T-1102-84
Murray Gaw (requérant)
c.
D. R. Yeomans, commissaire aux services correc-
tionnels (intimé)
Division de première instance, juge Muldoon -
Vancouver, 28 mai; Ottawa, 15 août 1984.
Pénitenciers - Commission d'enquête créée en vertu de
l'art. 12 de la Loi sur les pénitenciers pour enquêter, entre
autres, sur des infractions criminelles qu'aurait commises le
directeur d'un Bureau des libérations conditionnelles -
Mandat similaire à celui des cours de juridiction criminelle -
Le requérant est privé des garanties procédurales auxquelles
ont droit les personnes inculpées devant des tribunaux - Le
mandat outrepasse les pouvoirs du Parlement et de l'intimé,
étant donné le partage des pouvoirs prévu dans la Constitution
- Le mandat contrevient aux art. 7, 11a),b),c) et d) de la
Charte puisque le requérant a droit à la protection de la
Charte parce qu'il est un «inculpé» au sens de l'art. 11 - Loi
sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 12 - Loi sur
les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, art. 7, 10, 12 - Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 111, 142 (abrogé et
remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 8), 149(1) (mod.
par S.C. 1972, chap. 13, art. 70; abrogé par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 125, art. 8), 355(1), 357, 422a) - Loi constitu-
tionnelle dei1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° I), art. 91(27), 92(14), 101 - Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11a),b),c),d),g), 24(1).
Compétence - Commission d'enquête créée en vertu de
l'art. 12 de la Loi sur les pénitenciers pour enquêter, entre
autres, sur des infractions criminelles qu'aurait commises le
directeur d'un Bureau des libérations conditionnelles - Les
cours de juridiction criminelle sont la juridiction compétente
pour décider des graves accusations d'infractions criminelles
- Ni le Parlement, ni l'intimé n'est investi par la Constitution
du pouvoir de créer de telles cours et il n'est pas moins
inacceptable, du point de vue constitutionnel, d'essayer de le
faire parce que c'est un exercice futile ou incomplet - Loi sur
les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 12 - Loi sur les
enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, art. 7, 10, 12 - Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 111, 142 (abrogé et
remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 8), 149(1) (mod.
par S.C. 1972, chap. 13, art. 70; abrogé par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 125, art. 8), 355(1), 357, 422a) - Loi constitu-
tionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 91(27), 92(14), 101 - Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R-U.), art. 7, 11a),b),c),d),g), 24(1).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Enquête d'une
commission d'enquête sur des infractions criminelles qu'aurait
commises le requérant — Le requérant est un «inculpé., au
sens de l'art. 11 de la Charte — Les droits du requérant qui
sont protégés par les art. 7, 11a),b),c) et d) de la Charte ont été
violés — Partage des pouvoirs — Ni le Parlement, ni une
juridiction subalterne n'a le pouvoir de créer des cours de
juridiction criminelle — Ce pouvoir ressort exclusivement aux
provinces — La commission d'enquête prévue par la Loi sur
les pénitenciers n'est pas une cour de juridiction criminelle,
mais y ressemble étroitement tant par sa procédure que par le
but qu'elle vise — Essayer de créer une cour de juridiction
criminelle est constitutionnellement inacceptable même si cet
exercice est futile ou incomplet — Loi sur les pénitenciers,
S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 12 — Loi sur les enquêtes, S.R.C.
1970, chap. 1-13, art. 7, 10, 12 — Code criminel, S.R.C. 1970,
chap. C-34, art. 111, 142 (abrogé et remplacé par S.C. 1974-
75-76, chap. 93, art. 8), 149(1) (mod. par S.C. 1972, chap. 13,
art. 70; abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 125, art. 8),
355(1), 357, 422a) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 51 (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(27),
92(14), 101 — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 11 a),b),c),d),g), 24(1).
À la suite d'accusations tant d'inconduite professionnelle ou
administrative que d'infractions criminelles, l'intimé a créé une
commission conformément à l'article 12 de la Loi sur les
pénitenciers pour enquêter sur la conduite du requérant au
moment où il était directeur du Bureau des libérations condi-
tionnelles du district de Victoria. Le requérant attaque cette
enquête par une demande de bref de certiorari et de bref de
prohibition.
Jugement: la demande est accueillie de la façon suivante: Les
décisions de l'intimé prises en vertu de l'article 12 et qui visent
à accorder à une commission le mandat d'enquêter sur des
accusations d'actes criminels susceptibles de faire l'objet de
poursuites devant une cour de juridiction criminelle sont ultra
vires: elles sont par conséquent évoquées devant la présente
Cour et annulées de même que le mandat qu'elles ont engendré,
et il est interdit à la commission d'enquêter ou de faire rapport
sur ces accusations.
L'intimé n'a pas outrepassé les pouvoirs qui lui sont délégués
en constituant ce tribunal afin d'enquêter et de faire rapport
sur les allégations d'inconduite professionnelle ou administra
tive. Il a, toutefois, outrepassé ses pouvoirs en chargeant la
commission d'enquêter sur des infractions qui sont classées
comme des actes criminels ou qui sont susceptibles de l'être et
pour décider si le requérant est innocent ou coupable de ces
actes. Puisqu'il n'y a pas de prescription pour intenter des
poursuites relatives à ce genre d'infraction, le requérant risque
d'être poursuivi sans pouvoir bénéficier d'une protection procé-
durale qu'il ne peut plus invoquer à l'heure actuelle. De plus,
les actes criminels ressortent aux cours de juridiction criminelle
que ni le Parlement, ni l'intimé n'a le pouvoir de créer d'après
la Constitution. La commission ressemble étroitement à une
telle cour, sauf qu'elle n'est pas tenue de respecter les règles de
preuve, les garanties applicables aux affaires criminelles. Du
point de vue constitutionnel, il n'est pas moins inacceptable
d'essayer de créer une cour de juridiction criminelle parce que
la tentative est inefficace ou incomplète. Les personnes ont le
droit d'être à l'abri de procédures sans force exécutoire et
inconstitutionnelles, tenues in camera, sur l'ordre d'un fonction-
naire de l'État qui outrepasse ses pouvoirs.
