A-26-81
Warwick Shipping Limited (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Pratte et
juge suppléant Hyde—Montréal, 21 avril; Ottawa,
9 septembre 1983.
Pratique — Frais et dépens — Appel formé par la deman-
deresse d'une hausse des frais du Tarif B accordés à la
défenderesse au titre de l'interrogatoire préalable, de la prépa-
ration de l'instruction et de l'instruction elle-même — D'au-
tres décisions sont conformes à l'approche restrictive de l'af-
faire Smerchanski concernant ces hausses — Il n'y a pas de
règle empirique voulant que les dépens entre parties équivalent
au tiers environ des frais taxés sur la base procureur-client
quand leur hausse est justifiée — Le Tarif est là, en vigueur;
c'est le point de départ de toute hausse justifiée — Une hausse
peut être justifiée par des événements qui accroissent le coût de
l'action autres que ceux qu'envisageait l'affaire Smerchanski,
mais pas l'augmentation des frais due à la mort d'un témoin
— L'art. 2(1)b) du Tarif prévoit une compensation pour les
jours d'audition seulement — La longueur de l'instruction et
du procès trouvent une compensation dans le taux per diem —
La compensation au titre de l'interrogatoire préalable est
augmentée, l'instruction ayant été écourtée et sa valeur accrue
par les engagements pris et respectés par les avocats — La
hausse des frais de l'instruction n'est pas excessive — Rien ne
justifie l'octroi de frais distincts pour la présence d'un avocat
en second, les frais alloués au titre des avocats ayant pour but
de les indemniser tous dans un montant unique — L'impor-
tance et la complexité de cette affaire ne sont pas des raisons
qui justifient une hausse des frais d'instruction — Appel
accueilli — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Tarif B, art. 2(1 )b) (mod. par DORS/79-57, art. 37), d),e), 3.
L'action de la demanderesse, fondée sur l'échouement de son
navire, avait été rejetée. Dans une ordonnance rendue en vertu
de l'article 3 du Tarif B, la Division de première instance a
accordé à la défenderesse des frais supérieurs à ceux prévus
dans le Tarif au titre des services rendus par les procureurs et
avocats pour l'interrogatoire préalable, la préparation de l'ins-
truction et l'instruction elle-même. Au titre de l'instruction, les
frais accordés incluaient une somme en compensation des servi
ces rendus par un avocat en second bien qu'aucune demande en
ce sens n'ait été faite.
La demanderesse forme appel de l'ordonnance de condamna-
tion à ces frais.
Arrêt: l'appel est accueilli et le jugement de la Division de
première instance réformé.
Dans l'affaire Smerchanski, le juge en chef Jackett a dit que
les frais entre parties n'ont pas pour but d'indemniser intégrale-
ment la partie qui a gain de cause; il a adopté une vue
restrictive des circonstances susceptibles de justifier des
sommes supérieures à celles prévues par le Tarif B. Cette
interprétation du Tarif est bien fondée et devrait être suivie.
Dans l'arrêt Manitoba Fisheries, ni le premier juge ni la
majorité de la Cour d'appel ne s'en sont écartés. Tout ce qui a
été décidé dans l'affaire Manitoba Fisheries, c'est que, s'agis-
sant d'une cause-précédent, cela justifiait une hausse des
dépens dans le cas d'espèce. L'affaire McCain Foods est tout à
fait conforme au principe énoncé dans l'affaire Smerchanski.
En acceptant le bien-fondé d'une hausse des frais pour retard
indu de la demanderesse à se désister, causant inutilement des
frais supplémentaires à la défenderesse, la Cour d'appel, dans
l'arrêt McCain Foods, ne faisait qu'indiquer un des «facteurs
relatifs au déroulement de la procédure dont il s'agit« autori-
sant, d'après l'affaire Smerchanski, de s'écarter du Tarif.
