T-3536-81
Nation dénée et Association des Métis des terri-
toires du Nord-Ouest (demanderesses)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—
Ottawa, l er et 14 février 1984.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — L'art. 11 du Règlement sur les eaux intérieu-
res du Nord est ultra vires — Délégation de pouvoir illégale
— Le pouvoir de légiférer par règlement n'est pas exercé
régulièrement lorsqu'on crée un sous-délégué possédant le
pouvoir discrétionnaire de prendre les décisions — La partie
invalide de l'art. 11 ne peut raisonnablement être dissociée —
Loi sur les eaux intérieures du Nord, S.R.C. 1970 (1n Supp.),
chap. 28, art. 7, 10(1),(2), 11(2), 15(2), 26g) — Règlement sur
les eaux intérieures du Nord, C.R.C., chap. 1234, art. 11.
Législation — Interprétation des lois — L'art. 11 du Règle-
ment confère au contrôleur un vaste pouvoir discrétionnaire —
Les dispositions habilitantes de l'art. 11 laissent manifeste-
ment une liberté d'agir et ne sont pas impératives — Les
personnes demandant l'autorisation d'utiliser des eaux sans
permis cherchent à obtenir un privilège et ne possèdent pas un
adroit» au sens où l'entendait le tribunal dans l'arrêt Julius v.
Bishop of Oxford — La partie invalide de l'art. 11 du Règle-
ment ne peut raisonnablement être dissociée — Règlement sur
les eaux intérieures du Nord, C.R.C., chap. 1234, art. 11.
Après que le contrôleur des droits sur les eaux intérieures des
territoires du Nord-Ouest eut autorisé une compagnie à utiliser
des eaux sans permis conformément à l'article 11 du Règlement
sur les eaux intérieures du Nord, les demanderesses ont intenté
une action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant
que le gouverneur en conseil n'était pas habilité à adopter ledit
article. Elles allèguent (1) que la portée de l'article 11 est si
vaste qu'elle sape les objectifs mêmes de la Loi sur les eaux
intérieures du Nord; (2) que l'alinéa 26g) de la Loi n'autorise
pas l'octroi du pouvoir discrétionnaire conféré au contrôleur par
l'article 11, et finalement, (3) que l'alinéa 11 b), au moins, est
ultra vires parce qu'il ne réglemente pas la «quantité» ou le
«régime» des eaux utilisées, comme le prévoit l'alinéa 26g), mais
la période pendant laquelle l'autorisation d'utilisation sans
permis sera en vigueur.
La défenderesse soutient pour sa part (1) que l'article 11 ne
contient pas de sous-délégation de pouvoirs législatifs; (2) que
le contrôleur ne possède pas de pouvoir discrétionnaire mais ne
remplit qu'une fonction administrative et (3) que, de toute
façon, il est possible de dissocier la partie invalide de l'article.
Jugement: la demande de jugement déclaratoire devrait être
accueillie. Le législateur fédéral a prévu deux manières pour
autoriser l'utilisation des eaux, l'une par l'intermédiaire des
offices des eaux, l'autre par réglementation, les conditions
d'utilisation des eaux sans permis devant être fixées de façon
précise et complète par le gouverneur en conseil dans le texte
réglementaire. Rien dans la Loi ne permet de conclure à
l'intention du législateur de permettre que ce pouvoir, en tout
ou en partie, soit conféré à un sous-délégué, comme le contrer
leur, pour être exercé de manière discrétionnaire. Les textes
législatifs ne contiennent pas suffisamment d'indications pour
empêcher de conclure qu'il y a eu une sous-délégation non
autorisée. Il ressort clairement du libellé de l'article 11 qu'un
vaste pouvoir discrétionnaire a été conféré au contrôleur.
L'article 11 au complet est déclaré nul parce que sa partie
invalide ne peut raisonnablement être dissociée. Si la Cour
devait se prononcer sur l'alinéa 1 lb), elle déclarerait qu'il est
invalide parce qu'il ne porte ni sur le régime ni sur la quantité
comme l'exige l'alinéa 26g) de la Loi, mais sur un délai
seulement.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of
Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131.
DISTINCTION FAITE AVEC:
King -Emperor v. Benoari Lai Sarma, et al., [1945] A.C.
