A-522-83
Linette Mavour (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Le Dain et Stone, juge sup
pléant Lalande—Toronto, 9 mars; Ottawa, 17 mai
1984.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Immigration
— Requérante détenue pour fins d'enquête — L'enquête n'a
pas eu lieu à la date à laquelle elle avait été reportée — La
détention n'a pas été examinée conformément à la Loi — Le
principe selon lequel il y a perte de compétence lors de
poursuites pénales quand il ne se passe rien le jour auquel la
comparution du prévenu a été renvoyée ne s'applique pas aux
tribunaux administratifs — L'arbitre a fait une offre de
remise en liberté conditionnelle — Il n'a pas outrepassé sa
compétence — L'art. 104(3) lui confère le pouvoir de fixer des
conditions — Demande rejetée — Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),e),g), 104 — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Compétence — Cour d'appel fédérale — Demande fondée
sur l'art. 28 visant à examiner la décision de l'arbitre de
remettre la requérante en liberté — Requérante détenue en vue
d'une enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration —
L'arbitre a fait une offre temporaire de remise en liberté
moyennant la consignation d'un montant en espèces et d'autres
conditions — Requérante remise en liberté — Elle soutient
que l'arbitre a outrepassé sa compétence — La Cour rejette
l'argument du ministre selon lequel la décision de l'arbitre
n'est pas finale — La décision prise en vertu de l'art. 104(3)
épuise la compétence de l'arbitre — La décision de l'arbitre est
soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire parce
qu'elle concerne la considération d'un critère légal ainsi que la
liberté de la personne en cause et son droit d'être entendue —
La Cour est compétente mais la demande est rejetée au fond
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10,
art. 28 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap.
52, art. 104 — Règlement sur l'immigration de 1978,
DORS/78-172, art. 35(2), 37.
Immigration — Requérante arrêtée à titre de personne visée
par l'art. 27 de la Loi — L'enquête n'a pas eu lieu à la date à
laquelle elle avait été reportée — L'examen de la détention
prévu à l'art. 104(6) n'a pas eu lieu — L'arbitre ne perd pas
compétence — L'arbitre a offert une remise en liberté moyen-
nant certaines conditions — Il n'a pas excédé sa compétence
puisque l'art. 104(3) l'autorise à imposer des conditions — La
décision de remettre en liberté est susceptible d'être examinée
par la Cour d'appel fédérale puisque cette décision de l'arbitre
est finale, ayant pour effet d'épuiser pour le moment sa
compétence — La décision de remettre en liberté est soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire — Loi sur l'immi-
gration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),e),g), 104
— Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art.
35(2), 37.
Soupçonnée de faire partie de l'une des catégories visées aux
alinéas 27(2)b),e) et g), la requérante a été arrêtée le 15 mars
1983, en application du paragraphe 104(2) de la Loi sur
l'immigration de 1976. Son enquête devait avoir lieu le 22 mars
mais à la date prévue l'arbitre a ajourné l'enquête jusqu'au 30
mars et a ordonné la prolongation de la détention de la requé-
rante. Comme aucun agent chargé de présenter le cas n'était
disponible le 30 mars, l'enquête n'a pu reprendre avant le 6
avril. La détention de la requérante n'a pas été examinée entre
le 22 mars et le 6 avril. Le paragraphe 104(6) établit que les
personnes détenues en vertu de la Loi doivent être amenées
devant un arbitre au moins une fois tous les 7 jours, aux fins de
révision des motifs justifiant une détention prolongée. On a
soutenu, le 6 avril, que la requérante avait été illégalement
détenue et que l'arbitre avait perdu sa compétence faute d'avoir
repris l'enquête le 30 mars. Bien qu'il ait rejeté ces arguments,
l'arbitre a fait à la requérante une «offre» temporaire de la
remettre en liberté après consignation d'une somme de 2 000 $
en espèces et moyennant certaines conditions relatives à sa
présence à la reprise de l'enquête et à son lieu de résidence.
