A-355-82
David Baird, Elizabeth Baird, George A. Bayley,
Neil Baylor, Frederick Field, Marion Field, Ron
Forbes, Edward Kuta, Mira Kuta, Alexander
Leblovic, Carlo Lemma, Brian Moar, Marianne
Moar, Frances Salvo, Mark Smith fils, Pauline
Smith, Bruce Wilson et John Gatecliffe (appe-
lants) (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada représentée . .par le
procureur général du Canada (intimée) (défende-
resse)
Cour d'appel, juges Urie et Le Dain, juge sup
pléant Kelly—Toronto, 18 octobre 1982; Ottawa,
23 juin 1983.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Négligence —
Inexécution d'une obligation légale — Les demandeurs ont
perdu l'argent qu'ils avaient investi dans une compagnie fidu-
ciaire — La compagnie aurait exploité son entreprise de
manière frauduleuse — L'argent déposé dans la compagnie
fiduciaire était déposé dans une entreprise hypothécaire non
assurée — Obligations légales du surintendant des assurances
et du ministre des Finances — Le surintendant a omis de se
former une opinion sur la suffisance de l'actif de la compagnie
fiduciaire — Le Ministre n'a pas révoqué le permis de la
compagnie — Appel de la radiation de la déclaration pour le
motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action — Appel
accueilli — La Cour doit non pas se demander si le législateur
a eu l'intention de créer un droit d'action en raison de l'inexé-
cution d'une obligation légale mais appliquer les principes de
la common law en matière de négligence — Les allégations
contenues dans les conclusions suffisent à prouver la négli-
gence et le lien de causalité — Existe-t-il une obligation de
prudence? — Une perte purement économique peut-elle donner
ouverture à une action en recouvrement? — La Loi sur la
responsabilité de la Couronne rend-elle la Couronne responsa-
ble du dommage causé par négligence en ce qui concerne les
fonctions légales imposées directement à un préposé de la
Couronne? — La Loi rend-elle la Couronne responsable d'une
perte purement économique? — Le Ministre est-il un préposé
de la Couronne? — Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap.
A-3, art. 3 — Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C.
1970, chap. C-38, art. 3(1)a),(6), 4(2) — Loi sur la Cour de
l'Échiquier, S.R.C. 1970, chap. E-11 — Loi sur les compa-
gnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16, art. 71, 74, 75.1
(mod. par S.R.C. 1970 (1M Supp.), chap. 47, art. 29; S.C.
1974-75-76, chap. 7, art. 2), 76 (mod. par S.R.C. 1970 (1"
Supp.), chap. 47, art. 30), 77, 78 — Loi sur les actions contre
la Couronne, R.S.O. 1980, chap. 393, art. 5(3) — Crown
Proceedings Act, 1947, 10 & 11 Geo. 6, chap. 44 (R.-U.),
art. 2, 38(2).
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Décla-
ration radiée parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action —
Appel de la radiation — La question porte sur la responsabi-
lité de la Couronne lorsqu'il y a négligence ou inexécution
d'une obligation légale de la part du ministre des Finances ou
du surintendant des assurances et que des investisseurs dans
une compagnie fiduciaire perdent de l'argent en raison d'une
conduite qu'on prétend être frauduleuse — Il n'est pas clair et
évident que les demandeurs ne pouvaient avoir gain de cause
— Appel accueilli — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règle 419(1 Ja).
Une action a été engagée contre la Couronne en raison de
l'inexécution d'une obligation légale et de la négligence du
ministre des Finances et du surintendant des assurances dans
l'exercice de leurs obligations légales. On a allégué que la
compagnie Astra Trust a été autorisée à exploiter son entre-
prise d'une manière telle que les appelants ont perdu l'argent
qu'ils y avaient investi. Astra aurait exploité son entreprise de
manière frauduleuse parce que ses employés disaient que
Re-Mor et Via Mare étaient une division des placements
hypothécaires d'Astra alors qu'ils exploitaient en fait une entre-
prise de courtage hypothécaire distincte non assurée. L'argent
déposé dans Astra était déposé dans les compagnies hypothécai-
res. On a allégué que le surintendant des assurances a fait
preuve de négligence en omettant (1) d'inspecter les affaires
d'Astra conformément à l'article 74 de la Loi, (2) de se former
une opinion sur l'insuffisance de l'actif d'Astra et de faire
rapport au Ministre conformément à l'article 75.1. Subsidiaire-
ment, il est allégué que si le surintendant s'est correctement
acquitté de ses fonctions, le Ministre a omis de remplir l'obliga-
tion que lui impose l'article 75.1 en ne révoquant pas le permis
d'Astra. On a de plus fait valoir que le Ministre a fait preuve de
négligence en délivrant le permis à Astra, étant donné qu'il
connaissait certains faits concernant la situation financière et la
conduite du principal administrateur et actionnaire de cette
compagnie.
La déclaration a été radiée par la Division de première
instance pour le motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action.
Le juge Mahoney a statué qu'une demande d'indemnisation
pour perte économique ne peut être présentée contre la Cou-
ronne quand les obligations légales en cause sont imposées au
Ministre et au surintendant. Appel a été interjeté de l'ordon-
nance du juge des requêtes.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Le juge Le Dain: Le juge des requêtes s'est fondé sur les
motifs du jugement que j'ai prononcés dans l'affaire Lignes
aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La Reine, [1979] 1
C.F. 39 (C.A.). Dans cette affaire, j'avais adopté la méthode
consistant à déterminer si le législateur avait l'intention de
créer un droit d'action privé dans le cas d'inexécution d'une
obligation légale, méthode qui semble avoir été rejetée par la
Cour suprême dans l'affaire Saskatchewan Wheat Pool. Cet
arrêt pose comme principe que pour trancher la question de
savoir si l'inexécution d'une obligation légale entraîne la res-
ponsabilité civile, il faut appliquer les principes de la common
law qui régissent la responsabilité civile plutôt que d'essayer de
découvrir l'intention du législateur. Dans la présente affaire, la
responsabilité de la Couronne ne peut être que la responsabilité
du fait d'autrui prévu à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne. Il ressort clairement du para-
graphe 4(2) que la responsabilité de la Couronne ne peut être
engagée que s'il existe une cause d'action contre un préposé de
la Couronne.
Voici les six questions soulevées à titre d'arguments au cours
du présent appel: (1) Existe-t-il suffisamment d'arguments pour
prouver qu'il y a eu négligence et établir un lien de causalité?
(2) Le Ministre ou le surintendant avait-il envers les appelants
une obligation de prudence? (3) Si une telle obligation existait
et s'il y a eu négligence, pouvait-on intenter une poursuite pour
une perte purement économique? (4) La Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne rend-elle la Couronne responsable du
dommage causé par négligence en ce qui concerne les fonctions
légales qui ont été imposées directement à un préposé de la
Couronne? (5) La Loi rend-elle la Couronne responsable d'une
perte purement économique? Et (6) en vertu de la Loi sur les
compagnies fiduciaires, le Ministre est-il un préposé de la
Couronne au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsa-
bilité de la Couronne?
(1) Nonobstant le paragraphe 71(2) de la Loi sur les compa-
gnies fiduciaires, la situation financière d'un actionnaire majo-
ritaire pourrait être prise en considération par le Ministre pour
se former une opinion aux fins de décider si la compagnie est
dans une situation financière lui permettant d'exercer les activi-
tés d'une compagnie fiduciaire. La question de savoir si on
aurait pu déceler les pratiques reprochées en examinant les
affaires d'Astra en vertu de l'article 74 ne peut être tranchée
qu'après appréciation de la preuve soumise au cours du procès.
Ces remarques s'appliquent également à la question de savoir
s'il y avait un lien de causalité suffisant entre la négligence
alléguée et la perte subie.
(2) Pour répondre à la question de savoir si en exerçant leurs
fonctions prévues par la loi, le Ministre ou le surintendant
pourrait avoir une obligation générale de prudence envers les
appelants, il faut se reporter au jugement qu'a prononcé lord
Wilberforce dans l'affaire Anns et al. v. Merton London
Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) où l'on a déclaré que
ce problème devait être abordé en deux étapes. Il faut d'abord
se demander s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la
victime un lien suffisamment étroit pour que l'auteur en ques
tion puisse raisonnablement prévoir que son imprudence était
susceptible de causer un préjudice à la victime. Si on répond
«oui» à cette question, il faut ensuite examiner les considéra-
tions qui pourraient limiter la portée de cette obligation ou la
catégorie de personnes à qui elle bénéficie. Dans la présente
affaire, la réponse à la première de ces questions dépend de ce
qui ressort des faits quant à la situation des appelants à titre.
d'investisseurs et de ce que le Ministre ou le surintendant
connaissait de la compagnie concernant les placements des
appelants. La question de savoir s'il y avait un lien suffisam-
ment étroit devait aussi être tranchée à la lumière de la preuve.
Quant à la seconde étape de l'analyse mentionnée par lord
Wilberforce, cette question doit aussi être tranchée en tenant
compte de ce qui ressort de la preuve concernant les circons-
tances qui entourent les dépôts et le rapport entre ces dépôts et
ce que le Ministre et le surintendant ont fait ou n'ont pas fait.
Une analyse des fonctions légales en cause visant à détermi-
ner si elles sont de nature politique ou opérationnelle soulève de
sérieux problèmes lorsqu'il s'agit de savoir si le fait d'exercer ou
de ne pas exercer ces fonctions pourrait en principe entraîner la
responsabilité des personnes en question. Mais, du moins en ce
qui concerne l'obligation du surintendant d'examiner les affai-
res de la compagnie et d'en faire rapport au Ministre, il n'est
pas évident que cette obligation ne pourrait en principe entraî-
ner sa responsabilité.
(3) La Cour n'a trouvé aucune décision judiciaire venant
étayer la prétention selon laquelle les seuls cas où une perte
purement économique pourrait donner ouverture à une action
en recouvrement étaient les cas de fausse représentation délic-
tuelle et d'omission délictuelle de signaler une défectuosité
dangereuse d'un produit. L'affaire Caltex Oil (Australia) Pty.
Limited v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529
(H.C. Austr.), constitue un exemple de recouvrement en raison
d'une perte purement économique bien qu'elle ne fasse pas
partie des catégories mentionnées dans les causes Hedley Byrne
ou Rivtow Marine.
