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A-34-83
Syntex Inc. et Syntex (U.S.A.) Inc. (intimées) (demanderesses)
c.
Apotex Inc. (appelante) (défenderesse)
Cour d'appel, juges Urie et Stone, juge suppléant Cowan—Toronto, 22 juin; Ottawa, 10 juillet 1984.
Marques de commerce Injonction provisoire Appel contre une injonction provisoire accordée en attendant le résul- tat de l'action en violation Le critère de la «question importante» ou de l'aapparence de droit suffisante» est-il approprié? L'appelante n'a satisfait à aucun critère En outre, l'octroi de l'injonction provisoire a eu pour effet de régler l'action d'une manière définitive Appel accueilli, injonction provisoire levée Loi sur les marques de com merce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 2, 4(1), 22(1) Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4) Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27, art. 3 Loi sur les sciences de la santé, R.S.O. 1980, chap. 196, art. 155.
L'appelante, qui fabrique des produits pharmaceutiques, ven- dait le médicament Naproxen au Canada sous sa propre marque. Afin de promouvoir ses ventes, l'appelante a distribué aux pharmaciens dans tout le Canada un prospectus d'une page avec un bon de commande détachable. Le prospectus suggérait que lorsqu'un client présentait une ordonnance de .Naprosyn», la marque de commerce utilisée par les intimées pour vendre du Naproxen, le pharmacien pourrait, sous réserve des règlements provinciaux, remplacer le produit des intimées par celui de l'appelante.
Après avoir engagé une action pour violation de la marque de commerce, les intimées ont demandé et ont obtenu une injonc- tion provisoire interdisant à l'appelante d'utiliser leur marque de commerce.
Appel est interjeté de cette décision. L'appelante soutient qu'on ne peut prétendre que le prospectus violait le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, qu'on a appliqué le mauvais critère préliminaire pour accorder l'injonction et que les intimées n'auraient pas subi un préjudice irréparable si l'injonction n'avait pas été accordée.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli et l'injonction provisoire, levée.
Sur le fondement de la décision Clairol International Corpo; ration et al. v. Thomas Supply & Equipment Company Limi ted, et al., [1968] 2 R.C.É. 552 dans laquelle il a été jugé que la présence des marques des demanderesses sur les cartes de coloris comparatives dans des brochures des défenderesses ne constituait pas un .emploi», il est difficile de voir comment l'argument d'un emploi» contraire au paragraphe 22(1) pour- rait être maintenu à l'instruction. L'argument selon lequel la présence du nom des intimées sur le prospectus de l'appelante viole le droit à l'emploi exclusif (article 19) ou équivaut à la publicité d'un produit en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion (article 20) n'est pas susceptible de convaincre un juge de première instance car la marque de commerce .Naprosyn» est de toute évidence employée de
manière à identifier le produit des intimées à des fins de comparaison.
Il reste à déterminer lequel du critère de la «question impor- tante» ou du critère plus exigeant de l'«apparence de droit suffisante» constitue le critère préliminaire approprié qui doit être appliqué dans une affaire de ce genre avant qu'une injonc- tion provisoire ne soit accordée. Il est possible que le critère de la «question importante» élaboré dans l'arrêt American Cyana- mid ne soit pas approprié dans toutes les situations, comme celle dans laquelle l'octroi d'une injonction provisoire aurait pour effet, comme c'est le cas en l'espèce, de régler l'action d'une manière définitive.
