A-204-82
Marlex Petroleum, Inc. (appelante)
c.
Le navire Har Rai et The Shipping Corporation of
India Ltd. (intimés)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Le Dain—
Vancouver, 4 et 5 octobre 1983; Ottawa, 13 jan-
vier 1984.
Droit maritime — Conflit de lois — Mazout fourni dans un
port américain à un navire affrété — Charte-partie interdisant
tout privilège — En vertu du droit américain, un affréteur est
présumé être autorisé à assujettir le navire à un privilège pour
fourniture d'approvisionnements nécessaires — Le privilège
fondé sur le droit américain peut être exercé par une action in
rem au Canada même si le propriétaire du navire n'est pas
personnellement responsable — Le critère appliqué au Canada
relativement à la reconnaissance d'un privilège maritime
étranger diffère de celui qui s'applique en Angleterre — La
Cour suprême a appliqué une présomption équivalente à celle
appliquée aux États-Unis — Lorsque les approvisionnements
nécessaires ont été fournis au Canada, la demande in rem ne
peut être exercée si le propriétaire du navire n'est pas person-
nellement responsable — Les restrictions concernant l'exercice
d'un droit in rem accordé par la loi ne s'appliquent pas à
l'exercice d'un privilège maritime — La compétence pour
exercer un privilège maritime concernant la fourniture d'ap-
provisionnements nécessaires par action in rem est conférée par
les art. 2 et 22(1) — L'art. 22(2)m) ne confère compétence que
si les fournitures nécessaires ne sont pas garanties par un
privilège — Le privilège continue de pouvoir être exercé même
si la propriété du navire a changé de mains — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2t Supp.), chap. 10, art. 2, 22(1),(2)m),
43(3) — Ship Mortgage Act, 1920 (qui constitue l'art. 30 du
Merchant Marine Act, 1920), par. P, R (modifiés par Pub. L.
No. 92-79, 85 Stat. 285 (1971)), 46 U.S.C., art. 971, 973
(1976).
Conflit de lois — Doit-on considérer le privilège américain
pour fourniture d'approvisionnements nécessaires comme pou-
vant être exercé par action in rem uniquement lorsque le
propriétaire au moment où les approvisionnements ont été
fournis est personnellement responsable? — La reconnaissance
des privilèges maritimes est une question de principe impor-
tante — Différences de vue parmi les nations maritimes — Le
critère appliqué au Canada concernant la reconnaissance des
privilèges maritimes étrangers diffère de celui qui s'applique
en Angleterre — La Cour suprême du Canada a rendu des
décisions portant que le privilège maritime pour des approvi-
sionnements nécessaires découlant du droit en vertu duquel le
contrat a été passé est exécutoire au Canada même si la
fourniture d'approvisionnements nécessaires au Canada ne
donne pas lieu à un privilège maritime — Il ne faut pas limiter
cette reconnaissance aux seuls cas où le propriétaire est per-
sonnellement responsable — Le principe américain de l'autori-
sation présumée ne va pas à l'encontre du droit canadien à tel
point qu'il faille refuser la reconnaissance.
Compétence — Droit maritime — Privilège maritime con-
cernant la fourniture d'approvisionnements nécessaires — Les
art. 2 et 22(1) confèrent la compétence voulue pour exercer ce
privilège par l'action in rem — L'art. 22(2) confère cette
compétence uniquement dans les cas où les approvisionnements
nécessaires ne sont pas garantis par un privilège — Le privi-
lège continue de pouvoir être exercé quand la propriété du
navire a changé de mains — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2° Supp.) chap. 10, art. 2, 22(1),(2)m), 43(3).
L'appelante a fourni du mazout au navire intimé alors qu'il
se trouvait dans un port de Californie. À cette époque, le navire
appartenait à la compagnie intimée mais il était assujetti à un
contrat de charte-partie conclu avec une deuxième compagnie.
Les courtiers avec qui l'appelante a fait affaire ont, semble-t-il,
agi pour le compte de cette deuxième compagnie et il a été
convenu que l'acheteur véritable serait une troisième compa-
gnie. Au moment de fournir le pétrole, la demanderesse igno-
rait que le navire était assujetti à une charte-partie et que
celle-ci comportait une clause interdisant tout privilège.