(4) Il n'est pas évident qu'on doive accepter les trois argu
ments de la Couronne portant: (1) que le paragraphe 3(1) de la
Loi limite la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui à
l'égard de la négligence dans l'exercice des fonctions ou des
pouvoirs légaux aux fonctions ou pouvoirs qui sont également
conférés aux particuliers; (2) qu'une telle responsabilité est
exclue par le paragraphe 3(6); et (3) que cette responsabilité
est exclue par la doctrine australienne suivant laquelle un
employeur, notamment la Couronne, n'est pas responsable des
omissions ou des actes délictuels de son préposé dans l'exercice
d'une fonction ou d'un pouvoir discrétionnaire qui est imposé
ou conféré à ce dernier par la loi et non pas par les directives de
son employeur. On peut soutenir que le libellé du paragraphe
3(1) vise simplement à supprimer l'immunité générale de la
Couronne et que le paragraphe 3(6) s'applique aux pouvoirs
légaux mais non pas aux fonctions légales. De plus, il n'est pas
impossible qu'il vise l'autorité de la Couronne elle-même plutôt
que celle qui a été conférée à certains de ses préposés qui sont
choisis pour accomplir une fonction particulière prévue par la
loi. La doctrine a critiqué la règle australienne et celle-ci ne
devrait peut-être pas être appliquée à la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne malgré l'absence d'une disposition l'ex-
cluant de façon expresse.
(5) On a soutenu que la responsabilité délictuelle de la
Couronne doit être régie par la common law de la province où a
pris naissance la cause d'action, au moment de l'entrée en
vigueur de la Partie I de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, c'est-à-dire le 14 mai 1953 et que, à ce moment, la
common law de l'Ontario ne reconnaissait pas le droit de
poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement économique
causée par négligence. Cependant, la Cour ne connaît aucun
cas où l'on a décidé que la common law provinciale applicable à
la responsabilité légale de la Couronne devait être considérée
comme gelée à la date où la responsabilité a été créée. Il y a
une distinction importante à faire entre les modifications de la
common law et les lois votées par le législateur. On peut
prétendre que le Parlement avait l'intention de soumettre la
Couronne à la common law telle qu'elle continue d'évoluer en
matière de responsabilité délictuelle, mais uniquement à la
législation provinciale qui existait au moment où la Loi est
entrée en vigueur. On a en outre fait valoir qu'avant le juge-
ment rendu le 28 mai 1963 par la Chambre des lords dans
l'affaire Hedley Byrne, la common law ne reconnaissait pas le
droit de poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement
économique causée par négligence. Toutefois, compte tenu du
jugement rendu en 1959 par la Cour d'appel de l'Ontario dans
l'affaire Seaway Hotels v. Cragg, la date où cette notion a été
introduite dans le droit ontarien est incertaine.
(6) Bien que certaines décisions de la Cour de l'Échiquier
aient statué qu'un ministre de la Couronne n'est pas un préposé
ni un fonctionnaire de la Couronne, la Chambre des lords a
exprimé l'opinion contraire en Angleterre. On peut prétendre
que c'est ce dernier point de vue qui doit être adopté pour les
fins de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Quoi qu'il
en soit, le surintendant est à l'évidence un préposé de la
Couronne.
Le juge Urie: Comme je ne veux pas qu'on croit que je
préjuge d'une partie de l'action, je préfère ne pas commenter
ces questions ni la jurisprudence qui s'y rapporte. Bien que la
déclaration ne soit pas des plus détaillées, il n'est pas évident
que les demandeurs ne pourraient obtenir gain de cause.
Le juge suppléant Kelly: Je souscris aux motifs du juge Le
Dain ainsi qu'à sa décision portant sur le présent appel.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool,
[1983] 1 R.C.S. 205; 45 N.R. 425; Procureur général du
Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2
R.C.S. 735; Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cum-
mer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anns et al. v. Merton London Borough Council, [1978]
A.C. 728 (H.L.); Caltex Oil (Australia) Pty. Limited v.
The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529 (H.C.
Austr.); Seaway Hotels Ltd. v. Cragg (Canada) Ltd. et
al. (1959), 21 D.L.R. (2d) 264 (C.A. Ont.), confirmant
[1959] O.R. 177 (H.C. Ont.); Bank voor Handel en
Scheepvaart N.V. v. Administrator of Hungarian
Property, [1954] A.C. 584 (H.L.); Ranaweera v. Rama-
chandran, et al., [1970] A.C. 962 (P.C.).
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Cutler v. Wandsworth Stadium Ld., [1949] A.C. 398
(H.L.); Darling Island Stevedoring and Lighterage Com
pany Limited v. Long (1957), 97 C.L.R. 36 (H.C.
Austr.); Enever v. The King (1906), 3 C.L.R. 969 (H.C.
Austr.); Baume v. The Commonwealth (1906), 4 C.L.R.
97 (H.C. Austr.); Field v. Nott (1939), 62 C.L.R. 660
(H.C. Austr.); McArthur v. His Majesty The King,
[1943] R.C.É. 77; Belleau v. Minister of National
Health and Welfare, et al., [1948] R.C.É. 288.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La
Reine, [1979] 1 C.F. 39 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Welbridge Holdings Ltd. v. Metropolitan Corporation of
Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; Hedley Byrne &
Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465
(H.L.); Tremblay v. His Majesty The King, [1944]
R.C.É. 1; His Majesty The King v. Armstrong (1908), 40
R.C.S. 229; Gauthier v. His Majesty The King (1918),
56 R.C.S. 176; Schwella v. Her Majesty The Queen et
al., [1957] R.C.E. 226.
DÉCISIONS CITÉES:
Ultramares Corporation v. Touche et al., 174 N.E. 441
(N.Y. Ct. App. 1931); Rivtow Marine Ltd. v. Washing-
ton Iron Works et al., [1974] R.C.S. 1189; Haig v.
Bamford et' al., [ 1977] 1 R.C.S. 466; I Ross' v. Caunters,
[1980] Ch. 297; Barratt c. Corporation of North Van-
couver, [1980] 2 R.C.S. 418; Harris v. The Law Society
of Alberta, [1936] R.C.S. 88; Kwong et autres c. La
Reine du chef de la province de l'Alberta, [1979] 2
R.C.S. 1010; 105 D.L.R. (3d) 576, confirmant (1978), 96
D.L.R. (3d) 214 (C.S. Alb. Div. d'appel); Sommers v.
Her Majesty The Queen, [1959] R.C.S. 678; Jones et
Maheux v. Gamache, [1969] R.C.S. 119.
AVOCATS:
W. Dunlop pour les appelants (demandeurs).
P. Vita et C. Lyon pour l'intimée (défende-
resse).
PROCUREURS:
Martin Dunlop Hillyer, Burlington (Ontario),
pour les appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Je pense, comme le juge Le
Dain, que l'appel devrait être accueilli et que
l'ordonnance de la Division de première instance
[(1982), 135 D.L.R. (3d) 371] radiant la déclara-
tion devrait être annulée.
Cependant, comme je suis d'avis que ni les
parties ni le juge présidant le procès ne devraient
interpréter ce qui est dit concernant le refus d'ac-
corder une requête en radiation d'une conclusion
comme préjugeant d'une partie de l'action, je pré-
fère ne pas commenter les questions telles qu'elles
se présentent à ce stade préliminaire de l'action ni
la jurisprudence relative à ces questions. Il faut
d'abord, bien sûr, présumer que tous les faits
allégués dans la déclaration sont véridiques. Cela
étant fait, on ne peut pas, bien sûr, ne pas tenir
compte des questions ou de la jurisprudence y
afférente lorsqu'il s'agit de savoir si la requête en
radiation de la déclaration devrait être accordée ou
non. Cela étant pris en considération, je crois qu'il
me faut tout simplement appliquer le principe
général dont mon collègue le juge Le Dain a fait
mention dans ses motifs, tel qu'énoncé par le juge
Estey dans l'affaire Procureur général du Canada
c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2
R.C.S. 735, aux pages 740 et 741, c'est-à-dire que
je ne suis pas convaincu qu'il est «évident et qu'il
ne fait aucun doute, que les demandeurs ne pour-
raient obtenir gain de cause.
Je souscris au point de vue du juge Le Dain
selon lequel la déclaration «n'est pas des plus com-
plètes ni des plus détaillées» et cette lacune ne m'a
pas facilité la tâche. Je pense toutefois que cette
déclaration contient suffisamment de détails pour
que l'on puisse dire qu'elle révèle un droit d'action,
étant entendu que la défenderesse dispose de
recours pour obtenir de plus amples détails avant
de plaider, si elle juge nécessaire de le faire.
Par conséquent, l'appel devrait être accueilli et
l'ordonnance radiant la déclaration et rejetant l'ac-
tion des appelants devrait être annulée, avec
dépens en appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'une
ordonnance de la Division de première instance
rendue en vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], par laquelle la
nouvelle déclaration des appelants (ci-après appe-
lée «la déclaration») a été radiée et leur action
rejetée avec dépens pour le motif que la déclara-
tion ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
La poursuite est dirigée contre la Couronne en
raison de l'inexécution d'une obligation légale et de
la négligence de la part du ministre des Finances et
du surintendant des assurances dans l'exercice des
fonctions et des pouvoirs qui leur sont conférés par
la loi, dans le cadre de la délivrance du permis, de
l'inspection et de la réglementation de la compa-
gnie Astra Trust (ci-après appelée «Astra») sous le
régime de la Loi sur les compagnies fiduciaires,
S.R.C. 1970, chap. T-16, ladite action alléguant
que cela aurait permis à Astra d'exploiter son
entreprise d'une manière telle qu'elle a fait perdre
aux appelants tout l'argent qu'ils avaient investi
dans cette compagnie [TRADUCTION] «à titre de
placement et de dépôt».
On allègue que le ministre des Finances a fait
preuve de négligence en délivrant un permis à
Astra en vertu de l'article 71 de la Loi, étant
donné qu'il connaissait certains faits concernant la
situation financière et la conduite d'un certain
Carlo Montemurro, son [TRADUCTION] «principal
administrateur et actionnaire», qui, dit-on, n'était
pas dans une situation financière lui permettant
d'exploiter [TRADUCTION] «indirectement» une
compagnie fiduciaire. L'article 71 de la Loi prévoit
ce qui suit:
71. (1) Nulle compagnie à laquelle la présente loi s'applique
en totalité ou en partie, ou personne agissant en son nom, ne
doit faire les opérations d'une compagnie fiduciaire à moins que
la compagnie n'ait obtenu du Ministre un permis l'y autorisant.
(2) Le Ministre peut émettre en faveur de toute compagnie
qui s'est conformée à la présente loi et qui, de l'avis du
Ministre, est dans une situation financière propre à la justifier
d'entreprendre les opérations d'une compagnie fiduciaire, un
permis l'autorisant à entreprendre ces opérations.
