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A-355-82
David Baird, Elizabeth Baird, George A. Bayley, Neil Baylor, Frederick Field, Marion Field, Ron Forbes, Edward Kuta, Mira Kuta, Alexander Leblovic, Carlo Lemma, Brian Moar, Marianne Moar, Frances Salvo, Mark Smith fils, Pauline Smith, Bruce Wilson et John Gatecliffe (appe- lants) (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada représentée . .par le procureur général du Canada (intimée) (défende-
resse)
Cour d'appel, juges Urie et Le Dain, juge sup pléant Kelly—Toronto, 18 octobre 1982; Ottawa,
23 juin 1983.
Couronne Responsabilité délictuelle Négligence Inexécution d'une obligation légale Les demandeurs ont perdu l'argent qu'ils avaient investi dans une compagnie fidu- ciaire La compagnie aurait exploité son entreprise de manière frauduleuse L'argent déposé dans la compagnie fiduciaire était déposé dans une entreprise hypothécaire non assurée Obligations légales du surintendant des assurances et du ministre des Finances Le surintendant a omis de se former une opinion sur la suffisance de l'actif de la compagnie fiduciaire Le Ministre n'a pas révoqué le permis de la compagnie Appel de la radiation de la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action Appel accueilli La Cour doit non pas se demander si le législateur a eu l'intention de créer un droit d'action en raison de l'inexé- cution d'une obligation légale mais appliquer les principes de la common law en matière de négligence Les allégations contenues dans les conclusions suffisent à prouver la négli- gence et le lien de causalité Existe-t-il une obligation de prudence? Une perte purement économique peut-elle donner ouverture à une action en recouvrement? La Loi sur la responsabilité de la Couronne rend-elle la Couronne responsa- ble du dommage causé par négligence en ce qui concerne les fonctions légales imposées directement à un préposé de la Couronne? La Loi rend-elle la Couronne responsable d'une perte purement économique? Le Ministre est-il un préposé de la Couronne? Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, art. 3 Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1)a),(6), 4(2) Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1970, chap. E-11 Loi sur les compa- gnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16, art. 71, 74, 75.1 (mod. par S.R.C. 1970 (1M Supp.), chap. 47, art. 29; S.C. 1974-75-76, chap. 7, art. 2), 76 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 47, art. 30), 77, 78 Loi sur les actions contre la Couronne, R.S.O. 1980, chap. 393, art. 5(3) Crown Proceedings Act, 1947, 10 & 11 Geo. 6, chap. 44 (R.-U.), art. 2, 38(2).
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Décla- ration radiée parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action Appel de la radiation La question porte sur la responsabi- lité de la Couronne lorsqu'il y a négligence ou inexécution d'une obligation légale de la part du ministre des Finances ou
du surintendant des assurances et que des investisseurs dans une compagnie fiduciaire perdent de l'argent en raison d'une conduite qu'on prétend être frauduleuse Il n'est pas clair et évident que les demandeurs ne pouvaient avoir gain de cause Appel accueilli Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1 Ja).
Une action a été engagée contre la Couronne en raison de l'inexécution d'une obligation légale et de la négligence du ministre des Finances et du surintendant des assurances dans l'exercice de leurs obligations légales. On a allégué que la compagnie Astra Trust a été autorisée à exploiter son entre- prise d'une manière telle que les appelants ont perdu l'argent qu'ils y avaient investi. Astra aurait exploité son entreprise de manière frauduleuse parce que ses employés disaient que Re-Mor et Via Mare étaient une division des placements hypothécaires d'Astra alors qu'ils exploitaient en fait une entre- prise de courtage hypothécaire distincte non assurée. L'argent déposé dans Astra était déposé dans les compagnies hypothécai- res. On a allégué que le surintendant des assurances a fait preuve de négligence en omettant (1) d'inspecter les affaires d'Astra conformément à l'article 74 de la Loi, (2) de se former une opinion sur l'insuffisance de l'actif d'Astra et de faire rapport au Ministre conformément à l'article 75.1. Subsidiaire- ment, il est allégué que si le surintendant s'est correctement acquitté de ses fonctions, le Ministre a omis de remplir l'obliga- tion que lui impose l'article 75.1 en ne révoquant pas le permis d'Astra. On a de plus fait valoir que le Ministre a fait preuve de négligence en délivrant le permis à Astra, étant donné qu'il connaissait certains faits concernant la situation financière et la conduite du principal administrateur et actionnaire de cette compagnie.
La déclaration a été radiée par la Division de première instance pour le motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action. Le juge Mahoney a statué qu'une demande d'indemnisation pour perte économique ne peut être présentée contre la Cou- ronne quand les obligations légales en cause sont imposées au Ministre et au surintendant. Appel a été interjeté de l'ordon- nance du juge des requêtes.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Le juge Le Dain: Le juge des requêtes s'est fondé sur les motifs du jugement que j'ai prononcés dans l'affaire Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La Reine, [1979] 1 C.F. 39 (C.A.). Dans cette affaire, j'avais adopté la méthode consistant à déterminer si le législateur avait l'intention de créer un droit d'action privé dans le cas d'inexécution d'une obligation légale, méthode qui semble avoir été rejetée par la Cour suprême dans l'affaire Saskatchewan Wheat Pool. Cet arrêt pose comme principe que pour trancher la question de savoir si l'inexécution d'une obligation légale entraîne la res- ponsabilité civile, il faut appliquer les principes de la common law qui régissent la responsabilité civile plutôt que d'essayer de découvrir l'intention du législateur. Dans la présente affaire, la responsabilité de la Couronne ne peut être que la responsabilité du fait d'autrui prévu à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Il ressort clairement du para- graphe 4(2) que la responsabilité de la Couronne ne peut être engagée que s'il existe une cause d'action contre un préposé de la Couronne.
Voici les six questions soulevées à titre d'arguments au cours du présent appel: (1) Existe-t-il suffisamment d'arguments pour
prouver qu'il y a eu négligence et établir un lien de causalité? (2) Le Ministre ou le surintendant avait-il envers les appelants une obligation de prudence? (3) Si une telle obligation existait et s'il y a eu négligence, pouvait-on intenter une poursuite pour une perte purement économique? (4) La Loi sur la responsabi- lité de la Couronne rend-elle la Couronne responsable du dommage causé par négligence en ce qui concerne les fonctions légales qui ont été imposées directement à un préposé de la Couronne? (5) La Loi rend-elle la Couronne responsable d'une perte purement économique? Et (6) en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires, le Ministre est-il un préposé de la Couronne au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsa- bilité de la Couronne?
(1) Nonobstant le paragraphe 71(2) de la Loi sur les compa- gnies fiduciaires, la situation financière d'un actionnaire majo- ritaire pourrait être prise en considération par le Ministre pour se former une opinion aux fins de décider si la compagnie est dans une situation financière lui permettant d'exercer les activi- tés d'une compagnie fiduciaire. La question de savoir si on aurait pu déceler les pratiques reprochées en examinant les affaires d'Astra en vertu de l'article 74 ne peut être tranchée qu'après appréciation de la preuve soumise au cours du procès. Ces remarques s'appliquent également à la question de savoir s'il y avait un lien de causalité suffisant entre la négligence alléguée et la perte subie.
(2) Pour répondre à la question de savoir si en exerçant leurs fonctions prévues par la loi, le Ministre ou le surintendant pourrait avoir une obligation générale de prudence envers les appelants, il faut se reporter au jugement qu'a prononcé lord Wilberforce dans l'affaire Anns et al. v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) l'on a déclaré que ce problème devait être abordé en deux étapes. Il faut d'abord se demander s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la victime un lien suffisamment étroit pour que l'auteur en ques tion puisse raisonnablement prévoir que son imprudence était susceptible de causer un préjudice à la victime. Si on répond «oui» à cette question, il faut ensuite examiner les considéra- tions qui pourraient limiter la portée de cette obligation ou la catégorie de personnes à qui elle bénéficie. Dans la présente affaire, la réponse à la première de ces questions dépend de ce qui ressort des faits quant à la situation des appelants à titre. d'investisseurs et de ce que le Ministre ou le surintendant connaissait de la compagnie concernant les placements des appelants. La question de savoir s'il y avait un lien suffisam- ment étroit devait aussi être tranchée à la lumière de la preuve. Quant à la seconde étape de l'analyse mentionnée par lord Wilberforce, cette question doit aussi être tranchée en tenant compte de ce qui ressort de la preuve concernant les circons- tances qui entourent les dépôts et le rapport entre ces dépôts et ce que le Ministre et le surintendant ont fait ou n'ont pas fait.
Une analyse des fonctions légales en cause visant à détermi- ner si elles sont de nature politique ou opérationnelle soulève de sérieux problèmes lorsqu'il s'agit de savoir si le fait d'exercer ou de ne pas exercer ces fonctions pourrait en principe entraîner la responsabilité des personnes en question. Mais, du moins en ce qui concerne l'obligation du surintendant d'examiner les affai- res de la compagnie et d'en faire rapport au Ministre, il n'est pas évident que cette obligation ne pourrait en principe entraî- ner sa responsabilité.
(3) La Cour n'a trouvé aucune décision judiciaire venant étayer la prétention selon laquelle les seuls cas une perte purement économique pourrait donner ouverture à une action en recouvrement étaient les cas de fausse représentation délic- tuelle et d'omission délictuelle de signaler une défectuosité dangereuse d'un produit. L'affaire Caltex Oil (Australia) Pty. Limited v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529 (H.C. Austr.), constitue un exemple de recouvrement en raison d'une perte purement économique bien qu'elle ne fasse pas partie des catégories mentionnées dans les causes Hedley Byrne ou Rivtow Marine.
