A-1292-83
John A. Ziegler, Maple Leaf Gardens Limited,
Northstar Hockey Partnership, Le Club de
Hockey Canadien Inc., Meadowlanders Inc.,
Nassau Sports Limited, New York Rangers
Hockey Club, Philadelphia Hockey Club Inc.,
Pittsburgh Penguins Inc., Le Club de Hockey les
Nordiques (1979) Inc., Boston Professional
Hockey Association Inc., Niagara Frontier
Hockey Corporation, Calgary Flames Hockey
Club, Chicago Blackhawk Team Inc., Detroit Red
Wings Inc., Edmonton World Hockey Enterprises
Ltd., Hartford Whalers Hockey Club, California
Sports, Washington Hockey Limited Partnership,
8 Hockey Ventures Inc., Northwest Sports Enter
prises Limited, John Krumpe, Paul Martha,
Marcel Aubut, Paul Mooney, Robert Swados,
William Wirtz, Brian O'Neill, Seymour Knox,
Michael Ilitch, Howard Baldwin, Gerry Buss,
George Gund, Robert Butera, Harold Ballard, et
Barry Shenkarow (appelants)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions et O. G. Stoner, prési-
dent de la Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce, nommé en vertu de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions (intimés)
Cour d'appel, juges Le Dain, Marceau et Huges-
sen—Montréal, 27 et 28 octobre; Ottawa, 29
novembre 1983.
Preuve — Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la produc
tion de nombreux documents — L'art. 17 ne viole pas le
privilège contre l'auto-incrimination garanti par l'art. 2d) de
la Déclaration des droits — Le privilège contre l'auto-incrimi
nation accordé par la common law au témoin a été abandonné
— L'art. 2d) et l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada
assurent une protection contre l'usage subséquent des témoi-
gnages — Les art. 5 et 2d) n'accordent pas de protection en ce
qui concerne la communication forcée de documents — Élé-
ments de preuve qui en dérivent — L'art. 13 de la Charte
procure la protection requise — Une ordonnance rendue en
vertu de l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une
saisie au sens de l'art. 8 de la Charte? — La saisie était-elle
abusive? — Aucune violation de l'art. 8 — Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17(1),
20(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) — Déclara-
tion canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art.
2d) — Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 5 — Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue
la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26
- Constitution des É.-U., Amendements IV, V. �=
Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouilles, per-
quisitions ou saisies - Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la
production de nombreux documents - Une ordonnance rendue
en vertu de l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une
saisie au sens de l'art. 8 de la Charte? - La saisie était-elle
raisonnable? - Aucune violation de l'art. 8 - Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art.
17(1), 20(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) -
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2, 7, 8 - Indivi
dual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980, chap. 1-2, art. 21,
22, 23 - Constitution des É.-U., Amendement IV.
Coalitions - Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la
production de nombreux documents - L'art. 17 ne contrevient
ni au privilège contre l'auto-incrimination garanti par la
Déclaration des droits, ni à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives accordée par la Charte -
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, art. 8b)(iii) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 4),
15, 17(1), 20(2) (mod., idem, art. 8), 33 - Déclaration cana-
dienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2d) - Loi
sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 5 -
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26 - Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 18
Constitution des É.-U., Amendements IV, V.
Pratique - Subpoenas - Subpoenas duces tecum délivrés
en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions ordonnant la production de nombreux documents -
L'art. 17 ne contrevient pas au privilège contre l'auto-incrimi
nation garanti par l'art. 2d) de la Déclaration des droits -
L'art. 2d) et l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada
n'accordent pas de protection en ce qui concerne la communi
cation forcée de documents - L'art. 13 de la Charte procure
la protection requise - Une ordonnance rendue en vertu de
l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une saisie au sens
de l'art. 8 de la Charte? - La saisie était-elle raisonnable? -
Aucune violation de l'art. 8 - Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17(1), 20(2) (mod.
par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) - Déclaration cana-
dienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2d) - Loi
sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 5 -
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26
Constitution des É.-U., Amendements IV, V.
La Ligue nationale de hockey regroupe vingt équipes de
hockey professionnel établies au Canada et aux Etats-Unis.
Chacun des appelants était soit une corporation ou une société
administrant une équipe membre de la Ligue, soit un particu-
lier ayant des liens étroits avec la Ligue ou avec une équipe
déterminée. Le directeur intimé a ouvert une enquête sur
l'existence possible d'un monopole relatif à la formation et au
fonctionnement de la ligue majeure de hockey professionnel. À
la demande du directeur, le président intimé a rendu des
ordonnances en vertu de l'article 17 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions; ces ordonnances enjoignaient aux
particuliers appelants de comparaître pour témoigner et, dans
le duces tecum qui les accompagnait, elles exigeaient qu'ils
produisent de nombreux documents.
Les appelants ont déposé une demande en Division de pre-
mière instance afin d'obtenir une ordonnance interdisant aux
intimés de donner suite aux ordonnances rendues en vertu de
l'article 17 ou, subsidiairement, afin de faire annuler lesdites
ordonnances. A la suite du rejet de cette demande, le présent
appel a été interjeté. L'appel portait principalement sur deux
questions: (A) Une ordonnance de production rendue en vertu
de l'article 17 violait-elle l'alinéa 2d) de la Déclaration des
droits? (B) Une ordonnance de production rendue en vertu de
l'article 17 constituait-elle une perquisition ou une saisie abusi-
ves au sens de l'article 8 de la Charte?
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Le Dain: (A) Il existe des précédents dans lesquels le
privilège contre l'auto-incrimination accordé au témoin par la
common law s'étendait à la production de documents. Cepen-
dant, l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits n'est
censé ni préserver ni garantir ce privilège accordé par la
common law. Il prévoit qu'une personne peut être contrainte de
fournir une preuve auto-incriminante et il la protège unique-
ment contre l'emploi de ce témoignage dans des poursuites
criminelles ultérieures. Au moment de l'adoption•de la Déclara-
tion, ce genre de protection existait et était fourni par l'article 5
de la Loi sur la preuve au Canada.
L'alinéa 2d) et le paragraphe 5(2) concernent tous les deux
la protection d'une personne contre l'auto-incrimination décou-
lant de son témoignage. On a jugé que le paragraphe 5(2)
n'accorde pas une protection contre l'auto-incrimination décou-
lant de la communication forcée de documents, et il est clair
qu'il ne protège pas non plus le témoin contre l'auto-incrimina
tion découlant d'éléments de preuve qui en sont tirés. Les
mêmes restrictions s'appliquent à la protection garantie par
l'alinéa 2d).
La protection garantie par l'alinéa 2d) est fournie par le
paragraphe 20(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions. Par conséquent, l'article 17 ne contrevient pas à
l'alinéa 2d).
(B) Une ordonnance de la nature d'un subpoena duces tecum
ne constitue ni une perquisition ni une saisie au sens de l'article
8 de la Charte. L'opinion émise sur ce sujet dans l'arrêt Alberta
Blue Cross Plan est erronée.
On considère qu'un subpoena duces tecum ne constitue ni
une perquisition ni une saisie au sens du Quatrième amende-
ment à la Constitution des États-Unis, et bien qu'on parle des
exigences qui ont été imposées aux États-Unis quant à ces
subpoenas comme des restrictions apportées par le Quatrième
amendement, on peut se demander si cette dernière disposition
constitue le véritable fondement constitutionnel desdites exigen-
ces. De toute façon, étant donné que ces exigences tirent leur
fondement du droit américain, il ne faut pas considérer qu'elles
ont une incidence sur la validité constitutionnelle de l'article 17.
Dans la mesure où de telles exigences sont applicables aux
conditions de subpoenas duces tecum particuliers, il faut
remarquer que les ordonnances rendues en vertu de l'article 17
en l'espèce satisfont aux exigences du droit américain.
Le juge Marceau: (A) Avec l'adoption de l'article 5 de la Loi
sur la preuve au Canada, le Parlement a écarté le privilège
contre l'auto-incrimination accordé par la common law et l'a
remplacé par la règle prohibant l'usage d'un témoignage auto-
incriminant dans des poursuites pénales intentées ultérieure-
ment contre un témoin. L'adoption de l'alinéa 2d) de la Décla-
ration canadienne des droits n'exprimait pas la volonté du
Parlement de revenir au privilège reconnu par la common law.
L'adoption de la Déclaration des droits n'avait pas pour but de
créer de nouveaux droits et de nouvelles libertés, mais plutôt
d'enchâsser dans un texte les droits et libertés déjà reconnus.
Par conséquent, la protection accordée par l'alinéa 2d) ne peut
avoir une portée plus vaste que celle qui existait lorsqu'il a été
adopté, c'est-à-dire la protection qu'on trouvait à l'article 5 de
la Loi sur la preuve au Canada.
Les appelants affirment que le paragraphe 20(2) de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions n'accorde pas la même
protection que celle garantie par l'alinéa 2d) dans la mesure où
le paragraphe 20(2) ne procure aucune protection contre
l'usage de documents. Ils invoquent la décision du juge Dickson
dans l'arrêt Marcoux, et prétendent que cet arrêt reconnaît que
la portée du privilège prévu à l'alinéa 2d) dépasse les limites
fixées par la Loi sur la preuve au Canada, exigeant la protec
tion dans le cas de la communication de documents. Toutefois,
si on interprète correctement ce jugement, on constate qu'il ne
contient aucune reconnaissance de ce genre. La protection
accordée par le paragraphe 20(2) satisfait aux exigences de
l'alinéa 2d), et les ordonnances rendues en vertu de l'article 17
ne contreviennent pas à cette dernière disposition.
(B) Les ordonnances rendues en l'espèce en vertu de
l'article 17 n'équivalent pas à des perquisitions et à des saisies.
Une ordonnance de perquisition et de saisie confère à un agent
public le pouvoir d'entrer de force, en tout temps et sans
avertissement, dans la demeure ou dans les locaux commer-
ciaux d'une autre personne pour y chercher et y saisir des objets
qu'il peut y trouver. L'exécution d'une telle ordonnance consti-
tue une situation totalement différente de celle qui résulte de la
signification d'un subpoena duces tecum. Ces deux situations
n'ont absolument rien de commun en ce qui concerne l'intrusion
dans la demeure et la vie privée d'un individu, et le besoin que
l'on pourrait ressentir de garder un certain contrôle sur la
délivrance de subpoenas duces tecum ne peut en aucune
manière être comparé avec la nécessité de protéger les citoyens
contre un usage abusif éventuel des pouvoirs de perquisition.