Bien que le critère de l'aapparence de droit suffisante» semble être le critère approprié qui doit être appliqué en l'espèce, de toute façon il n'y a en l'espèce ni «question importante» ni «apparence de droit suffisante» qui permette l'audition d'une demande d'injonction fondée sur la violation présumée des dispositions citées de la Loi sur les marques de commerce.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
' Clairol International Corporation et al. v. Thomas
Supply & Equipment Company Limited, et al., [1968] 2 R.C.É 552; Chisel et al. v. Rothbart et al. (1982), 39 O.R. (2d) 513 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Yule Inc. v. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al. (1977), 17 O.R. (2d) 505 (H.C.); General Mills Canada Ltd. v. Maple Leaf Mills Ltd. (1980), 52 C.P.R. (2d) 218 (H.C. Ont.); Source Perrier (Société Anonyme) v. Canada Dry Ltd. (1982), 64 C.P.R. (2d) 116 (H.C. Ont.); Tarra Communications Ltd. et al. v. Communi- comp Data Ltd. et al. (1973), 1 O.R. (2d) 682 (H.C.); Fellows & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122 (C.A.); N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.); Fruit of the Loom, Inc. c. Chateau Lingerie Mfg. Co. Ltd. (1982), 63 C.P.R. (2d) 51 (C.F. 1" inst.); Hoffman- LaRoche Ltd. v. Apotex Inc., Cour suprême de l'Ontario, juge White, 25 avril 1983 (non publiée); Smith, Kline & French Canada Ltd. v. Novopharm Ltd. (1983), 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C. Ont.); Syntex Inc. v. Novopharm Ltd. et al. (1983), 74 C.P.R. (2d) 110 (H.C. Ont.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. (1975), A.C. 396 (H.L.).
AVOCATS:
R. G. McClenahan, c.r. et R. S. Jolliffe pour les intimées (demanderesses).
W. A. Kelly, c.r. et M. Johnston, c.r. pour l'appelante (défenderesse).
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les inti- mées (demanderesses).
Fasken & Calvin, Toronto, pour l'appelante (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté contre un jugement de la Division de première instance [ordonnance en date du 23 décembre 1982, T-9100-82, non publiée] qui a accordé une injonc- tion provisoire interdisant à l'appelante, ses prépo- sés et ses mandataires, d'utiliser la marque de commerce «Naprosyn» en liaison avec la promo tion, l'emploi ou la vente de son produit. Un second appel [Smith Kline & French Canada Ltd. c. Apotex Inc.] portant le du greffe A-509-83 a été entendu en même temps que l'espèce. Dans cette affaire, la Division de première instance [ordonnance en date du 11 avril 1983, T-223-83, non publiée] a suivi la décision frappée d'appel en l'espèce et a délivré une injonction provisoire selon les mêmes modalités. Les présents motifs s'appli- queront également, dans la mesure du possible, à l'appel portant le du greffe A-509-83 et une copie en sera versée au dossier de cette affaire.
L'appelante distribue et vend des produits phar- maceutiques au Canada. Depuis le mois de juin 1974, la première intimée a distribué et vendu au Canada le médicament Naproxen sous la marque «Naprosyn». La seconde intimée est la propriétaire inscrite de la marque de commerce «Naprosyn» enregistrée sous le régime de la Loi sur les mar- ques de commerce'.
Le 30 juin 1981, le commissaire des brevets a
accordé une licence à l'appelante en vertu du paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets', lui permettant d'importer le Naproxen au Canada et de le fabriquer sous une forme pharmaceutique en vue de le vendre. En vertu de la licence, l'appelante devait verser une redevance de 4 % à la seconde intimée. Au mois d'août 1982, la direction géné- rale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a délivré à l'appelante un «avis de conformité» en vertu de la Loi des aliments et drogues' lui permettant ainsi de vendre et de distribuer le Naproxen au Canada.
' S.R.C. 1970, chap. T-10.
2 S.R.C. 1970, chap. P-4.
3 S.R.C. 1970, chap. F-27.
L'appelante a adopté le mot «Apo-Naproxen» comme marque nominale de son produit et a égale- ment enregistré une marque de commerce au Canada.
Au mois d'octobre 1982, l'appelante a distribué un prospectus d'une page aux pharmaciens travail- lant dans les hôpitaux et les pharmacies au Canada, destiné à promouvoir la vente du Naproxen sous la marque «Apo-Naproxen». La Loi interdit d'annoncer le produit au public 4 . Sur le prospectus, qui commence par les mots «le choix évident», on peut voir deux contenants de compri- més Apo-Naproxen, de format 125 mg et 250 mg avec une ordonnance sur laquelle il est écrit «Naprosyn 250 mg». Il y a ensuite le message suivant:
Les pharmaciens peuvent maintenant choisir» avant de remplir une ordonnance de Naprosyn.
Apotex est fier d'avoir de nouveau innover (sic) pour dévelop- per et distribuer un substitut aux marques de renom: Apo- Naproxen, comprimé oval biconvexe vert pâle de 125 mg estampé APO -125 et le comprimé oval biconvexe jaune de 250 mg estampé APO -250. Ces comprimés permettent de réaliser des économies importantes—sans compromis.