L'argent ayant été déposé, la requérante a été remise en liberté.
Une demande fondée sur l'article 28 a été présentée devant la
Cour d'appel fédérale. La question de l'illégalité de la détention
a été abandonnée mais on a soutenu (1) que l'arbitre a perdu sa
compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars et (2) qu'il
a outrepassé sa compétence en faisant une «offre» de remise en
liberté assortie d'un certain délai d'acceptation. On a soutenu
au nom du Ministre que la Cour n'a pas compétence pour
connaître de cette demande parce que l'ordonnance de remise
en liberté rendue en vertu du paragraphe 104(3) n'était pas une
décision au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale et
que, de toute façon, elle n'était pas soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. À titre subsidiaire, on a fait valoir
que la décision de l'arbitre n'était invalidée ni par une quelcon-
que erreur de droit ni pour incompétence.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
La Cour était compétente pour connaître de cette demande.
La décision est finale au sens où l'entend la jurisprudence parce
que la prise d'une décision en vertu du paragraphe 104(3) a
pour effet d'épuiser, pour le moment, la compétence de l'arbi-
tre. La décision de l'arbitre était soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. Elle satisfait au critère établi par
le juge Dickson dans l'arrêt Ministre du Revenu national c.
Coopers et Lybrand, [ 1979] 1 R.C.S. 495. Elle met en jeu la
liberté de l'intéressée. Elle oblige en outre à prendre en considé-
ration, non pas une question de politique au sens large mais un
critère légal qui est l'examen d'un fait. Ce qui est plus impor
tant, la Loi et le Règlement donnent à entendre que l'intéressée
a le droit d'être entendue. L'article 37 du Règlement, qui
prévoit que la personne en cause doit pouvoir présenter des
arguments, s'applique clairement au présent cas.
Le principe qu'une cour d'instance inférieure peut perdre
juridiction en raison d'une irrégularité de procédure, comme
par exemple ne rien faire le jour auquel la comparution du
prévenu a été renvoyée, s'applique aux poursuites pénales. Ce
n'est pas un principe qu'il convient d'appliquer aux tribunaux
administratifs qui exigent une latitude raisonnable pour ajour-
ner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Le fait qu'il y ait
détention ne permet pas d'appliquer ce principe aux présentes
procédures. L'arbitre n'avait pas perdu sa compétence. Elle ne
l'avait pas outrepassé non plus en faisant l'offre de remise en
liberté. Le paragraphe 104(3) de la Loi investit l'arbitre du
pouvoir de remettre une personne en liberté «sous réserve des
conditions qu'il juge appropriées aux circonstances».
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Krannenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053; Trenholm v.
The Attorney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301.
DÉCISION CITÉE:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F.
1166 (C.A.).
AVOCATS:
Brent Knazan pour la requérante.
Michael W. Duffy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Knazan, Jackman & Goodman, Toronto, pour
la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: La requérante demande, en
vertu de l'article 28, l'examen et l'annulation de la
décision de l'arbitre ordonnant sa mise en liberté
en application du paragraphe 104(3) de la Loi sur
l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52].
Soupçonnée de faire partie de l'une des catégo-
ries visées aux alinéas 27(2)b),e) et g), la requé-
rante a été arrêtée le 15 mars 1983, en application
du paragraphe 104(2) de la Loi. Son enquête fut
fixée au 22 mars. À la date prévue, l'arbitre a
ajourné l'enquête jusqu'au 30 mars et a ordonné la
prolongation de la détention de la requérante. (La
requérante était également détenue en vue de sa
comparution, prévue pour le 24 mars, pour répon-
dre de poursuites criminelles; présumant qu'elle
serait libérée sous caution à cette date, l'arbitre a
ordonné que sa détention soit prolongée sous le
régime de la Loi.) Comme aucun agent chargé de
présenter le cas n'était disponible, l'enquête n'a pas
pu reprendre le 30 mars. Elle reprit le 6 avril. La
détention de la requérante n'a donc pas été exami
née par un arbitre entre le 22 mars et le 6 avril.