Par contre, dans l'arrêt Alberta Blue Cross Plan, la Cour
d'appel de l'Alberta s'est montrée d'avis que la production
forcée de documents pendant une enquête de nature adminis
trative constitue une saisie; elle a raison, du moins aux fins de
l'application de l'article 8 de la Charte. L'essence d'une
(simple) saisie est l'appropriation par un pouvoir public d'un
objet appartenant à une personne contre le gré de cette per-
sonne, et le fait que la personne soit contrainte ou non de
remettre elle-même l'objet n'est pas pertinent.
Néanmoins, les subpoenas en cause ne contreviennent pas à
l'article 8 car ils ne donneront pas lieu à une saisie abusive.
Cette conclusion repose sur le critère élaboré aux États-Unis
quant au caractère raisonnable des perquisitions et des saisies,
la nature de l'enquête en cause, et le fait que tous les docu
ments demandés en l'espèce appartenaient à des corporations.
Le juge Hugessen: (A) L'alinéa 2d) de la Déclaration cana-
dienne des droits exige simplement que si une personne est
contrainte à fournir une preuve incriminante, cette contrainte
soit accompagnée d'une protection contre l'usage de cette
preuve contre le témoin lui-même.
Il est fort douteux que le privilège accordé par l'alinéa 2d)
s'applique à la production de documents. Selon la décision du
juge Dickson dans l'arrêt Marcoux, il ne s'applique pas. Le
simple fait qu'un témoin soit contraint à communiquer des
documents ne semble pas constituer un principe général et
rationnel qui permette d'étendre le privilège à ces documents.
En vertu de la common law, la règle est que les documents et
autres objets trouvés en la possession d'un accusé sont admissi-
bles à titre de preuves contre lui à condition qu'ils soient
pertinents, et s'il advient que la Charte a modifié ce principe, la
Déclaration canadienne des droits n'a pas eu un tel effet.
L'alinéa 2d) n'accorde pas à une personne une plus grande
protection que celle prévue au paragraphe 5(2) de la Loi sur la
preuve au Canada, et étant donné que le paragraphe 5(2)
protège la «réponse» donnée à une «question», il ne s'étend pas à
la communication de documents.
De toute façon, il n'est pas strictement nécessaire en l'espèce
de déterminer l'étendue du privilège contenu à l'alinéa 2d). La
portée de l'article 13 de la Charte est au moins aussi étendue
que celle de l'alinéa 2d). Par conséquent, l'article 13 accorde la
protection requise par l'alinéa 2d), que cette protection s'étende
ou non à la communication forcée de documents.
(B) Si, dans l'arrêt Alberta Blue Cross Plan, la Cour d'appel
de la province affirmait que toute ordonnance de production de
documents présentée par voie de subpoena duces tecum devait,
aux fins de la Charte, être traitée comme une saisie, cette Cour
était dans l'erreur. Cette proposition contredirait la jurispru
dence américaine et canadienne. Elle serait également contraire
aux sens ordinaires des termes «perquisition» et «saisie», ces
deux termes impliquant l'intrusion d'un tiers dans la demeure
ou la place d'affaires d'un citoyen pour chercher et enlever des
documents ou d'autres objets. On ne peut voir de rapport
valable entre l'ordonnance prévue au paragraphe 17(1), qui
constitue un exemple classique de subpoena duces tecum, et les
perquisitions et les saisies envisagées par l'article 8.
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d)
603.
DECISIONS EXAMINÉES:
Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1. R.C.S. 763;
Alberta Human Rights Commission v. Alberta Blue
Cross Plan (1983), 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301
(C.A.); Miller et al. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; 70
D.L.R. (3d) 324; Southam Inc. v. Dir. of Investigation &
Research, [1983] 3 W.W.R. 385 (C.A. Alb.); Thomson
Newspapers Ltd. et autres c. Hunter, directeur des
enquêtes et recherches et autres (1983), 73 C.P.R. (2d)
67 (C.F. P e inst.); R. v. McKay (1971), 4 C.C.C. (2d) 45
(C.A. Man.); Oklahoma Press Publishing Co. v. Walling,
327 U.S. 186 (1946).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C. 344 (C.A. C.-B.);
Klein v. Bell, [1955] R.C.S. 309; Tass v. The King,
[1947] R.C.S. 103; A.G. Que. v. Côté (1979), 8 C.R. (3d)
171 (C.A. Qc); Stickney v. Trusz (1973), 16 C.C.C. (2d)
25 (H.C. Ont.), confirmé par (1974), 28 C.R.N.S. 125
(C.A. Ont.); Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193
(H.C.), confirmé par (sub nom. Re Crooks and the
Queen) (1982), 2 C.C.C. (3d) 57; 143 D.L.R. (3d) 601;
R. v. Judge of the General Sessions of the Peace for the
County of York, Ex parte Corning Glass Works Ltd.,
[1971] 2 O.R. 3 (C.A.); Canadian Fishing Company
Limited et al. v. Smith et al., [1962] R.C.S. 294; Stevens,
et autres c. La Commission sur les pratiques restrictives
du commerce, [1979] 2 C.F. 159 We inst.); Rolbin v. The
Queen (1982), 2 C.R.R. 166 (C.S. Qc); R. v. Brezack
(1949), 96 C.C.C. 97 (C.A. Ont.); A.G. for Quebec v.
Begin, [1955] R.C.S. 593; Hogan c. La Reine, [1975] 2
R.C.S. 574; D'Ivry v. World Newspaper Co. of Toronto
et al. (1897), 17 P.R. 387 (C.A. Ont.); Attorney-General
v. Kelly (1916), 28 D.L.R. 409 (C.A. Man.); Webster v.
Solloway, Mills & Co., [1931] 1 D.L.R. 831 (C.A. Alb.);
Staples v. Isaacs, [1940] 3 D.L.R. 473 (C.A. C.-B.); Rio
Tinto Zinc Corporation and Others v. Westinghouse
Electric Corporation, [197R] A.C. 547 (H.L.); Rank
Film Distributors Ltd v. Video Information Centre,
[1981] 2 All ER 76 (H.L.); Lilburn's Trial (1637), 13
How. St. Tr. 1315 (Pari. R.-U.); Thompson v. The King,
[1918] A.C. 221 (H.L.); Kuruma v. The Queen, [1955]
A.C. 197 (P.C.); Schmerber v. California, 384 U.S. 757
(1966); In re Horowitz, 482 F.2d 72 (2d Cir. 1973);
F.T.C. v. Texaco, Inc., 555 F.2d 862 (D.C. Cir. 1977);
F.T.C. v. Carter, 464 F. Supp. 633 (D.D.C. 1979);
Dunham v. Ottinger, 154 N.E. 298 (N.Y. C.A. 1926).
AVOCATS:
A. M. Gans, J. L. Pelletier et J. J. Chapman
pour les appelants.
B. Finlay, c.r. et S. Fréchette pour les intimés.
PROCUREURS:
Miller, Thomson, Sedgewick, Lewis & Healy,
Toronto, et Aubut, Chabot, Québec, pour les
appelants.
Le sous -procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: J'ai eu l'occasion de lire les
motifs du jugement de mes collègues Marceau et
Hugessen. Comme eux, je suis d'avis que l'appel
devrait être rejeté.
Les appelants soutiennent, en se fondant sur
l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III], que l'article
17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coali
tions [S.R.C. 1970, chap. C-23], en vertu duquel
des ordonnances ont été rendues sous la forme de
subpoenas duces tecum, est sans effet parce que, lu
en corrélation avec le paragraphe 20(2) de la Loi
[abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 8], il autorise la Commission sur les prati-
ques restrictives du commerce à contraindre une
personne à témoigner sans bénéficier de la «protec-
tion contre son propre témoignage, garantie par
l'alinéa 2d) qui, prétendent-ils, comprend la pro
tection contre l'auto-incrimination découlant de la
communication forcée de documents et des élé-
ments de preuve qui en dérivent.
Il est évident que le paragraphe 20(2) de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, qui pré-
voit expressément le degré de protection dont un
témoin peut bénéficier en se conformant à une
ordonnance rendue en vertu de l'article 17, ne
fournit pas de protection contre l'auto-incrimina
tion découlant de la communication forcée de
documents et des éléments de preuve qu'ils appor-
tent. Il oblige la personne à témoigner et à pro-
duire des documents en exécution de l'ordonnance
mais il ne la protège que contre l'usage ultérieur
dans des poursuites criminelles de tout témoignage
verbal qu'elle est tenue de faire. Voici le texte du
paragraphe 20(2):
20....
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi-
gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres
pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Com
mission, pour le motif que le témoignage verbal ou les docu
ments requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer
à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoignage oral ainsi
exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette per-
sonne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite
contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un
tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de
l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel
témoignage.
Il s'agit de déterminer si la «protection contre
son propre témoignage, dont parle l'alinéa 2d) de
la Déclaration canadienne des droits comprend
également la protection contre l'auto-incrimination
découlant de la communication forcée de docu
ments et des éléments de preuve qui en sont tirés.
En soutenant que c'est le cas, les appelants insis-
tent particulièrement sur le privilège contre l'auto-
incrimination accordé au témoin par la common
law. Cette affirmation est étayée en effet par des
précédents dans lesquels le privilège s'étendait,
dans les procédures où il s'appliquait, à la commu
nication de documents. Voir R. v. Simpson et al.
(1943), 79 C.C.C. 344 (C.A.C.-B.), et Klein v.
Bell, [1955] R.C.S. 309. À l'appui de cette con
ception de la portée du privilège accordé par la
common law, les appelants ont invoqué les arrêts
Rio Tinto Zinc Corporation and Others v. Wes-
tinghouse Electric Corporation, [1978] A.C. 547
(H.L.) et Rank Film Distributors Ltd y Video
Information Centre, [1981] 2 All ER 76 (H.L.),
dans lesquels s'appliquaient les dispositions du
paragraphe 14(1) du Civil Evidence Act 1968,
1968, chap. 64 (R.-U.), dont on a dit qu'elles
constituaient la reconnaissance par une loi récente
d'un principe depuis longtemps établi. Ils ont éga-
lement invoqué l'application de la protection
contre l'auto-incrimination, prévue au Cinquième
amendement de la Constitution américaine, à la
communication forcée de documents, comme dans
Schmerber v. California, 384 U.S. 757 (1966).