Le requérant est un «inculpé» au sens de l'article 11 de la
Charte et tout élément qui pourrait laisser croire qu'on peut
déroger à la Charte en ayant recours à un organisme extra
judiciaire ne saurait être sanctionné. La juridiction compétente
pour statuer sur des accusations graves se trouve au sein du
système de justice pénale. Dans les circonstances de l'espèce, il
y a atteinte aux droits du requérant garantis par l'article 7
(selon l'interprétation qui en est donnée dans l'arrêt R. L. Crain
Inc. et al. v. Couture et al.) et par les alinéas 1 la),b),c) et d) de
la Charte et le requérant sera privé de ces droits si la commis
sion commençait à exercer son mandat relativement aux infrac
tions criminelles. Les circonstances justifient d'invoquer le
paragraphe 24(1) de la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. L. Crain Inc. et al. v. Couture et al. (1983), 10 C.C.C.
(3d) 119; 30 Sask. R. 191; [1984] W.C.D. 042 (B.R.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Regina v. Boron (1983), 43 O.R. (2d) 623 (H.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Di brio et autre c. Gardien de la prison de Montréal, et
autres, [1978] 1 R.C.S. 152; 35 C.R.N.S. 57.
DÉCISION CITÉE:
Gaw c. Reed, ordonnance en date du 31 mai 1984,
Division de première instance de la Cour fédérale,
T-1124-84, encore inédite.
AVOCATS:
J. R. McMillan pour le requérant.
W. B. Scarth, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Campbell, Donegani & Wood, Victoria, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Des deux requêtes enten-
dues à Vancouver le 28 mai 1984, celle-ci est la
première que le requérant a déposée, mais la
deuxième à être tranchée. Les motifs et l'ordon-
nance dans le dossier n° T-1124-84 ont été déposés
le 31 mai 1984 [Gaw c. Reed, Division de première
instance de la Cour fédérale, encore inédite]. Le
requérant se présente comme le directeur de dis-
trict du Bureau des libérations conditionnelles de
Victoria (Colombie-Britannique). Il demande un
bref de certiorari et un bref de prohibition relati-
vement au litige exposé ci-dessous.
Par convocation et mandat délivrés sous son
seing le 3 avril 1984, l'intimé a créé une commis
sion d'enquête formée de deux membres conformé-
ment à l'article 12 de la Loi sur les pénitenciers,
S.R.C. 1970, chap. P-6.
L'article 12 de la Loi sur les pénitenciers est
rédigé comme suit:
ENQUÊTES
12. Le commissaire peut à l'occasion désigner une personne
pour qu'elle fasse enquête et rapport sur toute question concer-
nant le fonctionnement du Service et, à cette fin, la personne
ainsi désignée possède tous les pouvoirs d'un commissaire
nommé en vertu de la Partie II de la Loi sur les enquêtes.
L'article 10 de cette loi s'applique, mutatis mutandis, à l'égard
des enquêtes faites sous l'autorité du présent article.
Il faut remarquer que cette disposition de la loi
vise principalement à obtenir qu'une personne
«fasse enquête et rapport sur toute question con-
cernant le fonctionnement du Service» [c'est moi
qui souligne] . Le Parlement n'a pas défini parci-
monieusement la portée de ce pouvoir de la per-
sonne désignée par l'intimé, pouvoir qui, en outre,
est renforcé en y incorporant «tous les pouvoirs
d'un commissaire nommé en vertu de la Partie II
de la Loi sur les enquêtes». L'article 10 de cette
dernière Loi [S.R.C. 1970, chap. I-131 accorde
certains pouvoirs à une commission d'enquête pour
assurer le respect de ses procédures. Il prévoit que
toute personne qui fait défaut d'obéir à une assi
gnation, qui refuse de produire des documents, de
prêter serment ou de faire une affirmation, ou de
répondre (sous serment ou affirmation) à une
question pertinente que lui pose un commissaire ou
une autre personne encourt, sur déclaration som-
maire de culpabilité, une amende d'au plus quatre
cents dollars.
La convocation et le mandat délivrés par l'in-
timé sont d'une importance capitale pour détermi-
ner s'il y a lieu d'accueillir ou de rejeter la requête
du requérant. Soulignons que la convocation et le
mandat s'apparentent à une citation à procès que
décerne un juge d'une cour provinciale à un accusé
en vertu du Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34], en ce que le deuxième paragraphe du
préambule mentionne «une enquête préliminaire».
L'affidavit de John A. LeCours, qui se présente
comme responsable des enquêtes spéciales au
Bureau de l'inspecteur général, Service correction-
nel du Canada, a été déposé pour le compte de
l'intimé. La pièce B de cet affidavit est une copie
de la lettre que l'intimé adressait aux procureurs
du requérant le 19 octobre 1983 et dans laquelle il
expliquait la nature et l'objet de cette «enquête
préliminaire» comme suit:
[TRADUCTION] J'ai parfaitement compris que les accusations
portées contre M. Gaw sont graves, et, par conséquent, j'ai
prévu dans ce mandat la tenue d'une enquête préliminaire.
L'objet de cette enquête préliminaire est de me permettre de
délimiter clairement la nature et la portée des vagues alléga-
tions faites par les plaignants et de savoir sur quoi elles
reposent. En fait, j'aurais pu ordonner la tenue d'une enquête
administrative totalement étrangère à l'article 12 de la Loi sur
les pénitenciers, et j'aurais pu envisager ensuite la tenue d'une
enquête officielle en vertu de la Loi sur les pénitenciers.
Cependant, étant donné que les documents des institutions
fédérales sont assujettis à la Loi sur l'accès à l'information, j'ai
voulu m'assurer, pour sauvegarder leur caractère confidentiel,
que les renseignements réunis au cours de l'enquête prélimi-
naire ne puissent pas être divulgués en vertu de cette Loi. Le
fait d'agir en vertu d'une loi du Parlement permet d'invoquer
l'article 16 de la Loi sur l'accès à l'information pour refuser de
communiquer des renseignements recueillis au cours d'une
enquête préliminaire ou d'une enquête officielle, ce qui n'est
pas nécessairement le cas autrement. Ceci étant dit, permettez-
moi de vous expliquer la procédure qui sera suivie.