En l'espèce, le juge de première instance semble avoir tenu
compte de deux facteurs en accordant la hausse en cause. En
premier lieu, un plus grand nombre d'avis d'experts et une
préparation de l'audition beaucoup plus élaborée que d'ordi-
naire avaient été nécessaires parce que le navire en cause avait
été envoyé à la ferraille avant que la contestation ne soit liée
entre les parties, aussi parce qu'un nombre important de
papiers de bord avaient été perdus et enfin parce que le pilote
était mort avant l'instruction. En second lieu, le juge de pre-
mière instance a apparemment été d'avis que lorsqu'une hausse
du Tarif était justifiée par la diminution de la valeur du dollar
depuis l'adoption de l'échelle tarifaire, la Cour pouvait appli-
quer la règle empirique consistant à estimer les dépens entre
parties au tiers environ des frais taxés sur la base
procureur-client.
Ce second argument est mal fondé car appliquer une règle
empirique équivaut à abandonner l'échelle du Tarif. Le Tarif
est là, en vigueur; il est le point de départ de toute hausse
envisagée.
De plus, ce n'est pas parce que la mort du pilote a accru les
frais de la défense qu'il s'ensuit que la demanderesse doit payer
des dépens plus élevés. Cependant, l'envoi du navire à la casse
au mauvais moment et la perte des papiers de bord ont accru
les frais et la demanderesse en est responsable. C'est donc à bon
droit que le premier juge y a vu une raison d'augmenter les
montants prévus au Tarif même s'il semble que ce ne sont pas
là des facteurs relatifs au déroulement de l'instance qu'envisa-
geait le juge en chef Jackett.
La somme accordée par le premier juge au titre de l'interro-
gatoire préalable est trop élevée, néanmoins une certaine hausse
du montant tarifaire à ce titre est justifiée. Comme l'alinéa
2(1)b) prévoit un montant journalier, il y a compensation par le
fait même en cas d'audience prolongée, pour les jours d'audi-
tion seulement. Par ailleurs, une audition peut être écourtée par
les engagements que prennent les avocats de fournir ultérieure-
ment les réponses que l'interrogé est incapable de donner
immédiatement. Cette pratique économise des frais et doit être
encouragée. Si le nombre de jours d'audition en est diminué,
c'est grâce à l'avocat qui s'est engagé à fournir ces réponses et à
son travail. Cette manière de procéder accroît la valeur du
temps d'audition, aussi, dans les cas où il y a lieu d'augmenter
les montants, elle justifie la hausse du montant journalier. En
l'espèce, l'interrogatoire préalable a duré dix jours, mais l'avo-
cat de la défenderesse a fourni des réponses à 150 questions;
une augmentation devrait donc être accordée.
Une augmentation du montant au titre des frais de prépara-
tion de l'instruction est justifiée aussi et celle autorisée par le
premier juge n'est pas excessive.
Cependant, aucune hausse n'aurait dû être accordée pour
l'instruction proprement dite. Aux termes du Tarif, les frais
pour services d'avocat ont pour but de réunir en un montant
unique les frais accordés pour tous les avocats dont les services
ont été retenus par une partie. L'octroi de frais distincts
séparés, parce que l'importance et la complexité de l'affaire ont
exigé la présence d'un avocat en second, n'est en rien justifié.
L'importance de l'affaire et sa complexité ne justifient pas non
plus la hausse de la somme unique allouée à ce titre. Ici encore,
l'accroissement des frais que la longueur de l'instruction a
entraîné trouve une compensation dans le taux per diem, qui
compense aussi les deux facteurs indiqués plus haut justificatifs
d'une augmentation.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Smerchanski c. Le ministre du Revenu national, [1979] 1
C.F. 801 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. c. Consolboard
Inc. (1981), 124 D.L.R. (3d) 342 (C.F. Appel); Guerin,
et autres c. La Reine, [1982] 2 C.F. 445 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Manitoba Fisheries Limited c. La Reine, [1980] 2 C.F.