(4) Il n'est pas évident qu'on doive accepter les trois argu ments de la Couronne portant: (1) que le paragraphe 3(1) de la Loi limite la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui à l'égard de la négligence dans l'exercice des fonctions ou des pouvoirs légaux aux fonctions ou pouvoirs qui sont également conférés aux particuliers; (2) qu'une telle responsabilité est exclue par le paragraphe 3(6); et (3) que cette responsabilité est exclue par la doctrine australienne suivant laquelle un employeur, notamment la Couronne, n'est pas responsable des omissions ou des actes délictuels de son préposé dans l'exercice d'une fonction ou d'un pouvoir discrétionnaire qui est imposé ou conféré à ce dernier par la loi et non pas par les directives de son employeur. On peut soutenir que le libellé du paragraphe 3(1) vise simplement à supprimer l'immunité générale de la Couronne et que le paragraphe 3(6) s'applique aux pouvoirs légaux mais non pas aux fonctions légales. De plus, il n'est pas impossible qu'il vise l'autorité de la Couronne elle-même plutôt que celle qui a été conférée à certains de ses préposés qui sont choisis pour accomplir une fonction particulière prévue par la loi. La doctrine a critiqué la règle australienne et celle-ci ne devrait peut-être pas être appliquée à la Loi sur la responsabi- lité de la Couronne malgré l'absence d'une disposition l'ex- cluant de façon expresse.
(5) On a soutenu que la responsabilité délictuelle de la Couronne doit être régie par la common law de la province a pris naissance la cause d'action, au moment de l'entrée en vigueur de la Partie I de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, c'est-à-dire le 14 mai 1953 et que, à ce moment, la common law de l'Ontario ne reconnaissait pas le droit de poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement économique causée par négligence. Cependant, la Cour ne connaît aucun cas l'on a décidé que la common law provinciale applicable à la responsabilité légale de la Couronne devait être considérée comme gelée à la date la responsabilité a été créée. Il y a une distinction importante à faire entre les modifications de la common law et les lois votées par le législateur. On peut prétendre que le Parlement avait l'intention de soumettre la Couronne à la common law telle qu'elle continue d'évoluer en matière de responsabilité délictuelle, mais uniquement à la législation provinciale qui existait au moment la Loi est entrée en vigueur. On a en outre fait valoir qu'avant le juge- ment rendu le 28 mai 1963 par la Chambre des lords dans l'affaire Hedley Byrne, la common law ne reconnaissait pas le droit de poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement économique causée par négligence. Toutefois, compte tenu du jugement rendu en 1959 par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Seaway Hotels v. Cragg, la date cette notion a été introduite dans le droit ontarien est incertaine.
(6) Bien que certaines décisions de la Cour de l'Échiquier aient statué qu'un ministre de la Couronne n'est pas un préposé
ni un fonctionnaire de la Couronne, la Chambre des lords a exprimé l'opinion contraire en Angleterre. On peut prétendre que c'est ce dernier point de vue qui doit être adopté pour les fins de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Quoi qu'il en soit, le surintendant est à l'évidence un préposé de la Couronne.
Le juge Urie: Comme je ne veux pas qu'on croit que je préjuge d'une partie de l'action, je préfère ne pas commenter ces questions ni la jurisprudence qui s'y rapporte. Bien que la déclaration ne soit pas des plus détaillées, il n'est pas évident que les demandeurs ne pourraient obtenir gain de cause.
Le juge suppléant Kelly: Je souscris aux motifs du juge Le Dain ainsi qu'à sa décision portant sur le présent appel.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205; 45 N.R. 425; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cum- mer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221. DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anns et al. v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Caltex Oil (Australia) Pty. Limited v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529 (H.C. Austr.); Seaway Hotels Ltd. v. Cragg (Canada) Ltd. et al. (1959), 21 D.L.R. (2d) 264 (C.A. Ont.), confirmant [1959] O.R. 177 (H.C. Ont.); Bank voor Handel en Scheepvaart N.V. v. Administrator of Hungarian Property, [1954] A.C. 584 (H.L.); Ranaweera v. Rama- chandran, et al., [1970] A.C. 962 (P.C.).
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Cutler v. Wandsworth Stadium Ld., [1949] A.C. 398 (H.L.); Darling Island Stevedoring and Lighterage Com pany Limited v. Long (1957), 97 C.L.R. 36 (H.C. Austr.); Enever v. The King (1906), 3 C.L.R. 969 (H.C. Austr.); Baume v. The Commonwealth (1906), 4 C.L.R. 97 (H.C. Austr.); Field v. Nott (1939), 62 C.L.R. 660 (H.C. Austr.); McArthur v. His Majesty The King, [1943] R.C.É. 77; Belleau v. Minister of National Health and Welfare, et al., [1948] R.C.É. 288. DISTINCTION FAITE AVEC:
Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La Reine, [1979] 1 C.F. 39 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Welbridge Holdings Ltd. v. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Tremblay v. His Majesty The King, [1944] R.C.É. 1; His Majesty The King v. Armstrong (1908), 40 R.C.S. 229; Gauthier v. His Majesty The King (1918), 56 R.C.S. 176; Schwella v. Her Majesty The Queen et al., [1957] R.C.E. 226.
DÉCISIONS CITÉES:
Ultramares Corporation v. Touche et al., 174 N.E. 441 (N.Y. Ct. App. 1931); Rivtow Marine Ltd. v. Washing- ton Iron Works et al., [1974] R.C.S. 1189; Haig v. Bamford et' al., [ 1977] 1 R.C.S. 466; I Ross' v. Caunters, [1980] Ch. 297; Barratt c. Corporation of North Van-
couver, [1980] 2 R.C.S. 418; Harris v. The Law Society of Alberta, [1936] R.C.S. 88; Kwong et autres c. La Reine du chef de la province de l'Alberta, [1979] 2 R.C.S. 1010; 105 D.L.R. (3d) 576, confirmant (1978), 96 D.L.R. (3d) 214 (C.S. Alb. Div. d'appel); Sommers v. Her Majesty The Queen, [1959] R.C.S. 678; Jones et Maheux v. Gamache, [1969] R.C.S. 119.
AVOCATS:
W. Dunlop pour les appelants (demandeurs). P. Vita et C. Lyon pour l'intimée (défende- resse).
PROCUREURS:
Martin Dunlop Hillyer, Burlington (Ontario), pour les appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Je pense, comme le juge Le Dain, que l'appel devrait être accueilli et que l'ordonnance de la Division de première instance [(1982), 135 D.L.R. (3d) 371] radiant la déclara- tion devrait être annulée.
Cependant, comme je suis d'avis que ni les parties ni le juge présidant le procès ne devraient interpréter ce qui est dit concernant le refus d'ac- corder une requête en radiation d'une conclusion comme préjugeant d'une partie de l'action, je pré- fère ne pas commenter les questions telles qu'elles se présentent à ce stade préliminaire de l'action ni la jurisprudence relative à ces questions. Il faut d'abord, bien sûr, présumer que tous les faits allégués dans la déclaration sont véridiques. Cela étant fait, on ne peut pas, bien sûr, ne pas tenir compte des questions ou de la jurisprudence y afférente lorsqu'il s'agit de savoir si la requête en radiation de la déclaration devrait être accordée ou non. Cela étant pris en considération, je crois qu'il me faut tout simplement appliquer le principe général dont mon collègue le juge Le Dain a fait mention dans ses motifs, tel qu'énoncé par le juge Estey dans l'affaire Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux pages 740 et 741, c'est-à-dire que je ne suis pas convaincu qu'il est «évident et qu'il ne fait aucun doute, que les demandeurs ne pour- raient obtenir gain de cause.
Je souscris au point de vue du juge Le Dain selon lequel la déclaration «n'est pas des plus com- plètes ni des plus détaillées» et cette lacune ne m'a pas facilité la tâche. Je pense toutefois que cette déclaration contient suffisamment de détails pour que l'on puisse dire qu'elle révèle un droit d'action, étant entendu que la défenderesse dispose de recours pour obtenir de plus amples détails avant de plaider, si elle juge nécessaire de le faire.
Par conséquent, l'appel devrait être accueilli et l'ordonnance radiant la déclaration et rejetant l'ac- tion des appelants devrait être annulée, avec dépens en appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de première instance rendue en vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], par laquelle la nouvelle déclaration des appelants (ci-après appe- lée «la déclaration») a été radiée et leur action rejetée avec dépens pour le motif que la déclara- tion ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
La poursuite est dirigée contre la Couronne en raison de l'inexécution d'une obligation légale et de la négligence de la part du ministre des Finances et du surintendant des assurances dans l'exercice des fonctions et des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi, dans le cadre de la délivrance du permis, de l'inspection et de la réglementation de la compa- gnie Astra Trust (ci-après appelée «Astra») sous le régime de la Loi sur les compagnies fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16, ladite action alléguant que cela aurait permis à Astra d'exploiter son entreprise d'une manière telle qu'elle a fait perdre aux appelants tout l'argent qu'ils avaient investi dans cette compagnie [TRADUCTION] «à titre de placement et de dépôt».
On allègue que le ministre des Finances a fait preuve de négligence en délivrant un permis à Astra en vertu de l'article 71 de la Loi, étant donné qu'il connaissait certains faits concernant la situation financière et la conduite d'un certain Carlo Montemurro, son [TRADUCTION] «principal
administrateur et actionnaire», qui, dit-on, n'était pas dans une situation financière lui permettant d'exploiter [TRADUCTION] «indirectement» une compagnie fiduciaire. L'article 71 de la Loi prévoit ce qui suit:
71. (1) Nulle compagnie à laquelle la présente loi s'applique en totalité ou en partie, ou personne agissant en son nom, ne doit faire les opérations d'une compagnie fiduciaire à moins que la compagnie n'ait obtenu du Ministre un permis l'y autorisant.
(2) Le Ministre peut émettre en faveur de toute compagnie qui s'est conformée à la présente loi et qui, de l'avis du Ministre, est dans une situation financière propre à la justifier d'entreprendre les opérations d'une compagnie fiduciaire, un permis l'autorisant à entreprendre ces opérations.