14 (P.C.); Russell v. Reg. (1882), 7 App. Cas. 829
(P.C.); Transport Ministry v. Alexander, [1978] 1
NZLR 306 (C.A.); Julius v. Bishop of Oxford (1880), 5
App. Cas. 214 (H.L.); Vardy c. Scott et autres, [1977] 1
R.C.S. 293; Weatherby c. Le ministre des Travaux
publics, [1972] C.F. 952 (P' inst.); Labour Relations
Board v. The Queen, [1956] R.C.S. 82; Clarkson Co.
Ltd. v. White (1979), 32 C.B.R. (N.S.) 25 (C.A.N: É.);
Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food,
[1968] A.C. 997 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General of Canada v. Brent, [1956] R.C.S. 318;
Vic Restaurant Inc. v. City of Montreal, [1959] R.C.S.
58; Lamoureux c. Ville de Beaconsfield, [1978] 1 R.C.S.
134; R. v. Joy Oil Co. Ltd., [1964] 1 O.R. 119 (C.A.);
Bridge v. The Queen, [1953] R.C.S. 8; [1953] 1 D.L.R.
305; Olsen v. City of Camberwell, [1926] V.L.R. 58
(S.C.).
AVOCATS:
Ronald L. Doering pour les demanderesses.
Luther Chambers et Michael Ciavaglia pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Kelly, Doering & Morrow, Ottawa, pour les
demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: Les demanderesses ont intenté
une action visant à obtenir un jugement déclara-
toire portant que le gouverneur en conseil n'était
pas habilité à adopter l'article 11 du Règlement
concernant les ressources en eaux intérieures du
territoire du Yukon et des territoires du Nord-
Ouest, DORS/72-382, modifié par DORS/74-60 et
DORS/75-421 [Règlement sur les eaux intérieu-
res du Nord, C.R.C., chap. 1234].
Ce Règlement a été adopté en vertu de la Loi
sur les eaux intérieures du Nord, S.R.C. 1970 (ler
Supp.), chap. 28.
Esso Resources Canada Limited a obtenu, en
vertu de l'article 11 du Règlement, l'autorisation
d'utiliser des eaux sans permis (autorisations n°'
N-3A6-0791 et N-3A3-0093). Les parties sont
convenues que si l'article 11 est nul, ces autorisa-
tions sont également nulles. Étant donné qu'aucun
argument n'a été avancé sur ce point, je n'ai pas à
me prononcer sur celui-ci.
Sous réserve de certaines exceptions, la Loi sur
les eaux intérieures du Nord interdit de détourner
des cours d'eaux ou des réserves d'eaux ou d'autre-
ment utiliser des eaux se trouvant dans une zone
de gestion des eaux, si ce n'est en vertu d'un
permis délivré par un office ou lorsque les règle-
ments le permettent.
C'est l'alinéa 26g) de la Loi qui confère le
pouvoir d'établir un règlement à cette fin:
26. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
g) autorisant l'utilisation sans permis des eaux se trouvant
dans une zone de gestion des eaux
(i) pour un usage, des usages ou une catégorie d'usages
spécifiés dans les règlements,
(ii) en une quantité ou à un régime ne dépassant pas une
quantité ou un régime spécifiés dans les règlements, ou
(iii) pour un usage, des usages ou une catégorie d'usages
spécifiés dans les règlements et en une quantité ou à un
régime ne dépassant pas une quantité ou un régime spéci-
fiés dans les règlements;
L'article 11 du Règlement DORS/72-382, modifié
par DORS/74-60 et DORS/75-421 établi en vertu
de cet article, prévoit:
11. Le contr8leur peut autoriser l'utilisation d'eaux sans
permis s'il est convaincu que l'usage projeté est conforme aux
conditions prévues au paragraphe 10(1) de la Loi, lorsqu'une
demande, à cet effet a été présentée et que:
a) l'usage projeté est destiné
(i) à des fins municipales pour une localité non constituée
en municipalité, ou
(ii) à des fins de génie hydraulique;
b) l'usage projeté se poursuivra pendant moins de 270 jours;
ou
c) la quantité d'eau utilisée sera inférieure à 50,000 gallons
par jour.
Au départ, les demanderesses cherchaient à
obtenir dans leur déclaration un jugement déclara-
toire portant non seulement que l'article 11 et les
autorisations accordées en vertu de celui-ci étaient
nulles, mais aussi que la création de l'office de
contrôleur était invalide. Cette dernière prétention
a été abandonnée à l'instruction.
