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A-462-84
Alliance de la Fonction publique du Canada (appelante)
c.
La Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor et le procureur général du Canada (intimés)
Cour d'appel, juges Mahoney, Marceau et Huges- sen—Ottawa, 7, 8 et 26 juin 1984.
Droit constitutionnel Appel d'un jugement de la Division de première instance qui a rejeté une action visant à faire déclarer la Loi sur les restrictions salariales du secteur public incompatible avec la Loi constitutionnelle de 1982 et la Décla- ration canadienne des droits Le juge de première instance a eu raison de décider que la Loi ne restreignait ni le droit à la liberté d'association garanti par l'art. 2d) de la Charte ni le droit à l'égalité garanti par l'art. Ib) de la Déclaration cana- dienne des droits La Loi prive l'appelante du droit de faire la grève et de négocier collectivement Le juge de première instance a refusé d'appliquer l'arrêt Broadway Manor, il a été décide que lu «liberté d'association» comprend nécessaire- ment le droit de faire la grève si l'on veut que le droit de négocier collectivement ait un sens Application de la déci- sion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580 La liberté d'association a pour but de protéger le droit de «chacun» de s'associer comme il l'entend et de former des associations de tous genres, allant des partis politiques aux clubs de loisirs La liberté de s'associer ne protège pas les buts de l'association ou les moyens d'atteindre ces buts La règle de l'interprétation libérale des documents constitutionnels ne s'applique que si le texte de la Charte comporte de l'incertitude ou de l'ambigurté Association signifie la même chose aujourd'hui qu'en 1982 Les observa tions du juge de première instance sur la question de savoir si, dans le cas la Loi restreint la liberté d'association de l'appelante, la restriction est une limite raisonnable justifiée en vertu de l'art. 1 constituent une parenthèse Les opinions élaborées par les cours de justice relativement à l'interpréta- tion de l'art. I ne devraient pas s'établir à partir d'hypothèses, surtout si celles-ci sont fondées sur des opinions d'experts d'une valeur douteuse Ayant un objectif fédéral valide, qui est de juguler l'inflation, la Loi ne restreint pas le droit à l'égalité devant la loi prévu par la Déclaration canadienne des droits Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 6(2) Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 1b).
Fonction publique La Loi sur les restrictions salariales du secteur public prive l'appelante du droit de faire la grève et de négocier collectivement Appel de la décision du juge de première instance selon laquelle la Loi ne restreint ni le droit à la liberté d'association garanti par l'art. 2d) de la Charte ni le droit à l'égalité devant la loi garanti par l'art. lb) de la
Déclaration canadienne des droits Appel rejeté L'affaire Broadway Manor n'a pas été suivie Application de l'arrêt Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580, dans lequel il a été décidé que la «liberté d'association» protège le droit de chacun de former des asso ciations, allant des partis politiques aux clubs de loisirs, mais non les buts de l'association ou les moyens d'atteindre ces buts Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) art. 1, 2d) Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580, [1984] 3 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.); Collymore v. Attorney -General of Trinidad and Tobago, [1969] 2 All E.R. 1207 (P.C.); Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home et al. and two
other applications (1983), 44 O.R. (2d) 392 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Edwards v. Attorney -General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.); Sa Majesté la Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Le procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la main-d'oeuvre et de l'immi- gration, [1976] 1 R.C.S. 376; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
AVOCATS:
Maurice W. Wright, c.r. et Peter Hogg, c.r., pour l'appelante.
E. A. Bowie, c.r. et G. R. Garton pour les intimés.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance, [1984] 2 C.F. 562, qui a rejeté l'action de l'appe- lante par laquelle elle concluait à un jugement
déclarant que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public', ci-après appelée «la Loi», n'est plus en vigueur en raison de son incompatibilité avec la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], que la Loi est inopérante en raison de son incompatibilité avec la Déclaration canadienne des droits 2 , et que certaines instructions données conformément à cette Loi sont, par conséquent, invalides. Certaines questions à l'égard desquelles l'appelante n'a pas eu gain de cause en première instance n'ont pas été reprises en appel. Les ques tions qui demeurent en litige sont les suivantes:
1. La Loi restreint-elle le droit à la liberté d'association garanti par l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, ci- après appelée (la Charte»?