À la reprise de l'enquête, le 6 avril, l'avocat de
la requérante a soutenu que cette dernière avait été
illégalement détenue parce que les motifs de sa
détention prolongée n'avaient pas été révisés après
l'ordonnance de détention du 22 mars, comme
l'exige le paragraphe 104(6) de la Loi. Il a proposé
à l'arbitre de reconnaître l'illégalité de la détention
en permettant à la requérante de comparaître
librement à l'enquête. Il a en outre fait valoir que
l'arbitre avait perdu sa compétence faute d'avoir
repris l'enquête le 30 mars. L'arbitre a refusé de
reconnaître que la détention était illégale comme
le lui suggérait l'avocat et elle a affirmé avoir
compétence pour décider si la requérante devait
être détenue ou remise en liberté. A la suite d'une
enquête plus approfondie, l'arbitre a «offert» à la
requérante—son offre devant expirer le 12 avril à
16 heures—de la mettre en liberté après consigna-
tion d'une somme de 2 000 $ en espèces et sous
réserve des conditions suivantes: la requérante
devait se présenter à la reprise de l'enquête le 21
avril; elle devait se présenter par la suite devant un
arbitre ou un agent d'immigration supérieur à leur
demande et ne devait avoir qu'une seule résidence
dont l'adresse était précisée. La somme exigée
ayant été déposée avant l'expiration du délai fixé
par l'arbitre, la requérante a été remise en liberté.
À l'audition de la demande fondée sur l'article
28, l'avocat de la requérante a déclaré qu'il ne
présentait aucun autre argument sur l'illégalité de
la détention. Il a contesté la validité de la décision
de l'arbitre par ce motif que faute d'avoir repris
l'enquête le 30 mars 1983, date à laquelle elle
avait été reportée, l'arbitre n'avait plus compé-
tence pour la poursuivre et elle n'avait donc plus
compétence pour rendre une décision portant mise
en liberté de la requérante en application du para-
graphe 104(3) de la Loi. À titre subsidiaire, il
soutient qu'en faisant une «offre» de mise en liberté
assortie d'un certain délai d'acceptation, l'arbitre a
outrepassé sa compétence ou autrement commis
une erreur de droit.
Malgré la mise en liberté de la requérante, son
avocat prétend que la validité de la décision de
l'arbitre ne constitue pas une question théorique et
que la requérante a un intérêt suffisant pour l'atta-
quer puisque le gage consigné est confiscable si la
requérante ne respecte pas les conditions fixées par
l'arbitre. L'avocat du Ministre n'a pas contesté
vigoureusement cet argument et je ne crois pas
qu'il faille trancher cette demande fondée sur l'ar-
ticle 28 en présumant que les questions litigieuses
ne présentent qu'un intérêt d'ordre théorique ou
que la requérante n'a pas un intérêt suffisant pour
les soulever.
L'avocat du Ministre fait valoir que la Cour n'a
pas compétence pour connaître de la demande
fondée sur l'article 28 parce que la décision ou
ordonnance de mise en liberté de la requérante,
prise en application du paragraphe 104(3) de la
Loi, n'est pas une ordonnance ou décision au sens
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], et que quand
bien même elle serait une décision ou ordonnance
au sens de cet article, elle n'est pas légalement
soumise à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire. À titre subsidiaire, il soutient que la conclu
sion de la requérante, selon laquelle la décision de
l'arbitre est invalide pour cause d'incompétence ou
d'erreur de droit, est sans fondement.
