A-481-82
Les Entreprises Kato Inc. (auparavant Les Plasti-
ques Maska Inc.) (appelante)
c.
Sous-ministre du Revenu national pour les doua-
nes et l'accise (intimé)
et
Kord Products Limited et Commission du tarif
(mises-en-cause)
Cour d'appel, juges Le Dain, Marceau et Huges-
sen—Montréal, 25 octobre; Ottawa, 21 novembre
1983.
Douanes et accise — Appel d'une décision de la Commission
du tarif qui a déclaré que l'art. 1, Partie I de l'annexe III de la
Loi sur la taxe d'accise n'avait pas pour effet de soustraire de
la taxe de vente les pots à fleurs, en plastique, vendus à des
grossistes pour revente au. public — La disposition exonéra-
toire vise des contenants devant servir exclusivement à contenir
des marchandises non assujetties à la taxe de consommation
ou de vente, mais à l'exclusion de contenants conçus pour un
usage répété — Le mot «marchandises» signifie des biens
destinés à être vendus — L'utilisation du mot «marchandise»
et non d'un mot plus général comme le terme «article» ou
«bien» indique que l'exemption ne vise que les contenants
devant recevoir des biens mis en vente — C'est la seule
interprétation qui puisse être en harmonie avec le but que vise
la disposition puisqu'il s'agit de compléter l'exemption de taxe
de vente pour certains biens de consommation — Les pots à
fleurs vendus vides à des consommateurs ne sont pas destinés à
recevoir des «marchandises» destinées à être vendues — Appel
rejeté — Opinion dissidente portant que les fleurs et les
plantes peuvent faire l'objet d'un commerce et que, par consé-
quent, il s'agit de «marchandises» au sens de la Loi — Loi sur
la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27(1), 29 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 104, art. 9), annexe III, Partie
I, art. 1 — Code civil du Bas Canada, art. 1486.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canadian Horticultural Council v. Deputy Minister of
National Revenue for Customs and Excise (1966), 3
T.B.R. 307.
AVOCATS:
R. Dorion pour l'appelante.
Y. Perrier pour l'intimé.
M. J. Penman pour Kord Products Limited,
mise-en-cause.
PROCUREURS:
Guy, Mercier, Bertrand, Bourgeois & Lau-
rent, Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Fraser & Beatty, Toronto, pour Kord Pro
ducts Limited, mise-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LE DAIN: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs du jugement de mes collègues, les juges
Marceau et Hugessen. Je partage l'opinion de mon
collègue, le juge Marceau et je disposerais de
l'appel comme il suggère. À mon avis, les mots
«marchandises non assujetties à la taxe de consom-
mation ou de vente» dans l'article 1, Partie I de
l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise [S.R.C.
1970, chap. E-13], telle qu'elle existait, veulent
dire marchandises qui, sans l'existence de l'exclu-
sion ou de l'exemption, auraient été sujettes à la
taxe de vente parce qu'elles auraient fait l'objet
d'une transaction qui donne lieu à la taxe. Les pots
à fleurs destinés à être vendus vides à des consom-
mateurs n'étaient clairement pas destinés à conte-
nir de telles marchandises.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: J'ai eu l'occasion de lire les
notes de mon collègue, le juge Hugessen, et mal-
heureusement je suis incapable de souscrire à sa
façon de voir. Aussi, me permettrai-je, avec res
pect, de faire valoir une opinion contraire à la
sienne.
Je ne crois pas que la Commission ait erré en
déclarant que l'article 1, Partie I de l'annexe III de
la Loi sur la taxe d'accise n'avait pas pour effet de
soustraire les marchandises en cause (soit des pots
à fleurs, en plastique, destinés à être vendus vides à
des consommateurs) de la taxe de vente imposée
par le paragraphe 27 (1) de ladite Loi.
