A-1879-83
New Brunswick Broadcasting Co., Limited (appe-
lante)
c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes (intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et Ryan—Toronto, 23 et 24 mai; Ottawa, 27 juillet
1984.
Radiodiffusion — Le CRTC a limité le renouvellement des
licences de radiodiffusion d'un propriétaire de quotidiens —
Cette décision reposait sur les instructions données par décret
pris en vertu des art. 27(1) et 22(1)a)(iii) de la Loi et limitant
le pouvoir du CRTC de délivrer ou de renouveler des licences
aux propriétaires de quotidiens distribués dans la zone de
radiodiffusion — Les instructions sont-elles illégales parce
qu'elles ont été données non pas aux fins de l'art. 3 de la Loi
mais pour une fin étrangère? — La politique de radiodiffusion
exposée à l'art. 3 ne comporte pas toutes les fins de la Loi —
Le pouvoir prévu à l'art. 27(1) peut être exercé pour une raison
valable de politique publique, qu'elle soit ou non exposée à
l'art. 3 — Les instructions ne réglementent pas la concentra
tion de la propriété des journaux — Déterminer les classes de
personnes ayant le droit de faire usage de fréquences revient à
«réglementer et surveiller tous les aspects du système de la
radiodiffusion canadienne» - Loi sur la radiodiffusion,
S.R.C. 1970, chap. B-11, art. 3a),b), 15, 17, 22(1)a)(iii), 26
(mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65), 27(1),(2)
— Instructions au CRTC sur l'attribution et le renouvellement
limités des licences de radiodiffusion, DORS/82-746.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Radiodiffu-
sion — Le renouvellement des licences de radiodiffusion de
l'appelante est limité conformément aux instructions au CRTC
interdisant aux propriétaires de journaux de contrôler les
entreprises de radiodiffusion de la même zone de marché — Le
droit de l'appelante de jouir de ses biens et de ne s'en voir
privée que par l'application régulière de la loi aurait été violé
— L'appelante a-t-elle droit à une audition quant aux ins
tructions? — Il n'existe aucun droit acquis ni aucun autre
droit de propriété dans le renouvellement des licences — La
possibilité d'un renouvellement pour une plus longue période,
et non le droit au renouvellement, est réduite — Les instruc
tions ont une portée et une application générales et ne visaient
pas l'appelante en particulier — Le pouvoir que le gouverneur
en conseil tient des art. 27(1) et 22(1)a)(iii) de la Loi sur la
radiodiffusion est de nature législative — Les tribunaux ne
donnent pas le droit à une audition aux personnes qui subiront
probablement des inconvénients en raison de l'exercice du
pouvoir législatif — L'art. 27 ne prévoit pas la possibilité
d'une audition — Déclaration canadienne des droits, S.R.C.
1970, Appendice III, art. la), 2e) — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d'ex-
pression — Le CRTC a limité le renouvellement des licences
de radiodiffusion de l'appelante — Cette décision reposait sur
les instructions du gouverneur en conseil interdisant à une
personne ou à un groupe de personnes de contrôler divers
moyens de communication dans la même zone de marché —
L'appelante et le public sont-ils privés du droit à la liberté
d'expression sous le régime de l'art. 2b) de la Charte? — La
liberté de communiquer des idées sans restriction aucune ne
comporte pas la liberté de faire usage d'un bien privé ou public
pour le faire — Les fréquences sont du domaine public — La
liberté qu'a l'appelante de radiodiffuser n'est pas refusée,
parce qu'elle peut acheter le temps d'émission à une station
titulaire de licence pour diffuser ses informations — Le public
n'a pas droit au service de radiodiffusion de l'appelante — Il
n'est pas nécessaire de recourir à la disposition restrictive de la
Charte pour justifier le système d'octroi de licences — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2b).
Preuve — Recevabilité — Un propriétaire de journaux
conteste la décision par laquelle le CRTC a limité le renouvel-
lement des licences de télédiffusion — La décision reposait sur
les instructions données au CRTC par le gouverneur en conseil
— Les instructions ont été données à la suite d'un rapport
établi par une commission royale sur l'industrie des quotidiens
— La légalité des instructions est mise en question — Le
rapport est admissible à titre de preuve du contexte dans
lequel le décret a été pris — Le discours prononcé devant les
étudiants par le Ministre responsable de la réponse du gouver-
nement est également recevable — Ce discours expose mieux
les motifs du gouverneur en conseil — Recevable au même
titre que la brochure du gouvernement examinée dans le
Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion
Act, [19841 1 R.C.S. 297.
L'appelante conteste, au moyen d'un appel sous le régime de
l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion et d'une demande de
contrôle judiciaire, la décision par laquelle le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC)
a limité le renouvellement de ses licences de télédiffusion.
L'appelante est une filiale en propriété exclusive de New Bruns-
wick Publishing Company, Limited, une société Irving qui
publie deux quotidiens à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick).
L'appelante est également propriétaire d'une station de télédif-
fusion à Saint-Jean. En rendant sa décision, le CRTC a tenu
compte des instructions qu'il a reçues et qui se trouvent dans un
décret pris en application du paragraphe 27(1) et du sous-ali-
néa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la radiodiffusion. Les instruc
tions restreignent le pouvoir du CRTC de délivrer ou de
renouveler des licences de radiodiffusion aux personnes qui
possèdent ou contrôlent des quotidiens distribués dans la zone
de radiodiffusion. A été produit en preuve un rapport diffusé à
la suite de l'institution d'une commission royale pour faire un
examen général de la situation dans l'industrie des quotidiens,
en particulier en ce qui a trait à la concentration de la propriété
et du contrôle de cette industrie. On a produit un autre élément
de preuve qui consiste dans un discours prononcé devant les
étudiants de l'Université Western Ontario par le Ministre
responsable de la réponse du gouvernement au rapport de la
Commission royale. L'appelante fait valoir que les instructions
étaient illégales et nulles parce que: (1) elles visent une fin
autre que celles que permet l'article 3 de la Loi sur la radiodif-
fusion et, par conséquent, une fin illégale; (2) elles privent
l'appelante et le public du droit, que prévoit l'alinéa 2b) de la
Charte, à la liberté d'expression y compris à la liberté de la
presse et des autres moyens de communication; (3) elles privent
l'appelante du droit que lui accorde l'alinéa la) de la Déclara-
tion des droits à la jouissance de ses biens et du droit de ne s'en
voir privée que par l'application régulière de la loi.
Arrêt: l'appel et la demande d'examen sont rejetés.
(1) Recevabilité en preuve du rapport établi par la Commis
sion royale et du discours ministériel
Eu égard aux objections de l'appelante face aux instructions,
le rapport est admissible à titre de preuve de la situation et du
contexte dans lesquels le décret a été pris.
Quant au discours, la tentative par l'intimé de le classer
parmi les discours faits par les députés et qui sont donc
irrecevables pour établir l'intention de la loi échoue. Ce dis-
cours vient bien plus exposer les motifs du gouverneur en
conseil lors de l'adoption du décret et s'apparente, à titre de
preuve admissible, à la brochure du gouvernement intitulée
«The Energy Priority of Newfoundland and Labrador» exami
née par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la
Upper Churchill Water Rights Reversion Act.