L'avocat des demanderesses invoque principale-
ment trois moyens comme fondement à ses argu
ments: (1) l'article 11 du Règlement est nul parce
que sa portée sape les objectifs mêmes des disposi
tions législatives; (2) l'alinéa 26g) n'autorise pas
l'octroi du pouvoir discrétionnaire conféré au con-
trôleur par l'article 11, et finalement, (3) l'alinéa
b) de l'article 11 est ultra vires parce qu'il ne
s'agit pas d'une disposition réglementaire concer-
nant la «quantité» ou le «régime» des eaux utilisées,
comme le prévoit l'alinéa 26g), mais plutôt d'une
disposition prescrivant la durée pendant laquelle
l'autorisation sera en vigueur.
La défenderesse soutient: (1) que l'article 11 ne
contient pas de sous-délégation de pouvoirs législa-
tifs; (2) que le contrôleur ne possède pas de pou-
voir discrétionnaire mais ne remplit qu'une fonc-
tion administrative, et (3) que, de toute façon, il
est possible de dissocier les parties invalides de la
disposition réglementaire, s'il en existe, de manière
à ce que le reste de l'article continue à être valide.
Il est bon de donner tout d'abord un aperçu de
l'agencement général de la Loi. L'article 7 prévoit
la création de deux offices: l'Office des eaux du
territoire du Yukon et l'Office des eaux des terri-
toires du Nord-Ouest. Chacun est composé d'au
moins trois et d'au plus neuf membres. Les mem-
bres de chaque office doivent comprendre au
moins un représentant des ministères du gouverne-
ment du Canada qui sont le plus directement
intéressés à la gestion des eaux des deux territoires
et au moins trois personnes choisies par les Com-
missaires en conseil respectifs des territoires.
L'article 10 habilite les offices à délivrer, avec
l'approbation du Ministre et lorsqu'ils sont con-
vaincus que certaines conditions ont été remplies,
des permis autorisant l'utilisation des eaux dans
une zone de gestion des eaux. Le paragraphe 10(2)
confère aux offices le pouvoir d'assortir les permis
de conditions relatives à la quantité et aux genres
de déchets qui peuvent être déposés dans les eaux.
Le paragraphe 11(2) oblige les offices à obtenir du
requérant d'un permis les études et les renseigne-
ments relatifs à l'utilisation qu'il se propose de
faire des eaux. Le paragraphe 15(2) exige que les
offices tiennent une audience publique au sujet de
toute demande de permis à moins qu'il ne soit
démontré qu'il n'y a aucun intérêt public à la
tenue d'une telle audience.
Il peut être interjeté appel des décisions des
offices devant la Cour fédérale sur des questions
de droit ou sur des questions de compétence.
Ce que l'on remarque en premier lieu dans la
disposition réglementaire contestée est le fait qu'un
contrôleur, dont la Loi ne prévoit pas l'existence,
est habilité à autoriser l'utilisation d'eaux sans
permis lorsque l'usage projeté est conforme «aux
conditions prévues au paragraphe 10(1) de la
Loi»'. Cela signifie que les règlements obligent le
contrôleur à exercer une fonction décisionnelle
semblable à celle des offices des eaux des
territoires.
10. (1) Lorsque le requérant d'un permis convainc l'office
,ompétent,
a) dans le cas d'une demande présentée en conformité du
paragraphe 39(2),
(i) que la demande a pour objet l'obtention d'un permis en
vue d'utiliser dans une zone de gestion des eaux une
quantité d'eau sensiblement équivalente à la quantité que
le requérant utilisait ou avait le droit d'utiliser dans la
zone immédiatement avant l'établissement de cette der-
nière et aux fins pour lesquelles il l'utilisait alors ou avait
alors le droit de l'utiliser, et
(ii) que tous déchets produits par l'entreprise pour l'exploi-
tation de laquelle cette eau est utilisée seront traités et
qu'il en sera disposé de manière à respecter les normes de
qualité des eaux prescrites en conformité de l'alinéa 26e),
et
b) dans le cas de toute autre demande,
(i) que l'usage que le requérant se propose de faire des
eaux ne sera pas préjudiciable à l'utilisation des eaux dans
la zone de gestion à laquelle a trait la demande par un
Il faut remarquer à cet égard que les offices ne
peuvent délivrer des permis qu'après la tenue d'au-
diences publiques (paragraphe 15(2)) et sous
réserve de l'approbation du Ministre (paragraphe
10(1)). L'exercice du pouvoir décisionnel du con-
trôleur n'est pas soumis à de telles exigences.