2. Le cas échéant, cette restriction constitue- t-elle une limite raisonnable à ce droit dont la justification puisse se démontrer en vertu de l'article 1 de la Charte?
3. La Loi restreint-elle le droit à l'égalité devant la loi, garanti par l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits?
Le juge de première instance a répondu aux ques tions 1 et 3 par la négative et a ajouté que, eût-elle répondu à la question 1 par l'affirmative, elle aurait répondu à la question 2 par la négative. Les intimés interjettent appel de cette dernière conclusion.
Dans le présent jugement l'appelante sera consi- dérée au sens collectif de ses membres aussi bien que comme une entité. La conclusion selon laquelle la Loi a privé l'appelante du droit de négocier collectivement est amplement étayée par la preuve. Cette conclusion constitue une base factuelle suffisante pour l'examen de la première question.
La Charte prévoit:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes: d) liberté d'association.
' S.C. 1980-81-82-83, chap. 122.
2 S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
En affirmant que le droit de négocier collective- ment s'inscrit dans la liberté d'association garantie par la Constitution, l'appelante se fonde sur la décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire maintenant connue sous le nom de Broad- way Manor 3 , que le juge de première instance a refusé d'appliquer. Il a été jugé qu'une disposition de la Loi sur le contrôle de l'inflation de 1982 4 , qui, pour citer le sommaire la page 393], [TRA- DUCTION] «proroge les conventions collectives intéressant les employés du secteur public et ainsi, a pour effet, au cours de la période de prorogation, de priver les travailleurs du droit d'être représentés par un syndicat de leur choix et du droit de négocier collectivement et de faire la grève, en ce qui concerne les revendications non salariales», violait la garantie de la liberté d'association. Chaque juge a prononcé ses propres motifs con- courants. Le raisonnement de chacun d'entre eux est, je crois, assez bien énoncé de la manière suivante par le juge O'Leary, aux pages 443 et 445:
[TRADUCTION] Je suis convaincu ... que la «liberté d'asso- ciation» comprend le droit des employés de s'inscrire aux syndicats de leur choix ou de former des syndicats de leur choix et de négocier collectivement.
Mais le droit de grève est-il compris dans l'expression «liberté d'association»? La possibilité de faire la grève, en l'absence de tout genre de conciliation ou d'arbitrage obligatoire, constitue la seule arme économique importante dont disposent les employés. Le droit de s'organiser et de négocier collectivement n'est qu'une illusion s'il n'est pas accompagné du droit de faire la grève. La principale raison pour laquelle le droit de s'organi- ser et de négocier collectivement est assuré aux employés c'est de leur permettre de négocier avec leur employeur. Si l'on enlève à un employé la possibilité de faire la grève, les avanta- ges du droit de s'organiser et de négocier collectivement sont tellement réduits qu'ils n'ont pratiquement plus de sens. Si le droit de s'organiser et de négocier collectivement a une valeur importante, alors le droit de faire la grève doit également être un droit qui est compris dans l'expression «liberté d'association» et c'est ce que je conclus.
Après l'instruction mais avant le prononcé du jugement en l'espèce, la Cour d'appel de la Colom- bie-Britannique a rendu un jugement dans l'affaire Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and
3 Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home et al. and two other applica tions (1983), 44 O.R. (2d) 392 (H.C.).
S.O. 1982, chap. 55, al. 13b).
Dept. Store Union, Loc. 580 5 . Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si une injonction contre le piquetage violait, notamment, le droit garanti des piqueteurs à la liberté d'association. En invoquant la décision Broadway Manor, le juge d'appel Esson, avec le concours des juges d'appel Taggart et Hutcheon, a dit:
[TRADUCTION] Dans aucun de ces jugements on ne semble s'intéresser à la signification ordinaire du terme «association». Il n'est pas clair que les juges de la cour aient considéré que la liberté d'association visait toutes les formes d'association autres que les syndicats, mais leur raisonnement est fondé sur l'hypo- thèse selon laquelle la «liberté d'association» est un genre de code visant les syndicats, leurs buts, et les moyens pour attein- dre ces buts. Cette hypothèse ne peut être juste. Il faut présu- mer que cette liberté a pour but de protéger le droit de «chacun» de s'associer comme il l'entend et de former des associations de tous genres, allant des partis politiques aux clubs de loisirs. Certains auront des objectifs et seront en faveur de moyens pour atteindre ces objectifs, que les rédacteurs de la Charte n'avaient pas l'intention de protéger. La liberté de s'associer ne comporte aucune protection constitutionnelle des buts de l'asso- ciation ou des moyens d'atteindre ces buts.