(3) Le permis doit être suivant la formule que le Ministre prescrit quand il y a lieu et peut contenir les restrictions ou conditions que le Ministre peut juger convenables en conformité des dispositions de la présente loi.
(4) Le permis expire le 31 mars de chaque année, mais peut être renouvelé d'année en année, sauf toute réserve ou restric tion jugée opportune, et ce permis peut, à l'occasion, être renouvelé pour toute période inférieure à une année.
(5) Le Ministre doit faire publier, dans le premier numéro de la Gazette du Canada du mois d'avril de chaque année, une liste de toutes les compagnies en faveur desquelles des permis ont été accordés comme il est susdit.
(6) Si la compagnie demande au Ministre d'émettre un permis prévu au présent article ou de renouveler ce permis et que le Ministre refuse cette demande, la compagnie a le droit d'interjeter appel de la décision du Ministre au gouverneur en conseil et ce dernier, après avoir accordé à la compagnie l'audition qu'il juge nécessaire ou désirable, rend une décision sur l'appel, laquelle décision est finale.
On soutient en outre que le surintendant des assurances n'a pas rempli ou qu'il a rempli de façon négligente la fonction qui lui est imposée par l'article 74 de la Loi d'examiner la situation et les affaires d'Astra et de présenter à ce sujet un rapport au Ministre. L'article 74 est ainsi rédigé:
74. (1) Le surintendant doit, au moins une fois par année, inspecter lui-même, ou faire inspecter par un membre dûment qualifié de son personnel, le siège social de chaque compagnie, examiner avec soin les états de la situation et des affaires de chaque compagnie et présenter à ce sujet un rapport au Minis- tre sur toutes les affaires requérant l'attention et la décision de ce dernier.
(2) Pour les fins de cet examen, la compagnie doit, outre l'état mentionné à l'article 72, dresser et transmettre au surin- tendant, relativement aux opérations, finances ou autres affai- res de la compagnie, le relevé ou les relevés que peut exiger le surintendant, et les membres de la direction, mandataires et employés de la compagnie doivent faire produire leurs livres à l'inspection et par ailleurs faciliter, autant que possible, cet examen.
(3) A la demande du surintendant, la compagnie doit remet- tre à ce dernier une copie certifiée de ses statuts et un avis de toute abrogation, addition ou modification de ses statuts doit être déposé par la compagnie au bureau du surintendant dans le mois qui suit la date de cette abrogation, addition ou modification.
(4) Le surintendant peut interroger sous serment les mem- bres de la direction, mandataires ou employés de la compagnie, dans le but d'obtenir tout renseignement qu'il juge nécessaire aux fins de cet examen.
(5) Le surintendant doit aussi préparer, d'après lesdits rele- vés, un rapport annuel destiné au Ministre, et indiquant les détails complets des affaires de chaque compagnie.
On prétend que l'inexécution de cette obligation légale a permis à Astra d'exploiter son entreprise [TRADUCTION] «d'une manière trompeuse, fraudu- leuse et déloyale», les détails de cette exploitation pouvant être résumés de la façon suivante. Les employés d'Astra disaient exploiter et administrer, à titre de division des placements hypothécaires d'Astra, deux compagnies de courtage hypothécai- re—Re-Mor Investment Management Corporation («Re-Mor»), qui était contrôlée par Montemurro, et Via Mare Ventures Limited («Via Mare»), qui était contrôlée par un autre administrateur d'As- tra—même si en fait, ils exploitaient une entre- prise de courtage hypothécaire distincte, non assu rée et non garantie. Ils disaient que les placements dans ces compagnies étaient aussi sûrs que les placements dans Astra et étaient garantis par la même assurance-dépôt. On avait recours à de la publicité figurait le nom d'Astra pour attirer des clients et les inciter à investir dans Re-Mor et Via Mare. L'argent déposé dans Astra et dont le reçu portait le nom d'Astra, était déposé dans Re-Mor et Via Mare. Astra acceptait les fonds à titre de placements garantis et non garantis et les transférait à Re-Mor et à Via Mare. Les place ments hypothécaires de Re-Mor et de Via Mare qui se présentaient comme la division des place ments hypothécaires d'Astra n'étaient pas confor- mes aux exigences de la Loi sur les compagnies fiduciaires. Astra ne s'est pas conformée aux con ditions de renouvellement de son permis concer- nant la publicité et les taux d'intérêt offerts sur les certificats. Elle a consenti des prêts à ses adminis- trateurs et à ses cadres en violation des dispositions de la Loi.
Il est en outre allégué que le surintendant des assurances a fait preuve de négligence en omettant de se faire une opinion sur l'insuffisance de l'actif
d'Astra et de faire rapport au ministre des Finan ces à ce sujet conformément à l'article 75.1 [mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 47, art. 29; S.C. 1974-75-76, chap. 7, art. 2] de la Loi, en omettant de faire, conformément à l'article 76 [mod. par S.R.C. 1970 (1°r Supp.), chap. 47, art. 30], les corrections ou les ajustements nécessaires dans son rapport annuel sur Astra concernant les place ments non autorisés, et en n'exigeant pas de cette dernière qu'elle aliène et réalise les placements non autorisés en conformité avec l'article 77. Les arti cles 75.1, 76 et 77 prévoient ce qui suit:
75.1 (1) Le surintendant doit faire rapport au Ministre chaque fois qu'il est d'avis
a) que la compagnie enfreint les paragraphes 70(7) ou (11) ou a enfreint le paragraphe (14) en empruntant de l'argent ou en acceptant des deniers en fiducie garantie;
b) que l'actif d'une compagnie n'est pas suffisant, compte tenu de toutes les circonstances, pour assurer une protection adéquate tant aux personnes qui ont confié à la compagnie, aux fins de placement, des deniers dont le remboursement est garanti par la compagnie, qu'aux créanciers de la compagnie; ou
c) que les fonds en fiducie garantie de la compagnie, au Canada, sont inférieurs au montant total des deniers acceptés en fiducie au Canada, aux fins de placement, et dont le remboursement est garanti.
(2) Lorsque le Ministre, après avoir bien étudié la question, et après qu'il a été donné à la compagnie un délai raisonnable pour se faire entendre, estime que la situation décrite à l'un ou l'autre des alinéas du paragraphe (1) existe, il peut prendre l'une des mesures suivantes:
a) il peut assortir le permis de la compagnie des restrictions ou conditions qu'il considère appropriées;
b) il peut prescrire un délai durant lequel la compagnie doit corriger l'irrégularité visée à l'alinéa (1)a) ou remédier au manque ou à l'insuffisance d'actif visés à l'alinéa (1 )b) ou c); et
c) il peut ordonner au surintendant de prendre le contrôle de l'actif de la compagnie, de l'actif détenu en fiducie par la
compagnie et de tout autre actif dont elle a l'administration.
(3) Si la compagnie ne corrige pas l'irrégularité visée à l'alinéa (1)a) ou ne remédie pas à tout manque ou à toute insuffisance d'actif visés à l'alinéa (1)b) ou c), dans le délai qui peut lui avoir été prescrit en conformité de l'alinéa (2)b) ou dans tout délai supplémentaire accordé subséquemment par le Ministre, ce dernier doit ordonner au surintendant de prendre le contrôle de l'actif de la compagnie, de l'actif détenu en fiducie par la compagnie et de tout autre actif dont elle a l'administration.
(4) Aux fins d'appliquer les dispositions du présent article, le Ministre peut nommer les personnes qu'il juge à propos de nommer pour apprécier la situation de la compagnie et faire rapport sur sa situation et sur sa capacité de faire face à ses obligations et garanties.
76. Dans son rapport annuel préparé pour le Ministre en vertu de l'article 74, le surintendant doit
a) sous réserve des dispositions de l'article 68.4, n'inclure dans l'actif que ceux des placements des diverses compagnies qui sont autorisés par la présente loi ou qui étaient légale- ment autorisés au moment ils ont été faits;
b) faire toutes les corrections nécessaires dans les rapports annuels transmis par les compagnies suivant les prescriptions des présentes; et
c) être libre d'accroître ou de diminuer l'actif ou le passif de ces compagnies jusqu'à concurrence des montants précis et exacts de ces passif et actif tels qu'ils sont déterminés par lui dans l'examen de leurs affaires à leur siège social, ou autrement.
77. (1) Le surintendant peut exiger de toute compagnie qu'elle aliène et réalise tout placement acquis après le 28 juin 1922, et non autorisé par la présente loi, et la compagnie doit, dans les soixante jours après réception de cette demande, disposer absolument desdits placements et les réaliser; et si le montant réalisé de cette source est inférieur au montant payé par la compagnie pour lesdits placements, les administrateurs de la compagnie sont conjointement et solidairement responsa- bles du paiement à la compagnie du montant de l'insuffisance.
(2) Si un administrateur, présent lors de l'autorisation de ce placement, fait sur l'heure, ou si un administrateur alors absent fait, dans les vingt-quatre heures après qu'il a été mis au courant de ce placement et qu'il est en mesure d'en agir ainsi, inscrire au procès-verbal du conseil des administrateurs sa protestation contre ce placement, et, dans les huit jours qui suivent, donne avis de sa protestation au surintendant par lettre recommandée, cet administrateur peut ainsi, et non autrement, s'exonérer de cette responsabilité.
Subsidiairement, il est allégué que si le surinten- dant des assurances a exercé ses fonctions et ses pouvoirs prévus par ces articles sans faire preuve de négligence, le ministre des Finances a omis de remplir l'obligation que lui impose l'article 75.1 en ne révoquant pas le permis d'Astra.