Comme le pétrole demeurait impayé, l'appelante a intenté des
poursuites devant la Cour fédérale dans le but de recouvrer le
prix du mazout. Ces poursuites comportaient: (a) une action in
rem contre le navire dans le but d'exercer un privilège maritime
qui, a-t-on prétendu, aurait pris naissance en vertu du droit
américain; et (b) une action in personam contre la compagnie
intimée (qui était toujours propriétaire du navire).
Le juge de première instance a conclu que le privilège allégué
existait en vertu du droit américain mais, après avoir rejeté la
demande in personam contre la compagnie, il a statué que le
privilège n'était pas exécutoire au Canada par action in rem
parce que le propriétaire du navire n'était pas personnellement
responsable.
En appel du rejet de l'action in rem,
Arrêt: l'appel est accueilli.
En vertu du droit américain en vigueur depuis 1971, un
affréteur est présumé être autorisé par le propriétaire à assujet-
tir le navire à un privilège maritime pour fourniture d'approvi-
sionnements nécessaires à moins que le fournisseur ne sache
que la charte-partie comporte une clause interdisant tout privi-
lège. En vertu de ce principe, un privilège maritime pour
fourniture d'approvisionnements nécessaires peut prendre nais-
sance dans des circonstances où le propriétaire du navire, au
moment de la fourniture des approvisionnements, n'est pas
personnellement responsable de ces approvisionnements. Il était
peu vraisemblable que cette situation se produise avant que la
modification de 1971 ne soit apportée, toutefois, même en vertu
de la législation antérieure qu'a examinée la Cour suprême
dans les affaires The Strandhill et The loannis Daskalelis, une
telle situation pouvait se produire. Il s'agit de savoir s'il faut
considérer qu'un privilège pour la fourniture d'approvisionne-
ments nécessaires qui prend naissance en vertu du droit améri-
cain ne peut être exercé par action in rem au Canada que dans
les cas où le propriétaire du navire serait personnellement
responsable des approvisionnements nécessaires.
Les arrêts The Standhill et The loannis Daskalelis ne font
pas obstacle à la reconnaissance du privilège lorsque la respon-
sabilité in personam est inexistante. En fait, ces décisions
pourraient implicitement étayer le point de vue selon lequel la
reconnaissance ne se limite pas aux seuls cas où le propriétaire
est personnellement responsable.
Dans ces deux affaires, la Cour a reconnu le principe selon
lequel un privilège maritime pour la fourniture d'approvisionne-
ments nécessaires découlant du droit (même étranger) en vertu
duquel le contrat a été passé serait reconnu exécutoire au
Canada même si cette fourniture d'approvisionnements néces-
saires ne donnait pas lieu ici à un privilège maritime. (Le
critère applicable au Canada en ce qui concerne la reconnais
sance d'un privilège maritime étranger diffère de celui qui
s'applique actuellement en Angleterre.) Étant donné la position
adoptée par la Cour suprême, il n'existe aucune raison de
principe valable pour n'admettre cette position que dans les cas
où le propriétaire du navire à l'époque où les approvisionne-
ments nécessaires ont été fournis serait personnellement respon-
sable. Les conséquences qui peuvent résulter de la présomption
du droit américain concernant l'autorisation donnée à l'affré-
teur ne vont pas à l'encontre du droit maritime canadien à un
point tel qu'il faille refuser la reconnaissance. En fait, le
principe qu'a reconnu et appliqué la Cour suprême est essentiel-
lement le même. Bien qu'une demande relative à des approvi-
sionnements nécessaires fournis au Canada ne puisse être exer-
cée par action in rem à moins que le propriétaire du navire ne
soit personnellement responsable, cela ne constitue pas un motif
suffisant pour ne pas reconnaître un privilège maritime étran-
ger en l'absence de toute responsabilité personnelle. Les restric
tions applicables à l'exercice d'un simple droit in rem reconnu
par la loi ne s'appliquent pas nécessairement à l'exécution d'un
privilège maritime. Par conséquent, même si la décision rendue
dans l'affaire Armar est fondée, elle ne tranche pas la question
de la reconnaissance qui se pose en l'espèce.