À l'heure actuelle, la commission tient une enquête prélimi-
naire. Cette enquête vise uniquement à signaler si certaines des
accusations d'inconduite reprochées à M. Gaw semblent fon-
dées et demandent la tenue d'une enquête plus approfondie. Le
rapport intérimaire ne porte pas et ne portera pas atteinte aux
droits de votre client, et aucune plainte formelle n'a été déposée
contre lui, mais j'ai appris que la commission l'avait interrogé
la semaine dernière. Le rapport intérimaire n'énoncera pas de
conclusions ni de recommandations sur la validité de l'accusa-
tion d'inconduite portée contre lui. Par ailleurs, il me semble
que l'article 12 de la Loi sur les pénitenciers n'interdit pas de
tenir une procédure en deux étapes comme celle à laquelle nous
avons recours; il n'interdit pas non plus de faire un ou plusieurs
rapports sur les divers aspects d'un sujet, si on l'estime
nécessaire.
... Par conséquent, si la commission recommande de tenir une
enquête plus approfondie, je créerai un autre organisme indé-
pendant du Service correctionnel du Canada et la présente
commission sera dissoute.
L'intimé a indiqué que cette première commis
sion chargée de l'enquête préliminaire, dont M.
LeCours était membre, avait interrogé le requé-
rant, mais ce dernier n'a pas eu le droit d'assister,
d'être représenté ni de participer aux délibérations
de cette commission. En fait, en réponse à une
demande précise formulée par les avocats du
requérant (pièce C de l'affidavit de M. LeCours)
l'intimé a refusé de fournir les détails des accusa
tions portées contre le requérant (pièce D de l'affi-
davit de M. LeCours) pour le motif que [TRADUC-
TION] «les accusations d'inconduite qui ne feront
pas l'objet d'une enquête plus poussée» ne seront
pas divulguées parce que [TRADUCTION] «elles ne
sont pas pertinentes ni fondées et qu'il ne servirait
à rien de les révéler». Comme l'intimé le mention-
nait dans sa lettre du 19 octobre 1983, on a créé
une nouvelle commission avec un nouveau mandat.
Cette commission a été formée le 3 avril 1984.
Voici comment l'intimé terminait sa lettre du 19
octobre 1984 (pièce B de l'affidavit de M.
LeCours):
[TRADUCTION] Sur la question de la perpétration d'infractions
criminelles, vous devez vous rappeler que la commission est un
organisme d'enquête nommé pour faire rapport sur toute ques
tion concernant le fonctionnement du Service correctionnel.
Cette enquête n'est pas un procès. Par conséquent, la commis
sion est un organisme administratif qui dicte sa propre procé-
dure et qui n'est pas lié par les règles de la preuve applicables
aux affaires criminelles.
La convocation et le mandat du 3 avril 1984,
également pris en vertu de l'article 12 de la Loi sur
les pénitenciers, désignent George Walter Reed
comme président et Jean W. Simmons comme
membre d'une commission d'enquête chargée d'en-
quêter sur la conduite du requérant pendant qu'il
était directeur du Bureau des libérations condition-
nelles du district de Victoria. Dans une lettre
adressée aux avocats du requérant en date du 2
février 1984 (la pièce B de l'affidavit du requérant
en est une copie), l'intimé a fourni les explications
suivantes:
[TRADUCTION] Dans ma lettre du 19 octobre 1983, je vous ai
dit qu'une nouvelle commission serait créée et qu'une personne
qui n'a pas de liens avec le Service correctionnel du Canada
serait nommée pour présider les audiences. C'était notre désir
commun que cette enquête soit conduite par un tribunal qui soit
indépendant et impartial et qui soit perçu comme tel. C'est
maintenant chose faite. M. George Reed, un ancien sous-com-
missaire de la Gendarmerie royale du Canada maintenant à la
retraite, a été désigné pour présider cette commission composée
d'une seule personne [sic]. M. Reed est diplômé en droit; il
siège actuellement à la commission des libérations conditionnel-
les de la C.-B. à titre de représentant du public. Le nouveau
mandat de la commission est en cours de rédaction et nous vous
le transmettrons sous peu.
Le ministre de la Justice a désigné M. Keith Ward comme
procureur de la commission et l'a chargé de présenter la preuve
et d'interroger les témoins. M. George Carruthers du Bureau de
la région du Pacifique de Justice Canada a été nommé conseil-
ler juridique de la commission.
Le texte intégral de la convocation et du mandat
du 3 avril 1984 est joint à l'affidavit du requérant
sous la pièce A. La plus grande partie en est
également reproduite dans les motifs que la Cour a
prononcés dans l'affaire Gaw c. Reed (T-1124-84)
mentionnée ci-dessus. Pour ne citer que ce qui est
pertinent, je n'en reproduis ici que les quelques
extraits suivants:
[TRADUCTION] ATTENDU qu'une enquête préliminaire close le
6 février 1984 a conclu à l'existence de motifs suffisants pour
justifier la tenue d'audiences formelles portant sur certaines
accusations relatives à la conduite du directeur du Bureau des
libérations conditionnelles du district de Victoria, M. Murray
Gaw; et,
ATTENDU qu'il est souhaitable de tenir une enquête sur tous les
faits relatifs à ces accusations, de même que sur les actes de M.
Gaw qui auraient pu nuire au fonctionnement, à la saine
gestion et à la réputation du Service correctionnel du Canada et
des services qui existaient auparavant;
A CES CAUSES, le soussigné, commissaire aux services correc-
tionnels, désigne, par les présentes, M. George Walter Reed
comme président et Mme Jean W. Simmons comme membre
d'une commission d'enquête créée en vertu de l'article 12 de la
Loi sur les pénitenciers.