(2) La question relative au but illégal
Certes, la politique exposée à l'article 3 de la Loi sur la
radiodiffusion semble régir et limiter les objectifs que le CRTC
doit réaliser; mais cette politique ne comporte pas toutes les fins
de la Loi. Pour une raison valable de politique publique, qu'elle
soit ou non prévue à l'article 3, le gouverneur en conseil peut
exercer le pouvoir, que confère le paragraphe 27(1), de donner
des instructions sous le régime du sous-alinéa 22(1)a)(iii),
interdisant le renouvellement de licences à des catégories parti-
culières de personnes. Ne pas reconnaître à ce pouvoir la
faculté de faire la différence, pour des motifs de politique
publique, entre des classes particulières de Canadiens revient à
nier à ce pouvoir toute portée pratique. En conséquence, on ne
saurait affirmer que les instructions n'ont pas été données pour
une fin de la Loi.
On ne saurait affirmer non plus que les instructions ont été
données dans la seule fin de réglementer la propriété et le
contrôle des journaux. Par leur formulation, il s'agit d'instruc-
tions relatives à des personnes qui ne peuvent détenir des
licences de radiodiffusion. En fait, ces instructions ne font que
restreindre les catégories de personnes qui peuvent être titulai-
res de ces licences. Rien dans leur formulation ne réglemente
ou bien la concentration de la propriété de quotidiens ou bien
les propriétaires de quotidiens.
Même si cette interprétation n'est pas la bonne, la contesta-
tion de l'appelante doit quand même échouer, parce que de
telles instructions relèvent de la politique énoncée à l'article 3
et, par conséquent, correspondent aux fins que vise la Loi. Le
pouvoir que le gouverneur en conseil tient du paragraphe 27(1)
et du sous-alinéa 22(1)a)(iii) est assez large pour lui permettre
de décider qui ou quelles catégories de personnes ou sociétés
devraient obtenir des licences pour faire usage de fréquences
qui sont, en vertu de l'alinéa 3a), du domaine public. Exercer ce
pouvoir revient à .réglementer et surveiller tous les aspects du
système de la radiodiffusion canadienne» dont font partie, en
vertu de l'alinéa 3a), les entreprises de radiodiffusion au
Canada.
(3) La question relative à la Charte des droits
L'argument de l'appelante reposant sur une allégation de
violation de l'alinéa 2b) de la Charte confond la liberté garantie
par la Charte avec le droit de faire usage d'un bien. La liberté
garantie par la Charte est une liberté d'exprimer et de commu-
niquer des idées sans restriction aucune, que ce soit verbale-
ment, par publication ou par d'autres moyens de communica
tion. Il ne s'agit pas d'une liberté d'utiliser le bien d'autrui pour
le faire. Elle ne donne pas à une personne le droit de faire usage
de fréquences qui, avant la promulgation de la Charte, avaient
été déclarées par le législateur être du domaine public et étaient
soumises au régime de licences prévu à la Loi sur la radiodif-
fusion. La liberté qu'a l'appelante de radiodiffuser ce qu'elle
désire communiquer ne serait pas refusée par le rejet d'une
demande de licence: comme n'importe qui, elle aurait la même
liberté de diffuser ses informations en achetant le temps d'émis-
sion à une station titulaire de licence. La Charte ne confère pas
non plus au reste du public le droit à un service de radiodiffu-
sion que doit fournir l'appelante. Qui plus est, la liberté garan-
tie par l'alinéa 2b) ne comportant pas le droit pour une
personne d'utiliser le bien d'autrui ou un immeuble public, dont
l'utilisation est régie par une loi, il n'est pas nécessaire de
recourir à la disposition restrictive de l'article 1 de la Charte
pour justifier le système d'octroi de licences établi par la Loi.
(4) La question relative à la Déclaration canadienne des
droits
Tout d'abord, il s'agit de déterminer si l'appelante peut, à
juste titre, invoquer la Déclaration des droits.
Bien que le mot «individu» à l'article 1 de la Déclaration ne
vise pas une société, il n'y a aucune raison de conclure qu'une
société ne possède pas en vertu de la common law le droit de
jouir de ses biens et le droit de ne s'en voir privée que par
l'application régulière de la loi. De même, il n'y a pas lieu de
conclure que le mot «personne» utilisé à l'alinéa 2e) de la
Déclaration, qui porte sur le droit à une audition impartiale, ne
saurait viser une société chaque fois que l'objet de la disposition
dans laquelle il se trouve peut s'appliquer à des sociétés.
Compte tenu de ce qui précède, l'appelante avait-elle droit à
une audition pour faire valoir les raisons pour lesquelles les
instructions n'auraient pas dû être émises? La réponse doit être
négative. L'appelante ne possédait aucun droit acquis ni autre
droit de propriété lui permettant d'obtenir que ses licences
soient renouvelées. Les instructions ne font que réduire de
simples possibilités: les possibilités qu'avait l'appelante d'obte-
nir un renouvellement pour une période plus longue que celle
accordée en réalité. Le dossier soumis à la Cour ne permet pas
d'accueillir l'argument de l'appelante selon lequel elle était
forcée de vendre sa station de radiodiffusion. Il ressort des
instructions qu'elles ne visent personne en particulier, mais
qu'elles ont une portée et une application générales, et rien dans
le dossier n'indique qu'elles ne s'appliquent qu'à la situation de
l'appelante ou qu'elles ont été appliquées à celle-ci seulement.
Le pouvoir que confèrent au gouverneur en conseil le para-
graphe 27(1) et le sous-alinéa 22(1)a)(iii) n'est par sa nature ni
judiciaire, ni quasi judiciaire, ni administratif. Il s'agit d'un
pouvoir de nature législative. Il autorise la prise de décrets pour
donner au CRTC des instructions concernant les classes de
requérants auxquels les licences ne peuvent être accordées, et le
libellé de ces articles ne limite pas ce pouvoir en indiquant les
motifs pour lesquels certaines classes particulières de requé-
rants peuvent être exclues. De plus, le paragraphe 27(2) exige
qu'un décret pris conformément au paragraphe 27(l) doive être
publié immédiatement dans la Gazette du Canada et déposé
devant le Parlement. Cela donne au Parlement la possibilité
d'examiner les instructions et d'annuler ou de modifier celles-ci
s'il estime approprié de le faire. Les tribunaux n'ont pas
jusqu'ici donné le droit à une audition aux personnes qui
subiront probablement des inconvénients en raison de l'exercice
du pouvoir législatif. Finalement, rien dans l'article 27 ne
prévoit qu'il faut accorder à un membre d'une classe ou à uné
classe de requérants la possibilité de se faire entendre. '
JURISPRUDENCE
DECISIONS SUIVIES:
Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Rever
sion Act, [1984] 1 R.C.S. 297; Procureur général du
Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2
R.C.S. 735.
