A-462-84
Alliance de la Fonction publique du Canada
(appelante)
c.
La Reine du chef du Canada représentée par le
Conseil du Trésor et le procureur général du
Canada (intimés)
Cour d'appel, juges Mahoney, Marceau et Huges-
sen—Ottawa, 7, 8 et 26 juin 1984.
Droit constitutionnel — Appel d'un jugement de la Division
de première instance qui a rejeté une action visant à faire
déclarer la Loi sur les restrictions salariales du secteur public
incompatible avec la Loi constitutionnelle de 1982 et la Décla-
ration canadienne des droits — Le juge de première instance a
eu raison de décider que la Loi ne restreignait ni le droit à la
liberté d'association garanti par l'art. 2d) de la Charte ni le
droit à l'égalité garanti par l'art. Ib) de la Déclaration cana-
dienne des droits — La Loi prive l'appelante du droit de faire
la grève et de négocier collectivement — Le juge de première
instance a refusé d'appliquer l'arrêt Broadway Manor, où il a
été décide que lu «liberté d'association» comprend nécessaire-
ment le droit de faire la grève si l'on veut que le droit de
négocier collectivement ait un sens — Application de la déci-
sion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans
l'affaire Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept.
Store Union, Loc. 580 — La liberté d'association a pour but de
protéger le droit de «chacun» de s'associer comme il l'entend et
de former des associations de tous genres, allant des partis
politiques aux clubs de loisirs — La liberté de s'associer ne
protège pas les buts de l'association ou les moyens d'atteindre
ces buts — La règle de l'interprétation libérale des documents
constitutionnels ne s'applique que si le texte de la Charte
comporte de l'incertitude ou de l'ambigurté — Association
signifie la même chose aujourd'hui qu'en 1982 — Les observa
tions du juge de première instance sur la question de savoir si,
dans le cas où la Loi restreint la liberté d'association de
l'appelante, la restriction est une limite raisonnable justifiée en
vertu de l'art. 1 constituent une parenthèse — Les opinions
élaborées par les cours de justice relativement à l'interpréta-
tion de l'art. I ne devraient pas s'établir à partir d'hypothèses,
surtout si celles-ci sont fondées sur des opinions d'experts
d'une valeur douteuse — Ayant un objectif fédéral valide, qui
est de juguler l'inflation, la Loi ne restreint pas le droit à
l'égalité devant la loi prévu par la Déclaration canadienne des
droits — Loi sur les restrictions salariales du secteur public,
S.C. 1980-81-82-83, chap. 122 — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 6(2) — Déclaration canadienne
des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 1b).
Fonction publique — La Loi sur les restrictions salariales
du secteur public prive l'appelante du droit de faire la grève et
de négocier collectivement — Appel de la décision du juge de
première instance selon laquelle la Loi ne restreint ni le droit à
la liberté d'association garanti par l'art. 2d) de la Charte ni le
droit à l'égalité devant la loi garanti par l'art. lb) de la
Déclaration canadienne des droits — Appel rejeté — L'affaire
Broadway Manor n'a pas été suivie — Application de l'arrêt
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store
Union, Loc. 580, dans lequel il a été décidé que la «liberté
d'association» protège le droit de chacun de former des asso
ciations, allant des partis politiques aux clubs de loisirs, mais
non les buts de l'association ou les moyens d'atteindre ces buts
— Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C.
1980-81-82-83, chap. 122 — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.) art. 1, 2d) — Déclaration canadienne des droits,
S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept.
Store Union, Loc. 580, [1984] 3 W.W.R. 481
(C.A.C.-B.); Collymore v. Attorney -General of Trinidad
and Tobago, [1969] 2 All E.R. 1207 (P.C.); Law Society
of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Re Service Employees' International Union, Local 204
and Broadway Manor Nursing Home et al. and two
other applications (1983), 44 O.R. (2d) 392 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Edwards v. Attorney -General for Canada, [1930] A.C.
