A-1041-83
Glen Howard (requérant) (appelant)
c.
Président du tribunal disciplinaire des détenus de
l'établissement de Stony Mountain (intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et MacGuigan—Winnipeg, 10 janvier; Ottawa,
1°r mars 1985.
Pénitenciers — Infractions disciplinaires — Le président du
tribunal disciplinaire des détenus a rejeté la requête de l'in-
timé en vue d'être représenté par avocat — Les modifications
apportées à la procédure en matière d'audiences disciplinaires
n'ont pas fait du comité de discipline une cour — La procédure
ne présente pas toutes les caractéristiques de la procédure
accusatoire — Les directives n'ont pas force de loi — Les
modifications n'ont amené qu'une version plus équitable du
modèle examiné par la Cour suprême du Canada dans les
affaires Martineau — Une requête en vue d'être représenté
n'est pas une question de discrétion mais plutôt un droit
lorsque les circonstances l'exigent — Les fonctions de prési-
dent du tribunal disciplinaire font l'objet de limites strictes —
Le président ne détient aucun pouvoir qui le rende maître de sa
procédure — La décision de rejeter une telle requête est
assujettie au pouvoir de surveillance des tribunaux supérieurs
— Appel accueilli — Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970,
chap. P-6, art. 24 (abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap.
53, art. 41), 24.1 (ajouté, idem), 29 (mod., idem, art. 44) —
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251,
art. 2, 38 (mod. par DORS/80-209), 38.8(1),(2) (ajoutés,
idem), 39 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.),
chap. 10, art. 18, 28.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fonda-
mentale — Il échet d'examiner si l'art. 7 de la Charte confere
au détenu le droit d'être représenté par avocat à l'occasion
d'une audience en matière de discipline carcérale — Le droit à
la représentation par avocat découle de l'obligation d'accorder
au détenu l'occasion de présenter adéquatement sa cause —
L'art. 7 n'exige qu'une procédure fondamentalement équitable
— Il n'est pas nécessaire, pour respecter l'exigence de l'art. 7,
que ce droit soit reconnu en toutes circonstances — Une
requête en vue d'être représenté par avocat n'est pas une
question de discrétion mais plutôt un droit lorsque les circons-
tances l'exigent — Le droit à la représentation par avocat
dépend de la gravité des accusations, des points de droit, de
l'aptitude du détenu à se défendre lui-même, des difficultés en
matière de procédure, de la nécessité d'obtenir une décision
dans un délai raisonnablement court et du besoin d'équité —
En l'espèce, le risque de perte de jours de réduction de peine
méritée, l'absence de détails quant aux infractions disciplinai-
res de même que l'imprécision et la complexité des accusations
témoignent du besoin de représentation par avocat — Appel
accueilli — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 7 — Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970,
Appendice III, art. la), 2e) — Constitution des E.-U., Amen-
dements XIV, XV.
L'appelant, détenu de l'établissement de Stony Mountain, a
été accusé d'infractions disciplinaires en vertu de l'article 39 du
Règlement sur le service des pénitenciers. Toutes ces accusa
tions étaient qualifiées de .graves ou flagrantes» suivant la
Directive du commissaire no 213. L'appelant a obtenu les
services d'un avocat de l'aide juridique et a demandé à être
représenté par avocat à l'audience disciplinaire. Cette requête
fut rejetée par le président du tribunal disciplinaire des détenus
qui a déclaré que l'article 7 de la Charte n'avait pas créé un
.nouvel ensemble de droits» et que les circonstances de l'espèce
n'empêchaient pas la tenue d'une audition équitable en l'ab-
sence d'un avocat. La Division de première instance a rejeté la
demande de l'appelant en vue d'obtenir un bref de prohibition
aux motifs qu'il n'existait pas en vertu de la common law de
droit à la représentation par avocat et que l'article 7 n'avait
conféré à l'appelant aucun droit nouveau à une telle représenta-
tion. La question qui se pose est celle de savoir si l'article 7 de
la Charte garantit aux détenus le droit d'être représentés par
avocat aux audiences disciplinaires. L'espèce soulève également
la question de savoir si les modifications apportées à la procé-
dure (telles que la nomination de présidents choisis à l'extérieur
du Service correctionnel et le formalisme entourant la nouvelle
procédure) ont changé la nature des procédures disciplinaires
telle qu'énoncée jusqu'ici par la Cour suprême du Canada et
transformé le comité de discipline en unc cour au sens tradi-
tionnel du terme.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge en chef Thurlow (avec l'appui du juge Pratte):
L'adoption de l'article 7 de la Charte n'a créé aucun droit
absolu d'être représenté par avocat. La norme à respecter pour
répondre aux exigences de l'article 7 en matière de procédure
est une procédure qui soit fondamentalement équitable. Dans
ce contexte, le droit d'une personne à l'assistance d'un avocat
découle de l'obligation d'accorder à cette personne l'occasion
d'exposer adéquatement sa cause. Il n'est pas nécessaire, afin
d'offrir au détenu une telle occasion et donc afin de respecter
l'exigence de l'article 7, de reconnaître en toutes circonstances
son droit d'être représenté par avocat devant un tribunal disci-
plinaire. La question de savoir si oui ou non une personne a un
tel droit dépend des circonstances de l'espèce, de sa nature, de
sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à
comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est
pas exhaustive. Il s'ensuit donc que la requête d'un détenu en
vue d'être représenté par avocat n'est pas une question de
discrétion, mais un droit garanti par l'article 7 lorsque les
circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéquate-
ment la cause du détenu exige la représentation par avocat.
Lorsque les circonstances ne mènent pas à cette conclusion, le
fonctionnaire responsable dispose néanmoins d'un pouvoir rési-
duaire lui permettant d'autoriser la présence d'un avocat, mais
ce point n'entre pas dans le champ d'application de l'article 7.
Lorsque les circonstances laissent voir la nécessité de la
représentation par avocat, non seulement il n'existe pas de
pouvoir discrétionnaire permettant de refuser la requête en
représentation, mais le président du tribunal disciplinaire n'est
même pas habilité à décider s'il s'agit d'un cas auquel la
représentation par avocat doit être accordée. Les fonctions de
ce dernier font l'objet de limites strictes imposées par les
paragraphes 24.1(2) de la Loi sur les pénitenciers et 38.1(2) du
Règlement. La Directive du commissaire no 213, qui est une
directive de nature administrative, indique au président du
tribunal comment il doit accomplir ses fonctions, y compris
celle de diriger l'audition, et elle renferme à son annexe .A» une
disposition interdisant au président d'autoriser la représentation
par avocat. Il n'est donc pas possible d'affirmer que le président
du tribunal est investi d'un pouvoir qui le rendrait maître de sa
procédure et l'autoriserait ainsi à permettre la représentation
par avocat ou à se prononcer sur le droit d'un détenu représenté
par avocat. Le refus qu'il pourrait opposer à une requête en vue
d'être représenté par avocat ne peut empêcher un tribunal
supérieur de se prononcer, dans l'exercice de son pouvoir de
surveillance, sur cette question.
En l'espèce, la requête de l'appelant ne pouvait, à bon droit,
être refusée. Le fait qu'il risquait de perdre ses 267 jours de
réduction de peine méritée, l'absence de détails quant aux
infractions disciplinaires et le fait que l'une des trois accusa
tions, soit celle d'avoir agi de manière à nuire à la discipline et
au bon ordre, constitue un chef d'accusation notoirement vague
et difficile à contester, témoignent de la nécessité de la repré-
sentation par avocat. En outre, dans une société qui reconnaît le
droit de tout individu d'être représenté par un avocat devant
toutes les cours de justice ordinaires afin de se défendre contre
toute accusation, il semble absurde de refuser ce droit à une
personne qui, bien que ne souffrant d'aucun handicap physique
ou mental l'empêchant de se défendre, fait néanmoins face à
des accusations emportant d'aussi graves conséquences.
Le juge MacGuigan: Il serait excessif de considérer que les
modifications apportées à la procédure régissant les audiences
disciplinaires ont eu pour effet de créer une cour. Il n'y a pas de
poursuites au sens strict du terme ni de poursuivant. Cette
procédure ne présente pas toutes les caractéristiques de la
procédure accusatoire. Qui plus est, cette nouvelle procédure
n'a pas encore été entièrement établie par la loi: la nomination
de présidents demeure facultative et les Directives du commis-
saire, qui sont les seules dispositions traitant de la conduite des
auditions, n'ont pas force de loi. Juridiquement, les modifica
tions n'ont amené qu'une version plus équitable du même
modèle de base examiné par la Cour suprême du Canada dans
les deux affaires Martineau.
La norme énoncée par l'article 7 est le droit de n'être privé
du droit à sa liberté »qu'en conformité avec les principes de
justice fondamentale». La justice fondamentale exige qu'il soit
donné à l'accusé l'»occasion d'exposer adéquatement sa cause»
comme l'a énoncé le juge Fauteux, juge en chef du Canada,
dans l'arrêt Duke c. La Reine. La Charte ne crée aucun droit
nouveau, mais elle vient étendre la portée de l'exigence concer-
nant l'occasion adéquate de répondre à une accusation. Pour ce
qui est de la question de savoir si ce droit rend nécessaire la
représentation par avocat en toutes circonstances, elle ne peut
être décidée qu'au moyen d'une analyse complète des circons-
tances de l'affaire. Le juge Webster dans l'arrêt anglais Tar-
rant a énuméré six points dont il faut tenir compte relativement
au droit à la représentation par avocat: (1) la gravité de
l'accusation; (2) la probabilité que soient soulevés des points de
droit; (3) l'aptitude du détenu à exposer lui-même sa cause; (4)
les difficultés en matière de procédure; (5) la nécessité d'obte-
nir une décision dans un délai raisonnablement court; (6) le
besoin d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et les
fonctionnaires de la prison. (Cependant, le troisième point ne
peut être admis: aucun président de tribunal ne serait en
mesure au début des procédures disciplinaires de rendre un
jugement sommaire sur l'aptitude d'un détenu à exposer sa
cause avant même d'avoir entendu ce dernier.) La probabilité
qu'il faille faire appel aux services d'un avocat dans un cas
laissant entrevoir l'éventualité d'une déchéance de réduction de
peine méritée est telle qu'elle équivaut en réalité à une pré-
somption en faveur de la représentation par avocat et que le
président du tribunal se devrait de justifier toute entorse à cette
présomption.
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le droit d'être
représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce
sens violerait son droit à la justice fondamentale. L'existence de
ce droit dépend des faits. Le pouvoir dont dispose le président
du tribunal n'empêche pas une cour exerçant son pouvoir de
contrôle de substituer sa propre décision à celle de ce dernier si
elle est convaincue que le pouvoir discrétionnaire du président a
été exercé de façon erronée. En l'espèce, le président du tribu-
pal a mal saisi les effets de la Charte lorsqu'il s'est dit d'avis
que l'article 7 »ne crée pas un nouvel ensemble de droits et
n'élève pas à un plus haut degré la responsabilité d'un tribunal
administratif comme le comité de discipline». La Charte a bel
et bien modifié l'interprétation antérieure du droit et ce faisant,
elle influe même sur les procédures de nature purement admi
nistrative. L'appelant a donc manifestement été privé de la
protection d'un principe de justice fondamentale en contraven
tion de l'article 7.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; Martineau et autre
c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de
Matsqui (N° 1), [1978] 1 R.C.S. 118; Martineau c.
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2),
[1980] 1 R.C.S. 602; Fraser v. Mudge, [1975] 1 W.L.R.
1132 (C.A. Angl.); Reg. v. Secretary of State for the
Home Department, Ex parte Tarrant, [1984] 2 W.L.R.
613 (Q.B.D. Angl.); Wolff v. McDonnell, 418 U.S. 539
(1974); Re Davidson et un comité de discipline de la
prison des femmes et autre (1981), 61 C.C.C. (2d) 520
(C.F. ire inst.); Blanchard c. Le Comité de discipline de
l'établissement de Millhaven et autre, [1983] 1 C.F. 309;
69 C.C.C. (2d) 171 (1° inst.); Joplin v. Chief Constable
of Vancouver Police Dept., [1983] 2 W.W.R. 52
(C.S.C.-B.); R. v. Cadeddu (1982), 3 C.R.R. 312 (H.C.
Ont.); Law Society of Upper Canada c. Skapinker,
[1984] 1 R.C.S. 357; 8 C.R.R. 193; Morrissey v. Brewer,
408 U.S. 471 (1972); Gagnon v. Scarpelli, 411 U.S. 778
(1973); Pett v. Greyhound Racing Association, Ltd.,
[1968] 2 All E.R. 545 (C.A.); Selvarajan v. Race Rela
tions Board, [1976] 1 All E.R. 12 (CA.); In re Prisons
Act and in re Pollard et al., jugement en date du 20
février 1980, Cour suprême de Terre-Neuve, n° du greffe
1355, non publié.
DECISIONS CITÉES:
Minott c. Le président du tribunal disciplinaire des
détenus du pénitencier de Stony Mountain et autre,
[1982] 1 C.F. 322 (1" inst.); La Reine, et autres c.
Operation Dismantle Inc., et autres, [1983] 1 C.F. 745
(C.A.); In re Husted et in re la Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada, [1981] 2 C.F. 791; 58 C.C.C. (2d)
156 (P' inst.); Re Swan and The Queen (1983), 7 C.C.C.
(3d) 130 (C.S. C. -B.); R. v. Nunery (1983), 5 C.R.R. 69
(H.C. Ont.); Collin c. Lussier, [1983] 1 C.F. 218; 6
C.R.R. 89 (1" inst.); R. v. Sibley (1982), 4 C.R.R. 166
(C. cté N.-E.); Re Jamieson and The Queen (1982), 70
C.C.C. (2d) 430 (C.S. Qc); R. v. Holman (1982), 28
C.R. (3d) 378 (C.P. C. -B.); Re Balderston et al. and
The Queen (1982), 2 C.C.C. (3d) 37 (B.R. Man.);
Baxter v. Palmigiano, 425 U.S. 308 (1976); General
Medical Council v. Spackman, [1943] A.C. 627 (H.L.);
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Evans v.
Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.); Charles Osenton &
Co. v. Johnston, [1942] A.C. 130 (H.L.); Quebec Asso
ciation of Protestant School Boards et al. v. Attorney
General of Quebec et al. (N° 2) (1982), 140 D.L.R. (3d)
33 (C.S. Qc), confirmée à (1983) 1 D.L.R. (4th) 573
(C.A. Qc).
AVOCATS:
Judy Elliott et Arne Peltz pour le requérant
(appelant).
Brian H. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
Legal Aid Manitoba, Ellen Street Commu
nity Legal Services, Winnipeg, pour le requé-
rant (appelant).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Appel est inter-
jeté en l'espèce d'un jugement de la Division de
première instance [(1983), 8 C.C.C. (3d) 557] qui
a rejeté la demande de l'appelant sollicitant une
ordonnance interdisant à l'intimé de continuer ou
de conclure, en l'absence de l'avocat réclamé par
l'appelant, l'audition de certaines accusations por-
tées contre lui en vertu de l'article 39 du Règle-
ment sur le service des pénitenciers [C.R.C., chap.
1251]. La question en litige dans le présent appel
consiste à déterminer si la requête de l'appelant a
été illégalement refusée.