Cependant, l'alinéa 2d) de la Déclaration cana-
dienne des droits n'est pas censé préserver ou
garantir le privilège contre l'auto-incrimination
accordé au témoin par la common law, quelle que
puisse être sa portée. Il prévoit qu'une personne
peut être contrainte de fournir une preuve qui peut
tendre à l'incriminer, de sorte que la protection
mentionnée consiste uniquement dans l'interdic-
tion d'utiliser son témoignage contre elle-même
dans des poursuites criminelles ultérieures. C'est
ce que le juge Laskin (tel était alors son titre) a
confirmé dans Curr c. La Reine, [1972] R.C.S.
889; 26 D.L.R. (3d) 603, où il a dit aux pages 912
R.C.S. et 623 D.L.R.: «je ne puis interpréter l'art.
2(d) comme faisant plus que rendre inopérante
toute règle de droit fédérale, énoncée dans une loi
formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accu-
ser devant une cour ou un tribunal semblable en
fournissant une preuve, sans en même temps le
protéger contre l'utilisation de cette preuve contre
lui». Au moment où la Déclaration canadienne des
droits a été adoptée, ce genre de protection contre
l'auto-incrimination était donné au Canada par
l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada
[S.R.C. 1970, chap. E-10; auparavant S.R.C.
1952, chap. 307], dont voici le texte:
5. (1) Nul témoin n'est exempté de répondre à une question
pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à
l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabilité dans
une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que
ce soit.
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin
s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait
tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans
une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que
ce soit, et si, sans la présente loi, ou sans la loi de quelque
législature provinciale, ce témoin eût été dispensé de répondre à
cette question, alors bien que ce témoin soit en vertu de la
présente loi ou d'une loi provinciale, forcé de répondre, sa
réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas admissible à titre
de preuve contre lui dans une instruction ou procédure crimi-
nelle exercée contre lui par la suite, hors le cas de poursuite
pour parjure en rendant ce témoignage.
Cet article a fait disparaître le droit accordé par la
common law au témoin de refuser de répondre à
une question au motif que sa réponse pourrait
tendre à l'incriminer et l'a remplacé par la protec
tion contre l'usage de sa réponse à titre de preuve
contre lui dans des poursuites criminelles ultérieu-
res. On fait souvent remarquer que l'article 5 de la
Loi sur la preuve au Canada a aboli ou a remplacé
le privilège contre l'auto-incrimination accordé au
témoin par la common law sans toutefois suggérer
que cet article n'était pas censé remplacer entière-
ment ce privilège. Voir, par exemple, Tass v. The
King, [1947] R.C.S. 103, à la page 105; A.G. Que.
v. Côté (1979), 8 C.R. (3d) 171 (C.A. Qc), à la
page 175; E. Ratushny, «Is There a Right Against
Self-Incrimination in Canada?» (1973), 19 McGill
L.J. 1, aux pages 50 et s.; E. Ratushny, Self-
Incrimination in the Canadian Criminal Process,
1979, pages 78 et s.; Stickney v. Trusz (1973), 16
C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.), aux pages 28 et 29,
confirmé par (1974) 28 C.R.N.S. 125 (C.A. Ont.).
Cependant, quel que soit l'effet exact du paragra-
phe 5(1) de la Loi sur la preuve au Canada sur la
portée du privilège contre l'auto-incrimination
accordé au témoin par la common law, c'est, à
mon avis, l'étendue de la protection prévue au
paragraphe 5(2) qui est visée par l'alinéa 2d) de la
Déclaration canadienne des droits. Comme son
texte français l'indique clairement («contraindre
une personne à témoigner» et «la protection contre
son propre témoignage»), l'alinéa 2d) concerne la
protection d'une personne contre l'auto-incrimina
tion découlant de son témoignage. C'est également
ce que vise le paragraphe 5(2) de la Loi sur la
preuve au Canada, dont a jugé qu'il n'étend pas la
protection contre l'auto-incrimination découlant de
la communication forcée de documents: R. v.
Simpson et al., précité. Il est clair qu'il ne protège
pas non plus le témoin contre l'auto-incrimination
découlant d'éléments de preuve qui en sont tirés.
Cf. Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193
(H.C.), à la page 198, confirmé par la Cour
d'appel de l'Ontario, le 7 octobre 1982 [(sub nom.
Re Crooks and The Queen) (1982), 2 C.C.C. (3d)
57; 143 D.L.R. (3d) 601].
L'avocat des appelants s'est fondé tout particu-
lièrement sur l'extrait suivant du jugement du juge
Dickson dans Marcoux et autre c. La Reine,
[1976] 1 R.C.S. 763, la page 769, pour soutenir
que la protection contre l'auto-incrimination
garantie par l'alinéa 2d) s'appliquait à la commu
nication forcée de documents:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui pro-
tège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de
témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le privi-
lège contre l'auto-incrimination ont suivi un cheminement
parallèle en limitant l'application du privilège à sa portée
historique, c.-à-d. assurer une protection contre la contrainte de
témoigner. Une telle restriction fait naître une distinction entre
des révélations verbales ou écrites obtenues de force lesquelles
tombent sous le coup du privilège et ce qu'on a appelé la preuve
«réelle ou matérielle», c.-à-d. une preuve matérielle qui a été
obtenue d'une personne sans son consentement et qui, générale-
ment parlant, n'est pas visée par le privilège.
Il semble que le «cheminement parallèle» dans
l'évolution du droit américain et du droit canadien
sur l'auto-incrimination dont parlait le juge Dick-
son, concernait principalement la distinction entre
la «contrainte de témoigner» et la «preuve maté-
rielle qui a été obtenue d'une personne sans son
consentement», qui faisait l'objet du litige dans
cette affaire. En toute déférence, j'estime qu'il
n'avait pas l'intention d'examiner la question de
savoir si l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne
des droits garantissait la protection contre l'auto-
incrimination découlant de la communication
forcée de documents, mais qu'il exposait simple-
ment la distinction essentielle qui l'intéressait, telle
qu'elle existe en droit américain.
Selon moi, l'article 17 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions ne devient pas inopé-
rant parce qu'il est contraire à l'alinéa 2d) de la
Déclaration canadienne des droits car le para-
grahe 20(2) de la Loi prévoit la protection contre
l'auto-incrimination garantie par l'alinéa 2d). Je
ne crois pas nécessaire de me prononcer sur l'éten-
due de la protection contre l'auto-incrimination
prévue à l'article 13 de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ni sur
l'effet éventuel de cette disposition sur l'alinéa 2d)
de la Déclaration canadienne des droits.
Les appelants soutiennent, en se fondant sur
l'article 8 de la Charte canadienne des droits et
libertés, que l'article 17 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions est nul et non avenu
parce qu'il autorise une perquisition ou une saisie
abusive au sens de l'article 8 de la Charte. À mon
avis, une ordonnance de la nature d'un subpoena
duces tecum ne constitue ni une perquisition ni une
saisie au sens de l'article 8. En toute déférence, je
ne peux adopter l'opinion émise sur ce sujet par la
Cour d'appel de l'Alberta dans Alberta Human
Rights Commission v. Alberta Blue Cross Plan
(1983), 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301. On
considère aux États-Unis qu'un subpoena duces
tecum ne constitue ni une perquisition ni une saisie
au sens du Quatrième amendement, et bien qu'on
parle des exigences relatives au but permis de
l'enquête, à sa pertinence et aux précisions qui
doivent être fournies, qui sont applicables dans
l'exécution judiciaire de tels subpoenas, comme
étant des restrictions apportées par le Quatrième
amendement au pouvoir de délivrer des subpoenas,
la question est de savoir si c'est le Quatrième
amendement ou la garantie du droit à l'application
régulière de la loi qui constitue le véritable fonde-
ment constitutionnel de ces exigences. Voir Okla-
homa Press Publishing Co. v. Walling, 327 U.S.
186 (1946); In re Horowitz, 482 F.2d 72 (2d Cir.
1973); et W. LaFave, Search and Seizure: A
Treatise on the Fourth Amendment, 1978, vol. 2,
article 4.13 en général, et page 209, note 104, en
particulier. Étant donné que ces exigences tirent
leur fondement des dispositions constitutionnelles
et du droit américains, j'hésiterais à les appliquer
comme exigences constitutionnelles pour l'émission
d'un subpoena duces tecum de nature administra
tive au Canada. Je ne les appliquerais certaine-
ment pas à la question de la validité ou de la
portée de l'article 17 de la Loi relative aux enquê-
tes sur les coalitions, que les appelants ont soule-
vée dans leur allégation fondée sur l'article 8 de la
Charte. Dans la mesure où de telles exigences sont
applicables aux conditions d'un subpoena duces
tecum particulier, j'estime que les ordonnances
rendues en vertu de l'article 17 en l'espèce sont
conformes à ces exigences telles qu'elles ont été
appliquées aux subpoenas duces tecum de nature
administrative dans les décisions des tribunaux
américains. Voir, par exemple, F.T.C. v. Texaco,
Inc., 555 F.2d 862 (D.C. Cir. 1977); F.T.C. v.
Carter, 464 F. Supp. 633 (D.D.C. 1979).
Pour tous ces motifs, je rejetterais l'appel avec
dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Tous les appelants ont des
liens avec la Ligue nationale de hockey (la
«Ligue»), association non constituée en corpora
tion, groupant vingt équipes de hockey profession-
nel établies au Canada et aux États-Unis. Ils font
partie des cadres, des administrateurs et des
employés de la Ligue ou encore des corporations et
des sociétés administrant les équipes membres de
la Ligue. Pendant le mois de juin 1983, les appe-
lants ont reçu individuellement signification d'or-
donnances rendues en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23 (appelée ci-après la «Loi»), leur enjoignant de
se présenter à un membre de la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce le 12 juillet
1983, afin d'être interrogés sous serment sur des
questions relatives à la formation et au fonctionne-
ment de la ligue majeure de hockey professionnel
et à l'existence possible en son sein d'une situation
de monopole prohibée par l'article 33 de la Loi.
