins que la loi ne le dise
expressément ou à moins que ce soit la conclusion
à laquelle on doive nécessairement arriver par
déduction. (Hogg, Constitutional Law of Canada
(1977), la page 172; McNairn, Governmental
and Intergovernmental Immunity in Australia and
Canada (1977), la page 1; Maxwell, The Inter
pretation of Statutes (12» éd. 1969), la page
161.) Il n'existe aucune disposition expresse dans
la Loi sur les chemins de fer qui lie la Couronne
provinciale, mais l'intimé soutient qu'AGT est liée
par une déduction nécessaire.
L'avocat de l'intimé CN -CP soutient que la
théorie de la déduction nécessaire comporte deux
volets: (1) la déduction nécessaire jouerait lorsque
l'objet même de la loi serait déjoué si la Couronne
n'était pas liée (voir Province of Bombay v. Muni
cipal Corporation of the City of Bombay and
Another, [1947] A.C. 58 (P.C.)); (2) la déduction
nécessaire qui découle du texte de loi lui-même.
On ne saurait soutenir en l'espèce, il le reconnaît,
la nécessité d'une telle déduction au premier sens.
Plutôt, il soutient que cette déduction est néces-
saire de par le texte de loi lui-même.
L'avocat de la requérante soutient, quelle qu'ait
été la common law autrefois, que la théorie de la
déduction nécessaire doit être considérée actuelle-
ment, dans l'une ou l'autre de ses formulations,
comme caduque. Il fonde son argumentation sur
les commentaires du juge en chef Laskin dans
l'arrêt P.W.A. au sujet de l'arrêt du Conseil privé
In re Silver Brothers Ld., [1932] A.C. 514. Aux
pages 74 et 75 de l'arrêt P.W.A., le juge en chef
Laskin a écrit:
Le Conseil privé, en se fondant sur l'art. 16 de la Loi
d'interprétation, a rejeté la thèse de la «déduction nécessaire»
invoquée à l'appui de l'argumentation de la Couronne fédérale.
Il a déclaré à ce sujet (à la p. 523):
[TRADUCTION] On a ensuite avancé que puisque la Loi sur
les banques et la Loi sur la faillite non seulement traitent de
privilèges mais (inter alfa) de privilèges de la Couronne, il
faut conclure par «déduction irrésistible» que le législateur
entendait traiter de tous les privilèges de la Couronne. Pour
répondre à cette affirmation, il suffit de s'arrêter aux termes
mêmes de l'art. 16. Il est alors manifestement contradictoire
de prétendre qu'une «déduction irrésistible» constitue une
mention expresse.
La question de savoir si le Conseil privé aurait retenu la thèse
de la «déduction nécessaire» en l'absence dudit art. 16 est une
toute autre chose. Comme je l'ai déjà indiqué, je suis incapable
d'accepter cette thèse en l'espèce, ni en vertu de la règle de
common law, ni en vertu de l'actuel art. 16 de la Loi
d'interprétation.
Et l'avocat d'invoquer aussi l'arrêt R. c. Eldo-
rado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551,à la
page 560; 50 N.R. 120, la page 126:
L'article 16 de la Loi d'interprétation requiert une disposition
expresse pour qu'une loi lie l'Etat.
Et, à la page 562 R.C.S.; 127 N.R.:
Au Canada, le chef de l'État est Sa Majesté la Reine, le
monarque régnant du Royaume-Uni. En prévoyant que «Nul
texte législatif ... ne lie Sa Majesté ... sauf dans la mesure y
mentionnée ou prévue», le Parlement a exempté l'État, souvent
appelé la Couronne, de l'assujettissement aux lois du Parlement
qui ne prévoient pas de façon expresse qu'elles s'appliquent à
l'État. [C'est moi qui souligne.]
Il est possible que les faits dans ces deux espèces
n'aient pas justifié une conclusion que la déduction
était nécessaire, mais je ne suis pas entièrement
convaincue que la Cour suprême ait voulu aban-
donner la théorie de la déduction nécessaire aussi
définitivement que l'avocat de la requérante AGT
le prétend.
J'accepterais de dire que la Cour suprême a
écarté les deux volets de la théorie de la déduction
nécessaire s'il était clair qu'elle a examiné le
second volet de la théorie et l'interaction des arti
cles 3 et 14 de la Loi d'interprétation rapprochés
de l'article 16.
Le paragraphe 3(1) porte:
3. (1) A moins qu'une intention contraire n'apparaisse, cha-
cune des dispositions de la présente loi s'étend et s'applique à
tout texte législatif ... [C'est moi qui souligne.]