J'ORDONNE EN OUTRE que la commission enquête sur la
conduite de Murray Gaw pendant qu'il occupait le poste de
directeur du Bureau des libérations conditionnelles du district
de Victoria, dans la mesure où cette conduite peut avoir nui au
fonctionnement, à la saine gestion et à la réputation du Service
correctionnel du Canada et des services qui existaient aupara-
vant; notamment, j'ordonne à la commission d'enquêter sur:
a) tous les faits relatifs aux accusations suivantes portées
contre Murray Gaw alors qu'il était directeur du Bureau des
libérations conditionnelles du district de Victoria, à Victoria
(Colombie-Britannique), savoir:
(Suivent ici huit accusations principales d'inconduite, dont la
première et la huitième comprennent des accusations subsi-
diaires. Dans l'intérêt tant du requérant que des plaignants
dans cette affaire, seules les accusations pertinentes à la
plainte du requérant, en omettant les noms, sont reproduites
intégralement ou sont mentionnées de manière incomplète.)
1. Qu'entre le mois de février 1978 et le mois d'octobre 1981
inclusivement, à Victoria (Colombie-Britannique), Murray
GAW a
(i) .. .
(ii) ... et
(iii) ... [une accusation possible d'avoir commis l'infrac-
tion de voies de fait simples qui existait auparavant,
une infraction punissable sur déclaration sommaire de
culpabilité, qui est maintenant prescrite en vertu des
dispositions du paragraphe 721(2) du Code criminel].
2. Qu'entre le mois de décembre 1977 et le mois de juin 1980
inclusivement, à Victoria (Colombie-Britannique), Murray
GAW a ... [autre accusation d'avoir commis l'infraction
de voies de fait simples qui existait auparavant, également
prescrite en vertu du paragraphe 721(2) du Code
criminel].
3. Qu'entre le mois de juin 1976 et le mois de mars 1978
inclusivement, à Victoria (Colombie-Britannique), Murray
GAW a conseillé à ... [le nom d'une personne], un
employé du Bureau des libérations conditionnelles de Vic-
toria, de frauder le gouvernement dans sa demande de
remboursement des frais de voyage et dans son compte de
dépenses, à savoir: lui a suggéré d'inclure dans sa demande
de remboursement des frais fictifs; a modifié en consé-
quence le compte de dépenses de ... [cette personne] en y
incluant des frais de déplacements fictifs en taxi à l'occa-
sion de la troisième conférence canadienne sur la crimino-
logie appliquée tenue en mars 1978.
4. Qu'entre le mois de décembre 1970 et le mois de décembre
1975 inclusivement, à Victoria (Colombie-Britannique),
Murray GAW a conseillé à ... [les noms de trois person-
nes], tous des employés du Bureau des libérations condi-
tionnelles de Victoria, de frauder le gouvernement dans
leurs demandes de remboursement d'heures supplémentai-
res et de frais de voyage, à savoir: leur a suggéré d'inclure
des réclamations fictives en vue de se faire rembourser les
frais des fêtes de Noël organisées par le Bureau du district
de Victoria.
5. Qu'au cours du mois de juillet 1976, à Victoria (Colombie-
Britannique), Murray Gaw a procédé à des dotations en
personnel illicites en ...
6. Qu'entre le 1°" novembre 1980 et le 17 mai 1981 inclusive-
ment, à Victoria (Colombie-Britannique), Murray GAW a
procédé à des dotations en personnel illicites en ...
7. Qu'entre le 1" janvier 1975 et le 1" janvier 1980 inclusive-
ment, à Victoria (Colombie-Britannique), Murray GAW a
procédé à des dotations en personnel illicites en ...
8. QUE Murray GAW s'est conduit d'une manière incompati
ble avec son titre d'employé du Service correctionnel du
Canada et sa qualité de membre de la haute direction de la
région du Pacifique du Service correctionnel du Canada en
ce que:
(i) le 13 janvier 1984 ou vers cette date, à Victoria
(Colombie-Britannique), il a ...
(ii) entre le 30 décembre 1981 et le 14 octobre 1983
inclusivement, à Victoria (Colombie-Britannique), il a
(iii) entre le 18 janvier 1983 et le 28 février 1983 inclusi-
vement, à Victoria (Colombie-Britannique), il a ...
(iv) au cours du mois de décembre 1976, à Victoria
(Colombie-Britannique), lors d'une fête de Noël à
Workpoint Barracks, il a ... [on mentionne ici une
accusation possible de l'infraction de voies de fait
simples qui existait auparavant et qui est maintenant
prescrite en vertu du paragraphe 721(2) du Code
criminel].
(y) au cours du mois de décembre 1977, au Devonshire
Hotel, à Vancouver (Colombie-Britannique), lors
d'une réunion mondaine des fonctionnaires de la
direction du Service régional des libérations condi-
tionnelles, il a ... [on indique ici une autre accusation
possible de l'infraction de voies de fait simples qui
existait auparavant].
(vi) le 21 juillet 1982 ou vers cette date, à Victoria
(Colombie-Britannique), il a ...
Les allégations d'inconduite, ou les «accusations»
comme l'intimé les a correctement qualifiées dans
sa lettre du 19 octobre 1983, font peser contre le
requérant des accusations tant d'inconduite profes-
sionnelle ou administrative que d'infractions crimi-
nelles. Il est probable qu'on puisse se prévaloir des
dispositions de l'article 12 de la Loi sur les péni-
tenciers en ce qui concerne les accusations d'incon-
duite professionnelle ou administrative, qui sont
distinctes des accusations d'infractions criminelles,
parce qu'elles peuvent être comprises dans l'ex-
pression «toute question concernant le fonctionne-
ment du Service». Le requérant lui-même fait une
distinction dans l'affidavit qu'il a déposé. En ce qui
concerne les accusations d'inconduite profession-
nelle ou administrative, le requérant affirme au
paragraphe 6 de son affidavit:
[TRADUCTION] 6. À l'exception de l'accusation mentionnée au
paragraphe 8(iii), aucun des actes d'inconduite dont on m'ac-
cuse expressément dans la convocation et le mandat n'a donné
lieu à des procédures de grief ni n'a été autrement porté à mon
attention avant la délivrance de la convocation et du mandat.
En outre, au meilleur de ma connaissance, aucune de ces
accusations n'a fait l'objet d'une plainte présentée à quiconque
avant la délivrance de la convocation et du mandat.