La Couronne allègue que l'article 11 ne consti-
tuait pas une sous-délégation non autorisée parce
qu'on n'y a pas sous-délégué un pouvoir législatif,
mais qu'on y a simplement incorporé par renvoi les
dispositions du paragraphe 10(1).
J'admets que le contrôleur n'a pas été autorisé à
légiférer, par exemple, en établissant des règles ou
des règlements. Ce qui s'est plutôt produit, c'est
qu'on a transformé par règlement un pouvoir légis-
latif en un pouvoir administratif ou quasi judi-
ciaire, et qu'on a conféré ce pouvoir au contrôleur.
Le législateur fédéral a manifestement prévu
deux manières pour autoriser l'utilisation des eaux,
l'une par l'intermédiaire des offices des eaux du
Yukon et des territoires du Nord-Ouest, qui exer-
cent les pouvoirs quasi judiciaires et discrétionnai-
res propres à ce genre d'organismes, et l'autre par
réglementation, les conditions d'utilisation des
titulaire de permis qui a droit à priorité sur le requérant en
conformité de l'article 22, ou par un autre requérant qui, si
un permis lui était délivré, aurait droit à priorité sur le
requérant en conformité de cet article,
(ii) qu'une indemnisation appropriée a été ou sera payée
par le requérant aux titulaires de permis autorisés à utili-
ser les eaux, dans la zone de gestion des eaux à laquelle a
trait la demande, pour un usage dont la priorité est
moindre dans cette zone que celle de l'utilisation projetée
par le requérant, et qui seront lésés par cette utilisation
projetée,
(iii) que tous déchets produits par l'entreprise pour l'ex-
ploitation de laquelle seront utilisées ces eaux seront traités
et qu'il en sera disposé de manière à respecter les normes
de qualité des eaux prescrites en conformité de l'alinéa
26e), et
(iv) que la responsabilité financière du requérant convient
à l'entreprise pour l'exploitation de laquelle ces eaux seront
utilisées,
l'office peut, avec l'approbation du Ministre, délivrer un
permis au requérant, pour une durée de vingt-cinq ans au
plus, l'autorisant, sur paiement des droits d'utilisation des
eaux prescrits en conformité de l'alinéa 28a) aux époques et
de la manière prescrites par les règlements, à utiliser les eaux
pour l'exploitation d'une entreprise déterminée indiquée dans
le permis (ci-après appelée l'«entreprise concernée») en une
quantité et à un régime n'excédant pas la quantité et le
régime spécifiés dans le permis.
eaux sans permis devant être fixées de façon pré-
cise et complète par le gouverneur en conseil dans
le texte réglementaire. Rien dans la Loi ne permet
de conclure à l'intention du législateur de permet-
tre que ce pouvoir, en tout ou en partie, soit
conféré à un sous-délégué pour être exercé de
manière discrétionnaire. Le principe énoncé dans
l'arrêt Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk
Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S.
131 est très pertinent: lorsque le pouvoir de légifé-
rer par règlement est conféré à une entité juridi-
que, ce pouvoir doit être exercé tel quel et ne peut
pas être exercé par la création d'un sous-délégué
possédant le pouvoir discrétionnaire de prendre les
décisions. Voir aussi Attorney General of Canada
v. Brent, [1956] R.C.S. 318.
En l'espèce, il n'y a pas eu délégation totale
comme ce fut le cas dans les arrêts Brant et Brent
(précités); les textes législatifs donnent certaines
directives. L'usage projeté doit être destiné à des
fins municipales ou de génie hydraulique, la quan-
tité d'eau utilisée doit être inférieure à 50 000'
gallons par jour et les conditions du paragraphe
10(1) doivent être remplies. Cependant, les textes
législatifs ne contiennent pas suffisamment d'indi-
cations pour empêcher de conclure qu'il y a eu une
sous-délégation non autorisée. Le paragraphe
10(1) n'énonce pas de manière suffisamment com-
plète l'ensemble des conditions applicables. Il fixe
plutôt les limites dans lesquelles il faut rendre des
jugements de caractère discrétionnaire.