DECISION APPLIQUÉE:
Bates v. Lord Hailsham of St. Marylebone, et al., [1972]
1 W.L.R. 1373 (Ch.D.).
DECISIONS CITÉES:
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre,
[1983] 1 R.C.S. 106; Regina v. Colgate Palmolive Ltd.
(1971), 5 C.P.R. (2d) 179 (G.S.P. Ct.).
AVOCATS:
J. Edgar Sexton, c.r. et Ronald G. Atkey, c.r.,
pour l'appelante.
Jean L. Doucet pour l'intimé.
Derek H. Aylen, c.r. et David Sgayias pour le
procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La Cour est
saisie d'une procédure conjointe comprenant un
appel formé en vertu de l'article 26 de la Loi sur la
radiodiffusion [S.R.C. 1970, chap. B-11 (mod. par
S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 65)] et une
demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10].
L'appel et la demande d'examen attaquent tous
deux une décision du Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes [CRTC] ,
en date du 11 août 1983, qui limite le renouvelle-
ment des licences de télédiffusion de l'appelante et
de ses stations réémettrices à une période prenant
fin le l er janvier 1986. Il est constant que, n'eût été
des instructions au Conseil données par décret en
date du 29 juillet 1982 qui sont censées avoir été
prises conformément à l'article 22' de la Loi sur la
radiodiffusion et dont le Conseil a tenu compte en
prenant sa décision, la période pour laquelle le
renouvellement des licences a été accordé par le
Conseil aurait été au moins un peu plus longue,
bien que, d'après les motifs de la décision, ce
renouvellement n'aurait pas été accordé pour toute
la période de cinq ans pour laquelle la Commission
a, en vertu de l'article 17, le pouvoir d'accorder ou
de renouveler les licences de radiodiffusion.
L'appelante prétend que les instructions étaient
illégales et nulles et que le Conseil n'aurait pas dû
en tenir compte parce que:
(1) elles visent une fin autre que celles que
permet la Loi sur la radiodiffusion et, par
conséquent, une fin illégale;
(2) elles privent l'appelante et le public du droit
à la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et
d'expression, y compris la liberté de la presse et
des autres moyens de communication que pré-
voit l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)];
(3) elles privent l'appelante du droit que lui
accorde l'alinéa la) de la Déclaration cana-
dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice Ill]
à la jouissance de ses biens et du droit de ne s'en
voir privée que par l'application régulière de la
loi.
' 22. (1) Aucune licence de radiodiffusion ne doit être attri-
buée, modifiée ou renouvelée en conformité de la présente
Partie
a) en contravention d'instructions données au Conseil par le
gouverneur en conseil sous l'autorité de la présente loi
concernant
(iii) les classes de requérants auxquels des licences de
radiodiffusion ne peuvent être attribuées ou auxquels des
modifications ou des renouvellements de ces licences ne
peuvent être accordés, et une telle classe peut, nonobstant
l'article 3, être restreinte de façon à ne pas rendre impossi
ble la modification ou le renouvellement d'une licence de
radiodiffusion en vigueur le l W avril 1968; et
27. (1) Le gouverneur en conseil peut, à l'occasion, par
décret, émettre des instructions à l'intention du Conseil comme
le prévoient le paragraphe 18(2) et l'alinéa 22(1)a).
La question principale à l'origine du litige est
que l'appelante est une filiale en propriété exclu
sive de New Brunswick Publishing Company,
Limited, une société dont James K. Irving, Arthur
L. Irving et K. C. Irving Limited sont propriétaires
et qui publie deux quotidiens à Saint-Jean (Nou-
veau-Brunswick). Les instructions, dont le texte est
cité ci-après [à la page 420], restreignent le 'pou-
voir de la Commission de délivrer des licences de
radiodiffusion aux personnes qui possèdent ou con-
trôlent des quotidiens distribués dans la zone de
radiodiffusion.
La station de télédiffusion de l'appelante,
CJCH-TV, a commencé à faire de la télédiffusion
le 22 mars 1954. Elle était la deuxième station de
télédiffusion privée de langue anglaise à recevoir
une licence de télédiffusion. Ses licences de télédif-
fusion ont été successivement renouvelées depuis,
lui permettant ainsi d'offrir quelque 30 ans de
service de télédiffusion sans interruption. Elle
emploie environ 104 personnes et, par le truche-
ment de sa station CHSJ-TV de Saint-Jean, qui
est une station affiliée de la Société Radio-
Canada, et de ses stations réémettrices, elle offre
les services du réseau de télévision de langue
anglaise de Radio-Canada à toute la province du
Nouveau-Brunswick et à certaines parties de la
Nouvelle-Écosse et de l'Ïle-du-Prince-Edouard. On
évalue à environ 100 000 le nombre des téléspecta-
teurs de CHSJ-TV et de ses stations réémettrices.
Radio-Canada se réserve environ la moitié des
heures de diffusion de CHSJ-TV pour ses émis-
sions et produit la majorité des émissions d'infor-
mation et d'affaires publiques offertes par
CHSJ-TV. L'appelante a investi de très grosses
sommes dans les installations de transmission et
l'équipement accessoire à la radiodiffusion ainsi
que dans les locaux où sont situés l'équipement et
les bureaux requis pour l'exploitation de ce service.
Les propriétaires de l'appelante ne veulent pas
abandonner l'exploitation de leur service de télé-
diffusion. Ils ne veulent pas non plus se défaire de
leur entreprise de publication de quotidiens. Par
ailleurs, il ressort d'événements passés mentionnés
au dossier de même que de l'opposition formée par
l'Association des consommateurs du Canada et par
d'autres personnes contre le renouvellement des
licences de télédiffusion de l'appelante, que tout le
monde n'est pas convaincu qu'il est bon que plu-
sieurs formes de moyens de communication dans
un même marché soient contrôlées par une seule
personne ou un seul groupe de personnes.
À la suite de la fermeture simultanée le 27 août
1980 de l'Ottawa Journal et du Winnipeg Tribune,
une commission royale a été instituée pour faire un
examen général de la situation dans l'industrie des
quotidiens au Canada, en particulier en ce qui a
trait à la concentration de la propriété et du
contrôle de cette industrie. La Commission et son
rapport tirent leur nom du président de la Com
mission, M. Tom Kent. Le rapport a été soumis
par l'avocat de l'appelante à l'audition et a été
versé au dossier à partir duquel le litige sera
tranché sans objection de l'intimé quant à son
admissibilité ou à l'opportunité de le soumettre.
Le rapport propose l'adoption d'une loi sur les
journaux du Canada pour assurer à la presse cana-
dienne «la liberté qui est essentielle au règne de la
démocratie». Les principales caractéristiques de la
loi proposée comprendraient ce qui suit:
(1) Elle interdirait toute nouvelle concentration importante de
la propriété et du contrôle des quotidiens, et de la propriété
concomitante de ces journaux et d'autres média.
(2) Elle corrigerait les problèmes de concentration les plus
graves qui existent actuellement.
