A-247-77
Domestic Converters Corporation, David Kirsch
Ltd., Barmish Bros. Inc., G.K. Marshall Fabrics
of Montreal Inc., Daly & Morin Ltd., Reich
Brothers Ltd., Diamond Yarn Canada Corp.
(demanderesses)
c.
Arctic Steamship Line, March Shipping Limited,
ITO-International Terminal Operators Ltd. et la
Reine aux droits du Canada (défenderesses)
Cour d'appel, juges Pratte et Le Dain, juge sup
pléant Lalande—Montréal, 27, 28, 29 février, 5 et
6 mars; Ottawa, 29 octobre 1980.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Responsabilité de
propriétaire d'un bâtiment — Des marchandises entreposées
dans un hangar appartenant à la Couronne et loué par des
agents de transit ont été endommagées à la suite de l'effondre-
ment dudit hangar — (1) Le jugement de première instance
portant que la Couronne était seule responsable et lui ordon-
nant le paiement d'intérêts au taux de 8 % depuis la date du
sinistre et des frais taxables de toutes les parties, est modifié
quant à l'intérêt et aux frais — L'action des demanderesses est
fondée sur l'art. 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne et sur l'art. 1055 du Code civil de la province de
Québec — L'art. 3(1)a) ne s'applique pas car l'effondrement
n'a pas résulté de la faute d'un préposé, mais de l'accumula-
tion de neige sur le toit — La Couronne est responsable en
vertu de l'art. 3(1)b) — Manquement au devoir de propriétaire
— Omission d'enlever la neige — La Couronne avait le devoir
de veiller à ce que le bâtiment ne constitue pas un danger pour
les tiers — Les dommages étaient prévisibles étant donné la
fragilité du bâtiment — Le bail n'imposait pas au locataire
l'obligation d'enlever la neige — Il n'est pas possible de se
reporter à l'art. 1055 du Code civil pour déterminer s'il y a eu
manquement à l'un des devoirs décrits à l'art. 3(1)b) lorsque
cet article s'applique au cas d'un dommage résultant de la
ruine d'un bâtiment appartenant à la Couronne et situé dans la
province de Québec — L'art. 1055 oblige le propriétaire à
réparer les dommages résultant de la faute du propriétaire ou
de celle d'un tiers — Le manquement aux devoirs prévus à
l'art. 3(1)b) constitue un manquement de la part de la Cou-
ronne elle-même en sa qualité de propriétaire — L'art. 3(1)b)
ne prévoit pas que la Couronne puisse être tenue responsable
d'un dommage causé par le manquement d'un tiers à l'un des
devoirs de celle-ci — (2) Rejet de l'appel de la Couronne du
jugement rejetant son recours en garantie contre les agents de
transit — Action régie par le droit civil québécois — (3) Rejet
de l'appel des demanderesses du jugement rejetant leur action
contre le transporteur et les agents de transit — La responsa-
bilité du transporteur était exclue par les termes du contrat de
transport — L'action intentée contre les agents de transit
n'était pas de la compétence de la Cour — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 22, 35, 40, 42
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 500,
1726 — Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970,
chap. N-8, art. 11(2) — Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1) — Code civil de
la province de Québec, art. 1055, 1056c.
Compétence — Droit maritime — Des marchandises entre-
posées dans un hangar appartenant à la Couronne et loué par
des agents de transit ont été endommagées à la suite de
l'effondrement dudit hangar — Rejet de l'appel du jugement
de première instance ayant rejeté l'action des propriétaires des
marchandises intentée contre les agents de transit — L'action
n'était pas de la compétence de la Cour — L'action n'était
fondée ni sur une loi fédérale ni sur le droit maritime canadien
car elle ne faisait pas partie des affaires mentionnées à l'art.
22(2) de la Loi sur la Cour fédérale — S'agit-il d'une affaire
«maritime» ou «d'amirauté» sur laquelle le fédéral a compé-
tence en vertu de son pouvoir en matière de navigation et de
marine marchande? — La demande n'avait aucun caractère
maritime — Un délit commis à terre n'est pas une affaire
maritime — Aucun lien de droit contractuel entre les proprié-
taires des marchandises et les agents de transit, et aucune
stipulation pour autrui en faveur des propriétaires de la
cargaison — Les armateurs ont passé le contrat de manuten-
tion pour leur propre compte, non comme représentants de
propriétaires de cargaisons — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 22(2), 42 — Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art.
3(1).
Pratique — Intérêts — Frais — Des marchandises entrepo-
sées dans un hangar appartenant à la Couronne et loué par des
agents de transit ont été endommagées à la suite de l'effondre-
ment dudit hangar — Responsabilité délictuelle de la Cou-
ronne — Le juge de première instance a ordonné le paiement,
sur le montant de l'indemnité, d'un intérêt de 8 % depuis le
jour où le dommage s'est produit — L'art. 40 de la Loi sur la
Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir d'ordonner le
paiement d'un intérêt et d'en fixer le taux et le moment après
le jugement à compter duquel il commence à courir — Suivant
l'art. 35, la Couronne doit payer un intérêt sur une dette qui
préexistait au jugement si une loi ou un contrat l'y oblige —
En l'absence d'un contrat, la Loi sur la responsabilité de la
Couronne s'applique — La Couronne étant responsable comme
si elle était un particulier, elle est responsable en vertu de l'art.
1056c du Code civil — Suivant l'art. 1056c, l'intérêt est
payable depuis le jour du début des procédures à un taux
pouvant aller jusqu'à 8 % — Le premier juge a fait un
mauvais emploi de son pouvoir discrétionnaire en ce qui
concerne les frais — Le premier juge n'a pas pris en considéra-
tion (1) le fait que les demanderesses auraient pu établir, avant
d'intenter leur action, que la responsabilité du transporteur
n'était pas engagée, et (2) que l'action intentée par les deman-
deresses contre les agents de transit ainsi que le recours en
garantie exercé par la Couronne contre ces derniers ne ressor-
tissaient pas de la compétence de la Cour — Jugement de
première instance modifié en conséquence — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 35, 40 — Loi
sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38,
art. 3(1)— Code civil de la province de Québec, art. 1056c.
Les demanderesses ont intenté une action en Division de
première instance pour obtenir réparation des dommages subis
par leurs marchandises à la suite de l'effondrement du hangar
dans lequel elles étaient entreposées. Après avoir été déchargées
d'un navire appartenant à Arctic Steamship Line, les marchan-
dises ont été confiées à ITO-International Terminal Operators
Ltd. et March Shipping Limited, conformément à une entente
intervenue entre ITO et le transporteur Arctic. (Pour les fins de
cet appel, on peut considérer ces deux dernières sociétés comme
un tout, bien qu'elles aient joué des rôles différents, et utiliser le
sigle ITO.) Les marchandises ont été placées dans un hangar
situé dans le port de Montréal. Le hangar, construit par le
Conseil des ports nationaux, avait été loué par ITO. Les
demanderesses cherchaient à obtenir une condamnation soli-
daire contre Arctic, le transporteur et propriétaire du navire,
contre ITO, qui occupait le hangar et avait la garde des
marchandises, et contre la Couronne, qui était propriétaire du
hangar. Le premier juge a statué que la Couronne était seule
responsable des dommages et lui a ordonné de payer des
dommages-intérêts avec intérêts au taux de 8 % depuis la date
du sinistre, a rejeté le recours en garantie de la Couronne
contre ITO, a rejeté l'action des demanderesses intentée contre
Arctic et ITO et les recours en garantie exercés par ces deux
dernières sociétés, et finalement, a condamné la Couronne à
payer les frais taxables de toutes les parties. Cette décision a
donné lieu à trois appels entendus en même temps.
Arrêt: (1) L'appel de la Couronne (A-245-77) du jugement
la condamnant à indemniser les demanderesses est accueilli et
le jugement de première instance n'est modifié qu'en ce qui
concerne les intérêts et les frais.
A/ La responsabilité de la Couronne
Le premier juge a eu raison de tenir la Couronne responsable
des dommages subis par les demanderesses. Les demanderesses
ont invoqué dans leur déclaration le paragraphe 3(1) de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne ainsi que l'article 1055 du
Code civil de la province de Québec, qui dispose que le proprié-
taire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa
ruine. La Couronne ne peut être responsable délictuellement
que dans les cas prévus par la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, et la seule disposition de cette Loi suivant laquelle la
Couronne peut, comme propriétaire d'un immeuble, être res-
ponsable d'un dommage est l'alinéa 3(1)b). Cela n'empêche
pas, à première vue, l'application de l'article 1055. Suivant les
alinéas 3(1)a) et b) de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, la Couronne est responsable comme si elle était un
«particulier»; or, c'est le droit provincial qui régit la responsabi-
lité délictuelle des particuliers. On peut donc s'en rapporter au
droit provincial pour déterminer s'il y a eu manquement au
devoir prévu à l'alinéa 3(1)b) et quelles sont les conséquences
d'un pareil manquement pour les particuliers. L'inexécution de
l'un des devoirs mentionnés à l'alinéa 3(1)b) est source de
responsabilité. Cependant, le dernier alinéa de l'article 1055
n'impose pas un devoir de cette sorte au propriétaire d'un
bâtiment; il lui impose tout simplement l'obligation de réparer
certains dommages, que ces dommages résultent de la faute du
propriétaire ou de celle d'un tiers. Les manquements qui,
suivant l'alinéa 3(1)b), peuvent entraîner la responsabilité de la
Couronne sont des manquements par la Couronne elle-même
aux devoirs que lui imposait sa qualité de propriétaire, de
possesseur ou d'occupant d'un bien. L'alinéa 3(1)b) ne prévoit
pas que la Couronne puisse être tenue responsable d'un dom-
mage causé par le manquement d'un tiers à son devoir de
propriétaire, de possesseur ou d'occupant. Par conséquent, en
appliquant l'alinéa 3(1)b) au cas d'un dommage résultant de la
ruine d'un bâtiment appartenant à la Couronne et situé au
Québec, il n'est ni nécessaire ni possible de se reporter à
l'article 1055 du Code civil pour déterminer s'il y a eu manque-
ment à l'un des devoirs décrits à l'alinéa 3(1)b). Pour réussir
dans leur demande, les demanderesses doivent prouver que
l'écroulement du hangar est dû soit à la faute d'un préposé de
la Couronne (alinéa 3(1)a)) soit à un manquement par la
Couronne à l'un des devoirs mentionnés à l'alinéa 3(1)b).
L'alinéa 3(1)a) est écarté: la preuve montre que le bâtiment
s'est écroulé, selon toute probabilité, en raison de la très grande
quantité de neige qui s'était accumulée sur son toit. En ce qui
concerne l'alinéa 3(1)b), le fait que la Couronne ait loué
l'entrepôt à ITO ne suffit pas à la relever de son obligation
d'enlever la neige: le bail n'imposait pas expressément au
locataire l'obligation d'enlever la neige de la toiture; l'enlève-
ment de la neige était rendu nécessaire par la fragilité particu-
lière du bâtiment loué; et le propriétaire était tout autant en
mesure que son locataire de vérifier s'il s'était accumulé trop de
neige sur le toit. Dans ces circonstances, la Couronne conser-
vait, du moins à l'égard des tiers, le devoir de veiller à ce que la
présence de la neige sur le toit de son bâtiment ne soit pas une
source de danger. Les dommages étaient prévisibles. La Cou-
ronne ne pouvait se désintéresser de son bâtiment et tenir pour
acquis que son locataire verrait et signalerait tous les domma-
ges qui pourraient mettre en péril la sécurité de l'immeuble.