Maintenant offert par Apotex. Le fabricant de produits phar- maceutiques, à l'avenir le plus prometteur au Canada.
* Sous réserve des règlements provinciaux.
Les mots «offre spéciale de lancement» figurent à la droite de ce message avec des renseignements sur les prix ainsi que des adresses et des numéros de téléphone en Ontario, au Québec, en Colombie- Britannique, au Manitoba et à Terre-Neuve. Le nom de l'appelante est bien en évidence au bas du prospectus. La page est divisée par une ligne perfo- rée qui délimite un bon de commande détachable pour la commodité évidente du lecteur.
Afin de mieux apprécier le but du prospectus, il est nécessaire de comprendre la portée de certaines lois provinciales qui exigent que les ordonnances, indiquant un nom générique ou une marque, soient remplies par les pharmaciens au moyen d'un médi- cament que ces lois présument être l'équivalent thérapeutique de celui qui est prescrit. De telles lois existent sous une forme ou sous une autre dans la plupart des provinces. En 1974, la province de l'Ontario a adopté la Loi sur les sciences de la santés qui permet l'article 155] un pharma- cien de choisir et de préparer un produit équiva-
Ibid., article 3.
5 R.S.O. 1980, chap. 196.
lent, si celui-ci est inscrit dans le formulaire pro vincial à un coût inférieur à celui du médicament prescrit. Lorsqu'un médicament est prescrit sous son nom générique, le pharmacien est tenu de lui substituer un médicament thérapeutiquement équivalent moins coûteux; le pharmacien peut agir de la même façon lorsqu'il est prescrit sous un nom de marque. Les lois du Manitoba, du Nouveau- Brunswick, de Terre-Neuve et de la Saskatchewan ont un effet similaire. En Colombie-Britannique et en Alberta, les produits pharmaceutiques devien- nent thérapeutiquement équivalents lorsque la direction générale de la protection de la santé délivre un avis de conformité à l'égard d'un nou- veau médicament. Il n'existe aucune loi sur ce sujet en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince- Édouard. En vertu du régime de médicaments gratuits de l'Ontario, le gouvernement de cette province paie aux pharmaciens le prix d'un médi- cament préparé pour une personne âgée ou un bénéficiaire des prestations de bien-être social à la condition qu'il s'agisse du moins cher des produits thérapeutiquement équivalents.
Les intimées ont engagé cette action au mois de novembre 1982. Elles allèguent que, avec beau- coup d'efforts et beaucoup d'argent, elles ont acquis et conservé une clientèle et une réputation enviables relativement à leur marque de compri- més Naproxen auprès des médecins, des pharma- ciens et des consommateurs. Elles allèguent en outre que l'emploi par l'appelante de la marque de commerce «Naprosyn» met en danger la réputation et la clientèle qui y sont associées. En particulier, elles allèguent aux alinéas 12 à 15 de leur déclaration:
[TRADUCTION] 12. La défenderesse, sans la permission des demanderesses, ou de l'une d'entre elles, a, à tort et illégale- ment, employé la marque de commerce NAPROSYN dans sa publicité d'une manière générique sans l'identifier d'une manière quelconque comme la marque de commerce ou la propriété de la demanderesse Syntex (U.S.A.) Inc.
13. La défenderesse a dans ladite publicité, à tort et illégale- ment, employé la marque de commerce NAPROSYN conjointe- ment avec des déclarations fausses ou trompeuses faites aux pharmaciens dans tout le Canada, les informant qu'ils peuvent légalement remplir les ordonnances de NAPROSYN avec le produit Naproxen de la défenderesse, alors que cette pratique serait contraire aux lois de huit provinces canadiennes sur dix.
14. En raison de ses actes susmentionnés, la défenderesse a illégalement employé la marque de commerce déposée NAPRO- SYN d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle intéressée.
15. En raison de ses actes susmentionnés, la défenderesse a violé le droit de la demanderesse Syntex (U.S.A.) Inc. à l'emploi exclusif de sa marque de commerce déposée NAPRO- SYN au détriment du propriétaire inscrit et de l'usager inscrit de ladite marque de commerce et a illégalement annoncé son produit naproxen en liaison avec la marque de commerce déposée NAPROSYN.