(3) Le permis doit être suivant la formule que le Ministre
prescrit quand il y a lieu et peut contenir les restrictions ou
conditions que le Ministre peut juger convenables en conformité
des dispositions de la présente loi.
(4) Le permis expire le 31 mars de chaque année, mais peut
être renouvelé d'année en année, sauf toute réserve ou restric
tion jugée opportune, et ce permis peut, à l'occasion, être
renouvelé pour toute période inférieure à une année.
(5) Le Ministre doit faire publier, dans le premier numéro de
la Gazette du Canada du mois d'avril de chaque année, une
liste de toutes les compagnies en faveur desquelles des permis
ont été accordés comme il est susdit.
(6) Si la compagnie demande au Ministre d'émettre un
permis prévu au présent article ou de renouveler ce permis et
que le Ministre refuse cette demande, la compagnie a le droit
d'interjeter appel de la décision du Ministre au gouverneur en
conseil et ce dernier, après avoir accordé à la compagnie
l'audition qu'il juge nécessaire ou désirable, rend une décision
sur l'appel, laquelle décision est finale.
On soutient en outre que le surintendant des
assurances n'a pas rempli ou qu'il a rempli de
façon négligente la fonction qui lui est imposée par
l'article 74 de la Loi d'examiner la situation et les
affaires d'Astra et de présenter à ce sujet un
rapport au Ministre. L'article 74 est ainsi rédigé:
74. (1) Le surintendant doit, au moins une fois par année,
inspecter lui-même, ou faire inspecter par un membre dûment
qualifié de son personnel, le siège social de chaque compagnie,
examiner avec soin les états de la situation et des affaires de
chaque compagnie et présenter à ce sujet un rapport au Minis-
tre sur toutes les affaires requérant l'attention et la décision de
ce dernier.
(2) Pour les fins de cet examen, la compagnie doit, outre
l'état mentionné à l'article 72, dresser et transmettre au surin-
tendant, relativement aux opérations, finances ou autres affai-
res de la compagnie, le relevé ou les relevés que peut exiger le
surintendant, et les membres de la direction, mandataires et
employés de la compagnie doivent faire produire leurs livres à
l'inspection et par ailleurs faciliter, autant que possible, cet
examen.
(3) A la demande du surintendant, la compagnie doit remet-
tre à ce dernier une copie certifiée de ses statuts et un avis de
toute abrogation, addition ou modification de ses statuts doit
être déposé par la compagnie au bureau du surintendant dans le
mois qui suit la date de cette abrogation, addition ou
modification.
(4) Le surintendant peut interroger sous serment les mem-
bres de la direction, mandataires ou employés de la compagnie,
dans le but d'obtenir tout renseignement qu'il juge nécessaire
aux fins de cet examen.
(5) Le surintendant doit aussi préparer, d'après lesdits rele-
vés, un rapport annuel destiné au Ministre, et indiquant les
détails complets des affaires de chaque compagnie.
On prétend que l'inexécution de cette obligation
légale a permis à Astra d'exploiter son entreprise
[TRADUCTION] «d'une manière trompeuse, fraudu-
leuse et déloyale», les détails de cette exploitation
pouvant être résumés de la façon suivante. Les
employés d'Astra disaient exploiter et administrer,
à titre de division des placements hypothécaires
d'Astra, deux compagnies de courtage hypothécai-
re—Re-Mor Investment Management Corporation
(«Re-Mor»), qui était contrôlée par Montemurro,
et Via Mare Ventures Limited («Via Mare»), qui
était contrôlée par un autre administrateur d'As-
tra—même si en fait, ils exploitaient une entre-
prise de courtage hypothécaire distincte, non assu
rée et non garantie. Ils disaient que les placements
dans ces compagnies étaient aussi sûrs que les
placements dans Astra et étaient garantis par la
même assurance-dépôt. On avait recours à de la
publicité où figurait le nom d'Astra pour attirer
des clients et les inciter à investir dans Re-Mor et
Via Mare. L'argent déposé dans Astra et dont le
reçu portait le nom d'Astra, était déposé dans
Re-Mor et Via Mare. Astra acceptait les fonds à
titre de placements garantis et non garantis et les
transférait à Re-Mor et à Via Mare. Les place
ments hypothécaires de Re-Mor et de Via Mare
qui se présentaient comme la division des place
ments hypothécaires d'Astra n'étaient pas confor-
mes aux exigences de la Loi sur les compagnies
fiduciaires. Astra ne s'est pas conformée aux con
ditions de renouvellement de son permis concer-
nant la publicité et les taux d'intérêt offerts sur les
certificats. Elle a consenti des prêts à ses adminis-
trateurs et à ses cadres en violation des dispositions
de la Loi.
Il est en outre allégué que le surintendant des
assurances a fait preuve de négligence en omettant
de se faire une opinion sur l'insuffisance de l'actif
d'Astra et de faire rapport au ministre des Finan
ces à ce sujet conformément à l'article 75.1 [mod.
par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 47, art. 29; S.C.
1974-75-76, chap. 7, art. 2] de la Loi, en omettant
de faire, conformément à l'article 76 [mod. par
S.R.C. 1970 (1°r Supp.), chap. 47, art. 30], les
corrections ou les ajustements nécessaires dans son
rapport annuel sur Astra concernant les place
ments non autorisés, et en n'exigeant pas de cette
dernière qu'elle aliène et réalise les placements non
autorisés en conformité avec l'article 77. Les arti
cles 75.1, 76 et 77 prévoient ce qui suit:
75.1 (1) Le surintendant doit faire rapport au Ministre
chaque fois qu'il est d'avis
a) que la compagnie enfreint les paragraphes 70(7) ou (11)
ou a enfreint le paragraphe (14) en empruntant de l'argent
ou en acceptant des deniers en fiducie garantie;
b) que l'actif d'une compagnie n'est pas suffisant, compte
tenu de toutes les circonstances, pour assurer une protection
adéquate tant aux personnes qui ont confié à la compagnie,
aux fins de placement, des deniers dont le remboursement est
garanti par la compagnie, qu'aux créanciers de la compagnie;
ou
c) que les fonds en fiducie garantie de la compagnie, au
Canada, sont inférieurs au montant total des deniers acceptés
en fiducie au Canada, aux fins de placement, et dont le
remboursement est garanti.
(2) Lorsque le Ministre, après avoir bien étudié la question,
et après qu'il a été donné à la compagnie un délai raisonnable
pour se faire entendre, estime que la situation décrite à l'un ou
l'autre des alinéas du paragraphe (1) existe, il peut prendre
l'une des mesures suivantes:
a) il peut assortir le permis de la compagnie des restrictions
ou conditions qu'il considère appropriées;
b) il peut prescrire un délai durant lequel la compagnie doit
corriger l'irrégularité visée à l'alinéa (1)a) ou remédier au
manque ou à l'insuffisance d'actif visés à l'alinéa (1 )b) ou c);
et
c) il peut ordonner au surintendant de prendre le contrôle de
l'actif de la compagnie, de l'actif détenu en fiducie par la
• compagnie et de tout autre actif dont elle a l'administration.
(3) Si la compagnie ne corrige pas l'irrégularité visée à
l'alinéa (1)a) ou ne remédie pas à tout manque ou à toute
insuffisance d'actif visés à l'alinéa (1)b) ou c), dans le délai qui
peut lui avoir été prescrit en conformité de l'alinéa (2)b) ou
dans tout délai supplémentaire accordé subséquemment par le
Ministre, ce dernier doit ordonner au surintendant de prendre
le contrôle de l'actif de la compagnie, de l'actif détenu en
fiducie par la compagnie et de tout autre actif dont elle a
l'administration.
(4) Aux fins d'appliquer les dispositions du présent article, le
Ministre peut nommer les personnes qu'il juge à propos de
nommer pour apprécier la situation de la compagnie et faire
rapport sur sa situation et sur sa capacité de faire face à ses
obligations et garanties.
76. Dans son rapport annuel préparé pour le Ministre en
vertu de l'article 74, le surintendant doit
a) sous réserve des dispositions de l'article 68.4, n'inclure
dans l'actif que ceux des placements des diverses compagnies
qui sont autorisés par la présente loi ou qui étaient légale-
ment autorisés au moment où ils ont été faits;
b) faire toutes les corrections nécessaires dans les rapports
annuels transmis par les compagnies suivant les prescriptions
des présentes; et
c) être libre d'accroître ou de diminuer l'actif ou le passif de
ces compagnies jusqu'à concurrence des montants précis et
exacts de ces passif et actif tels qu'ils sont déterminés par lui
dans l'examen de leurs affaires à leur siège social, ou
autrement.
77. (1) Le surintendant peut exiger de toute compagnie
qu'elle aliène et réalise tout placement acquis après le 28 juin
1922, et non autorisé par la présente loi, et la compagnie doit,
dans les soixante jours après réception de cette demande,
disposer absolument desdits placements et les réaliser; et si le
montant réalisé de cette source est inférieur au montant payé
par la compagnie pour lesdits placements, les administrateurs
de la compagnie sont conjointement et solidairement responsa-
bles du paiement à la compagnie du montant de l'insuffisance.
(2) Si un administrateur, présent lors de l'autorisation de ce
placement, fait sur l'heure, ou si un administrateur alors absent
fait, dans les vingt-quatre heures après qu'il a été mis au
courant de ce placement et qu'il est en mesure d'en agir ainsi,
inscrire au procès-verbal du conseil des administrateurs sa
protestation contre ce placement, et, dans les huit jours qui
suivent, donne avis de sa protestation au surintendant par lettre
recommandée, cet administrateur peut ainsi, et non autrement,
s'exonérer de cette responsabilité.
Subsidiairement, il est allégué que si le surinten-
dant des assurances a exercé ses fonctions et ses
pouvoirs prévus par ces articles sans faire preuve
de négligence, le ministre des Finances a omis de
remplir l'obligation que lui impose l'article 75.1 en
ne révoquant pas le permis d'Astra.
Les appelants réclament la somme de 350 000 $
à titre de dommages-intérêts résultant de [TRA-
DUCTION] «pertes économiques», soit le montant
total des sommes investies et déposées dans Astra
et Re-Mor, qu'ils prétendent avoir perdues en
raison du fait que le ministre des Finances et le
surintendant des assurances ne se sont pas acquit-
tés de leurs obligations légales et ont fait preuve de
négligence dans l'exercice des fonctions et des
pouvoirs que leur attribue la loi.