Le rapport comporte également le passage
suivant:
Dans le cas du Nouveau-Brunswick, l'esprit de la Loi sur les
journaux que nous proposons exigerait que les intérêts Irving se
départissent soit de leurs journaux couplés de Saint-Jean, soit
de leurs journaux analogues de Moncton. Ils seraient également
obligés, en vertu des prescriptions interdisant la propriété de
différents média, de faire un choix entre leurs journaux de
Saint-Jean et leurs stations de radio et de télévision.
Eu égard aux objections de l'appelante face aux
instructions, le rapport de la Commission est, à
mon avis, admissible à titre de preuve de la situa
tion et du contexte dans lesquels le décret a été
pris.
L'appelante a également soumis en preuve un
exemplaire d'un discours que le ministre Jim Fle-
ming, responsable de la réponse du gouvernement
à la Commission royale sur les quotidiens, a pro-
noncé le 25 mai 1982 l'École des études supé-
rieures en journalisme de l'Université Western
Ontario. Ce discours s'intitule «Propositions du
gouvernement concernant la liberté de la presse et
la situation des quotidiens canadiens». Il a été
admis malgré l'objection de l'intimé et a été versé
au dossier, quelle que soit la valeur probante qu'on
voudra bien lui reconnaître.
Le discours, qui compte quelque huit pages,
comprend ce qui suit:
En considérant l'industrie des quotidiens au Canada, je me
suis attardé à trois grands principes:
— Premièrement, les quotidiens constituent un secteur à part.
Ils nous offrent une relation écrite de l'actualité. Seuls
parmi les média, ils nous informent quotidiennement et en
profondeur sur les événements de l'heure.
— Deuxièmement, la diversité des sources d'information est
l'une des assises de la démocratie.
— Troisièmement, la concentration de la presse entre les
mains d'une puissance, publique ou privée, est une question
capitale qui doit nous préoccuper au plus haut point.
Après avoir examiné la situation de l'industrie des quotidiens
au Canada à la lumière de ces trois grands principes, les
membres du Cabinet ont conclu à la nécessité d'une interven
tion gouvernementale afin de protéger la liberté de la presse au
Canada contre toute atteinte ou ingérence.
D'aucuns ont exprimé l'avis que toute intervention gouverne-
mentale constituerait une menace pour la liberté de la presse.
Certes, le gouvernement doit à tout prix éviter de s'ingérer, ou
de paraître s'ingérer, d'une manière qui porte atteinte à la
liberté rédactionnelle. Par contre, il serait tout aussi malavisé
de ne pas réagir face à une concentration qui serait de nature à
compromettre la liberté de la presse. Arrive un moment où le
gouvernement se doit d'intervenir s'il ne veut pas être associé
par sa négligence à une action qui aboutit à l'érosion de la
liberté de la presse.
Les propositions que je vais vous exposer aujourd'hui sont
destinées à faire en sorte que le gouvernement assume ses
responsabilités par l'entremise du législateur, puis qu'il laisse
les choses suivre leur cours. En somme, ce que nous voulons,
c'est garantir la liberté de la presse en évitant la concentration
de celle-ci aux mains d'une puissance, publique ou privée, et les
mesures d'intimidation qui pourraient en découler.
On demandera au Parlement d'adopter une loi sur les quoti-
diens et de modifier des lois existantes afin d'interdire à un seul
propriétaire de prendre le contrôle, par l'achat ou la fusion, de
quotidiens dont le tirage total dépasserait 20 p. 100 du tirage
moyen des quotidiens au Canada. Cette limite ne sera pas
rétroactive pour les deux propriétaires qui l'excèdent déjà, mais
elle les empêchera d'acheter d'autres journaux tant que le
tirage de leurs quotidiens sera supérieur au seuil de 20 p. 100.
Cette mesure législative n'entravera pas un accroissement du
tirage des quotidiens qu'un propriétaire possède déjà.
Après avoir décrit d'autres caractéristiques de la
législation proposée et du système institué sous son
régime, le Ministre a poursuivi:
Au-delà de ces mesures législatives, le Cabinet a donné son
accord pour que le gouverneur en conseil ordonne au Conseil de
la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC) lors de l'étude du renouvellement ou d'une demande
de licences d'interdire aux quotidiens d'acquérir le contrôle de
sociétés détentrices de licences de radiodiffusion fédérales dans
la même région.
Cette interdiction ne serait levée que lorsqu'il irait de l'inté-
rêt du public ou que les conséquences entraînées par son
maintien occasionneraient aux intéressés des difficultés excep-
tionnelles. Les restrictions concernant le cumul de propriété
dans une région donnée tiendraient également compte de la
concurrence existante et de la prédominance d'un grand groupe
de presse dans la région; la décision en cette matière relèverait
également du CRTC.
Bref, la décision du Cabinet signifie sauf dans des cas précis,
qu'une société ne sera pas autorisée à contrôler un quotidien
ainsi qu'une station de radio ou de télévision dans la même
région. Bien sûr, étant donné la nature du marché, il se peut
que dans certaines grandes villes la concurrence entre les média
soit telle que le CRTC n'aurait aucune raison valable d'inter-
dire le cumul de propriété dans certains cas; la directive tiendra
compte de cette réalité. De plus, il se peut qu'il existe au niveau
local certaines situations où le CRTC estimera que le dessaisis-
sement occasionnerait des difficultés exceptionnelles à un pro-
priétaire; la directive tiendra également compte de cette réalité,
mais insistera sur la nécessité de s'assurer que les services
d'information seront indépendants et concurrentiels.
À mon avis, ce discours sert au moins à démon-
trer que le but visé par le gouverneur en conseil en
donnant les instructions contestées était une ques
tion de politique d'ensemble de la radiodiffusion 2
plutôt qu'une mesure visant en particulier l'appe-
lante et sa propriété des journaux, ou visant en
général la concentration de la propriété de jour-
naux. En outre, bien que l'avocat de l'intimé cher-
che à faire classer ce discours avec les discours
prononcés devant le Parlement et d'autres discours
faits par les députés et qui sont irrecevables pour
établir l'intention de la loi, ce discours en particu-
lier, qui a été prononcé par le Ministre responsable
de la politique adoptée par le Cabinet et qui visait
à annoncer ces mesures, vient bien plus exposer les
motifs du gouverneur en conseil lors de l'adoption
du décret. Il m'apparaît que ce discours s'appa-
rente à la brochure du gouvernement intitulée
«The Energy Priority of Newfoundland and Labra-
dor» examinée dans le Renvoi relatif à la Upper
Churchill Water Rights Reversion Act, [ 1984] 1
R.C.S. 297, et qu'il soit tout aussi recevable. Dans
cet arrêt, le juge McIntyre a dit au nom de la Cour
suprême [à la page 319]:
2 Voir Thorne's Hardware Ltd. et autres • c. La Reine et
autre, [1983] 1 R.C.S. 106, le juge Dickson (alors juge puîné),
à la p. 115.