L'assignation contenait le duces tecum suivant:
[TRADUCTION] Vous êtes en outre requis de produire au
moment et au lieu mentionnés plus haut:
1. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et
tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle,
qui se rapportent de quelque manière que ce soit à la cession, à
la vente ou à la résiliation d'un droit d'affiliation, de propriété
ou de location de toute concession de la Ligue nationale de
hockey entre le P' janvier 1970 et ce jour, et, sans restreindre la
portée de ce qui précède, à la vente projetée des Blues de
Saint-Louis et à leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par
Ralston Purins Company.
2. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et
tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle,
qui se rapportent de quelque manière que ce soit à des deman-
des de concession entre le 1" janvier 1970 et ce jour.
3. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études et tout autre document dont vous
avez la possession ou le contrôle, invoqués de quelque manière
que ce soit par les membres du comité consultatif de la Ligue
nationale de hockey dans l'exécution de leurs obligations au
moment de l'examen de la vente projetée des Blues de Saint-
Louis et de leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston
Purina Company.
4. Les états financiers des trois dernières années de la conces
sion que vous représentez.
Les ordonnances signées par l'intimé Stoner,
président de la Commission sur les pratiques res-
trictives du commerce, ont été rendues en vertu de
l'article 17 de la Loi, dans le cadre d'une enquête
instituée par l'intimé Hunter, directeur des enquê-
tes et recherches nommé en vertu de la Loi, peu de
temps après le refus des gouverneurs de la Ligue
d'autoriser le transfert à Saskatoon de la conces
sion des Blues de Saint Louis'.
En recevant signification des ordonnances, les
appelants, tous hommes d'affaires résidant à divers
endroits au Canada et aux États-Unis, ont aussitôt
considéré que l'obligation de trouver et de produire
des milliers de documents présentait pour eux des
' Voici les dispositions pertinentes de la Loi [le sous-alinéa
8b)(iii) abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art.
4]:
8. Le directeur doit:
b) chaque fois qu'il a des raisons de croire
(iii) qu'on a commis ou qu'on est sur le point de
commettre une infraction visée par la Partie V ou
l'article 46.1, ou
faire étudier toutes questions qui, d'après lui, nécessitent
une enquête en vue de déterminer les faits.
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre
initiative, un membre de la Commission peut ordonner que
toute personne résidant ou présente au Canada soit interro-
gée sous serment devant lui ou devant toute autre personne
nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre, ou
produise à ce membre ou à cette autre personne des livres,
documents, archives ou autres pièces, et peut rendre les
ordonnances qu'il estime propres à assurer la comparution et
l'interrogatoire de ce témoin et la production par ce dernier
de livres, documents, archives ou autres pièces, et il peut
autrement exercer, en vue de l'exécution de ces ordonnances
ou de la punition pour défaut de s'y conformer, les pleins
pouvoirs exercés par toute cour supérieure au Canada quant
à l'exécution des brefs d'assignation ou à la punition en cas
de défaut de s'y conformer.
inconvénients excessifs et que cela constituait d'ail-
leurs une tentative d'ingérence inacceptable dans
leurs affaires au demeurant confidentielles. Ils ont
donc décidé de faire valoir leurs droits devant la
Cour.
Une demande a donc été déposée en Division de
première instance de la Cour afin d'obtenir une
ordonnance interdisant aux intimés de donner suite
aux ordonnances du président et, subsidiairement,
par voie de certiorari, afin de faire annuler ces
ordonnances. Le juge en chef adjoint a rejeté cette
demande le 11 août 1983 [Ziegler et autres c.
Hunter, directeur des enquêtes et recherches et
autre (1983), 75 C.P.R. (2d) 222] et les appelants
ont interjeté le présent appel devant cette Cour.
Les appelants prétendent que le juge de pre-
mière instance a eu tort de ne pas conclure que
lesdites ordonnances, rendues en vertu de l'article
17 de la Loi, violent les dispositions de l'alinéa 2d)
de la Déclaration canadienne des — droits et des
articles 2, 7 et 8 de [la Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de] la
Loi constitutionnelle de 1982, et qu'elles sont, par
conséquent, nulles et non avenues. Leur prétention
repose sur deux propositions: premièrement, toutes
les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 de
la Loi sont contraires à l'alinéa 2d) de la Déclara-
tion canadienne des droits parce qu'elles contre-
viennent inévitablement au privilège contre l'auto-
incrimination; deuxièmement, les ordonnances,
telles que rendues en l'espèce, sont contraires aux
articles 2, 7 et 8 de la Charte canadienne des
droits et libertés parce qu'elles constituent une
intrusion dans la vie privée des appelants et une
perquisition et une saisie abusives. Bien qu'elles
mènent à la même conclusion, les deux proposi
tions se rapportent évidemment à deux moyens de
contestation distincts qui doivent être examinés
séparément.
I
Les appelants appuient leur proposition selon
laquelle toutes les ordonnances rendues en vertu de
l'article 17 contreviennent au privilège contre
l'auto-incrimination garanti par la Déclaration des
droits, sur un fondement nouveau en ce sens qu'il
n'a pas encore été soumis à un tribunal canadien.
Je suppose qu'il serait pour cela préférable que je
prenne le temps de résumer ce qu'en a dit l'avocat
et d'exposer ce que j'en ai compris.
L'avocat rappelle d'abord que la règle contre
l'auto-incrimination, énoncée dans la maxime
nemo tenetur seipsum accusare ou prodere, existe
depuis longtemps en common law. Elle tire son
origine des réactions aux premiers abus des procé-
dures inquisitoriales et, depuis le cas d'espèce Lil-
burn's Trial (1637), 13 How. St. Tr. 1315 (R.-U.),
dans lequel le Parlement a jugé que la Chambre
étoilée n'avait pas le droit d'obliger Lilburn, alors
accusé de certains crimes, à se soumettre à un
interrogatoire, elle a évolué rapidement et a revêtu
bientôt pour les habitants des pays de common law
une importance telle qu'après la révolution améri-
caine elle a fait l'objet du Cinquième amendement
de la Constitution des États-Unis 2 . L'avocat pour-
suit en affirmant que la portée de la règle contre
l'auto-incrimination a été clairement établie au
cours des années par les tribunaux anglais et amé-
ricains. Il est maintenant admis que la règle ne
s'applique pas seulement aux questions qui pour-
raient incriminer le témoin, mais couvre également
les questions qui pourraient être utilisées comme
moyens d'obtenir des preuves et même des élé-
ments ne constituant qu'un maillon d'un enchaîne-
ment de preuves; et il est souvent affirmé que la
règle doit s'appliquer non seulement à l'interroga-
toire oral mais également à la communication de
documents de nature incriminante en réponse à
une ordonnance de communication.
Cette règle de common law contre l'auto-incri
mination, affirme ensuite le procureur, fait partie
2 Voici le texte de cet amendement:
[TRADUCTION] Cinquième amendement [1791]
Nul ne sera tenu de répondre à une accusation pour un
crime capital ou infamant, sauf sur la dénonciation (present-
ment) ou l'accusation (indictment) d'un grand jury, excep
tion faite des délits commis dans les troupes de terre ou de
mer ou dans la milice, lorsque celle-ci est en service actif en
temps de guerre ou de danger public. Nul ne pourra être,
deux fois pour le même crime, menacé dans sa vie ou molesté
dans son corps (put in jeopardy of lift or limb); ni être
contraint à témoigner contre lui-même dans aucune affaire
criminelle; ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de sa
propriété sans une procédure conforme au droit (without due
process of law). Aucune propriété privée ne pourra être prise
pour un usage public sans une juste indemnité.
Incidemment, l'histoire de cette règle est examinée en pro-
fondeur dans Wigmore on Evidence, Vol. 8 (McNaughton
rev. 1961), paragraphes 2250 et 2251.
du droit canadien depuis l'adoption de la Déclara-
tion canadienne des droits dont voici l'alinéa 2d):
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un
office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une
personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un avocat,
la protection contre son propre témoignage ou l'exercice de
toute garantie d'ordre constitutionnel;
Cette disposition montre clairement que le privi-
lège contre l'auto-incrimination au Canada est tiré
de la common law anglaise et elle s'applique sans
aucun doute à la Commission sur les pratiques
restrictives du commerce de même qu'au directeur
enquêtant sur une infraction présumée à la Partie
V de la Loi: une protection adéquate contre l'auto-
incrimination doit donc être accordée à toute per-
sonne, individu ou société, soupçonnée d'avoir
commis un acte criminel particulier ou d'y avoir
participé, qui est assignée à témoigner devant le
directeur et à produire des documents, livres,
papiers et archives. «Une telle protection adéquate
est-elle accordée par la loi?» demande alors l'avo-
cat. Certainement pas, prétend-il. Il est vrai que
l'on trouve au paragraphe 20(2) des dispositions
semblables à celles contenues au paragraphe 5(2)
de la Loi sur la preuve au Canada:
20....
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi-
gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres
pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Com
mission, pour le motif que le témoignage verbal ou les docu
ments requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer
à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoignage oral ainsi
exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette per-
sonne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite
contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un
tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de
l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel
témoignage.
Mais ce paragraphe n'assure pas au témoin une
immunité qui corresponde à l'étendue du privilège
et ne lui accorde pas la protection «concurrente»
envisagée par le juge Laskin (tel était alors son
titre) dans ses motifs de jugement dans Curr c. La
Reine, [1972] S.C.R. 889; 26 D.L.R. (3d) 603, à
la page 619. En effet, le paragraphe n'accorde
aucune protection contre l'utilisation que peut
faire le procureur général du Canada des docu
ments produits ainsi que de la transcription du
témoignage donné en vue de décider si une pour-
suite devrait être intentée, pas plus qu'il n'en
accorde contre l'utilisation des documents ou des
preuves obtenues à partir du témoignage donné,
aux fins des poursuites pénales intentées par la
suite contre le témoin. 3
De là, l'avocat soutient que la conclusion s'im-
pose: l'article 17 de la Loi est sans effet parce qu'il
vise à obliger des personnes à témoigner devant les
autorités fédérales, tout en leur refusant la protec
tion contre l'auto-incrimination enchâssée dans
l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des
droits.