Les appelants réclament la somme de 350 000 $ à titre de dommages-intérêts résultant de [TRA- DUCTION] «pertes économiques», soit le montant total des sommes investies et déposées dans Astra et Re-Mor, qu'ils prétendent avoir perdues en raison du fait que le ministre des Finances et le surintendant des assurances ne se sont pas acquit- tés de leurs obligations légales et ont fait preuve de négligence dans l'exercice des fonctions et des pouvoirs que leur attribue la loi.
La Division de première instance a radié la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action puisque même si on peut très bien soutenir que les dispositions de la Loi sur les compagnies fiduciaires ont été adop- tées dans l'intérêt des personnes telles que les
appelants, il ne ressort ni de ces dispositions ni de l'ensemble de la Loi que le législateur avait l'inten- tion de rendre la Couronne responsable d'une perte purement économique.
En arrivant à cette conclusion, le juge des requê- tes s'est fondé sur certains extraits des motifs du jugement que j'ai prononcés dans l'affaire Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée c. La Reine, [1979] 1 C.F. 39 (C.A.). Il a estimé que le droit d'action allégué dans cette affaire était «en tous points importants, identique» à celui qui a été invoqué dans la présente cause. J'étais d'avis, à tort ou à raison, que l'action dans Lignes aériennes Canadien Pacifique se fondait sur la responsabilité directe de la Couronne, qui est censée être créée par la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, pour inexécution de l'obligation légale d'assu- rer l'entretien des aéroports, prévue à l'article 3 de cette Loi et non, comme en l'espèce, sur la respon- sabilité délictuelle de la Couronne, prévue par la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, pour la faute de ses préposés lorsqu'ils ne s'acquittent pas de leurs obligations légales et font preuve de négligence dans l'exercice des fonctions et des pouvoirs que leur attribue la loi. Quoi qu'il en soit, la méthode que j'ai adoptée dans l'affaire Lignes aériennes Canadien Pacifique consistait à déterminer, à la lumière du jugement dans l'affaire Cutler v. Wandsworth Stadium Ld., [1949] A.C. 398 (H.L.), si le législateur entendait créer un droit d'action privé en cas d'inexécution de l'obligation légale prévue à l'article 3 de la Loi sur l'aéronautique. Ce point de vue semble avoir été rejeté par le récent jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, rendu le 8 février 1983 et publié à [1983] 1 R.C.S. 205; 45 N.R. 425. Dans cette affaire il devait choisir entre les différents points de vue exprimés par la jurisprudence concernant la responsabilité en cas d'inexécution d'une obligation légale, le tribunal a rejeté la notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation légale et il a décidé que cette responsabilité doit être considérée comme faisant partie des règles de droit applicables à la négli- gence. Voici comment le juge Dickson, qui a pro- noncé le jugement de la Cour, a résumé ses conclu sions sur cette question [R.C.S., aux pages 227 et 2281:
1. Les conséquences civiles de la violation d'une loi doivent être subsumées sous le droit de la responsabilité pour négligence.
2. La notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation légale qui donnerait droit à des dommages-intérêts sur simple preuve d'une violation et d'un préjudice, doit être rejetée, comme doit l'être également le point de vue selon lequel une violation sans excuse valable constitue de la négligence en soi et emporte responsabilité absolue.
3. La preuve de la violation d'une loi, qui cause un préjudice, peut être une preuve de négligence.
4. L'obligation formulée dans un texte de loi peut constituer une norme, à la fois précise et utile, de conduite raisonnable.
5. En l'espèce on n'a pas allégué qu'il y a eu négligence ni prouvé son existence. L'action doit échouer.
Même si la question soulevée dans l'affaire Sas- katchewan Wheat Pool était de savoir si l'inexécu- tion d'une disposition légale dans ce cas était suffisante en soi pour entraîner la responsabilité sans qu'il soit nécessaire de prouver la négligence, le juge Dickson s'est opposé, dans ses motifs, à l'idée de vouloir déterminer si le législateur avait l'intention de faire de l'inexécution d'une obliga tion légale un cas de responsabilité civile. Son point de vue sur cette question apparaît dans les extraits suivants de son jugement [R.C.S., aux pages 215, 216 et 226]:
Cette façon fragmentée d'aborder le problème a suscité des difficultés tant théoriques que pratiques. On a sévèrement critiqué l'illusion qui consiste à chercher ce qu'on a qualifié de [TRADUCTION] «volonté chimérique», savoir l'intention inexis- tante du Parlement de créer une cause d'action civile. Pratique empreinte de caprice et d'arbitraire, il s'agit de [TRADUC- TION] «droit prétorien» de la pire espèce.
[TRADUCTION] En plus d'être une fiction inutile, cela peut amener des décisions qui reposent sur d'insignifiants détails de formulation plutôt que sur le fond. S'il appartient en vérité aux cours de trancher la question de savoir si une personne lésée par suite du manquement à une obligation légale a le droit d'intenter une action en dommages-intérêts, reconnaissons cet état de choses et procédons à l'élaboration de quelques principes de droit utiles.
(Winfield & Jolowicz, précité, à la p. 159.)
Il s'agit d'une «fiction flagrante» qui va à l'encontre des règles reçues en matière d'interprétation de lois: [TRADUCTION] «le silence du législateur sur la question de la responsabilité civile porte à conclure soit qu'il ne l'a pas envisagée soit qu'il l'a omise délibérément» (Fleming, The Law of Torts, éd., 1977, à la p. 123). Glanville Williams est maintenant d'avis que [TRADUCTION] «[l']indécision» des cours «ne fait que discrédi- ter notre jurisprudence» et, avec égards, je suis d'accord ...
À supposer que le Parlement ait la compétence constitution- nelle nécessaire pour prévoir que quiconque subit un préjudice par suite d'une violation de la Loi sur les grains du Canada a un recours civil, le fait est qu'il ne l'a pas prévu. Il a simple- ment dit qu'une infraction à la Loi rend passible de certaines
peines déterminées. Nous devons nous abstenir de toute conjec ture concernant l'intention inexprimée du Parlement. Lorsqu'il s'agit de déterminer si la violation doit entraîner d'autres conséquences juridiques, tout au plus nous pouvons examiner ce qui est dit expressément. En faisant semblant d'interpréter la Loi afin de décider si le Parlement a voulu créer un droit d'intenter une action civile, on risque, comme le dit si justement Glanville Williams, de se mettre à [TRADUCTION] «chercher ce qui ne s'y trouve pas», (précité à la p. 244). La Loi sur les grains du Canada n'exprime pas l'intention d'accorder des dommages-intérêts au détenteur d'un récépissé d'élévateur ter minus qui reçoit du grain infesté provenant d'un élévateur.
Cela indique, je pense, qu'on doit trancher la question de savoir si l'inexécution d'une obligation légale entraîne la responsabilité civile, dans la mesure elle demeure nécessairement une ques tion de principe, non pas en se perdant en conjec tures sur l'intention du législateur mais en appli- quant, dans le cadre du droit public, les principes de la common law qui régissent la responsabilité en cas de négligence. La responsabilité ne doit pas être considérée comme étant créée par la loi lors- qu'il n'y a pas de disposition expresse à cet effet. Dans la présente affaire, la responsabilité de la Couronne, le cas échéant, est celle qui est prévue à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne qui est ainsi rédigé:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la Couronne...
Pour qu'il y ait responsabilité de la Couronne, il faut que les faits allégués dans la déclaration donnent ouverture à un droit d'action contre le préposé de la Couronne. Cela est prévu explicite- ment au paragraphe 4(2) de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne qui prévoit ce qui suit:
4....
(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.
Les arguments présentés au cours de l'appel soulèvent plusieurs questions qui peuvent être regroupées en deux grandes catégories: celles qui se rapportent à la question de savoir si, à la lumière des allégations de fait contenues dans la déclaration, il y aurait un droit d'action contre le ministre des Finances ou le surintendant des assu-
rances; et celles qui se rapportent à la question de savoir si en présumant qu'un tel droit d'action existe contre l'un ou l'autre, la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne rend la Couronne respon- sable du dommage causé par autrui à la suite d'un tel délit. Ces questions peuvent être résumées de la façon suivante:
1. Existe-t-il suffisamment d'allégations de fait pertinentes pour prouver que le ministre des Finances ou le surintendant des assurances a fait preuve de négligence dans l'exercice des fonc- tions et des pouvoirs que lui attribue la loi et qu'il y a un lien de causalité entre cette négli- gence et le préjudice?
2. Le ministre des Finances ou le surintendant des assurances a-t-il envers les appelants une obligation de prudence dans l'exercice de ces fonctions et de ces pouvoirs?
3. Si on présume qu'il y avait une obligation de prudence et qu'il y a eu négligence, l'un d'eux pourrait-il être poursuivi pour une perte pure- ment économique?
4. La Loi sur la responsabilité de la Couronne rend-elle la Couronne responsable du dommage causé par négligence en ce qui concerne les fonctions et les pouvoirs légaux qui ont été imposés ou conférés directement à un préposé de la Couronne?
5. La Loi rend-elle la Couronne responsable d'une perte purement économique?
6. Lorsqu'il exerce ses pouvoirs en vertu de la Loi sur les compagnies fiduciaires, le ministre des Finances est-il un préposé de la Couronne au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne?
Avant d'aborder ces questions, il faut se rappe- ler la ligne de conduite qu'un tribunal doit suivre lorsqu'il est saisi d'une requête visant à radier une déclaration et à rejeter une action pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac- tion. Le juge Estey a énoncé les principes qui doivent être pris en considération dans le jugement de la Cour suprême du Canada dont il a rédigé les motifs dans l'affaire Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux pages 740 et 741:
Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du
demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas «au-delà de tout doute»: Ross v. Scottish Union and National Insurance Co. ((1920), 47 O.L.R. 308 (Div. App.)). En l'espèce, dans sa défense, Bell Canada a soulevé une question de droit: quelle est la position du gouver- neur en conseil lorsqu'il agit en vertu de l'art. 64 de la Loi nationale sur les transports, précitée, et en quoi consistent le pouvoir et la compétence du tribunal à cet égard? Aucune plaidoirie additionnelle ni aucune preuve ne sont nécessaires pour trancher cette question. Par conséquent, je souscris à l'opinion du juge de première instance selon laquelle il s'agit d'un cas le tribunal peut à bon droit trancher pareille question au stade préliminaire de l'action.
