A-985-82
La Reine (appelante)
c.
The Consumers' Gas Company Ltd. (intimée)
Cour d'appel, juges Urie et Stone, juge suppléant
Lalande—Toronto, 15 novembre; Ottawa, 15
décembre 1983.
Pratique — Plaidoiries — Disposition législative invoquée
comme moyen de défense — Objection préliminaire à l'appel
fondée sur le motif que la plaidoirie n'a pas soulevé un point
qui a été plaidé par l'appelante en première instance après la
clôture de la preuve — La défense ne soulève que la question
de savoir si l'intimée peut inclure les revenus bruts (rembour-
sements) dans le calcul de la fraction non amortie du coût en
capital pour calculer la déduction pour amortissement —
L'argument en première instance soulève la question de savoir
si les recettes étaient incluses à titre de revenus — L'arrêt
Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du Revenu
national, [1974] 2 C.F. 760 (C.A.) a conclu que la Cour devait
être parfaitement convaincue que toutes les preuves requises
permettant au défendeur de réfuter le nouveau moyen du
demandeur avaient été présentées — L'intimée allègue qu'elle
aurait cité des témoins différents et aurait contre-interrogé les
témoins experts de l'appelante d'une manière différente si elle
avait connu les points qui ont été soulevés dans l'argumenta-
tion en première instance — On n'a pas satisfait au critère de
l'arrêt Kingsdale — L'intimée a également présenté un nouvel
argument pour la première fois en appel — À l'instruction,
l'appelante soutient que les remboursements devaient être
amortis au cours de la durée d'amortissement des biens — En
appel, l'appelante s'est fondée sur l'art. 12(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu pour inclure les remboursements —
L'arrêt La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F.
159 (C.A.) a jugé qu'une disposition législative précise invo-
quée devait être plaidée de même que les faits qui indiquent
pourquoi cette disposition est applicable — La nature des
remboursements ne pouvait valablement être examinée ni en
première instance ni en appel parce qu'elle n'a pas été présen-
tée comme elle aurait dû l'être — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 9(1), 12(1)a).
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déduction pour
amortissement — Appel est interjeté du jugement de première
instance qui a accueilli les appels de l'intimée contre les
nouvelles cotisations d'impôt établies pour les années 1971 à
1974 — L'intimée reçoit des remboursements des coûts de
réinstallation des pipelines à la demande de ses clients —
L'intimée ajoutait le coût brut des déplacements dans le calcul
de la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie et
réclamait la déduction pour amortissement sur le montant
brut — L'intimée n'inclut pas les remboursements dans le
calcul de son revenu — Le juge de première instance a conclu
que l'intimée avait le droit d'inclure le coût des déplacements
dans la fraction non amortie du coût en capital des biens de la
catégorie 2 et que les remboursements n'avaient pas été inclus
dans le revenu mais dans le capital — L'arrêt La Reine c.
Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F. 439 (C.A.) a conclu
que le coût réel pour un contribuable est égal au montant versé
par celui-ci — Le juge de première instance a commis une
erreur en examinant la nature des remboursements parce
qu'elle n'a pas été présentée comme elle aurait dû l'être à
l'instruction — Il est impossible de faire une distinction entre
l'espèce et l'affaire Canadien Pacifique — L'intimée avait le
droit d'ajouter à la fraction non amortie du coût en capital de
ses biens de la catégorie 2, le coût des déplacements, peu
importe le montant des remboursements qu'elle a reçus —
Appel rejeté.
Appel est interjeté du jugement de première instance qui a
accueilli les appels de l'intimée contre les cotisations d'impôt
établies pour les années 1971 1974 inclusivement. Périodique-
ment, l'intimée déplace des pipelines servant à distribuer le gaz,
à la demande de ses clients qui remboursent intégralement ou
en partie les coûts de réinstallation. Après l'arrêt La Reine c.
Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F. 439 (C.A.) qui a
conclu que le coût réel pour un contribuable était égal au
montant versé par celui-ci, l'intimée (1) a ajouté le coût brut
des déplacements dans le calcul de la fraction non amortie du
coût en capital de la catégorie et réclamé la déduction pour
amortissement sur le montant brut et (2) n'a pas inclus les
remboursements dans le calcul de son revenu. Les avis de
nouvelles cotisations ont révisé le revenu de l'intimée en se
fondant seulement sur ce que les dépenses engagées pour les
déplacements ne pouvaient être ajoutées à la fraction non
amortie du coût en capital pour les fins du calcul de la
déduction pour amortissement. Appels ont été interjetés contre
ces nouvelles cotisations. La défense allègue que «tant les
montants payés que les remboursements qu'a reçus la demande-
resse ... doivent être comptabilisés dans le compte de revenu».
L'appelante soutient que cela signifie que le ministre du
Revenu national considérait les remboursements comme des
revenus à inclure dans le calcul du revenu imposable du contri-
buable pour les années pendant lesquelles ils ont été faits.
L'intimée a interprété la plaidoirie comme indiquant que le
Ministre considérait les remboursements comme un revenu et
qu'en conséquence les dépenses engagées pour le déplacement
pouvaient être comptabilisées comme des dépenses déductibles.