124 (P.C.); Sa Majesté la Reine c. Drybones, [1970]
R.C.S. 282; Le procureur général du Canada c. Lavell,
[1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S.
693; Prata c. Ministre de la main-d'oeuvre et de l'immi-
gration, [1976] 1 R.C.S. 376; MacKay c. La Reine,
[1980] 2 R.C.S. 370.
AVOCATS:
Maurice W. Wright, c.r. et Peter Hogg, c.r.,
pour l'appelante.
E. A. Bowie, c.r. et G. R. Garton pour les
intimés.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté d'un
jugement de la Division de première instance,
[1984] 2 C.F. 562, qui a rejeté l'action de l'appe-
lante par laquelle elle concluait à un jugement
déclarant que la Loi sur les restrictions salariales
du secteur public', ci-après appelée «la Loi», n'est
plus en vigueur en raison de son incompatibilité
avec la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)], que la Loi est inopérante en raison de
son incompatibilité avec la Déclaration canadienne
des droits 2 , et que certaines instructions données
conformément à cette Loi sont, par conséquent,
invalides. Certaines questions à l'égard desquelles
l'appelante n'a pas eu gain de cause en première
instance n'ont pas été reprises en appel. Les ques
tions qui demeurent en litige sont les suivantes:
1. La Loi restreint-elle le droit à la liberté
d'association garanti par l'alinéa 2d) de la
Charte canadienne des droits et libertés, ci-
après appelée (la Charte»?
2. Le cas échéant, cette restriction constitue-
t-elle une limite raisonnable à ce droit dont la
justification puisse se démontrer en vertu de
l'article 1 de la Charte?
3. La Loi restreint-elle le droit à l'égalité devant
la loi, garanti par l'alinéa lb) de la Déclaration
canadienne des droits?
Le juge de première instance a répondu aux ques
tions 1 et 3 par la négative et a ajouté que, eût-elle
répondu à la question 1 par l'affirmative, elle
aurait répondu à la question 2 par la négative. Les
intimés interjettent appel de cette dernière
conclusion.
Dans le présent jugement l'appelante sera consi-
dérée au sens collectif de ses membres aussi bien
que comme une entité. La conclusion selon
laquelle la Loi a privé l'appelante du droit de
négocier collectivement est amplement étayée par
la preuve. Cette conclusion constitue une base
factuelle suffisante pour l'examen de la première
question.
La Charte prévoit:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
d) liberté d'association.
' S.C. 1980-81-82-83, chap. 122.
2 S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
En affirmant que le droit de négocier collective-
ment s'inscrit dans la liberté d'association garantie
par la Constitution, l'appelante se fonde sur la
décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans
l'affaire maintenant connue sous le nom de Broad-
way Manor 3 , que le juge de première instance a
refusé d'appliquer. Il a été jugé qu'une disposition
de la Loi sur le contrôle de l'inflation de 1982 4 ,
qui, pour citer le sommaire [à la page 393], [TRA-
DUCTION] «proroge les conventions collectives
intéressant les employés du secteur public et ainsi,
a pour effet, au cours de la période de prorogation,
de priver les travailleurs du droit d'être représentés
par un syndicat de leur choix et du droit de
négocier collectivement et de faire la grève, en ce
qui concerne les revendications non salariales»,
violait la garantie de la liberté d'association.
Chaque juge a prononcé ses propres motifs con-
courants. Le raisonnement de chacun d'entre eux
est, je crois, assez bien énoncé de la manière
suivante par le juge O'Leary, aux pages 443 et
445:
[TRADUCTION] Je suis convaincu ... que la «liberté d'asso-
ciation» comprend le droit des employés de s'inscrire aux
syndicats de leur choix ou de former des syndicats de leur choix
et de négocier collectivement.