Ainsi présentée, il s'agit d'une question limitée.
L'appelant ne prétend pas qu'il a droit à ce
qu'on lui fournisse un avocat. En fait, ayant déjà
retenu les services d'un avocat, il n'a même pas
demandé d'ajournement à cette fin. Par ailleurs,
l'avocat de l'intimé n'a pas contesté le fait que le
tribunal disciplinaire a le pouvoir et en fait le
devoir de permettre à un avocat de mener la
défense d'un détenu faisant l'objet d'une accusa
tion, dans les cas où, en le refusant, le tribunal
manquerait à l'obligation qui lui est faite de traiter
équitablement le détenu. On a dit qu'il s'agissait là
d'un [TRADUCTION] «pouvoir discrétionnaire»
dévolu au président. Dans la mesure où le droit de
l'appelant d'être représenté par un avocat peut lui
être refusé par suite de l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire à cet égard, l'appelant n'a aucune-
ment contesté, ni devant la Division de première
instance ni en appel, l'exercice par le tribunal
disciplinaire de ce pouvoir pour lui refuser sa
requête. Le litige se limite donc seulement à la
question de savoir si l'appelant avait le droit incon
testable d'être représenté par avocat et, plus parti-
culièrement, si l'article 7' de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] lui
garantissait ce droit.
À l'époque pertinente, l'appelant était détenu à
l'établissement de Stony Mountain où il purgeait
une peine d'emprisonnement de deux ans et quatre
mois. Le 31 décembre 1982, il fut impliqué dans
certains incidents avec des fonctionnaires de l'éta-
blissement, à la suite desquels cinq accusations
furent portées contre lui en vertu de l'article 39 du
Règlement sur le service des pénitenciers. Il fut
accusé d'avoir eu de la contrebande en sa posses
sion, d'avoir tenu des propos indécents ou irrespec-
tueux envers autrui, d'avoir commis un acte propre
à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'établis-
sement, d'avoir désobéi à un ordre légitime d'un
fonctionnaire du pénitencier et d'avoir menacé de
se livrer à des voies de fait sur la personne d'au-
trui. Concernant ces accusations, le dossier révèle
seulement que les événements y ayant donné lieu
sont tous survenus le 31 décembre 1982, les trois
premiers à 8 h 40, le quatrième à 9 h et le cin-
' 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
quième à 9 h 20. Le 6 janvier 1983, l'appelant a
comparu devant le président du tribunal et a plaidé
coupable sur les accusations de possession de con-
trebande et de désobéissance à un ordre légitime et
enregistré des plaidoyers de non-culpabilité à
l'égard des trois autres accusations.
Note de l'arrêtiste: L'affidavit de l'appelant,
Glen Howard, daté du 10 mai 1983 et déposé
devant la Division de première instance de la
Cour fédérale le 12 mai 1983, renferme les para-
graphes suivants:
(TRADUCTION] 3. LE 31 décembre 1982, j'ai été impliqué dans
certains incidents avec des fonctionnaires de l'établissement
de Stony Mountain. Â la suite de ces incidents, les chefs
d'accusation suivants furent déposés contre moi en vertu de
l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers:
(i) avoir menacé de se livrer à des voies de fait sur la
personne d'autrui;
(ii) s'être comporté, par ses propos ou écrits, d'une façon
indécente ou irrespectueuse;
(iii) avoir commis un acte propre à nuire à la discipline ou
au bon fonctionnement de l'établissement;
(iv) avoir eu de la contrebande en sa possession;
(y) avoir désobéi à un ordre légitime d'un fonctionnaire du
pénitencier.
5. Le 6 janvier 1983, j'ai comparu devant le président du
tribunal disciplinaire des détenus. J'ai enregistré un plaidoyer
de non-culpabilité à l'égard des trois premières accusations
mentionnées dans le troisième paragraphe du présent affida
vit, et un plaidoyer de culpabilité à l'égard des deux dernières
accusations mentionnées audit paragraphe.
Les motifs de jugement du juge de première
instance, le juge suppléant Nitikman, publiés à
(1983), 8 C.C.C. (3d) 557, se lisent en partie
comme suit (aux pages 559 et 560):
Le requérant est un détenu du pénitencier de Stony Moun
tain. Suivant son affidavit, sa mise en liberté obligatoire est
fixée au 9 juin 1983. Le 31 décembre 1982, il a été impliqué
dans certains incidents avec les fonctionnaires du pénitencier.
Par la suite, les accusations suivantes ont été portées contre
lui sur le fondement de l'art. 39 du Règlement sur le service
des pénitenciers:
[TRADUCTION] 39i) avoir eu de la contrebande en sa posses
sion le 31 décembre 1982, 8 h 40;
39g) s'être comporté, le 31 décembre 1982, 8 h 40, par
ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irres-
pectueuse ou menaçante envers autrui;
39k) avoir commis, le 31 décembre 1982, 8 h 40, un acte
propre à nuire à la discipline ou au bon fonctionnement de
l'établissement;
39a) avoir, le 31 décembre 1982, 9 h, désobéi ou omis
d'obéir à un ordre légitime d'un fonctionnaire du pénitencier;
39b) s'être, le 31 décembre 1982, 9h20, livré, ou avoir
menacé de se livrer, à des voies de fait sur la personne
d'autrui;
Ces infractions auraient été commises le 31 décembre
1982, les trois premières au même moment et les deux
dernières quelques instants plus tard. Par la suite, le requérant
a été accusé, en vertu de l'art. 39 du Règlement sur le service
des pénitenciers, d'avoir eu de la contrebande en sa posses
sion le 4 janvier 1983. Il a également été accusé, en vertu de
cet article, d'avoir désobéi, le 18 janvier 1983, un ordre
légitime donné par un fonctionnaire du pénitencier.
Le 6 janvier 1983, le requérant a comparu devant le prési-
dent du tribunal disciplinaire des détenus. Il a enregistré un
plaidoyer de non-culpabilité à l'égard des trois premières
accusations précitées et un plaidoyer de culpabilité à l'égard
des deux dernières. La décision quant aux infractions dont le
requérant s'était reconnu coupable a été remise à plus tard,
en attendant la décision sur les autres chefs d'accusation. Le
requérant a de nouveau comparu devant le président du
tribunal disciplinaire des détenus et a plaidé non coupable aux
deux dernières accusations.
La décision quant aux infractions dont il s'est
reconnu coupable a été remise à plus tard, en
attendant la décision sur les trois autres chefs
d'accusation. Il a été accusé ultérieurement d'avoir
eu en sa possession de la contrebande le 4 janvier
1983 et d'avoir refusé d'obéir à un ordre légitime
le 20 janvier 1983. L'appelant a plaidé non coupa-
ble sur ces accusations. Toutes les accusations
étaient qualifiées d'infractions «graves» ou «fla-
grantes» suivant la Directive du commissaire n°
213. Le 3 février 1983, date à laquelle il avait déjà
retenu les services d'un avocat, l'appelant a com-
paru devant le président du tribunal disciplinaire
des détenus qui a immédiatement ajourné l'audi-
tion dans le but d'obtenir les arguments écrits des
avocats de l'appelant et du ministère de la Justice
relativement à la requête présentée par l'appelant
en vue d'être représenté par un avocat à l'audition.
Le 11 avril 1983, sa requête a été rejetée. Le
président du tribunal a déclaré que l'article 7 de la
Charte ne créait pas [TRADUCTION] «un nouvel
ensemble de droits» et, n'ayant pas été convaincu
de l'existence, dans cette espèce, de circonstances
pouvant empêcher la tenue d'une audition équita-
ble en l'absence d'un avocat, il a exercé son pou-
voir discrétionnaire et rejeté la requête.
L'appelant a par la suite présenté sa demande en
vue d'obtenir un bref de prohibition. Cette
demande lui a été refusée le 7 juin 1983, le savant
juge de première instance ayant conclu que l'appe-
lant n'avait pas, en vertu de la common law, le
droit d'être représenté par un avocat dans de telles
procédures et que l'article 7 de la Charte n'avait
conféré à l'appelant aucun droit nouveau à une
telle représentation. Il n'a trouvé aucune raison
d'aller à l'encontre de la décision du président du
tribunal. L'appelant a immédiatement interjeté le
présent appel.
Le 10 mai 1983, date de l'affidavit produit à
l'appui de la demande sollicitant un bref de prohi
bition, l'appelant avait à son crédit 267 jours de
réduction de peine méritée et devait être libéré
sous surveillance obligatoire le 9 juin 1983. La
réduction de peine méritée pouvait faire l'objet
d'une déchéance totale ou partielle en raison des
procédures intentées devant le tribunal discipli-
naire. Parmi les autres peines pouvant être impo
sées par suite d'infractions graves ou flagrantes,
figurait l'isolement cellulaire appelé également iso-
lement disciplinaire.
L'avocat de l'appelant nous a appris que l'audi-
tion devant le tribunal disciplinaire des détenus a
eu lieu le 9 juin 1983 et que, le même jour,
l'appelant a été reconnu coupable de six des sept
chefs d'accusation portées contre lui, le tribunal
prononçant alors la perte de 70 jours de réduction
de peine méritée. Comme le bref de prohibition ne
peut plus être efficace et que l'appelant a fini
depuis longtemps de purger sa peine d'emprisonne-
ment, la question est devenue théorique et ne
devrait pas normalement être instruite. Cependant,
comme l'avocat de l'intimé et celui de l'appelant
ont signalé à la Cour qu'il serait important, tant
pour les détenus que pour l'administration des
pénitenciers, que cette Cour se prononce sur le
droit des détenus d'être représentés par avocat
dans de telles procédures disciplinaires et, en parti-
culier, sur l'effet de l'article 7 de la Charte, la
Cour a décidé, en vertu de son pouvoir discrétion-
naire, d'entendre cette question au fond.
À l'époque en cause, les dispositions pertinentes
de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap.
P-6 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53)] étaient les
suivantes:
RÉDUCTION DE PEINE MÉRITÉE
24. (1) Sous réserve de l'article 24.2, chaque prisonnier
bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque
mois, et d'un nombre de jours calculés au prorata pour chaque
partie de mois, passés à s'adonner assidûment, comme le pré-
voient les règles établies à cet effet par le commissaire, au
programme du pénitencier où il est emprisonné.
(2) Une première réduction de peine, accordée en vertu du
paragraphe (1), a lieu au plus tard à la fin du mois qui suit
celui où le détenu a été écroué ou, si avant que le présent
paragraphe n'entre en vigueur, il avait déjà été ainsi écroué, au
plus tard à la fin du mois qui suit celui de cette entrée en
vigueur; par la suite une semblable réduction est accordée au
moins à tous les trois mois.
24.1 (1) Les détenus bénéficiaires d'une réduction de peine
méritée qui sont déclarés coupables par un tribunal discipli-
naire d'avoir contrevenu à la discipline sont déchus, en tout ou
en partie, de leur droit, acquis après l'entrée en vigueur du
présent article, aux réductions de peine méritées inscrites à leur
actif; mais une telle déchéance, lorsque supérieure à trente
jours de réduction de peine, n'est valide que si elle rencontre
l'assentiment du commissaire ou du fonctionnaire du Service
qu'il a désigné à cette fin ou, lorsque supérieure à quatre-vingt-
dix jours, du Ministre.
(2) Le gouverneur en conseil peut faire des règlements pour
prévoir la nomination que lui ou le Ministre peut faire d'un
président pour chaque tribunal disciplinaire, pour prescrire les
fonctions de ce président et fixer sa rémunération.
RÈGLEMENTS ET RÈGLES
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef-
ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et
la discipline des détenus;
(2) Le gouverneur en conseil peut, dans tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1) sauf son alinéa b),
prévoir une amende d'au plus cinq cents dollars ou un empri-
sonnement d'au plus six mois, ou à la fois l'amende et l'empri-
sonnement susdits, à infliger sur déclaration sommaire de cul-
pabilité pour la violation de tous semblables règlements.
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut
établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com-
missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du
Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi
et la discipline des détenus et la direction judicieuse des
pénitenciers.
Sous la rubrique GARDE ET TRAITEMENT DES
DÉTENUS du Règlement sur le service des péniten-
ciers [mod. par DORS/80-209] on trouvait notam-
ment les dispositions suivantes:
38. (1) Il incombe au chef de chaque institution de maintenir
la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire
désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la
discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante
ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave
à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines
suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine ou de la
réduction de peine méritée, ou des deux;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une
période d'au plus trente jours;
c) de la perte de privilèges.
38.1 (1) Le Ministre peut nommer une personne pour prési-
der un tribunal disciplinaire.
(2) La personne nommée selon le paragraphe (1) doit
a) diriger l'audition;
b) consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonction-
naires désignés par le chef de l'institution;
c) déterminer l'innocence ou la culpabilité du détenu accusé
qui comparait devant elle; et
d) à la suite d'un verdict de culpabilité, ordonner l'imposition
de la peine qu'elle juge appropriée, conformément au présent
règlement.
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu
qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc-
tionnaire du pénitencier;
b) se livre, ou menace de se livrer, à des voies de fait sur la
personne d'un autre:
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon
indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce
soit;
i) a de la contrebande en sa possesion;
k) commet un acte propre à nuire à la discipline ou au bon
ordre de l'institution;
La Directive du commissaire n° 213 renfermait
les dispositions suivantes:
5. FONCTIONNAIRES CHARGÉS D'ENTENDRE LES CAUSES ET
D'IMPOSER LES PEINES
c. Dans le cas où un 'président indépendant a été nommé,
ce président sera assigné par le directeur de l'établisse-
ment pour entendre les causes et imposer les peines dans
tous les cas d'infractions graves ou flagrantes.
d. Dans le cas où un président indépendant n'a pas été
nommé, les personnes désignées pour imposer les peines
dans les cas d'infractions graves ou flagrantes seront au
moins au niveau de directeur adjoint.
12. L'AUDITION DES INFRACTIONS GRAVES OU FLAGRANTES
a. Une personne désignée par le directeur de l'établisse-
ment fera l'audition de toutes les causes correspondant à
des infractions graves ou flagrantes et, si la culpabilité
du détenu est établie, elle imposera une peine appro-
priée. Deux membres du personnel peuvent être désignés
pour assister à l'audition, mais leur rôle ne sera que
consultatif.
b. L'audition d'une cause doit être ouverte, dans la mesure
du possible, dans les sept jours ouvrables qui suivent la
date à laquelle l'infraction a été rapportée, à moins
qu'une raison en justifie le délai, mais elle peut, lorsque
les circonstances l'exigent, être ajournée au besoin.
c. On ne prononcera aucun verdict contre un détenu accusé
d'une infraction grave ou flagrante en vertu de l'article
2.29 du RSP à moins:
(1) qu'il ait reçu un avis écrit qui soit assez détaillé
pour lui permettre de se remémorer le moment où
la présumée infraction a été commise, ainsi que les
événements qui s'y rapportent, et un sommaire des
preuves que l'on possède contre tui;
(2) qu'il ait reçu l'avis écrit et le résumé dont il est fait
mention au paragraphe (1) au moins 24 heures
avant l'ouverture de l'audition, de façon à ce qu'il
ait eu suffisamment de temps pour préparer sa
défense;
(3) qu'il ait comparu en personne à l'audition de façon
à ce que les accusations portées contre lui le soient
en sa présence;
(4) qu'on lui ait donné la possibilité de dire tout ce qu'il
y avait à dire pour sa défense, y compris la produc
tion de documents connexes, et que l'auditeur de la
cause ait procédé à l'interrogatoire et au contre-
interrogatoire des témoins. Le détenu a le droit de
convoquer ses propres témoins, exception faite des
cas où la demande de la présence du témoin convo-
qué pourrait être frivole ou vexante: l'auditeur de la
cause est alors libre de refuser le témoignage de
cette personne; il devra toutefois donner au détenu
les motifs de son refus par écrit.
d. Le verdict de culpabilité ou de non-culpabilité doit être
basé strictement sur les preuves produites lors de l'audi-
tion et un verdict de culpabilité ne peut être rendu que,
si après avoir considéré les preuves produites de façon
juste et impartiale, il ne subsiste aucun doute raisonna-
ble quant à la culpabilité de l'accusé.