Toutefois, à cause de l'arrêt Canadien Pacifique, les dépenses
devaient être ajoutées à la fraction non amortie du coût en
capital. Les remboursements devaient donc être comptabilisés
dans le compte de capital. Il a été allégué que la défense
n'indiquait pas que le Ministre ajouterait les dépenses au coût
en capital, mais que les remboursements devaient être compta-
bilisés dans le compte de revenu. Le juge de première instance a
conclu que l'intimée avait le droit d'inclure le coût brut des
déplacements dans la fraction non amortie du coût en capital de
ses biens de la catégorie 2 et de ne pas inclure les rembourse-
ments dans le calcul de son revenu. L'appelante allègue que le
juge de première instance a commis une erreur en concluant
que les remboursements ne constituaient pas des revenus et que
la question de savoir si les remboursements constituaient des
revenus n'avait pas été décidée dans l'affaire Canadien Pacifi-
que. Subsidiairement, l'appelante soutient que l'affaire Cana-
dien Pacifique ne s'appliquait pas. L'intimée soutient que la
Cour ne devrait pas prendre en considération le principal
argument de l'appelante selon lequel l'intimée est obligée d'in-
clure les remboursements dans le calcul de son revenu parce
qu'il n'a pas été plaidé ni soutenu devant la Division de
première instance et ne constituait pas le fondement des nouvel-
les cotisations. De plus, en appel l'appelante a modifié la
position qu'elle avait adoptée en première instance selon
laquelle les remboursements devraient être amortis sur la durée
d'amortissement des biens. En appel, elle s'est fondée sur
l'alinéa 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour inclure
les remboursements dans le revenu de l'année pendant laquelle
ils avaient été reçus. L'intimée soutient que les remboursements
ne constituent pas des bénéfices provenant du »revenu tiré par
un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année
d'imposition» au sens du paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Enfin, l'appelante soutient que la question qui se
pose dans le présent appel est de savoir s'il faut tenir compte
des remboursements dans le calcul du revenu de l'intimée aux
fins d'impôt. L'intimée allègue que la question est de savoir si
les remboursements peuvent à juste titre servir à réduire la
fraction non amortie de son coût en capital des biens de la
catégorie 2.
Arrêt: l'appel est rejeté. La lecture raisonnable de la défense
ne permet pas de prévoir qu'au cas où les principes de l'arrêt
Canadien Pacifique seraient appliqués, la position de l'intimée
serait de comptabiliser les recettes provenant des rembourse-
ments dans le compte de revenu et les dépenses dans le compte
de capital. Cela étant et compte tenu du fait que l'intimée s'est
opposée en première instance à la présentation de cet argument
qui n'avait pas été plaidé, le juge de première instance n'aurait
pas dû permettre qu'il soit présenté et n'aurait pas dû se
prononcer sur la nature des remboursements. Si le Ministre
avait eu l'intention de soulever la question concernant le traite-
ment des remboursements aux fins d'impôt, il aurait dû le faire
en des termes clairs et indubitables afin de permettre à l'inti-
mée de savoir à quels arguments elle devait répondre. Relative-
ment à la question soulevée en appel, dans l'arrêt La Reine c.
Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.), il a été
jugé que lorsque l'on entend se fonder sur une disposition
législative, celle-ci doit être plaidée ainsi que les faits expli-
quant pourquoi cette disposition est applicable. Ce n'est pas ce
qui ressort de la défense modifiée. La plaidoirie n'étaye pas
suffisamment l'argument présenté pour la première fois après
la clôture de la preuve. Dans l'arrêt Kingsdale Securities Co.
Limited c. Le ministre du Revenu national, [1974] 2 C.F. 760
(C.A.), l'argument subsidiaire a été soulevé au cours du débat
lors de l'instruction après la clôture de la preuve des deux
parties. Il a été jugé que la Cour doit être parfaitement
convaincue que toutes les preuves requises permettant au défen-
deur de réfuter le nouveau moyen du demandeur ont été
présentées. En l'espèce, l'avocat de l'intimée a déclaré que s'il
avait compris, d'après les plaidoiries, que la défense soulevée à
la fin de l'audience allait être présentée, il aurait cité des
témoins experts en comptabilité pour appuyer la position de sa
cliente et aurait contre-interrogé le témoin expert de l'appelante
d'une manière différente. On n'a pas satisfait à l'exigence de
l'arrêt Kingsdale. L'argumentation de l'appelante présentée en
première instance et en appel en ce qui a trait à la nature des
remboursements reçus n'aurait pas dû être examinée puisqu'elle
n'avait pas été présentée comme elle aurait dû l'être à l'instruc-
tion. Il est impossible de faire une distinction entre l'espèce et
l'affaire Canadien Pacifique. L'intimée avait le droit d'ajouter
à la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la
catégorie 2, ses dépenses engagées pour déplacer ou pour
modifier les pipelines à la demande de tiers, peu importe le
montant des remboursements reçus de ceux-ci.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La Reine c. Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F.
439 (C.A.); Sa Majesté la Reine c. Littler père, [1978]
CTC 235 (C.F. Appel); La Reine c. Transworld Shipping
Ltd., [1976] 1 C.F. 159; 61 D.L.R. (3d) 304 (C.A.);
Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du
Revenu national, [1974] 2 C.F. 760; [1975] CTC 10
(C.A.).
AVOCATS:
Gaston Jorré et B. Moon pour l'appelante.
M. S. Bistrisky pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Aird & Berlis, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Appel est interjeté du jugement
de la Division de première instance (maintenant
publié à [1983] 1 C.F. 314) qui a accueilli les
appels de l'intimée contre les cotisations d'impôt
établies par le ministre du Revenu national pour
les années d'imposition 1971, 1972, 1973 et 1974
de l'intimée.
Dans le cadre de son entreprise, l'intimée doit
parfois, à la demande de ses clients, déplacer
certaines parties de ses pipelines servant à distri-
buer le gaz naturel. Ces clients remboursent inté-
gralement ou en partie à l'intimée les coûts de
réinstallation. Selon l'appelante, le présent appel
porte sur la question de savoir si les rembourse-
ments doivent ou non être inclus dans le revenu de
l'intimée pour fins d'impôt sur le revenu. Par
ailleurs, l'intimée déclare que la seule question qui
se pose est de savoir si les remboursements visés
peuvent ou non servir à réduire la fraction non
amortie du coût en capital de ses biens de la
catégorie 2. Plus loin dans les motifs on fera
ressortir ce qui constitue la véritable question en
litige.