Ma conclusion ne repose nullement sur les
motifs invoqués par la Commission dans sa déci-
sion, car en fait, tel que je lis cette décision, elle
n'en fait valoir aucun. Elle est tirée de l'interpréta-
tion stricte de la disposition exonératoire invoquée
qui, je le rappelle, se lit comme suit:
1. Enveloppes ordinaires ou contenants ordinaires devant
servir exclusivement à envelopper ou à contenir des marchandi-
ses non assujetties à la taxe de consommation ou de vente, mais
à l'exclusion des enveloppes ou contenants conçus pour la
distribution de marchandises lors de la vente ou conçus pour un
usage répété ...
Le sens ordinaire et courant du mot «marchandi-
ses» est celui de biens en circulation sur le marché
commercial, biens destinés à être vendus. Le dic-
tionnaire Robert définit «marchandise»: «Chose
mobilière pouvant faire l'objet d'un commerce,
d'un marché», mais ajoute tout de suite: «et spé-
cial t.... Tout objet mobilier destiné à la vente à
l'exclusion des produits alimentaires (dits den-
rées)», alors que le dictionnaire Larousse (1966)
définit directement «marchandise»: «Ce qui se vend
et s'achète: Avoir ses magasins pleins de mar-
chandises. (Les produits alimentaires portent
plutôt le nom de denrées.) Objets, matières ou
fournitures acquis par l'entreprise et destinés à
être revendus sans avoir subi aucune transforma
tion», de même que Quillet (1948): «Se dit de tout
ce qui se vend et se débite, en gros ou en détail,
dans les boutiques et magasins, sur les foires,
marchés, etc.» «Marchandise» est ce qui fait l'objet
d'un «marché», que vend un «marchand», au sujet
de quoi on «marchande». Nul ne penserait dire que
sa femme a acheté des pots pour y mettre certaines
«marchandises» auxquelles elle tient spécialement
ou qu'elle a cueillies dans son jardin, soit des
fleurs.
En utilisant le mot «marchandise» et non un mot
plus général comme le mot «article» (un mot qu'il
utilise ailleurs dans la Loi) ou encore le mot «bien»,
le législateur a, à mon sens, voulu indiquer que
l'exemption ne pourrait viser que les contenants
devant recevoir des biens, des objets en circulation
sur le marché commercial et destinés à être
vendus, des biens mis en vente.
C'est d'ailleurs la seule interprétation qui puisse
être en pleine harmonie avec le contexte où la
disposition s'insère et avec le but que manifeste-
ment elle vise, puisqu'il s'agissait de compléter
l'exemption de taxe de vente que le législateur
entendait accorder à certains biens de consomma-
tion. Il est évident que les pots à fleurs vendus
vides à des consommateurs ne sont pas destinés à
recevoir des «marchandises», au sens de biens en
circulation sur le marché commercial et destinés à
être vendus.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): Il s'agit d'un
appel d'une déclaration, par la Commission du
tarif, que les pots de fleurs en plastique mince
fabriqués par l'appelante et vendus à des grossistes
ou à des détaillants pour revente au public ne sont
pas couverts par l'exemption de la taxe de vente
décrétée à l'article 1 de la Partie I de l'annexe III
de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap.
E-13.
A l'époque pertinente, le texte de l'exemption en
question se lisait comme suit:
1. Enveloppes ordinaires ou contenants ordinaires devant
servir exclusivement à envelopper ou à contenir des marchandi-
ses non assujetties à la taxe de consommation ou de vente, mais
à l'exclusion des enveloppes ou contenants conçus pour la
distribution de marchandises lors de la vente ou conçus pour un
usage répété ...
Pour les fins du présent dossier, ce texte com-
prend trois éléments distincts:
a. Contenants ordinaires;
b. Devant servir exclusivement à ,contenir des
marchandises non assujetties à la taxe;
c. Non conçus pour un usage répété.
Lors de l'audience devant la Commission, l'in-
timé a formellement reconnu
que les pots en question sont des contenants ordinaires «de
fleurs ou de plantes» et que ces dernières sont exempts (sic) de
la taxe d'accise en raison des dispositions de la Partie IV de
l'Annexe III de la Loi. (Mémoire du Sous-ministre à la Com
mission, Dossier, page 47.)