À mon avis, le législateur voulait que les règle-
ments eux-mêmes énoncent de manière complète
toutes les conditions nécessaires à une autorisation.
Il ressort de la lecture de l'alinéa 26g) de la Loi
que l'autorisation devait découler des règlements
et non pas émaner de la décision d'un sous-délégué
titulaire de pouvoirs discrétionnaires. Je ne suis
même pas convaincue que le législateur prévoyait
l'existence d'un fonctionnaire tel que le contrôleur
pour accorder des autorisations d'utilisation des
eaux sans permis. Sur ce point toutefois, le droit
est manifestement tel que l'a soutenu l'avocat de la
défenderesse: un délégué possédant le pouvoir de
légiférer peut sous-déléguer un pouvoir adminis-
tratif à un autre organisme lorsque c'est nécessaire
pour mettre à exécution le plan ou les normes
établis. Il a cité à l'appui de cette proposition les
arrêts Vic Restaurant Inc. v. City of Montreal,
[1959] R.C.S. 58, Lamoureux c. Ville de Bea-
consfield, [1978] 1 R.C.S. 134 et R. v. Joy Oil Co.
Ltd., [1964] 1 O.R. 119 (C.A.).
L'avocat a également cité la décision rendue
dans King -Emperor v. Benoari Lal Sarma, et al.,
[1945] A.C. 14 (P.C.). Dans cette espèce, le gou-
verneur général de l'Inde s'était vu conférer par la
loi le pouvoir de constituer des tribunaux spéciaux
de juridiction criminelle dans les situations d'ur-
gence. Le gouverneur général a adopté une ordon-
nance de ce genre, mais il y a toutefois accordé
aux gouvernements provinciaux le pouvoir de déci-
der s'il existait dans leur province une situation
d'urgence justifiant la mise en application de l'or-
donnance. Le Conseil privé a jugé qu'il ne s'agis-
sait pas d'une délégation illégale d'un pouvoir
législatif mais plutôt d'une délégation légale d'un
pouvoir administratif. Je ne crois pas que cette
décision soit pertinente pour des questions de sous-
délégation dans un cas ordinaire. Il s'agissait d'une
affaire d'ordre constitutionnel où le pouvoir de
délégation avait été conféré au gouverneur général
par le Government of India Act, 1935 [25 & 26
Geo. 5, chap. 42]. Cependant, de toute façon, le
fondement de cette décision était qu'il n'y avait
pas eu sous-délégation étant donné que le seul
pouvoir conféré aux gouvernements locaux était
celui de déterminer quel événement provoquerait
l'entrée en vigueur des dispositions législatives. La
décision du Conseil privé dans Russell v. Reg.
(1882), 7 App. Cas. 829, a été citée comme précé-
dent [dans l'arrêt King -Emperor, aux pages 24 et
25]:
[TRADUCTION] Dans cette espèce, l'Acte de tempérance du
Canada de 1878 était contesté au motif que le Parlement du
Canada n'était pas habilité à l'adopter. L'Acte de tempérance
devait entrer en vigueur dans tout comté ou toute ville si, à la
suite du vote de la majorité des électeurs de ce comté ou de
cette ville en faveur d'une telle ligne de conduite, le gouverneur
général déclarait par décret que la partie applicable de l'Acte
était exécutoire. Le Conseil privé a statué que cette disposition
n'équivalait pas à déléguer un pouvoir législatif à une majorité
d'électeurs d'une ville ou d'un comté. Leurs Seigneuries ont
déclaré: «La réponse à cette objection est vite donnée: la Loi ne
délègue aucune compétence législative à qui que ce soit. Les
questions en cause sont complètement réglementées dans la Loi.
La disposition à l'effet que certaines parties de la Loi ne seront
mises en vigueur que sur une pétition d'une majorité des
électeurs d'un comté ou d'une cité ne constitue aucunement une
délégation à ces personnes du droit de légiférer. C'est le Parle-
ment qui édicte la condition, et tout ce qui s'ensuit une fois la
condition réalisée.»