Je suis aussi d'avis que la brochure publiée par le gouvernement
et intitulée «The Energy Priority of Newfoundland and Labra-
dor» est recevable. Le but de cette brochure, comme on l'y
explique, est de faire connaître aux milieux financiers les motifs
de l'adoption de la Reversion Act par le gouvernement. Le
gouvernement l'a publiée moins d'un mois avant que la Rever
sion Act ne reçoive la sanction royale et le texte de cette loi s'y
trouve même reproduit. J'estime que cette brochure se situe
dans la catégorie des documents »qui ne sont pas douteux en soi
et qui ne pêchent pas contre l'ordre public», pour reprendre les
termes du juge Dickson dans le passage précité, et qui sont
recevables comme preuve de l'intention et du but visés par la
législature de Terre-Neuve en adoptant la Reversion Act.
Le discours, toutefois, me semble n'ajouter que
peu de chose à ce qui ressort du dossier, du rapport
Kent et de la note explicative qui est jointe aux
instructions mêmes.
Voici les instructions et la note explicative:
Enregistrement
DORS/82-746 29 juillet 1982
LOI SUR LA RADIODIFFUSION
Instructions au CRTC sur l'attribution et le
renouvellement limités des licences de
radiodiffusion
C.P. 1982-2294 29 juillet 1982
Sur avis conforme du ministre des Communications et en
vertu du sous-alinéa 22(1)a)(iii) et de l'article 27 de la Loi sur
la radiodiffusion, il plaît à Son Excellence le Gouverneur
général en conseil d'émettre les instructions à l'intention du
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes concernant l'attribution et le renouvellement de licen
ces de radiodiffusion des propriétaires de quotidiens, ci-après.
INSTRUCTIONS À L'INTENTION DU CONSEIL DE LA
RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
CANADIENNES
CONCERNANT L'ATTRIBUTION ET LE RENOUVELLEMENT DE
LICENCES DE RADIODIFFUSION DES PROPRIÉTAIRES DE
QUOTI DI ENS
Titre abrégé
1. Les présentes instructions peuvent être citées sous le titre:
Instructions au CRTC sur l'attribution et le renouvellement
limités des licences de radiodiffusion.
Définitions
2. Aux fins des présentes instructions,
«propriétaire d'un quotidien» désigne toute personne qui, de
l'avis du Conseil, effectivement possède ou contrôle ou est en
situation de contrôler ou de posséder, directement ou indirec-
tement, à elle seule ou conjointement ou de concert avec une
ou plusieurs autres personnes, une entreprise chargée de la
publication d'un quotidien et comprend, dans le cas d'une
société à capital-actions, toute personne qui, de l'avis du
Conseil, à elle seule ou conjointement ou de concert avec une
ou plusieurs autres personnes, effectivement possède ou con-
trôle la société ou est en situation de le faire, soit directement
par la possession d'actions de ladite société, soit indirecte-
ment en vertu d'une fiducie ou d'un contrat ou par la
possession d'actions d'une autre société, par la possession
d'une partie importante de la dette de la société ou de
quelque autre façon que ce soit;
«quotidien» désigne un journal qui est, règle générale, publié et
distribué cinq jours ou plus par semaine.
Instructions
3. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes est prié de se conformer à la présente directive, à
savoir qu'à compter du 29 juillet 1982, aucune licence de
radiodiffusion ne pourra être délivrée ou renouvellée dans le cas
d'un requérant qui fait partie d'une catégorie visée à l'article 4.
4. Est considéré comme faisant partie de la catégorie visée à
l'article 3 tout requérant qui
a) est propriétaire d'un quotidien, ou
b) de l'avis du Conseil, est effectivement possédé ou contrôlé
ou est en situation de l'être, de façon directe ou indirecte, par
le propriétaire d'un quotidien
dont la zone principale de distribution couvre substantiellement
le marché principal desservi ou devant être desservi par l'entre-
prise de radiodiffusion.
5. Lorsque le Conseil est convaincu qu'il serait contraire à
l'intérêt public primordial de ne pas accorder une licence de
radiodiffusion ou son renouvellement à un requérant de la
catégorie visée à l'article 4, compte tenu de tous les facteurs en
jeu, y compris les inconvénients qui pourraient en résulter pour
le service au public, les difficultés exceptionnelles ou excessives
que ce refus risque d'occasionner au requérant et le niveau de
concurrence existant dans la zone desservie ou devant être
desservie en vertu de la licence de radiodiffusion, le Conseil
peut, par dérogation à l'article 3, accorder une licence ou son
renouvellement.
6. Aucune disposition des présentes instructions ne doit s'in-
terpréter comme limitant le pouvoir du Gouverneur en conseil
d'ordonner qu'une licence de radiodiffusion ne soit pas délivrée
et que la modification ou le renouvellement d'une telle licence
soit refusé à des requérants d'une catégorie autre que celle
décrite à l'article 4 ou comme limitant le pouvoir du Conseil,
dans l'exécution de son mandat, de refuser de délivrer une
licence de radiodiffusion ou d'autoriser la modification ou le
renouvellement d'une telle licence à un requérant n'appartenant
pas à la classe décrite à l'article 4.
NOTE EXPLICATIVE
(La présente note ne fait pas partie des instructions et n'est
publiée qu'à titre d'information.)
Ces instructions sont de faire en sorte qu'à quelques excep
tions près, les entreprises qui s'occupent de la publication de
quotidiens ne soient pas autorisées à posséder ni à contrôler les
entreprises de radiodiffusion exploitées sur le même territoire
commercial, afin de promouvoir au Canada la présence de
sources d'information et de points de vue indépendants, concur-
rentiels et diversifiés.
On n'a pas contesté en appel que l'appelante
s'inscrit dans la définition de «propriétaire d'un
quotidien» donnée à l'article 2 et qu'elle est visée
par l'interdiction prévue aux articles 3 et 4 de ces
instructions. Le Conseil a conclu que l'interdiction
est applicable, mais il a, en vertu de l'article 5,
décidé en outre que:
Le Conseil juge que le non-renouvellement des licences de la
NB Broadcasting pourrait occasionner quelques difficultés iné-
vitables pour la titulaire et avoir éventuellement d'autres consé-
quences néfastes, mais il n'est pas convaincu qu'un refus de la
demande de renouvellement irait à l'encontre de l'intérêt public
primordial, dont il est question à l'article 5 des Instructions,
sauf pour le fait que les licences en question expirent toutes le
30 septembre 1983 et qu'il mettrait fin soudainement à la seule
source de service de télévision de langue anglaise de Radio-
Canada au Nouveau-Brunswick. Cet arrêt de service irait à
l'encontre de l'intérêt public primordial car le service au public
en souffrirait.
Le Conseil renouvelle donc les licences de CHSJ-TV Saint-
Jean et de ses . stations réémettrices au Nouveau-Brunswick
pour une période prenant fin le 1 °r janvier 1986. Ce délai
donnera à la NB Broadcasting le temps de réarranger ses
affaires ou de prendre d'autres mesures, de sorte que les
habitants du Nouveau-Brunswick ne soient pas privés du ser
vice du réseau de Radio-Canada. Le Conseil a l'intention, en ce
moment, de convoquer la titulaire à une audience publique au
début de 1985 afin de passer en revue la situation globale.