Et l'alinéa 14(2)a):
14....
(2) Lorsqu'un texte législatif renferme un article interpréta-
tif ou une disposition interprétative, l'article ou la disposition en
question doit se lire et s'interpréter
a) comme étant applicable seulement si l'intention contraire
n'apparaît pas ...
De toute façon, il n'est nécessaire de décider si
la Cour suprême est effectivement allée aussi loin
que l'avocat de la requérante le prétend que s'il
peut être démontré à partir du texte de la loi
pertinente que la Couronne provinciale est néces-
sairement liée.
L'avocat soutient que deux aspects de la Loi sur
les chemins de fer amènent à cette conclusion. Son
premier moyen est fondé sur les articles 130(1) et
102(1)c) et d). Le paragraphe 102(1) confère aux
compagnies qu'il régit le pouvoir d'acquérir les
terrains nécessaires à leur entreprise et celui
d'exercer cette entreprise sur les terrains de qui
que ce soit, «conformément au tracé de la ligne».
Le paragraphe 130(1) interdit à la compagnie de
s'approprier, d'utiliser ou d'occuper «des terres qui
appartiennent à la Couronne, sans le consentement
du gouverneur en conseil». Si, fait-on valoir, la
Couronne n'est pas expressément liée par la Loi et
n'est pas visée par le terme personne, au sens de la
Loi, la clause d'exclusion du paragraphe 130(1)
n'est pas nécessaire.
Cet argument ne me paraît pas convaincant. Il
s'agit de savoir si les entreprises de télécommuni-
cations qui sont mandataires de la Couronne pro-
vinciale sont régies par les dispositions réglemen-
tant ce genre d'entreprises. Les articles en question
traitent des propriétaires dont les terrains pour-
raient être nécessaires à la construction d'une
entreprise ferroviaire. Si l'argument était de savoir
si un chemin de fer peut passer sur les terrains de
la Couronne provinciale comme sur les terrains de
toute autre personne, la réserve pourrait être perti-
nente et utile pour fins d'interprétation. Mais je
n'estime pas qu'elle vient en aide à l'avocat de
l'intimé CN -CP lorsqu'il soutient que les entrepri-
ses de télécommunications de la Couronne provin-
ciale sont liées par la Loi.
Son second moyen est fondé sur le paragraphe
320(1) et l'article 5:
320. (1) .. .
«compagnie» signifie une compagnie de chemin de fer ou une
personne autorisée à construire ou à tenir en service un
chemin de fer, qui a le pouvoir de construire ou de tenir en
service une ligne ou un réseau de télégraphe ou de téléphone,
et d'en exiger des taxes; et comprend aussi les compagnies de
télégraphe et de téléphone, et toute compagnie et toute
personne, relevant de l'autorité législative du Parlement du
Canada, qui ont le pouvoir de construire ou de tenir en
service une ligne ou un réseau de télégraphe ou de téléphone
et d'en exiger des taxes;
5. Sous réserve des dispositions ci-incluses, la présente loi
s'applique à toutes les personnes, les compagnies de chemin de
fer et à tous les chemins de fer, qui relèvent de l'autorité
législative du Parlement du Canada, constitués en corporations
ou autorisés, soit dans le passé, soit à l'avenir, et de quelque
manière que ce soit, sauf les chemins de fer de l'État auxquels
cependant elle doit s'appliquer dans la mesure spécifiée dans
toute loi s'y rapportant ou s'y rattachant.
Il n'aurait pas été nécessaire, fait-on valoir, d'ex-
clure les «chemins de fer de l'État» si au paragra-
phe 320(1) on n'avait pas voulu inclure les entre-
prises appartenant à la Couronne ou exploitées par
elle. Les antécédents historiques de l'article 5 mon-
trent clairement que l'expression «chemins de fer
de l'État» vise les chemins de fer appartenant à Sa
Majesté du chef du Canada. La version originale
de ce qui est maintenant l'article 5 est apparue
pour la première fois dans l'Acte des chemins de
fer de 1888, 51 Vict., chap. 259, art. 3. Comme
dans le cas de la Loi sur les chemins de fer
actuelle, la loi de 1888 ne donnait aucune défini-
tion de ces «chemins de fer de l'État». Mais le
chapitre 38 des Statuts révisés de 1886 s'intitulait
Acte des chemins de fer de l'État. Il est raisonna-
ble de présumer que les chemins de fer de l'État
ont été exclus de la réglementation par la loi de
1888 parce qu'ils étaient déjà régis par une autre
loi. Cette loi est toujours en vigueur sous l'intitulé
Loi sur les chemins de fer de l'État, S.R.C. 1970,
chap. G-11.