Je n'ai pas l'intention de revoir chacune des
nombreuses prétentions contenues dans ce raison-
nement en vue d'exprimer mon accord ou mon
désaccord à leur sujet, bien que je puisse affirmer
que j'entretiens des doutes sérieux quant à la
justesse de certaines. Par exemple, je considère
comme discutable l'affirmation selon laquelle en
common law, le privilège s'étend aux corporations
et aux documents corporatifs (voir Wigmore, op.
cit., paragraphe 2259; voir les motifs du juge
d'appel Arnup dans R. v. Judge of the General
Sessions of the Peace for the County of York, Ex
parte Corning Glass Works Ltd., [1971] 2 O.R. 3
(C.A.)); je ne suis pas disposé non plus à accepter
tout de suite la proposition selon laquelle le privi-
lège, avec l'étendue qu'on lui a attribuée, s'appli-
que sans réserve, en dehors des procédures judi-
ciaires, dans une simple procédure d'enquête
comme celle dont il est question en l'espèce (voir
Phipson on Evidence, 11e éd. (1970), pages 615 et
s., et, en ce qui concerne la nature de l'enquête du
3 L'article 15 de la Loi est ainsi libellé:
15. (1) Le directeur peut, à toute étape d'une enquête et en
plus ou au lieu de la continuer, remettre tous dossiers,
rapports ou preuve au procureur général du Canada pour
examen sur la question de savoir si l'on a commis ou si l'on
est sur le point de commettre une infraction à la présente loi,
et pour toutes mesures qu'il plaît au procureur général du
Canada de prendre.
(2) Le procureur général du Canada peut intenter et
conduire toutes poursuites ou autres procédures prévues par
la présente loi. A ces fins, il peut exercer tous les pouvoirs et
fonctions que le Code criminel confère au procureur général
d'une province.
directeur, voir Canadian Fishing Company Limi
ted et al. v. Smith et al., [ 1962] R.C.S. 294).
Si j'estime qu'il n'est pas nécessaire de prendre
partie sur ces points particuliers, c'est tout simple-
ment parce que je ne suis pas d'accord avec l'allé-
gation sur laquelle tourne tout le raisonnement des
appelants, soit que le privilège contre l'auto-incri
mination de la common law, avec 'toute l'extension
qu'on a pu lui accorder en Angleterre, est partie
intégrante du droit canadien.
Toutes les autorités reconnaissent qu'en 1893, le
Canada a abandonné le principe général de non-
incrimination accepté en common law et l'a rem-
placé, dans les procédures soumises à juridiction
fédérale, par une protection contre l'usage d'un
témoignage incriminant dans des poursuites péna-
les intentées ultérieurement contre un témoin.
C'est ce qui découla de l'adoption par le Parlement
de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada,
S.R.C. 1970, chap. E-10 4 , qui visait à subsumer les
effets de la règle telle qu'elle était interprétée
alors. A compter de là, le droit contre l'auto-incri
mination dans des procédures du ressort fédéral est
devenu un droit strictement réglementé par la loi,
et réduit aux termes de l'article 5 de la Loi sur la
preuve au Canada et à ceux d'articles connexes
ajoutés subséquemment dans des lois particulières.
(Voir les commentaires du professeur Ratushny
dans sa longue étude intitulée «Is There A Right
Against Self-Incrimination in Canada?» (1973),
19 McGill L.J. 1, et dans son livre Self-Incrimi
nation, aux pages 52 et s.; voir parmi de nombreu-
4 Voici le texte de cet article:
5. (1) Nul témoin n'est exempté de répondre à une ques
tion pour le motif que la réponse à cette question pourrait
tendre à l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa respon-
sabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne
ou de qui que ce soit.
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin
s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait
tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité
dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de
qui que ce soit, et si, sans la présente loi, ou sans la loi de
quelque législature provinciale, ce témoin eût été dispensé de
répondre à cette question, alors bien que ce témoin soit en
vertu de la présente loi ou d'une loi provinciale, forcé de
répondre, sa réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas
admissible à titre de preuve contre lui dans une instruction
ou procédure criminelle exercée contre lui par la suite, hors
le cas de poursuite pour parjure en rendant ce témoignage.
ses décisions celle de R. v. Simpson et al. (1943),
79 C.C.C. 344 (C.A.C.-B.).) L'avocat des appe-
lants connaît naturellement ces faits, mais il vou-
drait, comme je l'ai expliqué plus haut, qu'en
adoptant l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne
des droits en 1960, le Parlement ait exprimé sa
volonté de revenir au privilège reconnu par la
common law, mettant fin ainsi à la période pen
dant laquelle les effets de ce privilège au Canada
avaient été limités par la loi.
Cette prétention est, à mon avis, tout simple-
ment inacceptable. Il est clair à la seule lecture de
la Déclaration canadienne des droits et de son
préambule que le but poursuivi par le Parlement
n'était pas de créer de nouveaux droits et de
nouvelles libertés fondamentales découlant des
principes acceptés dans notre société, mais plutôt
d'enchâsser dans un texte les droits et libertés déjà
reconnus et de leur accorder l'importance qu'ils
méritent. Dans Miller et al. c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 680; 70 D.L.R. (3d) 324, le juge Ritchie,
appuyé par quatre autres membres de la Cour,
déclare (aux pages 703 et 704 R.C.S., et 343
D.L.R.):
Je souscris à l'analyse du sens et de l'effet des art. 1 et 2 de la
Déclaration canadienne des droits que le juge Martland, par-
lant pour la majorité de la Cour, a faite dans ses motifs de
jugement dans La Reine c. Burnshine ([1975] I R.C.S. 693), à
la p. 705. Après avoir souligné que la Déclaration canadienne
des droits a ... porte déclaration et continuation de droits et
libertés existants, de par ses termes exprès», il dit:
Ce sont ces droits et ces libertés qui existaient alors qui ne
doivent être violés par aucune loi fédérale. L'article 2 ne crée
pas de droits nouveaux. Son but est d'empêcher la transgres
sion de droits existants. Il précise effectivement, dans les
alinéas a) à g), certains droits faisant partie de ceux qui sont
déclarés dans l'art. 1 ...
La «protection contre son propre témoignage
prévue à l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne
des droits ne peut avoir une portée plus vaste que
celle que l'on avait considérée adéquate en 1960,
c'est-à-dire la protection accordée par la Loi sur la
preuve. L'avocat des appelants mentionne un
extrait des motifs fournis par le juge Dickson en
prononçant le jugement au nom des neuf membres
de la Cour dans l'arrêt Marcoux et autre c. La
Reine, [ 1976] 1 R.C.S. 763, où le juge parle (à la
page 769) du cheminement parallèle qu'ont suivi le
droit canadien et le droit américain en ce qui
concerne le privilège contre l'auto-incrimination et
fait même allusion à la possibilité que le privilège
puisse couvrir une «révélation écrite» 5 . L'avocat
estime que ce passage reconnaît que la portée du
privilège dépasse les limites fixées par la Loi sur la
preuve au Canada. Je pense cependant que l'avo-
cat interprète mal le passage cité. Le parallèle fait
avec le droit américain a pour objet d'expliquer
que le droit canadien et le droit américain ont suivi
un cheminement «limitant l'application du privi-
lège à sa portée historique, c.-à-d. assurer une
protection contre la contrainte de témoigner», et la
référence aux «révélations ... écrites obtenues de
force» semble se rapporter aux diverses formes de
témoignage donné par écrit, telles que les interro-
gatoires ou les affidavits. En fait, dans le premier
paragraphe de la partie de ses motifs traitant de la
portée du privilège, d'où est tiré l'extrait cité par
l'avocat, le juge s'était prononcé d'une façon géné-
rale et sans équivoque en disant (à la page 768):
La limite du privilège contre l'auto-incrimination est claire.
Le privilège est celui d'un témoin de ne pas répondre à une
question qui peut l'incriminer. C'est là tout ce que signifie la
maxime latine nemo tenetur seipsum accusare, que l'on avance
souvent à tort pour étayer une proposition beaucoup plus
générale.
Et dans le paragraphe suivant, après s'être référé à
des décisions antérieures, il avait cité [à la page
768], en l'approuvant, la déclaration du juge
Laskin (tel était alors son titre) dans Curr c. La
Reine (déjà cité plus haut) aux pages 912 R.C.S.
et 623 D.L.R.:
... je ne puis interpréter l'art. 2d) comme faisant plus que
rendre inopérante toute règle de droit fédérale, énoncée dans
une loi formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accuser
devant une cour ou un tribunal semblable en fournissant une
preuve, sans en même temps le protéger contre l'utilisation de
cette preuve contre lui.
La première proposition avancée par les appe-
lants doit être rejetée. Les ordonnances rendues en
vertu de l'article 17 de la Loi ne violent pas
5 Cet extrait est rédigé comme suit:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui
protège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de
témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le
privilège contre l'auto-incrimination ont suivi un chemine-
ment parallèle en limitant l'application du privilège à sa
portée historique, c.-à-d. assurer une protection contre la
contrainte de témoigner. Une telle restriction fait naître une
distinction entre des révélations verbales ou écrites obtenues
de force lesquelles tombent sous le coup du privilège et ce
qu'on a appelé la preuve «réelle ou matérielle», c.-à-d. une
preuve matérielle qui a été obtenue d'une personne sans son
consentement et qui, généralement parlant, n'est pas visée
par le privilège.
l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits. La pro
tection accordée au témoin par le paragraphe
20(2) de la Loi est «concurrente» avec le privilège
contre l'auto-incrimination tel qu'il est envisagé et
défini par le droit canadien. (Comparer avec Ste-
vens, et autres c. La Commission sur les pratiques
restrictives du commerce, [1979] 2 C.F. 159 (l rc
inst.).)
II
La deuxième proposition des appelants, soit celle
voulant que les ordonnances telles que rendues
violeraient les droits à la protection de la vie privée
et à la protection contre les perquisitions et les
saisies abusives que leur garantit la Constitution,
est formulée comme mettant en cause trois articles
différents de la Charte canadienne des droits et
libertés, savoir les articles 2, 7 et 8 dont voici les
textes:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Les appelants n'ont cependant pas expliqué pour-
quoi ils ont spécifiquement invoqué les articles 2 et
7 et je ne vois pas comment ces articles pourraient
servir de fondement à leur proposition indépen-
damment de l'article 8. En fait, l'argument de
l'avocat était en substance que les ordonnances
rendues, en raison de leur portée et de leur carac-
tère extrêmement onéreux, équivalaient à des per-
quisitions et à des saisies du genre de celles prohi-
bées par l'article 8 de la Charte, si on applique les
principes énoncés par la Cour d'appel de l'Alberta
dans Southam Inc. v. Dir. of Investigation &
Research, [1983] 3 W.W.R. 385, et plus tard, par
la Division de première instance de la Cour dans
Thomson Newspapers Ltd. et autres c. Hunter,
directeur des enquêtes et recherches et autres
(décision du juge Collier en date du 6 juillet 1983,
encore inédite [maintenant publiée à 73 C.P.R.