I
Les faits pertinents
L'intimée est une société chargée d'un service
public dont le siège social est à Toronto (Ontario).
Elle s'occupe de la distribution de gaz naturel à
plus de 725 000 clients, pour usage résidentiel,
commercial et industriel en Ontario, de même que
de la production de gaz naturel, provenant princi-
palement de puits dans le lac Érié, et de la vente et
de la location d'appareils à gaz. Ses activités d'en-
treprise, y compris ses prix, ses pratiques et ses
méthodes comptables, sont soumises à l'approba-
tion de la Commission de l'énergie de l'Ontario.
Au cours des années en question, elle a tiré la
majeure partie de ses revenus (environ 95 %) de
son entreprise de distribution de gaz. Le gaz vient
en grande partie d'une canalisation principale qui
alimente une station de distribution située à l'exté-
rieur de sa région d'exploitation. L'intimée distri-
bue le gaz à partir de sa station de distribution par
des conduites principales en acier qui générale-
ment suivent sous terre le tracé des rues et des
routes. Les clients individuels reçoivent le gaz par
des tuyaux reliés aux conduites principales.
Diverses personnes et divers organismes, comme
les ministères du gouvernement, les municipalités,
les services publics, les compagnies de téléphone et
d'autres compagnies privées, exigent à l'occasion le
déplacement de certaines parties du réseau de
pipelines pour entreprendre leurs propres travaux
de construction. Habituellement ces déplacements
sont demandés à cause de travaux de construction
qui ne pourraient être réalisés autrement, mais ils
peuvent également être effectués pour des raisons
de sécurité. Les parties qui demandent ces déplace-
ments peuvent être ou non des clients de l'intimée.
Chaque fois qu'elle le peut, l'intimée tente de
recouvrer le coût total des déplacements de la
partie qui les a demandés. Toutefois, le montant
qu'elle peut recouvrer peut être limité par les
dispositions de la Loi sur les travaux d'aménage-
ment des voies publiques, R.S.O. 1970, chap. 388
ou de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
chap. R-2. Dans tous les cas, l'intimée calcule
soigneusement tous les éléments du coût relatif
aux déplacements et facture les parties pour la
totalité de ces coûts ou pour une partie de ceux-ci,
comme le permet la loi.
Lorsque les travaux de déplacement sont termi-
nés, l'ancienne conduite est habituellement aban-
donnée et laissée sous terre, bien que certaines
pièces d'équipement de surface, notamment des
parties des postes régulateurs de tension, soient
parfois récupérées. Dans ce cas, la valeur du maté
riel récupéré est vraisemblablement créditée.
Le nombre annuel moyen de déplacements est
d'environ 225 pour les années d'imposition en
cause.
Avant la décision de la Cour dans l'affaire La
Reine c. Canadien Pacifique Limitée', l'intimée
traitait les remboursements reçus des parties pour
lesquelles elle effectuait les déplacements de la
même manière essentiellement que dans ses états
financiers, c'est-à-dire qu'elle déduisait du coût
brut du déplacement des conduites le montant des
remboursements et ajoutait le montant net seule-
ment à la fraction non amortie du coût en capital
pour la catégorie (catégorie 2). Essentiellement,
elle calculait la déduction pour amortissement sur
le coût net seulement. Incidemment, aux fins
d'établissement des prix, il s'agit de l'une des
méthodes autorisées par la Commission de l'éner-
gie de l'Ontario pour traiter les remboursements.
Après l'affaire Canadien Pacifique, l'intimée a
adopté la position selon laquelle, pour les fins
d'imposition, (a) elle avait le droit d'ajouter le coût
brut des déplacements dans le calcul de la fraction
non amortie du coût en capital de la catégorie et
de réclamer la déduction pour amortissement sur
le montant brut et (b) elle n'était pas obligée
d'inclure les remboursements dans le calcul de son
revenu pour les fins d'imposition.
II
Erreurs alléguées
L'objection principale de l'appelante au juge-
ment dont appel est interjeté est que le savant juge
de première instance a commis une erreur en
concluant que l'intimée avait le droit d'inclure le
coût brut des déplacements dans la fraction non
amortie du coût en capital de ses biens de la
catégorie 2 et qu'elle avait le droit de ne pas
inclure les remboursements dans le calcul de son
revenu en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.C. 1970-71-72, chap. 63]. L'avocat de l'appe-
lante allègue en particulier que le juge de première
instance a commis une erreur, puisque la question
de savoir si les remboursements constituaient des
revenus avait été décidée dans l'affaire Canadien
' [1978] 2 C.F. 439 (C.A.).
Pacifique et qu'il a jugé que, en l'espèce, les
remboursements ne constituaient pas des revenus.
Subsidiairement, il dit en fait que l'affaire Cana-
dien Pacifique ne s'applique pas aux faits en
l'espèce.
III
Objections préliminaires
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de
l'intimée a soutenu que le principal argument
avancé par l'appelante dans son exposé des faits et
du droit ne devrait pas être pris en considération
par la présente Cour, car il soumet un point qui n'a
pas été plaidé ni soutenu devant la Division de
première instance et qui ne constituait pas le fon-
dement des nouvelles cotisations à l'encontre des-
quelles l'intimée a intenté une action. L'argumen-
tation principale à laquelle l'intimée fait allusion,
telle qu'elle est exprimée dans l'exposé de l'appe-
lante est la suivante:
[TRADUCTION] 38. Le sous-procureur général du Canada sou-
tient que, si l'on présume que l'affaire Canadien Pacifique
s'applique, Consumers', pour des fins d'imposition:
a) a le droit d'ajouter le coût brut des déplacements dans le
calcul de la fraction non amortie de son coût en capital
de la catégorie 2 et de prendre la déduction pour amor-
tissement sur le coût total du déplacement
MAIS
b) elle est obligée d'inclure les remboursements dans le
calcul de ses bénéfices et, par conséquent, dans son
revenu, pour les fins d'imposition.