217 (C.A.), confirmant [1980] 1 C.F. 36 (1" inst.);
McCain Foods Limited c. C. M. McLean Limited, [1981]
1 C.F. 534 (C.A.).
AVOCATS:
P. G. Côté et J. Gauthier pour la demande-
resse.
D. H. Aylen, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La demanderesse
forme appel d'une partie d'une ordonnance de la
Division de première instance [en date du 7 janvier
1981, T-3324-75, non publiée] qui, sur le fonde-
ment de l'article 3 du Tarif B des Règles de la
Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663], ordonnait la hausse des frais taxables au
titre des services rendus par les procureurs et
avocats pour l'interrogatoire préalable, la prépara-
tion de l'audition et l'audition elle-même, aux
termes des alinéas 2(1)b) [mod. par DORS/79-57,
art. 37], d) et e) du Tarif. Pour plus de commo-
dité, je dirai l'appelante en parlant de la demande-
resse et l'intimée en parlant de la défenderesse.
L'article 3 porte:
3. II ne doit pas être accordé, par taxation, entre parties,
d'autres sommes que celles indiquées ci-dessus; toutefois, tout
ou partie des sommes indiquées ci-dessus peuvent être augmen-
tées ou diminuées sur instructions données par la Cour dans le
jugement relatif aux dépens ou en vertu de la Règle 344(7).
Voici les extraits pertinents de l'article 2:
2. Les frais suivants peuvent être accordés, sauf instructions
contraires de la Cour:
(1) Pour les services des solicitors et conseils:
b) pour un interrogatoire préalable, la taxation des frais, la
prise d'une déposition sur commission, un renvoi ou un
contre-interrogatoire sur un affidavit (y compris la
préparation);
en classe III—$100 par journée ou fraction de journée
d'audition;
d) pour la préparation d'une audition soit devant la Division
de première instance soit devant la Cour d'appel:
en classe III—$350
e) pour l'audition elle-même soit devant la Division de pre-
mière instance, soit devant la Cour d'appel:
en classe III—$400 pour la première journée et $200 par
journée supplémentaire;
Voici les montants qu'on peut réclamer en vertu
du Tarif, ceux que l'intimée demande et ceux qu'a
accordés la Division de première instance:
Tarif Demandé Accordé
Interrogatoire préalable
poste 2(1)b) 10 jours 1 000 3 000 3 000
Préparation de l'audition
poste 2(1)d) 350 10 000 3 000
Audition
poste 2(1)e) 22 jours 4 600 13 800 13 800
Avocats en second — — 6 900
Totaux 5 950 26 800 26 700
La requête de l'intimée en hausse de la taxation
était appuyée d'un affidavit de son avocat qui
exposait en partie l'évolution du litige né de
l'échouement du navire de l'appelante, le Golden
Robin, et décrivait la tâche accomplie pour assurer
une défense à l'action de l'appelante. En outre, le
premier juge avait certainement encore à l'esprit la
plupart des faits sur lesquels on avait appelé son
attention au cours des 22 jours d'instruction de
l'action en dommages-intérêts, pour une somme de
1 286 418,69 $. Dans les motifs de l'ordonnance
attaquée, le juge dit [à la pages 2):
L'espèce était, nul n'en doute, importante non seulement du
fait des sommes en cause mais aussi en raison des points
soulevés et des difficultés fondamentales que suscitaient les
faits litigieux. Ces difficultés étaient dues à certaines circons-
tances mentionnées au troisième paragraphe de la page 3 des
motifs de mon jugement [premier paragraphe de la page 152 de
[1982] 2 C.F. 147]. Ces circonstances extraordinaires ont exigé
un plus grand nombre de témoignages d'experts que de cou-
tume et un surcroît de préparation. Plusieurs faits ont dû être
établis par des preuves indirectes et des avis d'experts alors que,
dans la plupart des affaires, ils l'auraient été par des preuves
directes.