(2d) 67]). En réalité, je crois que la question
soulevée par la proposition est plus complexe que
cela mais, de toute façon, le seul article de la
Charte impliqué est l'article 8.
La prétention des appelants selon laquelle les
ordonnances violeraient leurs droits constitution-
nels garantis par l'article 8 de la Charte demande,
à mon avis, l'examen de deux questions.
La première, suggérée strictement par l'argu-
mentation soumise par l'avocat, consiste à se
demander si l'on peut considérer que les ordonnan-
ces telles qu'émises à des procédures de perquisi-
tion et de saisie, créant une situation dont il faut
vérifier si elle est permise en vertu de l'article 8
selon les directives exposées dans les décisions
Southam et Hunter. Je ne crois pas que la question
se pose vraiment si on lit attentivement les motifs
prononcés par le juge Prowse pour la Cour d'appel
de l'Alberta et par le juge Collier pour la Division
de première instance. Il est évident que la caracté-
ristique essentielle de la situation créée par une
ordonnance de perquisition et de saisie (et certes,
la seule qui explique la réaction des deux juges)
tient à ce qu'un agent public reçoit là le pouvoir
d'entrer de force, au moment qui lui convient et
sans donner d'avertissement, dans la demeure ou
dans les locaux commerciaux d'une personne, pour
y chercher et saisir des documents ou objets qu'il
peut y trouver. Cette caractéristique est totalement
absente de la situation créée par la signification
d'un subpoena duces tecum, peu importe la nature
et le nombre des documents demandés. Les deux
situations n'ont rien de commun en ce qui con-
cerne l'intrusion dans la demeure et la vie privée
d'un individu. La nécessité de protéger les citoyens
contre un usage abusif éventuel des pouvoirs de
perquisition n'est absolument pas comparable avec
le besoin que l'on pourrait ressentir de garder un
certain contrôle sur la délivrance de subpoenas
duces tecum.
La prétention des appelants soulève toutefois
une autre question qui ne peut être tranchée aussi
facilement. C'est celle de savoir si les ordonnances
contestées ne doivent pas être considérées comme
équivalant à des saisies et à des saisies abusives au
sens de l'article 8 de la Charte. La question se pose
parce que l'article 8 prohibe non seulement la
«fouille et saisie» abusive mais aussi la «simple
saisie» abusive, les deux termes étant reliés dans le
texte par la conjonction disjonctive «ou» et non par
la conjonction de coordination «et».
Dans une décision très récente, Alberta Human
Rights Commission v. Alberta Blue Cross Plan
(décision du 8 septembre 1983, encore inédite
[maintenant publiée à 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th)
301]), cinq juges de la Cour d'appel de l'Alberta
n'ont pas hésité [à la page 195 A.R., et à la page
307 D.L.R.] à [TRADUCTION] « ... accepter l'idée
que la production forcée de documents dans des
procédures civiles, ou pendant une enquête de
nature administrative, constitue une saisie». Je
n'hésite pas non plus à le faire, du moins aux fins
de l'application de l'article 8 de la Charte. C'est
l'appropriation par un pouvoir public d'un objet
appartenant à une personne contre le gré de cette
personne qui constitue l'essence même d'une saisie,
et le fait que la personne soit contrainte ou non de
remettre elle-même l'objet n'est pas pertinent à
mon avis. Aussi, la seule véritable difficulté soule-
vée par la question est donc de savoir si la saisie
qui résultera nécessairement de la mise à exécution
des ordonnances est raisonnable au sens de la
Charte.
Les dispositions de l'article 8 de la Charte cor
respondent à celles du Quatrième amendement de
la Constitution des États-Unis 6 . La position de la
Cour suprême des États-Unis sur les subpoenas
délivrés par des organismes exerçant des pouvoirs
d'enquête devrait être directement pertinente et
fournir un guide incomparable quant à l'attitude à
adopter. Dans son traité sur le Quatrième amende-
ment, Search and Seizure (1978), W. R. LaFave
déclare au chapitre 4 (pages 192 et 193):
[TRADUCTION] Le cas d'espèce faisant autorité au sujet des
restrictions apportées par le Quatrième amendement au pouvoir
de délivrer des subpoenas est Oklahoma Press Publishing Co. v.
Walling (327 U.S. 186 (1946)), décision invoquée par les
tribunaux inférieurs parce qu'elle établissait les normes régis-
sant les subpoenas émis par les organismes administratifs, les
grand jurys, le ministère public et les comités législatifs. Dans
Walling, un administrateur fédéral (Federal Wage and Hour
Administrator) a délivré un subpoena demandant la production
6 En voici le texte:
[TRADUCTION] Quatrième amendement [1791]
Le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes,
leur domicile, leurs papiers et leurs effets contre des perquisi-
tions et saisies déraisonnables ne pourra être violé. Aucun
mandat ne sera décerné que pour un motif plausible, appuyé
par serment ou affirmation, et avec la désignation précise du
lieu où devra se faire la perquisition et des personnes ou
objets à saisir.
des registres de Oklahoma Press afin de déterminer si l'éditeur
était assujetti aux exigences du Fair Labor Standards Act
concernant le salaire minimum, et s'il violait cette loi. La Cour,
constatant la confusion existant dans la jurisprudence au sujet
de l'application du Quatrième amendement, a déclaré que
l'obéissance à un subpoena ne constituait nullement une perqui-
sition ou une saisie réelle et que le Quatrième amendement ne
s'appliquait que par analogie, le subpoena ne concernant qu'une
perquisition «simplement «symbolique» ou «virtuelle»». Par con-
séquent, la Cour a jugé qu'il s'agissait de «mettre en balance
l'intérêt public et la sécurité privée» et a statué que «l'essence
même de la protection réside dans la nécessité que la divulga-
tion demandée ne soit pas déraisonnable». La Cour a donné
trois directives afin de préciser cette exigence. Premièrement, il
n'est pas nécessaire qu'une accusation pour un crime particulier
soit portée: «il suffit que l'enquête soit effectuée dans un but
permis par la loi, tout en respectant les limites du pouvoir
conféré au Congrès de la requérir». Deuxièmement, étant donné
qu'il n'est pas essentiel qu'un crime particulier soit allégué,
aucune raison probable de soupçonner la perpétration d'un
crime n'est requise. Au lieu de cela, un subpoena est valide si
«les documents demandés sont pertinents pour l'enquête». Fina-
lement, pour satisfaire à la garantie contenue au Quatrième
amendement qui exige une description précise dans un mandat
des personnes ou des articles à saisir, il suffit que, dans les
subpoenas, «la désignation des documents à produire soit adé-
quate, et ne soit pas excessive, pour les fins de l'enquête en
cause». Bien que la Cour ait donné des détails sur ces trois
aspects particuliers de l'enquête pour déterminer la validité
d'un subpoena en vertu du Quatrième amendement, elle a aussi
fait une mise en garde en soulignant que l'examen judiciaire
doit tenir compte des faits: «Forcément ... cela ne peut se
réduire à une formule puisque le caractère pertinent, adéquat
ou excessif d'un subpoena varie en fonction de la nature, des
fins et de l'étendue de l'enquête.» Toutefois, les trois normes
fixées dans Walling, que la Cour continue de citer et d'approu-
ver, fournissent un cadre permettant d'analyser la portée que
les tribunaux ont accordée ultérieurement à la protection four-
nie par le Quatrième amendement contre la communication
forcée de documents.
J'avoue qu'à prime abord, j'ai été consterné par
le nombre de documents concernés, puisqu'il y en a
plusieurs milliers, mais après avoir examiné un
certain nombre de décisions intéressantes rendues
aux États-Unis, mentionnées par l'avocat des inti-
més, notamment F.T.C. v. Texaco, Inc., 555 F.2d
862 (D.C. Cir. 1977), et F.T.C. v. Carter, 464 F.
Supp. 633 (D.D.C. 1979), j'ai compris que le
nombre de documents devait être en relation
directe avec la nature et l'étendue de l'enquête
menée. En outre, on nous a affirmé à l'audition
que les documents demandés étaient des docu
ments corporatifs, c'est-à-dire des documents
appartenant à des corporations et non à des parti-
culiers. Si on applique les principes établis par la
jurisprudence américaine, qui, à mon avis, sont
tout à fait raisonnables, et si on considère la nature
de l'enquête ainsi que le fait que les documents
sont des documents corporatifs, je ne crois pas que
l'on puisse affirmer que les subpoenas duces tecum
en cause sont déraisonnables et violent l'article 8
de la Charte.
J'estime donc que la deuxième proposition avan-
cée par les appelants est tout aussi inacceptable
que la première. Les ordonnances contestées ne
violent pas leurs droits constitutionnels pas plus
qu'elles ne sont prohibées par l'alinéa 2d) de la
Déclaration canadienne des droits.
Par conséquent, je rejetterais l'appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'une
ordonnance du juge en chef adjoint Jerome, en
date du 11 août 1983 (motifs déposés le 9 août
1983) [75 C.P.R. (2d) 222], rejetant la demande
présentée par les appelants afin d'obtenir un bref
de prohibition et un bref de certiorari en applica
tion de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Les appelants ont tous des liens étroits avec la
Ligue nationale de hockey. Certains sont membres
de la Ligue et les autres sont cadres, administra-
teurs ou employés de membres de la Ligue ou de la
Ligue elle-même.
L'intimé Hunter est le directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, et l'intimé Stoner est le président de la
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce créée en vertu de la même Loi.
Conformément au sous-alinéa 8b)(iii) de la Loi
[édictée par S.C. 1974-75-76, chap. 76, article 4],
le directeur a ouvert une enquête sur une infrac
tion possible à l'article 33 de la Loi, c'est-à-dire
l'existence d'un monopole relatif à la réalisation et
au fonctionnement du hockey professionnel au
niveau des ligues majeures. A la demande du
directeur, le président de la Commission a lancé,
en vertu de l'article 17 de la Loi, des subpoenas
adressés à chacun des particuliers appelants en
l'espèce et leur enjoignant de se présenter à un
membre de la Commission pour témoigner. Les
subpoenas étaient accompagnés par un duces
tecum rédigé comme suit:
Vous êtes en outre requis de produire au moment et au lieu
mentionnés plus haut:
1. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et
tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle,
qui se rapportent de quelque manière que ce soit à la cession, à
la vente ou à la résiliation d'un droit d'affiliation, de propriété
ou de location de toute concession de la Ligue nationale de
hockey entre le lm janvier 1970 et ce jour, et, sans restreindre la
portée de ce qui précède, à la vente projetée des Blues de
Saint-Louis et à leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par
Ralston Purina Company.
2. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et
tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle,
qui se rapportent de quelque manière que ce soit à des deman-
des de concession entre le 1" janvier 1970 et ce jour.
3. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com-
muniqués de presse, études et tout autre document dont vous
avez la possession ou le contrôle, invoqués de quelque manière
que ce soit par les membres du comité consultatif de la Ligue
nationale de hockey dans l'exécution de leurs obligations au
moment de l'examen de la vente projetée des Blues de Saint-
Louis et de leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston
Purina Company.
4. Les états financiers des trois dernières années de la conces
sion que vous représentez.
En première instance et en appel, les appelants
ont contesté les subpoenas en invoquant deux
moyens d'ordre constitutionnel distincts. Le pre
mier est fondé sur l'article 8 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B [Loi de 1982 sur le Canada], et
le deuxième, sur l'alinéa 2d) de la Déclaration
canadienne des droits S.R.C. 1970, Appendice III.
(Il semble que les appelants ont également con
testé les subpoenas devant la Commission pour des
motifs relatifs à leur portée, leur pertinence, etc.,
mais ces motifs ne font pas directement l'objet du
présent appel.)
La Charte—article 8
L'article 8 de la Charte prévoit que
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Il est difficile à première vue de comprendre
comment cette disposition pourrait être pertinente
en l'espèce. Nous avons affaire à un subpoena
duces tecum et non à un mandat de perquisition ou
à un bref de saisie. Comme l'a dit le juge de
première instance [à la page 226],
... il ne s'agit pas ici de perquisitions et de saisies, mais de la
compétence d'exiger la comparution de personnes ou la produc
tion des documents devant la Commission, par voie de sub
poena. Il n'y a ni intrusion chez des particuliers ni saisie de
biens.
Pour confirmer l'argument des appelants sur ce
point, il nous faudrait conclure que le subpoena
duces tecum est l'équivalent d'une perquisition ou
d'une saisie. À cet égard, on nous a demandé de
suivre la décision récente de la Cour d'appel de
l'Alberta dans Alberta Human Rights Commis
sion v. Alberta Blue Cross Plan (encore inédite,
appel n° 14904, déposée le 8 septembre 1983
[maintenant publiée à 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th)
301]).
J'avoue que cette décision me cause beaucoup de
difficultés qui ne tiennent pas uniquement au res
pect dû aux cinq juges qui ont rendu cette décision
unanime. Voici tout ce que la Cour a déclaré sur la
question qui nous concerne en l'espèce [à la page
195 A.R., et à la page 307 D.L.R.]:
[TRADUCTION] Nous admettons que la production forcée de
documents dans des procédures civiles ou pendant une enquête
de caractère administratif constitue une saisie.
Si on la juge sur les apparences, cette déclara-
tion, non motivée ni appuyée par aucune autorité,
est inacceptable. Elle semble contredire l'essentiel
de la jurisprudence américaine (voir, par exemple,
Oklahoma Press Publishing Co. v. Walling, 327
U.S. 186 (1946); Dunham v. Ottinger, 154 N.E.
298 (N.Y.C.A. 1926)). Les décisions canadiennes
qui nous ont été citées vont dans le même sens (par
exemple, Rolbin v. The Queen (1982), 2 C.R.R.
166 (C.S. Qc)). Cette déclaration est également
contraire aux sens ordinaires habituellement
donnés aux termes «perquisition» et «saisie». Ces
deux termes impliquent indubitablement l'intru-
sion d'un tiers dans la demeure ou la place d'affai-
res d'un citoyen, pour chercher et enlever des
documents ou des objets. Les perquisitions et les
saisies sont habituellement faites en vertu d'un
mandat ou d'un bref, adressé à l'agent effectuant
la perquisition ou la saisie, et lui permettant de
pénétrer sur les lieux à de telles fins. En revanche,
en vertu d'un subpoena duces tecum, personne ne
pénètre dans la demeure ou la place d'affaires du
citoyen à l'exception, bien sûr, du citoyen lui-
même et de ses invités. L'ordonnance de la cour est
adressée au témoin lui-même et n'est pas une
autorisation de s'introduire dans des lieux mais
plutôt un ordre de produire quelque chose.
En toute honnêteté pour la Cour de l'Alberta, il
faut replacer la déclaration de ses juges dans le
contexte de leur décision. Ils avaient été saisis par
la Commission des droits de la personne d'une
demande visant à obtenir des documents nécessai-
res à une enquête sur un cas présumé de discrimi
nation. Les dispositions légales applicables sont
maintenant contenues aux articles 21 à 23 de la
Individual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980,
chapitre I-2:
[TRADUCTION] 21 La personne enquêtant sur une plainte en
vertu de l'article 20 peut:
a) pénétrer sur le terrain ou dans la propriété d'une personne,
autre qu'un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation, en
tout temps raisonnable, et les inspecter;
b) exiger, afin de les examiner, la production des demandes
d'emploi, feuilles de paye, archives et autres documents qui
sont ou peuvent être pertinents pour l'enquête sur la plainte;
c) après en avoir donné un reçu, enlever les objets mentionnés
à l'alinéa b) afin d'en tirer des copies ou des extraits.
22 (1) La personne enquêtant sur une plainte en vertu de
l'article 20 ne peut pénétrer dans un local ou lieu utilisé comme
lieu d'habitation et les inspecter qu'à condition
a) que leur propriétaire ou la personne qui en a la disposition
autorise l'entrée sur les lieux et l'inspection, ou
b) que l'entrée sur les lieux et l'inspection soient autorisées
par une ordonnance d'un juge de la Cour du Banc de la
Reine conformément au paragraphe (3).
(2) Si la personne enquêtant sur une plainte en vertu de
l'article 20
a) ne peut obtenir l'autorisation de pénétrer dans un local ou
lieu utilisé comme lieu d'habitation et de les inspecter ou,
ayant obtenu cette autorisation, est entravée dans son action,
ou
b) se voit refuser l'entrée sur un terrain ou une propriété
autre qu'un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation,
elle peut présenter une demande, par avis de requête, à un juge
de la Cour du Banc de la Reine afin d'obtenir l'ordonnance
prévue au paragraphe (3).
(3) Si, après avoir reçu une demande en vertu du paragraphe
(2), le juge est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables et
probables de croire que l'accès au local ou lieu utilisé comme
lieu d'habitation, ou au terrain ou à la propriété, est nécessaire
pour les fins de l'enquête, il peut rendre une ordonnance
a) autorisant l'entrée sur les lieux et l'inspection, ou
b) interdisant à toute personne de gêner ou d'empêcher
l'entrée sur les lieux et l'inspection,
ou les deux.
23 Si une personne à laquelle est présentée une demande de
production en vertu de l'alinéa 21b), fait défaut ou refuse
a) d'obtempérer à la demande, ou
b) de permettre l'enlèvement de l'objet conformément à
l'alinéa 21c),
la personne enquêtant sur la plainte peut présenter une
demande, par avis de requête, à un juge de la Cour du Banc de
la Reine, et le juge peut rendre toute ordonnance qu'il estime
nécessaire pour assurer l'observation des alinéas 21b) ou c).
Notons que la Cour de l'Alberta devait statuer
sur une demande en vertu de l'article 23 visant à
faire exécuter une demande de production de
documents en vertu de l'alinéa 21b), mais que
l'ensemble du processus d'enquête instauré par les
articles cités va beaucoup plus loin et prévoit que
les mêmes procédures peuvent donner lieu à des
ordonnances autorisant l'entrée de force sur des
lieux et des perquisitions. Cela permet peut-être de
mieux comprendre pourquoi la Cour a considéré
que l'ensemble du processus était assujetti aux
restrictions imposées par l'article 8 de la Charte.
Par contre, si la Cour de l'Alberta avait l'inten-
tion d'affirmer que toute ordonnance de communi
cation de documents présentée par voie de sub
poena duces tecum doit être traitée comme une
saisie aux fins de la Charte, je dois, en toute
déférence, exprimer mon désaccord.
La disposition légale pertinente en l'espèce est le
paragraphe 17(1) de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions. Ce paragraphe prévoit, dans les
termes usuels, l'obtention d'un subpoena duces
tecum qu'il décrit comme étant une «ordonnance»
pour la «production ... de livres, documents, archi
ves ou autres pièces».
Pour les motifs que j'ai exposés, je ne peux voir
de rapport valable entre une telle ordonnance et les
perquisitions et les saisies envisagées par l'article 8
de la Charte et je ne retiendrais pas cette partie
des allégations des appelants.
Déclaration des droits—alinéa 2d)
Voici le texte de la disposition applicable de la
Déclaration des droits:
2. ... nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer
comme
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un
office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une
personne à témoigner si on lui refuse ... la protection contre
son propre témoignage ...
Afin d'avoir gain de cause pour cette partie de
leur plaidoirie, les appelants doivent évidemment
prouver qu'ils ne sont pas protégés contre l'auto-
incrimination par d'autres dispositions légales ou
constitutionnelles. La Déclaration des droits n'in-
terdit pas de contraindre une personne à fournir
une preuve incriminante; elle exige simplement
qu'une telle contrainte soit accompagnée d'une
protection contre l'usage de cette preuve contre la
personne qui l'a apportée.
L'argument principal des appelants sur ce point
consiste à dire que les subpoenas les obligent à
communiquer des documents, qu'en outre, aucune
loi n'accorde de protection contre l'usage des docu
ments pour incriminer le témoin qui les produit et
que, par conséquent, la contrainte exercée pour les
forcer à les produire viole l'alinéa 2d).
À mon avis, l'argument des appelants doit être
rejeté pour deux raisons. D'abord, je doute sérieu-
sement que le privilège accordé par l'alinéa 2d)
s'applique à des documents. Ensuite, je suis con-
vaincu que tout ce qui peut être visé par l'alinéa
2d) est protégé par l'article 13 de la Charte des
droits.