Mais le droit de grève est-il compris dans l'expression «liberté
d'association»? La possibilité de faire la grève, en l'absence de
tout genre de conciliation ou d'arbitrage obligatoire, constitue
la seule arme économique importante dont disposent les
employés. Le droit de s'organiser et de négocier collectivement
n'est qu'une illusion s'il n'est pas accompagné du droit de faire
la grève. La principale raison pour laquelle le droit de s'organi-
ser et de négocier collectivement est assuré aux employés c'est
de leur permettre de négocier avec leur employeur. Si l'on
enlève à un employé la possibilité de faire la grève, les avanta-
ges du droit de s'organiser et de négocier collectivement sont
tellement réduits qu'ils n'ont pratiquement plus de sens. Si le
droit de s'organiser et de négocier collectivement a une valeur
importante, alors le droit de faire la grève doit également être
un droit qui est compris dans l'expression «liberté d'association»
et c'est ce que je conclus.
Après l'instruction mais avant le prononcé du
jugement en l'espèce, la Cour d'appel de la Colom-
bie-Britannique a rendu un jugement dans l'affaire
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and
3 Re Service Employees' International Union, Local 204 and
Broadway Manor Nursing Home et al. and two other applica
tions (1983), 44 O.R. (2d) 392 (H.C.).
S.O. 1982, chap. 55, al. 13b).
Dept. Store Union, Loc. 580 5 . Dans cette affaire, il
s'agissait de savoir si une injonction contre le
piquetage violait, notamment, le droit garanti des
piqueteurs à la liberté d'association. En invoquant
la décision Broadway Manor, le juge d'appel
Esson, avec le concours des juges d'appel Taggart
et Hutcheon, a dit:
[TRADUCTION] Dans aucun de ces jugements on ne semble
s'intéresser à la signification ordinaire du terme «association». Il
n'est pas clair que les juges de la cour aient considéré que la
liberté d'association visait toutes les formes d'association autres
que les syndicats, mais leur raisonnement est fondé sur l'hypo-
thèse selon laquelle la «liberté d'association» est un genre de
code visant les syndicats, leurs buts, et les moyens pour attein-
dre ces buts. Cette hypothèse ne peut être juste. Il faut présu-
mer que cette liberté a pour but de protéger le droit de «chacun»
de s'associer comme il l'entend et de former des associations de
tous genres, allant des partis politiques aux clubs de loisirs.
Certains auront des objectifs et seront en faveur de moyens
pour atteindre ces objectifs, que les rédacteurs de la Charte
n'avaient pas l'intention de protéger. La liberté de s'associer ne
comporte aucune protection constitutionnelle des buts de l'asso-
ciation ou des moyens d'atteindre ces buts.
L'erreur fondamentale de cette approche est d'avoir recours
aux règles d'interprétation sans chercher à savoir si le texte de
la Charte comporte une certaine incertitude ou ambiguïté. Il est
sans doute juste d'appliquer la règle de l'interprétation libérale
aux libertés fondamentales que prévoit la Charte. Les tribu-
naux n'en sont pas pour autant investis du pouvoir d'établir des
ensembles de politiques sans avoir égard à la signification
ordinaire du texte de la Charte.
«Il existe un principe cardinal applicable à tous les genres de
lois, voulant que, pour aucun motif, on ne puisse attribuer
aux termes d'une disposition législative un sens que ces
termes ne peuvent raisonnablement avoir. S'ils peuvent avoir
plus d'un sens, alors vous devez choisir entre ces sens, mais
vous ne pouvez aller plus loin.» (Lord Reid, Jones v. D.P.P.,
[1962] A.C. 635, à la p. 662)
Ce principe cardinal s'applique également à une constitution
écrite. Il est peut-être plus important encore de l'observer au
sujet de la Charte. Si des problèmes sont créés par une interpré-
tation judiciaire trop large, on ne peut y remédier facilement au
moyen d'une modification comme c'est le cas pour une loi.