L'erreur fondamentale de cette approche est d'avoir recours aux règles d'interprétation sans chercher à savoir si le texte de la Charte comporte une certaine incertitude ou ambiguïté. Il est sans doute juste d'appliquer la règle de l'interprétation libérale aux libertés fondamentales que prévoit la Charte. Les tribu- naux n'en sont pas pour autant investis du pouvoir d'établir des ensembles de politiques sans avoir égard à la signification ordinaire du texte de la Charte.
«Il existe un principe cardinal applicable à tous les genres de lois, voulant que, pour aucun motif, on ne puisse attribuer aux termes d'une disposition législative un sens que ces termes ne peuvent raisonnablement avoir. S'ils peuvent avoir plus d'un sens, alors vous devez choisir entre ces sens, mais vous ne pouvez aller plus loin.» (Lord Reid, Jones v. D.P.P., [1962] A.C. 635, à la p. 662)
Ce principe cardinal s'applique également à une constitution écrite. Il est peut-être plus important encore de l'observer au sujet de la Charte. Si des problèmes sont créés par une interpré- tation judiciaire trop large, on ne peut y remédier facilement au moyen d'une modification comme c'est le cas pour une loi.
Le fait que ce principe de toute première impor tance doive s'appliquer à l'interprétation de la Charte est très clair dans une décision encore plus récente de la Cour suprême du Canada, l'arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker 6 , la Cour a examiné l'utilisation de la rubrique Liberté de circulation et d'établissement dans l'interpréta- tion du paragraphe 6(2) pour conclure:
5 [1984] 3 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.), à la p. 492.
6 [1984] 1 R.C.S. 357, la p. 377.
Pour les fins de l'analyse du sens des deux alinéas du par. 6(2), je conclus qu'il faut tenter de concilier la rubrique avec l'article qu'elle précède. Si toutefois il devient évident que, dans l'ensemble, l'article est clair et ne comporte pas d'ambiguïté, la rubrique n'aura pas pour effet de modifier ce sens clair et précis.
La question litigieuse en l'espèce est encore plus fondamentale que celles qui ont été examinées dans les jurisprudences Broadway Manor et Dol phin Delivery, lesquelles traitaient respectivement du droit de grève et du droit d'établir un piquet de grève à titre de moyens essentiels de négociation collective et, indirectement, de liberté d'associa- tion. En l'espèce, c'est le droit de négocier collecti- vement qui a été supprimé directement.
Dans l'arrêt Collymore v. Attorney -General of Trinidad and Tobago', le comité judiciaire du Conseil privé a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel de Trinidad et Tobago qui avait jugé que la loi restreignant le droit de négocier collectivement et de faire la grève ne violait pas le droit à la liberté d'association garanti par la constitution de ce pays. Ainsi, le jugement de la Cour d'appel a été cité tout en l'approuvant la page 1211]:
[TRADUCTION] À mon avis donc, la liberté d'association ne signifie rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant.
Je souscris à cette définition.
L'appelante invoque la métaphore de [TRADUC- TION] «l'arbre vivant» 8 pour soutenir que la Charte étant un document constitutionnel, doit être inter- prétée de façon plus libérale qu'une loi. Je ne mets pas en doute la validité de cette thèse et je ne doute aucunement qu'au fil des ans, de nombreux termes employés dans la Charte finissent par englober des idées que ces auteurs ne pouvaient vraisemblablement pas avoir en tête. Peut-être «association» figurera-t-il parmi ces termes. Cepen- dant, même l'arbre le plus vivant qui soit met du temps à croître—puisqu'il s'agit d'uri arbre, non une mauvaise herbe—et je ne suis pas convaincu qu'une période de croissance de deux ans puisse raisonnablement justifier l'interprétation du mot «association» autrement que selon le sens ordinaire
7 [1969] 2 All E.R. 1207 (P.C.).