Afin d'évaluer cet argument, il faut se reporter
d'abord à l'affaire Canadien Pacifique et analyser
ensuite les plaidoiries à la lumière de la ratio
decidendi de cette affaire et des allégations de
l'intimée concernant ce qui a été plaidé ou non.
La décision de la présente Cour dans l'affaire
Canadien Pacifique découle d'un appel d'un juge-
ment de la Division de première instance et le
sommaire établit d'une manière précise les faits
relatifs à la partie du jugement qui traite de
l'allocation à l'égard du coût en capital.
(2) L'allocation à l'égard du coût en capital: L'intimée,
agissant à la requête de tierces parties, a effectué des dépenses
de capital, ou des dépenses qui sont réputées l'être, après
entente que la tierce partie paierait à l'intimée un montant ne
dépassant pas les dépenses. L'intimée a calculé l'allocation à
l'égard du coût en capital qui lui revenait pour ces biens, en ne
tenant pas compte des montants reçus des tierces parties pour
déterminer leur coût en capital. L'appelante fait valoir que du
coût en capital de ces biens doit être soustrait un montant égal
aux sommes reçues des tierces parties. L'appelante a divisé les
huit opérations à l'étude en deux catégories: (1) les cas où
l'intimée a effectué elle-même les dépenses pour son propre
compte et (2) les cas où l'intimée a effectué la dépense pour le
compte d'une tierce partie qui l'a remboursée par la suite. Les
cas relevant de la seconde catégorie ont été examinés
séparément.
Relativement à la première catégorie de cas (qui
sont semblables aux déplacements effectués par
l'intimée parce que les dépenses ont été faites par
l'intimée après entente que la tierce partie lui
payerait un montant ne dépassant pas les dépen-
ses) le juge Pratte au nom de la Cour a dit à la
page 445 du Recueil:
L'appelante soutient que pour ces transactions «le coût en
capital pour le contribuable, de biens susceptibles de déprécia-
tion» au sens de l'article 20(5)e), correspond au coût net
supporté par le contribuable et que la dépense visée à l'article
84w(3) se rapporte à ce que le contribuable «a réellement
dépensé après déduction». Par conséquent, dans les cinq opéra-
tions considérées, «le coût en capital pour» l'intimée, ou la
dépense qu'elle a supportée correspond, selon l'appelante, au
montant des débours engagés par l'intimée moins la contribu
tion de la tierce partie.
A mon avis, le savant premier juge a eu raison de rejeter
cette prétention qui me semble aller à l'encontre de la décision
de la Chambre des Lords dans Birmingham Corp. c. Barnes
([1935] A.C. 292) suivant laquelle «le coût réel pour» un
contribuable de biens susceptibles de dépréciation est égal au
montant versé par le contribuable. Lord Atkin a déclaré dans
cette affaire (à la page 298):
[TRADUCTION] Il me semble que ce qu'un homme paie pour
la construction ou l'achat d'un ouvrage est ce qu'il lui coûte;
et cela, qu'on lui ait donné les fonds nécessaires à la cons
truction ou à l'achat ou qu'on l'ait assuré de lui remettre
ceux-ci après qu'il aura réglé les travaux ou encore, qu'une
fois le travail exécuté, on lui ait promis ou donné les fonds
pour le dédommager de ses débours.
L'intimée, en se fondant sur ce raisonnement, a
modifié sa manière de traiter les remboursements
dans le calcul de sa fraction non amortie du coût
en capital. Dans son argument principal, l'avocat
de l'appelante soutient que, bien que le raisonne-
ment dans l'affaire Canadien Pacifique puisse
autoriser l'intimée à ajouter le coût brut des dépla-
cements à la fraction non amortie du coût en
capital de la catégorie 2 et à calculer la déduction
pour amortissement sur l'ensemble du coût du
déplacement, l'affaire n'a ni examiné ni tranché la
question de savoir si ces sommes constituaient des
revenus qui devaient être inclus dans le revenu de
l'intimée pour les fins d'imposition.
Selon moi, le savant juge de première instance a
décidé à juste titre qu'il était lié par le principe
énoncé dans l'affaire Canadien Pacifique en ce qui
concernait l'addition des remboursements à la
fraction non amortie du coût en capital. Toutefois,
il est allé plus loin et, après avoir passé en revue
beaucoup de jurisprudence, il a conclu que les
contributions dans l'affaire Canadien Pacifique
n'avaient pas été incluses dans le revenu mais dans
le capital 2 et, par conséquent, a déclaré':
Je conclus que la demanderesse en l'espèce était fondée à
considérer que les contributions reçues pour le déplacement de
ses pipelines, déplacement fait non pas dans son intérêt, mais
dans l'intérêt des auteurs des contributions, peuvent être por-
tées au compte de capital d'apport sans passer par le revenu.
L'avocat de l'intimée a soutenu que l'argument
de l'appelante concernant la manière de comptabi-
liser les remboursements (ci-dessus) aux fins de
l'impôt, ne devrait pas être examiné pour deux
raisons:
(1) parce que l'appelante n'a ni plaidé ni évoqué
ce point en première instance et, par conséquent,
ne peut en débattre devant la présente Cour, et
(2) de toute façon, même si l'arrêt Canadien
Pacifique de la présente Cour n'a pas traité de
la question de savoir si les remboursements
devaient ou non être inclus dans le revenu ou
faire partie de l'avoir des actionnaires, les rem-
boursements ne constituent pas, d'après les faits
en l'espèce, des bénéfices provenant du «revenu
tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un
bien pour une année d'imposition ...» au sens du
paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu'', comme le soutient l'avocat de l'appe-
lante. Si l'argument de l'intimée relatif au point
(1) est accueilli, il ne sera évidemment pas
nécessaire de traiter du deuxième argument,
toutefois il faut arriver à la même conclusion si
le savant juge de première instance a eu raison
de conclure que l'arrêt Canadien Pacifique a
décidé que ces remboursements faisaient partie
2 Dossier d'appel, p. 458 (p. 20 des motifs du jugement)
[maintenant publié à la p. 332 C.F.].