Les intimées ont demandé à la Cour un jugement déclaratoire ainsi qu'une injonction et une injonc- tion provisoire. Dans leur avis de requête daté du 29 novembre 1982, elles ont demandé une ordonnance:
[TRADUCTION] 1. Interdisant à la défenderesse, elle-même, à ses préposés, mandataires et employés ou autrement, jusqu'à la disposition finale de la présente action
a) d'employer la marque de commerce NAPROSYN en liaison avec la promotion, l'emploi ou la vente des produits de la défenderesse;
b) d'employer toute marque de commerce des demanderes- ses, y compris la marque de commerce NAPROSYN, dans un titre, un sous-titre ou une illustration dans toute publicité ou sur tout emballage ou toute étiquette de la défenderesse;
c) de distribuer ou d'autrement employer toute publicité ou autre documentation
(i) qui vise ou emploie une marque de commerce des demanderesses, y compris la marque de commerce
NAPROSYN;
(ii) qui a pour effet de détériorer, de réduire la valeur de la clientèle reliée aux marques de commerce des demanderes- ses, y compris la marque de commerce NAPROSYN ou d'autrement en entraîner la diminution; et
(iii) qui emploie toute marque de commerce des demande- resses, y compris la marque de commerce NAPROSYN, d'une manière générique;
d) de distribuer ou d'autrement employer toute publicité ou autre documentation qui encourage, directement ou indirec- tement, la substitution d'Apo-Naproxen pour remplir une ordonnance de NAPROSYN des demanderesses
(i) dans toute province qui n'autorise pas une telle substitution;
(ii) dans toute province qui exige l'inscription dans un formulaire provincial avant de permettre une telle substi tution, tant que cette inscription n'a pas eu lieu; et
(iii) dans toute province qui interdit une telle substitution;
e) d'employer toute marque de commerce des demanderesses, y compris la marque de commerce NAPROSYN dans le cadre d'un programme ou d'un régime destiné à promouvoir la vente ou l'emploi des produits de la défenderesse au lieu et à la place de ceux des demanderesses.
Lorsqu'il a accordé une injonction provisoire le 23 décembre 1982, le juge de première instance, après avoir cité les dispositions du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, a prononcé les motifs suivants:
Les conséquences de cette disposition ont été déterminées par le juge Thurlow, tel était alors son titre, dans la décision Clairol
International Corporation et al. v. Thomas Supply & Equip ment Company Limited, et al., [1968] 2 R.C.É. 552, aux pages 569 à 576. Aucune disposition de la Loi sur les brevets n'auto- rise un preneur de licence obligatoire à s'approprier la marque de commerce du donneur de la licence ou d'autrement l'em- ployer d'une manière interdite par la Loi sur les marques de commerce.
De toute évidence, la question est suffisamment importante pour faire l'objet d'une audition et les préjudices subis par les demanderesses seront difficiles, sinon impossibles à évaluer si l'on permet à la défenderesse de continuer à présenter sa publicité actuelle. La prépondérance des inconvénients appuie la délivrance d'une injonction provisoire.
L'appelante conteste la justesse de ces conclu sions. Elle dit qu'elles sont entachées de trois erreurs distinctes. Premièrement, elle dit qu'on ne peut prétendre que le contenu du prospectus violait le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce; deuxièmement, qu'on a appliqué le mauvais critère préliminaire pour accorder l'in- jonction provisoire et troisièmement, que les inti- mées n'auraient pas subi un préjudice irréparable si l'injonction provisoire n'avait pas été ordonnée. Les intimées soutiennent que le juge de première instance a eu raison de conclure que l'appelante avait utilisé la marque de commerce «Naprosyn» dans son prospectus en contravention du paragra- phe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce et par conséquent, qu'il a à juste titre accordé l'injonction provisoire en se fondant sur le fait que [TRADUCTION] «la question est suffisamment importante pour faire l'objet d'une audition».
Ces arguments exigent un examen du paragra- phe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce dont voici le texte:
22. (1) Nul ne doit employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle intéressée.