La question relative au but illégal
Voici les prétentions de l'appelante sur son pre
mier point:
(1) il ressort du rapport de la Commission Kent
et du discours de M. Fleming que ces instruc
tions ont été données non pas aux fins de la Loi
sur la radiodiffusion énumérées à son article 3,
mais pour une fin étrangère, soit celle de régle-
menter la concentration de la possession dans
l'industrie journalistique canadienne, et que
dans leurs objectifs, leurs fins et leur effet, elles
ne visaient pas la radiodiffusion, mais plutôt les
journaux;
(2) et en outre, en fin de compte, le gouverneur
en conseil, qui ne tenait ni de la loi ni d'aucune
autre source le pouvoir de donner des instruc-
tions relatives à la possession des journaux, a
outrepassé sa compétence en donnant les ins
tructions parce qu'elles ont été émises non pas
aux fins de la Loi sur la radiodiffusion, expo
sées à son article 3, mais pour une fin étrangère
et illégale, soit celle de réglementer la concen
tration de la possession dans l'industrie journa-
listique canadienne.
Certes, la politique exposée à l'article 3 de la Loi
sur la radiodiffusion semble régir et limiter les
objectifs que le CRTC doit réaliser, mais je ne
crois pas qu'elle comporte toutes les fins de la Loi
ou qu'elle limite les buts ou les motifs pour les-
quels le gouverneur en conseil peut prescrire des
catégories de personnes à qui des licences de radio-
diffusion ne peuvent être attribuées. Si je com-
prends bien, pour une raison valable de politique
publique, qu'elle soit ou non prévue à l'article 3, le
gouverneur en conseil peut exercer le pouvoir, que
confère le paragraphe 27(1), de donner des ins
tructions interdisant l'attribution de licences à des
catégories particulières de personnes. J'ajouterai
que je ne considère pas la mention de l'article 3 au
sous-alinéa 22(1)a)(iii), qui autorise une déroga-
tion à l'interdiction générale d'une catégorie parti-
culière dans le cas de personnes qui étaient titulai-
res d'une licence au 1°r avril 4968, comme limitant
le pouvoir par ailleurs large conféré au gouverneur
en conseil. Puisque, à l'article 3, la seule mention
de possession et de contrôle d'entreprises de radio-
diffusion se trouve à l'alinéa b), qui prévoit que le
système de la radiodiffusion devrait être possédé et
contrôlé effectivement par des Canadiens, il serait
peu utile de conférer le pouvoir de donner des
instructions sur le sujet si ce pouvoir permettait
seulement d'ordonner que des licences ne soient
pas attribuées à des personnes qui ne sont pas
canadiennes. Ne pas reconnaître à ce pouvoir la
faculté de faire la différence, pour des motifs de
politique publique, entre des classes particulières
de Canadiens revient à nier à ce pouvoir toute
portée pratique.
Il découle, à mon avis, de cette interprétation du
paragraphe 27(1) et du sous-alinéa 22(1)a)(iii)
que même si on peut dire que les instructions ont
été données non pas pour une fin de la Loi, exposée
à l'article 3, et même si on peut prétendre que ces
instructions ont été données pour une fin relative à
un problème de politique publique ne se rattachant
pas simplement à la concentration de la possession
de journaux, qu'on considère comme un problème
en soi, mais se rattachant au problème plus grand
de la concentration de la possession et du contrôle
de journaux et d'entreprises de radiodiffusion,
comme c'est le cas, à mon avis, on ne saurait
affirmer que les instructions n'ont pas été données
pour une fin de la Loi sur la radiodiffusion, ou
qu'elles ont été données pour la seule fin de régle-
menter la possession et le contrôle des journaux.
Par leur formulation, il s'agit d'instructions relati
ves à des personnes, qui ne peuvent détenir de
licences de radiodiffusion. En fait, ces instructions
ne font que restreindre les catégories de personnes
qui peuvent être titulaires de licences de radiodif-
fusion. Rien dans leur formulation ne réglemente
ou bien la concentration de la possession de quoti-
diens ou bien les propriétaires de quotidiens.
Comme toujours, ils sont libres de posséder et de
contrôler des quotidiens. Mais s'ils sont propriétai-
res de quotidiens, on considère qu'il n'est pas
convenable qu'ils soient également titulaires de
licences de radiodiffusion pour les régions où cir-
culent ces quotidiens.
Pour ces motifs, la contestation de l'appelante
doit échouer. Mais même si cette interprétation de
la loi n'est pas la bonne, la contestation, à mon
avis, doit quand même échouer parce qu'une telle
directive relève de la politique énoncée à l'article 3
et, par conséquent, correspond aux fins que vise la
Loi. Cet article prévoit notamment:
3. Il est, par les présentes, déclaré
a) que les entreprises de radiodiffusion au Canada font usage
de fréquences qui sont du domaine public et que de telles
entreprises constituent un système unique, ci-après appelé le
système de la radiodiffusion canadienne, comprenant des
secteurs public et privé;
et que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la politique
de la radiodiffusion pour le Canada énoncée au présent article
consiste à confier la réglementation et la surveillance du sys-
tème de la radiodiffusion canadienne à un seul organisme
public autonome.
Cet article énonce une politique et la meilleure
façon d'atteindre ses objectifs.
Et voici l'article 15, qui dispose:
15. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur la radio et
des instructions à l'intention du Conseil émises, à l'occasion,
par le gouverneur en conseil sous l'autorité de la présente loi, le
Conseil doit réglementer et surveiller tous les aspects du sys-
tème de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en œuvre
la politique de radiodiffusion énoncée dans l'article 3 de la
présente loi.
Malgré l'énoncé donné à la fin de l'article 3, les
premiers mots de cette disposition restreignent ce
que le Conseil doit réglementer et surveiller en vue
de mettre en oeuvre la politique énoncée à l'article
3. À supposer que le pouvoir prévu au paragraphe
27(1) et au sous-alinéa 22(1)a)(iii) soit l'un des
pouvoirs qui seraient par ailleurs inclus dans le
pouvoir général de «réglementer et surveiller tous
les aspects du système de la radiodiffusion cana-
dienne en vue de mettre en oeuvre la politique de
radiodiffusion énoncée dans l'article 3», et puisse
donc être exercé seulement pour mettre en oeuvre
la politique ainsi énoncée, il me semble que le
pouvoir que le gouverneur en conseil tient du
paragraphe 27(1) et du sous-alinéa 22(1)a)(iii) est
assez large pour lui permettre de décider qui ou
quelles catégories de personnes ou sociétés
devraient obtenir des licences pour faire usage de
fréquences qui sont, en vertu de l'alinéa 3a), du
domaine public. À mon avis, cela correspond faci-
lement au sens de «la réglementation et de la
surveillance de tous les aspects du système de la
radiodiffusion canadienne» dont font partie, en
vertu de l'alinéa 3a), les entreprises de radiodiffu-
sion au Canada.