Le Tarif statutaire des Règles doit être respecté autant que
possible. Cependant, lorsque, comme en l'espèce, des circons-
tances particulières justifieraient une hausse et lorsqu'on se
demande ce qui serait raisonnable dans ces circonstances, on
peut se rappeler qu'environ dix années se sont maintenant
écoulées depuis l'adoption de la plupart des postes du Tarif et
que la valeur du dollar a diminué de plus de 50 % dans
l'intervalle. Une méthode utile pour déterminer équitablement
des frais entre parties, lorsque le Tarif paraît si démesurément
bas, serait d'appliquer à rebours la règle empirique que les
tribunaux ont si souvent suivie pour la taxation des frais sur la
base procureur-client, et qui consiste à les fixer généralement
au triple du tarif des frais entre parties.
À la page 3 des motifs de son jugement
[[1982] 2 C.F. 147, la page 152], le juge a dit:
Plusieurs circonstances ont rendu l'établissement des faits
dans l'espèce plus difficile que d'habitude: le bâtiment a été
livré à la ferraille avant que la cause ne soit parfaitement en
état et qu'on n'ait pu déterminer la vitesse de réponse des
machines. Bon nombre de papiers et journaux de bord origi-
naux ont été perdus ou égarés et le pilote est mort avant
l'instruction. Les parties et la Cour ont donc été privées de
preuves importantes et notamment du bénéfice de l'interroga-
toire viva voce du pilote à l'instruction. Comme ce dernier avait
antérieurement été partie à l'action et avait été interrogé au
préalable, une transcription de son interrogatoire a été versée
au dossier du consentement des parties. Il était entendu que
l'interrogatoire ne devrait pas être considéré comme soumis par
l'une ou l'autre des parties en tant qu'élément de leurs preuves.
L'interrogatoire serait toutefois entièrement admissible relati-
vement à tous les points en litige, chaque partie demeurant libre
de l'invoquer, de le contredire ou d'argumenter dans le même
sens ou dans un sens contraire.
L'appelante soutient d'abord que, comme aucun
honoraire d'avocat en second n'avait été demandé,
aucun n'aurait dû être accordé et, ensuite, que la
hausse des autres montants en cause était contraire
aux principes établis en matière d'exercice du pou-
voir discrétionnaire du juge d'accroître les postes
tarifaires. L'intimée dit que la décision a été prise
dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge
de première instance et que ce pouvoir a été exercé
à bon droit dans les circonstances. Son avocat a
aussi fait valoir que l'interprétation des Règles
dans les jugements Smerchanski c. Le ministre du
Revenu national' et MacMillan Bloedel (Saska-
tchewan) Ltd. c. Consolboard Inc. 2 , de notre juri-
diction, a pour effet de stériliser le pouvoir de la
Cour de hausser les frais en fonction de l'impor-
tance de l'affaire et du travail qu'elle a exigé. Il a
cité l'espèce Manitoba Fisheries Limited c. La
Reine' où le juge de première instance aurait
ordonné au taxateur de tenir compte de ces fac-
teurs dans un jugement confirmé majoritairement
en Cour d'appel.
Dans l'affaire Smerchanski, le juge Jackett pré-
senta la chose comme suit [aux pages 805 et 806]:
Finalement, j'estime que les documents à l'appui de la pré-
sente requête n'apportent rien qui puisse donner raisonnable-
ment ouverture à l'exercice par le juge du pouvoir discrétion-
naire d'augmenter les honoraires au titre des services de
solicitors et de conseils dans le cadre du présent appel. De telles
instructions doivent s'appuyer sur des motifs pertinents et ne
pas être arbitraires. On a seulement démontré en l'espèce que
l'intimé avait reçu un compte de frais extrajudiciaires très élevé
dans le cadre du présent appel. Ce fait aurait été pertinent si les
frais avaient été adjugés sur la base procureur-client; il ne l'est
généralement pas quand il s'agit de fixer les frais entre parties.