B/ Les intérêts
Le premier juge était habilité à condamner la Couronne à
payer sur le montant de l'indemnité des intérêts au taux de 8 %
mais il ne pouvait ordonner que cet intérêt commence à courir à
la date où le dommage s'est produit. En vertu de l'article 40 de
la Loi sur la Cour fédérale, la Cour a le pouvoir d'ordonner
qu'un jugement porte ou ne porte pas intérêt et de fixer le taux
de cet intérêt et le moment après le jugement à compter duquel
il commencera à courir. Suivant l'article 35 de la Loi, la
Couronne ne peut être condamnée à payer l'intérêt sur une
dette, qui préexistait au jugement et dont celui-ci a reconnu
l'existence, que si un contrat ou une loi l'y oblige. En l'espèce,
en l'absence de contrat, la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, qui prévoit que la Couronne est responsable comme
«si elle était un particulier», s'applique et sa responsabilité est
donc régie par l'article 1056c du Code civil de la province de
Québec. Cet article prévoit que l'intérêt peut être payé depuis le
jour du début des procédures à un taux pouvant aller jusqu'à
8 %. La décision du premier juge doit donc être corrigée en
conséquence.
(2) L'appel de la Couronne (A-246-77) du jugement rejetant
son recours en garantie contre ITO est rejeté.
La décision du premier juge de rejeter le recours en garantie
que la Couronne avait exercé contre ITO était bien fondée. La
Division de première instance n'avait pas compétence pour
connaître de ce recours qui constituait une instance différente
de l'action principale et était régi exclusivement par le droit
civil québécois. On peut invoquer sur ce point les arrêts McNa-
mara Construction (Western) Limited et autre c. Sa Majesté
La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Sa Majesté La Reine c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited, [1980] 1
R.C.S. 695.
(3) L'appel des demanderesses (A-247-77) du jugement reje-
tant leur action contre Arctic et ITO est rejeté.
A/ La responsabilité d'Arctic
Le premier juge a eu raison de statuer que la responsabilité
d'Arctic était exclue par les termes du contrat de transport. Le
dommage est survenu sans la faute du transporteur après que
les marchandises ont été déchargées et alors qu'elles étaient
sous la garde du manutentionnaire à qui il les avait confiées.
B/ La responsabilité d'ITO
Le premier juge a eu raison de rejeter l'action des demande-
resses contre ITO parce qu'elle n'était pas de la compétence de
la Division de première instance. Pour être de la compétence de
la Cour, en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale,
une affaire doit être régie soit par des lois fédérales existantes
soit par le droit maritime canadien. L'action des demanderesses
n'est fondée sur aucune loi fédérale. Elle ne peut donc être du
ressort de la Cour fédérale que si elle est fondée sur le droit
maritime canadien au sens de l'article 2 de la Loi. Cependant,
étant donné qu'en l'espèce il ne s'agit pas d'une affaire visée au
paragraphe 22(2) de la Loi, on ne peut affirmer qu'elle est
régie par le droit maritime canadien et la faute délictuelle que
ITO aurait commise doit être jugée en appliquant le droit civil
québécois. Le seul fait que les marchandises endommagées
aient été l'objet d'un transport maritime et que le hangar ait été
situé dans le port de Montréal ne confère pas en lui-même un
caractère maritime à cette affaire. L'argument des demande-
resses invoquant la responsabilité contractuelle d'ITO ne peut
être retenu. Aux termes de ce contrat conclu avec le transpor-
teur de marchandises, ITO a assumé la garde des marchandises
après leur déchargement. Ce n'est pas un contrat maritime.
C'est un contrat par lequel ITO s'engage à fournir des services
à terre. Même si les demanderesses pouvaient se prévaloir de ce
contrat (auquel elles n'ont pas été parties), leur action ne serait
pas de la compétence de la Cour.
(4) Les frais
Le grief de la Couronne selon lequel le premier juge a mal
exercé sa discrétion en condamnant la Couronne. à payer un
montant de frais exorbitant était en partie fondé. Le premier
juge n'a pas pris en considération (1) le fait que les demande-
resses auraient pu facilement s'assurer avant d'intenter leur
action que le dommage s'était produit dans des circonstances
telles que la responsabilité du transporteur ne pouvait être
engagée, et (2) que l'action intentée par les demanderesses
contre March et ITO ainsi que le recours en garantie exercé
par la Couronne contre ces sociétés ne ressortissaient pas de la
compétence de la Cour.
Le juge Le Dain: La Cour fédérale n'a pas compétence quant
à la réclamation des demanderesses propriétaires des marchan-
dises contre March et ITO.
Il est manifeste que la réclamation contre ITO n'appartient à
aucun des domaines de compétence précisés au paragraphe
22(2) de la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa 22(2)h) parle
d'une réclamation en raison du dommage causé à la cargaison
pendant que celle-ci est transportée à bord d'un navire et non
en raison du dommage subi après le déchargement du navire.
Quant à l'alinéa 22(2)i), ITO n'a pas été partie au contrat de
transport. Aucune des relations contractuelles entre les arma-
teurs et ITO ne constitue une convention relative au transport
de marchandises à bord d'un navire au sens qu'a cette expres
sion dans l'alinéa.
Il faudrait donc justifier la compétence de la Cour d'après la
disposition générale du paragraphe 22(1) laquelle s'ajoute la
définition que donne du «droit maritime canadien» l'article 2. Il
résulte de ces dispositions et de l'article 42, qui maintient le
fond du droit maritime canadien tel qu'il y est ainsi défini, que
malgré l'énumération des sujets au paragraphe 22(2), la Cour a
compétence à l'égard de toute autre réclamation qui peut, à bon
droit, être considérée comme une affaire maritime, pourvu que
ce soit une affaire qui ressortisse à la compétence législative
fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Ce point
de vue ne contredit pas la décision rendue dans l'arrêt Antares
Shipping Corporation c. Le navire »Capricorn», et autres,
[1980] 1 R.C.S. 553, où la Cour suprême ne s'est pas pronon-
cée sur la portée des mots «si cette Cour avait eu, en sa
juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière mari
time et d'amirauté» qui se trouvent dans la définition du droit
maritime canadien.
Existe-t-il un fondement contractuel à la réclamation des
demanderesses propriétaires de la cargaison contre ITO qui
puisse être considéré de nature maritime? Les rapports juridi-
ques entre les parties ne peuvent être qualifiés de sous-dépôt
parce qu'il peut y avoir sous-dépôt sans contrat. De plus, le
dépôt de common law est inconnu en droit québécois où, en
l'absence d'un lien contractuel, la responsabilité civile de celui
qui accepte la garde du bien d'autrui est régie par le droit des
délits et des quasi-délits. La Cour ne peut non plus adopter
l'opinion exprimée par le juge Marceau dans l'arrêt Marubeni
America Corporation, et autres c. Mitsui 0.5.K. Lines Ltd. et
autre, [1979] 2 C.F. 283 (1'» inst.), et selon laquelle il y a un
lien de droit contractuel entre le propriétaire de la cargaison et
le manutentionnaire fondé sur le fait que l'armateur conclut le
contrat avec le manutentionnaire à titre d'agent du propriétaire
de la cargaison, ou sur le fait que le contrat contient une
stipulation pour autrui en faveur du propriétaire de la cargai-
son. En l'espèce, le contrat de manutention a été passé par les
armateurs pour leur propre compte, non comme représentants
ou mandataires d'aucun propriétaire de cargaison en particu-
lier. C'est un contrat général, sans rapport avec des contrats de
transports déterminés, en vertu duquel le manutentionnaire
s'oblige à rendre aux armateurs des services de manutention de
façon permanente à l'égard de leurs navires. Il est impossible
qu'on ait envisagé que les propriétaires de cargaison payeraient
les frais de manutention au manutentionnaire. De plus, on ne
peut considérer que le contrat de manutention comporte une
stipulation pour autrui en faveur des propriétaires de la cargai-
son. Il se limite à des obligations contractées par le manuten-
tionnaire envers des armateurs et au bénéfice de ces derniers.
Le manutentionnaire accepte la garde des marchandises en
vertu d'un contrat général intervenu entre lui et les armateurs.
En conséquence, il n'y a pas de lien de droit contractuel entre le
propriétaire de la cargaison et le manutentionnaire.
Il reste à déterminer si la réclamation des propriétaires de la
cargaison contre le manutentionnaire, caractérisée comme une
action en responsabilité délictuelle pour le dommage causé ou
occasionné à la cargaison à terre, peut être considérée comme
une affaire maritime. Selon toute la tradition en matière de
compétence en amirauté, le délit maritime est celui qui a été
commis sur mer et non sur terre, tandis que le contrat qui, de
par son objet est maritime, peut rester un contrat maritime
même s'il doit être exécuté à terre. Il serait contraire à cette
tradition de conclure qu'un délit commis à terre est une affaire
maritime. Aux États-Unis, la difficulté pratique qui découle du
fait de conclure à l'absence de compétence en amirauté des
tribunaux fédéraux à l'égard de la réclamation du propriétaire
de la cargaison contre le manutentionnaire peut être contournée
par la présomption de compétence accessoire. Il en va autre-
ment en cette Cour.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
McNamara Construction (Western) Limited et autre c.
Sa Majesté La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Sa Majesté
La Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958)
Limited, [1980] 1 R.C.S. 695; Quebec North Shore
Paper Company et autre c. Canadien Pacifique Limitée
et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054.
DÉCISION ÉCARTÉE:
La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c.
Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher, et autres,
[1973] C.F. 1356 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Marubeni America Corporation, et autres c. Mitsui
0.5.K. Lines Ltd. et autre, [1979] 2 C.F. 283 (1'° inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Antares Shipping Corporation c. Le navire «Capricorn»,
et autres, [1980] 1 R.C.S. 553.
DÉCISIONS CITÉES:
De Lovio v. Boit et al., 7 Fed. Cas. 418 (Mass. Cir. Ct.
1815); Leather's Best, Inc. v. S.S. Mormaclynx et al.,
451 F.2d 800 (2d Cir. 1971); Pacific Western Airlines
Ltd. et autre c. La Reine, et autres, [1980] 1 C.F. 86
(C.A.), confirmant [1979] 2 C.F. 476 (1'e inst.); Bullock
v. The London General Omnibus Company and others,
[1907] 1 K.B. 264 (C.A.); MacMillan Bloedel Limited v.
Canadian Stevedoring Co. Ltd., et al., [1969] 2 R.C.É.