Le fait que ce principe de toute première impor
tance doive s'appliquer à l'interprétation de la
Charte est très clair dans une décision encore plus
récente de la Cour suprême du Canada, l'arrêt
Law Society of Upper Canada c. Skapinker 6 , où la
Cour a examiné l'utilisation de la rubrique Liberté
de circulation et d'établissement dans l'interpréta-
tion du paragraphe 6(2) pour conclure:
5 [1984] 3 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.), à la p. 492.
6 [1984] 1 R.C.S. 357, la p. 377.
Pour les fins de l'analyse du sens des deux alinéas du par.
6(2), je conclus qu'il faut tenter de concilier la rubrique avec
l'article qu'elle précède. Si toutefois il devient évident que, dans
l'ensemble, l'article est clair et ne comporte pas d'ambiguïté, la
rubrique n'aura pas pour effet de modifier ce sens clair et
précis.
La question litigieuse en l'espèce est encore plus
fondamentale que celles qui ont été examinées
dans les jurisprudences Broadway Manor et Dol
phin Delivery, lesquelles traitaient respectivement
du droit de grève et du droit d'établir un piquet de
grève à titre de moyens essentiels de négociation
collective et, indirectement, de liberté d'associa-
tion. En l'espèce, c'est le droit de négocier collecti-
vement qui a été supprimé directement.
Dans l'arrêt Collymore v. Attorney -General of
Trinidad and Tobago', le comité judiciaire du
Conseil privé a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel
de Trinidad et Tobago qui avait jugé que la loi
restreignant le droit de négocier collectivement et
de faire la grève ne violait pas le droit à la liberté
d'association garanti par la constitution de ce pays.
Ainsi, le jugement de la Cour d'appel a été cité
tout en l'approuvant [à la page 1211]:
[TRADUCTION] À mon avis donc, la liberté d'association ne
signifie rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour
promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant.
Je souscris à cette définition.
L'appelante invoque la métaphore de [TRADUC-
TION] «l'arbre vivant» 8 pour soutenir que la Charte
étant un document constitutionnel, doit être inter-
prétée de façon plus libérale qu'une loi. Je ne mets
pas en doute la validité de cette thèse et je ne
doute aucunement qu'au fil des ans, de nombreux
termes employés dans la Charte finissent par
englober des idées que ces auteurs ne pouvaient
vraisemblablement pas avoir en tête. Peut-être
«association» figurera-t-il parmi ces termes. Cepen-
dant, même l'arbre le plus vivant qui soit met du
temps à croître—puisqu'il s'agit d'uri arbre, non
une mauvaise herbe—et je ne suis pas convaincu
qu'une période de croissance de deux ans puisse
raisonnablement justifier l'interprétation du mot
«association» autrement que selon le sens ordinaire
7 [1969] 2 All E.R. 1207 (P.C.).
8 Edwards v. Attorney -General for Canada, [1930] A.C. 124
(P.C.), à la p. 136.
et courant qu'il a en 1982, c'est-à-dire celui que les
auteurs de la Charte ont pu avoir à l'esprit. Ce mot
a encore le même sens aujourd'hui.
Le droit à la liberté d'association, garanti par la
Charte, est le droit de conclure des ententes. Il ne
protège ni les objectifs de l'association, ni les
moyens d'atteindre ces objectifs.
Le juge de première instance a dit [à la page
589]:
À mon avis, la clause relative à la «liberté d'association»
garantit aux syndicats le droit de s'associer, de mettre en
commun leurs ressources économiques, de recruter d'autres
membres, de choisir leurs structures d'organisation interne, de
faire valoir leurs positions auprès des employés et du public, et
de ne subir aucun préjudice ni contrainte de la part de l'em-
ployeur ou de l'État en raison de telles activités syndicales.
Toutefois elle ne comprend pas le droit économique de faire la
grève.
Je ne crois pas qu'il soit souhaitable de tenter de
cataloguer les droits et immunités inhérents à la
liberté d'association, garantie d'un syndicat. De
toute évidence, la négociation collective est ou
devrait être le principal moyen par lequel un syndi-
cat organisé entend atteindre son principal objec-
tif: l'amélioration économique de ses membres.