En conséquence, je rejetterais le premier argu
ment de l'appelante.
La question relative à la Charte des droits
Voici la prétention de l'appelante quant à la
Charte:
(1) la liberté de la presse et des autres moyens
de communication étant garantie par la Consti
tution, l'exigence d'une licence pour l'exploita-
tion d'une entreprise de radiodiffusion va à l'en-
contre de l'alinéa 2b) de la Charte;
(2) il est toutefois reconnu que l'exigence d'une
licence constitue une limite dont la justification
peut se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique parce que:
a) comme le dit l'article 3 de la Loi sur la
radiodiffusion, les fréquences sont du
domaine public et doivent être réparties selon
une entente afin d'assurer une répartition
équitable des fréquences disponibles, et
b) il doit y avoir un particulier (ou une
société) responsable en matière civile et
criminelle;
(3) toutefois, les instructions, dans la mesure où
elles interdisent d'accorder des licences à des
«propriétaires de quotidiens» sont incompatibles
avec le droit de l'appelante à la liberté de la
presse et des autres moyens de communication
garantie à tous par l'alinéa 2b) de la Charte et
portent atteinte à ce droit. De plus, dans la
mesure où les instructions refusent au public un
service de radiodiffusion parce qu'un proprié-
taire de quotidien contrôle une entreprise de
radiodiffusion, elles sont incompatibles avec les
droits et libertés garantis à chacun par l'alinéa
2b) de la Charte et violent ces droits.
À mon avis, l'argument confond la liberté
garantie par la Charte avec le droit de faire usage
d'un bien, et il ne saurait être accueilli. La liberté
garantie par la Charte est la liberté d'exprimer et
de communiquer des idées sans restriction aucune,
que ce soit verbalement, par publication ou par
d'autres moyens de communication. Il ne s'agit pas
d'une liberté d'utiliser le bien d'autrui pour le
faire. Elle ne confère nullement à une personne le
droit d'utiliser le terrain ou la terrasse d'autrui
pour faire un discours, ou la presse d'imprimerie
de quelqu'un d'autre pour publier ses idées. Elle ne
donne à personne le droit d'entrer dans un immeu-
ble public et de l'utiliser pour de telles fins. Et elle
ne donne pas non plus à une personne le droit de
faire usage des fréquences qui, avant la promulga
tion de la Charte, avaient été déclarées par le
législateur être du domaine public et étaient sou-
mises au régime de licences et aux autres disposi
tions de la Loi sur la radiodiffusion. La liberté
qu'a l'appelante de radiodiffuser ce qu'elle désire
communiquer ne serait pas refusée par le rejet
d'une demande de licence pour exploiter une entre-
prise de radiodiffusion. Comme n'importe qui, elle
aurait la liberté de diffuser ses informations en
achetant le temps d'émission à une station titulaire
de licence. La Charte ne confère pas non plus au
reste du public le droit à un service de radiodiffu-
sion que doit fournir l'appelante. Qui plus est, la
liberté garantie par l'alinéa 2b) ne comportant pas
le droit pour une personne d'utiliser le bien d'au-
trui ou un immeuble public, dont l'utilisation est
régie par les dispositions d'une loi, j'estime qu'il
n'y a pas lieu et qu'il n'est pas nécessaire de
recourir à l'article 1 de la Charte pour justifier le
système d'octroi de licences établi par la Loi sur la
radiodiffusion.
Par conséquent, je rejetterais la prétention de
l'appelante.
La question relative à la Déclaration canadienne
des droits
L'appelante a invoqué dans son argumentation
sur ce point la portion de l'alinéa 1 a) 3 de la
Déclaration canadienne des droits qui reconnaît et
déclare que le droit de l'individu à la jouissance de
ses biens et le droit de ne s'en voir privée que par
l'application régulière de la loi font partie des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Elle a prétendu que le but principal des instruc
tions était de la contraindre à vendre sa station de
télédiffusion et ses stations réémettrices à Radio-
Canada, que le mot «loi» dans l'expression «appli-
cation régulière de la loi» ne vise pas seulement les
textes législatifs mais comprend aussi ce qu'on
appelle les principes de justice naturelle, que les
instructions ont été émises sans qu'un avis ne lui en
soit donné, ce qui a eu pour résultat qu'on ne lui a
pas accordé l'occasion d'exposer ses prétentions ou
de se faire entendre par un autre moyen au sujet
de l'émission des instructions et de leur contenu et
qu'on l'a, par conséquent, empêché d'exercer ses
droits à l'application régulière de la loi, garantis
par l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des
droits.
J'estime que le mot «individu» à l'article 1 de la
Déclaration canadienne des droits ne vise pas une
société' et que le texte de cet article ne s'applique
pas à l'appelante ni ne lui garantit de droits.
Cependant, ce texte législatif reconnaît et déclare
l'existence de droits fondamentaux, et il n'y a, à
mon avis, aucune raison de conclure qu'une société
3 1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits
de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
Voir Regina v. Colgate Palmolive Ltd. (1971), 5 C.P.R.
(2d) 179 (G.S.P. Ct.).
ne possède pas en vertu de la common law les
mêmes droits que ceux dont bénéficie une personne
physique quant à la jouissance de ses biens et au
droit de ne s'en voir privée que par l'application
régulière de la loi.
L'article 2 de la Déclaration ajoute:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une,personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
Dans cet article, le mot «personne» est utilisé
dans des contextes qui laissent supposer qu'il vise
des personnes physiques, mais il n'existe pas que je
sache de raison impérieuse pour laquelle on ne
devrait pas conclure que ce mot vise aussi des
sociétés, chaque fois que l'objet de la disposition
dans laquelle il se trouve peut s'appliquer à des
sociétés. À mon avis, l'alinéa 2e) constitue une
disposition de ce genre.
Si on présume que l'alinéa 2e) s'applique, il y a
lieu de se demander quels étaient les «droits» pour
la définition desquels l'appelante avait droit à une
audition impartiale de sa cause selon les principes
de justice fondamentale.
Il semble qu'au moment où les instructions ont
été émises, l'appelante:
(1) détenait une ou des licences de télédiffusion,
délivrées conformément à la Loi sur la radiodif-
fusion, autorisant l'exploitation d'une station de
télévision pour une période se terminant le 30
septembre 1983;
(2) avait déposé devant le CRTC une demande
de renouvellement de ces licences pour une
période additionnelle de cinq ans; et
(3) pouvait raisonnablement s'attendre, compte
tenu qu'elle a détenu des licences et obtenu leur
renouvellement pendant une période de 28 ans,
compte tenu des services de radiodiffusion
qu'elle a fournis pendant cette période et du fait
qu'elle a investi des sommes considérables dans
l'achat d'équipement et d'installations, à ce que,
en conséquence de la décision du Conseil rendue
un mois plus tôt lorsque la demande de renou-
vellement a été présentée, des renouvellements
lui soient accordés pour une certaine partie,
sinon pour la totalité, de la période de cinq ans.