375; La Reine c. Canadian Vickers Limited, [1978] 2
C.F. 675 (P' inst.); Tropwood A.G. et autres c. Sivaco
Wire & Nail Company et autre, [1979] 2 R.C.S. 157;
Gilchrist Watt & Sanderson Pty Ltd v York Products
Pty Ltd, [1970] 3 All E.R. 825 (P.C.); Commissaires du
Havre de Québec c. Swift Canadian Company (1929), 47
B.R. 118 (Qc); Franco Canadian Dyers Ltd. c. Hill
Express Depot Ltd., [1951] C.S. 177 (Qc); Robert Simp-
son Montreal Ltd. v. Canadian Overseas Shipping Ltd.;
Brown & Ryan Ltd.; Fjell-Oranje Lines and Fjell Line
and Oranje Lijn (Maatschappij Zeetransport N.V.) (The
.Prins Willem III.,), [1968] 2 Lloyd's L.R. 192 (C.S.
Qc); [1973] 2 Lloyd's L.R. 124 (C.A. Qc); Sa Majesté
La Reine c. Nord-Deutsche Versicherungs-Gesellschaft,
et autres, [1971] R.C.S. 849; Sanderson v. Blyth Theatre
Company, [1903] 2 K.B. 533 (C.A.).
AVOCATS:
S. J. Harrington pour les demanderesses.
P. W. Davidson pour Arctic Steamship Line,
défenderesse.
W. D. Angus et M. de Man pour March
Shipping Limited et ITO-International Ter
minal Operators Ltd., défenderesses.
G. Côté et C. Joyal pour la Reine aux droits
du Canada, défenderesse.
PROCUREURS:
McMaster, Minnion, Patch et Ass., Montréal,
pour les demanderesses.
Brisset, Bishop et Davidson, Montréal, pour
Arctic Steamship Line, défenderesse.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour March Shipping Limited et
ITO-International Terminal Operators Ltd.,
défenderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
Reine aux droits du Canada, défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Cet appel est dirigé contre un
jugement de la Division de première instance
[jugement en date du 18 janvier 1977, T-3081-72,
non publié]; ce même jugement fait également
l'objet de deux autres appels.
En février 1971, le Sasha Borodulin, un navire
appartenant à la défenderesse Arctic Steamship
Line, faisait escale à Montréal et y déchargeait des
marchandises. Ces marchandises étaient transpor-
tées sous connaissement depuis des ports euro-
péens; une partie d'entre elles était destinée aux
demanderesses. Après le déchargement, en atten
dant que les destinataires en viennent prendre
livraison, les marchandises furent confiées à ITO-
International Terminal Operators Ltd. et March
Shipping Limited', conformément à une entente
intervenue préalablement entre ITO et le transpor-
teur Arctic, et furent placées dans le hangar 38, un
entrepôt situé dans le port de Montréal qu'ITO
avait loué du Conseil des ports nationaux 2 . Les
marchandises étaient toujours là lorsque, le 23
février 1971, une partie du hangar 38 s'effondra et
lorsque, le 26 février, le reste du bâtiment
s'écroula.
À vrai dire, ces deux sociétés, ITO et March, ont joué des
rôles différents en cette affaire; cependant, les parties ont
convenu à l'audience que l'on pouvait, pour les fins de cet appel,
les considérer comme une seule et même personne; je les
traiterai donc comme ne faisant qu'un et j'utiliserai le sigle ITO
pour référer à l'une ou l'autre d'entre elles.
Z L'avocat d'ITO a prétendu que le contrat en vertu duquel
ITO occupait le hangar 38 n'était pas un véritable bail. Il n'est
pas nécessaire de se prononcer sur cette prétention.
Les demanderesses ont poursuivi pour obtenir
réparation des dommages subis par leurs marchan-
dises en conséquence de ce sinistre. Elles ont dirigé
leur action, qui réclame une condamnation soli
taire des défenderesses, contre Arctic, le transpor-
teur, contre ITO qui occupait le hangar 38 et avait
la garde des marchandises au moment de l'acci-
dent, et, enfin, contre la Couronne, propriétaire du
hangar qui s'est effondré'. Les défenderesses plai-
dèrent à l'action et, en plus, exercèrent des recours
en garantie les unes contre les autres. L'action
principale et les recours en garantie furent enten-
dus en même temps par la Division de première
instance après que les parties eurent convenu de
limiter le débat à la seule question de la responsa-
bilité, étant entendu que, le cas échéant, la déter-
mination du montant des dommages-intérêts ferait
l'objet d'une «référence» sous l'empire des Règles
500 et suivantes.
Après un long procès, le juge de première ins
tance jugea que la Couronne était seule responsa-
ble des dommages dont les demanderesses récla-
maient réparation. En conséquence,
a) il fit droit à l'action des demanderesses contre
Sa Majesté, à qui il ordonna de payer les dom-
mages-intérêts dont le montant serait ultérieure-
ment fixé avec intérêts au taux de 8 % l'an
depuis la date du sinistre, le 23 février 1971;
b) il rejeta le recours en garantie de Sa Majesté
contre ITO;
c) il rejeta l'action des demanderesses dans la
mesure où elle était intentée contre Arctic et
ITO et rejeta aussi les recours en garantie exer-
cés par ces défenderesses; et
d) il condamna la Couronne à payer les frais
taxables de toutes les parties au litige et donna
certaines directives relativement à la taxation de
ces frais.
Ce jugement a donné lieu à trois appels:
(1) la Couronne a d'abord appelé du jugement
qui faisait droit à l'action intentée contre elle et
la condamnait à indemniser les demanderesses;
c'est l'appel n° A-245-77;
3 Le paragraphe 11(2) de la Loi sur le Conseil des ports
nationaux [S.R.C. 1970, chap. N-81 édicte que:
11....
(2) Tous biens acquis ou détenus par le Conseil sont
dévolus à Sa Majesté du chef du Canada.
(2) la Couronne a aussi appelé de la décision
rejetant le recours en garantie qu'elle avait
exercé contre ITO; cet appel porte le n°
A-246-77;
(3) les demanderesses, enfin, ont appelé de cette
partie du jugement rejetant leur action contre
ITO et Arctic; c'est l'appel n° A-247-77.
Tous ces appels ont été entendus en même temps
et je veux les étudier ici tous les trois.
I—L'appel de la Couronne du jugement la con-
damnant à indemniser les demanderesses.
Cet appel soulève, en tout premier lieu, la ques
tion de savoir si le premier juge a eu raison de
tenir la Couronne responsable des dommages subis
par les demanderesses. Si cette question doit rece-
voir une réponse affirmative, deux autres questions
subsidiaires se posent: le premier juge s'est-il
trompé en condamnant la Couronne à payer,
d'abord, l'intérêt sur le montant des dommages au
taux de 8 % depuis le moment du sinistre et,
ensuite, les frais de toutes les parties au litige?
A/ La responsabilité de la Couronne.
L'action des demanderesses contre Sa Majesté a
un fondement purement délictuel. Elle est fondée
sur le paragraphe 3(1) de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne 4 suivant lequel:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne, ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la pro-
priété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
Les demanderesses ont, de plus, expressément
invoqué dans leur déclaration le dernier alinéa de
l'article 1055 du Code civil de la province de
Québec:
Art. 1055. .. .
Le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage
causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par suite du défaut
d'entretien ou par vice de construction.
Il faut d'abord se demander si cette disposition
peut être invoquée contre la Couronne.
La Couronne ne peut être responsable délictuel-
lement que dans les cas prévus par la Loi sur la
4 S.R.C. 1970, chap. C-38.
responsabilité de la Couronne. Et la seule disposi
tion de cette Loi suivant laquelle la Couronne
peut, comme propriétaire d'un immeuble, être res-
ponsable d'un dommage, est l'alinéa 3(1)b).
Ce n'est pas à dire, cependant, qu'une règle
édictée par un législateur provincial, comme l'arti-
cle 1055 du Code civil de la province de Québec,
ne puisse s'appliquer à la Couronne. Le paragra-
phe 3(1) prescrit en effet que la Couronne, dans
les cas prévus aux alinéas a) et b), est responsable
comme «si elle était un particulier»; or, c'est le
droit provincial qui régit la responsabilité délic-
tuelle des particuliers. Si on lit attentivement l'ali-
néa 3(1)b), on voit que son application exige que
l'on se rapporte au droit provincial, d'abord, pour
déterminer s'il y a eu manquement au devoir dont
parle l'alinéa b) et, en second lieu, pour déterminer
quelles seraient les conséquences d'un pareil man-
quement pour un particulier.
Il me paraît clair qu'en appliquant l'alinéa
3(1)b) au cas d'un dommage résultant de la ruine
d'un bâtiment appartenant à la Couronne et situé
au Québec, il n'est ni nécessaire ni possible de se
reporter à l'article 1055 du Code civil de la pro
vince de Québec pour déterminer s'il y a eu man-
quement à l'un des devoirs décrits à l'alinéa b) du
paragraphe 3(1). En effet, les devoirs dont parle
cette disposition sont des devoirs dont l'inexécution
est source de responsabilité. Or, le dernier alinéa
de l'article 1055 du Code civil de la province de
Québec n'impose pas un devoir de cette sorte au
propriétaire d'un bâtiment; il lui impose tout sim-
plement l'obligation de réparer certains domma-
ges, que ces dommages résultent de la faute du
propriétaire ou de celle d'un tiers.
Ne faut-il pas dire, cependant, que l'article 1055
du Code civil de la province de Québec présuppose
qu'un bâtiment est tombé en ruine parce que quel-
qu'un (que ce soit le propriétaire actuel du bâti-
ment ou un tiers) a manqué à l'un des devoirs
décrits à l'alinéa b) du paragraphe 3(1) de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne et qu'il pres-
crit que, en ce cas, le propriétaire devra réparer les
dommages résultant de la ruine? Ne doit-on pas,
en conséquence, appliquer l'article 1055 la Cou-
ronne de façon à assurer que celle-ci soit responsa-
ble comme «si elle était un particulier> des domma-
ges résultant de ce que quelqu'un a manqué à l'un
des devoirs prévus à l'alinéa b) du paragraphe
3(1)? Je ne le crois pas. À mon avis, les «manque-
ments» qui, suivant l'alinéa 3(1)b), peuvent entraî-
ner la responsabilité de la Couronne sont des man-
quements par la Couronne elle-même aux devoirs
que lui imposait sa qualité de propriétaire, de
possesseur ou d'occupant d'un bien. Je ne pense
pas que l'alinéa 3(1)b) prévoie que la Couronne
puisse être tenue responsable d'un dommage causé
par le manquement d'un tiers à son devoir de
propriétaire, possesseur ou occupant.
J'en viens donc à la conclusion que l'article 1055
ne s'applique pas à la Couronne et que la responsa-
bilité de cette dernière ne peut reposer sur cette
disposition. Pour réussir, les demanderesses
devaient donc prouver que les dommages dont elles
réclament réparation avaient été causés par
l'écroulement du hangar et que cet écroulement
était lui-même dû soit à une faute d'une préposé de
la Couronne (alinéa 3(1)a)), soit à un manque-
ment par la Couronne à l'un des devoirs dont parle
l'alinéa b) du paragraphe 3(1). Les procureurs de
toutes les parties ont admis à l'audience que les
dommages subis par les demanderesses résultaient
de la ruine du hangar 38 et que l'écroulement
d'une première partie de ce hangar, survenu le 23
février 1971, avait été la seule cause de l'effondre-
ment du reste du hangar quelques jours plus tard.