13. IMPOSITION DES PEINES
(5) Lorsque la peine imposée au détenu comprend une
déchéance de réduction statutaire ou réduction
méritée de peine, il est interdit, quelle que soit la
circonstance, de suspendre cette peine.
Et parmi les dispositions de l'annexe «A» de la
Directive n° 213:
12. DIVERS
a. Il est déjà arrivé qu'un prévenu ait demandé, officielle-
ment ou officieusement, d'être représenté par un avocat.
Dans de tels cas, il faut avertir le prévenu qu'il n'a pas
droit d'être représenté par un avocat à son audience.
Ces dispositions de la Loi, du Règlement et de la
Directive n'ont pas subi de modifications impor-
tantes depuis les deux affaires Martineau 2. Le
paragraphe 24.1(2) de la Loi sur les pénitenciers
édicté au chapitre 53 des Statuts du Canada de
1976-1977 a établi une catégorie nouvelle ou sup-
plémentaire de personnes pouvant présider les pro-
cédures d'un tribunal disciplinaire, mais, confor-
mément à l'opinion majoritaire de la Cour
suprême dans la première affaire Martineau, la
nature de ces procédures n'en demeure pas moins
essentiellement administrative et non pas judiciaire
ou quasi judiciaire. Par contre, comme aucune
question ne se pose relativement au partage des
compétences en matière de contrôle établi par les
articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], entre la Divi
sion de première instance de cette Cour et la Cour
d'appel, ou relativement à la question de savoir si
la requête en prohibition constitue un moyen
approprié de soulever la question du droit de l'ap-
pelant d'être représenté par avocat, il ne fait
aucune différence, à mon avis, que l'appelant ait
ou non, en tant que détenu, été traité devant le
tribunal disciplinaire conformément à ce qu'on
désigne par l'expression principes de justice natu-
relle ou conformément à une norme inférieure
exprimée par le mot «équitablement». Ni dans un
cas ni dans l'autre, exception faite de l'article 7 de
la Charte, l'appelant n'aurait été, à la lumière de
la jurisprudence existante, en mesure d'exiger de
plein droit d'être représenté par avocat à l'audi-
tion. Il aurait pu, au mieux, obtenir que le tribunal
exerce en sa faveur son pouvoir discrétionnaire de
l'autoriser à être représenté par avocat. Et même
là, cette autorisation aurait été accordée en dépit
de la Directive n° 213 que la Division de première
instance a toutefois jugée ultra vires et inopérante
dans la mesure où elle retire au tribunal discipli-
naire le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la
représentation par avocat. Voir les arrêts Minott c.
Le président du tribunal disciplinaire des détenus
du pénitencier de Stony Mountain et autre 3 et Re
Davidson et un comité_ de discipline de la prison
2 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de
l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; Martineau c.
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1
R.C.S. 602.
3 [1982] 1 C.F. 322 (1rc inst.).
des femmes et autre 4 . À ma connaissance, ni l'une
ni l'autre de ces décisions n'ont été portées en
appel.
Il semble que tant en Angleterre, où il n'existe
aucune disposition constitutionnelle comparable à
l'article 7 de la Charte, qu'aux États-Unis, où le
droit à l'application régulière de la loi est prévu
dans la Constitution, l'existence et la portée du
droit d'un détenu d'être représenté par un avocat
au cours de procédures disciplinaires ne soient pas
encore fixées de façon définitive.
En Angleterre, l'arrêt Fraser v. Mudge 5 est
considéré comme un précédent appuyant le prin-
cipe suivant lequel les détenus ne possèdent aucun
droit absolu d'être représentés par avocat. Dans ses
motifs, le Maître des rôles, lord Denning, a déclaré
[aux pages 1133 et 1134]:
[TRADUCTION] Si l'on permettait la représentation par avocat,
des délais considérables s'ensuivraient. C'est aussi le cas des
infractions aux règles de discipline carcérale. Elles doivent être
instruites et tranchées rapidement. Ceux qui procèdent à l'ins-
truction doivent, bien sûr, agir équitablement. Ils doivent infor
mer l'homme de l'accusation et lui donner la possibilité de faire
valoir sa défense. Mais cela peut se faire et se fait sans que
l'affaire soit retardée par la représentation par avocat. Je ne
crois pas qu'il y ait lieu de modifier l'usage existant. Il nous
faut éviter de créer un précédent dont on pourrait ensuite
s'autoriser pour soutenir qu'il y a un droit à se faire représenter
par un avocat.
Le lord juge Roskill a écrit [à la page 1134]:
[TRADUCTION] On recherche les larges principes sous-jacents à
ces règles. Il s'agit de maintenir la discipline en prison au
moyen de décisions appropriées, promptes et rapides, par le
directeur ou les visiteurs; et il me parait que les exigences de la
justice naturelle ne requièrent pas qu'une personne contre
laquelle des procédures disciplinaires ont été intentées ait le
droit absolu d'être représentée par avocat.
Le lord juge Ormrod a déclaré [à la page 1134]:
[TRADUCTION] Je suis d'accord. À mon avis, c'est au Parle-
ment qu'il appartient d'édicter les règles qu'il juge appropriées.
Je suis moi aussi d'avis que la présente requête doit être rejetée.
La portée de cette affaire qui a été intentée,
instruite en première instance et en appel et tran-
chée le même jour a toutefois été tempérée par la
décision de la Division du Banc de la Reine de la
° (1981), 61 C.C.C. (2d) 520 (C.F. Ir* inst.).
5 [1975] 1 W.L.R. 1132 (C.A. Angl.).
Haute Cour de justice dans l'affaire Reg. v. Secre
tary of State for the Home Department, Ex parte
Tarrant 6 , dans laquelle la Cour a jugé que même
si l'affaire Fraser v. Mudge défendait la proposi
tion suivant laquelle les détenus ne possèdent
aucun droit absolu d'être représentés par avocat, le
tribunal disciplinaire détient néanmoins le pouvoir
discrétionnaire de permettre la représentation par
avocat. Ce raisonnement repose sur le pouvoir qu'a
un tribunal, en l'absence de disposition légale à
l'effet contraire, d'établir sa propre procédure.
Aux pages 646 et 647, le lord juge Kerr a écrit:
[TRADUCTION] Le droit d'exercer un pouvoir discrétionnaire
J'aborde maintenant la deuxième question, soit celle de
savoir s'il est absolument défendu de permettre la représenta-
tion par avocat ou si les comités de visiteurs ont le pouvoir
discrétionnaire d'accorder des requêtes en ce sens. A ce qu'il me
semble, en vertu de notre droit, et compte tenu des principes de
justice naturelle, on ne peut répondre à cette question autre-
ment qu'en disant que les comités de visiteurs ont le pouvoir
discrétionnaire d'autoriser la représentation par avocat dans les
cas appropriés. Il doit en être ainsi et ce, pour au moins deux
raisons. Premièrement, puisqu'il n'existe aucune disposition
légale à l'effet contraire, les comités de visiteurs sont mitres de
leur propre procédure et ont droit de décider eux-mêmes si les
requêtes en ce sens doivent être accordées. À l'instar de tout
autre tribunal ou organisme enquêtant sur une accusation
portée contre un individu, ils ont le droit inconditionnel de
décider qui ils entendront au nom des personnes mises en
accusation.
Deuxièmement, la décision d'accorder la représentation par
avocat, lorsque demande en est faite, résulte nécessairement
dans certains cas du paragraphe 47(2) du Prison Act de 1952 et
de la règle 49(2) des Prison Rules de 1964. Ces deux disposi
tions prévoient en fait qu'il faut fournir au détenu qui est
accusé d'une infraction en vertu des règles l'occasion de présen-
ter convenablement et entièrement sa défense. Supposons alors
que, dans un cas particulier, un comité soit d'avis que cette
exigence ne peut être respectée que si le prisonnier est repré-
senté par avocat ou même que le comité doute que cet objectif
puisse être atteint sans représentation par avocat. Comment
alors le comité pourrait-il rejeter une requête en ce sens? Il ne
s'agit pas là de situations nécessairement hypothétiques. La
preuve soumise tend à démontrer que telle peut être l'opinion
des membres de comités dans un certain nombre de cas où, à
l'heure actuelle, ils sont liés par la «règle» suivant laquelle la
représentation par avocat est tout simplement hors de question.
En outre, bien que les principes de justice naturelle aient été
conçus au premier chef pour protéger les personnes contre
lesquelles des accusations sont portées, ils doivent également
s'appliquer à l'avantage des tribunaux ou organismes qui sont
chargés d'enquêter sur ces accusations et de décider de leurs
conséquences sur les personnes visées. Ces tribunaux ou orga-
nismes doivent avoir le droit de mener leurs procédures selon ce
qu'ils jugent approprié et suivant leur perception de la justice.
6 [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B.D. Angl.).
Si les comités ont, lorsqu'ils jugent approprié de le faire, le
pouvoir discrétionnaire d'accorder les demandes de représenta-
tion par avocat, quels sont alors les droits des détenus qui en
font la demande? A mon avis, la réponse est qu'ils ont droit à
ce que chacun des comités à qui une telle requête est présentée
l'examine adéquatement au fond.
Il ne s'ensuit pas toutefois que ces requêtes seront nécessaire-
ment accordées; mais elles doivent toujours l'être si, de l'avis du
comité, les circonstances sont telles que la représentation par
avocat est ou peut être nécessaire pour assurer le respect des
droits conférés au détenu par la règle 49(2). Afin de conclure si
oui ou non une telle requête doit être accordée, j'estime que les
comités doivent tenir compte des éléments que le juge Webster
énumérait dans son jugement ainsi que de toute autre circons-
tance qui peut leur paraître pertinente dans un cas particulier.
[C'est moi qui souligne.]
Dans le cours de ses motifs, le juge Webster a
dressé, aux pages 636 et 637, une liste de six points
à examiner avant d'exercer ce pouvoir discrétion-
naire. Voici ces points:
[TRADUCTION] (1) La gravité de l'accusation et de la peine
susceptible d'être imposée.
(2) La probabilité que soient soulevés des points de droit.
(3) L'aptitude [de l'individu] à se défendre lui-même.
(4) Les difficultés en matière de procédure.
(5) La nécessité d'obtenir une décision dans un délai raisonna-
blement court...
(6) Le besoin d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et
les fonctionnaires de la prison.
Il m'apparaît, à la lumière de cette décision, que
le détenu a, dans le système anglais, le droit
d'exiger du tribunal disciplinaire qu'il exerce, pour
des motifs judiciaires valables, son pouvoir discré-
tionnaire de permettre la représentation par avocat
et d'exiger que sa requête soit accueillie si, de
l'avis du comité de visiteurs, les circonstances sont
telles que la représentation par avocat est ou peut
être nécessaire afin de respecter le droit qu'a le
détenu aux termes des Prison Rules de se voir
accorder l'occasion de présenter sa défense de
façon adéquate et entière. À mon avis, cela équi-
vaut essentiellement au droit d'être représenté par
avocat lorsque les faits en démontrent le besoin et
à un pouvoir discrétionnaire de l'accorder dans
d'autres cas également. Il n'est pas sans intérêt de
signaler aussi l'opinion du juge Webster quant aux
occasions où la présence d'un avocat peut être
nécessaire. Traitant du cas de certains détenus en
particulier, il a déclaré aux pages 637 et 638:
[TRADUCTION] Il me semble que dans la plupart des cas
d'accusations de mutinerie, sinon dans tous, et certainement
dans les deux qui nous intéressent, peuvent se poser la question
de savoir si l'action collective a été voulue ainsi, c'est-à-dire si
elle était concertée ou non, et la question de la distinction entre
la simple désobéissance à un ordre particulier d'une part et le
mépris ou la contestation de l'autorité d'autre part.
À mon avis, lorsque de telles questions se posent ou peuvent
se poser, aucun comité de visiteurs se donnant les directives
appropriées ne pourrait raisonnablement refuser d'accorder à
un détenu le droit d'être représenté par avocat. Si cette décision
devait faire que les accusations de mutinerie seront renvoyées
plus fréquemment devant les tribunaux de juridiction criminelle
sous une autre forme, personnellement, je ne considérerais pas
cela comme un résultat regrettable.
Tangney et Anderson étaient tous deux accusés, entre autres,
de voies de fait contre un fonctionnaire de la prison, en vertu de
la règle 51. Chacun d'eux courait donc le risque de se voir
«imposer» une déchéance de réduction de peine pour une
période ne dépassant pas 180 jours—ou pour une période plus
longue encore si, comme le prétend M. Simon Brown, préten-
tion qui est toutefois contestée par les requérants, un comité a
le pouvoir d'imposer des peines consécutives, un point sur lequel
je n'ai pas à me prononcer. Pour ma part, je ne crois pas qu'on
puisse dire que tout comité raisonnable se donnant les directives
appropriées est obligé d'accorder le droit d'être représenté par
avocat ou, dans le cas de Tangney et Anderson qui en ont fait la
demande, que le comité aurait dû autoriser la présence d'un
conseiller. Par conséquent, je laisse à tout comité à qui la
question peut être posée le soin de la trancher.
Aux États-Unis, la Cour suprême a examiné un
problème semblable dans l'affaire Wolff v.
McDonnell'. La Cour a jugé que le droit d'un
détenu à la réduction de peine accumulée en vertu
d'une loi du Nebraska était protégée par la Consti
tution et que, pour lui retirer ce droit, il faut
respecter les exigences minimales en matière de
procédure imposées par le principe de l'application
régulière de la loi. Aux pages 560 et 561, la Cour
souligne ce qui constitue peut-être une différence
notable entre l'effet de la perte de réduction de
peine en vertu de la loi du Nebraska et l'effet de la
perte découlant des dispositions de la loi applicable
à la présente espèce. La Cour a déclaré:
[TRADUCTION] Le fait pour un détenu de perdre sa réduction
de peine n'a pas sur le coup le même effet désastreux que, pour
un détenu en liberté conditionnelle, la révocation de sa libéra-
tion conditionnelle. Il est très probable que la perte de la
réduction de peine ne se traduira pas par la modification des
conditions de sa liberté. Il est possible qu'elle repousse la date
de son admissibilité à une libération conditionnelle et prolonge
la peine maximale d'emprisonnement à purger, mais ce n'est
pas certain car sa réduction de peine peut lui être rendue.