Rien n'indique que le déroulement de l'appel justifiait une
augmentation du tarif • des frais entre parties. L'étude des
Règles pertinentes ne révèle pas l'existence de quelque principe
régissant la fixation des frais habituels entre parties. Toutefois,
il semble clair, à mon sens, que les frais entre parties ne visent
pas à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause de
ses frais extrajudiciaires. (Ce l'est à plus forte raison quand,
comme en l'espèce, la partie qui a gain de cause a choisi de
faire appel à un avocat qui exerce ailleurs qu'au lieu normal
d'audition de l'appel.)
L'avocat de l'intimé a fait référence à quatre ou cinq déci-
sions de la Division de première instance dans lesquelles le
montant des dépens prévu au tarif B a apparemment été
augmenté [TRADUCTION] «en raison surtout de l'importance du
' [1979] 1 C.F. 801 (C.A.).
2 (1981), 124 D.L.R. (3d) 342 (C.F. Appel).
' [1980] 2 C.F. 217 (C.A.), confirmant [1980] 1 C.F. 36 (1"
inst.).
travail de préparation ...u. J'hésite à admettre que le travail de
préparation à lui seul, ou doublé d'autres facteurs comme la
difficulté ou l'importance d'une affaire, justifie l'exercice du
pouvoir discrétionnaire du juge d'augmenter le montant des
frais prévus au tarif B. Il est certain, selon moi, que ces frais
sont si peu élevés par rapport aux sommes en litige dans la
plupart des cas qu'ils ne dédommagent pas intégralement la
partie qui a gain de cause des frais qu'elle a engagés dans le
litige. (De fait, en l'espèce, on demande une augmentation qui
n'indemniserait que très partiellement la partie qui a eu gain de
cause de ses frais extrajudiciaires.) Si, ainsi que je le pense, les
dépens entre parties en Cour fédérale ne sont pas destinés à
indemniser intégralement la partie à laquelle ils seront versés,
ils sont censés se limiter aux sommes tout à fait arbitraires
prévues par les règles, sous réserve des modifications autorisées
se fondant sur des facteurs relatifs au déroulement de la
procédure dont il s'agit. A mon avis, le vague principe proposé
par l'avocat de l'intimé obligerait très souvent la Cour à évaluer
des facteurs impondérables ou impossibles à définir pour adju-
ger une partie indéterminée des frais extrajudiciaires. A mon
sens, cette façon de justifier l'exercice du pouvoir discrétion-
naire prévu par le tarif B n'est pas acceptable; elle aurait
d'ailleurs pour effet de compliquer notre pratique sans raison.
[Note en bas de page omise.]
Cette interprétation me paraît bien fondée et, à
mon avis, devrait être suivie. Si les sommes pré-
vues par le Tarif ne sont plus adéquates dans les
conditions actuelles, mais que rien de ce qui justi-
fierait une hausse, selon ce qui a été proposé, n'est
présent dans le cas d'espèce, alors, à mon avis, le
Tarif doit s'appliquer non seulement quant aux
montants fixés mais aussi quant aux postes au titre
desquels il peut être accordé de tels montants.
C'est là, me semble-t-il, le sens même de l'article 3
du Tarif B.