L'article 11 du Règlement sur les eaux intérieu-
res du Nord ne contient pas toutes les règles sur
les questions qu'il concerne. Il confère au contrô-
leur un vaste pouvoir discrétionnaire qui ne se
limite pas à déterminer les cas où cet article
s'applique.
L'avocat de la défenderesse a fait de nombreux
efforts pour démontrer que le contrôleur n'exerçait
qu'une fonction administrative et qu'il ne possédait
aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne
l'octroi des autorisations. Il a prétendu que le
contrôleur avait l'obligation d'accorder des autori-
sations lorsque les conditions énoncées au paragra-
phe 10(1) de la Loi et à l'article 11 du Règlement
étaient remplies. Il a soutenu que, lorsque le con-
trôleur refusait de consentir à des autorisations
dans de tels cas, il était possible de recourir à un
mandamus pour le contraindre à agir.
Il est cependant tout à fait évident que le rôle du
contrôleur n'est pas si limité. L'article 11 du
Règlement exige qu'il soit convaincu que les condi
tions applicables du paragraphe 10(1) sont rem-
plies. Il doit également déterminer quelles condi
tions du paragraphe 10(1) sont applicables. En
vertu des sous-alinéas 10(1)a)(ii) et 10(1)b)(iii), le
contrôleur doit s'assurer que le requérant disposera
des déchets produits par son usage des eaux «de
manière à respecter les normes de qualité des
eaux». Il doit s'assurer, en vertu du sous-alinéa
10(1)b)(iv), que le requérant est solvable. Les
autres aspects de son pouvoir discrétionnaire de
décision se trouvent au paragraphe 10(1).
Je ne conteste pas les concepts de droit énoncés
par l'avocat de la défenderesse: le concept juridi-
que de discrétion comporte le pouvoir de faire un
choix entre deux lignes de conduite; si le délégué
ne peut adopter qu'une seule ligne de conduite, il
se doit d'agir; il faut qu'il existe une obligation
d'agir pour la personne ou l'organisme contre les-
quels une ordonnance est demandée avant qu'un
mandamus puisse être lancé; finalement, des
termes qui, en vertu de leur sens grammatical
habituel, semblent conférer un pouvoir discrétion-
naire peuvent, selon le contexte, n'accorder aucune
discrétion et revêtir un caractère impératif. De
Smith, Judicial Review of Administrative Action,
4 ° éd., page 278; Vardy c. Scott et autres, [1977] 1
R.C.S. 293; Weatherby c. Le ministre des Travaux
publics, [1972] C.F. 952 (1re inst.); Julius v.
Bishop of Oxford (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.);
Labour Relations Board v. The Queen, [1956]
R.C.S. 82, aux pages 86 et 87; Clarkson Co. Ltd.
v. White (1979), 32 C.B.R. (N.S.) 25 (C.A.N.-E),
aux pages 29 et 30, et Padfield v. Minister of
Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997
(H.L.), aux pages 1032 et 1033.
L'avocat a insisté particulièrement sur l'arrêt
Julius (précité), à la page 244, l'appui de la
proposition selon laquelle les mots qui, dans leur
sens habituel, laissent une liberté d'agir ou qui
habilitent à faire quelque chose, seront considérés
comme impératifs et comme imposant une obliga
tion lorsque [TRADUCTION] «l'objet du pouvoir est
de mettre en application un droit conféré par la
loi».
Je ne crois pas que le principe dégagé dans
l'arrêt Julius s'applique en l'espèce. Les termes en
cause dans cette affaire étaient [TRADUCTION]
«peut» et [TRADUCTION] «[x] pourra légalement
[faire y]»; ces termes ne comportent pas la même
nécessité d'appréciation que l'expression «s'il est
convaincu». Il semble que l'arrêt Julius ne fait que
réfuter la présomption selon laquelle des disposi
tions habilitantes laissent une liberté d'agir et
n'oblige pas à conclure que des dispositions habili-
tantes sont impératives lorsqu'elles servent à
«mettre en application un droit conféré par la loi».