Tout examen de la portée de l'alinéa 2d) doit
commencer avec ce qu'en disait le juge Laskin (tel
était alors son titre), au nom de la majorité, dans
l'arrêt Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26
D.L.R. (3d) 603. Dans son jugement [aux pages
906 et 907 R.C.S., et 619 D.L.R.], le juge Laskin
déclare être dans l'ensemble d'accord avec ce que
le juge en chef Freedman du Manitoba (s'expri-
mant au nom de la Cour qui était composée de
lui-même et des juges d'appel Monnin et Dickson
(tels étaient alors leurs titres)) a déclaré dans R. v.
McKay (1971), 4 C.C.C. (2d) 45 (C.A. Man.).
Bien que le juge en chef du Manitoba ait inter-
prété l'expression «à témoigner» à l'alinéa 2d)
comme signifiant [TRADUCTION] «faire une décla-
ration sous serment» (à la page 49), le juge Laskin
a déclaré expressément qu'il ne désirait pas se
prononcer sur cette question:
... je ne puis interpréter l'art. 2(d) comme faisant plus que
rendre inopérante toute règle de droit fédérale, énoncée dans
une loi formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accuser
devant une cour ou un tribunal semblable en fournissant une
preuve, sans en même temps le protéger contre l'utilisation de
cette preuve contre lui. Je n'examinerai pas ici la portée du
terme »preuve», puisque cette question ne se pose pas en
l'espèce.
(aux pages 912 R.C.S. et 623 D.L.R.).
La question de la portée de l'alinéa 2d) a de
nouveau été soumise à la Cour suprême environ
trois ans plus tard dans l'affaire Marcoux et autre
c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763. Le jugement de
la Cour a été prononcé par le juge Dickson qui a
déclaré à la page 768:
La limite du privilège contre l'auto-incrimination est claire.
Le privilège est celui d'un témoin de ne pas répondre à une
question qui peut l'incriminer. [C'est moi qui souligne.]
et il a ajouté à la page 769:
En résumé, le privilège s'applique à l'accusé en tant que témoin
et non pas en tant qu'accusé; il s'applique particulièrement à la
contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général
... [C'est moi qui souligne.]
Si l'affaire en était restée là, il ne serait guère
possible de douter que le privilège enchâssé dans
l'alinéa 2d) ne s'applique pas à la communication
de documents. Le juge Dickson a toutefois pour-
suivi, au paragraphe suivant [à la page 769]:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui pro-
tège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de
témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le privi-
lège contre l'auto-incrimination ont suivi un cheminement
parallèle en limitant l'application du privilège à sa portée
historique, c: à-d. assurer une protection contre la contrainte de
témoigner. Une telle restriction fait naître une distinction entre
des révélations verbales ou écrites obtenues de force lesquelles
tombent sous le coup du privilège et ce qu'on a appelé la preuve
«réelle ou matérielle», c: à-d. une preuve matérielle qui a été
obtenue d'une personne sans son consentement et qui, générale-
ment parlant, n'est pas visée par le privilège. [C'est moi qui
souligne.]
Bien qu'à mon avis, la meilleure interprétation
est, qu'en utilisant l'expression «révélations ...
écrites obtenues de force», le juge Dickson parlait
simplement des formes de témoignages qui sont
écrits (par exemple, les réponses aux interrogatoi-
res écrits, les affidavits, etc.), les appelants, comme
on peut le comprendre, allèguent qu'il avait l'in-
tention d'étendre le privilège à tout le domaine de
la communication forcée de documents.
Je ne peux être d'accord avec cette allégation.
En fait, il est difficile de trouver un principe
général ou rationnel qui permette de conclure que
le privilège contre l'auto-incrimination devrait
s'appliquer à des documents simplement parce
qu'un témoin est contraint de les communiquer.
J'ai toujours pensé qu'en droit, les documents et
objets trouvés en la possession d'un accusé étaient
admissibles à titre de preuves contre lui, à la seule
condition d'en prouver la pertinence (Thompson v.
The King, [1918] A.C. 221 (H.L.)). De tels objets
peuvent être saisis même sans mandat au moment
de son arrestation (R. v. Brezack (1949), 96
C.C.C. 97 (C.A. Ont.), et la jurisprudence qui y
est citée). De toute façon, le droit prévoit que
même une saisie illégale ne peut servir de fin de
non-recevoir pour l'admissibilité de preuves perti-
nentes (Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197
(P.C.); A.G. for Quebec v. Begin, [1955] R.C.S.
593). Même s'il est possible que l'on juge que
l'entrée en vigueur de la Charte a modifié la
rigueur de certaines de ces règles, il s'agit en
l'espèce de l'interprétation de la Déclaration des
droits qui, d'après la décision de la majorité dans
Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574, n'a
aucun effet sur la règle de common law concernant
l'admissibilité de preuves pertinentes.
La raison d'être du privilège contre l'auto-incri
mination est d'empêcher que des personnes soient
interrogées au cours de procédures d'enquête et
poursuivies ensuite en raison de leurs réponses. Il
constitue la contrepartie logique aux règles relati
ves à l'admissibilité des aveux. Le but du privilège
n'est certainement pas d'empêcher que les témoins
soient contraints de produire ce qui, de toute
façon, pourrait leur être pris de force. Un accusé
ne peut être contraint de témoigner dans sa propre
cause et, par conséquent, il a le droit d'être protégé
contre les conséquences de son témoignage dans la
cause d'une autre personne; il ne bénéficie pas de
protection contre l'usage contre lui-même des
documents ou objets trouvés en sa possession, et il
n'a donc pas le droit de refuser de les produire
lorsqu'on le lui demande.
Il est vrai qu'on a jugé dans plusieurs causes
qu'au cours de procédures de communication de
documents, dans des poursuites civiles, la produc
tion des documents ne sera pas ordonnée s'il est
démontré qu'ils sont de nature à incriminer la
partie qui les communique (voir D'Ivry v. World
Newspaper Co. of Toronto et al. (1897), 17 P.R.
387 (C.A. Ont.); Attorney -General v. Kelly
(1916), 28 D.L.R. 409 (C.A. Man.); Webster v.
Solloway, Mills & Co., [1931] 1 D.L.R. 831
(C.A. Alb.); Staples v. Isaacs, [1940] 3 D.L.R.
473 (C.A.C-B.)). La jurisprudence n'est toutefois
pas unanime sur ce point (voir Stickney v. Trusz
(1973), 16 C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.), confirmé
par (1974), 28 C.R.N.S. 125 (C.A. Ont.)) et, pour
les motifs donnés, j'ai de la difficulté à comprendre
la raison pour laquelle il faudrait étendre le privi-
lège aux documents.
Je terminerai en disant que l'étude de cette
question par le professeur Ratushny dans son livre
intitulé Self-Incrimination in the Canadian Cri
minal Process (Carswell, 1979) m'a été très utile
et que je partage en général sa façon de voir.
Comme il dit:
[TRADUCTION] Il est évident que le privilège contre l'auto-
incrimination, tel qu'il existe aujourd'hui au Canada, est un
concept très étroit. Il décrit simplement deux règles particuliè-
res en matière de procédure et de témoignages: l'impossibilité
de contraindre un accusé à témoigner dans son propre procès et
la protection du paragraphe 5(2) contre l'usage du témoignage
d'une personne dans des poursuites ultérieures. Il n'existe pas
de principe général qui puisse être invoqué pour atteindre un
résultat précis dans un cas particulier.
(à la page 92).
En ce qui concerne la disposition relative à
l'auto-incrimination contenue à l'alinéa 2d) de la
Déclaration des droits, elle
[TRADUCTION] ... n'est pas plus étendue que la protection
contenue dans le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au
Canada.
(à la page 91).
Étant donné que ce dernier paragraphe s'appli-
que spécifiquement à la «réponse* donnée à une
«question*, il ne s'étend pas à la communication de
documents (R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C.
344 (C.A.C.-B.)).
Quoi qu'il en soit, il n'est pas strictement néces-
saire, à mon avis, de déterminer, pour les fins du
présent appel, l'étendue exacte du privilège con-
tenu à l'alinéa 2d). Quel que soit ce privilège, je
suis convaincu qu'il a été repris en totalité par les
dispositions de l'article 13 de la Charte des droits
qui accordent précisément la protection qui consti-
tue une condition préalable à la contraignabilité en
vertu de l'alinéa 2d).
Cette constatation ressort clairement de la com-
paraison des deux dispositions légales. Dans le
texte anglais, la protection accordée par l'alinéa
2d) tient à l'interdiction de contraindre une per-
sonne «to give evidence if ... denied ... protection
against self crimination ... ». L'article 13 de la
Charte accorde à quiconque «testifies ... the right
not to have any incriminating evidence so given
used to incriminate that witness ... ». Bien que
l'un des textes emploie la forme active et l'autre, la
forme passive, dans les deux cas, l'activité protégée
est le fait de témoigner.
Le texte français rend encore plus évidente la
correspondance entre ces dispositions. L'alinéa 2d)
ne reconnaît à aucune autorité le droit de «con-
traindre une personne à témoigner si on lui refuse
... la protection contre son propre témoi-
gnage ...».
Par ailleurs, l'article 13 accorde à chacun le «droit
à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne
ne soit utilisé pour l'incriminer ...».
Dans chaque cas, la protection vise l'usage contre
une personne de son propre «témoignage».
J'ajouterais qu'à mon avis l'article 26 de la
Charte ne fait pas obstacle à cette interprétation.
Cet article ordonne simplement que les disposi
tions de la Charte ne soient pas interprétées de
façon à nier l'existence d'autres droits. Le droit
accordé par l'alinéa 2d) est conditionnel; l'article
13 ne rejette pas ce droit mais, au contraire, il le
confirme et le rend absolu.
Que l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits
couvre ou non le cas d'un témoin qui est contraint
de produire des documents incriminants en vertu
d'un subpoena duces tecum, je conclus que la
portée de l'article 13 est au moins aussi étendue
que celle de cet alinéa et, par conséquent, accorde
à ce témoin la «protection contre son propre témoi-
gnage» requise par l'alinéa 2d).
Il ressort de ce qui précède qu'à mon avis, le
juge de première instance était justifié de rejeter
les deux points soulevés par les appelants. C'est
pourquoi, je rejetterais l'appel avec dépens.
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