La compétence de la Cour fédérale pour donner effet à un
privilège maritime relatif à des approvisionnements nécessaires
par action in rem se fonde sur le paragraphe 22(1) de la Loi sur
la Cour fédérale et sur la définition de adroit maritime cana-
dien» à l'article 2. Cette compétence doit être considérée
comme provenant d'une source autre que l'alinéa 22(2)m), qui
ne vise que les demandes relatives à des approvisionnements
nécessaires qui ne sont pas garantis par des privilèges mariti-
mes. Le paragraphe 43(3) impose une restriction à la compé-
tence de la Cour pour connaître d'une demande mentionnée à
l'alinéa 22(2)m), et en interprétant ainsi cet alinéa, on évite la
restriction prévue lorsqu'on se trouve en présence d'un privi-
lège. La possibilité d'exercer le privilège par action in rem est
ainsi maintenue même si la propriété en equity du navire
change de mains entre le moment où la cause d'action a pris
naissance et celui où l'action est intentée.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
The Ship «Strandhill» v. Walter W. Hodder Company,
[1926] R.C.S. 680; Todd Shipyards Corporation c.
Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar», [1973]
C.F. 1232 (1'» inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Ripon City, [1897] P. 226 (H.C.-Amirauté Angl.);
Goodwin Johnson Limited v. The Ship (Scow) AT & B
N° 28, et al., [1954] R.C.S. 513.
DÉCISION CITÉE:
The Halcyon Isle, [1981] A.C. 221 (P.C.).
AVOCATS:
R. G. Morgan pour l'appelante.
J. W. Perrett pour les intimés.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour l'appe-
lante.
Campney & Murphy, Vancouver, pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'un
jugement de la Division de première instance
([1982] 2 C.F. 617) qui a rejeté une action in rem
visant à l'exécution d'un privilège maritime fondé
sur le droit américain, concernant la fourniture
d'approvisionnements nécessaires, pour le motif
qu'une telle action est irrecevable lorsque le pro-
priétaire du navire n'est pas responsable in perso-
nam de ces approvisionnements.
Au mois de mai 1979, l'appelante Marlex Petro
leum, Inc. («Marlex») a fourni du mazout et du
carburant diesel au navire intimé Har Rai alors
qu'il se trouvait au port de Los Angeles/Long
Beach (Californie), ledit navire appartenant à l'in-
timée, The Shipping Corporation of India Ltd.
mais étant assujetti à un contrat de charte-partie
conclu avec Libra Shipping and Trading Corpora
tion Limited («Libra»). L'enquête relative au
pétrole a été effectuée par Universal Bunker Servi
ces Inc., courtiers du New Jersey qui ont, semble-
t-il, agi pour le compte de Libra. Initialement
celle-ci devait acheter le pétrole mais comme
Marlex ne possédait pas suffisamment de rensei-
gnements au sujet du crédit de cette compagnie, il
a été convenu que l'acheteur serait Global Bulk
Handling Limited («Global»), à qui Marlex avait
déjà fait crédit sans difficulté. L'adresse de Global
pour fins de facturation portait la mention a/s
Libra. Les mandataires de Libra se sont occupés
de la livraison du pétrole à Long Beach et l'ingé-
nieur chef du navire en a accusé réception. Au
moment de fournir le pétrole, Marlex ne savait pas
que le Har Rai était assujetti à une charte-partie
et que celle-ci comportait une clause interdisant
tout privilège. Le pétrole demeurant impayé,
Marlex a intenté une action in rem contre le Har
Rai à Vancouver où le navire a été saisi, ainsi
qu'une action in personam contre le propriétaire,
The Shipping Corporation of India Ltd. La décla-
ration alléguait que Marlex avait, en vertu du droit
américain, un privilège maritime pour fourniture
d'approvisionnements nécessaires.
À partir de ces faits, M. Carter Quinby, spécia-
liste du droit maritime américain, s'est dit d'avis
que, en vertu des articles 971 et suivants du titre
46 du United States Code [Ship Mortgage Act,
1920 (qui constitue l'art. 30 du Merchant Marine
Act, 1920), par. P et s. (modifiés), 46 U.S.C. art.
971 et s. (1976)), la fourniture de pétrole au Har
Rai créait un privilège maritime qui pouvait être
exercé par action in rem aux États-Unis, même si
le propriétaire n'était pas personnellement respon-
sable. En vertu de ces articles, modifiés en 1971
[46 U.S.C. art. 973 (1976) incorpore les modifica
tions apportées au Ship Mortgage Act, 1920, par
R, 46 U.S.C. art. 973 (1970) par une loi en date
du 10 août 1971, Pub. L. No. 92-79, 85 Stat. 285],
un affréteur est présumé être autorisé par le pro-
priétaire à assujettir le navire à un privilège mari
time pour fourniture d'approvisionnements néces-
saires lorsque le fournisseur ignore que la
charte-partie comporte une clause interdisant tout
privilège.