' Dossier d'appel, p. 462 (p. 25 des motifs du jugement)
[maintenant publié à la p. 336 C.F.].
4 9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le
revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien
pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour
cette année.
du capital et qu'on ne peut faire de distinction
entre les faits en l'espèce et ceux de l'affaire
Canadien Pacifique.
L'avocat de l'appelante s'est fondé sur les para-
graphes 11, 12, 15 et 16 de la défense modifiée
pour soutenir que les remboursements font partie
du revenu de l'intimée pour les fins du calcul de
son revenu imposable. Voici le texte de ces
paragraphes:
[TRADUCTION] 11. Il dit que tant les montants payés que les
remboursements qu'a reçus la demanderesse en vertu des enten
tes avec des tiers et dans chaque cas découlant de la même
entente doivent être comptabilisés dans le compte de revenu.
12. Il dit que, si les montants déboursés par la demanderesse en
vertu de ces ententes avec des tiers étaient comptabilisés dans le
compte de capital, ce qu'il désavoue,
a) ce qu'il en a coûté à la demanderesse pour le déplacement
de chacun desdits pipelines construits en vertu d'une entente
avec un tiers est la somme engagée par elle en vertu de
l'entente moins le montant du remboursement reçu du tiers;
ou bien
b) dans chaque cas, il s'agit de la vente d'un pipeline, dont le
produit est égal au montant remboursé à la demanderesse en
vertu de l'entente avec le tiers.
15. Il soutient en outre que, tant les montants payés que les
remboursements qu'a reçus la demanderesse en vertu des enten
tes avec des tiers et dans chaque cas découlant de la même
entente, doivent être comptabilisés dans le compte de revenu et
que, par conséquent, ces montants sont à juste titre déductibles
et ces remboursements reçus sont à juste titre inclus dans le
calcul du revenu de la demanderesse pour chaque année
d'imposition.
16. Subsidiairement, si les montants déboursés par la demande-
resse en vertu d'ententes avec des tiers sont comptabilisés dans
le compte de capital, ce qu'il désavoue, il soutient que
a) ce qu'il en a coûté à la demanderesse pour le déplacement
de chacun desdits pipelines construits en vertu d'une entente
avec un tiers est la somme engagée par elle en vertu de
l'entente moins le montant du remboursement reçu du tiers;
ou bien
b) dans chaque cas, il s'agit de la vente d'un pipeline, dont le
produit est égal au montant remboursé à la demanderesse en
vertu de l'entente avec le tiers, de sorte que bien que la
somme engagée par la demanderesse en vertu de l'entente
puisse être à juste titre ajoutée à la fraction non amortie du
coût en capital des pipelines, cette fraction non amortie du
coût en capital est réduite du produit de la vente.
De plus, l'avocat dit que le paragraphe 5 de
l'exposé conjoint partiel des faits appuie sa
prétention:
[TRADUCTION] 5. Il est en outre convenu que si cette honorable
Cour rend jugement entièrement en faveur de la demanderesse
(c'est-à-dire que la demanderesse a le droit d'inclure les mon-
tants visés au paragraphe 2a) dans ses coûts en capital de la
catégorie 2 et que ces montants n'entraînent pas d'autres effets
de compensation sur le revenu imposable), alors (en comparai-
son avec les nouvelles cotisations) (i) les montants indiqués au
tableau 3 ci-dessous devraient être ajoutés à la fraction non
amortie du coût en capital («FNACC») de la demanderesse à la
fin de chaque année d'imposition (avant toute déduction pour
amortissement) et (ii) le montant indiqué au tableau 3 devrait
être ajouté à la déduction pour amortissement («DPA») de la
demanderesse pour chaque année.
Comme on s'appuie surtout sur les paragraphes
11 et 15, il faut d'abord remarquer que dans les
deux cas, il est indiqué que «tant les montants
payés que les remboursements qu'a reçus la
demanderesse ... doivent être comptabilisés dans
le compte de revenu». (C'est moi qui souligne.)
Selon l'argumentation de l'avocat de l'appelante,
cela doit signifier, pour celui qui rédige une répli-
que ou dans le cadre de la préparation de l'au-
dience, que le ministre du Revenu national consi-
dérait les remboursements comme des revenus à
inclure dans le calcul du revenu imposable du
contribuable pour les années pendant lesquelles ils
ont été faits.
Par ailleurs, l'avocat de l'intimé dit que, selon
lui, vu l'emploi de l'expression «tant ... que»
(«both») à l'égard des dépenses et des recettes à
comptabiliser dans «le compte de revenu», ces
phrases signifiaient que le Ministre considérait les
remboursements comme un revenu de l'intimée et
qu'en conséquence les dépenses engagées pour le
déplacement pouvaient être comptabilisées comme
des dépenses déductibles pour l'année en cause, ce
qui serait financièrement avantageux pour l'inti-
mée. Toutefois, à cause de l'arrêt Canadien Paci-
fique, l'avocat de l'intimée savait pour les motifs
donnés dans cette affaire que les dépenses devaient
être ajoutées à la fraction non amortie du coût en
capital des biens de la catégorie 2. Il en découle
que les remboursements doivent, à son avis, égale-
ment être comptabilisés dans le compte de capital.