Le seul problème à résoudre c'est donc de détermi-
ner la cause de l'écroulement du 23 février. Cet
écroulement a-t-il été causé par la faute d'un
préposé de la Couronne ou par un manquement de
la Couronne à son devoir de propriétaire? On ne
peut se faire une opinion là-dessus si on ne connaît
l'essentiel de la preuve faite au procès.
Le hangar 38 avait été construit en 1967. Cette
année-là, à la suite d'un accord intervenu entre les
gouvernements canadien, russe et cubain, d'impor-
tantes quantités de farine devaient être exportées
depuis Montréal vers la Russie et Cuba. Mais il
n'y avait pas dans le port de Montréal suffisam-
ment de hangars pour qu'on y puisse déposer cette
farine avant son chargement. Il fallait en cons-
truire un nouveau. Cela devait être fait rapide-
ment, puisque le temps pressait; cela devait être
fait sans qu'il en coûte trop cher, puisqu'on pré-
voyait qu'il y aurait bientôt trop de hangars dans
le port de Montréal étant donné la popularité
croissante du transport par «containers». Plutôt que
de construire un hangar de métal comme ceux qui
existaient déjà dans le port, le Conseil des ports
nationaux décida donc de construire à meilleur
compte un hangar temporaire en bois qui puisse
être facilement démantelé après quelques années.
Et pour éviter le long processus des soumissions
publiques, le Conseil fit construire ce nouveau
bâtiment par ses propres employés d'après des
plans préparés par un ingénieur à son emploi. La
construction commença au début d'avril 1967 sous
la surveillance d'un ingénieur à l'emploi du Con-
seil; elle se termina au début de mai.
Le hangar 38 était donc entièrement construit
en bois. Les murs et la toiture étaient faits de
contreplaqué d'une épaisseur de 3/4 po cloué à une
charpente de bois; la couverture à deux pans ayant
une pente de 14° était couverte d'un papier gou-
dronné. Le bâtiment mesurait 448 pieds de long
sur 100 pieds de large. On l'avait érigé en bordure
du fleuve à un endroit où le sol était asphalté; c'est
ce revêtement d'asphalte, qui n'était d'ailleurs pas
de niveau, qui servait de plancher. La base des
murs reposait sur des pièces de bois de 12 po sur
12 po enfoncées dans le sol à une profondeur de 12
po; il n'y avait pas d'autres fondations. La char-
pente des murs latéraux, faite de pièces de 2 po sur
8 po et de 2 po sur 4 po supportait l'extrémité
extérieure des fermes du toit qui étaient soutenues,
au milieu, par une poutre ferme allant d'un bout à
l'autre du hangar; cette poutre s'appuyait sur une
série de colonnes de 12 po sur 12 po placées à
intervalles de 18 pieds.
Une fois construit, le hangar 38 fut loué de la
même façon que les autres hangars de transit du
port de Montréal. En effet, il ne semble pas que le
Conseil des ports nationaux exploite lui-même les
hangars de transit qui lui appartiennent à Mont-
réal. Il les loue plutôt aux transporteurs et agents
maritimes. Ceux-ci sont, chaque année, invités à
faire connaître leurs besoins en ce domaine; les
renseignements ainsi obtenus permettent au Con-
seil de répartir l'espace disponible entre les divers
intéressés et de faire à chacun une offre de
location.
En 1967, le Conseil loua le hangar 38 à la
condition expresse qu'il ne serait utilisé que pour y
placer de la farine. Dès l'automne 1967, le Conseil
renonçait à cette condition et, par la suite, les
divers locataires du hangar 38 furent autorisés à y
entreposer toutes espèces de marchandises. Telle
était la situation lorsque, en mars 1970, ITO loua
le hangar 38 pour un an aux conditions prévues à
un document intitulé «Permis d'occupation». Sui-
vant ce contrat, le Conseil accordait à ITO,
moyennant paiement du loyer stipulé, le droit d'oc-
cuper le hangar 38 jusqu'au 31 mars 1971 à la
condition, cependant, de ne l'utiliser que pour des
marchandises en transit. Avant qu'ITO en prenne
possession, des représentants de cette société et du
Conseil visitèrent ensemble le hangar, alors vide, et
dressèrent un état des lieux; ce document ne men-
tionne pas que la structure du bâtiment ait alors
été endommagée.
C'est le 23 février 1971 que le hangar s'est
effondré. Il avait beaucoup neigé cet hiver-là: 113
pouces de neige étaient tombés depuis le début de
novembre. (Pendant l'hiver 1967-1968, il en était
tombé 44.5 pouces; en 1968-1969, il en était tombé
78.7 pouces et en 1969-1970, 58.7 pouces.) Il est
constant que personne n'avait jamais enlevé la
neige qui avait pu s'accumuler sur la toiture du
hangar 38 et des autres hangars du port de Mont-
réal. On ne sait cependant, de façon certaine,
quelle quantité de neige il y avait sur le toit du
hangar 38 au moment de l'écroulement. Personne
n'a examiné le bâtiment avant le sinistre du 23
février. Le lendemain, un ingénieur à l'emploi du
Conseil, monsieur Thibodeau, alla examiner les
lieux et, depuis le sol, jugea qu'il y avait sur le toit
de la partie du hangar qui était restée debout une
épaisseur de neige pouvant varier de 18 à 30
pouces: de 12 à 18 pouces de neige compacte mêlée
de glace et, par-dessus, entre 6 et 12 pouces de
neige poudreuse. Deux jours plus tard, un autre
employé du Conseil, le constable Forget, montait
sur la toiture qui recouvrait ce qui restait du
hangar 38 et mesurait, avec une règle de métal
de 15 po, l'épaisseur de la neige qui s'y trouvait.
D'après lui, cette épaisseur variait, suivant les
endroits, entre 9 et 20 pouces et il y avait une
mince couche de glace d'à peu près 1/16e de pouce
au milieu de cette épaisseur de neige.
En visitant les lieux entre les 23 et 26 février,
deux ingénieurs à l'emploi du Conseil, messieurs
Thibodeau et Grenier, firent l'inspection de la
partie non écroulée du hangar et remarquèrent que
la charpente des murs était endommagée. Mon
sieur Grenier prit alors des photos qui révèlent
principalement que, à plusieurs endroits, les
poteaux de 2 po sur 8 po étaient abîmés à faible
hauteur comme si on les avait vivement frappés.
Sauf exception, il ne semble pas que ces dommages
aient pu avoir été causés par la chute de la pre-
mière partie du hangar.
Pourquoi le hangar s'est-il écroulé? Les témoi-
gnages des ouvriers qui étaient à travailler dans le
hangar lors de l'effondrement jettent peu de
lumière sur cette question; ils n'avaient rien remar-
qué d'anormal lorsque, tout à coup, ils entendirent
un grand bruit et aperçurent le ciel au travers de la
toiture qui se disloquait. Plusieurs experts ont été
entendus au procès sur ce sujet. Aucun d'eux
n'avait pu examiner le hangar 38. On les avait
consultés trop tard pour cela. On leur avait com-
muniqué, cependant, tous les renseignements que
je viens de résumer et ils avaient eu le loisir
d'étudier les plans d'après lesquels le hangar avait
été construit. C'est en se fondant sur ces données
qu'ils exprimèrent leur avis sur la cause du sinistre.
Ces avis ne concordent pas. Suivant monsieur Blu-
teau, l'expert des demanderesses, l'effondrement
serait dû principalement à la présence d'une trop
grande quantité de neige sur le toit qui aurait
provoqué l'écrasement d'une structure fragile et
peut-être affaiblie par les dommages que les usa-
gers du hangar avaient pu causer à la charpente
des murs. L'expert de la défenderesse March,
monsieur Martin, fut plus catégorique: l'écroule-
ment était attribuable à une erreur de l'ingénieur
qui avait dressé les plans du bâtiment. Suivant lui,
une pièce de la charpente du toit, qu'il désigna lors
de son témoignage comme «la membrure 8-9»,
était si faible qu'il avait peine à croire que le
hangar ait pu durer aussi longtemps. Les deux
experts de la défenderesse ITO, messieurs Kostitch
et Léonard, attribuèrent eux aussi la chute du
hangar à un vice de construction, mais à un vice
différent de celui qu'avait découvert l'expert
Martin. Pour eux, le hangar s'était écroulé non
parce que sa charpente n'était pas assez forte, mais
plutôt parce qu'il manquait de rigidité, défaut
attribuable principalement à l'absence de contre-
ventements longitudinaux; avec le temps, sous l'ef-
fet des éléments, ce défaut se serait aggravé jus-
qu'au jour où la charpente serait devenue trop
faible pour tenir debout. Les deux experts de la
Couronne, messieurs Roberge et Gagné, exprimè-
rent une autre opinion: ils ne voyaient aucune
erreur dans les plans du hangar qui aurait dû,
suivant eux, être assez solide pour supporter le
poids de la neige qui se trouvait sur le toit. D'après
eux, l'écroulement du hangar n'était pas dû à un
défaut de construction mais à l'affaiblissement
progressif des murs attribuable aux dommages
causés par les usagers du hangar. Les deux experts
fondaient cette opinion sur la preuve dont j'ai déjà
parlé à l'effet que les murs de la partie du hangar
qui s'est écroulée en dernier étaient endommagés
et, aussi, sur le fait, établi entre autres par le
témoignage de l'ancien directeur du port, que les
débardeurs qui travaillaient dans les hangars du
port avaient l'habitude d'y causer des dommages
considérables en frappant leurs chariots-élévateurs
contre les murs et les colonnes et en appuyant des
marchandises lourdes contre les murs 5 .
D'après les experts, la ruine du hangar pouvait
donc être attribuée à l'une ou l'autre de trois
causes: ou bien on avait laissé s'accumuler trop de
neige sur le toit, ou bien le bâtiment avait été mal
conçu, ou bien, enfin, le bâtiment avait été affaibli
par les dommages que les débardeurs avaient
causés à sa charpente.