Il faut examiner la question de la compétence de
la Cour en tenant compte de l'ensemble de l'article
104, qui porte:
104. (1) Le sous-ministre ou un agent d'immigration supé-
rieur peut, en se fondant sur des motifs raisonnables, émettre
un mandat d'arrestation et de détention visant toute personne
qui doit faire l'objet d'un examen ou d'une enquête ou qui est
frappée par une ordonnance de renvoi, lorsqu'il estime que
ladite personne constitue une menace pour le public ou qu'à
défaut de cette mesure, elle ne se présentera pas à l'examen ou
à l'enquête, ou n'obtempérera pas à l'ordonnance de renvoi.
(2) Tout agent de la paix au Canada, nommé en vertu d'une
loi fédérale, provinciale ou d'un règlement municipal, et tout
agent d'immigration peuvent, sans mandat, ordre ou directive à
cet effet, arrêter et détenir ou arrêter et ordonner la détention
a) aux fins d'enquête, de toute personne soupçonnée, pour
des motifs valables, de faire partie de l'une des catégories
visées aux alinéas 27(2)b), e), f), g), h), i) ou j), ou
b) aux fins de renvoi du Canada, de toute personne frappée
par une ordonnance de renvoi exécutoire,
au cas où ils estiment que ladite personne constitue une menace
pour le public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne se
présentera pas à l'enquête ou n'obtempérera pas à l'ordonnance
de renvoi.
(3) Au cas où une personne doit faire l'objet d'une enquête
ou d'un complément d'enquête ou est frappée par une ordon-
nance de renvoi, un arbitre peut ordonner
a) sa mise en liberté, sous réserve des conditions qu'il juge
appropriées aux circonstances et notamment du dépôt d'un
gage ou d'un bon de garantie d'exécution;
b) sa détention s'il estime qu'elle constitue un danger pour le
public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne se présentera
pas à toutes les phases de l'enquête ou n'obtempérera pas à
l'ordonnance de renvoi; ou
c) la fixation des conditions qu'il juge appropriées aux cir-
constances et notamment le dépôt d'un gage ou d'un bon de
garantie d'exécution.
(4) Celui qui a ordonné la détention d'une personne aux fins
d'examen ou d'enquête en vertu du présent article, ou le
gardien de ladite personne doit immédiatement aviser un agent
d'immigration supérieur de la détention et de ses motifs.
(5) Dans les quarante-huit heures de la mise en détention
d'une personne en vertu de la présente loi, un agent d'immigra-
tion supérieur peut ordonner la mise en liberté de la personne
détenue, sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux
circonstances et notamment du dépôt d'un gage ou d'un bon de
garantie d'exécution.
(6) Au cas où l'examen, l'enquête ou le renvoi qui, en vertu
de la présente loi, ont motivé la détention, n'ont pas lieu dans
les quarante-huit heures de celle-ci, la personne détenue doit
être immédiatement amenée devant un arbitre aux fins de
révision des motifs justifiant une détention prolongée; par la
suite, la personne devra être amenée devant un arbitre aux
mêmes fins, au moins une fois tous les sept jours.
(7) L'arbitre chargé de la révision prévue au paragraphe (6)
doit ordonner la mise en liberté de la personne détenue, au cas
où il n'est pas convaincu qu'elle constitue une menace pour le
public ni qu'elle se dérobera à l'examen, à l'enquête ou au
renvoi, sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux
circonstances et notamment du dépôt d'un gage ou d'un bon de
garantie d'exécution.
(8) Après qu'un arbitre ait prononcé la mise en liberté d'une
personne conformément à l'alinéa (3)a) ou au paragraphe (7),
cet arbitre ou tout autre arbitre peut à tout moment ordonner
qu'elle soit à nouveau mise sous garde et en détention, au cas où
il estime qu'elle constitue une menace pour le public ou qu'elle
se dérobera à l'examen, l'enquête ou au renvoi.