Il ajoute que le plaidoyer contenu dans la défense
telle que rédigée n'indiquait pas que le Ministre
soutiendrait maintenant que, si les dépenses pou-
vaient être ajoutées au coût en capital, les rem-
boursements seraient comptabilisés dans le compte
de revenu. Il s'agissait, à son avis, de positions
incompatibles.
J'accepte cet argument. Selon moi, la lecture
raisonnable des paragraphes susmentionnés de la
défense modifiée ne permet pas de prévoir qu'au
cas où la Cour déciderait d'appliquer les principes
de l'arrêt Canadien Pacifique (nonobstant la con-
testation dans la défense de la pertinence de cet
arrêt) la position de l'intimée serait de comptabili-
ser les recettes provenant des remboursements
dans le compte de revenu et les dépenses dans le
compte de capital. Cela étant et compte tenu en
outre du fait que l'avocat de l'intimée a fait savoir
à la Cour qu'il s'était opposé fermement en pre-
mière instance à la présentation de cet argument
qui n'avait pas été plaidé, je suis d'avis que le juge
de première instance n'aurait pas dû permettre
qu'il soit présenté et n'aurait pas dû se prononcer
sur le traitement comptable à accorder aux rem-
boursements aux fins d'imposition, savoir leur
comptabilisation dans le compte de capital
d'apport.
Il semble que dans les avis de nouvelles cotisa-
tions pour les années d'imposition en cause, dont
l'intimée avait interjeté appel, l'appelante avait
révisé le revenu de l'intimée pour chaque année en
cause en se fondant notamment sur le fait que les
dépenses engagées pour les déplacements ne pou-
vaient être ajoutées à la fraction non amortie du
coût en capital pour les fins du calcul de la déduc-
tion pour amortissement. Ce fait vient appuyer
mon interprétation de la manière dont la question
aurait dû être tranchée. L'intimée a interjeté appel
à la Division de première instance contre ces nou-
velles cotisations en soutenant, pour les années
d'imposition 1971, 1972 et 1973, qu'elle avait le
droit, en vertu de l'arrêt Canadien Pacifique, de
réclamer des déductions pour amortissement sur le
montant supplémentaire comprenant les rembour-
sements reçus pour les déplacements de pipelines
au cours de ces années, ayant modifié ses déclara-
tions après que cette décision eut été rendue. Dans
le cas de l'année d'imposition 1974, elle a adopté la
position selon laquelle les dépenses brutes engagées
pour les déplacements, indépendamment des divers
remboursements reçus au cours de cette année, ont
été à juste titre incluses dans la fraction non
amortie de son coût en capital des biens de la
catégorie 2. Elle s'est appuyée sur la décision
rendue dans l'affaire Canadien Pacifique. Comme
cela a été plaidé, il me semble que si le Ministre
avait eu l'intention de soulever la question concer-
nant le traitement des remboursements aux fins
d'impôt, (à supposer que l'intimée ait eu raison de
se fonder sur l'arrêt Canadien Pacifique), il aurait
dû le faire en des termes clairs et indubitables afin
de permettre à l'intimée de savoir à quels argu
ments elle devait répondre et de présenter les
éléments de preuve nécessaires à cette fin. Comme
je l'ai dit précédemment, je suis d'avis que l'appe-
lante ne l'a pas fait.
De plus, la situation est rendue encore plus
difficile par le fait que l'appelante a modifié la
position qu'elle avait adoptée en première instance
pour prendre celle que son avocat a soutenue au
cours du présent appel. Dans ses motifs, le savant
juge de première instance a décrit de la manière
suivante la thèse soutenue par l'appelante à l'au-
dience 5 [à la page 3321:
La défenderesse prétend que la position de la demanderesse
sur le plan fiscal n'est pas conforme à la réalité économique ou
comptable, et soutient maintenant que, de préférence, la totalité
du coût de déplacement devrait être incluse dans le compte de
capital pour fins de déduction pour amortissement, et ne sug-
gère pas que la contribution entière soit portée dans le revenu
de l'année de sa réception, pourvu que cela se fasse de manière
qu'elle soit amortie dans l'année en cours et les années ultérieu-
res à un taux égal à la somme réclamée par la demanderesse
comme déduction pour amortissement relativement aux coûts
du déplacement. Le résultat final sera le même.
À l'audition de l'appel, l'avocat de l'appelante a
admis qu'il ne pouvait pas, sur le fondement de la
Loi, maintenir sa position selon laquelle les rem-
boursements devraient être amortis au cours de la
durée d'amortissement des biens et que, par consé-
quent, il se fondait maintenant sur l'alinéa
12(1)a) 6 pour les inclure dans le revenu de l'année
pendant laquelle ils avaient été reçus. Dans son
argumentation, l'avocat de l'intimée soutient que
cette modification constitue la présentation d'une
nouvelle défense en appel, ce qui est une raison
Dossier d'appel vol. 1, p. 458 (p. 19 des motifs du
jugement).
6 12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un
contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une
année d'imposition, les sommes appropriées suivantes:
a) toute somme reçue au cours de l'année par le contribuable
dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise
(i) au titre de services non rendus ou de marchandises non
livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre
raison, peut être considérée comme n'ayant pas été gagnée
durant cette année ou une année antérieure, ou
(ii) qui, en vertu d'un arrangement ou d'une entente, est
remboursable en totalité ou en partie lors du renvoi ou de
la revente au contribuable d'articles dans lesquels ou au
moyen desquels des marchandises ont été livrées à un
client;
supplémentaire pour refuser de tenir compte de
l'argument de l'appelante à l'égard de ce volet de
l'affaire.
IV
La jurisprudence
Comme on peut le constater d'après ce qui
précède, l'opposition de l'intimée comporte deux
aspects. D'abord, elle soutient que les plaidoiries
n'énonçaient pas la position adoptée par l'appe-
lante dans son argumentation à l'audience, après la
clôture de la preuve. Ensuite, que l'appelante a
présenté un nouveau moyen pour la première fois
en appel.