La présence dans ce paragraphe du verbe «employer» pourrait, à première vue, étayer l'argu- ment des intimées selon lequel il y a eu violation. Par ailleurs, le substantif correspondant à ce verbe est défini à l'article 2 de la Loi:
2. Dans la présente loi
«emploi» ou «usage», à l'égard d'une marque de commerce signifie tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services;
De même, voici le texte du paragraphe 4(1) de la Loi:
4. (1) Une marque de commerce est censée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro- priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées ou si elle est, de quelque autre manière, liée aux marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
À mon avis, l'argument de l'appelante selon lequel il ne sera pas possible de démontrer à l'instruction qu'elle a violé le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce est bien fondé. Il n'est pas allégué que la présence de la marque de commerce «Naprosyn» dans le prospec tus de l'appelante est visée par la première partie du paragraphe 4(1). Ainsi, pour que leur demande d'injonction permanente fondée sur la violation du paragraphe 22(1) réussisse, les intimées devront invoquer la deuxième partie du paragraphe 4(1): «ou si elle est, de quelque autre manière, liée aux marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou posses sion est transférée.» De plus, elles devront établir qu'il y a eu emploi de la marque de commerce «d'une manière susceptible d'entraîner la diminu tion de la valeur de la clientèle intéressée.»
Voici comment les intimées ont fait valoir que le prospectus constituait un «emploi» de la marque de commerce «Naprosyn», à l'alinéa 18 de leur exposé des faits et du droit.
[TRADUCTION] 18. a) Le prospectus n'est pas simplement une annonce; il s'agit d'une «offre» de l'appelante à caractère obli- gatoire en vertu de laquelle on s'attend à ce que ses clients achètent et à ce qu'elle leur livre son produit.
b) Le bon de commande qui se trouve en bas du prospectus est le moyen par lequel le pharmacien accepte l'offre et, lorsqu'il est rempli et posté, obtient le produit.
c) Le prospectus est une partie intégrante de l'acte ou de la méthode de transfert de la propriété et de la possession et constitue l'avis de liaison visé à l'art. 4 de la Loi sur les marques de commerce.
Par conséquent, l'exposé indique qu'il y a eu «emploi» de la marque de commerce au sens du paragraphe 22(1) et que cet emploi devrait être limité.
Je peux difficilement voir comment cet argu ment pourrait être maintenu à l'instruction; toute- fois, je ne dois pas me prononcer d'une manière définitive sur le fond. Il n'est pas nécessaire dans une affaire de ce genre que les intimées démon- trent à ce stade-ci qu'elles auront gain de cause sur
ce point à l'instruction; il suffit qu'elles présentent des arguments «sérieux» ou une «apparence de droit suffisante», selon le critère applicable. Pour établir que l'appelante a employé la marque de commerce «Naprosyn» au sens de la seconde partie du paragraphe 4(1) et, par conséquent, en viola tion du paragraphe 22(1), les intimées devront démontrer que la marque de commerce est liée aux marchandises de l'appelante dans le prospectus au point qu'avis de cette liaison serait donné à la personne à qui la propriété ou possession des mar- chandises est transférée au moment du transfert. À mon avis, cette partie du paragraphe 4(1) ne doit pas être interprétée de manière isolée et il ne faut pas tenter de déterminer la signification des termes utilisés sans tenir compte du reste du paragraphe 4(1). Une marque de commerce est censée avoir été employée si, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est «apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées». Ainsi la marque peut être portée à l'attention du cession- naire d'une manière directe au moment du trans- fert, qui est le moment important. De même, pour qu'une marque soit censée avoir été employée, toute autre forme d'avis de liaison doit également être donnée à ce moment. Il se peut très bien, par exemple, qu'une marque de commerce qui figure sur un document inséré dans un emballage conte- nant les marchandises, même si elle n'est pas apposée sur l'emballage ou sur les marchandises elles-mêmes, soit visée par la seconde partie du paragraphe 4(1), mais il n'est pas nécessaire que je me prononce sur ce point.