L'avocat du Ministre prétend que la décision ou
ordonnance, prise en application du paragraphe
104(3) et portant détention ou mise en liberté
d'une personne, n'est pas une décision ou ordon-
nance au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale parce qu'elle n'est ni définitive ni finale
au sens retenu par la Cour dans différentes affai-
res dont notamment Le procureur général du
Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.). Il
prétend que la décision est accessoire à la compé-
tence ou au pouvoir principal dévolu à l'arbitre et
qu'il est possible de mettre fin à ses effets par suite
de la révision des motifs justifiant le prolongement
de la détention, révision qui doit être faite à inter-
valles réguliers selon le paragraphe 104(6). Bien
que la décision de détenir une personne ou de la
remettre en liberté puisse être prise au cours d'une
enquête, comme en l'espèce, ce n'est pas dans ce
cas une décision accessoire faisant partie du pro-
cessus par lequel l'arbitre décide si une personne
peut entrer au Canada ou y demeurer. Elle ne peut
avoir d'effet sur la décision principale et n'est donc
pas susceptible d'examen, dans le cadre de l'exa-
men de la décision principale. Il s'agit là de l'exer-
cice d'un pouvoir légal, séparé et distinct du pou-
voir de prendre une ordonnance de renvoi ou un
avis d'interdiction de séjour. En outre, la décision
est finale au sens où l'entend la jurisprudence
parce que, si les motifs de prolongation de la
détention doivent être examinés de temps à autre
et s'il est possible d'ordonner à nouveau la déten-
tion d'une personne après l'avoir mise en liberté, la
décision de détenir ou de remettre en liberté une
personne, prise en vertu du paragraphe 104(3), a
pour effet d'épuiser, pour le moment, la compé-
tence de l'arbitre sur ce point et cette décision le
lie ainsi que la personne intéressée. Par ces motifs,
j'estime qu'il s'agit d'une décision ou ordonnance
au sens de l'article 28.
Par ailleurs, la décision de remettre une per-
sonne en liberté ou non, en est une qui, à mon avis,
est légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire. Elle satisfait aux critères de la
décision judiciaire ou quasi judiciaire établi par le
juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt
Ministre du Revenu national c. Coopers and
Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495. Elle a de graves
conséquences car la liberté de l'intéressé est en jeu.
Bien qu'elle comporte un élément discrétionnaire,
à l'instar de la mise en liberté sous caution en
matière pénale (décision qui a toujours été consi-
dérée comme relevant de l'exercice du pouvoir
discrétionnaire du tribunal), elle oblige à prendre
en considération, non pas une question de politique
au sens large, mais un critère légal qui est l'exa-
men d'un fait—puisqu'il faut examiner si la per-
sonne en cause constitue un danger pour le public
ou si, laissée en liberté, elle se dérobera à toutes les
phases de l'enquête ou n'obtempérera pas à l'or-
donnance de renvoi du Canada. Cette décision
comporte un certain élément contradictoire en ce
que la mise en liberté, ou les conditions qui y sont
rattachées, peuvent faire l'objet d'une contestation
pour le compte des autorités. En dernier lieu, et ce
qui est le plus important, la Loi et le Règlement
donnent à entendre que l'intéressé doit être
entendu. Le paragraphe 104(6), qui prévoit la
révision des motifs justifiant la détention prolongée
à certains intervalles, exige que l'on amène la
personne ainsi détenue devant un arbitre. Lorsque
la décision de remettre une personne en liberté est
prise dans le cadre d'une enquête, elle est soumise
au processus de l'enquête, y compris les droits que
cela confère à l'intéressé en matière de procédure.
L'article 37 du Règlement sur l'immigration de
1978 [DORS/78-172] prévoit expressément la
tenue d'une enquête, comme suit:
37. (1) Lorsque l'enquête est ajournée ou lorsque l'arbitre
rend une ordonnance de renvoi contre la personne en cause,
l'agent chargé de présenter le cas doit, si la détention, ou le
prolongement de la détention de cette personne est, à son avis,
justifié, demander que l'arbitre ordonne la détention ou le
prolongement de la détention de la personne en cause et
informer l'arbitre des raisons de la demande.