Le requérant n'indique pas dans son affidavit
qu'il a été [TRADUCTION] «interrogé par la com
mission» que l'intimé avait créée pour l'enquête
préliminaire et, puisqu'il ne semble pas que le
requérant ait été contre-interrogé sur son affidavit,
le fait qu'il nie avoir eu connaissance de ces accu
sations avant la délivrance de la dernière convoca
tion du 3 avril 1984 doit être tenu pour avéré au
moins en ce qui concerne les détails de ces accusa
tions. La première convocation du 14 septembre
1983 n'a pas été produite, mais les avocats du
requérant, dans la lettre qu'ils adressaient à l'in-
timé le 7 octobre 1983 (pièce A de l'affidavit de
M. LeCours), ont indiqué que le requérant avait
reçu une copie de cette première convocation. Tou-
tefois, en ce qui concerne l'accusation énoncée au
paragraphe a)8(iii) de la convocation, et les autres
accusations d'inconduite professionnelle ou admi-
nistrative, même si on prétend que certaines ont
été commises plusieurs années avant le 3 avril
1984 et même si le requérant affirme sous serment
qu'elles n'ont jamais donné lieu à des procédures
de grief, il est vraisemblable que l'intimé n'a pas
outrepassé les pouvoirs qui lui sont délégués en
constituant ce tribunal afin d'enquêter et de faire
rapport sur ces questions.
En est-il autrement en ce qui concerne les allé-
gations qui sont des accusations portant qu'il a
commis des infractions criminelles? La réponse
courte et simple à cette question est certainement
«oui», et ce, pour diverses raisons.
Il faut, encore ici, faire une distinction entre les
différentes sortes d'infractions criminelles. S'il
s'agit bien en l'espèce d'accusations de voies de fait
simples punissables sur déclaration sommaire de
culpabilité, elles sont alors prescrites en vertu de la
loi et le requérant n'est plus en danger d'être
poursuivi après tout ce temps. Cependant, s'il
s'agit plutôt des voies de fait qui peuvent entraîner
des accusations d'actes criminels en vertu du para-
graphe 149(1) du Code criminel [mod. par S.C.
1972, chap. 13, art. 70; abrogé par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 125, art. 8] tel qu'il existait durant les
années soixante-dix jusqu'à récemment, alors le
requérant s'expose à subir une enquête extra
judiciaire et il risque même de ne plus pouvoir
invoquer la protection qu'accordait l'ancien article
142, puisque cette disposition a été abrogée [abro-
gée et remplacée par S.C. 1974-75-76, chap. 93,
art. 8]. Il n'y a pas de prescription pour intenter
des poursuites relatives à des actes criminels en
général, et il n'y avait pas de prescription dans le
cas du paragraphe 149(1). Il semble plutôt impro
bable que le requérant puisse devoir faire face à de
telles accusations devant une cour de juridiction
criminelle après tant de temps, même si l'alinéa
11g) de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ne l'empêche pas.
En raison de cette possibilité, même si le requérant
pouvait invoquer avec succès l'article 7 et l'alinéa
11b) ou d'autres dispositions de la Charte, on peut
fortement douter que la commission soit justifiée
d'enquêter et de se prononcer sur ces accusations
dans le but de faire rapport à l'intimé. En l'espèce,
la Cour est d'avis qu'on ne doit pas les inclure dans
la convocation et le mandat. La commission d'en-
quête n'est manifestement pas une cour de juridic-
tion criminelle, et l'intimé n'a aucun pouvoir pour
la constituer comme telle. Lorsqu'il a créé la com
mission dans le but d'entendre des témoins, de
faire enquête et de trancher la question de l'inno-
cence ou de la culpabilité du requérant relative-
ment aux allégations a)1(iii), a)2 (en ce qui con-
cerne les attouchements), a)8(iv) (en ce qui
concerne les prétendues voies de fait) et a)8(v)
(également en ce qui concerne les prétendues voies
de fait), l'intimé a outrepassé le pouvoir que lui
accorde la loi.
Ces conclusions s'appliquent à plus forte raison
aux allégations a)3 et a)4 qui sont sans le moindre
doute des accusations d'actes criminels. Que ces
accusations décrivent ou non le fait de conseiller de
commettre les crimes prévus à l'article 111, au
paragraphe 355(1) ou à l'article 357 du Code
criminel n'enlève rien au caractère criminel de ces
présumées infractions. Le présent alinéa 422a) du
Code entre en jeu ici. L'intimé outrepasse ses
pouvoirs en constituant un tribunal aux fins d'en-
tendre des témoignages, de faire une enquête et un
rapport relativement à l'innocence du requérant ou
relativement à ces accusations.
Selon l'avocat de l'intimé en l'espèce, qui a
également représenté les intimés dans Gaw c. Reed
(T-1124-84), la commission d'enquête a bien l'in-
tention de se conformer à son mandat et s'y tien-
dra à moins qu'une ordonnance de cette Cour ne le
lui interdise. La radiation des allégations mention-
nées ci-dessus dans le mandat aura pour effet
d'interdire à la commission d'enquêter sur ces
questions.
Cette conclusion se fonde sur la constitution—
tant sur le partage des pouvoirs que sur les disposi
tions de la Charte. Ces deux aspects constitution-
nels de la question s'appliquent à l'heure actuelle
aux actes chue pose l'intimé, qui est un fonction-
naire de l'Etat et qui est censé exercer le pouvoir
que l'État lui a délégué par une loi du Parlement.
Ces deux aspects sont intimement liés dans le
présent examen.
Le partage des pouvoirs interdit au Parlement
ou à toute juridiction subalterne prétendant agir
en vertu d'une loi du Parlement de créer ou de
constituer une cour de juridiction criminelle.
Exception faite d'un cas d'urgence où l'on invoque-
rait l'article 101 de la Loi constitutionnelle de
1867*, dans des circonstances pratiquement ini-
maginables, le pouvoir de créer des cours de juri-
diction criminelle appartient, en règle générale,
exclusivement aux provinces. (On ne tient pas
compte ici de l'existence, par exemple, du Tribunal
d'appel des cours martiales.) Dans ce domaine, la
Constitution prévoit non seulement une, mais deux
dispositions impératives liées qu'on retrouve aux
articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de
1867:
91. [Pouvoirs du Parlement] .. .