Il a été convenu, au cours du procès, que la Cour
déterminerait la question de la responsabilité, le
montant des dommages-intérêts devant faire l'ob-
jet d'un renvoi, le cas échéant. En réponse à une
requête présentée à la fin de l'argumentation de la
demanderesse, le juge de première instance a
décidé que le propriétaire du Har Rai, The Ship
ping Corporation of India Ltd., n'était personnelle-
ment responsable du coût du pétrole et il a rejeté
l'action in personam intentée contre elle. Quant à
la responsabilité in rem, le juge de première ins
tance a conclu, à la lumière de la preuve d'expert,
que l'appelante avait un privilège maritime fondé
sur le droit américain mais que ce privilège ne
pouvait pas être exercé par action in rem au
Canada parce que le propriétaire du navire n'était
pas responsable in personam.
Le juge de première instance a fondé sa conclu
sion sur la décision Westcan Stevedoring Ltd. c. Le
navire «Armar», [1973] C.F. 1232 W° inst.), dans
laquelle le juge Collier a statué_ qu'une demande
relative à des services d'aconage fournis au
Canada, dans l'hypothèse où il s'agit d'approvi-
sionnements nécessaires, ne peut être exercée par
action in rem lorsque les propriétaires du navire ne
sont pas personnellement responsables. Dans ce
cas, la demanderesse n'avait pas de privilège mari
time parce que les approvisionnements nécessaires
ont été fournis au Canada mais elle a tenté d'exer-
cer un droit in rem accordé par la loi. Se fondant
surtout sur les décisions The Mogileff, [1921] P.
236 (H.C.-Amirauté Angl.) et The «Heiwa Maru»
v. Bird & Co. (1923), I.L.R. 1 Ran. 78 (H.C.), le
juge Collier a conclu que le droit in rem accordé
par la loi de faire valoir une demande relative à
des approvisionnements nécessaires qui existait en
vertu du droit maritime canadien avant l'adoption
des dispositions de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] en matière
d'amirauté ne peut être exercé que si le proprié-
taire du navire est personnellement responsable de
la demande et il a ajouté que les dispositions
applicables de la Loi—l'alinéa 22(2)m) qui con-
fère à la Cour compétence pour connaître d'une
demande relative à des approvisionnements néces-
saires et le paragraphe 43(2) qui prévoit que la
compétence conférée par l'article 22 peut être
exercée en matière réelle—ne changent pas le droit
à cet égard.
L'appelante prétend que la décision Le «Armar»
ne s'applique pas parce qu'il s'agissait, dans ce cas,
d'un simple droit in rem- accordé par la loi et non
d'un privilège maritime et que, suivant les arrêts
de la Cour suprême du Canada The Ship
«Strandhill» v. Walter W. Hodder Company,
[1926] R.C.S. 680 et Todd Shipyards Corpora
tion c. Alterna Compania Maritima S.A., [1974]
R.C.S. 1248 [ci-après appelé «The loannis Daska-
lelisu], on doit reconnaître que le privilège mari
time en l'espèce fondé sur le droit américain peut
être exercé par action in rem au Canada, même si
le propriétaire n'est pas personnellement responsa-
ble. Le juge de première instance a pris en considé-
ration les arrêts The Strandhill et The loannis
Daskalelis, mais il a établi une distinction avec ces
causes dans lesquelles, suivant les faits révélés dans
les actes de procédure et les 'déclarations de la
Cour, les propriétaires des navires auraient été
personnellement responsables.