D'ailleurs, même si la réduction de peine n'est pas rendue, on
7 418 U.S. 539 (1974).
ne peut affirmer avec certitude que la date réelle de mise en
liberté conditionnelle en sera affectée; et si survient une libéra-
tion conditionnelle, il est possible que la prolongation de la
période maximale d'emprisonnement résultant de la perte de la
réduction de peine n'affecte que la révocation de la libération
conditionnelle et même qu'elle n'ait pas cet effet. La perte de la
réduction de peine est indiscutablement une question très
importante. Il s'agit d'une sanction que l'État réserve aux cas
d'inconduite grave et nous ne devrions pas manquer de réalisme
au point de méconnaître son importance ... [C'est moi qui
souligne.]
Le fait qu'en vertu des dispositions de la Loi
canadienne un détenu ne puisse récupérer sa
réduction de peine méritée, après l'avoir perdue,
signifie que la déchéance prononcée par un tribu
nal disciplinaire se traduit pour le détenu par la
perte définitive et irrévocable du droit à la liberté,
conditionnelle ou restreinte, à laquelle il aurait eu
droit.
À propos du droit des détenus d'être représentés
par avocat, la Cour a déclaré [à la page 570]:
[TRADUCTION] L'intervention d'avocats dans les procédures
disciplinaires donnerait inévitablement à celles-ci un caractère
plus contradictoire et aurait tendance à amoindrir leur utilité
comme outil de promotion des objectifs correctionnels. La
nécessité de trouver des avocats en nombre suffisant au lieu et à
la date de l'audition causerait également des retards et des
problèmes d'ordre pratique. Dans l'état actuel de l'évolution de
ces procédures, nous ne sommes pas disposés à statuer que les
détenus ont droit, dans les affaires disciplinaires, de retenir un
avocat ou de se prévaloir des services d'un avocat nommé.
Toutefois, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un détenu illettré
ou encore lorsqu'il est peu probable, vu la complexité du litige,
que le détenu soit en mesure de recueillir et de présenter les
éléments de preuve nécessaires à une compréhension adéquate
de la cause, il devrait lui être permis de solliciter l'aide d'un
autre détenu de son choix ou si cela lui est interdit, d'obtenir
l'aide du personnel ou d'un détenu suffisamment compétent
choisi par le personnel. Cependant, nous n'avons pas en l'espèce
à nous étendre davantage sur cette question, car il n'est aucune-
ment allégué que l'intimé McDonnell fait partie de la catégorie
des détenus ayant droit au conseil ou à l'aide d'autres personnes
dans le cadre d'une audition en matière de discipline carcérale.
[C'est moi qui souligne.]
Cela n'exclut pas à mon avis la possibilité que
soit formulée dans l'avenir une règle différente.
J'en viens maintenant à l'article 7 de la Charte
et à la question de savoir si cette disposition a pour
effet d'accorder au détenu faisant l'objet d'une
procédure disciplinaire un droit d'être représenté
par avocat qui ne puisse lui être refusé par le
président du tribunal pour des motifs laissés à sa
discrétion.
Ce qui est en jeu a-t-on dit dans les procédures
disciplinaires, c'est la liberté et la sécurité du
détenu et son droit de ne pas en être privé si ce
n'est en conformité avec les principes de la justice
fondamentale. On a dit que la liberté du détenu
était en jeu parce que sa réduction de peine méri-
tée était menacée, tout comme l'était sa sécurité
car l'isolement cellulaire, appelé aussi isolement
disciplinaire, était l'une des peines pouvant lui être
imposées. Je fais mienne cette analyse dans la
mesure où il est question de la liberté de l'appelant
et cela suffit à mon avis aux fins des présentes.
Dans un même temps, il importe de signaler que là
réduction de peine méritée qui a été créée par la
Loi sur les pénitenciers a de tout temps été condi-
tionnelle, en ce sens qu'elle est sujette à déchéance
dans le cadre de procédures disciplinaires de
nature administrative et n'a donc jamais eu la
qualité d'un droit absolu d'être mis en liberté à
l'expiration de la portion non remise de la peine.
Soutenir que les droits d'un détenu en matière de
procédure ont été accrus par l'adoption de l'article
7 revient donc à prétendre que son adoption a
également amélioré la qualité d'un droit, qui n'est
pas absolu, que lui confère la Loi sur les
pénitenciers.
Dans leurs motifs, le président du tribunal disci-
plinaire et le savant juge de première instance ont
tous deux cité des opinions judiciaires formulées
dans un certain nombre de décisions publiées indi-
quant qu'un détenu n'a, en vertu de la common
law, aucun droit absolu d'être représenté par
avocat aux procédures d'un tribunal disciplinaire;
que les procédures légales établies en droit, avant
l'adoption de la Charte, sont des procédures con-
formes au principe de justice fondamentale; et que
l'article 7 de la Charte n'a rien ajouté aux droits
d'une personne se trouvant dans la situation de
l'appelant. Il est peut-être légitime d'aborder ainsi
la question, mais il me semble préférable, pour
interpréter l'article 7 et son sens dans le cadre de
la Charte, d'examiner le libellé de cette disposition
en essayant de découvrir son sens ordinaire, en
contexte.
L'article est formulé en termes généraux dans le
contexte d'une charte constitutionnelle faisant elle-
même partie de la Constitution du Canada. Ces
caractéristiques appellent une interprétation large.
Il se peut que l'article 1 vienne limiter l'étendue de
la garantie offerte par la Charte à l'égard des
droits énoncés à l'article 7, mais cela n'a, me
semble-t-il, aucune incidence sur l'interprétation
de l'article 7 ni sur le champ d'application de cette
disposition. En l'espèce, aucun argument n'a été
présenté relativement à l'effet qu'aurait l'article 1
sur un droit à la représentation par avocat pouvant
découler de l'article 7.
Par ailleurs, l'objet de l'article 7 est le droit à la
vie, à la liberté et à la sécurité de la personne,
questions de première importance pour tout indi-
vidu. En outre, le fait que les notions de liberté et
de sécurité de la personne soient réunies avec la vie
elle-même montre bien que le droit à la sécurité et
à la liberté se classe dans la même catégorie que le
droit à la vie. La jouissance des biens n'est pas
incluse dans cette catégorie comme elle l'est aux
alinéas la) et 2e) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
Au surplus, bien qu'en l'espèce le débat ait été
centré sur le sens et l'effet des mots «en conformité
avec les principes de justice fondamentale» comme
garantie du respect des normes en matière de
procédure, je n'exclus toutefois pas la possibilité
que ces mots puissent également viser ou inclure
des normes de fond.
Je tiens également à signaler qu'à mon avis, la
norme à respecter pour répondre aux exigences de
l'article en matière de procédure, n'est pas néces-
sairement la procédure la plus parfaite, la plus
subtile ou la plus élaborée qu'on puisse imaginer,
mais simplement en fait une procédure qui soit
fondamentalement équitable. Ce que cela exigera
ne manquera pas de varier selon la situation parti-
culière et la nature du dossier. Un tribunal impar
tial, la connaissance par la personne dont la vie, la
liberté ou la sécurité sont menacées de l'accusation
contre laquelle elle doit se défendre, une occasion
raisonnable de se défendre et une décision prise à
la lumière de la preuve produite à l'appui de
l'accusation et de la défense présentée à l'encontre
de cette accusation, sont autant de caractéristiques
d'une telle procédure.
Dans Duke c. La Reine», le juge en chef Fau-
teux, traitant du libellé similaire de l'alinéa 2e) de
la Déclaration canadienne des droits, a déclaré:
8 [1972] R.C.S. 917, la p. 923.
En vertu de l'art. 2e) de la Déclaration des droits, aucune loi
du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer de manière à le
priver d'une «audition impartiale de sa cause selon les principes
de justice fondamentale». Sans entreprendre de formuler une
définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant,
dans l'ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses
droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et
avec sérénité, et qu'il doit donner à l'accusé l'occasion d'exposer
adéquatement sa cause.
Dans ce contexte, le droit d'une personne à
l'assistance d'un avocat découle de l'obligation
d'accorder à cette personne l'occasion d'exposer
adéquatement sa cause. Le juge Goodridge, dans
l'affaire In re Prisons Act and in re Pollard et al. 9 ,
a signalé ce point précis lorsqu'il a fait observer,
entre parenthèses: [traduction] «Bien sûr, le
danger n'est pas le seul et unique critère; en réa-
lité, dans un sens plus étendu, il s'agit d'une
personne ayant le droit de se faire entendre par un
tribunal.»
Est-il alors devenu nécessaire, afin d'offrir au
détenu l'occasion de se faire entendre adéquate-
ment et donc afin de respecter l'exigence de l'arti-
cle 7, de reconnaître son droit d'être représenté par
avocat devant un tribunal disciplinaire? J'hésite à
me reporter aux décisions portant sur le droit
d'être représenté par avocat rendues avant l'adop-
tion de la Charte, car cela ne permettrait certaine-
ment pas de répondre à la question de savoir si un
nouveau droit a été créé. Par contre, prétendre que
chaque fois que la vie, la liberté ou la sécurité
d'une personne sont menacées dans le cadre d'une
procédure en matière de discipline carcérale naît
alors un droit absolu d'être représenté par avocat
découlant de l'exigence posée par l'article 7,
reviendrait à dire que le système en vigueur avant
l'adoption de cette disposition, dans lequel le tribu
nal avait, disait-on, le pouvoir discrétionnaire d'ac-
corder ou de refuser la représentation par avocat,
ne respectait pas nécessairement cette norme.
Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a
créé aucun droit absolu d'être représenté par
avocat dans toute procédure de ce genre. Il est sans
aucun doute de la plus grande importance que la
personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont
en jeu ait l'occasion d'exposer sa cause aussi plei-
nement et adéquatement que possible. Les avanta-
ges de l'assistance d'un avocat à cette fin ne sont
9 Cour suprême de Terre-Neuve, 20 février 1980, non
publiée.
pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c'est
l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne
crois pas qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de
cas où une telle occasion ne peut être fournie sans
qu'il faille également accorder le droit d'être
représenté par avocat à l'audition.
Une fois qu'on a adopté cette position, il me
semble que la question de savoir si oui ou non une
personne a le droit d'être représentée par avocat
dépendra des circonstances de l'espèce, de sa
nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'apti-
tude du détenu lui-même à comprendre la cause et
à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaus
tive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question
de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être
représenté par avocat peut être légalement refusée
ne peut être considérée comme une question de
discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque
les circonstances sont telles que la possibilité d'ex-
poser adéquatement la cause du détenu exige la
représentation par avocat. Il se peut que lorsque
les circonstances ne mènent pas à cette conclusion,
le fonctionnaire responsable dispose néanmoins
d'un pouvoir résiduaire lui permettant d'autoriser
la présence d'un avocat, mais ce point n'entre pas
selon moi dans le champ d'application de
l'article 7.
Il me semble qu'au Canada, le droit d'un détenu
d'être représenté par avocat lui est garanti par
l'article 7 dans un cas où, en vertu des systèmes
britannique et américain, ce droit ne pourrait lui
être refusé. Ce droit est garanti parce que, ex
hypothesi, il s'agit d'un cas où, pour donner au
détenu la possibilité d'exposer adéquatement sa
cause, il faut lui permettre d'être représenté par
avocat.
Au Canada, le système est donc différent parce
que, dans un tel cas, non seulement il n'existe pas
de pouvoir discrétionnaire, au sens réel du terme,
permettant de refuser la requête, mais aussi parce
que le président du tribunal disciplinaire n'est
même pas habilité à décider s'il s'agit d'un cas
dans lequel la représentation par avocat doit être
accordée. À mon avis, les fonctions de président du
tribunal disciplinaire font l'objet de limites strictes.
En vertu du paragraphe 24.1(2) de la Loi sur les
pénitenciers, les fonctions du président nommé en
vertu de cette disposition, comme l'était le prési-
dent du tribunal en l'espèce, sont celles prescrites
par les règlements. En vertu du paragraphe
38.1(2) du Règlement, il a le pouvoir de diriger
l'audition, de consulter deux fonctionnaires, de
décider de l'innocence ou de la culpabilité du
détenu et d'ordonner l'imposition d'une peine. La
procédure à suivre n'est cependant pas laissée à sa
discrétion. On a jugé" que la Directive du com-
missaire n° 213, édictée en vertu du paragraphe
29(3) de la Loi, n'avait pas force de loi, mais il me
semble néanmoins qu'il s'agit d'une directive de
nature administrative adressée au président du
tribunal lui indiquant comment il doit accomplir
ses fonctions, y compris celle de diriger l'audition,
et renfermant dans son annexe une disposition
interdisant au président d'autoriser la représenta-
tion par avocat. Dans un tel contexte, je ne crois
pas qu'on puisse considérer que le président du
tribunal est investi de quelque pouvoir qui le ren-
drait maître de sa procédure et l'autoriserait ainsi
à permettre la représentation par avocat ou à se
prononcer sur le droit d'un détenu d'être repré-
senté par avocat.
Il devra sans aucun doute se demander et déci-
der s'il s'agit d'un cas où une telle requête peut
être refusée et il doit être prêt à agir conformé-
ment à cette décision. Cependant, je suis d'avis que
le refus qu'il pourrait opposer à une telle requête
ne peut être considéré comme une décision sur ce
droit et ne peut empêcher un tribunal supérieur de
se prononcer, dans l'exercice de son pouvoir de
surveillance, sur cette question. Je tiens également
à souligner que le fait pour le président d'un
tribunal de décider qu'il lui est possible d'accorder
à un détenu une audition équitable en conformité
des principes de justice fondamentale sans pour
autant permettre à ce dernier d'être représenté par
avocat tendrait à démontrer, à mon avis, qu'il a
déjà des idées préconçues sur l'affaire et la défense
et que l'obligation qu'il aurait de se prononcer sur
cette question le placerait dans la position embar-
rassante d'avoir à juger de sa propre capacité
d'accorder au détenu les droits qui lui reviennent
sans savoir quels sont ces droits. A mon avis, cela
le rend incompétent pour se prononcer sur une
telle question.
10 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de
l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, le juge Pigeon, à
la p. 129; voir également Martineau c. Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602.
Cela m'amène à la question de savoir s'il s'agis-
sait en l'espèce d'un cas où la requête de l'appelant
pouvait, à bon droit, être refusée. La principale
caractéristique de l'espèce était que le détenu ris-
quait de perdre les 267 jours de réduction de peine
méritée. A mon avis, ce fait à lui seul indique qu'il
avait besoin d'être représenté par avocat. Il y a
ensuite l'absence de détails quant aux infractions
dont trois seraient survenues au même moment.
S'il était déclaré coupable des deux accusations
pour lesquelles il a plaidé non coupable, il risquait
d'être condamné à des pertes consécutives de 30
jours de réduction de peine sans que ces décisions
soient soumises à l'approbation du commissaire
pour ce qui pourrait n'être qu'un seul et même
acte. En outre, une des trois autres accusations lui
reprochait d'avoir agi de manière à nuire à la
discipline et au bon ordre, chef d'accusation notoi-
rement vague et difficile à contester pour quicon-
que. Ces caractéristiques indiquent également que
la protection des droits du détenu exigeait l'assis-
tance d'un avocat.
Rien dans le dossier n'indique que l'appelant
souffrait de quelque incapacité physique ou men-
tale l'empêchant de mener sa propre défense aussi
bien que ce qu'on pourrait attendre d'une personne
ordinaire n'ayant aucune formation juridique.