Je souscris aussi aux vues du juge Ryan expri-
mées dans le passage suivant de son jugement dans
l'espèce MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd.
c. Consolboard Inc. [aux pages 346 et 347]:
Toutefois, il est possible aux termes de l'article 3 du tarif B de
majorer, lorsque les circonstances le justifient, les frais affé-
rents aux services fournis par les procureurs et les avocats pour
la préparation et la tenue de l'appel. Je me suis donc demandé
s'il y avait lieu de donner des directives quant aux frais
afférents aux services des procureurs et avocats en vertu de
l'article 3 du tarif. Cependant, compte tenu des remarques du
juge en chef Jackett que je viens de citer, je ne crois pas qu'il
soit possible de soutenir en l'espèce que les frais afférents aux
services des procureurs et avocats prévus au tarif devraient être
majorés sur la foi des circonstances énoncées dans l'affidavit de
M. Macklin, particulièrement dans ses paragraphes 6 et 9.
Même en supposant que bon nombre de questions techniques
ont été soulevées et débattues en appel par MacMillan Bloedel
et que les questions soulevées «défiaient ouvertement l'interpré-
tation traditionnellement donnée à la Loi sur les brevets et
constituaient une dérogation aux conditions de validité des
brevets reconnues par la profession», je suis d'avis qu'il ne serait
pas opportun de majorer les frais taxables pour cette seule
raison. A mon avis, les paragraphes 6 et 9 de l'affidavit ne sont
guère plus qu'une déclaration portant que le travail de prépara-
tion qu'a exigé l'appel était considérable et qu'il s'agissait d'un
appel difficile et peut-être important. Cependant, ce sont là des
circonstances qui, aux yeux du juge en chef Jackett, justifie-
raient difficilement l'exercice par la Cour de son pouvoir
discrétionnaire de majorer les frais prévus au tarif B.
L'avocat de Consolboard s'est appuyé en partie sur La Reine
c. Manitoba Fisheries Ltd., [1980] 2 C.F. 217, 35 N.R. 129,
arrêt dans lequel la Cour d'appel fédérale a soutenu que le fait
qu'il s'agissait en l'espèce d'une cause-précédent pouvait justi-
fier une majoration des postes pertinents du tarif. Il a soutenu
que nous sommes en présence d'une cause-précédent. Cepen-
dant, il n'y a rien dans les affidavits ou dans les témoignages
pertinents qui vienne appuyer cette thèse. De plus, aucun
élément du dossier qui serait susceptible d'étayer cet argument
n'a été porté à mon attention.
Si j'ai bien compris l'avocat de Consolboard, l'arrêt Mani-
toba Fisheries proposerait une interprétation large des mots
«... facteurs relatifs au déroulement de la procédure dont il
s'agit ...» contenus au passage précité des motifs de jugement
du juge en chef Jackett dans l'arrêt Smerchanski. Ces mots
sont tirés de la phrase suivante: «Si, ainsi que je le pense, les
dépens entre parties en Cour fédérale ne sont pas destinés à
indemniser intégralement la partie à laquelle ils seront versés,
ils sont censés se limiter aux sommes tout à fait arbitraires
prévues par les règles, sous réserve des modifications autorisées
se fondant sur des facteurs relatifs au déroulement de la
procédure dont il s'agit.» Je ne crois pas qu'il soit nécessaire en
l'espèce de fixer des limites précises à l'interprétation des mots
dont l'avocat a fait mention. Il suffit, aux fins de la présente
affaire, de signaler comme je l'ai fait précédemment que le
volume de travail qu'exige la préparation de l'affaire, sa diffi
culté ou son importance ne sont pas en eux-mêmes des éléments
sur lesquels on peut s'appuyer pour accorder des frais dont les
montants sont supérieurs à ceux prévus au tarif.
Dans l'arrêt Manitoba Fisheries, la majorité de
la Cour [d'appel] conclut que l'instance était une
cause-précédent, et que cela avait augmenté les
frais. Comme, en outre, cette cause avait permis le
règlement amiable de plusieurs autres demandes
fondées sur le même fait (l'éviction des affaires par
la Couronne de certaines compagnies de traite-
ment de poissons) cette hausse était justifiée. Telle
avait été l'opinion du juge de première instance et
le motif de sa directive ordonnant l'augmentation
des montants de certains postes du tarif. Il dit à la
page 49:
A mon avis, la requérante a droit à la taxation de frais plus
élevés que ceux prévus en classe III du tarif B. Cette conclusion
est fondée sur le fait qu'il s'agit ici d'une cause-précédent et sur
l'accroissement des responsabilités et du travail qui en a
découlé.