Dans l'arrêt The Strandhill, la Cour suprême
du Canada a jugé qu'un privilège maritime fondé
sur le droit américain, concernant des approvision-
nements nécessaires fournis aux États-Unis, peut
être exercé par action in rem au Canada et que la
Cour de l'Échiquier du Canada a compétence pour
connaître d'une telle action. La déclaration allé-
guait que les approvisionnements nécessaires ont
été fournis sur l'ordre du propriétaire du navire ou
d'une personne autorisée par ce dernier. Bien que
cette autorisation du propriétaire, qu'elle soit
réelle ou présumée, fût une condition de l'existence
du privilège maritime en vertu du droit américain,
le jugement ne laisse aucunement entendre que
pour que le privilège puisse être exercé par action
in rem au Canada et que la Cour de l'Échiquier ait
compétence sur une telle action, il faut déterminer
si, à la lumière des faits, le propriétaire du navire
aurait été personnellement responsable des appro-
visionnements nécessaires au moment où ils ont été
fournis. Il n'y a pas été question de la responsabi-
lité personnelle. En ce qui concerne la question de
la reconnaissance, le juge Newcombe qui a parlé
au nom de la majorité de la Cour a dit aux pages
686 et 687:
[TRADUCTION] Bien sûr, on ne peut pas dire que le contrat
est nul pour cause d'immoralité ni qu'il va à l'encontre du droit
positif qui l'interdit et j'estime par conséquent que le droit
découlant de ce contrat ou créé à titre accessoire peut être
reconnu et exercé, si le tribunal auquel le demandeur s'est
adressé a la compétence requise.
En ce qui concerne la question de la compétence,
après avoir fait mention de la compétence relative
à une demande pour fourniture d'approvisionne-
ments nécessaires qui est conférée par The Admi
ralty Court Act, 1840, 3 & 4 Vict., chap. 65,
article 6 (R.-U.), et The Admiralty Court Act,
1861, 24 Vict., chap. 10, article 5 (R.-U.), et qui
peut être exercée par la Cour de l'Échiquier du
Canada en vertu du paragraphe 2(2) de la Colo
nial Courts of Admiralty Act, 1890, 53-54 Vict.,
chap. 27 (R.-U.), le juge Newcombe a dit à la
page 689:
[TRADUCTION] Maintenant, vu ces textes législatifs, je
crains que si une disposition, correspondant à celle de la loi des
États-Unis que j'ai citée, avait été adoptée en Angleterre, la
High Court of Admiralty se serait trouvée en mesure de
l'appliquer, dans les cas prévus dans les lois de 1840 et de 1861.
Et vu qu'il existe une juridiction locale équivalente, la Cour de
l'Échiquier du Canada a le droit lorsque, dans ces cas, la
réclamation relative à des choses nécessaires se fonde sur un
privilège maritime, de faire droit à l'exercice de ce privilège,
même si le droit a été acquis sous le régime du droit d'un pays
étranger.
Dans l'affaire The bannis Daskalelis, qui sou-
levait la question de la priorité de rang entre un
privilège maritime fondé sur le droit américain
concernant des réparations nécessaires et une
hypothèque enregistrée en Grèce, la Cour suprême
a réaffirmé le principe adopté dans l'arrêt The
Strandhill, selon lequel un privilège maritime
étranger portant sur des approvisionnements ou
des réparations nécessaires et fondé sur le droit
régissant le contrat peut être exercé au Canada,
même si le contrat ne donne pas lieu à un privilège
maritime lorsqu'il est conclu au Canada. Après
avoir cité le juge Newcombe dans l'arrêt The
Strandhill, le juge Ritchie qui a rendu le jugement
de la Cour a dit à la page 1254: «Je ne pense pas
qu'il soit nécessaire de se fonder sur autre chose
que l'arrêt Strandhill pour être en mesure de
décider que les réparations nécessaires effectuées
par Todd Shipyards Corporation à New York ont
donné lieu, contre le navire défendeur, à un privi-
lège maritime qu'elle peut exercer en notre
pays. ..» Dans l'affaire The bannis Daskalelis,
Todd Shipyards a allégué [page 1251] que les
réparations nécessaires ont été fournies au navire
«... à la demande de ses propriétaires et de leurs
mandataires susdits ...», et le juge Ritchie a dit
dans son exposé des faits [à la page 1250] que les
réparations ont été effectuées «à la demande des
responsables de l'administration du navire ...»,
mais une fois de plus, même si ces faits étaient une
condition nécessaire à l'existence du privilège en
vertu du droit américain, le jugement ne laisse
aucunement entendre qu'il fallait établir la respon-
sabilité personnelle du propriétaire du navire au
moment où les réparations ont été effectuées pour
que le privilège puisse être reconnu comme pou-
vant être exercé au Canada.