Si la règle du dernier alinéa de l'article 1055 du
Code civil de la province de Québec pouvait, con-
trairement à ce que j'ai dit, être invoquée contre la
Couronne, la responsabilité de cette dernière ne
ferait pas de doute en l'espèce. En effet, en ce cas,
que les dommages soient dus à l'une ou l'autre des
trois causes déjà mentionnées, la responsabilité de
la Couronne devrait être retenue. Lorsque des
dommages ont été causés par la ruine d'un bâti-
ment, l'article 1055 en rend le propriétaire respon-
sable, même en l'absence de faute de sa part, dans
tous les cas où cette ruine a résulté d'un vice de
construction ou d'un défaut d'entretien. Si cette
disposition s'appliquait ici, la Couronne serait donc
responsable envers les demanderesses dans l'hypo-
thèse où la ruine aurait été causée, comme l'ont
soutenu les experts d'ITO et de March, par un
défaut de construction, que ce défaut ait consisté
dans la faiblesse d'une pièce de la charpente du
toit ou dans l'absence de contreventements longitu-
dinaux. Il en serait de même si l'accident avait été
causé par la présence d'une trop grande quantité
de neige sur le toit puisque, comme l'a concédé
5 Ces débardeurs n'étaient pas des préposés de la Couronne et
ils n'étaient pas non plus, la plupart du temps, des préposés des
locataires des hangars.
l'avocat de Sa Majesté, le fait de ne pas enlever la
neige sur le toit aurait alors équivalu à un défaut
d'entretien. La conclusion, enfin, n'aurait pas été
différente si l'effondrement avait été causé par les
dommages que les débardeurs avaient infligés à la
charpente. Rien ne permet de croire, en effet, que
ces dommages, en supposant qu'ils aient existé,
aient été causés si soudainement et si peu de temps
avant l'accident qu'ils n'auraient pas pu et dû être
réparés. C'est dire que, même en ce cas, la ruine
aurait été attribuable à un défaut d'entretien.
Faut-il en venir à une autre conclusion étant
donné que la règle posée par l'article 1055 du Code
civil de la province de Québec ne s'applique pas
ici? Je ne le crois pas. Si l'écroulement devait être
attribué à un vice de construction, la Couronne en
serait certainement responsable puisque ce sont ses
préposés qui ont conçu et construit le bâtiment. Je
ne crois cependant pas que cette hypothèse doive
être retenue. À mon avis, les experts de la Cou-
ronne ont démontré que le défaut de construction
relevé par l'expert Martin n'avait pu causer
l'écroulement; quant au vice de construction
remarqué par messieurs Kostitch et Léonard, (le
manque de rigidité de l'immeuble), il m'apparaît
très peu probable qu'il ait été la cause de la ruine
puisqu'il ventait très peu le jour du sinistre et que
le bâtiment avait, peu de temps auparavant, résisté
à des vents violents. Cependant, quoique ce bâti-
ment n'ait pas été mal construit, il reste qu'il
s'agissait là d'un bâtiment fragile (surtout si on
tient compte de sa destination) qui s'est écrasé,
suivant toutes probabilités, parce qu'il s'était accu-
mulé sur sa toiture pendant le rigoureux hiver
1970-1971 plus de neige que le bâtiment n'en
pouvait supporter. La Couronne doit-elle être
tenue responsable de ce que cette neige n'ait pas
été enlevée? Il n'y a pas de doute qu'elle le devrait
si elle avait occupé elle-même la propriété. Le fait
qu'elle ait loué le hangar à ITO suffit-il à la
relever de cette obligation puisque l'enlèvement de
la neige est normalement un travail d'entretien qui
relève du locataire? Je ne le pense pas, du moins
dans un cas comme celui-ci, où le bail n'imposait
pas expressément au locataire l'obligation d'enle-
ver la neige sur la toiture, où l'enlèvement de cette
neige était rendu nécessaire par la fragilité parti-
culière du bâtiment loué et où, enfin, le proprié-
taire était en mesure, aussi bien et peut-être mieux
que son locataire, de vérifier s'il ne s'était pas
accumulé trop de neige sur le toit 6 . Dans ces
circonstances, la Couronne, à mon sens, conservait,
du moins à l'égard des tiers, le devoir de veiller à
ce que la présence de la neige sur le toit de son
bâtiment ne soit pas une source de danger.
Il est vrai que, comme l'ont souligné les experts
de la Couronne, les ouvriers qui travaillaient dans
le hangar ont pu l'endommager et, ce faisant,
contribuer à son effondrement. Mais cela ne
change rien à la responsabilité de la Couronne à
l'égard des demanderesses puisque la preuve révèle
que de pareils dommages étaient prévisibles. Cela
étant, la Couronne ne pouvait, à mon avis, se
désintéresser de son bâtiment et prendre pour
acquis que son locataire verrait et lui signalerait
tous les dommages qui pourraient mettre en péril
la sécurité de l'édifice.
Pour tous ces motifs, je suis d'opinion que le
premier juge a eu raison de tenir la Couronne
responsable des dommages subis par les demande-
resses.
Vu cette conclusion, il est nécessaire de répondre
aux deux questions subsidiaires que soulève cet
appel de la Couronne: celle qui concerne les inté-
rêts et celle qui concerne les frais. Je veux cepen-
dant, à ce stade-ci, me limiter à la question des
intérêts. Il sera plus facile de discuter le problème
des frais après avoir décidé les autres appels aux-
quels la décision de la Division de première ins
tance a donné lieu.
B/ Les intérêts.
Le jugement attaqué a condamné la Couronne à
payer, sur l'indemnité due aux demanderesses, des
intérêts calculés au taux de 8 % l'an depuis le jour
du sinistre, le 23 février 1971. Sa Majesté conteste
le pouvoir du premier juge de prononcer pareille
condamnation.
La Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10] contient deux dispositions sur
l'intérêt: l'article 35 qui ne s'applique qu'à la
Couronne et l'article 40 qui s'applique à la Cou-
ronne aussi bien qu'aux autres justiciables. Voici le
texte de ces deux dispositions:
6 Je pense ici au fait que le Conseil disposait d'employés
affectés spécialement à l'entretien des hangars du port de
Montréal, employés qui continuaient, malgré le bail du hangar
38, à avoir accès à ce bâtiment.
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne,
la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime
être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat
stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en
pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
L'article 35 se rapporte, on s'en rend compte, à
l'intérêt sur le montant dû par la Couronne avant
que le jugement ne soit prononcé. L'article 40, lui,
parle de l'intérêt sur le montant du jugement,
après que le jugement a été prononcé; on ne peut
imaginer, en effet, qu'un jugement porte intérêt
avant d'avoir été rendu.
Suivant l'article 40, la Cour a le pouvoir d'or-
donner qu'un jugement porte ou ne porte pas
intérêt et, dans le premier cas, de fixer le taux de
cet intérêt et le moment après le jugement à
compter duquel il commencera à courir. Le pre
mier juge avait donc le pouvoir de condamner la
Couronne à payer l'intérêt au taux de 8 % depuis
la date du jugement liquidant le montant des
dommages-intérêts. Avait-il, cependant, le pouvoir
d'ordonner que cet intérêt commencerait à courir à
la date où le dommage s'était produit plutôt qu'à
la date du jugement?
L'intérêt qui peut être dû pour une période
antérieure au jugement, c'est, de toute évidence,
l'intérêt sur la dette qui préexistait au jugement et
dont celui-ci a reconnu l'existence. Suivant l'article
35 de la Loi sur la Cour fédérale, la Couronne ne
peut être condamnée à payer d'intérêt de cette
sorte que si un contrat ou une loi l'y oblige. En
l'espèce, en l'absence de contrat, il y a une loi
applicable, la Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne, qui prévoit que, dans un cas comme celui-ci,
la Couronne est responsable comme «si elle était
un particulier». Or, si la Couronne était un parti-
culier, sa responsabilité envers les demanderesses
serait régie exclusivement par le Code civil de la
province de Québec et, en particulier, par l'article
1056c 7 ; suivant cet article, elle pourrait être con
' Voir Sa Majesté La Reine c. Nord-Deutsche Versiche-
rungs-Gesellschaft, et autres, [1971] R.C.S. 849, plus particu-
lièrement aux pp. 864 et 880 et s.
damnée à payer l'intérêt sur le montant des dom-
mages depuis le jour du début des procédures à un
taux pouvant aller jusqu'à 8 %. Le premier juge ne
pouvait donc condamner la Couronne à payer l'in-
térêt au taux de 8 % depuis le jour du sinistre; il
pouvait seulement la condamner à payer cet inté-
rêt depuis le jour de l'institution de l'action, le 20
octobre 1972. Sa décision doit donc être corrigée.
J'ajoute qu'on ne peut invoquer, au soutien de la
décision attaquée, la jurisprudence suivant laquelle
la Cour peut, dans les affaires maritimes, condam-
ner la partie responsable à indemniser la victime
avec intérêt depuis le jour du dommage. Il ne s'agit
pas ici d'une affaire maritime. La responsabilité de
Sa Majesté envers les demanderesses est régie
entièrement par la Loi sur la responsabilité de la
Couronne et, dans la mesure où cette Loi y ren-
voie, par le droit civil du Québec.
J'en viens maintenant au second appel auquel a
donné lieu la décision de la Division de première
instance: celui qui a rejeté le recours en garantie
exercé par la Couronne contre ITO.
II—L'appel de la Couronne du jugement rejetant
son recours en garantie contre ITO 8 .
Le premier juge a rejeté le recours en garantie
que la Couronne avait exercé contre ITO en la
façon prévue aux Règles 1726 et suivantes. Cette
décision est bien fondée puisqu'il résulte des arrêts
de la Cour suprême du Canada dans McNamara
Construction (Western) Limited et autre c. Sa
Majesté La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Sa
Majesté La Reine c. Thomas Fuller Construction
Co. (1958) Limited, [1980] 1 R.C.S. 695, que la
Division de premiére instance n'avait pas compé-
tence pour connaître de ce recours en garantie qui
constituait une instance différente de l'action prin-
cipale et était régi exclusivement par le droit civil
québécois.
Cet appel devrait donc être rejeté.
III—L'appel des demanderesses du jugement reje-
tant leur action contre les défenderesses
autres que la Couronne.
8 Je rappelle que lorsque je réfère à ITO, je veux parler
indifféremment de March et/ou d'ITO; en fait, le recours en
garantie exercé par la Couronne était dirigé à la fois contre
March et ITO.
Le premier juge a trouvé que la Couronne était
seule responsable des dommages subis par les
demanderesses. Il a donc rejeté leur action dans la
mesure où elle était dirigée contre le transporteur
Arctic Steamship Line et contre ITO. Les deman-
deresses veulent faire réformer cette partie du
jugement attaqué; elles prétendent que la Division
de première instance aurait dû faire droit à leur
action non seulement contre la Couronne mais
aussi contre les autres défenderesses. Voyons
d'abord si le premier juge aurait dû retenir la
responsabilité d'Arctic; nous parlerons ensuite de
la responsabilité d'ITO.
A/ La responsabilité d'Arctic.
C'est en qualité de transporteur qu'Arctic
Steamship Line était poursuivie par les demande-
resses. L'action exercée contre cette société était
donc fondée sur le contrat de transport dont les
termes apparaissaient aux divers connaissements
émis par le transporteur. Il s'agissait donc d'une
action régie par le droit maritime canadien qui
était de la compétence de la Division de première
instance.
Le premier juge a cependant eu raison de sta-
tuer comme il l'a fait à l'égard d'Arctic. La res-
ponsabilité de cette défenderesse était, en l'espèce,
exclue par les termes du contrat de transport.