8 Edwards v. Attorney -General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.), à la p. 136.
et courant qu'il a en 1982, c'est-à-dire celui que les auteurs de la Charte ont pu avoir à l'esprit. Ce mot a encore le même sens aujourd'hui.
Le droit à la liberté d'association, garanti par la Charte, est le droit de conclure des ententes. Il ne protège ni les objectifs de l'association, ni les moyens d'atteindre ces objectifs.
Le juge de première instance a dit la page 589]:
À mon avis, la clause relative à la «liberté d'association» garantit aux syndicats le droit de s'associer, de mettre en commun leurs ressources économiques, de recruter d'autres membres, de choisir leurs structures d'organisation interne, de faire valoir leurs positions auprès des employés et du public, et de ne subir aucun préjudice ni contrainte de la part de l'em- ployeur ou de l'État en raison de telles activités syndicales. Toutefois elle ne comprend pas le droit économique de faire la grève.
Je ne crois pas qu'il soit souhaitable de tenter de cataloguer les droits et immunités inhérents à la liberté d'association, garantie d'un syndicat. De toute évidence, la négociation collective est ou devrait être le principal moyen par lequel un syndi- cat organisé entend atteindre son principal objec- tif: l'amélioration économique de ses membres. Aussi fondamental que soit ce moyen cependant, il demeure un moyen et à ce titre, le droit de négo- cier collectivement n'est pas garanti par l'alinéa 2d) de la Charte, qui garantit la liberté d'associa- tion. Je dois donc rejeter l'appel sur la première question.
Sur la question de savoir si, dans le cas la Loi restreint la liberté d'association garantie de l'appe- lante, cette restriction aurait été une limite raison- nable dont la justification puisse se démontrer en vertu de l'article 1, les observations du juge de première instance ne constituent, vu sa réponse négative à la première question, qu'une parenthèse comme le seraient évidemment les miennes. Par conséquent, je ferai simplement remarquer que les principes que les cours de justice établiront pour l'interprétation de l'article 1 seront tout aussi importants que ceux qui s'appliquent à toute autre disposition de la Charte, et qu'ils seront tout aussi difficiles à corriger si la formulation en est trop large ou trop étroite. En conséquence, ces principes ne devraient pas s'établir à partir d'hypothèses. Ce serait d'autant plus vrai si les hypothèses étaient elles-mêmes largement fondées sur une consulta-
tion d'expert d'une valeur douteuse: en l'espèce, les opinions divergentes de quatre «macro-économis- tes».
Au cours du débat, on a répété à maintes repri ses le cliché selon lequel lorsque deux praticiens de la [TRADUCTION] «triste science» sont réunis, au moins trois opinions différentes sont émises. J'ai lu attentivement la totalité des témoignages rendus par les quatre experts qui ont comparu au procès. Leur crédibilité, au sens conventionnel du terme, n'a ni été mise en question ni soulignée par le juge de première instance. J'ai conclu que l'expertise macro-économique ressemble beaucoup à l'exper- tise théologique: elle peut servir à expliquer les termes techniques et les différentes écoles de pensée, et à préparer l'expert à une tâche mission- naire et pastorale, mais elle ne peut constituer un fondement sur lequel un tribunal peut s'appuyer pour déterminer, selon la prépondérance des pro- babilités, la voie qu'il faut suivre. En macro-écono- mie, du moins d'après les témoignages entendus, la difficulté à laquelle la cour doit faire face s'ag- grave encore de l'absence d'une orthodoxie recon- nue, qui puisse servir de point de repère pour évaluer les doctrines rivales professées par les témoins.
J'aborde maintenant la troisième question: la Loi a-t-elle restreint le droit de l'appelante à l'éga- lité devant la loi, droit déclaré et reconnu par l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits.
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister ...
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi ...
Le juge de première instance a tiré cette conclu sion de fait, au sujet du moment la Loi a été adoptée [aux pages 590 et 591]:
... j'accepte la preuve indiquant qu'il était raisonnable de penser, d'un point de vue économique, que l'inflation était à cette époque un problème qui nécessitait l'intervention du gouvernement ...
J'accepte aussi les témoignages indiquant que le gouverne- ment avait le choix entre deux séries de mesures pour régler le problème de l'inflation: (1) une politique de restrictions fiscales et monétaires et (2) des mesures de contrôle des prix et des salaires.