À ce sujet, voici ce qu'a déclaré le juge des requêtes en se référant à cet extrait mentionné dans l'affaire Inuit Tapirisat la page 3711:
Le tribunal doit trancher une telle requête en tenant pour acquis que tous les faits allégués sont vrais, mais celle-ci ne peut être accueillie que «dans les cas évidents et lorsqu'il [le tribunal] est convaincu qu'il s'agit d'un cas au-delà de tout doute». Cela ne veut pas cependant dire que le tribunal est dispensé, lorsqu'il est saisi d'une telle requête, d'examiner les questions juridiques complexes et d'appliquer les règles de droit aux faits qui, à cette fin, sont présumés être vrais.
Je souscris à cette règle. Mais il doit être évident et ne faire aucun doute, une fois les arguments pré- sentés, que le demandeur ne pourrait obtenir gain de cause. Sinon, il a le droit d'exiger que les questions soient tranchées après le procès.
J'aborde la première question qui consiste à savoir si les allégations dans les conclusions sont suffisantes pour prouver la négligence et le lien de causalité. J'admets que la déclaration n'est pas des plus complètes ni des plus détaillées mais ce n'est pas une raison pour rejeter l'action, étant donné la possibilité d'apporter des modifications ou de four- nir des détails. L'avocat de la Couronne a fait valoir que les allégations de fait contenues au paragraphe 5 de la déclaration, concernant la si tuation financière et la conduite du principal actionnaire d'Astra et indiquant qu'il n'était pas dans une situation financière lui permettant d'ex- ploiter «indirectement» une compagnie fiduciaire, n'ont aucun rapport avec le pouvoir de délivrer un permis en vertu du paragraphe 71(2) de la Loi sur les compagnies fiduciaires; aux termes de ce para- graphe, le ministre des Finances doit être d'avis que la compagnie est dans une situation financière lui permettant d'exercer les activités d'une compa- gnie fiduciaire. Bien que cet argument semble être convaincant, la situation financière et la conduite d'un actionnaire majoritaire pourraient peut-être,
selon moi, être prises en considération par le minis- tre des Finances pour se former une opinion aux fins de décider si la compagnie est dans une situa tion financière lui permettant d'exercer les activi- tés d'une compagnie fiduciaire. Cela ne peut être déterminé avec précision qu'à la lumière de ce que révèle la preuve concernant le rapport, le cas échéant, entre la situation financière et la conduite de l'actionnaire et la situation financière de la compagnie.
L'avocat de la Couronne a en outre prétendu que les allégations du paragraphe 8 de la déclara- tion concernant les liens entre l'exploitation de l'entreprise d'Astra et Re-Mor et Via Mare n'ont rien à voir avec les fonctions et les pouvoirs exercés par le surintendant des assurances et le ministre des Finances en vertu des articles 74, 75.1, 76 et 77 de la Loi sur les compagnies fiduciaires. Une fois de plus, je pense qu'il s'agit d'une question qui ne peut être tranchée correctement qu'à la lumière de ce que révèle la preuve au cours du procès. La déclaration allègue que la négligence du surinten- dant des assurances a permis à Astra d'exploiter son entreprise d'une façon trompeuse, frauduleuse et déloyale, ce qui a occasionné une perte aux appelants. On allègue en particulier que l'argent reçu pour fins de dépôt dans Astra a été déposé dans Re-Mor et Via Mare il ne bénéficiait pas de la même garantie et n'était pas protégé par la même assurance et qu'il a été placé d'une manière non autorisée par la Loi sur les compagnies fidu- ciaires. La question de savoir si on aurait pu déceler les pratiques reprochées en examinant les affaires d'Astra en vertu de l'article 74 et la question de savoir si ces pratiques étaient de nature à nécessiter l'exercice des fonctions et des pouvoirs prévus aux articles 75.1, 76 et 77 ne peuvent, à mon avis, être tranchées adéquatement qu'à la lumière de la preuve. Je ne suis pas prêt à dire, à ce stade, qu'il est évident que les allégations du paragraphe 8 n'ont aucun rapport avec l'exer- cice de ces fonctions et pouvoirs.
Le fait de savoir s'il y avait un lien de causalité suffisant entre la présumée négligence et le préju- dice est également, à mon avis, une question qui ne peut être tranchée convenablement qu'à la lumière de la preuve. La déclaration contient une alléga- tion générale établissant un lien de causalité. Je ne peux dire à ce stade qu'il est évident que les
appelants ne pourraient, en fait et en droit, établir un lien de causalité suffisant, mise à part la ques tion de la réclamation d'une perte purement écono- mique, entre le préjudice et les actes ou omissions du ministre des Finances et du surintendant des assurances.
Il s'agit ensuite de savoir si, en exerçant ces fonctions et pouvoirs prévus par la loi, le ministre des Finances ou le surintendant des assurances pourrait avoir une obligation générale de prudence envers les appelants. La façon d'aborder cette question qui est maintenant considérée comme particulièrement concluante et utile est énoncée par lord Wilberforce dans l'affaire Anns et al. v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) aux pages 751 et 752, il déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] Les trois arrêts suivants de la présente Cour—Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465, et Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office [1970] A.C. 1004, ont établi le principe selon lequel lorsqu'il s'agit de prouver qu'il existe une obligation de prudence dans une situation donnée, il n'est pas nécessaire de démontrer que les faits de cette situation sont semblables aux faits de situations antérieures il a été jugé qu'une telle obligation existait. Il faut plutôt aborder cette question en deux étapes. Tout d'abord, il faut se demander s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit pour que l'impru- dence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement être perçue par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l'autre personne—auquel cas il y a une présomption d'obligation de prudence. Si on répond par l'affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s'il existe des considérations qui pourraient restreindre ou limiter la portée de cette obligation, la catégorie de personnes à qui cette obligation bénéficie ou les dommages qui peuvent être causés par l'inexécution de cette obligation, ou faire conclure à l'inexistence de l'obligation, de la catégorie de personnes ou de l'obligation de dédommager: voir l'affaire Dorset Yacht [1970] A.C. 1004, lord Reid à la p. 1027. On en trouve des exemples dans l'arrêt Hedley Byrne [1964] A.C. 465, la catégorie de demandeurs possibles se limitait aux personnes qui ont montré qu'elles s'étaient fondées sur l'exactitude des déclarations faites, ainsi que dans l'affaire Weller & Co. v. Foot and Mouth Disease Research Institute [1966] 1 Q.B. 569; il y a également les causes (que je cite simplement à titre d'illustrations, sans en faire l'examen) qui concernent la «perte économique» on a limité la nature des dommages-intérêts recouvrables lorsqu'on a jugé qu'une telle obligation existait: voir S.C.M. (United King dom) Ltd. v. W. J. Whittall & Son Ltd. [1971] 1 Q.B. 337 et Spartan Steel & Alloys Ltd. v. Martin & Co. (Contractors) Ltd. [1973] Q.B. 27.
La question de savoir s'il existait entre le minis- tre des Finances ou le surintendant des assurances et les appelants un lien suffisamment étroit pour
créer une présomption d'obligation de prudence dépend, au moins en partie, de ce qui ressort des faits concernant la situation des appelants à titre d'investisseurs ainsi que de la nature de leurs placements et de ce que le ministre des Finances ou le surintendant des assurances connaissait ou pouvait connaître de la situation financière et de la conduite de la compagnie qui pouvaient avoir un effet sur ces placements. Les fonctions et pouvoirs légaux invoqués par les appelants semblent avoir été prévus, au moins en partie, pour protéger les personnes qui confient de l'argent à une compagnie de fiducie. En général, ces fonctions et pouvoirs visent à faire en sorte que la compagnie conserve des actifs suffisants pour respecter ses obligations. Il s'agit, par conséquent, de fonctions et de pou- voirs qui n'excluent pas, à première vue, la possibi- lité d'une obligation générale de prudence quant à leur exercice. La question de savoir s'il y avait un lien suffisamment étroit entre le ministre des Finances ou le surintendant et les appelants touche de près la question du lien de causalité ou de l'absence de rapport dont j'ai dit qu'elle devrait également être tranchée à la lumière de la preuve. Il y a en outre la question qui concerne le recou- vrement à la suite d'une perte économique et qui fait probablement partie de la seconde étape de l'analyse de lord Wilberforce, cette question étant de savoir si on doit reconnaître qu'il existe envers une catégorie aussi importante de personnes une obligation de prudence qui puisse entraîner une aussi lourde responsabilité. C'est le danger qui découle de la responsabilité [TRADUCTION] «pour un montant indéterminé, pour une période indéter- minée et envers un nombre indéterminé de person- nes» dont a parlé le juge en chef Cardozo dans l'affaire Ultramares Corporation v. Touche et al., 174 N.E. 441 (N.Y. Ct. App. 1931), à la page 444, cette responsabilité ayant été considérée dans des décisions judiciaires subséquentes comme une considération légitime de principe, surtout lorsqu'il s'agit de cas de recouvrement à la suite d'une perte économique. Voir, par exemple, les arrêts Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works et al., [1974] R.C.S. 1189, à la page 1218; Haig v. Bamford et al., [1977] 1 R.C.S. 466, à la page 476; Caltex Oil (Australia) Pty. Limited v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529 (H.C. Austr.), aux pages 568, 591; Ross v. Caun- ters, [ 1980] Ch. 297, à la page 300. Il peut y avoir une obligation de prudence envers les membres
d'une catégorie limitée qui est connue du présumé auteur du délit ou quasi-délit: Haig v. Bamford, précité. À mon avis, il n'est pas évident à ce stade qu'il ne pourrait y avoir une obligation de pru dence de la part du ministre des Finances ou du surintendant des assurances envers les appelants à titre de membres d'une catégorie limitée. Il fau- drait trancher cette question en tenant compte de ce qui ressort de la preuve concernant les circons- tances qui entourent les dépôts des appelants et le rapport de ces dépôts avec ce que le ministre des Finances et le surintendant des assurances ont fait ou n'ont pas fait.