Toutefois, il a de toute évidence ressenti le besoin
d'être représenté par avocat puisqu'il a obtenu
rapidement l'aide d'un conseiller juridique. Il a dû
également être en mesure de convaincre les respon-
sables du service d'aide juridique de son besoin
d'être représenté. En outre, dans une société qui
reconnaît le droit de tout individu d'être représenté
par un avocat devant toutes les cours de justice
ordinaires afin de se défendre contre toute accusa
tion, même si les conséquences en sont insignifian-
tes, il me semble absurde de refuser ce droit à une
personne qui, bien que ne souffrant d'aucun handi
cap physique ou mental l'empêchant de se défen-
dre, fait néanmoins face à des accusations pouvant
se traduire par la perte de sa liberté, aussi res-
treinte ou fragile soit-elle, pour quelque 267 jours.
Compte tenu de tous ces éléments, je suis d'avis
que le refus d'accorder à l'appelant l'assistance
d'un avocat équivalait à lui refuser l'occasion, à
laquelle il avait droit, d'exposer adéquatement sa
défense et donc qu'un bref de prohibition aurait dû
être émis.
J'accueillerais l'appel avec dépens et annulerais
le rejet de la demande de bref de prohibition.
Comme un bref de prohibition n'aurait plus aucun
effet en l'espèce, je rends un jugement déclaratoire
portant que l'appelant avait droit aux services d'un
avocat pour présenter sa défense aux accusations
portées contre lui et qu'il a droit aux dépens
afférents à la demande.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux présents
motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Il est question, en l'es-
pèce, du droit à la représentation par avocat aux
audiences en matière de discipline carcérale et ce,
sous l'éclairage de l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés.
L'appelant, alors détenu à l'établissement de
Stony Mountain au Manitoba, fut impliqué, en
décembre 1982 et en janvier 1983, dans certains
incidents qui entraînèrent le dépôt contre lui, en
vertu de l'article 39 du Règlement sur le service
des pénitenciers, de sept chefs d'accusation formu-
lés comme suit:
[TRADUCTION] 39a) le 31 décembre 1982 et le 20 janvier 1983,
avoir désobéi ou omis d'obéir à un ordre légitime d'un fonction-
naire du pénitencier;
39b) le 31 décembre 1982, s'être livré ou avoir menacé de se
livrer à des voies de fait sur la personne d'autrui;
39g) le 31 décembre 1982, s'être comporté par ses actions,
propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou
menaçante envers autrui;
39i) le 31 décembre 1982 et le 4 janvier 1983, avoir eu de la
contrebande en sa possession;
39k) le 31 décembre 1982, avoir commis un acte propre à nuire
à la discipline ou au bon fonctionnement de l'établissement;
Il a plaidé coupable sur les premiers chefs d'accu-
sation présentés en vertu des alinéas 39a) et 39i) et
non coupable à l'égard de tous les autres chefs
d'accusation.
Toutes les accusations portées contre lui ont été
qualifiées de «flagrantes ou graves* et sont suscep-
tibles d'entraîner les peines suivantes prévues à
l'article 38 du Règlement:
38....
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave
à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines
suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine ou de la
réduction de peine méritée, ou des deux;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une
période d'au plus trente jours;
c) de la perte de privilèges.
L'appelant n'était pas admissible à une réduction
statutaire de peine mais pouvait perdre les 267
jours de réduction de peine méritée qu'il avait à
son crédit.
L'appelant a obtenu les services d'un avocat de
l'aide juridique et a demandé d'être représenté par
un avocat à l'audition des accusations portées
contre lui. Le président du tribunal disciplinaire
des détenus de l'établissement (l'intimé aux pré-
sentes), qui était avocat et procureur en exercice, a
rejeté, le 11 avril 1983, la requête présentée par
l'appelant en vue d'être représenté par avocat.
L'appelant a alors sollicité auprès de la Division de
première instance une ordonnance interdisant à
l'intimé de poursuivre ou de conclure, en l'absence
d'un conseiller juridique, l'audition des accusa
tions. Le 7 juin 1983, la Division de première
instance a refusé d'accorder cette ordonnance.
La présente affaire a ceci de singulier, que
l'appelant devait être libéré sous surveillance obli-
gatoire deux jours plus tard et qu'il n'existait
aucune disposition légale permettant de le juger
après sa libération pour des infractions disciplinai-
res commises durant son séjour en prison. C'est
pour ces deux raisons que le président du tribunal
a entrepris d'instruire l'affaire sur-le-champ, a
déclaré le détenu coupable et prononcé la sentence,
bien qu'il ait été avisé de l'appel interjeté devant
cette Cour. L'avocat de l'appelant nous a appris
que ce dernier a été reconnu coupable de six des
sept chefs d'accusation (y compris les deux sur
lesquels il avait plaidé coupable) et qu'on a pro-
noncé contre lui la déchéance de 70 jours de
réduction de peine méritée.
Étant donné que ce geste du tribunal discipli-
naire a rendu inefficace l'ordonnance de prohibi
tion sollicitée et que l'appelant a depuis longtemps
fini de purger sa peine (bien qu'il soit de nouveau
en prison à la suite d'une condamnation pour une
infraction subséquente), la Cour n'a décidé de
faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour
entendre l'affaire au fond que parce que les parties
ont souligné l'importance qu'une décision de notre
Cour sur cette question pourrait avoir, étant donné
les exigences nouvelles imposées par la Charte.
La plus grande partie de la jurisprudence appli
cable en l'espèce date d'avant l'adoption de la
Charte. Après avoir jugé dans l'arrêt Martineau
(N° 1) (Martineau et autre c. Comité de discipline
des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1
R.C.S. 118) que les procédures en matière de
discipline carcérale ne pouvaient faire l'objet d'un
examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale puisqu'il s'agit de procédures de
nature administrative qui ne sont pas légalement
soumises à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire, la Cour suprême du Canada a déclaré dans
l'affaire Martineau (N° 2) (Martineau c. Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1
R.C.S. 602), concernant une demande présentée
en vertu de l'article 18 de cette même Loi, qu'un
comité de discipline des détenus est néanmoins
soumis à l'obligation d'agir avec équité. Compte
tenu des faits de l'affaire Martineau (N° 2), la
Cour suprême n'avait toutefois pas à se prononcer
sur les conséquences de cette obligation quant à la
représentation par avocat.
L'attitude qu'ont adoptée au départ les tribu-
naux anglais face à cette question a été formulée
par le Maître des rôles, lord Denning, dans l'af-
faire Fraser v. Mudge, [1975] 1 W.L.R. 1132
(C.A. Angl.), aux pages 1133 et 1134:
[TRADUCTION] Nous savons tous que lorsqu'un homme est
amené devant son chef pour une violation des règles de disci
pline, que ce soit dans les forces armées ou sur un navire en
mer, l'usage n'a jamais été d'accorder la représentation par
avocat. Il est de première importance que ces affaires soient
réglées rapidement. Si l'on permettait la représentation par
avocat, des délais considérables s'ensuivraient. C'est aussi le cas
des infractions aux règles de discipline carcérale. Elles doivent
être instruites et tranchées rapidement. Ceux qui procèdent à
l'instruction doivent, bien sûr, agir équitablement. Ils doivent
informer l'homme de l'accusation et lui donner la possibilité de
faire valoir sa défense. Mais cela peut se faire et se fait sans
que l'affaire soit retardée par la représentation par avocat. Je
ne crois pas qu'il y ait lieu de modifier l'usage existant. Il nous
faut éviter de créer un précédent dont on pourrait ensuite
s'autoriser pour soutenir qu'il y a un droit à se faire représenter
par un avocat.
Au Canada, le juge Cattanach a formulé une
opinion semblable dans l'arrêt Re Davidson et un
comité de discipline de la prison des femmes et
autre (1981), 61 C.C.C. (2d) 520 (C.F. 1 °r inst.), à
la page 534:
La nature même de la prison fait que la direction doit
pouvoir prendre des décisions exécutoires immédiatement, déci-
sions qui, en cas de désobéissance des détenus, amèneront
nécessairement des poursuites et l'imposition de sanctions. Cela
est essentiel et doit être courant. La désobéissance aux ordres
légitimes doit à cet égard être sanctionnée rapidement et effica-
cement. Si les pouvoirs et l'autorité de la direction sont contes
tés et l'effet dissuasif de la certitude d'une sanction rapide
supprimé, ce sera le chaos.
Pour ma part, j'estime difficile de concevoir des circonstances
où lors de l'instruction d'une infraction à la discipline militaire
ou carcérale, la présence d'un avocat soit essentielle au respect
de l'obligation d'équité.
Toutefois, le juge Cattanach a jugé que le prési-
dent du tribunal disciplinaire a le pouvoir discré-
tionnaire d'autoriser un détenu à être représenté
par avocat et que le défaut par le président d'exer-
cer réellement ce pouvoir discrétionnaire, en raison
des directives du Service correctionnel qui nient le
droit à la représentation par avocat pour toute
audition de ce genre, équivalait à un déni de
justice naturelle.
En définitive, cette décision coïncide avec l'ap-
proche adoptée par le juge suppléant Nitikman
dans Minott c. Le président du tribunal discipli-
naire des détenus du pénitencier de Stony Moun
tain et autre, [1982] 1 C.F. 322 (1c inst.). Par la
suite, le juge Addy a réitéré, aux pages 311 et 312
de la décision Blanchard c. Le Comité de disci
pline de l'établissement de Millhaven et autre,
[1983] 1 C.F. 309; 69 C.C.C. (2d) 171 (lrc inst.), à
la page 174, l'opinion suivant laquelle la présence
de l'avocat est laissée à la discrétion du président
du tribunal:
Il n'existe pas de droit à la représentation par avocat. La
personne qui préside l'enquête est entièrement libre de permet-
tre ou de refuser la présence de l'avocat qui représente le
prisonnier. Il peut y avoir des auditions où les questions sont si
complexes du point de vue juridique que l'obligation d'agir
équitablement amène la nécessité de permettre la présence d'un
avocat, mais je ne peux pour le moment concevoir une telle
situation, surtout lorsque la personne responsable de l'enquête
est un avocat dûment qualifié, comme en l'espèce. De plus, les
questions soulevées dans ces procédures disciplinaires portent
habituellement sur des faits.
Ces décisions canadiennes adoptent la position
suivante: en vertu de la common law, l'obligation
pour le président du tribunal d'agir équitablement
peut, en raison des faits particuliers d'une cause,
exiger une représentation par avocat, mais pas
nécessairement. Ces décisions précisent également
que la décision d'accorder cette représentation est
laissée à la discrétion du président du tribunal.
C'est également à cela qu'est parvenu le droit en
Angleterre sur cette question comme en témoigne
l'affaire Reg. v. Secretary of State for the Home
Department, Ex parte Tarrant, [ 1984] 2 W.L.R.
613 (Q.B.D. Angl.). C'est en se fondant sur la
même interprétation du droit que le juge de pre-
mière instance n'a trouvé en l'espèce aucune raison
d'aller à l'encontre de la décision du président du
tribunal de refuser la requête du détenu en vue
d'être représenté par un avocat à l'audition.
Cependant, l'appelant soutient que deux nou-
veaux éléments sont venus modifier le droit qui
s'appliquait jusqu'ici: les modifications apportées à
la Loi sur les pénitenciers et à son Règlement,
ainsi que l'effet de l'article 7 de la Charte.
Pour ce qui est du premier point, l'appelant
prétend que lorsque la Cour suprême du Canada
s'est prononcée dans les deux affaires Martineau,
le système disciplinaire était différent de celui qui
existe aujourd'hui. Le système en vigueur à l'épo-
que comportait un comité disciplinaire présidé par
le directeur de l'établissement ou la personne choi-
sie par ce dernier, et ce n'est que ce système,
soutient-on, que le juge Dickson (tel était alors son
titre) avait à l'esprit lorsqu'il a déclaré dans l'af-
faire Martineau (N° 2) à la page 629, qu'«Un
comité de discipline des détenus n'est pas une
cour.» La disposition en vigueur aujourd'hui, qui
prévoit la nomination d'un président choisi à l'ex-
térieur du Service correctionnel, et le formalisme
entourant la procédure qui doit être suivie devant
le tribunal disciplinaire suffiraient à en faire une
cour. En matière de procédure, la Directive du
commissaire N° 213 et son annexe «A» prévoient ce
qui suit: une accusation formelle semblable au
plan de la forme à une dénonciation criminelle; un
avis écrit de 24 heures informant le détenu de
l'accusation; un plaidoyer formel; la possibilité
pour le détenu de dire tout ce qu'il a à dire pour sa
défense, y compris la production de documents
pertinents, l'interrogatoire et le contre-interroga-
toire de témoins par l'entremise du président et
l'assignation de témoins; le droit du détenu de ne
pas s'incriminer; une décision fondée uniquement
sur la preuve produite à l'audience; la norme de
droit criminel de culpabilité au-delà de tout doute
raisonnable; l'enregistrement des procédures; et, à
la suite d'un verdict ou d'un aveu de culpabilité,
l'imposition d'une sentence. L'appelant prétend
aussi qu'il est possible de contester la légalité des
limites imposées par les Directives du commissaire
relativement au contre-interrogatoire et à l'assi-
gnation des témoins à décharge, car ces Directives
semblent aller en sens contraire des autres.
Il est vrai que le Rapport à la Chambre du
Sous-comité sur le régime d'institutions péniten-
tiaires au Canada, ministre des Approvisionne-
ments et Services du Canada, 1977, a déclenché
dès la mi-1977 une révision en profondeur de
l'administration de la justice à l'intérieur des pri
sons. La recommandation N° 30 (ibid., à la page
101) est particulièrement pertinente:
Des présidents indépendants sont requis immédiatement dans
toutes les institutions pour présider les audiences disciplinaires.
Les affaires doivent être jugées dans les quarante-huit heures, à
moins qu'il y ait des motifs raisonnables pour un délai
supérieur.
Au début de l'année 1978, des présidents indépen-
dants instruisaient déjà les audiences disciplinaires
dans les établissements à sécurité maximale et, à la
fin de l'année 1980, le nouveau système était en
place dans les établissements à sécurité moyenne.
Dans Reg. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C.
(3d) 23 (C.S.C.-B.), affaire dans laquelle plusieurs
personnes avaient été accusées, en vertu du Code
criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34], d'infractions
ressemblant beaucoup à celles dont elles venaient
d'être reconnues coupables au terme des procédu-
res disciplinaires, un tribunal de la Colombie-Bri-
tannique a jugé que, puisque les procédures disci-
plinaires constituaient des actes de nature
administrative, on n'avait pas contrevenu à la
Charte en intentant ultérieurement des procédures
criminelles. Le juge Toy a rejeté (à la page 34)
l'argument présenté par l'appelant en l'espèce, qui
consiste à dire que les modifications apportées au
Règlement depuis l'affaire Martineau (N° 2) ont
créé une cour au sens traditionnel du terme:
[TRADUCTION] À part le changement de désignation, la fonc-
tion remplie par le tribunal disciplinaire constitue précisément
ce que le chef de l'établissement pouvait faire auparavant et
peut encore faire aujourd'hui, à savoir, rendre une décision sur
les infractions disciplinaires et imposer une peine. Il s'agit
toujours d'un tribunal privé ou interne chargé exclusivement de
juger les infractions disciplinaires des détenus et d'imposer
certaines peines limitées, soit la perte de réduction de peine
méritée et l'isolement punitif.