En vertu du droit américain qui s'appliquait aux
arrêts The Strandhill et The bannis Daskalelis,
un affréteur était présumé être autorisé à assujettir
un navire à un privilège maritime pour fourniture
d'approvisionnements nécessaires, même si le four-
nisseur devait faire preuve de diligence raisonnable
aux fins de déterminer si la charte-partie compor-
tait une clause interdisant tout privilège, ce qui, en
pratique, annulait en grande partie l'autorisation
présumée, jusqu'à ce que cette obligation soit sup-
primée par modification en 1971. Voir l'ouvrage
de Gilmore et Black, The Law of Admiralty, 2 e
éd., 1975, pages 670 et s. En vertu de la législation
antérieure à 1971, un privilège maritime pour
fourniture d'approvisionnements nécessaires pou-
vait néanmoins prendre naissance en droit améri-
cain dans des circonstances où le propriétaire du
navire ne serait pas personnellement responsable
des approvisionnements au moment où ils ont été
fournis. Comme l'indique la preuve d'expert en
l'espèce, il est plus vraisemblable qu'on rencontre
cette situation en pratique en raison de la modifi
cation apportée en 1971. Il s'agit de savoir, selon
moi, si un privilège américain pour fourniture
d'approvisionnements nécessaires doit être reconnu
comme pouvant être exercé par action in rem dans
tous les cas ou uniquement lorsque le propriétaire
du navire serait personnellement responsable de
ces approvisionnements au moment où ils sont
fournis. Pour les motifs que j'ai indiqués, je ne
crois pas, en toute déférence, que les arrêts The
Strandhill et The bannis Daskalelis de la Cour
suprême du Canada fassent obstacle à la recon
naissance de ce privilège dans tous les cas, si ces
arrêts ne signifient pas que la Cour a adopté ce
point de vue au sujet de la reconnaissance parce
qu'il n'est fait mention ni de la responsabilité
personnelle ni du principe sous-jacent au droit
américain. Il ne fait aucun doute que la reconnais
sance des privilèges maritimes est une question de
principe importante en droit maritime, au sujet de
laquelle il y a eu des divergences de vue considéra-
bles parmi les nations maritimes. Il est également
manifeste que le critère appliqué au Canada en ce
qui concerne la reconnaissance d'un privilège mari
time étranger diffère de celui qui s'applique
actuellement en Angleterre. Voir The Halcyon
Isle, [1981] A.C. 221 (P.C.). Étant donné la posi
tion adoptée par la Cour suprême du Canada dans
les affaires The Strandhill et The bannis Daska-
lelis—c'est-à-dire, que le privilège maritime pour
des approvisionnements nécessaires découlant du
droit en vertu duquel le contrat a été passé sera
reconnu exécutoire au Canada même si la fourni-
ture d'approvisionnements nécessaires au Canada
ne donne pas lieu à un privilège maritime—il
n'existe, à mon avis, aucune raison de principe
valable pour n'admettre cette position que dans les
cas où le propriétaire du navire à l'époque où les
approvisionnements nécessaires ont été fournis
serait personnellement responsable. Les consé-
quences qui peuvent résulter du principe de l'auto-
risation présumée sous le régime du droit améri-
cain ne vont pas à l'encontre du droit maritime
canadien à tel point qu'il faille refuser la recon
naissance. Il s'agit essentiellement du même prin-
cipe que celui qui est énoncé par le juge Gorell
Barnes dans l'arrêt The Ripon City, [1897] P. 226
(H.C.-Amirauté Angl.); en décidant dans cette
affaire qu'un capitaine de navire a un privilège
maritime lorsqu'il s'agit d'une dette contractée
pour obtenir des approvisionnements nécessaires
au bénéfice de personnes qui ne sont pas les pro-
priétaires du navire mais qui ont été mises en
possession dudit navire par ces derniers, il a dit à
la page 244:
[TRADUCTION] Le principe en vertu duquel les propriétaires
qui ont cédé la possession et le contrôle d'un navire aux
affréteurs et en vertu duquel les créanciers hypothécaires et
autres personnes intéressées qui ont permis aux propriétaires
d'en garder la possession peuvent voir leurs biens saisis pour
satisfaire aux demandes concernant les questions qui donnent
lieu aux privilèges maritimes, peut, à mon avis, se déduire des
principes généraux que j'ai déjà énoncés. Les privilèges mariti-
mes étant reconnus en droit, les personnes qui sont autorisées
par les propriétaires d'un navire à conserver la possession de ce
navire en vue de l'utiliser de la façon ordinaire, sont réputées
avoir reçu l'autorisation de ces derniers d'assujettir le navire à
des créances qui peuvent donner lieu à un privilège maritime
par suite de circonstances survenant dans le cours normal de
cette utilisation, à moins que les parties n'agissent l'une envers
l'autre de telle façon que celle qui invoque le privilège n'a pas le
droit de se fonder sur cette autorisation présumée.