(2) Lorsqu'une demande en vue de la détention ou du
prolongement de la détention est faite suivant le paragraphe
(1), la personne en cause ou son conseil doivent pouvoir répon-
dre à la demande et présenter les arguments à ce sujet.
En l'espèce, l'agent chargé de présenter le cas a
demandé à l'arbitre de prolonger la détention de la
requérante et a présenté des arguments à l'appui.
Il s'agit donc clairement d'un cas où l'article 37 du
Règlement s'applique.
Par ces motifs, je suis d'avis que la décision,
prise par l'arbitre le 6 avril 1983, de remettre la
requérante en liberté constituait une décision léga-
lement soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale et que, par conséquent, la Cour
avait compétence pour connaître de cette
demande. Cela étant établi, il faut maintenant
examiner la demande au fond.
L'argument de la requérante selon lequel l'arbi-
tre n'avait plus compétence faute d'avoir repris
l'enquête à la date prévue, soit le 30 mars 1983,
s'appuie sur le principe énoncé par le juge Dickson
(tel était alors son titre) dans R. c. Krannenburg,
[1980] 1 R.C.S. 1053, comme suit à la page 1055:
«Il est reconnu depuis longtemps dans notre droit
qu'une cour d'instance inférieure peut perdre juri-
diction en raison d'une irrégularité de procédure,
comme par exemple, lorsque le jour auquel la
comparution du prévenu a été renvoyée ou auquel
l'affaire a été ajournée se passe sans qu'il y ait
d'audition ou de comparution, "sans que rien ne se
fasse".» Ce principe, établi pour la première fois
par la Cour suprême dans Trenholm v. The Attor-
ney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301, a été
retenu dans plusieurs autres affaires, mais pour
autant que j'ai pu le constater, il a toujours été
appliqué par les juridictions répressives et aux
poursuites pénales. L'avocat de la requérante n'a
pu citer aucune décision et je n'en ai trouvé
aucune, où ce principe aurait été appliqué devant
un tribunal administratif, qu'il exerce ou non des
pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires. À mon
avis, ce n'est pas là un principe qu'il convient
d'appliquer aux tribunaux administratifs puisqu'ils
doivent jouir d'une certaine latitude pour ajourner
et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Cette lati
tude ressort du paragraphe 35(2) du Règlement
sur l'immigration de 1978 qui prévoit: «L'enquête
ajournée selon le présent règlement ou le paragra-
phe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à
l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'en-
quête.» Je ne crois pas que la possibilité qu'il y ait
détention justifie l'application du principe établi
dans Krannenburg au cas où l'on omet de repren-
dre l'enquête à la date prévue après l'ajournement.
Le paragraphe 104(6) de la Loi prévoit la révision
régulière des motifs justifiant la prolongation de la
détention et ce, indépendamment du progrès de
l'enquête. Je suis donc d'avis que l'arbitre n'a pas
perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête
le 30 mars 1983, date prévue pour la reprise de
l'enquête.
A titre subsidiaire, la requérante soutient qu'en
faisant une «offre» de mise en liberté assortie d'un
délai d'acceptation fixé au 12 avril 1983 à 16
heures, l'arbitre a outrepassé sa compétence ou
autrement commis une erreur de droit. En agissant
ainsi, l'arbitre décidait de remettre la requérante
en liberté en exigeant de cette dernière, entre
autres, qu'elle constitue une caution ou un caution-
nement en espèces dans un délai imparti. À mon
avis, cette condition relevait de la compétence que
l'arbitre tient du paragraphe 104(3) de la Loi,
lequel l'investit du pouvoir de remettre une per-
sonne en liberté «sous réserve des conditions qu'il
juge appropriées aux circonstances».
Par ces motifs, je rejetterais la demande fondée
sur l'article 28.
LE JUGE STONE: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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