Cet argument lui non plus n'est guère convain-
cant. Si les entreprises de télécommunications
avaient été visées expressément par la loi de 1888,
comme c'est le cas maintenant, l'argument aurait
eu beaucoup plus de force. Mais vu la croissance
anarchique de la Loi sur les chemins de fer, je ne
pense pas qu'il soit raisonnable d'interpréter les
dispositions actuelles concernant les entreprises de
télécommunications au moyen d'un renvoi à une
disposition remontant à 1888 concernant des che-
mins de fer.
Il s'ensuit que je ne trouve aucun argument
convaincant voulant que la Couronne provinciale
soit liée par déduction nécessaire de l'interpréta-
tion littérale des dispositions de la loi.
Je considère comme tout aussi peu convaincant
l'argument selon lequel le Parlement n'aurait
modifié que la Loi nationale sur les transports
[S.R.C. 1970, chap. N-17] et la Loi sur l'aéronau-
tique [S.R.C. 1970, chap. A-3] en 1977 (S.C.
1976-77, chap. 26) à la suite de l'arrêt P.W.A.
pour disposer expressément qu'elles liaient la Cou-
ronne et non la Loi sur les chemins de fer, parce
que celle-ci liait déjà la Couronne. Il me semble
plus probable qu'on n'a tout simplement pas pris
en compte la portée de la Loi sur les chemins de
fer.
b) La renonciation à l'immunité
CN -CP fait valoir toutefois que, même si AGT
n'est pas liée par la Loi sur les chemins de fer par
déduction nécessaire, elle l'est néanmoins du fait
de son comportement, qui indique qu'elle a
renoncé à son immunité. Ce raisonnement s'appuie
sur des décisions comme The Queen in the Right
of the Province of Ontario v. Board of Transport
Commissioners, [ 1968] R.C.S. 118; Toronto
Transportation Commission v. The King, [1949]
R.C.S. 510; et Schwella, John F. v. The Queen
and Hydro-Electric Power Commission of Onta-
rio et al., [1957] R.C.É. 226.
Selon CN -CP, AGT ne fait partie de l'organisa-
tion et du réseau du RTT qu'en vertu de l'aval que
le CRTC a donné à l'accord de raccordement du
RTT et à d'autres accords. Il s'ensuit, fait-on
valoir, qu'AGT voudrait jouir des avantages de
faire partie d'un réseau national intégré et
approuvé aux termes de la Loi sur les chemins de
fer sans subir le désavantage d'être assujettie à
l'ensemble de la réglementation.
Voici les accords impliquant AGT que le CRTC
a approuvés*: l'accord de service et de raccorde-
ment du RTT avec American Telephone and Tele
graph Company (AT&T) de 1971; l'accord de
raccordement de 1972 entre AGT et le Canadien
national, modifié en 1973, 1976 et 1977; l'accord
d'exploitation et de raccordement du RTT de 1975
avec Téléglobe; un contrat de mandat de 1979
intervenu entre tous les membres du RTT; l'accord
du RTT de 1978 avec Telenet; l'accord du RTT de
1979 avec Tymnet; l'approbation provisoire en
1983 de l'accord du RTT avec American Satellite
Company; l'approbation provisoire, en 1983 aussi,
de l'accord du RTT avec MCI Telecommunica
tions Corporation.
* L'approbation du CRTC recherchée était celle qu'exige le
paragraphe 320(11) de la Loi sur les chemins de fer:
320... .
(11) Tous les contrats, marchés et arrangements conclus
entre la compagnie et une autre compagnie, ou une province,
municipalité ou corporation qui possède le pouvoir de construire
ou de tenir en service un réseau ou une ligne de téléphone ou de
télégraphe, que ce pouvoir lui vienne du Parlement du Canada
ou d'ailleurs, et visant la réglementation et l'échange de com
munications et de services télégraphiques ou téléphoniques
entre leurs réseaux et lignes télégraphiques ou téléphoniques
respectifs, ou la division ou répartition des taxes de télégraphe
ou de téléphone, ou se rapportant d'une manière générale à
(Suite à la page suivante)
L'accord de raccordement du RTT de 1976
lui-même ne fut pas approuvé dans un premier
temps. En 1977, le CRTC rejeta la demande d'ap-
probation de cet accord présentée par Télésat
(Décision Telecom, CRTC 77-10). La décision du
CRTC reposait sur la conclusion que cette appro
bation aurait dangereusement porté atteinte au
contrôle réglementaire de l'autonomie de Télésat
et créé une situation de non-concurrence, laquelle
n'était pas dans l'intérêt public. Le gouverneur en
conseil modifia la décision du CRTC dans son
décret C.P. 1977-3152, approuvant en substance
l'accord de raccordement tel qu'initialement pro-
posé par les membres du RTT. A nouveau, en
1981, le CRTC refusa d'approuver certains aspects
d'une demande concernant certaines hausses et
réductions des tarifs du RTT. (Décision Telecom,
CRTC 81-13.) C'est ce refus qui donna lieu à la
requête au gouverneur en conseil [présentée le 23
juillet 1981]. Cette requête fut signée par tous les
membres du RTT. Le gouverneur en conseil révisa
la décision initiale du CRTC dans son décret C.P.