Il faut maintenant examiner l'application aux fonctions et pouvoirs attribués par la loi au minis- tre des Finances et au surintendant des assurances de certaines classifications ou distinctions qui éli- mineraient toute responsabilité délictuelle. Il y a tout d'abord la distinction entre les fonctions rela tives à la politique ou à la planification et les fonctions opérationnelles, qui a été examinée dans l'affaire Anns et appliquée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Barratt c. Corporation of North Vancouver, [ 1980] 2 R.C.S. 418. La négli- gence n'entraîne aucune responsabilité lorsqu'il s'agit de fonctions relatives à la politique ou à la planification impliquant des décisions discrétion- naires en matière d'allocation de ressources. D'au- tre part, la négligence dans l'exécution de ces décisions au niveau opérationnel peut entraîner la responsabilité de l'auteur. Dans la cause moins récente de Welbridge Holdings Ltd. v. Metropoli tan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S 957, la Cour suprême du Canada a établi une distinction essentiellement identique, même si ce fut en des termes quelque peu différents, entre les fonctions d'une municipalité exercées au niveau législatif ou quasi judiciaire et les fonctions exer- cées au niveau opérationnel, qu'on a appelées pou- voirs «administratifs» ou «relatifs aux affaires». En ce qui concerne certains des pouvoirs et fonctions du ministre des Finances et du surintendant des assurances, l'avocat de la Couronne s'est fondé d'une façon toute particulière sur le principe établi dans l'affaire Welbridge selon lequel l'exercice de pouvoirs quasi judiciaires n'entraîne aucune res- ponsabilité délictuelle en l'absence d'intention de causer un préjudice ou de mauvaise foi. Voir égale- ment l'affaire Harris v. The Law Society of Alberta, [1936] R.C.S. 88. L'affaire Anns a égale-
ment établi le principe selon lequel il faut démon- trer que l'acte reproché a été accompli hors des limites du pouvoir discrétionnaire exercé de bonne foi pour qu'il y ait obligation de prudence dans l'exercice d'une fonction discrétionnaire au niveau opérationnel. Il y a enfin la distinction entre l'exé- cution fautive et l'inexécution pure et simple, à laquelle on continue d'avoir recours pour invoquer l'absence de responsabilité (voir par exemple l'af- faire Kwong et autres c. La Reine du chef de la province de l'Alberta (1978), 96 D.L.R. (3d) 214 (C.S. Alb. Div. d'appel), confirmée par [ 1979] 2 R.C.S. 1010; 105 D.L.R. (3d) 576), même si dans l'affaire Anns, il a été décidé qu'il peut y avoir responsabilité si on n'examine pas correctement la question de savoir s'il y a lieu d'exercer un pouvoir légal.
Il convient tout d'abord d'examiner les fonctions et les pouvoirs du surintendant des assurances à la lumière de ces principes. Étant entendu que la distinction entre les fonctions de nature politique et les fonctions opérationnelles s'applique tant aux fonctions légales qu'aux pouvoirs légaux, les fonc- tions du surintendant des assurances qui, en vertu de l'article 74 de la Loi sur les compagnies fidu- ciaires, doit examiner ou faire examiner les affai- res de la compagnie et présenter à ce sujet un rapport au ministre des Finances sont manifeste- ment, à mon avis, de nature opérationnelle. Dans la mesure l'article 74 comporte un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la nature et la portée de l'examen qui doit être effectué, il faut s'en reporter à la preuve pour déterminer s'il y a eu négligence dans l'exercice de ce pouvoir discrétion- naire, en gardant à l'esprit la condition relative à l'ultra vires énoncée dans l'affaire Anns. À mon avis, les fonctions du surintendant des assurances qui consistent à décider si l'une ou l'autre des circonstances ou des conditions décrites aux ali- néas a), b) et c) de l'article 75.1 existe, à en faire rapport au ministre des Finances, et à faire, en vertu de l'article 76, les corrections ou les ajuste- ments dans les états financiers de la compagnie lorsqu'il soumet son rapport annuel au Ministre, sont également de nature opérationnelle. On a prétendu que ces corrections ou ces ajustements sont de nature quasi judiciaire, compte tenu de leur nature et de leur effet et du fait que l'article 78 de la Loi prévoit qu'ils peuvent faire l'objet d'un appel devant la Cour fédérale. Il n'est pas
évident, toutefois, que le surintendant des assuran ces soit tenu de fournir à la compagnie l'occasion d'être entendue avant de rendre une décision visée à l'article 76. Le paragraphe 78(2) stipule que lorsqu'il y a appel devant la Cour fédérale, le surintendant doit, à la demande de la compagnie, lui délivrer un certificat énonçant la décision dont il est interjeté appel et les raisons en l'espèce. Ce paragraphe laisse plutôt entendre que l'audience relative à cette décision doit avoir lieu au moment de l'appel. Le pouvoir du surintendant des assuran ces d'ordonner l'aliénation des actifs, prévu à l'ar- ticle 77, est manifestement de nature discrétion- naire, bien qu'à mon avis, il soit exercé au niveau opérationnel. La question de savoir s'il pourrait y avoir responsabilité lorsqu'on omet, par négli- gence, d'exercer ce pouvoir dépend de l'application de la distinction entre l'exécution fautive et l'inexécution pure et simple ou du principe énoncé dans l'affaire Anns selon lequel il faut se demander si un pouvoir doit être exercé en tenant compte de ce qu'indique la preuve au sujet des circonstances qui pourraient nécessiter l'exercice de ce pouvoir et de la réaction du surintendant à ces circonstances.
Pour établir la responsabilité du ministre des Finances, on invoque son pouvoir de délivrer un permis en vertu de l'article 71 et de prendre certai- nes mesures correctives en vertu du paragraphe 75.1(2), lorsque le surintendant des assurances lui fait un rapport établissant l'existence de l'une des situations décrites aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 75.1(1). Malgré les conditions spéci- fiées au paragraphe 71(2), il semblerait que le pouvoir de délivrer un permis comporte un élément de discrétion de nature politique. C'est ce qu'on peut déduire de l'existence d'un appel devant le gouverneur en conseil du refus du Ministre de délivrer ou de renouveler un permis. Mis à part les problèmes du lien de causalité et de la prévisibilité en ce qui concerne le rapport entre le pouvoir de délivrer un permis et la perte des sommes investies dans la compagnie, je doute sérieusement que le fait d'exercer ce pouvoir de façon négligente puisse, en principe, entraîner la responsabilité délictuelle. Mais une fois de plus, je pense qu'il s'agit d'une question qui devrait être tranchée après le procès, à la lumière de ce qui ressort de la preuve en ce qui concerne la façon dont le pouvoir a été exercé. Selon moi, il n'est pas évident à ce stade qu'il ne pourrait d'aucune façon y avoir
responsabilité. L'allégation de la déclaration con- cernant les pouvoirs du Ministre prévus à l'article 75.1 est quelque peu ambiguë. Cette allégation porte que si le surintendant des assurances a exercé ses fonctions et pouvoirs sans faire preuve de négligence, le ministre des Finances, lui, s'est rendu coupable d'un manquement en ne révoquant pas le permis de la compagnie. Mise à part la question de savoir si la révocation du permis d'une compagnie constitue, sur le plan technique, l'une des mesures qui peuvent être prises par le Ministre en vertu du paragraphe 75.1(2), ou peut nécessai- rement être une conséquence de l'une de ces mesu- res, il faut se demander si le Ministre est tenu de prendre une telle mesure lorsqu'il est d'avis qu'il s'agit d'une situation décrite aux alinéas a), b) ou c). Il semble que ce pouvoir soit facultatif. Cette conclusion est appuyée par le fait que le paragra- phe 75.1(3) prévoit que lorsque la compagnie néglige de corriger une situation décrite aux ali- néas a), b) et c) dans les délais prescrits par le Ministre, celui-ci «doit» ordonner au surintendant de prendre le contrôle de l'actif de la compagnie. Je conclus donc que les pouvoirs attribués au Ministre par les alinéas a), b) et c) du paragraphe 75.1(2) sont de nature discrétionnaire. Il semble en outre qu'ils soient de nature quasi judiciaire, ce qui découle de leur nature et de leurs conséquences ainsi que de l'obligation pour le Ministre de donner à la compagnie la possibilité d'être entendue.
Cette façon de qualifier les fonctions et les pouvoirs du surintendant des assurances et du ministre des Finances soulève de sérieux problèmes lorsqu'il s'agit de savoir si le fait de les exercer ou de ne pas les exercer pourrait en principe entraîner leur responsabilité. Il faut souligner qu'il n'y a dans la déclaration aucune allégation d'une inten tion de causer un préjudice ou de mauvaise foi et il n'est même pas allégué qu'en exerçant leurs pou- voirs discrétionnaires, le surintendant des assuran ces ou le ministre des Finances ont excédé les limites de ces pouvoirs. Je crois cependant qu'en ce qui concerne au moins l'obligation du surintendant des assurances d'examiner ou de faire examiner les affaires de la compagnie et de faire rapport au Ministre à ce sujet, il n'est pas évident qu'en raison de la nature de cette obligation, un acte ou une omission relative à cette dernière ne pourrait en principe entraîner leur responsabilité. En ce qui concerne l'omission d'exercer les différents pou-
voirs prévus par la loi, je pense qu'on devrait pouvoir se demander, à la lumière de ce qui ressort de la preuve, si le fait de ne pas avoir examiné attentivement la question de savoir si ces pouvoirs devaient être exercés constitue une négligence don- nant droit à une poursuite. Il faut en outre se rappeler qu'en ce qui concerne la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui, il suffit qu'il y ait une cause raisonnable d'action contre le surinten- dant des assurances ou le ministre des Finances.