Certaines autres raisons avancées par l'avocat
de la demanderesse pour justifier la hausse des
dépens ont été rejetées. Les directives spéciales
données ultérieurement, portant sur les éléments
dont devait tenir compte l'officier taxateur, avaient
pour cause le fait qu'aucun montant n'avait été
précisé dans l'affidavit décrivant les travaux effec-
tués par les avocats dans cette affaire. Je ne vois
pas dans les motifs du juge de première instance ni
dans ceux de la majorité de la Cour d'appel la
justification d'une dérogation à la règle énoncée
dans l'affaire Smerchanski. Les décisions, dans
cette affaire, consistent simplement à dire que les
frais relatifs à l'audience étaient plus élevés parce
qu'il s'agissait d'une cause-précédent et que ce fait
justifiait une hausse des dépens dans le cas
d'espèce.
Les avocats ont aussi appelé notre attention sur
le jugement McCain Foods Limited c. C. M.
McLean Limited 4 dans lequel la Cour a reconnu
que le retard indu de la demanderesse à se désister,
ce qu'elle n'a fait que peu de temps avant l'instruc-
tion, avait été la cause inutile des frais supplémen-
taires que la défenderesse avait dû engager pour se
préparer à l'instruction et pouvait être pris en
compte par la Division de première instance dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'ordon-
ner l'augmentation des dépens taxables. Cela me
paraît tout à fait conforme au principe énoncé par
le juge en chef Jackett dans l'affaire Smerchanski
lorsqu'il évoque les «facteurs relatifs au déroule-
ment de la procédure dont il s'agit».
En l'espèce, les motifs du premier juge semblent
indiquer qu'en accordant les hausses en cause il a
tenu compte:
1. Des difficultés fondamentales apparues lors
de la préparation de la défense en raison:
a) de l'envoi du Golden Robin à la ferraille
avant que la contestation ne soit liée entre les
parties, notamment le litige sur la rapidité de
réponse des machines,
b) du nombre important de papiers de bord
qui avaient été perdus ou égarés,
c) de la mort du pilote avant l'instruction;
Ces facteurs avaient exigé le recours à un plus
grand nombre d'avis d'experts et une plus
longue préparation de l'audition;
4 [1981] 1 C.F. 534 (C.A.).
2. Quand une hausse du tarif est justifiée, par la
diminution de la valeur du dollar depuis l'adop-
tion de l'échelle tarifaire, la règle empirique
appliquée consiste à estimer les dépens entre
parties au tiers environ des frais taxés sur la
base procureur-client.
En toute déférence, je ne puis souscrire à ce
raisonnement. Je ne vois aucune raison de principe
ou de droit d'appliquer une règle empirique pour
écarter l'échelle du Tarif B et compenser l'inci-
dence de l'érosion de la valeur du dollar depuis
l'adoption de cette échelle. Le Tarif, à mon avis,
est là et constitue le point de départ de tout
examen des hausses envisagées 5 . De plus, l'aug-
mentation des frais de défense, parce que le pilote
est mort avant l'instruction, ne saurait justifier
l'augmentation des frais entre parties que l'appe-
lante doit payer. À mon avis, ces motifs ne suffi-
sent pas à justifier l'exercice par le premier juge de
son pouvoir discrétionnaire.
Par ailleurs, si l'envoi du navire à la casse peu
après l'échouement et avant que la contestation ne
soit liée, de même que la perte des papiers de bord,
ne sont pas des facteurs relatifs au déroulement de
l'instance, au sens qu'envisage apparemment le
juge en chef Jackett dans l'affaire Smerchanski, ce
sont néanmoins des événements qui ont accru le
coût de la défense à l'action que l'appelante a
engagée et dont l'appelante est responsable. À mon
avis donc, le premier juge pouvait à bon droit y
voir une raison d'augmenter les montants prévus
au Tarif B.