L'appelante ne possédait cependant aucun droit
acquis ni autre droit de propriété lui permettant
d'obtenir que ses licences soient renouvelées ou que
la décision du Conseil soit maintenue jusqu'à ce
qu'une décision ait été rendue sur sa demande ou
pour l'avenir.
Je pense que c'est dans ce contexte qu'il faut
examiner le droit qu'aurait eu l'appelante de se
voir accorder l'occasion d'exposer ses prétentions
ou de se faire entendre autrement avant que les
instructions aient été émises. Les instructions n'ont
nullement porté atteinte aux licences existantes
mentionnées ci-dessus au paragraphe (1). Elles
n'ont pas mis fin non plus à la demande de renou-
vellement mentionnée au paragraphe (2). C'est ce
qui ressort du fait que la demande a été accueillie
en partie. Les instructions ont eu pour effet de
réduire les possibilités, mentionnées au paragraphe
(3), qu'avait l'appelante d'obtenir un renouvelle-
ment pour une période plus longue que celle accor-
dée en réalité.
Que ce soit en se voyant accorder l'occasion
d'exposer ses prétentions ou celle de se faire enten-
dre par un autre moyen, l'appelante avait-elle alors
droit à une audition pour faire valoir les raisons
pour lesquelles les instructions ne devaient pas être
émises? J'ai quelques doutes sur ce point parce que
les instructions ont été émises au moment où la
demande de renouvellement de l'appelante avait
été présentée et était pendante devant le CRTC,
mais après réflexion, je crois pour plusieurs motifs
que la réponse doit être négative.
Premièrement, les instructions n'ont fait que
réduire de simples possibilités. Il ne s'agissait pas
de quelque chose que l'on pouvait reconnaître
comme un droit de propriété.
Deuxièmement, il semble qu'il n'existe aucune
raison de douter que les instructions aient eu une
influence marquée sur les possibilités pour l'appe-
lante de continuer indéfiniment à posséder et à
exploiter simultanément dans la même zone de
marché son entreprise de radiodiffusion et son
entreprise de publication de quotidiens, ou que les
instructions présentent en réalité, pour l'appelante,
la possibilité qu'à un moment donné dans l'avenir,
elle ne puisse obtenir un renouvellement de ses
licences de radiodiffusion si elle continue à exploi
ter ses quotidiens. Il semble également que,
compte tenu du contenu du rapport Kent, la situa
tion de l'appelante était l'une de celles visées lors-
que les instructions ont été émises. Cependant, le
dossier soumis à la Cour ne permet pas, à mon
avis, d'affirmer que le but principal des instruc
tions était de contraindre l'appelante à vendre sa
station de télédiffusion et ses stations réémettrices
à Radio-Canada et qu'à cet égard, les instructions
visaient spécifiquement l'appelante. Il ressort des
instructions qu'elles ne visent personne en particu-
lier, mais qu'elles ont une portée et une application
générales, et rien dans le dossier n'indique qu'elles
ne s'appliquent qu'à la situation de l'appelante ou
qu'elles ont été appliquées à celle-ci seulement.
Troisièmement, à mon avis, le pouvoir que con-
fèrent au gouverneur en conseil le paragraphe
27(1) et le sous-alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la
radiodiffusion n'est par sa nature ni judiciaire, ni
quasi judiciaire, ni administratif. Il s'agit, selon
moi, d'un pouvoir de nature législative. Il autorise
la prise de décrets pour donner au CRTC des
instructions concernant notamment les classes de
requérants, et non les requérants individuels, aux-
quels les licences de radiodiffusion et leurs renou-
vellements ne peuvent être accordés. Le libellé de
ces articles ne limite pas ce pouvoir en indiquant
les motifs pour lesquels certaines classes de requé-
rants peuvent être exclues. Ce rôle revient au
gouverneur en conseil qui doit en décider pour les
motifs de politique générale qu'il peut adopter. Ce
n'est pas sans raison que le paragraphe 27(2) exige
qu'un décret pris conformément au paragraphe
27(1) doit non seulement être publié immédiate-
ment dans la Gazette du Canada, mais doit aussi
être déposé devant le Parlement dans les quinze
jours, et si le Parlement n'est pas alors en session,
dans les quinze premiers jours où il siège par la
suite. Cela donne au Parlement lui-même la possi-
bilité d'examiner ce qui a été fait et d'annuler ou
de modifier les instructions, s'il estime approprié
de le faire. À mon avis, ces particularités du texte
de la loi montrent la nature législative des instruc
tions et du pouvoir de les émettre.
En l'absence de conditions particulières prescri-
tes par les textes de loi, les tribunaux n'ont pas
jusqu'ici considéré que les pouvoirs de légiférer
donnent le droit à une audition de leur cause aux
personnes qui subiront probablement des inconvé-
nients en raison de l'exercice de ces pouvoirs.
Ainsi, dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Inuit Tapirisat of Canada et autre, [ 1980] 2
R.C.S. 735, le juge Estey a déclaré en rendant le
jugement de la Cour suprême [à la page 758]:
Les ordonnances en cause dans l'affaire Bates et en l'espèce
sont manifestement de nature législative et j'adopte le raisonne-
ment du juge Megarry qu'aucune audition n'est requise en
pareils cas. Je suis conscient, cependant, que la ligne de démar-
cation entre les fonctions de nature législative et les fonctions
de nature administratives [sic] n'est pas toujours facile à tracer:
voir Essex County Council v. Minister of Housing ((1967), 66
L.G.R. 23).
Plus haut, le juge avait cité le passage suivant tiré
de la décision du juge Megarry dans l'arrêt Bates
v. Lord Hailsham of St. Marylebone, et al.,
[1972] 1 W.L.R. 1373 (Ch.D.) [à la page 1378] 5 :
[TRADUCTION] Admettons que dans le domaine de ce qu'on
appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice
naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obliga-
tion générale d'agir équitablement. Mais cela ne me paraît pas
s'appliquer au processus législatif, qu'il s'agisse de lois ou de
législation déléguée. Plusieurs de ceux que la législation délé-
guée concerne, et souvent de façon très importante, ne sont
jamais consultés au cours de son processus d'adoption; et
pourtant ils n'ont aucun recours ... Il n'existe, que je sache,
aucun droit implicite d'être consulté ou de présenter des objec
tions, ni aucun principe en vertu duquel les tribunaux peuvent
donner des ordres au pouvoir législatif à la demande de ceux
qui prétendent qu'il n'a pas consacré un temps suffisant à la
consultation et à l'étude de la question.
Finalement, la procédure prescrite par l'article
27, c'est-à-dire la prise d'un décret qui devra être
publié dans la Gazette du Canada et être déposé
devant le Parlement, ne prévoit pas qu'il faut
accorder à un membre d'une classe ou à une classe
de requérants la possibilité d'exposer leurs préten-
tions ou de se faire entendre par un autre moyen
avant qu'un tel décret ne soit pris.
Par conséquent, je rejetterais l'argumentation de
l'appelante.
L'appel et la demande d'examen devraient donc
être rejetés.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE RYAN: J'y souscris également.
5 [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 757.
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