Indépendamment des règles de la Cour relatives
aux plaidoiries et de la nécessité de plaider certai-
nes défenses, il va sans dire que l'un des buts de la
défense est d'énoncer tous les moyens de défense
qui, s'ils n'étaient pas mentionnés, pourraient pren-
dre la partie adverse par surprise. À plus forte
raison lorsque, comme en l'espèce, on doit se
fonder sur une disposition législative précise, cel-
le-ci doit être plaidée ainsi que les faits expliquant
pourquoi cette disposition est applicable. Le juge
en chef Jackett dans l'affaire Sa Majesté la Reine
c. Littler père' a expliqué le principe de la manière
suivante:
À mon avis, lorsqu'une cause d'action est fondée sur une
disposition statutaire, il faut évidemment établir les circons-
tances rendant cette disposition applicable (de préférence avec
des renvois directs à la disposition) pour permettre à la partie
adverse de déterminer le parti à prendre à cet égard, d'orienter
l'interrogatoire préalable en conséquence et de préparer le
procès en tenant compte de cet élément. Dans le présent litige,
la décision du Ministre relative à l'opposition renvoie à l'article
137, mais, en se conformant à l'article 99 dans la préparation
de sa défense devant la Division de première instance, non
seulement l'intimée n'a-t-elle pas cité cet article bien qu'elle en
ait cité d'autres, mais elle n'a pas allégué des circonstances
établissant «des opérations ... [qui] ... ont pour résultat
qu'une personne confère un avantage ...» Si cette allégation
avait été faite, la preuve aurait pu porter sur d'autres faits que
ceux qui ont fait l'objet des débats à l'audience. A mon avis, ce
n'est pas une simple question de «procédure» mais de justice
élémentaire que de s'abstenir, en l'absence de circonstances très
spéciales, de tirer de la preuve produite relativement à certaines
questions des conclusions pour constater des faits dont il n'a pas
été question au cours de l'audition.
7 [1978] CTC 235 (C.F. Appel), à la p. 240.
Dans l'affaire La Reine c. Transworld Shipping
Ltd. 8 , un contrat en vue d'une charte-partie exi-
geait l'autorisation du Conseil du Trésor mais
celle-ci n'avait pas été obtenue. Ces faits n'avaient
pas été plaidés et n'avaient pas fait l'objet en tant
que tels, d'un interrogatoire préalable ou d'élé-
ments de preuve à l'instruction. Le juge en chef
Jackett au nom de la Cour a considéré qu'il incom-
bait à l'appelante de plaider un tel moyen de
défense, ainsi que les faits sur lesquels il était
fondé, dans sa défense. Il a alors fait la remarque
suivante:
À mon avis, la justice exige que tout moyen de défense, fondé
sur les dispositions spéciales d'une loi, soit plaidé, particulière-
ment s'il est fondé sur des faits précis, pour que la partie
adverse puisse prendre connaissance de ces faits et se préparer à
produire des preuves s'y rapportant.
Le principe s'applique, même si en l'espèce il n'y
a pas d'exigence législative particulière, ce qui
donne un moyen de défense à l'appelante. La
nouvelle défense était fondée sur l'allégation que
les remboursements en question devaient être con-
sidérés comme relevant des dispositions de l'alinéa
12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ainsi, cette allégation aurait dû être plaidée de
même que les faits qui indiquaient pourquoi cette
disposition était applicable. Ce n'est pas ce que je
peux constater dans la défense modifiée. Par con-
séquent, je suis d'avis que la plaidoirie n'étaye pas
suffisamment _ l'argument présenté pour la pre-
mière fois après la clôture de la preuve et au cours
de l'argument final, à la fin de l'instruction.
Pour ce qui est de l'argument qui a été présenté
pour la première fois en appel, selon lequel les
remboursements constituaient un revenu de l'inti-
mée pour l'année d'imposition pendant laquelle ils
avaient été reçus, la jurisprudence indique claire-
ment dans quelles circonstances de nouveaux argu
ments peuvent être accueillis en appel. Certains de
ces arrêts ont été étudiés dans le jugement de la
présente Cour Kingsdale Securities Co. Limited c.
Le ministre du Revenu national 9 et, en particulier,
dans le passage suivant tiré de mes motifs du
jugement auxquels le juge Ryan a souscrit:
8 [1976] 1 C.F. 159, à la p. 170; 61 D.L.R. (3d) 304 (C.A.),
à la p. 314.
9 [1974] 2 C.F. 760, aux pp. 772 et 773; [1975] CTC 10
(C.A.), aux pp. 18 et 19.
Deuxièmement, l'avis d'appel modifié, visant les nouvelles
cotisations, fondait l'appel sur le contrat de commandite en
vertu duquel chacun des commanditaires était l'une des fidu-
cies, chacune étant décrite comme [TRADUCTION] «une fiducie
créée par acte de fiducie, en date du 2 décembre 1963 par
l'intermédiaire de ses fiduciaires actuels ...». On n'a pas plaidé,
même subsidiairement, qu'il s'agissait de fiducies déclaratoires
et non pas de fiducies constituées par les parents d'Oklahoma
conformément aux actes de fiducie. Ce n'est qu'au cours des
débats en première instance que l'appelante a adopté ce raison-
nement. A mon avis, l'appelante ayant intenté l'action en se
fondant sur la validité de certains documents, on ne devrait pas
l'autoriser à demander soit au juge de première instance soit à
cette cour d'examiner l'affaire sur une base totalement
différente.