La Division de première instance a radié la
déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune
cause raisonnable d'action puisque même si on
peut très bien soutenir que les dispositions de la
Loi sur les compagnies fiduciaires ont été adop-
tées dans l'intérêt des personnes telles que les
appelants, il ne ressort ni de ces dispositions ni de
l'ensemble de la Loi que le législateur avait l'inten-
tion de rendre la Couronne responsable d'une perte
purement économique.
En arrivant à cette conclusion, le juge des requê-
tes s'est fondé sur certains extraits des motifs du
jugement que j'ai prononcés dans l'affaire Lignes
aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La
Reine, [1979] 1 C.F. 39 (C.A.). Il a estimé que le
droit d'action allégué dans cette affaire était «en
tous points importants, identique» à celui qui a été
invoqué dans la présente cause. J'étais d'avis, à
tort ou à raison, que l'action dans Lignes aériennes
Canadien Pacifique se fondait sur la responsabilité
directe de la Couronne, qui est censée être créée
par la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap.
A-3, pour inexécution de l'obligation légale d'assu-
rer l'entretien des aéroports, prévue à l'article 3 de
cette Loi et non, comme en l'espèce, sur la respon-
sabilité délictuelle de la Couronne, prévue par la
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C.
1970, chap. C-38, pour la faute de ses préposés
lorsqu'ils ne s'acquittent pas de leurs obligations
légales et font preuve de négligence dans l'exercice
des fonctions et des pouvoirs que leur attribue la
loi. Quoi qu'il en soit, la méthode que j'ai adoptée
dans l'affaire Lignes aériennes Canadien Pacifique
consistait à déterminer, à la lumière du jugement
dans l'affaire Cutler v. Wandsworth Stadium Ld.,
[1949] A.C. 398 (H.L.), si le législateur entendait
créer un droit d'action privé en cas d'inexécution
de l'obligation légale prévue à l'article 3 de la Loi
sur l'aéronautique. Ce point de vue semble avoir
été rejeté par le récent jugement de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire R. du chef du
Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, rendu le 8
février 1983 et publié à [1983] 1 R.C.S. 205; 45
N.R. 425. Dans cette affaire où il devait choisir
entre les différents points de vue exprimés par la
jurisprudence concernant la responsabilité en cas
d'inexécution d'une obligation légale, le tribunal a
rejeté la notion d'un délit civil spécial de violation
d'une obligation légale et il a décidé que cette
responsabilité doit être considérée comme faisant
partie des règles de droit applicables à la négli-
gence. Voici comment le juge Dickson, qui a pro-
noncé le jugement de la Cour, a résumé ses conclu
sions sur cette question [R.C.S., aux pages 227 et
2281:
1. Les conséquences civiles de la violation d'une loi doivent être
subsumées sous le droit de la responsabilité pour négligence.
2. La notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation
légale qui donnerait droit à des dommages-intérêts sur simple
preuve d'une violation et d'un préjudice, doit être rejetée,
comme doit l'être également le point de vue selon lequel une
violation sans excuse valable constitue de la négligence en soi et
emporte responsabilité absolue.
3. La preuve de la violation d'une loi, qui cause un préjudice,
peut être une preuve de négligence.
4. L'obligation formulée dans un texte de loi peut constituer
une norme, à la fois précise et utile, de conduite raisonnable.
5. En l'espèce on n'a pas allégué qu'il y a eu négligence ni
prouvé son existence. L'action doit échouer.
Même si la question soulevée dans l'affaire Sas-
katchewan Wheat Pool était de savoir si l'inexécu-
tion d'une disposition légale dans ce cas était
suffisante en soi pour entraîner la responsabilité
sans qu'il soit nécessaire de prouver la négligence,
le juge Dickson s'est opposé, dans ses motifs, à
l'idée de vouloir déterminer si le législateur avait
l'intention de faire de l'inexécution d'une obliga
tion légale un cas de responsabilité civile. Son
point de vue sur cette question apparaît dans les
extraits suivants de son jugement [R.C.S., aux
pages 215, 216 et 226]:
Cette façon fragmentée d'aborder le problème a suscité des
difficultés tant théoriques que pratiques. On a sévèrement
critiqué l'illusion qui consiste à chercher ce qu'on a qualifié de
[TRADUCTION] «volonté chimérique», savoir l'intention inexis-
tante du Parlement de créer une cause d'action civile. Pratique
empreinte de caprice et d'arbitraire, il s'agit là de [TRADUC-
TION] «droit prétorien» de la pire espèce.
[TRADUCTION] En plus d'être une fiction inutile, cela peut
amener des décisions qui reposent sur d'insignifiants détails
de formulation plutôt que sur le fond. S'il appartient en
vérité aux cours de trancher la question de savoir si une
personne lésée par suite du manquement à une obligation
légale a le droit d'intenter une action en dommages-intérêts,
reconnaissons cet état de choses et procédons à l'élaboration
de quelques principes de droit utiles.
(Winfield & Jolowicz, précité, à la p. 159.)
Il s'agit d'une «fiction flagrante» qui va à l'encontre des règles
reçues en matière d'interprétation de lois: [TRADUCTION] «le
silence du législateur sur la question de la responsabilité civile
porte à conclure soit qu'il ne l'a pas envisagée soit qu'il l'a
omise délibérément» (Fleming, The Law of Torts, 5» éd., 1977,
à la p. 123). Glanville Williams est maintenant d'avis que
[TRADUCTION] «[l']indécision» des cours «ne fait que discrédi-
ter notre jurisprudence» et, avec égards, je suis d'accord ...
À supposer que le Parlement ait la compétence constitution-
nelle nécessaire pour prévoir que quiconque subit un préjudice
par suite d'une violation de la Loi sur les grains du Canada a
un recours civil, le fait est qu'il ne l'a pas prévu. Il a simple-
ment dit qu'une infraction à la Loi rend passible de certaines
peines déterminées. Nous devons nous abstenir de toute conjec
ture concernant l'intention inexprimée du Parlement. Lorsqu'il
s'agit de déterminer si la violation doit entraîner d'autres
conséquences juridiques, tout au plus nous pouvons examiner ce
qui est dit expressément. En faisant semblant d'interpréter la
Loi afin de décider si le Parlement a voulu créer un droit
d'intenter une action civile, on risque, comme le dit si justement
Glanville Williams, de se mettre à [TRADUCTION] «chercher ce
qui ne s'y trouve pas», (précité à la p. 244). La Loi sur les
grains du Canada n'exprime pas l'intention d'accorder des
dommages-intérêts au détenteur d'un récépissé d'élévateur ter
minus qui reçoit du grain infesté provenant d'un élévateur.
Cela indique, je pense, qu'on doit trancher la
question de savoir si l'inexécution d'une obligation
légale entraîne la responsabilité civile, dans la
mesure où elle demeure nécessairement une ques
tion de principe, non pas en se perdant en conjec
tures sur l'intention du législateur mais en appli-
quant, dans le cadre du droit public, les principes
de la common law qui régissent la responsabilité
en cas de négligence. La responsabilité ne doit pas
être considérée comme étant créée par la loi lors-
qu'il n'y a pas de disposition expresse à cet effet.
Dans la présente affaire, la responsabilité de la
Couronne, le cas échéant, est celle qui est prévue à
l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne qui est ainsi rédigé:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne...
Pour qu'il y ait responsabilité de la Couronne, il
faut que les faits allégués dans la déclaration
donnent ouverture à un droit d'action contre le
préposé de la Couronne. Cela est prévu explicite-
ment au paragraphe 4(2) de la Loi sur la respon-
sabilité de la Couronne qui prévoit ce qui suit:
4....
(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en
vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission
d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la
présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une
poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa
succession.
Les arguments présentés au cours de l'appel
soulèvent plusieurs questions qui peuvent être
regroupées en deux grandes catégories: celles qui
se rapportent à la question de savoir si, à la
lumière des allégations de fait contenues dans la
déclaration, il y aurait un droit d'action contre le
ministre des Finances ou le surintendant des assu-
rances; et celles qui se rapportent à la question de
savoir si en présumant qu'un tel droit d'action
existe contre l'un ou l'autre, la Loi sur la respon-
sabilité de la Couronne rend la Couronne respon-
sable du dommage causé par autrui à la suite d'un
tel délit. Ces questions peuvent être résumées de la
façon suivante:
1. Existe-t-il suffisamment d'allégations de fait
pertinentes pour prouver que le ministre des
Finances ou le surintendant des assurances a fait
preuve de négligence dans l'exercice des fonc-
tions et des pouvoirs que lui attribue la loi et
qu'il y a un lien de causalité entre cette négli-
gence et le préjudice?
2. Le ministre des Finances ou le surintendant
des assurances a-t-il envers les appelants une
obligation de prudence dans l'exercice de ces
fonctions et de ces pouvoirs?
3. Si on présume qu'il y avait une obligation de
prudence et qu'il y a eu négligence, l'un d'eux
pourrait-il être poursuivi pour une perte pure-
ment économique?
4. La Loi sur la responsabilité de la Couronne
rend-elle la Couronne responsable du dommage
causé par négligence en ce qui concerne les
fonctions et les pouvoirs légaux qui ont été
imposés ou conférés directement à un préposé de
la Couronne?
5. La Loi rend-elle la Couronne responsable
d'une perte purement économique?
6. Lorsqu'il exerce ses pouvoirs en vertu de la
Loi sur les compagnies fiduciaires, le ministre
des Finances est-il un préposé de la Couronne au
sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la respon-
sabilité de la Couronne?
Avant d'aborder ces questions, il faut se rappe-
ler la ligne de conduite qu'un tribunal doit suivre
lorsqu'il est saisi d'une requête visant à radier une
déclaration et à rejeter une action pour le motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac-
tion. Le juge Estey a énoncé les principes qui
doivent être pris en considération dans le jugement
de la Cour suprême du Canada dont il a rédigé les
motifs dans l'affaire Procureur général du Canada
c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2
R.C.S. 735, aux pages 740 et 741:
Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la
déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un
tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du
demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est
convaincu qu'il s'agit d'un cas «au-delà de tout doute»: Ross v.
Scottish Union and National Insurance Co. ((1920), 47 O.L.R.
308 (Div. App.)). En l'espèce, dans sa défense, Bell Canada a
soulevé une question de droit: quelle est la position du gouver-
neur en conseil lorsqu'il agit en vertu de l'art. 64 de la Loi
nationale sur les transports, précitée, et en quoi consistent le
pouvoir et la compétence du tribunal à cet égard? Aucune
plaidoirie additionnelle ni aucune preuve ne sont nécessaires
pour trancher cette question. Par conséquent, je souscris à
l'opinion du juge de première instance selon laquelle il s'agit
d'un cas où le tribunal peut à bon droit trancher pareille
question au stade préliminaire de l'action.