Aussi fondamental que soit ce moyen cependant, il
demeure un moyen et à ce titre, le droit de négo-
cier collectivement n'est pas garanti par l'alinéa
2d) de la Charte, qui garantit la liberté d'associa-
tion. Je dois donc rejeter l'appel sur la première
question.
Sur la question de savoir si, dans le cas où la Loi
restreint la liberté d'association garantie de l'appe-
lante, cette restriction aurait été une limite raison-
nable dont la justification puisse se démontrer en
vertu de l'article 1, les observations du juge de
première instance ne constituent, vu sa réponse
négative à la première question, qu'une parenthèse
comme le seraient évidemment les miennes. Par
conséquent, je ferai simplement remarquer que les
principes que les cours de justice établiront pour
l'interprétation de l'article 1 seront tout aussi
importants que ceux qui s'appliquent à toute autre
disposition de la Charte, et qu'ils seront tout aussi
difficiles à corriger si la formulation en est trop
large ou trop étroite. En conséquence, ces principes
ne devraient pas s'établir à partir d'hypothèses. Ce
serait d'autant plus vrai si les hypothèses étaient
elles-mêmes largement fondées sur une consulta-
tion d'expert d'une valeur douteuse: en l'espèce, les
opinions divergentes de quatre «macro-économis-
tes».
Au cours du débat, on a répété à maintes repri
ses le cliché selon lequel lorsque deux praticiens de
la [TRADUCTION] «triste science» sont réunis, au
moins trois opinions différentes sont émises. J'ai lu
attentivement la totalité des témoignages rendus
par les quatre experts qui ont comparu au procès.
Leur crédibilité, au sens conventionnel du terme,
n'a ni été mise en question ni soulignée par le juge
de première instance. J'ai conclu que l'expertise
macro-économique ressemble beaucoup à l'exper-
tise théologique: elle peut servir à expliquer les
termes techniques et les différentes écoles de
pensée, et à préparer l'expert à une tâche mission-
naire et pastorale, mais elle ne peut constituer un
fondement sur lequel un tribunal peut s'appuyer
pour déterminer, selon la prépondérance des pro-
babilités, la voie qu'il faut suivre. En macro-écono-
mie, du moins d'après les témoignages entendus, la
difficulté à laquelle la cour doit faire face s'ag-
grave encore de l'absence d'une orthodoxie recon-
nue, qui puisse servir de point de repère pour
évaluer les doctrines rivales professées par les
témoins.
J'aborde maintenant la troisième question: la
Loi a-t-elle restreint le droit de l'appelante à l'éga-
lité devant la loi, droit déclaré et reconnu par
l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des
droits.
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister ...
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi ...
Le juge de première instance a tiré cette conclu
sion de fait, au sujet du moment où la Loi a été
adoptée [aux pages 590 et 591]:
... j'accepte la preuve indiquant qu'il était raisonnable de
penser, d'un point de vue économique, que l'inflation était à
cette époque un problème qui nécessitait l'intervention du
gouvernement ...
J'accepte aussi les témoignages indiquant que le gouverne-
ment avait le choix entre deux séries de mesures pour régler le
problème de l'inflation: (1) une politique de restrictions fiscales
et monétaires et (2) des mesures de contrôle des prix et des
salaires.
Ces conclusions ne doivent pas être altérées.
Même si dans une certaine mesure la Loi est
déplaisante pour l'appelante, il ne fait aucun doute
qu'elle constitue une mesure de contrôle salarial.
Les conclusions de fait ci-dessus reviendraient à
conclure que la Loi a un objectif fédéral valide.
Le juge de première instance a passé en revue de
plusieurs jurisprudences'. Il ne serait pas utile de
revenir là-dessus. Si l'on reconnaît que la Loi
s'applique, en fait, à un groupe identifiable et non
de façon générale, cela revient à dire qu'elle a un
objectif fédéral valide, et met fin à la question. Le
critère ne porte pas sur le caractère raisonnable
des moyens choisis pour atteindre cet objectif.