Une opinion contraire relativement à cette ques
tion du statut du tribunal disciplinaire a été formu-
lée dans In re Prisons Act and in re Pollard et al.,
le 20 février 1980, non publié, n° du greffe 1355,
1979 (C.S.T.-N.), affaire dans laquelle la déclara-
tion de culpabilité prononcée contre deux gardiens
pour la violation des règlements de la prison a été
annulée parce que, entre autres choses, on leur
avait refusé le droit d'être représentés à l'audition.
Le juge Goodridge a déclaré que le forum en
question était un tribunal créé par la loi, qui
exerçait une fonction judiciaire (aux pages 19 et
20):
[TRADUCTION] Contrairement au cas d'un tribunal interne,
oa les parties qui comparaissent, en devenant membres de
l'association qui l'a créé, ont accepté d'être assujetties à sa
compétence, un tribunal créé par la loi et exerçant une fonction
judiciaire est établi par voie législative sans le consentement des
parties qu'il peut viser.
Le droit à la représentation est essentiel devant de tels
tribunaux.
Le juge Goodridge a indiqué en obiter (à la page
30) que cette décision s'appliquerait également en
matière de discipline des détenus.
Bien qu'à mon avis il soit inexact de dire que les
modifications de la procédure se sont limitées à un
changement de désignation, il serait par ailleurs
excessif de considérer qu'elles ont déjà eu pour
effet de créer une cour. Il n'y a pas de poursuites
au sens strict du terme ni de poursuivant. Le rôle
du président qui est assisté de deux fonctionnaires
du Service correctionnel accomplissant une tâche
inhabituelle, que le juge Cattanach a tenté d'expli-
quer dans Re Davidson et autres, précité, à la page
535, en les comparant «aux assesseurs des affaires
d'amirauté en Cour fédérale», tient de la procédure
inquisitoire. Dans l'ensemble, cette procédure ne
présente certainement pas toutes les caractéristi-
ques de la procédure accusatoire.
Qui plus est, cette nouvelle procédure n'a pas
encore été entièrement établie par la loi. L'article
38.1 du Règlement, s'appuyant sur le paragraphe
24.1(2) de la Loi sur les pénitenciers, autorise la
nomination de présidents pour les tribunaux disci-
plinaires, mais ces nominations demeurent encore
facultatives. Les règles de procédure aux audiences
et même l'exigence suivant laquelle les infractions
graves ou flagrantes doivent être instruites par des
présidents venant de l'extérieur ne sont inscrites
que dans les Directives du commissaire qui,
comme il a été décidé dans l'affaire Martineau (No
1), n'ont pas force de loi. Par conséquent, même si
le nouveau système légal en matière d'audiences
disciplinaires dans les prisons est en voie d'évolu-
tion, il n'a pas encore pris forme. Juridiquement, le
seul progrès réalisé a été la mise en place d'une
version plus équitable du même modèle de base
examiné par la Cour suprême dans les deux affai-
res Martineau.
Toutefois, la Charte canadienne des droits et
libertés introduit une perspective incontestable-
ment nouvelle, car là où elle ne crée pas de droits
nouveaux, elle peut néanmoins accroître la portée
de ceux qui existent déjà.
Devant cette Cour, l'appelant a renoncé à son
argument fondé sur l'alinéa 11d) de la Charte
pour ne s'appuyer que sur l'article 7 qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Comme l'a dit cette Cour dans La Reine, et autres
c. Operation Dismantle Inc., et autres, [1983] 1
C.F. 745 (C.A.), seule contrevient à cette disposi
tion l'atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la
sécurité d'une personne qui découle d'une violation
des principes de justice fondamentale. Le seul droit
dont il est question en l'espèce est le droit à la
liberté; l'expression «la sécurité de sa personne» ne
semble pas ajouter quoi que ce soit au mot
«liberté» dans le présent contexte.
Quels sont les principes de justice fondamentale
qui protègent le droit à la liberté? Dans l'arrêt
Joplin v. Chief Constable of Vancouver Police
Dept., [1983] 2 W.W.R. 52 (C.S.C.-B.), à la page
58, le juge en chef McEachern de la Cour suprême
de la Colombie-Britannique, a dit que [traduction]
«la justice fondamentale c'est la justice et l'équité,
rien de plus et rien de moins». Se fondant sur ce
principe, il a conclu qu'il y avait eu déni de justice
fondamentale dans le cas d'un officier de police
qui s'était vu refuser le droit d'être représenté par
avocat à une audience disciplinaire tenue en vertu
des Police (Discipline) Regulations de la Colom-
bie-Britannique ([TRADucTioN] Règlement sur la
police (discipline)), mais il a estimé que le résultat
serait le même tant en vertu du droit général qu'en
vertu de la Charte—et, quant au droit général, il a
cité la décision rendue par le juge Addy dans un
cas semblable mettant en cause la G.R.C. avant
l'entrée en vigueur de la Charte (In re Husted et in
re la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,
[1981] 2 C.F. 791; 58 C.C.C. (2d) 156 (l rc inst.)).
L'article 7 a été appliqué récemment dans deux
affaires portant sur des procédures en matière de
libération conditionnelle. Dans R. v. Cadeddu
(1982), 3 C.R.R. 312 (H.C. Ont.), le juge Potts a
déclaré que l'article 7 exigeait qu'une audience
portant sur la révocation d'une libération condi-
tionnelle se tienne en présence de la personne visée
et dans Re Swan and The Queen (1983), 7 C.C.C.
(3d) 130 (C.S.C.-B.), le juge en chef McEachern a
suivi la décision Cadeddu. Commentant l'article 7
(de même que l'article 9) de la Charte quelques
mois après ses précédentes observations dans
Joplin, le juge en chef McEachern a déclaré (à la
page 141):
[TRADUCTION] Ces dispositions attendent impatiemment
qu'une cour d'appel les analyse, mais il me semble qu'elles
penchent fortement vers l'exigence du respect des règles de la
justice naturelle plutôt que simplement vers l'équité de la
procédure dans le processus postérieur à la révocation.
La décision Cadeddu a également été suivie par le
juge Smith dans R. v. Nunery (1983), 5 C.R.R. 69
(H.C. Ont.), qui portait sur des faits presque
identiques. De plus, le juge Decary dans Collin c.
Lussier, [1983] 1 C.F. 218; 6 C.R.R. 89 (1 r° inst.)
a appliqué l'article 7 dans le cas d'un transfert de
détenu au sein du système des pénitenciers.
D'autres juges que le juge en chef McEachern
(Re Swan) ont appuyé le principe suivant lequel la
justice naturelle est la norme applicable en vertu
de l'article 7: le juge McLellan de la Cour de
comté de la Nouvelle-Écosse dans R. v. Sibley
(1982), 4 C.R.R. 166, à la page 168 ([TRADUC-
TION] «Je vois peu de différence entre les principes
de «justice fondamentale» et les principes de «jus-
tice naturelle»»); le juge Durand dans Re Jamieson
and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430 (C.S.
Qc), à la page 438 ([TRADucTIoN] «Il est égale-
ment établi que l'expression «fundamental justi-
ce—justice fondamentale» est synonyme de «natu-
ral justice—justice naturelle»»); le juge McCarthy
de la Cour provinciale dans R. v. Holman (1982),
28 C.R. (3d) 378 (C.P.C.-B.), à la page 388
([TRADUCTION] «Si «justice fondamentale» signifie
«justice naturelle» (comme c'est le cas selon
moi) ...») .
C'est la norme moins exigeante de l'équité dans
la procédure que les juges de la majorité de la
Cour suprême du Canada, dans les deux affaires
Martineau, ont appliquée aux audiences en
matière de discipline carcérale avant l'adoption de
la Charte. Cependant, le juge Dickson, se pronon-
çant pour les trois juges qui l'appuyaient dans
l'affaire Martineau (N° 2) aux pages 630 et 631, a
recommandé une approche plus large:
7. A mon avis, il est erroné de considérer la justice naturelle
et l'équité comme des normes distinctes et séparées et de
chercher à définir le contenu procédural de chacune. Dans
Nicholson, le juge en chef a parlé d'une «notion d'équité, moins
exigeante que la protection procédurale de la justice naturelle
traditionnelle». L'équité ne comporte le respect que de certains
principes de justice naturelle. Le professeur de Smith (3° éd.
1973, p. 208) a lucidement exprimé le concept d'une obligation
d'agir équitablement:
[TRADUCTION] Cela signifie en général l'obligation de res-
pecter les principes élémentaires de justice naturelle à une fin
limitée, dans l'exercice de fonctions qui, à l'analyse, ne sont
pas judiciaires mais administratives.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité
applicables aux cas individuels variera selon les circonstances
de chaque cas, comme l'a reconnu le lord juge Tucker dans
Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109, à la p. 118.
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon-
dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le
tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se
prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à
laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires
concernant la justice naturelle et l'équité.
La base la plus sûre pour se prononcer en l'es-
pèce semble être cette assise commune à la justice
naturelle applicable aux procédures quasi judiciai-
res et à l'équité applicable aux décisions de nature
administrative, assise sur laquelle le juge Dickson
attire notre attention dans l'extrait précité. Dans
les deux cas, la question sous-jacente est donc de
déterminer si le tribunal a agi équitablement. Dans
le cadre de cette approche, la teneur des principes
de justice fondamentale peut varier quelque peu
selon les circonstances.
En fait, l'article 7 ne fait pas de distinction entre
les procédures administratives et les procédures
quasi judiciaires. La seule norme énoncée par cette
disposition est le droit de n'être privé du droit à sa
liberté «qu'en conformité avec les principes de
justice fondamentale»., Bien qu'on puisse être d'ac-
cord avec le juge Scollin dans Re Balderstone et
al. and The Queen (1982), 2 C.C.C. (3d) 37 (B.R.
Man.), lorsqu'il dit à la page 46 que [TRADUC-
TION] «La Charte n'a pas effacé le passé et n'a pas
aboli la réalité», on ne peut toutefois en conclure
que la Charte n'a fait que confirmer le statu quo
juridique dans quelque domaine particulier. On ne
peut présumer a priori que telles doctrines juridi-
ques doivent être conservées, telles autres doivent
être modifiées et telles encore doivent être abro-
gées. Le seul guide en matière d'interprétation
judiciaire est la Charte elle-même. Le juge Estey
de la Cour suprême a formulé ce principe de la
façon suivante dans Law Society of Upper Canada
c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, aux pages 366
et 367; 8 C.R.R. 193, aux pages 200 et 201:
Il y a quelques considérations simples mais importantes qui
guident les cours dans l'interprétation de la Charte; elles sont
plus en évidence et perceptibles que dans le cas de la Déclara-
tion canadienne des droits. La Charte ne tire pas son origine de
l'un ou l'autre niveau de compétence législative du gouverne-
ment, mais de la Constitution elle-même. Elle appartient au
fond même du droit canadien. En réalité, elle est «la loi
suprême du Canadas: Loi constitutionnelle de 1982, art. 52. 11
n'est pas facile de la modifier. Le processus délicat et constant
d'ajustement de ces dispositions constitutionnelles est tradition-
nellement laissé, par nécessité, au pouvoir judiciaire. Il faut
maintenir l'équilibre entre la souplesse et la certitude. Il faut,
dans la mesure où il est possible de les prévoir, s'adapter dès à
présent aux situations futures. La Charte a été conçue et
adoptée pour guider et servir longtemps la société canadienne.
Une interprétation étroite et formaliste, qui n'est pas animée
par un sens des inconnues de l'avenir, pourrait retarder le
développement du droit et par conséquent celui de la société
qu'il sert. Nous sommes aux prises avec cela depuis longtemps
dans le processus de développement des institutions gouverne-
mentales en vertu de l'A.A.N.B., 1867 (maintenant la Loi
constitutionnelle de 1867). La Loi constitutionnelle de 1982
apporte une nouvelle dimension, un nouveau critère d'équilibre
entre les individus et la société et leurs droits respectifs, une
dimension qui, comme l'équilibre de la Constitution, devra être
interprétée et appliquée par la Cour. [C'est moi qui souligne.]
L'intimé soutient qu'il faut distinguer les cas où
un individu perd sa liberté absolue des cas où il
perd sa liberté conditionnelle par suite de la révo-
cation de sa libération conditionnelle et de ceux,
comme en l'espèce, où l'individu risque de perdre
la liberté conditionnelle escomptée lorsque la
réduction de peine prévue dépend de sa bonne
conduite.
L'intimé n'a pas prétendu que la liberté n'était
pas un des intérêts en jeu en l'espèce, mais unique-
ment que cet intérêt n'était pas suffisant pour
entraîner l'application de l'article 7 de la Charte à
la question du droit à la représentation par avocat:
même après la libération d'un détenu sous surveil
lance obligatoire, la sentence originale demeure et
cette liberté conditionnelle peut toujours être
perdue; à cet égard, la notion de réduction de peine
méritée diffère de la notion maintenant abolie de
réduction de peine statutaire et n'entraîne pas, en
cas de déchéance, la perte de la liberté absolue.
Toutefois, l'appelant réplique que comme la
réduction de peine méritée d'un détenu est calculée
mensuellement, elle ne peut, une fois le calcul
effectué, être révoquée sans motif valable. Il s'agit
d'un droit bien établi sujet, si l'on peut dire, à
condition résolutoire et qui ne peut être perdu que
si ladite condition se réalise. En toute autre cir-
constance, c'est un droit acquis.
De l'aveu général, la liberté dont bénéficie le
détenu dans le cadre d'une réduction de peine
méritée qui peut être révoquée n'est pas incondi-
tionnelle. Cependant, la question sur laquelle cette
Cour doit se prononcer consiste à déterminer si
cette liberté se rapproche suffisamment de la
liberté totale pour être protégée par l'article 7.
Dans l'affaire R. v. Cadeddu, précitée, un
détenu en liberté conditionnelle s'était vu refuser
une audience en sa présence avant la révocation de
sa libération conditionnelle; le juge Potts a conclu
(à la page 323) qu'il y avait eu contravention à
l'article 7:
[TRADUCTION] Examinons maintenant si les droits du requé-
rant garantis par l'art. 7 de la Charte ont été violés. Il me
semble qu'il faut répondre à deux questions: le requérant
était-il libre lorsqu'il était en liberté conditionnelle, et si oui,
a-t-il été porté atteinte à son droit à la liberté en conformité
avec les principes de justice fondamentale?
Ma réponse à la première question est que le requérant était
libre pendant sa libération conditionnelle. Bien qu'il soit évident
que la libération conditionnelle est un privilège qu'un détenu ne
peut réclamer de plein droit, que lorsque qu'un détenu est en
liberté conditionnelle, il purge sa peine d'emprisonnement, et
que décider d'accorder ou de révoquer une libération condition-
nelle équivaut à décider où un détenu doit purger sa peine, à
mon avis, aucune de ces considérations n'est utile pour détermi-
ner quel était le statut du requérant pendant sa libération
conditionnelle. Il est évident qu'il jouissait de la possibilité
d'être en liberté conditionnelle ou restreinte pendant la durée
de son incarcération. Même s'il s'agissait d'une liberté res-
treinte qui pouvait être révoquée, cela suffit, à mon avis, pour
entraîner l'application des garanties d'ordre constitutionnel
contenues à l'art. 7 de la Charte. Par conséquent, pour ne pas
violer les droits du requérant, la Commission ne pouvait révo-
quer sa libération conditionnelle qu'en conformité avec les
règles de justice fondamentale.