À ce sujet, voici ce qu'a déclaré le juge des
requêtes en se référant à cet extrait mentionné
dans l'affaire Inuit Tapirisat [à la page 3711:
Le tribunal doit trancher une telle requête en tenant pour
acquis que tous les faits allégués sont vrais, mais celle-ci ne
peut être accueillie que «dans les cas évidents et lorsqu'il [le
tribunal] est convaincu qu'il s'agit d'un cas au-delà de tout
doute». Cela ne veut pas cependant dire que le tribunal est
dispensé, lorsqu'il est saisi d'une telle requête, d'examiner les
questions juridiques complexes et d'appliquer les règles de droit
aux faits qui, à cette fin, sont présumés être vrais.
Je souscris à cette règle. Mais il doit être évident et
ne faire aucun doute, une fois les arguments pré-
sentés, que le demandeur ne pourrait obtenir gain
de cause. Sinon, il a le droit d'exiger que les
questions soient tranchées après le procès.
J'aborde la première question qui consiste à
savoir si les allégations dans les conclusions sont
suffisantes pour prouver la négligence et le lien de
causalité. J'admets que la déclaration n'est pas des
plus complètes ni des plus détaillées mais ce n'est
pas une raison pour rejeter l'action, étant donné la
possibilité d'apporter des modifications ou de four-
nir des détails. L'avocat de la Couronne a fait
valoir que les allégations de fait contenues au
paragraphe 5 de la déclaration, concernant la si
tuation financière et la conduite du principal
actionnaire d'Astra et indiquant qu'il n'était pas
dans une situation financière lui permettant d'ex-
ploiter «indirectement» une compagnie fiduciaire,
n'ont aucun rapport avec le pouvoir de délivrer un
permis en vertu du paragraphe 71(2) de la Loi sur
les compagnies fiduciaires; aux termes de ce para-
graphe, le ministre des Finances doit être d'avis
que la compagnie est dans une situation financière
lui permettant d'exercer les activités d'une compa-
gnie fiduciaire. Bien que cet argument semble être
convaincant, la situation financière et la conduite
d'un actionnaire majoritaire pourraient peut-être,
selon moi, être prises en considération par le minis-
tre des Finances pour se former une opinion aux
fins de décider si la compagnie est dans une situa
tion financière lui permettant d'exercer les activi-
tés d'une compagnie fiduciaire. Cela ne peut être
déterminé avec précision qu'à la lumière de ce que
révèle la preuve concernant le rapport, le cas
échéant, entre la situation financière et la conduite
de l'actionnaire et la situation financière de la
compagnie.
L'avocat de la Couronne a en outre prétendu
que les allégations du paragraphe 8 de la déclara-
tion concernant les liens entre l'exploitation de
l'entreprise d'Astra et Re-Mor et Via Mare n'ont
rien à voir avec les fonctions et les pouvoirs exercés
par le surintendant des assurances et le ministre
des Finances en vertu des articles 74, 75.1, 76 et
77 de la Loi sur les compagnies fiduciaires. Une
fois de plus, je pense qu'il s'agit d'une question qui
ne peut être tranchée correctement qu'à la lumière
de ce que révèle la preuve au cours du procès. La
déclaration allègue que la négligence du surinten-
dant des assurances a permis à Astra d'exploiter
son entreprise d'une façon trompeuse, frauduleuse
et déloyale, ce qui a occasionné une perte aux
appelants. On allègue en particulier que l'argent
reçu pour fins de dépôt dans Astra a été déposé
dans Re-Mor et Via Mare où il ne bénéficiait pas
de la même garantie et n'était pas protégé par la
même assurance et qu'il a été placé d'une manière
non autorisée par la Loi sur les compagnies fidu-
ciaires. La question de savoir si on aurait pu
déceler les pratiques reprochées en examinant les
affaires d'Astra en vertu de l'article 74 et la
question de savoir si ces pratiques étaient de
nature à nécessiter l'exercice des fonctions et des
pouvoirs prévus aux articles 75.1, 76 et 77 ne
peuvent, à mon avis, être tranchées adéquatement
qu'à la lumière de la preuve. Je ne suis pas prêt à
dire, à ce stade, qu'il est évident que les allégations
du paragraphe 8 n'ont aucun rapport avec l'exer-
cice de ces fonctions et pouvoirs.
Le fait de savoir s'il y avait un lien de causalité
suffisant entre la présumée négligence et le préju-
dice est également, à mon avis, une question qui ne
peut être tranchée convenablement qu'à la lumière
de la preuve. La déclaration contient une alléga-
tion générale établissant un lien de causalité. Je ne
peux dire à ce stade qu'il est évident que les
appelants ne pourraient, en fait et en droit, établir
un lien de causalité suffisant, mise à part la ques
tion de la réclamation d'une perte purement écono-
mique, entre le préjudice et les actes ou omissions
du ministre des Finances et du surintendant des
assurances.
Il s'agit ensuite de savoir si, en exerçant ces
fonctions et pouvoirs prévus par la loi, le ministre
des Finances ou le surintendant des assurances
pourrait avoir une obligation générale de prudence
envers les appelants. La façon d'aborder cette
question qui est maintenant considérée comme
particulièrement concluante et utile est énoncée
par lord Wilberforce dans l'affaire Anns et al. v.
Merton London Borough Council, [1978] A.C.
728 (H.L.) aux pages 751 et 752, où il déclare ce
qui suit:
[TRADUCTION] Les trois arrêts suivants de la présente
Cour—Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, Hedley Byrne
& Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465, et
Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office [1970] A.C. 1004, ont
établi le principe selon lequel lorsqu'il s'agit de prouver qu'il
existe une obligation de prudence dans une situation donnée, il
n'est pas nécessaire de démontrer que les faits de cette situation
sont semblables aux faits de situations antérieures où il a été
jugé qu'une telle obligation existait. Il faut plutôt aborder cette
question en deux étapes. Tout d'abord, il faut se demander s'il
existe entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a
subi le préjudice, un lien suffisamment étroit pour que l'impru-
dence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement
être perçue par celui-ci comme étant susceptible de causer un
préjudice à l'autre personne—auquel cas il y a une présomption
d'obligation de prudence. Si on répond par l'affirmative à la
première question, il faut se demander en second lieu s'il existe
des considérations qui pourraient restreindre ou limiter la
portée de cette obligation, la catégorie de personnes à qui cette
obligation bénéficie ou les dommages qui peuvent être causés
par l'inexécution de cette obligation, ou faire conclure à
l'inexistence de l'obligation, de la catégorie de personnes ou de
l'obligation de dédommager: voir l'affaire Dorset Yacht [1970]
A.C. 1004, lord Reid à la p. 1027. On en trouve des exemples
dans l'arrêt Hedley Byrne [1964] A.C. 465, où la catégorie de
demandeurs possibles se limitait aux personnes qui ont montré
qu'elles s'étaient fondées sur l'exactitude des déclarations
faites, ainsi que dans l'affaire Weller & Co. v. Foot and Mouth
Disease Research Institute [1966] 1 Q.B. 569; il y a également
les causes (que je cite simplement à titre d'illustrations, sans en
faire l'examen) qui concernent la «perte économique» où on a
limité la nature des dommages-intérêts recouvrables lorsqu'on a
jugé qu'une telle obligation existait: voir S.C.M. (United King
dom) Ltd. v. W. J. Whittall & Son Ltd. [1971] 1 Q.B. 337 et
Spartan Steel & Alloys Ltd. v. Martin & Co. (Contractors)
Ltd. [1973] Q.B. 27.
La question de savoir s'il existait entre le minis-
tre des Finances ou le surintendant des assurances
et les appelants un lien suffisamment étroit pour
créer une présomption d'obligation de prudence
dépend, au moins en partie, de ce qui ressort des
faits concernant la situation des appelants à titre
d'investisseurs ainsi que de la nature de leurs
placements et de ce que le ministre des Finances
ou le surintendant des assurances connaissait ou
pouvait connaître de la situation financière et de la
conduite de la compagnie qui pouvaient avoir un
effet sur ces placements. Les fonctions et pouvoirs
légaux invoqués par les appelants semblent avoir
été prévus, au moins en partie, pour protéger les
personnes qui confient de l'argent à une compagnie
de fiducie. En général, ces fonctions et pouvoirs
visent à faire en sorte que la compagnie conserve
des actifs suffisants pour respecter ses obligations.
Il s'agit, par conséquent, de fonctions et de pou-
voirs qui n'excluent pas, à première vue, la possibi-
lité d'une obligation générale de prudence quant à
leur exercice. La question de savoir s'il y avait un
lien suffisamment étroit entre le ministre des
Finances ou le surintendant et les appelants touche
de près la question du lien de causalité ou de
l'absence de rapport dont j'ai dit qu'elle devrait
également être tranchée à la lumière de la preuve.
Il y a en outre la question qui concerne le recou-
vrement à la suite d'une perte économique et qui
fait probablement partie de la seconde étape de
l'analyse de lord Wilberforce, cette question étant
de savoir si on doit reconnaître qu'il existe envers
une catégorie aussi importante de personnes une
obligation de prudence qui puisse entraîner une
aussi lourde responsabilité. C'est là le danger qui
découle de la responsabilité [TRADUCTION] «pour
un montant indéterminé, pour une période indéter-
minée et envers un nombre indéterminé de person-
nes» dont a parlé le juge en chef Cardozo dans
l'affaire Ultramares Corporation v. Touche et al.,
174 N.E. 441 (N.Y. Ct. App. 1931), à la page
444, cette responsabilité ayant été considérée dans
des décisions judiciaires subséquentes comme une
considération légitime de principe, surtout lorsqu'il
s'agit de cas de recouvrement à la suite d'une perte
économique. Voir, par exemple, les arrêts Rivtow
Marine Ltd. v. Washington Iron Works et al.,
[1974] R.C.S. 1189, à la page 1218; Haig v.