Cela étant, et bien que, selon moi, la Cour
puisse à son choix substituer sa propre opinion sur
la hausse à ordonner ou renvoyer l'affaire en Divi
sion de première instance, il s'agit, je pense, d'une
espèce où la Cour devrait rendre le jugement que
la Division de première instance aurait dû, selon
elle, prononcer.
5 Voir le jugement du juge Collier dans Guerin, et autres c.
La Reine du 11 août 1981, non publié [maintenant publié:
[1982] 2 C.F. 445 (1fe inst.), à la page 454].
Sans doute les tarifs de la Cour fédérale, établis en 1971,
sont, à cause de la hausse considérable de l'inflation et du
coût de la vie durant les 10 dernières années, fort bas. Le
remède consiste, à mon avis, à hausser les tarifs, non à
permettre des hausses arbitraires dans chaque cas d'espèce
afin de compenser les hausses inflationnistes et économiques
du passé.
Traitons d'abord de l'interrogatoire préalable;
comme le poste (1)b) du Tarif prévoit un montant
journalier, il permet une compensation par le fait
même en cas d'audience prolongée, pour les jours
d'audition seulement. Par ailleurs, une audition
peut souvent être écourtée par les engagements
que prennent les avocats de fournir les réponses
que l'interrogé est incapable de donner immédiate-
ment. Cette pratique économise des frais à mon
avis et doit être encouragée. Si le nombre de jours
d'audition en est diminué, c'est grâce à l'avocat qui
s'est engagé à fournir ces réponses et à son travail.
Cette manière de procéder accroît, je pense, la
valeur du temps d'audition pour les parties, aussi,
dans les cas où il y a lieu d'augmenter les mon-
tants, elle justifierait, à mon avis, la hausse du
montant journalier. En l'espèce, l'interrogatoire
préalable a duré dix jours. Mais l'affidavit montre
que l'avocat de l'intimée s'était engagé à fournir,
et a effectivement fourni, des réponses à 150 ques
tions de l'appelante. Dans ces circonstances, j'or-
donnerais que les frais de l'interrogatoire préalable
soient calculés à 200 $ par jour pour chacun des
dix jours d'audition.
Compte tenu des raisons qui justifient, selon
moi, une hausse des frais, je ne pense pas que
l'augmentation des montants accordés au titre des
frais de préparation de l'audition, de 350 $ à
3 000 $, autorisée par le premier juge soit excessive
dans le cas d'espèce; je la confirmerais donc.
Aux termes du Tarif B, les frais alloués pour
services d'avocat ont, à mon avis, pour but de
réunir en un montant unique, calculé sur une base
quotidienne, les frais accordés pour tous les avo-
cats dont les services ont été retenus par une
partie. Rien ne justifie l'octroi de frais distincts ou
séparés parce que l'importance et la complexité de
l'affaire a exigé la présence d'un avocat en second
aux côtés de l'avocat responsable du dossier, pen
dant toute l'instruction. L'importance de l'affaire,
sa complexité, ne justifient pas non plus une
hausse de l'échelle statutaire. L'accroissement des
frais découlant de la longueur de l'instruction
trouve une compensation dans le taux per diem. A
mon avis, cela compense les deux facteurs qui,
comme je l'indiquais plus haut, justifiaient une
hausse des frais en l'espèce. Je fixerais donc les
frais d'avocats à 4 600 $.
Donc, j'accueillerais l'appel avec dépens, je
réformerais la directive de la Division de première
instance et j'ordonnerais que les montants prévus
aux alinéas 2(1)b), d) et e) du Tarif B soient taxés
et fixés respectivement à 2 000 $, 3 000 $ et
4 600 $.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris à ces
motifs.
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