Il faudra toujours interpréter le contexte des dispo
sitions législatives en cause. À mon avis, rien dans
le contexte de l'article 11 n'indique que l'expres-
sion «est convaincu» était destinée à imposer au
contrôleur l'obligation d'exercer ses pouvoirs de
décision de manière non discrétionnaire de sorte
qu'il soit possible de recourir contre lui par voie de
mandamus. Il se peut qu'il ait l'obligation d'exa-
miner une demande d'autorisation mais il s'agit là
d'une toute autre affaire. De plus, il semble que la
nature des droits concernés en l'espèce est diffé-
rente de celle des droits visés par lord Blackburn
lorsqu'il a utilisé l'expression «mettre en applica
tion un droit conféré par la loi». Voici les exemples
qu'il en donne à la page 244:
[TRADUCTION] Le droit à la liberté de la personne arrêtée par
le shérif, le droit des créanciers d'un failli de récupérer leurs
créances, le droit d'un demandeur qui a obtenu jugement de
recouvrer ses dépens, le droit du constable à ce que la paroisse
rembourse ses frais, le droit d'un créancier ... d'être payé .. .
Tous les droits sur lesquels portaient les autres
arrêts cités par l'avocat sur ce point comportaient
celui d'exiger qu'un organisme possédant un pou-
voir de décision examine tout au moins la demande
ou revendication d'une personne, mais aucun ne
dictait à l'organisme détenteur du pouvoir de s'as-
surer de l'existence de certains faits la décision
qu'il devait rendre. Les personnes demandant au
contrôleur l'autorisation d'utiliser des eaux sans
permis ne possèdent pas un «droit» au sens où
l'entendait lord Blackburn dans l'arrêt Julius.
Elles cherchent à obtenir un privilège.
Il reste à examiner la prétention selon laquelle
les parties invalides de la disposition réglementaire
contestée peuvent être dissociées. L'avocat a cité
les décisions Bridge v. The Queen, [1953] R.C.S.
8; [1953] 1 D.L.R. 305; Transport Ministry v.
Alexander, [1978] 1 NZLR 306 (C.A.) et Olsen v.
City of Camberwell, [1926] V.L.R. 58 (S.C.).
Le principe de la disjonction pourrait s'appli-
quer à une disposition réglementaire invalide si sa
partie invalide ne constituait pas une partie essen-
tielle de l'ensemble de la disposition; voir l'arrêt
Transport Ministry (précité). Ainsi, par exemple,
si l'alinéa b) constituait la seule partie invalide de
l'article 11, le reste de l'article pourrait rester
valide. Toutefois, si un article contient une erreur
beaucoup plus grave que ce n'est le cas en l'espèce,
il n'est pas possible d'opérer la disjonction.
Autrement dit, s'il est nécessaire pour dissocier
l'article invalide de le réécrire, l'article complet
doit alors être annulé. La partie invalide ne peut
raisonnablement être dissociée. On peut invoquer
les critères dégagés par l'application de la doctrine
de la disjonction aux affaires traitant d'inconstitu-
tionnalité. L'avocat a proposé que l'obligation pour
le contrôleur de déclarer par écrit qu'il est con-
vaincu que les conditions prévues au paragraphe
10(1) ont été remplies soit dissociée de la disposi
tion réglementaire pour permettre au reste de cel-
le-ci de continuer à être en vigueur. Je ne crois pas
que cela soit possible. Cela équivaudrait à refor-
muler le fond même de la disposition réglemen-
taire d'une manière que le gouverneur en conseil
n'avait pas envisagée. De plus, le reste de la dispo
sition serait inopérante étant donné que les condi
tions du paragraphe 10(1) resteraient en vigueur
mais qu'il n'y aurait aucune instance décisionnelle
pour les faire appliquer. Les tribunaux auraient-ils
à décider si l'utilisateur des eaux est solvable, si
une indemnisation appropriée a été ou sera payée
aux autres utilisateurs, si l'utilisateur dispose des
déchets de manière à respecter les normes de
qualité des eaux? Le simple fait de poser ces
questions indique qu'il n'est pas possible de procé-
der à la disjonction en l'espèce.
Étant donné ma position dans cette affaire, il
n'est pas nécessaire que je me prononce sur l'argu-
ment des demanderesses relatif à l'alinéa 11b).
Néanmoins, s'il m'était nécessaire de le faire, je
déclarerais cet alinéa invalide; il ne porte ni sur le
régime ni sur la quantité comme l'exige l'alinéa
26g) de la Loi, mais sur un délai seulement.
Par ces motifs, j'accueille la demande de juge-
ment déclaratoire présentée par les demanderesses.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.