Bamford et al., [1977] 1 R.C.S. 466, à la page
476; Caltex Oil (Australia) Pty. Limited v. The
Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529
(H.C. Austr.), aux pages 568, 591; Ross v. Caun-
ters, [ 1980] Ch. 297, à la page 300. Il peut y avoir
une obligation de prudence envers les membres
d'une catégorie limitée qui est connue du présumé
auteur du délit ou quasi-délit: Haig v. Bamford,
précité. À mon avis, il n'est pas évident à ce stade
qu'il ne pourrait y avoir une obligation de pru
dence de la part du ministre des Finances ou du
surintendant des assurances envers les appelants à
titre de membres d'une catégorie limitée. Il fau-
drait trancher cette question en tenant compte de
ce qui ressort de la preuve concernant les circons-
tances qui entourent les dépôts des appelants et le
rapport de ces dépôts avec ce que le ministre des
Finances et le surintendant des assurances ont fait
ou n'ont pas fait.
Il faut maintenant examiner l'application aux
fonctions et pouvoirs attribués par la loi au minis-
tre des Finances et au surintendant des assurances
de certaines classifications ou distinctions qui éli-
mineraient toute responsabilité délictuelle. Il y a
tout d'abord la distinction entre les fonctions rela
tives à la politique ou à la planification et les
fonctions opérationnelles, qui a été examinée dans
l'affaire Anns et appliquée par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Barratt c. Corporation of
North Vancouver, [ 1980] 2 R.C.S. 418. La négli-
gence n'entraîne aucune responsabilité lorsqu'il
s'agit de fonctions relatives à la politique ou à la
planification impliquant des décisions discrétion-
naires en matière d'allocation de ressources. D'au-
tre part, la négligence dans l'exécution de ces
décisions au niveau opérationnel peut entraîner la
responsabilité de l'auteur. Dans la cause moins
récente de Welbridge Holdings Ltd. v. Metropoli
tan Corporation of Greater Winnipeg, [1971]
R.C.S 957, la Cour suprême du Canada a établi
une distinction essentiellement identique, même si
ce fut en des termes quelque peu différents, entre
les fonctions d'une municipalité exercées au niveau
législatif ou quasi judiciaire et les fonctions exer-
cées au niveau opérationnel, qu'on a appelées pou-
voirs «administratifs» ou «relatifs aux affaires». En
ce qui concerne certains des pouvoirs et fonctions
du ministre des Finances et du surintendant des
assurances, l'avocat de la Couronne s'est fondé
d'une façon toute particulière sur le principe établi
dans l'affaire Welbridge selon lequel l'exercice de
pouvoirs quasi judiciaires n'entraîne aucune res-
ponsabilité délictuelle en l'absence d'intention de
causer un préjudice ou de mauvaise foi. Voir égale-
ment l'affaire Harris v. The Law Society of
Alberta, [1936] R.C.S. 88. L'affaire Anns a égale-
ment établi le principe selon lequel il faut démon-
trer que l'acte reproché a été accompli hors des
limites du pouvoir discrétionnaire exercé de bonne
foi pour qu'il y ait obligation de prudence dans
l'exercice d'une fonction discrétionnaire au niveau
opérationnel. Il y a enfin la distinction entre l'exé-
cution fautive et l'inexécution pure et simple, à
laquelle on continue d'avoir recours pour invoquer
l'absence de responsabilité (voir par exemple l'af-
faire Kwong et autres c. La Reine du chef de la
province de l'Alberta (1978), 96 D.L.R. (3d) 214
(C.S. Alb. Div. d'appel), confirmée par [ 1979] 2
R.C.S. 1010; 105 D.L.R. (3d) 576), même si dans
l'affaire Anns, il a été décidé qu'il peut y avoir
responsabilité si on n'examine pas correctement la
question de savoir s'il y a lieu d'exercer un pouvoir
légal.
Il convient tout d'abord d'examiner les fonctions
et les pouvoirs du surintendant des assurances à la
lumière de ces principes. Étant entendu que la
distinction entre les fonctions de nature politique
et les fonctions opérationnelles s'applique tant aux
fonctions légales qu'aux pouvoirs légaux, les fonc-
tions du surintendant des assurances qui, en vertu
de l'article 74 de la Loi sur les compagnies fidu-
ciaires, doit examiner ou faire examiner les affai-
res de la compagnie et présenter à ce sujet un
rapport au ministre des Finances sont manifeste-
ment, à mon avis, de nature opérationnelle. Dans
la mesure où l'article 74 comporte un pouvoir
discrétionnaire en ce qui concerne la nature et la
portée de l'examen qui doit être effectué, il faut
s'en reporter à la preuve pour déterminer s'il y a eu
négligence dans l'exercice de ce pouvoir discrétion-
naire, en gardant à l'esprit la condition relative à
l'ultra vires énoncée dans l'affaire Anns. À mon
avis, les fonctions du surintendant des assurances
qui consistent à décider si l'une ou l'autre des
circonstances ou des conditions décrites aux ali-
néas a), b) et c) de l'article 75.1 existe, à en faire
rapport au ministre des Finances, et à faire, en
vertu de l'article 76, les corrections ou les ajuste-
ments dans les états financiers de la compagnie
lorsqu'il soumet son rapport annuel au Ministre,
sont également de nature opérationnelle. On a
prétendu que ces corrections ou ces ajustements
sont de nature quasi judiciaire, compte tenu de
leur nature et de leur effet et du fait que l'article
78 de la Loi prévoit qu'ils peuvent faire l'objet
d'un appel devant la Cour fédérale. Il n'est pas
évident, toutefois, que le surintendant des assuran
ces soit tenu de fournir à la compagnie l'occasion
d'être entendue avant de rendre une décision visée
à l'article 76. Le paragraphe 78(2) stipule que
lorsqu'il y a appel devant la Cour fédérale, le
surintendant doit, à la demande de la compagnie,
lui délivrer un certificat énonçant la décision dont
il est interjeté appel et les raisons en l'espèce. Ce
paragraphe laisse plutôt entendre que l'audience
relative à cette décision doit avoir lieu au moment
de l'appel. Le pouvoir du surintendant des assuran
ces d'ordonner l'aliénation des actifs, prévu à l'ar-
ticle 77, est manifestement de nature discrétion-
naire, bien qu'à mon avis, il soit exercé au niveau
opérationnel. La question de savoir s'il pourrait y
avoir responsabilité lorsqu'on omet, par négli-
gence, d'exercer ce pouvoir dépend de l'application
de la distinction entre l'exécution fautive et
l'inexécution pure et simple ou du principe énoncé
dans l'affaire Anns selon lequel il faut se demander
si un pouvoir doit être exercé en tenant compte de
ce qu'indique la preuve au sujet des circonstances
qui pourraient nécessiter l'exercice de ce pouvoir et
de la réaction du surintendant à ces circonstances.
Pour établir la responsabilité du ministre des
Finances, on invoque son pouvoir de délivrer un
permis en vertu de l'article 71 et de prendre certai-
nes mesures correctives en vertu du paragraphe
75.1(2), lorsque le surintendant des assurances lui
fait un rapport établissant l'existence de l'une des
situations décrites aux alinéas a), b) et c) du
paragraphe 75.1(1). Malgré les conditions spéci-
fiées au paragraphe 71(2), il semblerait que le
pouvoir de délivrer un permis comporte un élément
de discrétion de nature politique. C'est ce qu'on
peut déduire de l'existence d'un appel devant le
gouverneur en conseil du refus du Ministre de
délivrer ou de renouveler un permis. Mis à part les
problèmes du lien de causalité et de la prévisibilité
en ce qui concerne le rapport entre le pouvoir de
délivrer un permis et la perte des sommes investies
dans la compagnie, je doute sérieusement que le
fait d'exercer ce pouvoir de façon négligente
puisse, en principe, entraîner la responsabilité
délictuelle. Mais une fois de plus, je pense qu'il
s'agit là d'une question qui devrait être tranchée
après le procès, à la lumière de ce qui ressort de la
preuve en ce qui concerne la façon dont le pouvoir
a été exercé. Selon moi, il n'est pas évident à ce
stade qu'il ne pourrait d'aucune façon y avoir
responsabilité. L'allégation de la déclaration con-
cernant les pouvoirs du Ministre prévus à l'article
75.1 est quelque peu ambiguë. Cette allégation
porte que si le surintendant des assurances a
exercé ses fonctions et pouvoirs sans faire preuve
de négligence, le ministre des Finances, lui, s'est
rendu coupable d'un manquement en ne révoquant
pas le permis de la compagnie. Mise à part la
question de savoir si la révocation du permis d'une
compagnie constitue, sur le plan technique, l'une
des mesures qui peuvent être prises par le Ministre
en vertu du paragraphe 75.1(2), ou peut nécessai-
rement être une conséquence de l'une de ces mesu-
res, il faut se demander si le Ministre est tenu de
prendre une telle mesure lorsqu'il est d'avis qu'il
s'agit d'une situation décrite aux alinéas a), b) ou
c). Il semble que ce pouvoir soit facultatif. Cette
conclusion est appuyée par le fait que le paragra-
phe 75.1(3) prévoit que lorsque la compagnie
néglige de corriger une situation décrite aux ali-
néas a), b) et c) dans les délais prescrits par le
Ministre, celui-ci «doit» ordonner au surintendant
de prendre le contrôle de l'actif de la compagnie.
Je conclus donc que les pouvoirs attribués au
Ministre par les alinéas a), b) et c) du paragraphe
75.1(2) sont de nature discrétionnaire. Il semble en
outre qu'ils soient de nature quasi judiciaire, ce qui
découle de leur nature et de leurs conséquences
ainsi que de l'obligation pour le Ministre de donner
à la compagnie la possibilité d'être entendue.
Cette façon de qualifier les fonctions et les
pouvoirs du surintendant des assurances et du
ministre des Finances soulève de sérieux problèmes
lorsqu'il s'agit de savoir si le fait de les exercer ou
de ne pas les exercer pourrait en principe entraîner
leur responsabilité. Il faut souligner qu'il n'y a
dans la déclaration aucune allégation d'une inten
tion de causer un préjudice ou de mauvaise foi et il
n'est même pas allégué qu'en exerçant leurs pou-
voirs discrétionnaires, le surintendant des assuran
ces ou le ministre des Finances ont excédé les
limites de ces pouvoirs. Je crois cependant qu'en ce
qui concerne au moins l'obligation du surintendant
des assurances d'examiner ou de faire examiner les
affaires de la compagnie et de faire rapport au
Ministre à ce sujet, il n'est pas évident qu'en raison
de la nature de cette obligation, un acte ou une
omission relative à cette dernière ne pourrait en
principe entraîner leur responsabilité. En ce qui
concerne l'omission d'exercer les différents pou-
voirs prévus par la loi, je pense qu'on devrait
pouvoir se demander, à la lumière de ce qui ressort
de la preuve, si le fait de ne pas avoir examiné
attentivement la question de savoir si ces pouvoirs
devaient être exercés constitue une négligence don-
nant droit à une poursuite. Il faut en outre se
rappeler qu'en ce qui concerne la responsabilité de
la Couronne du fait d'autrui, il suffit qu'il y ait
une cause raisonnable d'action contre le surinten-
dant des assurances ou le ministre des Finances.