Chacun des connaissements contenait, en effet, les
clauses suivantes:
[TRADUCTION] 2. Négligence. Le transporteur n'est respon-
sable d'aucun dommage, avarie, retard, retenue, perte ou autre
préjudice provenant de
... la neige, la gelée, la glace, l'influence climatique, l'oxyda-
tion ou résultant de ces causes, ou de dommages survenus à
terre ...
même si ce dommage ... résulte de ou est aggravé par les actes,
la négligence, les erreurs de jugement ou les omissions des
pilotes, capitaines, mécaniciens, membres de l'équipage, arri-
meurs ou représentants ... ou d'autres personnes dont les
fautes engageraient la responsabilité civile du transporteur,
cette clause mise à part ...
4. Limitation de responsabilité ...
La responsabilité du transporteur prend fin dans tous les cas
lorsque les marchandises faisant l'objet du présent connaisse-
ment sont enlevées du pont.
5. Chargement et déchargement ...
Il est loisible au transporteur ou à ses représentants de
débarquer sur allèges ou de décharger les marchandises sur le
quai, sur l'appontement, sur allèges, en vrac, dans un entrepôt
temporaire ou dans une cambuse, aux risques et frais des
destinataires ou consignataires des marchandises ...
6. Pointage. Il incombe au destinataire d'effectuer le poin-
tage des marchandises au cours du déchargement; à défaut de
ce faire, le destinataire est réputé avoir tacitement reconnu
l'exactitude des quantités figurant au connaissement et, indé-
pendamment du moment où il prend possession des marchandi-
ses par la suite, a, de ce fait, perdu son droit d'action contre le
navire; ce dernier, après semblable livraison sur le quai, n'est
plus responsable des marchandises, que ce soit relativement à
leur qualité ou à leur quantité.
À mon avis, ces clauses, dont il est peut-être
difficile de préciser la portée exacte, ont certaine-
ment pour effet d'exclure la responsabilité du
transporteur dans un cas comme celui-ci, où le
dommage est survenu sans sa faute après que les
marchandises ont été déchargées et alors qu'elles
se trouvaient sous la garde du manutentionnaire à
qui il les avait confiées.
B/ La responsabilité d'ITO.
Le premier juge a également rejeté l'action
contre ITO qui avait la garde des marchandises au
moment du sinistre et qui, suivant la Couronne,
serait au moins partiellement responsable de leur
perte. Cette action soulevait des questions difficiles
et, au premier chef, un problème de compétence
juridictionnelle.
Le recours exercé contre ITO était-il de la com-
pétence de la Division de première instance? Les
demanderesses l'affirment et invoquent le paragra-
phe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale (qui
définit la juridiction «maritime» de la Cour) ainsi
que la décision que nous avons rendue dans l'af-
faire La Compagnie Robert Simpson Montréal
Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Norddeuts-
cher, et autres, [1973] C.F. 1356 [C.A.]. Cepen-
dant, cette décision n'a pas, depuis les arrêts de la
Cour suprême du Canada dans les affaires Quebec
North Shore Paper Company et autre c. Canadien
Pacifique Limitée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054
et McNamara Construction (Western) Limited et
autre c. Sa Majesté La Reine, [1977] 2 R.C.S.
654, l'autorité que lui prêtent les demanderesses.
Depuis ces arrêts de la Cour suprême, il est clair
que, contrairement à ce que l'on avait jugé dans
l'affaire La Compagnie Robert Simpson Montréal
Limitée, il ne suffit pas, pour qu'une action soit de
la compétence de la Division de première instance
en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale, qu'elle soulève des questions sur lesquel-
les le Parlement fédéral a le pouvoir de légiférer en
vertu de son pouvoir législatif en matière de «navi-
gation et marine marchande». Pour être de la
compétence de la Cour en vertu de l'article 22, une
affaire doit être régie soit par des lois fédérales
existantes, soit par le droit maritime canadien.
L'action des demanderesses n'est fondée sur
aucune loi fédérale. Elle ne peut donc être du
ressort de la Cour fédérale que si elle est fondée
sur le droit maritime canadien, au sens que l'arti-
cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale 9 donne à cette
expression. S'il s'agissait ici d'une affaire qui soit
mentionnée au paragraphe 22(2) de la Loi sur la
Cour fédérale, on devrait, suivant l'arrêt de la
Cour suprême dans Antares Shipping Corporation
c. Le navire «Capricorn», et autres 10 , dire qu'elle
est régie par ce droit maritime canadien. Mais
comme il ne s'agit pas ici d'une affaire dont le
paragraphe 22(2) fasse mention, l'arrêt de la Cour
suprême dans l'affaire Antares n'est pas applica
ble. La Division de première instance n'avait donc
compétence en l'espèce que s'il s'agissait d'une
affaire «maritime» ou «d'amirauté».
Dans la mesure où il a un fondement délictuel,
le recours des demanderesses contre ITO ne me
paraît pas ressortir de la compétence de la Division
de première instance. La faute délictuelle que les
demanderesses reprochent à ITO n'a rien de mari
time; l'affaire doit, en conséquence, être jugée en
appliquant le droit civil québécois. Le seul fait que
les marchandises endommagées aient été l'objet
d'un transport maritime et que le hangar 38 ait été
situé dans le port de Montréal ne suffit pas, à mon
avis, à donner un caractère maritime à cette
affaire qui me semble être une action purement
civile régie par le droit provincial.
La déclaration des demanderesses, cependant,
invoque non seulement la responsabilité délictuelle
9 Cette partie de l'article 2 se lit comme suit:
2. Dans la présente loi
«droit maritime canadien» dési,ne le droit dont l'application
relevait de la Cour de l'Echiquier du Canada, en sa
juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté
ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette
Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence
illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu
des modifications apportées à ce droit par la présente loi
ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
10 [1980] 1 R.C.S. 553.
d'ITO, mais aussi sa responsabilité contractuelle.
Il n'en résulte pas, cependant, que l'action des
demanderesses soit de la compétence de la Division
de première instance. En effet, le contrat qu'invo-
quent les demanderesses contre ITO est celui par
lequel ITO a assumé la garde des marchandises
après leur déchargement. Ce contrat, qu'ITO a
conclu avec le transporteur des marchandises, n'est
pas, à mon avis, un contrat maritime; c'est un
contrat par lequel ITO s'engage à fournir des
services purement terrestres. Même si les deman-
deresses pouvaient se prévaloir de ce contrat
auquel elles n'ont pas été parties, leur action n'en
deviendrait donc pas, pour cela, de la compétence
de la Cour.
Je suis donc d'avis que l'action des demanderes-
ses, qu'on l'envisage comme une action délictuelle
ou contractuelle, n'était pas de la compétence de la
Cour. À cause de cela, je crois que le premier juge
devait la rejeter.
Il reste donc seulement maintenant une seule
question à résoudre, celle des frais.
IV—Les frais.
Jugeant que les demanderesses avaient agi rai-
sonnablement en poursuivant toutes les défende-
resses et que les défenderesses autres que la Cou-
ronne avaient aussi agi raisonnablement en
exerçant les recours en garantie, le premier juge
s'est inspiré de précédents bien connus en Angle-
terre (Sanderson v. Blyth Theatre Company,
[1903] 2 K.B. 533 [C.A.] et Bullock v. The
London General Omnibus Company and others,
[1907] 1 K.B. 264 [C.A.]) et a condamné la
Couronne à payer les frais taxables de toutes les
parties au litige. La Couronne attaque cette partie
du jugement. Elle reconnaît, bien sûr, que le juge
du procès a une très large discrétion en matière de
frais, mais elle lui reproche de l'avoir mal exercée
en condamnant la Couronne à payer un montant
de frais exorbitant qui excéderait, paraît-il, le
montant réclamé par les demanderesses.
Les griefs de la Couronne me semblent partielle-
ment fondés. Le premier juge, à mon avis, n'a pas
pris en considération que les demanderesses
auraient pu facilement s'assurer avant de poursui-
vre que le dommage s'était produit dans des cir-
constances telles que la responsabilité d'Arctic ne
pouvait pas être engagée. Si le premier juge avait
tenu compte de cela, il n'aurait pas condamné la
Couronne à payer les frais d'Arctic; c'est plutôt les
demanderesses qu'il aurait condamnées à les
payer.
Le premier juge n'a pas pris en considération,
non plus, que l'action intentée contre March et
ITO ainsi que le recours en garantie exercé par la
Couronne contre ces deux mêmes sociétés ne res-
sortaient pas de la compétence de la Cour.
Si le premier juge avait tenu compte de toutes
les circonstances de l'affaire, il n'aurait pas pu
condamner la Couronne à payer tous les frais.
L'ordonnance la plus défavorable à la Couronne
qu'il aurait pu rendre aurait été de la condamner à
payer les frais des demanderesses et la moitié des
frais de March et ITO, laissant aux demanderesses
le soin de payer les frais d'Arctic et l'autre moitié
des frais de March et ITO.
Pour tous ces motifs, je déciderais les trois
appels qui nous ont été soumis de la façon
suivante:
(1) je ferais droit à l'appel de Sa Majesté por-
tant le n° A-245-77 (celui qui est dirigé contre le
jugement qui condamne la Couronne) et je modi-
fierais le jugement de première instance en ce qui
a trait aux intérêts sur le montant de l'indemnité et
aux frais seulement; quant aux intérêts, je dirais
qu'ils ne doivent commencer à courir qu'à compter
du 20 octobre 1972 et quant aux frais en première
instance, je dirais que la Couronne devrait payer
les frais des demanderesses et la moitié de ceux de
March et ITO et que les demanderesses devraient
payer les frais d'Arctic et l'autre moitié des frais
de March et ITO; statuant sur les frais de l'appel,
prenant en considération qu'Arctic n'y avait vrai-
ment pas d'intérêt et, aussi, que la Couronne n'a
réussi que sur des points relativement mineurs qui
n'affectent pas March et ITO, je n'accorderais
aucuns frais à Arctic et je déclarerais que la
Couronne devrait payer les 4 / 5 e des frais d'appel
des demanderesses et tous les frais d'appel de
March et ITO;
(2) je rejetterais avec dépens l'appel de Sa
Majesté contre le jugement rejetant son recours en
garantie contre ITO et March (appel n°
A-246-77);
(3) je rejetterais l'appel des demanderesses por-
tant le n° A-247-77 contre cette partie du juge-
ment qui a rejeté leur action contre March, ITO et
Arctic; je ne prononcerais aucune ordonnance
quant aux frais de cet appel entre les demanderes-
ses et March et ITO puisqu'il s'agit là, en vérité,
d'un appel incident; je condamnerais, cependant,
les demanderesses à payer les frais d'Arctic.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à la conclusion et
aux motifs du juge Pratte quant à la responsabilité
de Sa Majesté. L'hypothèse la plus vraisemblable
est que l'effondrement du hangar 38, qui a
entraîné les dommages subis par les propriétaires
des marchandises, résulte d'une accumulation par-
ticulièrement lourde de neige sur le toit d'un bâti-
ment qui n'avait pas la solidité nécessaire pour la
supporter. Quoi qu'il en soit, Sa Majesté avait une
obligation, à titre de propriétaire, de faire enlever
la neige si, comme c'est le cas en l'espèce, il y avait
des motifs de conclure que celle-ci constituait un
danger. À mon sens, rien dans le permis d'occupa-
tion, dans les usages quant à l'enlèvement de la
neige qui existaient alors ou dans les opérations
permanentes de Sa Majesté à l'égard du bâtiment
ne relevait celle-ci de son obligation. Bien au con-
traire, Sa Majesté a continué d'être responsable à
l'égard de l'entretien et des réparations du hangar
d'entreposage et elle enlevait la neige du toit de
l'édifice à bureaux avoisinant quand ses occupants
le demandaient. Elle connaissait la nature et la
conception du hangar et, plus spécifiquement, sa
force ou solidité relative. Elle connaissait, ou était
à même de connaître, parce qu'elle a toujours eu
accès au hangar, dans quelle mesure la structure
de celui-ci avait pu être affaiblie par les actes de
ceux qui y travaillaient. Elle connaissait les effets
de l'accumulation de neige sur le toit de l'édifice à
bureaux avoisinant. Dans ces circonstances, c'est
une faute de la part de Sa Majesté de n'avoir pas
fait enlever la neige du toit du hangar 38.