Je rejette l'appel avec dépens.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai pris connaissance des
motifs du jugement rédigés par le juge Mahoney
portant rejet du présent appel, décision à laquelle
je souscris entièrement.
En ce qui a trait à la première des trois ques
tions qui sont posées, à savoir si en déniant tempo-
rairement à un groupe d'employés le droit de faire
la grève, la Loi sur les restrictions salariales du
secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, a
restreint la liberté d'association de ces employés,
' en violation de la garantie que leur confère la
Charte canadienne des droits et libertés, je sous-
cris sans hésitation, comme le fait le juge Maho-
ney, aux opinions exprimées par la Cour d'appel de
la Colombie-Britannique dans l'affaire Dolphin
' Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store
Union, Loc. 580, [1984] 3 W.W.R. 481. Je ne vois
pas sur quelle règle d'interprétation, si libérale
soit-elle, on pourrait se fonder pour attribuer à
l'expression «liberté d'association» un sens suffi-
samment large pour englober le droit de grève.
Comme l'a fait remarquer le juge d'appel Esson
dans ses motifs [à la page 492]:
9 Sa Majesté la Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Le
procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; R.
c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la
main-d'oeuvre et de l'immigration, [1976] 1 R.C.S. 376;
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
Il est sans doute juste d'appliquer la règle de l'interprétation
libérale aux libertés fondamentales que prévoit la Charte. Les
tribunaux n'en sont pas pour autant investis du pouvoir d'éta-
blir des ensembles de politiques sans avoir égard à la significa
tion ordinaire du texte de la Charte.
En ce qui a trait à l'une des deux autres ques
tions qui ont été soulevées, à savoir si la Loi
contestée a violé le droit des employés de la Fonc-
tion publique à l'égalité devant la loi, que garantit
l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des
droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appen-
dice III], je crois qu'en imposant les mesures de
contrôle salarial à un groupe d'employés seule-
ment, dans l'espoir que d'autres groupes feraient
de même et adopteraient volontairement (et peut-
être d'une manière plus efficace) des mesures sem-
blables, le législateur, dans ses efforts visant la
réalisation d'un objectif fédéral valide, soit la lutte
contre l'inflation, a adopté une mesure suffisam-
ment raisonnable pour éliminer toute possibilité de
discrimination.
Il reste la troisième question posée par le litige,
à savoir si, dans le cas où la Loi contestée restreint
la liberté d'association de l'appelante qui est
garantie, pareille restriction pourrait être considé-
rée comme une limite raisonnable dont la justifica
tion puisse se démontrer en vertu de l'article 1 de
la Charte. Évidemment la question ne se pose plus
après qu'on a jugé que la liberté d'association
n'avait été d'aucune façon touchée, mais le juge de
première instance a néanmoins jugé préférable
d'étudier la question au cas où sa position initiale
se révélerait erronée. Madame le juge Reed a
répondu à la question en concluant que la restric
tion ne serait pas acceptable en vertu de l'article 1
de la Charte, conclusion fondée exclusivement sur
l'analyse de témoignages contradictoires de quatre
économistes qui ont comparu pour exprimer leurs
opinions au sujet des circonstances réelles dans
lesquelles la Loi a été adoptée et pour donner leurs
opinions au sujet de l'efficacité et de la sagesse de
la politique que le législateur cherchait alors à
mettre en oeuvre. J'ai de très sérieux doutes quant
au bien-fondé de la façon dont le juge de première
instance a vérifié l'applicabilité de l'article 1 de la
Charte: elle repose sur une interprétation de cet
article introductif de la Charte que je ne suis pas
prêt à accepter. Par ce motif, puisque la question
est purement théorique en l'espèce, je la mettrai de
côté et je m'abstiendrai de faire des observations
sur cette partie du jugement.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.