La question suivante est de savoir si, en principe,
une perte purement économique pourrait donner
ouverture à une action en recouvrement, si on
suppose que le ministre des Finances ou le surin-
tendant des assurances avait une obligation de
prudence envers les appelants et qu'il ne s'est pas
acquitté de cette obligation. L'avocat de la Cou-
ronne a soutenu que les cas où une perte économi-
que qui ne découle pas d'une blessure ou d'un
dommage matériel pourrait donner ouverture à
une action en recouvrement se limitaient à ceux
qui ont été décrits dans les affaires Hedley Byrne
& Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C.
465 (H.L.) et Rivtow Marine, précitée: fausse
représentation délictuelle et omission délictuelle de
signaler une défectuosité dangereuse d'un produit.
À mon avis, aucune décision judiciaire subsé-
quente portant sur cette question ne laisse enten-
dre qu'en principe, il ne pourrait y avoir recouvre-
ment à la suite d'une perte purement économique
que dans ces cas. Dans l'affaire Agnew-Surpass
Shoe Stores Ltd. c. Cummer-Yonge Investments
Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221, à la page 252, voici
l'observation générale qui a été faite au sujet de la
portée de l'affaire Rivtow Marine: «Il est mainte-
nant établi, par l'arrêt de cette Cour Rivtow
Marine Ltd. v. Washington Iron Works et al.
([1974] R.C.S. 1189) que le recouvrement de la
perte économique causée par la négligence est
admis même sans recouvrement pour dommages
matériels.» Il semble que la question de savoir si un
tel recouvrement sera autorisé dans un cas particu-
lier de négligence dépend de l'application de prin-
cipes ou de considérations d'ordre général, sans
qu'il faille se limiter à certaines catégories ou à
certains types de cas. Ces principes et ces considé-
rations sont très bien expliqués dans l'affaire
Caltez Oil, précitée, qui elle-même constituait un
exemple de recouvrement résultant d'une perte
purement économique dans un cas qui ne faisait
pas partie des catégories mentionnées dans les
causes Hedley Byrne et Rivtow Marine. Que la
question soit abordée du point de vue de l'obliga-
tion de prudence ou du degré d'éloignement du
dommage ou, en général, comme une question de
principe, il ne me paraît pas évident à ce stade-ci
qu'on doive, en principe, exclure la possibilité d'un
tel recouvrement dans le présent cas. Une fois de
plus, il s'agit, à mon avis, d'une question qui
devrait être tranchée au moment du procès à la
lumière de ce qui ressort de la preuve concernant
le rapport entre la perte subie par les appelants et
les actes ou omissions du ministre des Finances et
du surintendant des assurances.
Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'est pas
évident qu'il ne pourrait y avoir une cause raison-
nable d'action contre le surintendant des assuran
ces ou le ministre des Finances.
J'examinerai maintenant les questions soulevées
concernant la responsabilité du fait d'autrui prévue
par la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
La première de ces questions est de savoir si la
Loi rend la Couronne responsable d'un dommage
causé par la négligence de l'un de ses préposés
dans l'exercice des fonctions et des pouvoirs, qui
lui ont été imposés ou conférés directement par
une loi. Pour faire valoir que la Loi ne lui impute
pas une telle responsabilité, l'avocat de la Cou-
ronne s'est fondé sur les trois arguments suivants:
a) tout d'abord, les termes «dont elle serait respon-
sable, si elle était un particulier majeur et capable»
utilisés au paragraphe 3(1) de la Loi limitent la
responsabilité de la Couronne du fait d'autrui, à
l'égard de la négligence dans l'exercice des fonc-
tions ou des pouvoirs légaux, aux fonctions ou
pouvoirs qui sont également imposés ou conférés
aux particuliers; b) cette responsabilité est exclue
par le paragraphe 3(6) de la Loi et en particulier
par les termes suivants «Rien dans le présent arti
cle ne rend la Couronne responsable à l'égard d'un
acte ou d'une omission résultant de l'exercice d'un
pouvoir ou d'une autorité qui ... aurait pu être
exercé en vertu ... d'une loi»; et c) cette responsa-
bilité est exclue par la doctrine que l'on trouve
dans les causes australiennes de Darling Island
Stevedoring and Lighterage Company Limited v.
Long (1957), 97 C.L.R. 36 (H.C.); Enever v. The
King (1906), 3 C.L.R. 969 (H.C.); Baume v. The
Commonwealth (1906), 4 C.L.R. 97 (H.C.); et
Field v. Nott (1939), 62 C.L.R. 660 (H.C.); sui-
vant cette doctrine, un employeur, notamment la
Couronne, n'est pas responsable des actes ou des
omissions délictuelles de son préposé dans l'exer-
cice d'une fonction ou d'un pouvoir discrétionnaire
autonome qui est imposé ou conféré directement à
ce dernier par la loi et non par les directives de son
employeur.
À mon avis, il n'est pas évident que ces argu
ments de la Couronne soient bien fondés et compte
tenu de la conclusion concernant le premier groupe
de questions, il appartiendrait au tribunal de pre-
mière instance de trancher ces questions à la
lumière de ce qui ressort de l'ensemble des conclu
sions et de la preuve concernant le rapport exact
entre la présumée négligence d'une part et les
fonctions et les pouvoirs légaux en question d'autre
part. À mon avis, on peut soutenir que les termes
«dont elle serait responsable, si elle était un parti-
culier majeur et capable" utilisés à l'article 3 de la
Loi sur la responsabilité de la Couronne sont une
simple formule qui vise à supprimer l'immunité
générale de la Couronne et à indiquer que celle-ci
est responsable d'un délit au même titre qu'un
particulier majeur et capable, et non à limiter les
situations, prévues par la Loi, où la Couronne peut
devenir responsable, aux cas où un particulier
pourrait devenir responsable. Il convient de se
référer aux présomptions implicites découlant des
paragraphes 2(2) et 2(3) de la loi du Royaume-
Uni intitulée Crown Proceedings Act, 1947 [10
& 11 Geo. 6, chap. 44] quant à l'effet de ces
termes utilisés au paragraphe 2(1), et à l'opinion
exprimée dans l'ouvrage de Hogg, Liability of the
Crown, pages 69 et 102, selon laquelle la législa-
tion du Royaume-Uni ne prévoit aucune limite à la
responsabilité de la Couronne du fait d'autrui en
cas d'inexécution d'une obligation légale. En ce qui
concerne le paragraphe 3(6) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, on peut prétendre
qu'il s'applique aux pouvoirs légaux mais non aux
fonctions légales et qu'en outre, il distingue le
pouvoir ou l'autorité de la Couronne elle-même, tel
que la prérogative et l'autorité légale, qui doit être
considéré comme étant conféré à la Couronne, de
celui qui est accordé à certains préposés de cette
dernière qui sont choisis pour accomplir une fonc-
tion particulière prévue par la loi. L'application à
la Couronne de la règle relative aux fonctions ou
aux pouvoirs discrétionnaires autonomes énoncée
dans les causes australiennes est exclue par le
paragraphe 2(3) de la loi du Royaume-Uni intitu-
lée Crown Proceedings Act, 1947 et par le para-
graphe 5(3) de la loi ontarienne intitulée Loi sur
les actions contre la Couronne, R.S.O. 1980, chap.
393. Cette règle, appliquée à la responsabilité de la
Couronne, a été vivement critiquée (voir Hogg, op.
cit., pages 104, 107 et 108), et on peut prétendre, à
mon humble avis, qu'elle ne devrait pas s'appliquer
sous le régime de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, malgré l'absence d'une disposition sem-
blable à celle que l'on trouve dans les lois du
Royaume-Uni et de l'Ontario, qui exclut expressé-
ment cette règle.
La deuxième question concernant la responsabi-
lité de la Couronne du fait d'autrui est de savoir si
la Loi sur la responsabilité de la Couronne rend
celle-ci responsable d'une perte purement économi-
que. L'avocat de la Couronne a prétendu que non
en alléguant que la responsabilité délictuelle de la
Couronne est régie par la common law de la
province où le droit d'action a pris naissance, au
moment où la Partie I de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne a pris effet, c'est-à-dire le 14
mai 1953, et qu'à cette époque, la common law de
l'Ontario ne reconnaissait pas le droit d'intenter
une poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte pure-
ment économique causée par négligence.
En ce qui concerne le premier argument, il
existe un certain nombre de décisions qui se fon-
dent sur les dispositions de l'ancienne Loi sur la
Cour de l'Échiquier [S.R.C. 1970, chap. E-11]
prévoyant la responsabilité délictuelle de la Cou-
ronne; il a été jugé dans ces affaires que la respon-
sabilité de la Couronne devait être déterminée par
le droit applicable dans la province où le délit avait
été commis, y compris toute loi provinciale perti-
nente qui était en vigueur au moment où la respon-
sabilité de la Couronne a été instaurée, sauf si
cette loi provinciale était contraire aux dispositions
de la Loi sur la Cour de l'Échiquier ou visait à
imposer à la Couronne une responsabilité diffé-
rente de celle qui était prévue par cette Loi. Voir
en particulier l'affaire Tremblay v. His Majesty
The King, [1944] R.C.E. 1, qui a appliqué les
arrêts His Majesty The King v. Armstrong (1908),
40 R.C.S. 229 et Gauthier v. His Majesty The
King (1918), 56 R.C.S. 176. Même si dans ces
arrêts, on s'est référé en termes généraux au droit
provincial applicable, il semble qu'on se soit
demandé si une loi provinciale particulière portant
sur la responsabilité délictuelle s'appliquait à la
responsabilité de la Couronne fédérale. Il a été
jugé que le législateur a présumé que cette respon-
sabilité devait être déterminée par le droit provin
cial, y compris les lois provinciales pertinentes qui
étaient en vigueur au moment où la Couronne a
été assujettie aux règles de la responsabilité, mais
que les lois provinciales adoptées subséquemment
ne pouvaient valablement toucher à la responsabi-
lité de la Couronne fédérale à moins qu'elles
n'aient été adoptées par le Parlement. L'affaire
Schwella v. Her Majesty The Queen et al., [1957]
R.C.É. 226, où il a été question du droit qui
déterminait la responsabilité en vertu de l'alinéa
3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne soulevait également la question de l'applica-
tion de la Negligence Act de la province de l'Onta-
rio. Je ne connais aucun cas où on laisse entendre
que la common law provinciale, applicable aux
catégories de responsabilité de la Couronne créées
par les dispositions de la Loi sur la Cour de
l'Échiquier ou de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, devait être considérée comme gelée à la
date où la responsabilité a été créée. En ce qui
concerne l'intention qui doit être attribuée au
législateur quant aux règles de droit qui doivent
déterminer l'étendue de la responsabilité, il y a une
différence importante entre les modifications ou
les développements de la common law et les dispo
sitions législatives. À mon avis, on peut prétendre
que la Loi sur la responsabilité de la Couronne
visait à soumettre celle-ci à la common law telle
qu'elle continue d'évoluer en matière de responsa-
bilité délictuelle, mais uniquement à la législation
provinciale qui existait au moment où la Loi est
entrée en vigueur.