La question suivante est de savoir si, en principe, une perte purement économique pourrait donner ouverture à une action en recouvrement, si on suppose que le ministre des Finances ou le surin- tendant des assurances avait une obligation de prudence envers les appelants et qu'il ne s'est pas acquitté de cette obligation. L'avocat de la Cou- ronne a soutenu que les cas une perte économi- que qui ne découle pas d'une blessure ou d'un dommage matériel pourrait donner ouverture à une action en recouvrement se limitaient à ceux qui ont été décrits dans les affaires Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.) et Rivtow Marine, précitée: fausse représentation délictuelle et omission délictuelle de signaler une défectuosité dangereuse d'un produit. À mon avis, aucune décision judiciaire subsé- quente portant sur cette question ne laisse enten- dre qu'en principe, il ne pourrait y avoir recouvre- ment à la suite d'une perte purement économique que dans ces cas. Dans l'affaire Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cummer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221, à la page 252, voici l'observation générale qui a été faite au sujet de la portée de l'affaire Rivtow Marine: «Il est mainte- nant établi, par l'arrêt de cette Cour Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works et al. ([1974] R.C.S. 1189) que le recouvrement de la perte économique causée par la négligence est admis même sans recouvrement pour dommages matériels.» Il semble que la question de savoir si un tel recouvrement sera autorisé dans un cas particu- lier de négligence dépend de l'application de prin- cipes ou de considérations d'ordre général, sans qu'il faille se limiter à certaines catégories ou à certains types de cas. Ces principes et ces considé- rations sont très bien expliqués dans l'affaire Caltez Oil, précitée, qui elle-même constituait un exemple de recouvrement résultant d'une perte purement économique dans un cas qui ne faisait
pas partie des catégories mentionnées dans les causes Hedley Byrne et Rivtow Marine. Que la question soit abordée du point de vue de l'obliga- tion de prudence ou du degré d'éloignement du dommage ou, en général, comme une question de principe, il ne me paraît pas évident à ce stade-ci qu'on doive, en principe, exclure la possibilité d'un tel recouvrement dans le présent cas. Une fois de plus, il s'agit, à mon avis, d'une question qui devrait être tranchée au moment du procès à la lumière de ce qui ressort de la preuve concernant le rapport entre la perte subie par les appelants et les actes ou omissions du ministre des Finances et du surintendant des assurances.
Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'est pas évident qu'il ne pourrait y avoir une cause raison- nable d'action contre le surintendant des assuran ces ou le ministre des Finances.
J'examinerai maintenant les questions soulevées concernant la responsabilité du fait d'autrui prévue par la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
La première de ces questions est de savoir si la Loi rend la Couronne responsable d'un dommage causé par la négligence de l'un de ses préposés dans l'exercice des fonctions et des pouvoirs, qui lui ont été imposés ou conférés directement par une loi. Pour faire valoir que la Loi ne lui impute pas une telle responsabilité, l'avocat de la Cou- ronne s'est fondé sur les trois arguments suivants: a) tout d'abord, les termes «dont elle serait respon- sable, si elle était un particulier majeur et capable» utilisés au paragraphe 3(1) de la Loi limitent la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui, à l'égard de la négligence dans l'exercice des fonc- tions ou des pouvoirs légaux, aux fonctions ou pouvoirs qui sont également imposés ou conférés aux particuliers; b) cette responsabilité est exclue par le paragraphe 3(6) de la Loi et en particulier par les termes suivants «Rien dans le présent arti cle ne rend la Couronne responsable à l'égard d'un acte ou d'une omission résultant de l'exercice d'un pouvoir ou d'une autorité qui ... aurait pu être exercé en vertu ... d'une loi»; et c) cette responsa- bilité est exclue par la doctrine que l'on trouve dans les causes australiennes de Darling Island Stevedoring and Lighterage Company Limited v. Long (1957), 97 C.L.R. 36 (H.C.); Enever v. The King (1906), 3 C.L.R. 969 (H.C.); Baume v. The
Commonwealth (1906), 4 C.L.R. 97 (H.C.); et Field v. Nott (1939), 62 C.L.R. 660 (H.C.); sui- vant cette doctrine, un employeur, notamment la Couronne, n'est pas responsable des actes ou des omissions délictuelles de son préposé dans l'exer- cice d'une fonction ou d'un pouvoir discrétionnaire autonome qui est imposé ou conféré directement à ce dernier par la loi et non par les directives de son employeur.
À mon avis, il n'est pas évident que ces argu ments de la Couronne soient bien fondés et compte tenu de la conclusion concernant le premier groupe de questions, il appartiendrait au tribunal de pre- mière instance de trancher ces questions à la lumière de ce qui ressort de l'ensemble des conclu sions et de la preuve concernant le rapport exact entre la présumée négligence d'une part et les fonctions et les pouvoirs légaux en question d'autre part. À mon avis, on peut soutenir que les termes «dont elle serait responsable, si elle était un parti- culier majeur et capable" utilisés à l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne sont une simple formule qui vise à supprimer l'immunité générale de la Couronne et à indiquer que celle-ci est responsable d'un délit au même titre qu'un particulier majeur et capable, et non à limiter les situations, prévues par la Loi, la Couronne peut devenir responsable, aux cas un particulier pourrait devenir responsable. Il convient de se référer aux présomptions implicites découlant des paragraphes 2(2) et 2(3) de la loi du Royaume- Uni intitulée Crown Proceedings Act, 1947 [10 & 11 Geo. 6, chap. 44] quant à l'effet de ces termes utilisés au paragraphe 2(1), et à l'opinion exprimée dans l'ouvrage de Hogg, Liability of the Crown, pages 69 et 102, selon laquelle la législa- tion du Royaume-Uni ne prévoit aucune limite à la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui en cas d'inexécution d'une obligation légale. En ce qui concerne le paragraphe 3(6) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, on peut prétendre qu'il s'applique aux pouvoirs légaux mais non aux fonctions légales et qu'en outre, il distingue le pouvoir ou l'autorité de la Couronne elle-même, tel que la prérogative et l'autorité légale, qui doit être considéré comme étant conféré à la Couronne, de celui qui est accordé à certains préposés de cette dernière qui sont choisis pour accomplir une fonc- tion particulière prévue par la loi. L'application à la Couronne de la règle relative aux fonctions ou
aux pouvoirs discrétionnaires autonomes énoncée dans les causes australiennes est exclue par le paragraphe 2(3) de la loi du Royaume-Uni intitu- lée Crown Proceedings Act, 1947 et par le para- graphe 5(3) de la loi ontarienne intitulée Loi sur les actions contre la Couronne, R.S.O. 1980, chap. 393. Cette règle, appliquée à la responsabilité de la Couronne, a été vivement critiquée (voir Hogg, op. cit., pages 104, 107 et 108), et on peut prétendre, à mon humble avis, qu'elle ne devrait pas s'appliquer sous le régime de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, malgré l'absence d'une disposition sem- blable à celle que l'on trouve dans les lois du Royaume-Uni et de l'Ontario, qui exclut expressé- ment cette règle.
La deuxième question concernant la responsabi- lité de la Couronne du fait d'autrui est de savoir si la Loi sur la responsabilité de la Couronne rend celle-ci responsable d'une perte purement économi- que. L'avocat de la Couronne a prétendu que non en alléguant que la responsabilité délictuelle de la Couronne est régie par la common law de la province le droit d'action a pris naissance, au moment la Partie I de la Loi sur la responsabi- lité de la Couronne a pris effet, c'est-à-dire le 14 mai 1953, et qu'à cette époque, la common law de l'Ontario ne reconnaissait pas le droit d'intenter une poursuite lorsqu'il s'agissait d'une perte pure- ment économique causée par négligence.
En ce qui concerne le premier argument, il existe un certain nombre de décisions qui se fon- dent sur les dispositions de l'ancienne Loi sur la Cour de l'Échiquier [S.R.C. 1970, chap. E-11] prévoyant la responsabilité délictuelle de la Cou- ronne; il a été jugé dans ces affaires que la respon- sabilité de la Couronne devait être déterminée par le droit applicable dans la province le délit avait été commis, y compris toute loi provinciale perti- nente qui était en vigueur au moment la respon- sabilité de la Couronne a été instaurée, sauf si cette loi provinciale était contraire aux dispositions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier ou visait à imposer à la Couronne une responsabilité diffé- rente de celle qui était prévue par cette Loi. Voir en particulier l'affaire Tremblay v. His Majesty The King, [1944] R.C.E. 1, qui a appliqué les arrêts His Majesty The King v. Armstrong (1908), 40 R.C.S. 229 et Gauthier v. His Majesty The King (1918), 56 R.C.S. 176. Même si dans ces
arrêts, on s'est référé en termes généraux au droit provincial applicable, il semble qu'on se soit demandé si une loi provinciale particulière portant sur la responsabilité délictuelle s'appliquait à la responsabilité de la Couronne fédérale. Il a été jugé que le législateur a présumé que cette respon- sabilité devait être déterminée par le droit provin cial, y compris les lois provinciales pertinentes qui étaient en vigueur au moment la Couronne a été assujettie aux règles de la responsabilité, mais que les lois provinciales adoptées subséquemment ne pouvaient valablement toucher à la responsabi- lité de la Couronne fédérale à moins qu'elles n'aient été adoptées par le Parlement. L'affaire Schwella v. Her Majesty The Queen et al., [1957] R.C.É. 226, il a été question du droit qui déterminait la responsabilité en vertu de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Cou- ronne soulevait également la question de l'applica- tion de la Negligence Act de la province de l'Onta- rio. Je ne connais aucun cas on laisse entendre que la common law provinciale, applicable aux catégories de responsabilité de la Couronne créées par les dispositions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier ou de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, devait être considérée comme gelée à la date la responsabilité a été créée. En ce qui concerne l'intention qui doit être attribuée au législateur quant aux règles de droit qui doivent déterminer l'étendue de la responsabilité, il y a une différence importante entre les modifications ou les développements de la common law et les dispo sitions législatives. À mon avis, on peut prétendre que la Loi sur la responsabilité de la Couronne visait à soumettre celle-ci à la common law telle qu'elle continue d'évoluer en matière de responsa- bilité délictuelle, mais uniquement à la législation provinciale qui existait au moment la Loi est entrée en vigueur.