Je souscris aussi aux conclusions et aux motifs
du juge Pratte quant aux questions d'intérêt et de
dépens, quant à la mise en cause de March Ship
ping Limited (*March») et d'ITO-International
Operators Ltd. («ITO») et quant à la réclamation
des demanderesses contre Arctic Steamship Line
((Arctic»).
La réclamation des demanderesses propriétaires
des marchandises contre March et ITO soulève
une question assez importante à propos de la com-
pétence en matière maritime de la Cour en vertu
de l'article 22 Loi sur la Cour fédérale. Cette
question a une portée sur l'utilité et l'exercice
pratique de cette compétence à l'égard des récla-
mations à propos de marchandises. Ce n'est pas
sans hésitation que j'en suis venu à la conclusion
que la Cour n'avait pas compétence quant à cette
réclamation.
La réclamation est dirigée contre l'agence mari
time March à titre de titulaire du permis d'occupa-
tion du hangar d'entreposage 38 délivré par le
Conseil des ports nationaux et contre le manuten-
tionnaire ITO, qui occupait le hangar en vertu
d'une entente avec March et effectuait les opéra-
tions de manutention en vertu d'un contrat inter-
venu entre elle et les armateurs. Même si la société
March est intervenue dans la livraison des mar-
chandises, son mandat des propriétaires ne la char-
geait pas de la garde matérielle et de la livraison
des marchandises après leur déchargement. Elle
envoyait aux consignataires un avis les notifiant de
l'arrivée du navire et leur indiquant que les mar-
chandises seraient au hangar 38, qu'il faudrait les
dédouaner sans retard et que sur paiement du fret
(s'il n'était déjà payé) et des autres frais le con-
naissement serait échangé contre un ordre de
livraison. La réclamation contre March n'est pas
fondée sur la façon dont celle-ci s'est acquittée de
ces opérations. Elle se fonde essentiellement sur la
responsabilité qu'elle aurait comme occupante ou
locataire nominale du hangar 38. Je ne m'arrêterai
pas à la question de compétence en rapport avec
March, car si la Cour n'a pas compétence à l'égard
de la réclamation contre ITO il y a encore moins
de motifs de conclure qu'elle est compétente à
l'égard de March.
En vertu du contrat intervenu entre elle et les
armateurs, ITO s'est engagée à exécuter de la
manutention pour les armateurs dans le port de
Montréal. Elle devait assurer l'amarrage des navi-
res et garder de l'espace d'entreposage à l'extérieur
ou dans les hangars. Elle recevait les cargaisons
destinées à l'exportation pour chargement et s'en-
gageait à faire la garde matérielle et la livraison
des marchandises après leur déchargement. Le
débardage occasionné par le chargement et le
déchargement des navires était fait par une société
de manutention (en l'occurrence Eastern Canada
Stevedoring) en vertu d'un contrat distinct avec les
armateurs. ITO a joué un certain rôle dans le
chargement et le déchargement, sans toutefois
manipuler physiquement la marchandise. Lors du
chargement, elle préparait le plan d'arrimage et
déterminait où arrimer la cargaison. Au décharge-
ment, elle postait à chaque écoutille un contrôleur
qui indiquait aux débardeurs où placer la cargai-
son dans le hangar. Ce sont les employés de la
société de manutention qui transportaient la car-
gaison au hangar. ITO faisait la livraison aux
propriétaires de la cargaison ou aux sociétés de
transport chargées par les propriétaires de recueil-
lir la marchandise pour eux, sur présentation de
l'ordre de livraison délivré par March en échange
du connaissement. A la réception de marchandises
pour exportation, ITO délivrait, au nom d'Arctic,
des récépissés provisoires non négociables, sujets
aux mêmes conditions que le connaissement d'Arc-
tic et échangés contre ce dernier à l'expédition.
Pour les services de manutention rendus en vertu
du contrat de transit, ITO recevait une indemnité
des armateurs selon un tarif contenu au contrat.
Les seuls frais perçus directement des consignatai-
res pour les opérations de transit étaient ceux du
transport des marchandises par ITO aux camions
envoyés pour en prendre livraison.
Le connaissement d'Arctic ne mentionne pas
expressément les opérations de transit. Il stipule
que la responsabilité du transporteur à l'égard de
la cargaison cesse au moment où celle-ci quitte le
pont du navire. Il se peut qu'il y ait mention
implicite des opérations de transit dans certaines
dispositions du connaissement: l'obligation
d'échanger le connaissement contre la marchan-
dise ou un ordre de livraison; le droit du transpor-
teur «de débarquer sur allèges ou de décharger les
marchandises sur le quai, sur l'appontement, sur
allèges, en vrac, dans un entrepôt temporaire ou
dans une cambuse»; la mention dans la «clause
Himalaya» des entrepreneurs indépendants enga-
gés à l'occasion par le transporteur. De toute
façon, il est permis, à mon sens, de conclure,
d'après la preuve soumise quant aux usages et
pratiques en vigueur dans le port, qu'une des clau
ses implicites du contrat de transport était de
remettre la cargaison à la garde d'un agent de
transit qui la livrerait aux propriétaires.
Que la réclamation contre ITO découle d'un
délit ou d'un quasi-délit ou qu'elle se fonde aussi
sur un contrat, il est manifeste qu'elle n'appartient
à aucun des domaines de compétence précisés au
paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
Les deux seuls alinéas qu'il y a lieu de signaler
sont les alinéas h) et i):
22. (2) ...
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandises
transportées à bord d'un navire, et notamment, sans restrein-
dre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l'avarie
des bagages ou effets personnels des passagers;
i) toute demande née d'une convention relative au transport
de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au
louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
L'alinéa h) parle d'une réclamation en raison du
dommage causé à la cargaison pendant que celle-ci
est transportée à bord d'un navire et non en raison
du dommage subi après le déchargement du
navire. Quant à l'alinéa i), la réclamation contre
ITO ne se fonde et ne peut se fonder sur un contrat
de transport. ITO n'a pas été partie à ce contrat.
Aucune des relations contractuelles entre les arma-
teurs et ITO ne constitue «une convention relative
au transport de marchandises à bord d'un navire»
au sens qu'a cette expression dans l'alinéa.
Faute de trouver une source de compétence dans
le paragraphe 22(2), il faudrait justifier la compé-
tence de la Cour d'après la disposition générale du
paragraphe 22(1) laquelle s'ajoute la définition
que donne du «droit maritime canadien» l'article 2.
Ces dispositions sont ainsi rédigées:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du
Canada en matière de navigation ou de marine marchande,
sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait
l'objet d'une attribution spéciale.
2....
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application
relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic-
tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de
quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait
eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en
matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica
tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute
autre loi du Parlement du Canada;
Il résulte de ces dispositions—notamment des
mots «si cette Cour avait eu, en sa juridiction
d'amirauté, compétence illimitée en matière mari
time et d'amirauté»—et de l'article 42, qui main-
tient le fond du droit maritime canadien tel qu'il y
est ainsi défini, que malgré l'énumération des
sujets au paragraphe 22(2), lequel déclare expres-
sément ne pas restreindre la portée générale du
paragraphe 22(1) mais en préciser le sens, la Cour
a compétence à l'égard de toute autre réclamation
qui peut, à bon droit, être considérée comme une
affaire maritime, pourvu, bien sûr, que ce soit une
affaire qui ressortisse à la compétence législative
fédérale sur «la navigation et les bâtiments ou
navires». À mon humble avis, rien de ce qu'a dit la
Cour suprême du Canada dans les affaires
Tropwood" et Antares 12 ne nous empêche de sou-
tenir ce point de vue quant à la compétence de la
Cour. Dans ces affaires, il n'a pas été jugé néces-
saire de se prononcer sur la portée des mots «si.
cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté,
compétence illimitée en matière maritime et
d'amirauté» qui se trouvent dans la définition de
l'expression «droit maritime canadien».
Bien que ces termes permettent, à mon sens, de
reconnaître de nouveaux types de contrats mariti-
mes comme soumis à la compétence de la Cour, ils
ne peuvent être interprétés sans tenir compte de ce
qui a été, dans le passé, considéré de nature mari
time lorsque la compétence en amirauté était exer-
cée dans toute son ampleur. Comparer les affaires
MacMillan Bloedel Limited v. Canadian Steve-
doring Co. Ltd., et al., [1969] 2 R.C.É. 375 et La
Reine c. Canadian Vickers Limited, [1978] 2 C.F.
675 [lie inst.] aux pages 687 et 688.
J'en viens maintenant à la question de détermi-
ner s'il existe un fondement contractuel à la récla-
mation des demanderesses propriétaires de la car-
gaison contre ITO qui puisse être considéré de
nature maritime. L'avocat des demanderesses a
caractérisé les rapports juridiques qui ont pris
naissance quand ITO a reçu la garde des marchan-
dises de sous-dépôt. Il ne s'ensuit pas nécessaire-
ment qu'il y a eu contrat puisqu'il peut y avoir
sous-dépôt sans contrat: Gilchrist Watt & Sander
" Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Company
et autre, [1979] 2 R.C.S. 157.
12 Antares Shipping Corporation c. Le navire «Capricorn», et
autres, [1980] 1 R.C.S. 553.
son Pty Ltd y York Products Pty Ltd, [1970] 3 All
E.R. 825 [P.C.]. De plus, le dépôt de common law
est inconnu en droit québécois où, en l'absence de
lien contractuel, la responsabilité civile de celui qui
accepte la garde du bien d'autrui est régie par le
droit des délits et quasi-délits.
L'avocat a aussi signalé, à l'appui de la thèse
selon laquelle il y aurait un lien contractuel, l'opi-
nion que le juge Marceau a exprimée quant au
rapport juridique entre le propriétaire de la cargai-
son et le manutentionnaire dans l'affaire Marubeni
America Corporation, et autres c. Mitsui D.S.K.
Lines Ltd. et autre, [1979] 2 C.F. 283 [1" inst.].