La Couronne allègue en second lieu qu'avant le
jugement de la Chambre des lords rendu le 28 mai
1963 dans l'affaire Hedley Byrne & Co. Ltd. v.
Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, la
common law ne reconnaissait pas le droit de pour-
suite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement éco-
nomique causée par négligence. Voir l'article de
Harvey intitulé «Economic Losses and Negligence»
(1972), 50 R. du B. Can. 580, à la page 581:
[TRADUCTION] «Avant l'affaire Hedley Byrne &
Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., il était généra-
lement admis, comme s'il s'agissait d'une règle de
droit, que la responsabilité en cas de négligence ne
s'étendait pas à une perte purement économique.»
En 1959 toutefois, dans l'affaire Seaway Hotels
Ltd. v. Cragg (Canada) Ltd. et al. (1959), 21
D.L.R. (2d) 264, confirmant [1959] O.R. 177, la
Cour d'appel de l'Ontario a confirmé un jugement
de la Haute Cour qui avait adjugé des dommages-
intérêts en compensation d'une perte purement
économique causée par négligence. Même si, dans
cette affaire, il y avait également des dommages
matériels, on a considéré que la perte économique
ne découlait pas de ces dommages matériels. Voir
Caltez Oil (Australia) Pty. Limited v. The Dredge
«Willemstad», précité, aux pages 548, 549 et 586.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette décision
rend incertain le moment où la common law de
l'Ontario est censée avoir accordé le droit au
dédommagement en cas de perte purement écono-
mique causée par négligence.
La troisième question concernant la responsabi-
lité de la Couronne du fait d'autrui est de savoir si
le ministre des Finances est un préposé de la
Couronne au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur
la responsabilité de la Couronne. L'avocat de la
Couronne prétend que non en se fondant sur les
décisions de la Cour de l'Échiquier portant qu'un
ministre de la Couronne n'était pas un préposé ni
un fonctionnaire de la Couronne au sens des dispo
sitions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier qui
rend la Couronne responsable du fait d'autrui et
prévoit que la Cour a compétence dans «les cas où
une demande est faite ou un recours est cherché
contre un fonctionnaire de la Couronne pour une
chose faite ou omise dans l'accomplissement de ses
devoirs comme tel». Voir en particulier les affaires
McArthur v. His Majesty The King, [ 1943]
R.C.É. 77; Belleau v. Minister of National Health
and Welfare, et al., [1948] R.C.É. 288. La Cour
suprême du Canada a jugé qu'un ministre de la
Couronne était un fonctionnaire de la Couronne à
certaines fins. Voir les arrêts Sommers v. Her
Majesty The Queen, [ 1959] R.C.S. 678; Jones et
Maheux v. Gamache, [ 1969] R.C.S. 119. Même si
dans ces arrêts, on a cité les causes de McArthur
et Belleau, la Cour ne s'est pas prononcée sur le
bien-fondé de ces décisions dans leur contexte
législatif particulier. En Angleterre, les tribunaux
ont exprimé un point de vue tout à fait contraire à
celui de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire
McArthur, en disant que même s'il est un conseil-
ler de la Couronne, un ministre de la Couronne est
un préposé de cette dernière. Voir les affaires
Bank voor Handel en Scheepvaart N.V. v. Admi
nistrator of Hungarian Property, [1954] A.C. 584
(H.L.), lord Reid à la page 615, et Ranaweera v.
Ramachandran, et al., [ 1970] A.C. 962 (P.C.),
lord Diplock [dissident] à la page 973. Celui-ci
s'est référé au paragraphe 38(2) de la loi intitulée
Crown Proceedings Act, 1947 où la définition du
terme [TRADUCTION] «fonctionnaire» semble pré-
sumer que du point de vue de la common law, un
ministre de la Couronne est un préposé de cette
dernière. Cette définition est ainsi rédigée: [TRA-
DUCTION] «"Fonctionnaire", en relation avec la
Couronne, désigne un préposé de Sa Majesté et
par conséquent (mais sans limiter la généralité de
ce qui précède), il inclut un "ministre de la Cou-
ronne"» (les italiques sont de moi). À mon humble
avis, on peut prétendre que c'est le point de vue qui
devrait être adopté pour les fins de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne. Quoi qu'il en soit,
l'argument de la Couronne à cet égard, même s'il
est bien fondé, n'exclut pas la possibilité de la
responsabilité de la Couronne du fait d'autrui pour
le présumé délit du surintendant des assurances,
qui est manifestement un préposé de la Couronne.
Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'est pas
évident à ce stade que les appelants n'ont aucun
droit d'action contre l'intimée. Par conséquent,
j'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance de
la Division de première instance et je rejetterais la
demande d'ordonnance visant à radier la déclara-
tion et à rejeter l'action, le tout avec dépens en
appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Même si, en sta-
tuant sur une requête en radiation de la déclara-
tion, on éprouve une réticence bien compréhensible
à dire quoi que ce soit qui pourrait être interprété
comme préjugeant d'une partie d'une action sur
laquelle un juge de première instance peut devoir
subséquemment se prononcer, je ne crois pas qu'il
faille, dans tous les cas, trancher par une simple
autorisation ou un simple refus, une requête visant
à radier une déclaration parce qu'elle ne révélerait
aucune cause raisonnable d'action.
Quel que soit le sort de la requête, les questions
en litige seront, en tout ou en partie, tranchées de
façon définitive. Comme l'a déclaré le juge des
requêtes, le tribunal n'est pas dispensé «lorsqu'il
est saisi d'une telle requête, d'examiner les ques
tions juridiques complexes et d'appliquer les règles
de droit aux faits qui, à cette fin, sont présumés
être vrais».
Il s'ensuit, semble-t-il, que dans les cas où la
décision relative à une requête implique des ques
tions juridiques complexes, il est dans l'intérêt des
parties et des plaideurs éventuels que la Cour ne
s'abstienne pas de formuler son point de vue sur les
questions auxquelles on lui demande de répondre.
Il va de soi que les questions soumises à cette
Cour dans la présente action sont complexes.
Quant au caractère définitif de la décision portant
sur la requête, si celle-ci est accueillie, le même
droit d'action ne pourra de nouveau être invoqué
devant un tribunal; si elle est rejetée, les questions
de droit soulevées à l'appui de la requête auront
été tranchées irrévocablement à ce stade et les
mêmes questions de droit ne pourront être soule-
vées à l'instruction de l'affaire.
Étant donné qu'une telle requête précède la
production de tout élément de preuve et qu'elle
dépend uniquement de l'exactitude présumée des
faits invoqués, la Cour doit tenir pour acquis que
chacun des faits invoqués a été prouvé et qu'il n'y
a pas de circonstances justificatives qui ne sont pas
établies par les allégations contenues dans la décla-
ration. A plusieurs égards, ce genre de requête
n'est qu'une variante de la décision rendue, avant
l'instruction, sur un point de droit et il produit les
mêmes effets.
Vu l'absence de faits sur lesquels devrait se
prononcer le juge qui entend la requête, celui-ci a
pour seule fonction d'entendre les arguments et
d'appliquer les règles de droit pertinentes, et il ne
peut radier la déclaration que s'il est d'avis qu'à la
lumière des faits allégués, le droit d'action invoqué
ne repose sur aucun fondement.
Lorsqu'un requérant (défendeur) produit une
requête qui demande le rejet d'une action pour le
motif que la déclaration ne révèle aucun droit
d'action, c'est à lui qu'il incombe de faire valoir, à
l'aide d'arguments juridiques, son droit d'être dis-
pensé de contester, à l'instruction, l'action intentée
contre lui par l'intimé parce que, soutient-il, le
droit d'action invoqué ne repose sur aucun fonde-
ment juridique. Le requérant demande donc
qu'une décision soit rendue, avant l'instruction, sur
une ou plusieurs questions de droit qui, de l'avis de
son avocat, devraient normalement être soumises
au juge de première instance, une fois l'ensemble
de la preuve présentée; ce faisant, le requérant
demande et accepte que ces questions de droit
soient tranchées au cours des procédures prélimi-
naires et il ne pourra, si sa requête est rejetée,
soulever les mêmes questions de droit au cours du
procès.
Il ne fait aucun doute que normalement, les
dépositions fournies à l'instruction compléteront ou
modifieront les faits relatifs à la réclamation qui
sont invoqués dans la déclaration, de sorte que la
question soumise au juge de première instance ne
sera pas identique à celles qui auront été tranchées
à la suite de la requête; mais s'il n'y a pas de
variante entre les faits invoqués dans la déclaration
relativement à une question de droit particulière et
ceux que constate le juge de première instance
agissant à titre de juge des faits, relativement à la
même question de droit, chacune des questions de
droit soulevée par le requérant dans le cadre de ces
procédures préliminaires aura fait l'objet d'une
décision judiciaire et ne pourra être soulevée de
nouveau par celui-ci.
Étant donné le point de vue exprimé ci-dessus au
sujet de la nature des procédures et la complexité
indubitable des questions qui ont été soumises à la
Cour dans le cadre de l'argumentation présentée à
l'appui de la requête, je suis d'avis que dans un cas
comme celui-ci, il convient qu'un membre de la
Cour motive ses conclusions et ne tranche pas
l'appel sans mentionner ou commenter les ques
tions de droit débattues devant la Cour.
De toute évidence, on vise, par ces motifs, à
examiner uniquement les questions de droit qui ont
été soulevées pour être tranchées; ces motifs ne
doivent pas être interprétés comme un moyen
d'examiner ou de commenter les questions de fait
puisque ce serait empiéter sur les prérogatives du
juge de première instance.
Je souscris aux motifs de jugement de mon
collègue Le Dain, ainsi qu'à sa décision portant sur
le présent appel.
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