Dans Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, 28 D.L.R. (3d)
129, 7 C.C.0 (2d) 474, le juge en chef Fauteux a étudié
l'expression «principes de justice fondamentale» dans le con-
texte de l'al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits. À la
p. 479 C.C.C. il a déclaré:
Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces
mots, je les interprète comme signifiant, dans l'ensemble, que
le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir
équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et
qu'il doit donner à l'accusé l'occasion d'exposer adéquate-
ment sa cause.
À mon avis, cela ressemble beaucoup à une définition de la
justice naturelle.
Comme les droits protégés par l'art. 7 sont les plus impor-
tants de tous ceux que prévoit la Charte, que la privation de ces
droits entraîne les conséquences les plus graves pour un individu
et que la Charte établit une enclave sous mandat constitution-
nel afin de les protéger, enclave dans laquelle le gouvernement
s'aventure à ses risques, je suis d'avis que le requérant ne
pouvait être légalement privé de sa liberté sans la tenue en sa
présence d'une audience avant la révocation de sa libération
conditionnelle.
L'extrait des motifs du juge en chef Fauteux dans
l'affaire Duke revêt une importance particulière
parce qu'il montre que le principe sous-jacent est
la nécessité de fournir à l'accusé «l'occasion d'ex-
poser adéquatement sa cause».
L'interprétation qu'a donnée la Cour suprême
des États-Unis de l'exigence de l'application régu-
lière de la loi en matière de procédure, en vertu du
Cinquième Amendement de la Constitution améri-
caine, exigence rendue applicable aux États par le
biais du Quatorzième Amendement, peut être, je
crois, d'un certain secours. Dans l'arrêt Wolff v.
McDonnell, 418 U.S. 539 (1974), aux pages 556 et
557 (confirmé par la suite par Baxter v. Palmi-
giano, 425 U.S. 308 (1976)), la Cour (le juge
White) a conclu que la Constitution protégeait la
liberté d'un individu même lorsque, dans le cas
d'une réduction de peine, la liberté elle-même est
créée par la loi:
[TRADUCTION] Nous rejetons également l'affirmation de
l'État selon laquelle quoi qu'on puisse dire de la clause de
l'application régulière de la loi en général ou d'autres droits
protégés par cette clause contre l'empiètement de l'État, l'inté-
rêt des détenus dans le cadre des procédures disciplinaires n'est
pas visé par la notion de «liberté» protégée par le Quatorzième
Amendement. Il est vrai que la Constitution même ne garantit
pas la réduction de peine accumulée par suite d'un comporte-
ment satisfaisant durant l'incarcération. Toutefois, dans le cas
qui nous intéresse, l'État lui-même a non seulement prévu dans
la loi le droit à la réduction de peine, mais il a en outre précisé
qu'on ne peut être déchu de ce droit que pour une inconduite
grave. Le Nebraska peut effectivement avoir le pouvoir de créer
un droit à une peine réduite de prison grâce à l'accumulation de
crédits pour bonne conduite et il est vrai que la clause de
l'application régulière de la loi n'exige pas la tenue d'une
audience «dans tous les cas imaginables d'atteinte aux intérêts
privés par le gouvernement». Cafeteria Workers v. McElroy,
367 U.S. 886, 894 (1961). Mais comme cet État a créé le droit
à la réduction de peine et qu'il reconnaît lui-même que la perte
de ce droit est une sanction permise en cas d'inconduite grave,
l'intérêt du prisonnier prend réellement corps et entre suffisam-
ment dans le champ visé par la notion de .liberté» prévue au
Quatorzième Amendement pour lui donner droit aux procédu-
res minimales appropriées dans les circonstances et exigées par
la clause de l'application régulière de la loi afin d'assurer que ce
droit créé par l'Etat ne soit pas abrogé arbitrairement.
Il est vrai que la Cour en est venue à la conclu
sion que [TRADUCTION] «À ce stade de l'évolution
de ces procédures, nous ne sommes pas disposés à
conclure que les détenus ont droit dans le cadre de
procédures disciplinaires aux services d'un avocat
de leur choix ou désigné d'office» (page 570), mais
cette conclusion est fondée sur certains faits
n'ayant pas leur équivalent au Canada (pages 560
et 561):
Le fait pour un détenu de perdre sa réduction de peine n'a pas
sur le coup le même effet désastreux que, pour un détenu en
liberté conditionnelle, la révocation de sa libération condition-
nelle. Il est très probable que la perte de la réduction de peine
ne se traduira pas par la modification des conditions de sa
liberté. Il est possible qu'elle repousse la date de son admissibi-
lité à une libération conditionnelle et prolonge la peine maxi-
male d'emprisonnement à purger, mais ce n'est pas certain car
sa réduction de peine peut lui être rendue. D'ailleurs, même si
la réduction de peine n'est pas rendue, on ne peut affirmer avec
certitude que la date véritable de mise en liberté conditionnelle
en sera affectée; et si survient une libération conditionnelle, il
est possible que la prolongation de la période maximale d'em-
prisonnement résultant de la perte de la réduction de peine
n'affecte que la révocation de la libération conditionnelle et
même qu'elle n'ait pas cet effet.
Dans le , système canadien, la réduction de peine
méritée ne peut, une fois perdue, être récupérée,
alors que c'est possible dans le cas de la réduction
de peine du système américain. Fait tout aussi
important, notre système de surveillance obliga-
toire prévoit des dates précises de mise en liberté et
le présent cas en est la manifestation la plus
frappante, puisque l'arrivée imminente de la date
de mise en liberté a en effet amené le président du
tribunal à agir précipitamment.
Le passage précité laisse à penser qu'il serait
peut-être possible de trouver dans la jurisprudence
américaine portant sur la révocation des libéra-
tions conditionnelles une situation se rapprochant
davantage de la situation canadienne, mais mal-
heureusement, la décision qui fait autorité en la
matière, Morrissey v. Brewer, 408 U.S. 471
(1972), est ambiguë quant au droit à la représen-
tation par avocat. Se prononçant pour la majorité,
le juge en chef Burger laisse la question en suspens
(page 489):
[TRADUCTION] Nous n'abordons ni ne tranchons la question
de savoir si un détenu en liberté conditionnelle a le droit de
retenir les services d'un avocat ou d'en avoir un désigné d'office
s'il est dans l'indigence.
Cependant, le juge Brennan, parlant pour les juges
minoritaires concourants, a atténué cette réserve
(page 491):
[TRADUCTION] Toutefois, la Cour déclare qu'elle ne décide
pas en l'espèce de la question de savoir si un détenu en liberté
conditionnelle a également le droit à chaque audience d'être
assisté par l'avocat qu'il a retenu ou qui a été désigné d'office
s'il est dans l'indigence. Néanmoins, l'arrêt Goldberg v. Kelly,
397 U.S. 254 (1970), prescrit clairement qu'il faut au moins
«permettre au détenu de retenir les services d'un avocat s'il en
exprime le désir». Id., à la p. 270. Comme l'a déclaré la Cour
dans cet arrêt, «L'avocat peut aider à circonscrire les questions
en litige, à présenter les arguments de fait d'une manière
ordonnée, à mener le contre-interrogatoire et, de façon géné-
rale, à sauvegarder les intérêts de» son client. Id., aux pp. 270 et
271. La seule question laissée en suspens par notre jurispru
dence est celle de savoir s'il faut fournir un avocat au détenu en
liberté conditionnelle qui est dans l'indigence.
Une affaire ultérieure, Gagnon, v. Scarpelli, 411
U.S. 778 (1973), était centrée sur l'obligation de
fournir les services d'un avocat. La Cour a conclu
que bien que l'État ne soit pas tenu par la Consti
tution de fournir dans tous les cas les services d'un
avocat, il doit le faire lorsque le détenu sous ordon-
nance de probation ou en liberté conditionnelle se
trouve dans l'indigence, pourrait éprouver de la
difficulté à exposer sa version des faits contestés
sans interrogatoire ni contre-interrogatoire de
témoins, ou sans la production d'une preuve docu-
mentaire complexe. Cependant, la Cour est même
allée jusqu'à indiquer les cas où les services d'un
avocat devraient être fournis (le juge Powell à la
page 790):
[TRADUCTION] On peut présumer qu'un avocat doit être fourni
dans les cas où, après avoir été informé de son droit de
demander l'aide d'un avocat, le détenu sous ordonnance de
probation ou en liberté conditionnelle en fait la demande s'il
soutient plausiblement (i) qu'il n'a pas commis la violation
présumée des conditions de sa mise en liberté; ou (ii) que,
même si cette violation est notoire ou non contestée, il existe
toutefois des motifs sérieux justifiant ou mitigeant cette viola
tion et faisant de la révocation une peine inappropriée, et que
ces motifs sont complexes ou encore difficiles à élaborer ou à
exposer.
Tout compte fait, j'estime que les décisions amé-
ricaines sont utiles particulièrement en ce qu'elles
affirment clairement que la liberté des détenus est
protégée par la garantie constitutionnelle de l'ap-
plication régulière de la loi et en ce qu'elles sem-
blent suggérer qu'il ne peut y avoir perte totale de
la réduction de peine qu'au terme d'une procédure
se caractérisant par le droit à la représentation par
avocat.
Ce qu'enseignent tant les décisions canadiennes
qu'américaines c'est qu'il existe divers degrés de
liberté, tous protégés, quoique différemment, par
la règle de l'application régulière de la loi ou par
les règles de justice naturelle ou fondamentale. Il
faut toujours fournir une occasion adéquate d'ex-
poser la cause afin d'assurer le respect de la justice
fondamentale eu égard aux circonstances. En d'au-
tres mots, le caractère approprié de l'occasion
fournie est régi par une norme variable qui ne peut
être définie qu'en fonction du degré de liberté en
jeu et de la garantie procédurale en cause. Pour
trancher, il faudra parfois mettre en balance des
intérêts divergents. En l'espèce, le fait que la ques
tion se pose dans un pénitencier revêt une impor
tance capitale quant à l'évaluation des intérêts
divergents.
Les pénitenciers ne sont pas des endroits agréa-
bles réservés aux personnes aimables. Au con-
traire, ce sont des lieux d'incarcération où l'on met
à l'écart des hommes et des femmes purgeant des
peines de plus de deux ans et qui, pour la plupart,
sont des criminels endurcis ayant un comporte-
ment asocial. Heureusement, le système carcéral
aspire toujours à réformer. Cependant, l'ambiance
qui y règne rappelle tristement l'état primitif de la
nature telle que l'imaginait Hobbes avant l'avène-
ment du Leviathan, où l'être humain menait une
vie solitaire, pauvre, malsaine, abrutissante et
courte. Dans un tel climat de haine et de discorde,
la plus petite étincelle peut mettre le feu aux
poudres. Le bon ordre y est encore plus nécessaire
et plus fragile que dans des contextes militaires et
policiers et son rétablissement, lorsqu'il a été' trou-
blé, devient une question d'extrême urgence.
Seul un tribunal bien mal renseigné pourrait
ignorer que les autorités des pénitenciers doivent
réagir sur-le-champ aux troubles de l'ordre dans la
prison et seul un tribunal irréfléchi leur refuserait
les moyens de réagir efficacement.
Cependant, les caractéristiques de la pratique
disciplinaire actuelle ne sont pas toutes objective-
ment nécessaires aux fins d'une discipline expédi-
tive. L'argument de la commodité pour les autori-
tés ne peut à lui seul servir de justification; comme
l'a dit lord Atkin dans General Medical Council v.
Spackman, [1943] A.C. 627 (H.L.), à la page 638,
[TRADUCTION] «Souvent, la commodité et la jus
tice sont des notions incompatibles.» Même ce qui
est nécessaire mais pourrait néanmoins être
reporté à plus tard ne peut se voir accorder prio-
rité. Tout ce qui n'est pas nécessaire sur-le-champ
doit certainement céder le pas aux exigences supé-
rieures du droit à la liberté.
À la lumière de ces critères de nécessité et
d'urgence, il semble possible de justifier l'imposi-
tion immédiate de l'isolement punitif par la néces-
sité de mettre à l'écart les détenus impliqués, par
exemple dans une prise d'otages. Toutefois, l'isole-
ment punitif prononcé par un tribunal disciplinaire
revêt un caractère beaucoup moins urgent et il ne
semble pas du tout nécessaire que la décision de
révoquer la réduction de peine méritée soit prise de
façon urgente.
Il est clair que les exigences du droit à la liberté
sont à l'opposé de celles du pénitencier. Il n'est pas
nécessaire pour statuer en l'espèce de décider de la
question de l'application de l'article 7 à l'isolement
punitif. Qu'il suffise pour l'instant de considérer
que la révocation de la réduction de peine méritée
était une peine susceptible d'être imposée—même
si en l'espèce elle fut plus qu'une simple possibilité,
étant effectivement la peine qui fut imposée. Dans
de telles circonstances, les détenus des pénitenciers
ont droit de ne pas être privés de leur droit à la
liberté si ce n'est en conformité avec les principes
de justice fondamentale.
Pourquoi le droit d'être représenté par avocat
pourrait-il être exigé par la justice fondamentale?
Lord Denning en a décrit la raison d'être dans Pett
v. Greyhound Racing Association, Ltd., [ 1968] 2
All E.R. 545 (C.A.), à la page 549 dans le cadre
d'une audition concernant la révocation d'un
permis:
[TRADUCTION] Il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir se
défendre soi-même, de soulever les points en sa faveur ou faire
ressortir les faiblesses des arguments de la partie adverse. On
peut être incapable de parler ou, nerveux, paraître confus ou
dépourvu d'intelligence. On peut ne pas savoir interroger ou
contre-interroger les témoins ... J'estime donc que lorsque la
réputation d'une personne ou ses moyens d'existence sont en
jeu, elle a non seulement le droit de se défendre elle-même,
mais aussi le droit de se faire représenter par avocat.
Le juge en chef McEachern va même plus loin
dans Joplin v. Chief Constable of Vancouver
Police Dept., précité, aux pages 67 et 68, décrivant
le droit d'être représenté par avocat comme [TRA-
DUCTION] «la garantie la plus importante du pro-
cessus judiciaire» et ajoutant que [TRADUCTION]
«la justice et l'équité ne peuvent tolérer une procé-
dure dans le cadre de laquelle on attend d'un
profane qu'il jongle avec des concepts juridiques
qui lui sont inconnus et prenne en même temps des
décisions objectives sur sa situation».
Dans Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regio
nal Board of Commissioners of Police, [1979] 1
R.C.S. 311, aux pages 327 et 328, le juge en chef
Laskin, parlant pour la majorité, a conclu qu'un
agent de police en période d'essai avait droit d'être
traité équitablement avant d'être congédié, faisant
siens les propos suivants de lord Denning relative-
ment à l'obligation d'équité imposée à un orga-
nisme administratif n'exerçant pas de fonctions
judiciaires dans l'affaire Selvarajan v. Race Rela
tions Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), à la
page 19:
[TRADUCTION] La règle fondamentale est que dès qu'on peut
infliger des peines ou des sanctions à une personne ou qu'on
peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou
lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de
l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la
plainte et lui permettre d'y répondre.