Nonobstant le double objectif du prospectus, comme annonce et comme bon de commande, il me semble que la présence de la marque de com merce dans celui-ci n'est pas plus un «emploi» en liaison avec les marchandises de l'appelante que ne l'était la présence dés marques des demanderesses sur les cartes de coloris comparatives des brochu res des défenderesses dans l'affaire Clairol 6 . Dans cette affaire, le juge Thurlow [tel était alors son titre] a rejeté l'affirmation selon laquelle il y avait un «emploi» au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce. Il a dit (aux pages 564 et 565):
6 Clairol International Corporation et al. v. Thomas Supply & Equipment Company Limited, et al., [1968] 2 R.C.É. 552.
[TRADUCTION] Arrêtons-nous ici. Manifestement, la pré- sence des marques des demanderesses sur le colis des défende- resses constitue un emploi de ces marques »en liaison avec» les marchandises contenues dans les colis des défenderesses, au sens du paragraphe 4(1), du seul fait qu'elles sont apposées sur les colis. A mon avis, peu importe pourquoi elles l'ont été. Selon l'article 4, il s'agit seulement de savoir s'il y a liaison ou non, et cette liaison est censée exister dans les trois cas qu'il définit. Toutefois, le fait que les marques de commerce des demande- resses figurent sur les cartes de coloris comparatives des bro chures des défenderesses ne constitue pas en soi un emploi de ces marques au sens du paragraphe 4(1), car les brochures ne sont ni les marchandises elles-mêmes ni les colis dans lesquels elles sont distribuées et je considère qu'aucun avis adressé aux personnes qui achètent les marchandises des défenderesses indi- quant qu'une liaison des marques des défenderesses avec ces marchandises n'est donné, autant que je sache, dans l'emploi de la brochure ou de sa carte au moment du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises à leur acheteur.
Il me semble que les intimées auront des difficultés considérables à établir à l'instruction que la pré- sence de la marque de commerce «Naprosyn» sur le prospectus de l'appelante constitue un «emploi» contraire au paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce.
Les intimées allèguent également que les dispo sitions des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce constituent un autre fonde- ment à l'octroi de l'injonction provisoire. Il n'est pas nécessaire d'analyser cet argument en profon- deur. Essentiellement, les intimées disent que le prospectus a violé le droit exclusif du propriétaire inscrit d'employer la marque de commerce «Naprosyn» au Canada. Je ne peux accepter cet argument. Il porte que le prospectus constituait une violation présumée parce que l'appelante y annonçait ses «marchandises ... en liaison avec une marque de commerce ... créant de la confu sion» d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle attachée à cette marque. Je ne peux admettre que la présence de la marque de commerce «Naprosyn» dans le prospectus équivalait à une publicité de «Apo- Naproxen» en liaison avec une marque de com merce créant de la confusion. Ce serait ignorer la situation réelle. De toute évidence le prospectus a employé la marque de commerce «Naprosyn» de manière à identifier le produit des intimées à des fins de comparaison avec celui de l'appelante pour en promouvoir la vente. À mon avis, les intimées rencontreront encore une fois des difficultés consi- dérables pour convaincre un juge de première ins tance de la justesse de leur argument.
Passons maintenant au critère préliminaire qui doit être appliqué dans une affaire de ce genre avant qu'une injonction provisoire ne soit accordée. Le juge qui a entendu la requête a conclu que l'existence d'une «question importante» était suffi- sante. Ce critère a été élaboré en Angleterre' et a été appliqué par certains tribunaux canadiens». L'appelante soutient que ce n'est pas le critère approprié mais qu'il faudrait plutôt appliquer le critère de l'«apparence de droit suffisante»». Évi- demment, ce critère exige plus que le critère de la «question importante». On ne nous a présenté aucune jurisprudence dans laquelle il a été décidé de façon formelle lequel de ces deux critères doit être appliqué au Canada dans une affaire de ce genre. Néanmoins, mon examen de cette jurispru dence m'amène à reconnaître l'exactitude de l'in- terprétation suivante du droit, exprimée par le juge en chef adjoint de l'Ontario MacKinnon dans l'ar- rêt Chitel et al. v. Rothbart et al. 10 la page 522):
[TRADUCTION] Bien que l'arrêt American Cyanamid ait été suivi dans cette province, le juge Cory, rendant le jugement de la Cour divisionnaire dans l'affaire Yule Inc. v. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al. (1977), 17 O.R. (2d) 505, 80 D.L.R. (3d) 725, 35 C.P.R. (2d) 273 a, à juste titre, souligné que le recours doit demeurer souple et qu'il est possible que le critère élaboré dans l'arrêt American Cyanamid ne soit pas un critère approprié dans toutes les situations. Lord Diplock a lui-même fait remarquer dans l'arrêt N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 3 All E.R. 614, à la p. 625, qu'il y a des exceptions ou des restrictions à l'égard du critère:
Vos Seigneuries, rien à mon avis, dans l'arrêt de cette Chambre American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., lorsqu'il est correctement interprété, n'indique que le juge qui se demande s'il doit délivrer une injonction interlocutoire ne devrait pas accorder toute l'importance qu'elles méritent aux réalités pratiques de la situation à laquelle l'injonction doit s'appliquer. L'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. qui enjoint au juge qui entend une demande d'injonction interlocutoire de s'intéresser à la prépondérance des inconvé-
' American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. (1975), A.C. 396 (H.L.).