27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de
juridiction criminelle, mais y compris la procédure en
matière criminelle. [C'est moi qui souligne.]
92. [Pouvoirs des législatures provinciales] ...
14. L'administration de la justice dans la province, y compris
la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de
justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle,
y compris la procédure en matières civiles dans ces tribu-
naux; [C'est moi qui souligne.]
Il est donc évident que le pouvoir de l'intimé de
créer une commission d'enquête lui a été délégué
par le Parlement mais ne découle pas de l'article
101, et il ne découle certainement pas de la catégo-
rie 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867. En
réalité, son pouvoir ne va surtout pas jusqu'à lui
permettre de constituer ou de créer une cour de
justice.
Tout cela est très clair, et l'intimé le reconnaît,
comme il l'a fait dans la conclusion de sa lettre du
19 octobre 1983 (pièce B de l'affidavit de M.
LeCours) déjà citée. Les plaidoiries de l'avocat de
l'intimé sont au même effet. Même si l'intimé a
donné à ces enquêtes une allure de procédures
criminelles relatives à des actes criminels, avec des
accusations qui sont rédigées comme les chefs d'un
acte d'accusation, avec une enquête préliminaire,
un procureur pour administrer la preuve et un
renvoi pour déterminer si le requérant a commis
ces prétendues infractions (Sinon, pourquoi sont-
elles formulées avec tant de précision?), néan-
moins la commission d'enquête n'est pas une cour
de juridiction criminelle. Elle ressemble beaucoup
* 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1).
à une cour criminelle, tant par sa procédure que
par le but qu'elle vise, sauf qu'elle n'est pas tenue
de suivre les règles de preuve, les garanties appli-
cables aux affaires criminelles. Cependant, cette
commission d'enquête n'est pas comme celle dont
il est question dans l'arrêt Di brio et autre c.
Gardien de la prison de Montréal, et autres,
[1978] 1 R.C.S. 152; 35 C.R.N.S. 57, puisqu'il ne
s'agit ni d'une enquête provinciale, ni d'une
enquête sur le crime organisé. Elle ne ressemble
pas non plus au coroner qui enquête sur les cir-
constances entourant une mort subite. Elle a été
convoquée pour enquêter, entre autres, sur les
prétendus actes criminels commis uniquement par
le requérant.
Du point de vue constitutionnel, il n'est pas
moins inacceptable d'essayer de créer une cour de
juridiction criminelle parce que la tentative est
inefficace ou incomplète. C'est absolument inac-
ceptable précisément parce que le tribunal, comme
l'apprenti sorcier, prétendrait manipuler une puis-
sante potion, composée de l'accusation d'une
infraction précise et des formules de procédure,
qui, si elle est activée ne peut jamais être adminis-
trée d'une manière décisive, conformément à la
Constitution, si ce n'est par une cour de juridiction
criminelle. L'intimé a, à tort, confié à cette com
mission d'enquête le mandat de déterminer si la
personne a commis les actes criminels dont elle est
accusée. Relativement aux actes criminels dont on
accuse le requérant, la commission ne peut rendre
un véritable jugement parce que, en droit, sa déci-
sion ne pourrait jamais équivaloir à une condam-
nation ou à un acquittement. Les dépositions des
témoins, non assujetties aux règles de la preuve,
seront-elles exprimées avec autant de soin qu'au
cours d'un procès régulier? Après tout, comme
l'intimé l'affirme lui-même, il s'agit simplement
d'un tribunal administratif. Si la déposition est
transcrite, pourrait-elle être présentée en preuve
contre le requérant si ce dernier était traduit en
justice? C'est une réelle possibilité. Les personnes
ont le droit d'être à l'abri de procédures sans force
exécutoire et inconstitutionnelles, tenues in
camera, sur l'ordre d'un fonctionnaire de l'État qui
outrepasse ses pouvoirs. Notre Constitution prévoit
dans les cas d'accusations d'actes criminels un
système valide de justice criminelle avec des procès
publics et une décision qui fait autorité et il appar-
tient aux procureurs de la Couronne de décider s'il
y a lieu d'intenter des poursuites. L'intimé n'a ni le
droit ni le devoir de mener une enquête criminelle
de ce genre en ordonnant, en vertu de l'article 12
de la Loi sur les pénitenciers, à une commission de
se conduire comme si elle était une cour de juridic-
tion criminelle.
Les dispositions de la Charte sont compatibles
avec les normes constitutionnelles en ce qu'elles
accordent à tout inculpé, comme le requérant, les
droits prévus à l'article 11, et, notamment, ceux
11... .
a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise
qu'on lui reproche;
b) d'être jugé dans un délai raisonnable; [et]
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupa-
ble, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et
impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
L'interprétation donnée dans la décision Regina
v. Boron (1983), 43 O.R. (2d) 623 (H.C.) au mot
«inculpé» de l'article 11 de la Charte est trop
restrictive puisqu'elle laisse à des tribunaux admi-
nistratifs la possibilité de trancher des accusations
d'infractions criminelles sans que l'accusé soit
placé dans la situation d'«inculpé» telle que définie
et protégée par la Constitution. L'article 11 a plus
d'effet que cela. Il n'exige pas non plus d'affirmer
en conclusion [TRADUCTION] «que les fonctionnai-
res du gouvernement se sont délibérément abstenus
de porter une accusation de manière à empêcher
volontairement un accusé de présenter plus tard
une défense pleine et entière» (O.R. à la page 630).
Il n'est pas nécessaire de condamner aussi carré-
ment les fonctionnaires du gouvernement simple-
ment pour déterminer que, dans de telles circons-
tances un inculpé a été accusé,
inconstitutionnellement il faut le dire, mais néan-
moins clairement accusé d'une infraction, même si
c'est devant une juridiction incompétente. En l'es-
pèce, la situation du requérant peut être examinée
objectivement sans porter un jugement péjoratif
sur les intentions ou les motifs de l'intimé.