C'est cette garantie qu'a un individu d'être
informé de la nature de la plainte portée contre lui
et de se voir accorder une occasion raisonnable d'y
répondre que j'ai désignée plus tôt, empruntant à
cette fin les mots du juge en chef Fauteux, comme
étant une occasion adéquate d'exposer sa cause.
Avant l'adoption de la Charte, on ne considérait
pas que cette garantie incluait la représentation
par avocat. Il faut maintenant se demander si la
Charte a eu pour effet d'étendre la portée de cette
«occasion adéquate» de répondre à une accusation.
Les tribunaux américains se sont prononcés de
façon précise sur les exigences de l'application
régulière de la loi. Dans Morrissey v. Brewer,
précité, à la page 489, le juge en chef Burger a
énuméré comme suit les exigences minimales de
l'application régulière de la loi dans le cadre des
audiences en matière de libération conditionnelle:
a) un avis écrit des violations reprochées; b) la
communication de la preuve contre l'accusé;
c) l'occasion de se faire entendre en personne et de
produire des témoins et des preuves documentai-
res; d) la confrontation et le contre-interrogatoire
des témoins de la partie adverse, à moins que le
président du tribunal ne trouve un motif valable de
décider le contraire; e) un tribunal impartial et
désintéressé; et f) un exposé écrit des juges des
faits faisant état des motifs de leur décision et de
la preuve sur laquelle ils se sont fondés. Comme je
l'ai souligné plus tôt, les juges de la majorité dans
Morrissey ont déclaré qu'ils ne prenaient aucune
décision quant au droit à la représentation par
avocat et ils ont également précisé que la procé-
dure devrait être assez souple pour permettre
l'examen d'éléments de preuve qui seraient par
ailleurs inadmissibles dans un procès criminel de
type accusatoire.
Le droit d'être représenté par avocat amène
nécessairement avec lui le droit de confronter les
témoins de la partie adverse et de les contre-inter-
roger, et c'est là qu'il entre le plus ouvertement en
conflit avec les intérêts des établissements péniten-
tiaires, particulièrement la répression rapide des
infractions. Ce droit témoigne également du carac-
tère complet du processus accusatoire sous réserve
de l'application d'une règle d'admissibilité de la
preuve plus libérale que devant les tribunaux de
juridiction criminelle. C'est en outre le seul droit
dont il est question, non seulement parce qu'il fait
l'objet de la contestation en l'espèce, mais aussi
parce que c'est le seul élément important de la
procédure accusatoire dont ne disposent pas déjà
les détenus.
Il se peut que la reconnaissance du droit à la
représentation par avocat entraîne inévitablement
l'entrée en scène d'un poursuivant, la disparition
totale de tout aspect inquisitoire dans le processus
et la mise en place complète du système accusa-
toire. J'admets qu'il s'agit là d'une évaluation
exacte des conséquences probables mais non d'un
argument in terrorem. Si c'est ce que la justice
fondamentale exige, alors il s'agit d'un pas en
avant et non d'une restriction.
Selon moi, l'article 7 vient étendre la portée de
l'exigence antérieure concernant l'occasion adé-
quate de répondre à une accusation, mais la ques
tion de savoir si cela rend nécessaire la représenta-
tion par avocat en toutes circonstances ne peut être
décidée qu'au moyen d'une analyse complète des
circonstances de l'affaire.
Le juge Webster dans l'affaire Tarrant, préci-
tée, aux pages 635 à 637, a énuméré six points
dont il faut tenir compte relativement au droit à la
représentation par avocat: (1) la gravité de l'accu-
sation et de la peine susceptible d'être imposée; (2)
la probabilité que soient soulevés des points de
droit; (3) l'aptitude du détenu à exposer lui-même
sa cause; (4) les difficultés en matière de procé-
dure; (5) la nécessité d'obtenir une décision dans
un délai raisonnablement court; (6) le besoin
d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et les
fonctionnaires de la prison.
Dans l'affaire Tarrant, même si la Cour n'était
pas disposée à conclure qu'aucun comité de visi-
teurs, se donnant les directives appropriées, ne
pourrait raisonnablement refuser d'accorder aux
détenus en question le droit d'être représentés par
avocat dans certaines des circonstances examinées
dans cette espèce, elle a néanmoins affirmé que les
comités de visiteurs avaient le pouvoir discrétion-
naire de décider d'accorder ou non des requêtes en
ce sens. Si cela signifie, dans le contexte canadien,
que le président du tribunal a le pouvoir de décider
s'il doit ou non accorder cette représentation par
avocat, je suis d'accord. Cependant, si cela signifie
que sa décision sur cette question, décision qui sera
présumément fondée sur les faits, est exempte de
tout contrôle judiciaire ultérieur, alors je suis
d'avis qu'elle ne respecte pas les exigences de
l'article 7, pas plus d'ailleurs qu'elle ne concorde
avec la décision de la Cour dans l'arrêt Tarrant où
finalement cinq des peines imposées par le comité
de visiteurs furent annulées.
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le
droit d'être représenté par avocat lorsque le fait de
refuser sa requête en ce sens violerait son droit à la
justice fondamentale. De l'aveu général, l'existence
de ce droit dépend des faits. Toutefois, ce droit,
lorsqu'il existe, n'est pas discrétionnaire si l'on
entend par ce terme que le président du tribunal a
le pouvoir discrétionnaire de le refuser. À mon
avis, le pouvoir dont dispose le président du tribu
nal n'empêche pas une cour exerçant son pouvoir
de contrôle d'examiner les faits et de substituer sa
propre décision à celle de ce dernier si elle est
convaincue, à la lumière des faits, qu'il s'agit d'un
cas où la représentation par avocat aurait dû être
accordée afin d'assurer au détenu les droits qui lui
sont garantis par l'article 7. Comme l'a affirmé
avec insistance lord Wright dans Evans v. Bart -
lam, [1937] A.C. 473 (H.L.), à la page 486, et
Charles Osenton & Co. v. Johnston, [1942] A.C.
130 (H.L.), à la page 148, le tribunal d'appel
n'interviendra que s'il est convaincu que le pouvoir
discrétionnaire a été exercé de façon erronée.
Voici les motifs de la décision du président du
tribunal en l'espèce sur la question de la représen-
tation par avocat [(1983), 8 C.C.C. (3d) 557, aux
pages 560 562]:
L'argumentation qu'a fait valoir Diane Dzydz en faveur de
son client, M. Howard, repose essentiellement sur trois (3)
moyens, savoir:
1. Que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés,
ci-après appelée la Charte, garantit le droit d'être représenté
par avocat;
2. Que, subsidiairement, l'al. 11d) de la Charte garantit ce
droit, parce que Howard est un «inculpé»;
3. Que, dans le cas où les deux (2) premiers arguments doivent
être rejetés, il convient, en l'espèce, d'exercer le pouvoir d'ap-
préciation et de reconnaître le droit du requérant d'être repré-
senté par avocat.
L'avocat du ministère de la Justice, Brian H. Hay, prétend,
pour sa part:
1. Que l'article 7 n'ajoute rien aux droits expressément prévus
par l'article 11 de la Charte;
2. Que même si l'article 7 ajoute effectivement des droits et que
les «principes de justice fondamentale» doivent être considérés
comme équivalant aux règles de «justice naturelle», celles-ci ne
«garantissent pas le droit à un avocat»;
3. Que l'al. 11d) ne modifie pas le droit canadien applicable au
droit des détenus à un avocat lors des auditions devant les
comités de discipline des détenus.
Le ministère de la Justice ne s'est pas prononcé sur la
question de savoir s'il existait des faits susceptibles, en l'occur-
rence, d'influencer l'exercice de mon pouvoir d'appréciation
dans le sens d'un accueil de la demande de Howard d'être
représenté par un avocat.
Relativement à l'argument fondé sur l'article 7 présenté par
Diane Dzydz, je suis d'avis que cet article ne crée pas un nouvel
ensemble de droits et n'élève pas à un plus haut degré la
responsabilité d'un tribunal administratif comme le comité de
discipline.
Dans l'affaire Re Jamieson and The Queen, une décision
inédite rendue le 24 septembre 1982 par la Cour supérieure du
Québec, la Cour a statué que les termes «justice fondamentale»
et «justice naturelle» étaient synonymes. La Provincial Judges
Court de la Colombie-Britannique, pour sa part, a statué dans
la décision R vs Holman, qui n'a pas été publiée, que l'expres-
sion en cause ne vise que l'application régulière de la loi et
qu'elle comprend en elle-même les principes de justice
naturelle.
Mme Dzydz prétend qu'il résulte de la combinaison de l'arrêt
Re Cardinal and Oswald and The Queen (1982), 67 C.C.C.
(2d) 252, dans lequel la Cour d'appel de la Colombie-Britanni-
que a reconnu que l'habeas corpus était une des voies de recours
qui s'ouvraient pour mettre fin à l'isolement disciplinaire d'un
détenu, et des remarques du juge en chef Fauteux dans l'arrêt
Duke c. R. (1972), 28 D.L.R. (3d) 129 (C.S.C.), que les droits
d'un détenu comprennent maintenant celui d'être représenté
par avocat.
Je ne suis pas du même avis. En l'absence de jugements à
l'effet contraire, je suis lié par les décisions Jamieson et
Holman (précitées) et je suis tenu de déclarer que les «principes
de justice fondamentale» doivent être considérés comme syno-
nymes des règles de la justice naturelle. Or, dans l'état actuel
du droit, les règles de la justice naturelle ne comportent pas le
droit à un avocat. A cet égard, voir également la décision
Davidson et un comité de discipline de la prison des femmes et
autre (1981), 61 C.C.C. (2d) 520 (C.F. re inst.), rendue par le
juge Cattanach qui, d'après moi, établit les principes qui doi-
vent régir le déroulement des auditions devant les comités de
discipline de détenus.
Mme Dzydz a cité plusieurs causes américaines pour
appuyer son argument voulant que les «principes de justice
fondamentale» soient synonymes du concept américain de «l'ap-
plication régulière de la loi». Ces décisions ne reconnaissent
cependant pas le droit à la représentation par avocat. A vrai
dire, la Cour suprême des États-Unis a déclaré dans l'arrêt
Baxter v. Palmigiaro, 425 U.S. 308 (1976) que les détenus
n'ont pas droit à un avocat lors des procédures touchant la
discipline.
La dernière question qu'il nous reste à résoudre est celle de
savoir s'il est nécessaire d'accorder la représentation par avocat
pour que le procès soit équitable.
On ne m'a pas convaincu de l'existence, en l'espèce, de
circonstances pouvant empêcher la tenue d'un procès équitable
en l'absence d'un avocat. Par conséquent, j'exerce mon pouvoir
d'appréciation et je rejette la demande présentée par Howard
aux fins d'être représenté par un avocat à l'audition. (C'est moi
qui souligne.]
Avec déférence, je dois conclure que le président
du tribunal a, au passage que j'ai souligné, mal
saisi l'effet de la Charte. La Charte a bel et bien
modifié l'interprétation antérieure du droit en
rehaussant l'importance du principe de justice fon-
damentale relatif à l'occasion adéquate de se
défendre et ce faisant, elle influe même sur les
procédures de nature purement administrative.
Une des accusations portées contre l'appelant en
l'espèce, soit celle d'avoir eu une conduite «propre
à nuire à la discipline ou au bon fonctionnement de
l'établissement», est une accusation fourre-tout tel-
lement vague que la nécessité d'obtenir l'aide d'un
avocat afin de préciser les faits et de contester les
allégations ne peut que sauter aux yeux. Par ail-
leurs, il est presque aussi essentiel d'avoir l'aide
d'un avocat pour se défendre contre une accusation
de s'être comporté «par ses actions, propos ou
écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou
menaçante» ou d'avoir eu en sa possession «de la
contrebande» qui est définie comme étant toute
chose que le détenu n'est pas autorisé à avoir en sa
possession [Règlement sur le service des péniten-
ciers, art. 2]. Même les accusations de désobéis-
sance à un ordre légitime ou de menace de se livrer
à des voies de fait sur autrui peuvent aisément
soulever des problèmes juridiques assez complexes.
Relativement aux deux plaidoyers de culpabilité, il
aurait pu être nécessaire d'obtenir les services d'un
avocat afin de plaider des facteurs d'exonération.
Je désapprouve particulièrement la proposition
formulée dans l'affaire Tarrant suivant laquelle
l'une des considérations pertinentes est l'aptitude
d'un détenu à se défendre lui-même. Avec défé-
rence, aucun président de tribunal ne serait en
mesure au début des procédures disciplinaires de
rendre un jugement sommaire de la sorte avant
même d'avoir entendu le détenu.
En dernière analyse, exception faite peut-être
des situations extrêmement simples, je ne peux
imaginer de cas où l'éventualité d'une perte de
réduction de peine méritée n'entraînerait pas la
nécessité d'avoir recours aux services d'un avocat.
En fait, la probabilité qu'il faille faire appel aux
services d'un avocat pour se défendre adéquate-
ment contre des accusations susceptibles d'entraî-
ner de telles conséquences est telle qu'à mon avis
elle équivaut en réalité à une présomption en
faveur de la représentation par avocat, et le prési-
dent du tribunal se devrait de justifier toute
entorse à cette présomption. L'accroissement des
droits par l'adoption de la Charte étend donc de
façon considérable la portée de la protection
accordée.
En l'espèce, la décision en litige révèle une
interprétation erronée du droit et un manque d'ex-
plication quant aux raisons pour lesquelles, dans
les circonstances, il pouvait y avoir audition adé-
quate sans la présence d'un avocat. Par consé-
quent, je n'éprouve aucune difficulté à conclure
que l'appelant a été privé de la protection d'un
principe de justice fondamentale, en contravention
de l'article 7 de la Charte.
Comme l'avocat du détenu était prêt à procéder
et n'attendait qu'à y être autorisé, il n'était pas
nécessaire en l'espèce d'insister sur la nécessité de
prendre des dispositions raisonnables et opportunes
pour assurer la représentation, dispositions jugées
nécessaires par le juge en chef McEachern dans
l'arrêt Joplin.
Il est également inutile en l'espèce de déterminer
quelles sont les limites des droits conférés par
l'article 7, s'il en est, pouvant se justifier en vertu
des dispositions de l'article 1 de la Charte. Comme
l'appelant a établi, à première vue du moins, qu'on
a porté atteinte à son droit à la liberté en vertu de
l'article 7, c'est maintenant à la Couronne qu'il
incombe, en vertu de l'article 1, de démontrer que
ce droit peut être restreint par une règle de droit,
dans des limites qui soient raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique: Quebec Asso
ciation of Protestant School Boards et al. v.
Attorney General of Quebec et al. (N° 2) (1982),
140 D.L.R. (3d) 33 (C.S. Qc), confirmée à (1983),
1 D.L.R. (4th) 573 (C.A. Qc). En l'espèce, l'in-
timé n'a pas tenté de se décharger de ce fardeau.
Je statue donc dans le sens que propose le juge
en chef.
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