1981-3456.
Sauf dans la requête au Gouverneur en conseil
toutefois, AGT n'a jamais requis l'approbation par
le CRTC de l'un des accords. Les demandes ont
toujours été présentées soit par Bell Canada, soit
par British Columbia Telephone, par Télésat ou
par la Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada, reflétant en cela le fait que ces compa-
gnies ont toujours été considérées comme obligées
d'obtenir l'aval du CRTC avant de pouvoir devenir
parties contractantes aux accords en question. Si
AGT a profité de ces accords, elle n'a jamais pris
l'initiative de requérir l'approbation du CRTC ni,
semble-t-il, n'a été considérée par ce dernier
comme obligée de le faire. Dans quelle mesure
donc peut-on dire qu'AGT a renoncé à l'immunité
de la Couronne?
L'avocat de CN -CP s'est fortement appuyé sur
l'arrêt de la Cour suprême The Queen in the Right
(Suite de la page précédente)
l'administration, à l'exploitation ou à la mise en service de l'un
ou de plusieurs de leurs réseaux ou de l'une ou de plusieurs de
leurs lignes de télégraphe ou de téléphone respectives, en
totalité ou en partie, ou d'autres réseaux ou lignes exploités en
liaison avec les réseaux ou lignes susdits ou l'un ou l'autre
desdits réseaux ou lignes, sont subordonnés à l'agrément de la
Commission et doivent lui être soumis et être agréés par elle
avant que lesdits contrats, marchés ou arrangements deviennent
exécutoires.
of the Province of Ontario v. Board of Transport
Commissioners (l'affaire du train de banlieue),
[1968] R.C.S. 118. Dans cette affaire, le gouver-
nement ontarien voulait exploiter un service de
banlieue entre Pickering, Toronto et Hamilton. Un
accord provisoire était intervenu avec le CN pour
l'utilisation de ses voies ferrées: le matériel roulant
appartiendrait à l'Ontario, mais le personnel serait
celui du CN; il serait cependant mandaté par
l'Ontario pour effectuer cette tâche. L'accord, bien
entendu, devait être approuvé par la CCT. La mise
en oeuvre de l'accord impliquait aussi l'interrup-
tion de quatre services ferroviaires assurés par le
CN. La CCT approuva l'accord et l'interruption
de service réclamée, mais affirma sa compétence
sur le prix que demanderait l'Ontario pour offrir
ce service de banlieue.
Répondant à la prétention que l'Ontario échap-
pait à la compétence de la CCT en raison de
l'immunité de la Couronne, la Cour suprême dit, à
la page 124:
[TRADUCTION] Sa Majesté du chef de l'Ontario n'a, si ce n'est
en vertu d'un accord de principe avec le Canadien National, pas
le droit d'exploiter un service de trains de banlieue ni, en
conséquence, de percevoir un prix pour le transport de passa-
gers sur une portion des lignes de chemins de fer du Canadien
National. Les droits de l'Ontario découlent soit de cet accord,
soit de la Loi sur les chemins de fer et il s'ensuit qu'ils sont
soumis aux conditions qu'impose cette Loi, dont l'une est que ce
prix relève de la compétence de la Commission des transports.
Il nous semble que, si la Colombie-Britannique ne peut
échapper aux dispositions générales des lois sur les douanes et
sur l'accise lorsqu'elle exploite une régie des alcools, comme il a
été jugé dans Attorney -General of British Columbia v. Attor-
ney -General of Canada, l'Ontario de même ne peut échapper
aux dispositions générales de la Loi sur les chemins de fer
concernant le prix des billets lorsqu'elle exploite un service de
trains de banlieue.