Voir par exemple Yule Inc. v. Atlantic Pizza Delight Fran chise (1968) Ltd. et al. (1977), 17 O.R. (2d) 505 (H.C.); General Mills Canada Ltd. v. Maple Leaf Mills Ltd. (1980), 52 C.P.R. (2d) 218 (H.C. Ont.); Source Perrier (Société Anonyme) v. Canada Dry Ltd. (1982), 64 C.P.R. (2d) 116 (H.C. Ont.).
9 Voir par exemple Tarra Communications Ltd. et al. v. Communicomp Data Ltd. et al. (1973), 1 O.R. (2d) 682 (H.C.); Fellows & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122 (C.A.); N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.); Fruit of the Loom, Inc. c. Chateau Lingerie Mfg. Co. Ltd. (1982), 63 C.P.R. (2d) 51 (C.F. l'° inst.).
10 (1982), 39 O.R. (2d) 513 (C.A.).
nients dès qu'il est convaincu de l'existence d'une question importante en litige, ne traitait pas d'une affaire dans laquelle l'octroi ou le refus d'une injonction à ce stade aurait effectivement réglé l'action d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction.
S'agit-il en l'espèce d'une affaire du genre que vise lord Diplock, à savoir une affaire «dans laquelle l'octroi ou le refus d'une injonction à ce stade aurait effectivement réglé l'action d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction»? L'avocat de l'appelante soutient qu'il s'agit d'une telle affaire. Il fonde son argu ment sur le fait que l'emploi du prospectus au cours de la période il aurait eu le plus d'effet, c'est-à-dire, avant l'inscription du «Apo-Naproxen» dans les formulaires provinciaux au cours de 1983, aurait permis de distribuer le nouveau médicament aux pharmaciens pour ainsi leur permettre de le substituer à un médicament prescrit. Il a dit qu'une fois l'inscription effectuée, l'application de la loi provinciale serait suffisante pour entraîner la substitution. Quoi qu'il en soit, je crois qu'il est révélateur que depuis le 23 décembre 1982, date à laquelle elles ont réussi à obtenir l'injonction provi- soire, les intimées n'ont pris aucune mesure pour que la présente action soit instruite. L'octroi de l'injonction provisoire me paraît avoir «réglé l'ac- tion d'une manière définitive».
Bien que je sois d'avis que le critère de l'appa- rence de droit suffisante est le critère approprié qui doit être appliqué", je conclus qu'il n'y a en l'espèce ni «question importante» ni «apparence de droit suffisante», qui permettent l'audition d'une demande d'injonction fondée sur la violation présu- mée des dispositions citées de la Loi sur les mar- ques de commerce. Ainsi, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument des intimées également fondé sur le paragraphe 22(1) de cette loi, selon lequel la marque de commerce «Napro- syn» était employée «d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clien-
" Hoffman-LaRoche Ltd. v. Apotex Inc., Cour suprême de l'Ontario, juge White, 25 avril 1983 (inédit); Smith, Kline & French Canada Ltd. v. Novopharm Ltd. (1983), 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C. Ont.); Syntex Inc. v. Novopharm Ltd. et al. (1983), 74 C.P.R. (2d) 110 (H.C. Ont.).
tèle intéressée», ou d'aborder la question du préju- dice irréparable. Je ne vois pas comment l'injonc- tion provisoire peut être maintenue.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'infirmer le jugement de première instance avec dépens et d'ordonner que l'injonction provisoire datée du 23 décembre 1982 soit levée.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris à ces motifs.
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