Dans l'arrêt The Owners of the Ship Tasmania c. Smith
(1890) 15 A.C. 223 à la p. 225, lord Herschell, examinant un
point que le demandeur avait soulevé pour la première fois
devant la cour d'appel, eut à déclarer:
[TRADUCTION] Mes Seigneurs, je pense qu'on devrait exami
ner d'une manière très minutieuse un point comme celui-ci,
qui n'a pas été soulevé en première instance et est présenté
pour la première fois en cour d'appel. Le déroulement d'un
procès en première instance est commandé par les points qui
y sont soulevés et les questions posées aux témoins s'y
rapportent. Et il est évident qu'on ne se soucie pas d'élucider
les faits qui ne concernent pas ces points. (C'est moi qui
souligne.)
Il me paraît que, dans ces circonstances, une cour d'appel ne
devrait statuer en faveur d'un appelant sur un motif qui est
soulevé pour la première fois que si elle est indubitablement
convaincue d'une part qu'on lui a soumis tous les faits relatifs
à la nouvelle prétention, aussi complètement qu'on l'aurait
fait si la controverse était survenue en première instance; et
d'autre part que les témoins dont la conduite est mise en
cause n'auraient pu offrir d'explication satisfaisante s'ils
avaient eu l'occasion de s'expliquer quand ils étaient à la
barre des témoins*. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'affaire Lamb c. Kincaid (1907) 38 R.C.S. 516 à la page
539, le juge Duff, alors juge puîné, s'est référé, en l'approuvant,
à l'arrêt Tasmania (précité) et déclarait:
[TRADUCTION] Si on avait affirmé en première instance que
les demandeurs devraient suivre la procédure que l'on sug-
gère maintenant, on ne peut savoir comment ils auraient
expliqué le fait qu'ils n'ont pas procédé de cette façon.
Plusieurs explications me viennent à l'esprit, mais une telle
spéculation est sans intérêt; et je ne pense pas que l'on puisse
légitimement, à ce stade, inviter les demandeurs à justifier
leurs attitudes révélées par les preuves figurant au dossier.
Une cour d'appel, à mon avis, ne devrait pas donner suite à
un tel point, soulevé pour la première fois en appel, à moins
d'avoir la certitude que la question, eût-elle été soulevée en
temps opportun, n'aurait pu être élucidée davantage.
Il y a beaucoup d'autres arrêts dans le même sens, mais
contrairement aux affaires dans lesquelles le moyen nouveau a
été soulevé pour la première fois en appel, en l'espèce il l'a été
au cours des débats devant le savant juge de première instance.
Cependant, à ce moment-là les deux parties avaient déjà ter-
* Les italiques sont de moi.
miné leur plaidoyer de sorte que le défendeur, à ce stade, ne
pouvait plus produire de preuve pour réfuter l'argument; par
conséquent, les mêmes principes devraient s'appliquer. Proba-
blement le défendeur avait déjà produit des preuves pertinentes
pour répliquer aux arguments invoqués contre lui. On ne
devrait pas placer cette cour ni le juge de première instance
dans la situation d'avoir à décider si toutes les preuves possibles
ont été opposées à chacun des moyens soulevés par l'autre
partie, à moins que cette cour ou le juge de première instance
soit parfaitement convaincu que toutes les preuves requises
permettant au défendeur de réfuter le nouveau moyen du
demandeur ont été présentées. Je n'ai pas cette conviction et je
ne pense donc pas que cette cour doive prendre en considération
la prétention de l'appelante relative à la création probable de
fiducies déclaratoires, ou que le savant juge de première ins
tance aurait dû le faire.
Comme on peut le constater, les circonstances
dans lesquelles le nouvel argument a été présenté
dans cette affaire sont très semblables à ce qui
s'est produit en l'espèce.
Par conséquent la question qui se pose est de
savoir si des éléments de preuve supplémentaires
auraient aidé l'intimée à réfuter le nouvel argu
ment? En réponse aux questions de la Cour, l'avo-
cat de l'intimée a déclaré que s'il avait compris,
d'après les plaidoiries, que la défense soulevée par
l'appelante à la fin de l'audience allait être présen-
tée, il aurait cité des experts en comptabilité pour
appuyer la manière dont sa cliente a traité les
remboursements comme un capital d'apport et
aurait également contre-interrogé l'expert de l'ap-
pelante dans l'espoir d'obtenir de lui la confirma
tion que le traitement du remboursement à titre de
capital d'apport est une méthode aussi acceptable
que de l'inclure dans le revenu de sa cliente. Pour
paraphraser ce qui a été dit dans l'affaire Kings-
dale, je ne suis pas parfaitement convaincu,
compte tenu de ces déclarations, que toutes les
preuves requises permettant à l'intimée de réfuter
le nouveau moyen de l'appelante en première ins
tance ou devant cette Cour, ont été présentées.
Pour tous ces motifs je suis donc d'avis que
l'argumentation de l'appelante présentée en pre-
mière instance et devant cette Cour en ce qui a
trait à la nature des remboursements reçus à
l'égard du déplacement des conduites n'aurait pas
dû être examinée ni en première instance ni par la
présente Cour puisqu'elle n'avait pas été présentée
comme elle aurait dû l'être à l'instruction de
l'affaire.
V
Le fond de l'appel
Je suis respectueusement d'avis qu'il est impossi
ble de faire une distinction entre l'espèce et l'af-
faire Canadien Pacifique. Il s'ensuit donc que
l'intimée, comme l'a décidé le juge de première
instance, avait le droit d'ajouter à la fraction non
amortie du coût en capital de ses biens de la
catégorie 2, ses dépenses engagées pour déplacer
ou pour modifier les pipelines à la demande des
tierces parties, peu importe le montant des rem-
boursements qu'elle a reçus de celles-ci; la nature
de ces remboursements n'était pas en cause.
Par conséquent l'appel devrait être rejeté avec
dépens.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à la
manière dont M. le juge Urie a tranché le présent
appel pour les motifs qu'il a prononcés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.