Si je comprends bien, il y aurait eu un lien de droit
contractuel entre le propriétaire de la cargaison et
le manutentionnaire fondé soit sur le fait que
l'armateur avait conclu le contrat avec le manuten-
tionnaire à titre d'agent ou de mandataire du
propriétaire de la cargaison, soit sur le fait que le
contrat contenait une stipulation pour autrui en
faveur du propriétaire de la cargaison. En tenant
pour acquis que, en l'espèce, le contrat intervenu
entre les armateurs et le manutentionnaire est régi
par le droit québécois, puisque c'est avec ce dernier
qu'il a les liens les plus étroits et les plus solides, je
ne partage malheureusement pas l'opinion de mon
collègue sur les effets d'un tel contrat. Pour con-
clure à l'existence d'un lien de droit contractuel
dans l'affaire Marubeni, le juge Marceau semble
s'être fondé sur l'idée que le connaissement com-
portait le mandat tacite pour l'armateur de con-
tracter au nom de l'expéditeur ou propriétaire des
marchandises pour la manutention et qu'un tel
contrat est effectivement intervenu après la déli-
vrance du connaissement. Ce n'est certes pas le cas
en l'espèce. Le contrat quant aux opérations de
manutention est intervenu en décembre 1970 alors
que les connaissements ont été délivrés pendant la
dernière semaine de janvier 1971. De plus, le
contrat de manutention est un contrat général,
sans rapport avec des contrats de transport spécifi-
ques, en vertu duquel le manutentionnaire s'oblige
à rendre aux armateurs des services de manuten-
tion de façon permanente à l'égard de leurs navi-
res. Il a été passé par les armateurs pour leur
propre compte, mais non comme représentants ou
mandataires d'aucun propriétaire de cargaison en
particulier. Il est impossible qu'on ait envisagé que
les propriétaires de cargaison payeraient les frais
de manutention au manutentionnaire. Pour les
mêmes motifs, je ne crois pas que le contrat de
manutention puisse être considéré comme compor-
tant une stipulation pour autrui en faveur des
propriétaires de la cargaison. Il ne révèle aucune
intention de créer des liens contractuels en faveur
de tiers déterminés ou déterminables. Il se limite
plutôt, à mon avis, à des obligations contractées
par le manutentionnaire envers des armateurs et
au bénéfice de ces derniers. Je me suis demandé
s'il était possible d'affirmer qu'au moment de la
remise des marchandises au manutentionnaire, le
transporteur ou son agent avait conclu un contrat
avec le manutentionnaire pour le compte de
chacun des propriétaires de la cargaison, mais j'en
suis arrivé à la conclusion que ce ne l'était pas. Il
ne me parait pas y avoir d'autre contrat de la part
des armateurs ou pour eux quant aux opérations
de manutention. Le manutentionnaire accepte la
garde des marchandises en vertu d'un contrat
général intervenu entre lui et les armateurs. En
conséquence, je suis d'avis qu'il n'y a pas de lien de
droit contractuel entre le propriétaire de la cargai-
son et le manutentionnaire, ce qui m'évite d'avoir à
me prononcer sur la question, controversée en droit
québécois, de savoir s'il s'agit d'un contrat de
dépôt ou d'un contrat de louage, compte tenu du
fait qu'il n'est pas gratuit. Voir Commissaires du
Havre de Québec c. Swift Canadian Company
(1929), 47 B.R. 118 (Qc) et Franco Canadian
Dyers Ltd. c. Hill Express Depot Ltd., [1951]
C.S. 177 (Qc). Je souligne que la conclusion selon
laquelle il n'y a pas de lien de droit contractuel
entre le propriétaire de la cargaison et le manuten-
tionnaire est celle à laquelle sont arrivées et la
Cour supérieure et la Cour d'appel du Québec
dans l'affaire Robert Simpson Montreal Ltd. v.
Canadian Overseas Shipping Ltd.; Brown & Ryan
Ltd.; Fjell-Oranje Lines and Fjell Line and
Oranje Lijn (Maatschappij Zeetransport N.V)
(The (fPrins Willem III»), [1968] 2 Lloyd's L.R.
192 [C.S.] [1973] 2 Lloyd's L.R. 124 [C.A.].
Ayant ainsi conclu, il n'est pas nécessaire d'ex-
primer d'avis sur la question de savoir si, dans
l'hypothèse où le propriétaire de la cargaison
aurait été partie au contrat intervenu entre les
armateurs et le manutentionnaire, ce contrat
aurait pu être considéré comme un contrat mari
time soumis à la compétence législative fédérale
sur la navigation et les bâtiments ou navires. Cette
question est rendue encore plus difficile par le fait
qu'en l'espèce le manutentionnaire ne s'occupait
pas des opérations de débardage nécessaires au
chargement et au déchargement, à la différence
des opérations de manutention considérées en cette
Cour dans l'affaire La Compagnie Robert Simp-
son Montréal Limitée c. Hamburg-Amerika Linie
Norddeutscher, et autres, [1973] C.F. 1356
[C.A.]. Dans cette affaire, il s'agissait de détermi-
ner si la Cour était compétente à l'égard de procé-
dures à tierce partie intentées par les armateurs
contre le manutentionnaire pour inexécution du
contrat de manutention. Arctic a intenté en l'es-
pèce des procédures semblables contre ITO. Je
considère la question de compétence soulevée par
de telles procédures différente de celle que soulève
l'action intentée par le propriétaire de la cargaison
contre le manutentionnaire.
Il reste à déterminer si la réclamation des pro-
priétaires de la cargaison contre le manutention-
naire, caractérisée comme une réclamation en res-
ponsabilité strictement délictuelle pour le
dommage causé ou occasionné à la cargaison à
terre, peut être considérée comme une affaire
maritime. Historiquement, il y a une distinction
fondamentale, quant aux critères de compétence
maritime dans sa plus grande étendue, entre les
délits maritimes et les contrats maritimes. Le juge
Story a défini cette distinction dans l'affaire De
Lovio v. Boit et al., 7 Fed. Cas. 418 [Mass. Cir.
Ct. 1815], la page 444, en disant que la compé-
tence quant aux délits maritimes [TRADUCTION]
«est de par nécessité limitée au territoire», alors
que la compétence à l'égard des contrats maritimes
s'étend [TRADUCTION] «à tous les contrats (peu
importe où ils ont été faits ou signés et quelle que
soit la forme de leurs stipulations) qui se rappor-
tent à la navigation, au commerce ou aux affaires
de la mer». Le délit maritime est celui qui a été
commis sur mer et non sur terre, tandis que le
contrat qui, de par son objet est maritime, peut
rester un contrat maritime même s'il doit être
exécuté à terre. A son apogée, en Angleterre, la
compétence de la Cour d'amirauté à l'égard des
délits ne s'étendait qu'aux délits survenus en haute
mer, dans les eaux britanniques et dans les ports
situés dans le flux et le reflux de la marée. Voir De
Lovio v. Boit et MacMillan Bloedel précitées. Aux
États-Unis, la condition déterminante de compé-
tence est que le délit ait été commis en haute mer
ou dans les eaux navigables. L'alinéa 22(3)c) de la
Loi sur la Cour fédérale définit les eaux auxquel-
les la compétence de la Cour s'étend. Il serait
contraire à toute la tradition en matière de compé-
tence en amirauté sur les délits maritimes de con-
clure qu'un délit commis à terre est une affaire
maritime. Aux États-Unis, la difficulté pratique
qui découle du fait de conclure à l'absence de
compétence en amirauté des tribunaux fédéraux à
l'égard de la réclamation du propriétaire de la
cargaison contre le manutentionnaire peut parfois
être contournée par la présomption de compétence
accessoire. Voir Leather's Best, Inc. v. S.S. Mor-
maclynx et al., 451 F.2d 800 (1971) [2d Cir.].
Malheureusement, il en va autrement en cette
Cour: Pacific Western Airlines Ltd. et autre c. La
Reine, et autres, [1980] 1 C.F. 86 (C.A.), confir-
mant [1979] 2 C.F. 476 (1" inst.); Sa Majesté La
Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958)
Limited, [1980] 1 R.C.S. 695.
Par ces motifs, je souscris à la conclusion du
juge Pratte quant à la décision à rendre sur les
présents appels.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: J'ai pris con-
naissance des motifs du jugement de M. le juge
Pratte qui exposent parfaitement les nombreuses
facettes du litige et me donnent beaucoup
d'avantage.
Je m'accorde avec mon collègue qu'en principe
le troisième alinéa de l'article 1055 du Code civil
ne peut être appliqué à la Couronne fédérale. En
effet, d'après cette disposition, la Couronne pour-
rait être obligée d'indemniser pour un dommage
indépendamment de sa responsabilité suivant les
règles ordinaires du droit civil. Cela dépasserait ce
que prévoit la Loi sur la responsabilité de la
Couronne.
Quant à la responsabilité pour ce sinistre, je vais
au-delà de ce que décide M. le juge Pratte et,
comme le premier juge, je suis d'opinion que la
Couronne est la seule défenderesse responsable du
sinistre. A mon avis, il n'y a pas de preuve convain-
cante que l'usage que le locataire a fait du hangar
ait contribué à son effondrement. De plus, je crois
qu'il ressort du dossier que les préposés d'ITO
n'ont pas commis de faute en ne prévoyant pas ce
qui est arrivé.
D'après moi, il n'y a pas lieu de se demander si
la responsabilité du fait de la chose, et la présomp-
tion qui en découle pour l'occupant, doivent jouer
un rôle dans la solution du litige, car je constate
avec le premier juge que la seule cause du dom-
mage fut une accumulation trop grande de neige et
de glace sur le toit de ce hangar et que l'appelante
est seule responsable de ce qui s'ensuivit.
La Couronne ayant été trouvée seule responsa-
ble, son recours en garantie contre ITO ne pouvait
qu'être rejeté par le juge Decary. Depuis son juge-
ment, la Cour suprême du Canada a décidé l'af-
faire Fuller à laquelle se réfère M. le juge Pratte,
et il y a ce motif additionnel pour le rejet de
l'action en garantie de la Couronne.
Dans l'appel des demanderesses (A-247-77) du
jugement rejetant leur action contre les défende-
resses autres que la Couronne, je m'accorde avec
mon collègue quant à l'absence de responsabilité
de la part d'Arctic. Quant à ITO, j'ai dit pourquoi
sa responsabilité ne pouvait être retenue. Cette
conclusion me dispense d'avoir à me prononcer sur
le problème de compétence juridictionnelle.
Je dirai cependant que dans la mesure où la
demande a un fondement délictuel, je partage
l'opinion de M. le juge Pratte qu'elle n'est pas faite
en vertu du «droit maritime canadien». Par contre,
je n'exprime pas d'opinion sur la question de savoir
si le contrat intervenu entre Arctic et ITO, portant
sur la garde des marchandises pendant qu'elles
sont en transit après leur déchargement dans le
port de Montréal, est, pour son application, de la
compétence de la Cour fédérale. Je préfère ne pas
juger sur ce point qu'il n'est pas nécessaire de
décider en l'occurrence.
Je suis d'accord avec mon collègue sur la ques
tion des intérêts et sur celle des frais en première
instance. Je souscris aux conclusions de son juge-
ment et disposerais des trois appels comme il le
fait.
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