La Cour appliquait ainsi ce qu'on appelle parfois
la théorie du revers de la médaille. Si un ordre de
gouvernement renonce à son immunité en se préva-
lant des avantages de certaines dispositions législa-
tives, il sera considéré comme ayant accepté et les
avantages et les inconvénients qui en découlent; il
ne peut choisir uniquement les dispositions qui
l'avantagent.
En l'espèce cependant, si AGT peut être avanta-
gée par l'approbation par le CRTC de l'accord de
raccordement du RTT et par celle de divers autres
accords, je ne pense pas qu'on puisse dire qu'AGT
s'est par là assujettie à la Loi sur les chemins de
fer dans tous ses aspects. Il n'y a aucun lien entre
une renonciation à l'immunité relativement aux
accords du RTT et la prétention de CN -CP (qu'il
soit ordonné à AGT de lui permettre un raccorde-
ment). On peut sans doute considérer qu'AGT a
renoncé à son immunité pour les désavantages liés
à l'exécution des accords du RTT et autres. Ainsi,
si CN -CP était membre du RTT, ce serait une
tout autre question; si le raccordement demandé
avait un rapport avec un accord en vigueur entre
AGT et CN -CP, on pourrait y voir un lien suffi-
sant. Mais je crois que c'est pousser la théorie de
la renonciation trop loin que de tenir qu'AGT, par
sa participation aux avantages des accords du
RTT, a accepté la compétence générale du CRTC.
Quant aux deux autres affaires (Schwella, John
F. v. The Queen and Hydro-Electric Power Com
mission of Ontario et al. et Toronto Transporta
tion Commission v. The King (précitées)), leurs
faits diffèrent de l'espèce tout comme ceux de
l'affaire du train de banlieue. Ces deux affaires
portaient sur l'application à la Couronne du Con
tributory Negligence Act de l'Ontario. Dans les
deux affaires, la Couronne avait expressément
invoqué la loi à son avantage et il y avait un lien
direct entre l'avantage réclamé et l'application des
autres articles de la loi à la Couronne.
Il reste un dernier argument dont il faut dispo-
ser. CN -CP a soutenu qu'AGT n'est mandataire
de la Couronne qu'aux fins d'exercice des pouvoirs
que lui confère sa loi constitutive et que ces pou-
voirs ne vont pas jusqu'à autoriser des activités
interprovinciales et internationales. Certes, AGT
est mandataire de la Couronne provinciale, mais
uniquement dans la mesure où elle fournit des
services de télécommunications locaux; hors de
cette sphère d'activités, elle perd son statut de
mandataire de la Couronne provinciale (Conseil
des Ports Nationaux v. Langelier et al., [1969]
R.C.S. 60; Société Radio-Canada, la station de
télévision C.B.O.F.T. et autre c. La Reine, [1983]
1 R.C.S. 339; R. c. Eldorado Nucléaire Ltée,
[1983] 2 R.C.S. 551; 50 N.R. 120).
À dire vrai, je ne comprends pas tous les tenants
et aboutissants de cet argument. Il me semble que
le pouvoir d'un gouvernement, fédéral ou provin
cial, de constituer des compagnies est tout à fait
distinct de ses compétences législatives. La juris
prudence, si je la comprends bien, ne dit pas
qu'une législature provinciale ne peut pas consti-
tuer des personnes morales destinées à oeuvrer
dans des champs de réglementation fédéraux.
D'ailleurs, les arrêts de la Cour suprême Fulton et
Kootenay & Elk (précités) semblent tous deux
indiquer exactement l'opposé.
Avant de conclure, je me dois de faire certains
commentaires sur l'administration de la preuve.
L'avocat d'AGT s'est opposé à toute tentative
d'offrir en preuve la moindre information au sujet
du RTT, allant jusqu'à refuser de permettre à M.
Fyles, un cadre d'AGI, dont l'affidavit avait été
produit à l'appui de la demande de celle-ci, de
répondre, en contre-interrogatoire, à des questions
portant sur le RTT. Ce n'est qu'après ordonnance
judiciaire que M. Fyles s'est finalement vu obligé
de répondre à certaines de ces questions. Il est
nécessaire de garder cela à l'esprit, lorsqu'on lit les
réponses données par M. Fyles au cours de ce
second interrogatoire. Ces réponses ne sont pas le
produit spontané du contre-interrogatoire; elles ont
été données après qu'il a eu le temps d'étudier les
questions et de préparer soigneusement les répon-
ses appropriées.
Par ces motifs, il y a lieu à prohibition pour le
CRTC d'entendre la demande du 17 septembre
1982 que lui a présentée CN -CP.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.