Le Sous-ministre a prétendu, tant devant la
Commission que devant nous, que l'exemption
s'applique seulement lorsque les pots en question
sont destinés à être vendus contenant des fleurs ou
des plantes. Cette prétention n'a pas été acceptée
par la Commission et n'est pas conforme au texte
précité.
La Commission, toutefois, a donné raison au
Sous-ministre pour un autre motif, soit que le
libellé de la Partie I de l'annexe III se rapporte
exclusivement à «l'usage commercial». Cette inter-
prétation non plus n'est pas conforme au texte
précité. Pour appuyer sa position, la Commission a
cité sa propre décision, rendue le 10 juin 1966,
dans l'appel numéro 829. Canadian Horticultural
Council v. Deputy Minister of National Revenue
for Customs and Excise (1966), 3 T.B.R. 307. Or,
dans cette dernière décision, la Commission ne
considérait que les mots «conçus pour un usage
répété», qu'on trouve à la fin du texte précité, et
décidait, à bon droit d'ailleurs, que ces mots ne
visaient pas un usage occasionnel par un
non-commerçant.
L'on propose maintenant un troisième argument
à l'appui de la position du Sous-ministre, soit que
l'emploi du mot «marchandises», dans le texte pré-
cité, pour désigner les choses à envelopper ou à
contenir, implique nécessairement une limitation à
des choses qui sont en circulation sur le marché
commercial ou destinées à être vendues. Comme
l'appellante vend une proportion de sa production
à des grossistes ou à des détaillants, qui les reven-
dent vides à des particuliers, et comme les plantes
et les fleurs que ces derniers vont mettre dans les
pots ne sont pas nécessairement destinées à être
vendues, l'exemption ne s'applique pas.
Avec respect pour l'opinion contraire, je consi-
dère cette interprétation incompatible avec le sens
ordinaire du mot «marchandise», qui, selon Robert,
désigne:
1° Chose mobilière pouvant faire l'objet d'un commerce,
d'un marché. [C'est moi qui souligne.]
Or, il ne fait aucun doute que des fleurs et des
plantes peuvent faire l'objet d'un commerce. L'in-
timé l'admet d'ailleurs car il accepte que les pots
produits par l'appelante et vendus à des produc-
teurs de fleurs et de plantes (serres, pépinières,
etc.) sont exempts. Donc, si les fleurs et les plantes
sont susceptibles de faire l'objet d'un commerce,
elles sont des marchandises aux yeux de la Loi. À
mon avis, elles ne cessent pas de l'être selon que
leur propriétaire décide de les vendre ou pas. C'est
le caractère intrinsèque de la chose, et non pas
l'intention de son propriétaire, qui en détermine la
nature. À mon sens, le mot «marchandise» com-
prend tout objet mobilier qui n'est pas hors du
commerce. (Comparer avec l'article 1486 C.c.)
Cette interprétation, d'ailleurs, est compatible
avec le texte anglais, où le mot employé, «goods»,
n'est sûrement pas limité à des choses qui sont
réellement dans le commerce (v.g. «household
goods») mais seulement à celles qui sont suscepti-
bles de l'être*.
Dans mon opinion, la Commission a commis une
erreur de droit. Je ferais donc droit à l'appel et je
renverrais l'affaire à la Commission pour qu'elle la
réentende et rende jugement en conformité avec
les présents motifs. Je ferais également droit à la
requête de l'appelante pour que le titre de la
présente affaire reflète son changement de nom et
j'ordonnerais que l'intitulé de la cause soit doréna-
vant tel qu'il figure au début des présents motifs.
* Il n'est pas sans intérêt de noter que, dans son dernier
amendement à l'article 29 (S.C. 1980-81-82-83, chap. 104,
art. 9, sanctionné le 29 juin 1982), le législateur qualifie tout ce
qui figure à l'annexe III comme étant des «marchandises».
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