Ces conclusions ne doivent pas être altérées.
Même si dans une certaine mesure la Loi est déplaisante pour l'appelante, il ne fait aucun doute qu'elle constitue une mesure de contrôle salarial. Les conclusions de fait ci-dessus reviendraient à conclure que la Loi a un objectif fédéral valide.
Le juge de première instance a passé en revue de plusieurs jurisprudences'. Il ne serait pas utile de revenir là-dessus. Si l'on reconnaît que la Loi s'applique, en fait, à un groupe identifiable et non de façon générale, cela revient à dire qu'elle a un objectif fédéral valide, et met fin à la question. Le critère ne porte pas sur le caractère raisonnable des moyens choisis pour atteindre cet objectif.
Je rejette l'appel avec dépens.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai pris connaissance des motifs du jugement rédigés par le juge Mahoney portant rejet du présent appel, décision à laquelle je souscris entièrement.
En ce qui a trait à la première des trois ques tions qui sont posées, à savoir si en déniant tempo- rairement à un groupe d'employés le droit de faire la grève, la Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, a restreint la liberté d'association de ces employés, ' en violation de la garantie que leur confère la Charte canadienne des droits et libertés, je sous- cris sans hésitation, comme le fait le juge Maho- ney, aux opinions exprimées par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Dolphin ' Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580, [1984] 3 W.W.R. 481. Je ne vois pas sur quelle règle d'interprétation, si libérale soit-elle, on pourrait se fonder pour attribuer à l'expression «liberté d'association» un sens suffi- samment large pour englober le droit de grève. Comme l'a fait remarquer le juge d'appel Esson dans ses motifs la page 492]:
9 Sa Majesté la Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Le procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la main-d'oeuvre et de l'immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
Il est sans doute juste d'appliquer la règle de l'interprétation libérale aux libertés fondamentales que prévoit la Charte. Les tribunaux n'en sont pas pour autant investis du pouvoir d'éta- blir des ensembles de politiques sans avoir égard à la significa tion ordinaire du texte de la Charte.
En ce qui a trait à l'une des deux autres ques tions qui ont été soulevées, à savoir si la Loi contestée a violé le droit des employés de la Fonc- tion publique à l'égalité devant la loi, que garantit l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appen- dice III], je crois qu'en imposant les mesures de contrôle salarial à un groupe d'employés seule- ment, dans l'espoir que d'autres groupes feraient de même et adopteraient volontairement (et peut- être d'une manière plus efficace) des mesures sem- blables, le législateur, dans ses efforts visant la réalisation d'un objectif fédéral valide, soit la lutte contre l'inflation, a adopté une mesure suffisam- ment raisonnable pour éliminer toute possibilité de discrimination.
Il reste la troisième question posée par le litige, à savoir si, dans le cas la Loi contestée restreint la liberté d'association de l'appelante qui est garantie, pareille restriction pourrait être considé- rée comme une limite raisonnable dont la justifica tion puisse se démontrer en vertu de l'article 1 de la Charte. Évidemment la question ne se pose plus après qu'on a jugé que la liberté d'association n'avait été d'aucune façon touchée, mais le juge de première instance a néanmoins jugé préférable d'étudier la question au cas sa position initiale se révélerait erronée. Madame le juge Reed a répondu à la question en concluant que la restric tion ne serait pas acceptable en vertu de l'article 1 de la Charte, conclusion fondée exclusivement sur l'analyse de témoignages contradictoires de quatre économistes qui ont comparu pour exprimer leurs opinions au sujet des circonstances réelles dans lesquelles la Loi a été adoptée et pour donner leurs opinions au sujet de l'efficacité et de la sagesse de la politique que le législateur cherchait alors à mettre en oeuvre. J'ai de très sérieux doutes quant au bien-fondé de la façon dont le juge de première instance a vérifié l'applicabilité de l'article 1 de la Charte: elle repose sur une interprétation de cet article introductif de la Charte que je ne suis pas prêt à accepter. Par ce motif, puisque la question est purement théorique en l'espèce, je la mettrai de côté et je m'abstiendrai de faire des observations sur cette partie du jugement.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
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