La Couronne allègue en second lieu qu'avant le jugement de la Chambre des lords rendu le 28 mai 1963 dans l'affaire Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, la common law ne reconnaissait pas le droit de pour- suite lorsqu'il s'agissait d'une perte purement éco- nomique causée par négligence. Voir l'article de Harvey intitulé «Economic Losses and Negligence» (1972), 50 R. du B. Can. 580, à la page 581: [TRADUCTION] «Avant l'affaire Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., il était généra-
lement admis, comme s'il s'agissait d'une règle de droit, que la responsabilité en cas de négligence ne s'étendait pas à une perte purement économique.» En 1959 toutefois, dans l'affaire Seaway Hotels Ltd. v. Cragg (Canada) Ltd. et al. (1959), 21 D.L.R. (2d) 264, confirmant [1959] O.R. 177, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé un jugement de la Haute Cour qui avait adjugé des dommages- intérêts en compensation d'une perte purement économique causée par négligence. Même si, dans cette affaire, il y avait également des dommages matériels, on a considéré que la perte économique ne découlait pas de ces dommages matériels. Voir Caltez Oil (Australia) Pty. Limited v. The Dredge «Willemstad», précité, aux pages 548, 549 et 586. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette décision rend incertain le moment la common law de l'Ontario est censée avoir accordé le droit au dédommagement en cas de perte purement écono- mique causée par négligence.
La troisième question concernant la responsabi- lité de la Couronne du fait d'autrui est de savoir si le ministre des Finances est un préposé de la Couronne au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. L'avocat de la Couronne prétend que non en se fondant sur les décisions de la Cour de l'Échiquier portant qu'un ministre de la Couronne n'était pas un préposé ni un fonctionnaire de la Couronne au sens des dispo sitions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier qui rend la Couronne responsable du fait d'autrui et prévoit que la Cour a compétence dans «les cas une demande est faite ou un recours est cherché contre un fonctionnaire de la Couronne pour une chose faite ou omise dans l'accomplissement de ses devoirs comme tel». Voir en particulier les affaires McArthur v. His Majesty The King, [ 1943] R.C.É. 77; Belleau v. Minister of National Health and Welfare, et al., [1948] R.C.É. 288. La Cour suprême du Canada a jugé qu'un ministre de la Couronne était un fonctionnaire de la Couronne à certaines fins. Voir les arrêts Sommers v. Her Majesty The Queen, [ 1959] R.C.S. 678; Jones et Maheux v. Gamache, [ 1969] R.C.S. 119. Même si dans ces arrêts, on a cité les causes de McArthur et Belleau, la Cour ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé de ces décisions dans leur contexte législatif particulier. En Angleterre, les tribunaux ont exprimé un point de vue tout à fait contraire à celui de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire
McArthur, en disant que même s'il est un conseil- ler de la Couronne, un ministre de la Couronne est un préposé de cette dernière. Voir les affaires Bank voor Handel en Scheepvaart N.V. v. Admi nistrator of Hungarian Property, [1954] A.C. 584 (H.L.), lord Reid à la page 615, et Ranaweera v. Ramachandran, et al., [ 1970] A.C. 962 (P.C.), lord Diplock [dissident] à la page 973. Celui-ci s'est référé au paragraphe 38(2) de la loi intitulée Crown Proceedings Act, 1947 la définition du terme [TRADUCTION] «fonctionnaire» semble pré- sumer que du point de vue de la common law, un ministre de la Couronne est un préposé de cette dernière. Cette définition est ainsi rédigée: [TRA- DUCTION] «"Fonctionnaire", en relation avec la Couronne, désigne un préposé de Sa Majesté et par conséquent (mais sans limiter la généralité de ce qui précède), il inclut un "ministre de la Cou- ronne"» (les italiques sont de moi). À mon humble avis, on peut prétendre que c'est le point de vue qui devrait être adopté pour les fins de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Quoi qu'il en soit, l'argument de la Couronne à cet égard, même s'il est bien fondé, n'exclut pas la possibilité de la responsabilité de la Couronne du fait d'autrui pour le présumé délit du surintendant des assurances, qui est manifestement un préposé de la Couronne.
Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'est pas évident à ce stade que les appelants n'ont aucun droit d'action contre l'intimée. Par conséquent, j'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance de la Division de première instance et je rejetterais la demande d'ordonnance visant à radier la déclara- tion et à rejeter l'action, le tout avec dépens en appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Même si, en sta- tuant sur une requête en radiation de la déclara- tion, on éprouve une réticence bien compréhensible à dire quoi que ce soit qui pourrait être interprété comme préjugeant d'une partie d'une action sur laquelle un juge de première instance peut devoir subséquemment se prononcer, je ne crois pas qu'il faille, dans tous les cas, trancher par une simple autorisation ou un simple refus, une requête visant
à radier une déclaration parce qu'elle ne révélerait aucune cause raisonnable d'action.
Quel que soit le sort de la requête, les questions en litige seront, en tout ou en partie, tranchées de façon définitive. Comme l'a déclaré le juge des requêtes, le tribunal n'est pas dispensé «lorsqu'il est saisi d'une telle requête, d'examiner les ques tions juridiques complexes et d'appliquer les règles de droit aux faits qui, à cette fin, sont présumés être vrais».
Il s'ensuit, semble-t-il, que dans les cas la décision relative à une requête implique des ques tions juridiques complexes, il est dans l'intérêt des parties et des plaideurs éventuels que la Cour ne s'abstienne pas de formuler son point de vue sur les questions auxquelles on lui demande de répondre.
Il va de soi que les questions soumises à cette Cour dans la présente action sont complexes. Quant au caractère définitif de la décision portant sur la requête, si celle-ci est accueillie, le même droit d'action ne pourra de nouveau être invoqué devant un tribunal; si elle est rejetée, les questions de droit soulevées à l'appui de la requête auront été tranchées irrévocablement à ce stade et les mêmes questions de droit ne pourront être soule- vées à l'instruction de l'affaire.
Étant donné qu'une telle requête précède la production de tout élément de preuve et qu'elle dépend uniquement de l'exactitude présumée des faits invoqués, la Cour doit tenir pour acquis que chacun des faits invoqués a été prouvé et qu'il n'y a pas de circonstances justificatives qui ne sont pas établies par les allégations contenues dans la décla- ration. A plusieurs égards, ce genre de requête n'est qu'une variante de la décision rendue, avant l'instruction, sur un point de droit et il produit les mêmes effets.
Vu l'absence de faits sur lesquels devrait se prononcer le juge qui entend la requête, celui-ci a pour seule fonction d'entendre les arguments et d'appliquer les règles de droit pertinentes, et il ne peut radier la déclaration que s'il est d'avis qu'à la lumière des faits allégués, le droit d'action invoqué ne repose sur aucun fondement.
Lorsqu'un requérant (défendeur) produit une requête qui demande le rejet d'une action pour le motif que la déclaration ne révèle aucun droit
d'action, c'est à lui qu'il incombe de faire valoir, à l'aide d'arguments juridiques, son droit d'être dis- pensé de contester, à l'instruction, l'action intentée contre lui par l'intimé parce que, soutient-il, le droit d'action invoqué ne repose sur aucun fonde- ment juridique. Le requérant demande donc qu'une décision soit rendue, avant l'instruction, sur une ou plusieurs questions de droit qui, de l'avis de son avocat, devraient normalement être soumises au juge de première instance, une fois l'ensemble de la preuve présentée; ce faisant, le requérant demande et accepte que ces questions de droit soient tranchées au cours des procédures prélimi- naires et il ne pourra, si sa requête est rejetée, soulever les mêmes questions de droit au cours du procès.
Il ne fait aucun doute que normalement, les dépositions fournies à l'instruction compléteront ou modifieront les faits relatifs à la réclamation qui sont invoqués dans la déclaration, de sorte que la question soumise au juge de première instance ne sera pas identique à celles qui auront été tranchées à la suite de la requête; mais s'il n'y a pas de variante entre les faits invoqués dans la déclaration relativement à une question de droit particulière et ceux que constate le juge de première instance agissant à titre de juge des faits, relativement à la même question de droit, chacune des questions de droit soulevée par le requérant dans le cadre de ces procédures préliminaires aura fait l'objet d'une décision judiciaire et ne pourra être soulevée de nouveau par celui-ci.
Étant donné le point de vue exprimé ci-dessus au sujet de la nature des procédures et la complexité indubitable des questions qui ont été soumises à la Cour dans le cadre de l'argumentation présentée à l'appui de la requête, je suis d'avis que dans un cas comme celui-ci, il convient qu'un membre de la Cour motive ses conclusions et ne tranche pas l'appel sans mentionner ou commenter les ques tions de droit débattues devant la Cour.
De toute évidence, on vise, par ces motifs, à examiner uniquement les questions de droit qui ont été soulevées pour être tranchées; ces motifs ne doivent pas être interprétés comme un moyen d'examiner ou de commenter les questions de fait
puisque ce serait empiéter sur les prérogatives du juge de première instance.
Je souscris aux motifs de jugement de mon collègue Le Dain, ainsi qu'à sa décision portant sur le présent appel.
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