L'intimé a créé cette deuxième commission d'en-
quête conformément à l'article 12 de la Loi sur les
pénitenciers, qui incorpore la Partie II de la Loi
sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. 1-13, et cette
incorporation de pouvoirs fait également entrer en
jeu la Partie III de cette dernière Loi. Dans la
Partie II, l'article 7 investit la commission du
pouvoir d'«assigner toute personne devant ...
[elle] et [de] la contraindre à rendre témoignage
sous serment, oralement ou par écrit, ou sur affir
mation solennelle ...». L'article 8 donne à la
commission le pouvoir de délivrer un bref d'assi-
gnation pour enjoindre à toute personne «de dépo-
ser de tout ce qui est à sa connaissance concernant
les faits qui font le sujet de l'enquête ...». Ce
serait tourner en dérision les dispositions solennel-
lement enchâssées dans la Charte que de décider
que, parce que cette commission n'est qu'une
faible imitation extra judiciaire d'une cour de juri-
diction criminelle, le requérant n'a pas le droit
d'invoquer l'alinéa 11c) de la Charte. Une décision
en ce sens équivaudrait à une incitation flagrante à
passer outre aux droits de la personne et au rôle
constitutionnel véritable des cours de juridiction
criminelle dans notre système de justice pénale.
Ces dérogations à la Constitution ne sauraient être
sanctionnées.
Évidemment, il se peut fort bien que ces com-
missaires ne chercheraient pas à contraindre le
requérant à témoigner de toute façon. Il pourrait
bien leur être indifférent de savoir s'il comparaî-
trait en personne ou par un avocat. Ils pourraient
bien se contenter d'invoquer l'article 13 de la Loi
sur les enquêtes et lui donner un avis s'ils con-
cluaient par la suite que l'«accusation de mauvaise
conduite» (pour utiliser les termes de la Loi) portée
contre lui a été établie. C'est ainsi qu'il faudrait
envisager la question si, au cours d'une enquête
légitime, la commission trouvait par hasard une
preuve qui semble indiquer qu'une personne s'est
rendue en quelque sorte coupable d'une mauvaise
conduite. C'est le sens et l'explication de l'exis-
tence de l'article 13.
En l'espèce, toutefois, si on lui permet d'accom-
plir son mandat, la commission ouvrira l'audition
avec une enquête sur des accusations précises d'ac-
tes criminels portées contre le requérant. On ne
peut concevoir que ces commissaires et cet accusé
puissent jamais être indifférents à leur situation et
à leur statut respectifs au cours de ces procédures.
Si l'on permet à cette commission de poursuivre
cette parodie de procès criminel sans force exécu-
toire, peu importe que ces commissaires soient
justes, bien intentionnés ou impartiaux, qu'arri-
vera-t-il avec la prochaine enquête de ce genre et
celles qui suivront? Le mandat de cette commis
sion est un non-sens constitutionnel.
La juridiction compétente pour décider si le
requérant est innocent des graves accusations por-
tées contre lui se trouve au sein du système de
justice pénale. Si les représentants juridiques de la
Couronne estiment qu'il existe un motif suffisant
pour accuser le requérant suivant les règles pré-
vues par la Constitution, qu'ils le fassent. Si, toute-
fois, ils décident de ne pas l'accuser de ces actes
criminels, rien ne justifie de l'exposer à ces mêmes
accusations devant une juridiction extra judiciaire.
C'est exactement le genre d'abus de pouvoir de
l'État que notre Constitution ne peut admettre en
temps de paix ni lorsque la sécurité même de notre
peuple et de notre Constitution n'est en aucun cas
menacée. L'objectif légitime des enquêtes et des
rapports sur toute question se rapportant au fonc-
tionnement du Service correctionnel ne justifie pas
de s'écarter ainsi des normes constitutionnelles.
Comme le requérant est un «inculpé», on ne
peut, en fait, lui garantir que, dans l'accomplisse-
ment du mandat de la commission,
— il sera informé sans délai anormal de l'infraction
précise qu'on lui reproche d'avoir commise et
qui remonte à 1970;
—il sera jugé dans un délai raisonnable de sorte
qu'il pourra préparer sa défense, le cas échéant;
— il ne sera pas contraint de témoigner contre
lui-même dans les poursuites intentées contre lui
pour les infractions qu'on lui reproche; ou
— il sera présumé innocent tant qu'il ne sera pas
déclaré coupable conformément à la loi
(pénale), par un tribunal indépendant et impar
tial à l'issue d'un procès public et équitable.
En outre, on ne peut garantir au requérant, dans
de telles circonstances, ses droits «à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne» ni qu'il ne
sera «porté atteinte à ce droit qu'en conformité
avec les principes de justice fondamentale» comme
le prévoit l'article 7 de la Charte. À cet égard,
l'interprétation donnée par le juge Scheibel de la
Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan
dans R. L. Crain Inc. et al. v. Couture et al.
(1983), 10 C.C.C. (3d) 119; 30 Sask. R. 191;
[1984] W.C.D. 042, est à la fois instructive et
convaincante. Il a dit (aux pages 142 et 143 des
C.C.C.):
[TRADUCTION] À la lumière de cette limite générale [l'arti-
cle 1 de la Charte], il semble inutile et contre-indiqué de voir
d'autres limites dans l'art. 7.
À mon avis, les droits énumérés aux art. 8 à 14 sont des
exemples précis ou des émanations du droit général à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne, et la mention de ces
droits vient renforcer plutôt que restreindre les droits généraux
garantis par l'art. 7.
Les droits énumérés aux art. 8 à 14 sont compris dans
l'expression plus concise «la vie, la liberté et la sécurité de sa
personne», mais les rédacteurs de la Charte ont voulu, en
précisant certains droits ailleurs qu'à l'art. 7, leur accorder un
caractère encore plus sacré. En vertu de l'art. 7, il peut être
porté atteinte aux droits d'une personne si on se conforme aux
principes de justice fondamentale. Cette limite ne s'applique
pas aux droits prévus aux art. 8 à 14.
Si l'on conçoit ainsi le lien entre l'art. 7 et les articles qui
suivent, l'al. 11c) n'empêche pas d'invoquer le droit de ne pas
être contraint de témoigner contre soi-même avant qu'une
personne soit inculpée. Au contraire, l'al. 11c) prévoit une
protection additionnelle en indiquant à quel moment une per-
sonne ne peut plus être privée du droit de ne pas être contrainte
de témoigner contre elle-même, même conformément aux prin-
cipes de justice fondamentale.