La Cour suprême du Canada a cité et appliqué
ce principe dans l'arrêt Goodwin Johnson Limited
v. The Ship (Scow) AT & B No. 28, et al., [ 1954]
R.C.S. 513, où il a été jugé qu'on pouvait intenter
une action in rem pour exercer un privilège mari
time par suite de dommages causés par un navire
affrété coque-nue. On a jugé que l'existence du
privilège et le droit de l'exercer ne reposent pas sur
la question de savoir si les propriétaires du navire
étaient personnellement responsables des domma-
ges au moment où ceux-ci ont été causés, mais il
suffit que les propriétaires aient volontairement
cédé le contrôle du navire aux affréteurs ou à
d'autres personnes.
Le fait qu'une demande relative à des approvi-
sionnements nécessaires fournis au Canada ne peut
être exercée par action in rem à moins que le
propriétaire du navire ne soit personnellement res-
ponsable, pas plus que le fait qu'une telle demande
ne donne pas lieu à un privilège maritime, ne
constitue pas en droit canadien un motif pour ne
pas reconnaître qu'un privilège maritime créé sous
le régime d'un droit étranger pour des approvision-
nements nécessaires est exécutoire par action in
rem en l'absence de toute responsabilité person-
nelle. Les restrictions applicables à un simple droit
in rem prévu par la loi ne s'appliquent pas néces-
sairement, en principe, à un privilège maritime. Il
s'agit de deux choses différentes. Par conséquent,
je suis d'avis que le principe énoncé dans Le
«Armar», à supposer que la décision rendue dans
cette affaire soit correcte, ne tranche pas le litige.
En ce qui concerne la compétence pour exercer
un privilège maritime relatif à des approvisionne-
ments nécessaires par action in rem, j'estime qu'il
faut s'en remettre, compte tenu de l'arrêt The
Strandhill, aux termes généraux du paragraphe
22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, et à la
définition de «droit maritime canadien» à l'article 2
de la Loi. Ces dispositions prévoient:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du
Canada en matière de navigation ou de marine marchande,
sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait
l'objet d'une attribution spéciale.
2....
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application
relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic-
tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de
quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait
eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en
matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica
tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute
autre loi du Parlement du Canada;
En vertu de ces dispositions, la compétence de la
Cour fédérale comprend la compétence en matière
maritime qui pouvait être exercée par la Cour de
l'Échiquier du Canada. À mon avis, la compétence
pour donner effet à un privilège maritime concer-
nant des approvisionnements nécessaires doit être
considérée comme un domaine de compétence qui
s'ajoute à celui que confère l'alinéa 22(2)m) de la
Loi relativement à une demande relative à des
approvisionnements nécessaires qui n'est pas
garantie par un privilège maritime. S'il en était
autrement, la restriction imposée par le paragra-
phe 43(3) de la Loi à la compétence en matière
réelle de la Cour concernant une demande men-
tionnée à l'alinéa 22(2)m)—cette compétence ne
pouvant être exercée à moins que, au moment où
l'action est intentée, le navire n'ait pour proprié-
taire en equity celui qui en était le propriétaire en
equity au moment où la cause d'action a pris
naissance—enlèverait au privilège l'un de ses prin-
cipaux effets. Il ressort implicitement des faits de
l'arrêt The Strandhill que la Cour a présumé que
le privilège pouvait être exercé par action in rem
malgré le transfert subséquent de propriété.
Par ces motifs, je suis d'avis que le privilège
maritime peut être exercé en l'espèce par action in
rem. J'accueillerais par conséquent l'appel, j'annu-
lerais le jugement de la Division de première ins
tance et je renverrais l'affaire à cette dernière pour
qu'elle tranche la demande, le tout avec dépens en
appel et en première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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