De même, l'art. 13 garantit à chacun le droit spécifique à ce
qu'aucun témoignage qu'il donne ne soit utilisé pour l'incrimi-
ner dans d'autres procédures. C'est un droit distinct que l'on
peut invoquer indépendamment du fait que le témoin rend
témoignage volontairement ou sous la contrainte. Ce droit
indéniable qu'accorde l'art. 13 ne peut être considéré comme
l'adoption constitutionnelle du mécanisme prévu à l'art. 5 de la
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10. Rien
dans l'art. 13 ne contraint expressément une personne à rendre
un témoignage qui l'incrimine. L'art. 13 est similaire au par.
5(2) de la Loi sur la preuve au Canada et au par. 20(2) de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, mais il n'y a pas
dans la Charte d'équivalent du par. 5(1) de la Loi sur la preuve
au Canada et du par. 17(2) de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions. Les restrictions que prévoient ces différents
articles ne doivent pas être considérées comme faisant nécessai-
rement partie des droits indéniables qu'accorde l'art. 13 de la
Charte.
Par ces motifs, je conclus que les droits précis de l'al. 11c) et
de l'art. 13 ne nous empêchent pas nécessairement de retrouver
dans l'art. 7 un droit plus général de ne pas être contraint de
rendre un témoignage incriminant. Il reste à examiner si con-
traindre une personne à rendre un tel témoignage, comme le
permet l'art. 17 de la Loi, constitue une atteinte au droit, à la
liberté et à la sécurité de sa personne.
Je n'envisage pas de tenter d'énumérer de façon exhaustive
tous les droits que comprend l'expression «droit à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne». En fait, il serait
impossible de définir la portée exacte de cette expression. Les
limites de ce droit général seront sans doute définies petit à
petit par les tribunaux à mesure que des cas leur seront
présentés.
En l'espèce, les requérants prétendent que l'expression com-
prend le droit de ne pas être contraint à donner un témoignage
qui les incrimine. Cet argument n'exige pas de la cour qu'elle
explore les limites du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
de sa personne. La question en litige en l'espèce ne porte pas
sur le droit à la vie, mais, à mon avis, le privilège de ne pas
s'incriminer est profondément enraciné dans le droit à la liberté
et à la sécurité de sa personne.
L'ouvrage de Levy, Origins Of The Fifth Amendment (1968)
(New York, Oxford University Press), est bien documenté sur
l'historique du privilège de ne pas s'incriminer. L'auteur signale
que ce privilège est à l'origine de la lutte historique pour la
liberté individuelle.
En outre, l'expression «la sécurité de sa personne» comprend
le droit au respect de la dignité de la personne et le droit au
respect de la vie privée ou de l'autonomie personnelle dans
lesquels l'État ne doit pas s'ingérer de manière arbitraire ou
injustifiée. Ces considérations sous-tendent également le privi-
lège de ne pas s'incriminer.
En résumé, la solution en l'espèce repose sur les
considérations et les conclusions suivantes. L'ex-
pression faire «enquête et rapport sur toute ques
tion concernant le fonctionnement du Service» de
l'article 12 de la Loi sur les pénitenciers ne peut
être interprétée de manière à envisager la création,
le maintien et l'organisation d'un tribunal fédéral
chargé d'enquêter et de déterminer si l'accusé est
innocent ou coupable des infractions criminelles
définies précisément dans le mandat de ce tribu
nal. Dans des circonstances normales, le Parlement
n'a pas le pouvoir de constituer des cours de
juridiction criminelle, même si, et précisément si,
le tribunal n'est, par rapport à ces cours, qu'une
imitation inefficace et démunie de pouvoir. L'in-
timé a outrepassé ses pouvoirs en cherchant à
conférer à sa commission d'enquête de tels pou-
voirs, sur le modèle d'une cour de juridiction cri-
minelle. Si la commission commence à exercer son
mandat relativement aux infractions criminelles,
elle viole les droits du requérant garantis par l'arti-
cle 7, et les alinéas 11a), b), c) et d) de la Charte.
Les circonstances justifient d'invoquer le paragra-
phe 24(1) de la Charte.
Par conséquent, les interventions et les décisions
de l'intimé relativement au mandat de la commis
sion d'enquête convoquée le 3 avril 1984 pour faire
enquête et faire rapport sur les infractions crimi-
nelles que le mandat de la commission reproche au
requérant sont annulées avec dépens en faveur du
requérant. L'annulation de ces différents points du
mandat de la commission interdit à celle-ci de
faire enquête, d'entendre des témoignages ou de
faire rapport relativement à ces accusations. Elle
n'a qu'à les écarter et à n'en pas tenir compte.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que les décisions prises le 3
avril 1984 par l'intimé, D. R. Yeomans, commis-
saire aux services correctionnels, qui outrepassent
les pouvoirs que lui confère l'article 12 de la Loi
sur les pénitenciers, d'accorder à la commission
d'enquête composée de M. Reed et M me Simmons,
ou à toute autre commission, le mandat d'enquêter
sur les accusations d'actes criminels susceptibles
de faire l'objet de poursuites devant une cour de
juridiction criminelle contre le requérant, Murray
Gaw, et notamment:
1. sur toutes les accusations de voies de fait, y compris des
attouchements sur des personnes sans leur consentement,
mentionnées aux directives a)1(iii), a)2, a)8(iv) et a)8(v);
2. sur les directives a)3 et 4 en entier; et
3. sur toutes les autres allégations mentionnées à la convocation
et au mandat qui peuvent donner lieu à des poursuites
criminelles contre Murray Gaw,
soient retirées et que ces décisions et le mandat
qu'elles ont engendré soient annulés; et il est inter-
dit à la commission d'enquête ainsi créée par
l'intimé d'enquêter ou de faire rapport sur ces
questions; et
LA COUR ORDONNE en outre à l'intimé de payer
au requérant les dépens taxables qu'entraîne la
présente requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.