T-1890-83
B. Anne Cameron et Nancy Colbert and Asso
ciates (demanderesses)
c.
Ciné St-Henri Inc., Nielsen-Ferns International
Limited, Société Radio-Canada, Office national
du film, Institut québécois du cinéma, Société de
développement de l'industrie cinématographique
canadienne et Famous Players Ltd. (défendeurs)
Division de première instance, juge Walsh—Mont-
réal, 24 octobre; Ottawa, 3 novembre 1983.
Droit d'auteur — Pratique — Il s'agit de savoir si u,) film
tiré d'une œuvre rédigée en vue d'une série télévisée constitue,
malgré l'existence prétendue d'une cession du droit d'auteur,
une violation de ce droit de l'écrivain — Comme elle a été
seulement évoquée au cours du débat et dépend d'un examen
approfondi de l'entente, la question de la compétence doit être
tranchée plus tard — La mandataire de la demanderesse B.
Anne Cameron est radiée des procédures puisqu'elle n'a aucun
intérêt dans le droit d'auteur en tant que tel — Recevabilité
des affidavits — Dans l'examen d'une requête en radiation, les
allégations de la déclaration doivent être tenues pour avérées
sauf si des éléments de preuve de l'affidavit démontrent la
fausseté d'une allégation essentielle — Quels sont les détails
qui peuvent être demandés dans une action en violation du
droit d'auteur sur une œuvre littéraire? — Les plaidoiries et
les détails s'y rapportant doivent être aussi concis que possible
— D'autres requêtes pour obtenir des détails sont accueillies et
assorties de directives quant à leur étendue — Loi sur le droit
d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 12(4) — Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 341, 419(2).
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Receva-
bilité des affidavits — L'affidavit prête à controverse, mais il
contient des éléments de preuve sur lesquels s'appuie la
requête — Sur une requête en radiation, la Cour doit tenir
toutes les allégations de la déclaration pour avérées — La
présomption ne résiste pas si des éléments de preuve à l'appui
de l'affidavit démontrent qu'une allégation essentielle n'est pas
vraie ou est trompeuse.
Compétence — Division de première instance — S'agit-il
d'une action qui repose sur la violation d'un droit d'auteur ou
d'une action en dommages-intérêts fondée sur une violation de
contrat? — Les procédures ne devraient pas être radiées pour
défaut de compétence lorsque ce moyen n'a été qu'évoqué au
cours du débat — Si on interprète strictement la compétence
de la Cour, la codemanderesse est radiée des procédures
puisqu'elle est une partie qui n'a pas la qualité pour agir.
Il s'agit de diverses requêtes présentées dans une action
visant à déterminer si un film tiré d'une œuvre rédigée en vue
d'une série télévisée et qui porte sur le même sujet constitue,
malgré l'existence de ce qu'on peut qualifier d'entente de
cession d'un droit d'auteur, une violation de ce droit de
l'écrivain.
Jugement: les requêtes entraînent les ordonnances suivantes.
Une requête visant à déclarer irrecevable un affidavit produit à
l'appui d'une requête au motif qu'il prête à controverse doit être
rejetée parce que l'affidavit contient des éléments de preuve sur
lesquels s'appuie la requête. Une requête visant à faire déclarer
un autre affidavit irrecevable parce qu'il apporte une preuve sur
une requête en radiation, contrairement à la Règle 419(2), est
également rejetée parce que la Cour est déjà saisie du paragra-
phe litigieux du document produit dans l'affidavit et parce que
ce paragraphe est pertinent aux fins de trancher la question de
la compétence de la Cour, question qui doit être déterminée le
plus tôt possible. De plus, l'affidavit contredit clairement une
allégation essentielle de la déclaration. Bien qu'il existe une
présomption bien reconnue selon laquelle, sur une requête en
radiation, il faut tenir pour avérées les allégations de la déclara-
tion, cette présomption peut être réfutée lorsqu'il y a des
éléments de preuve dans l'affidavit qui démontrent qu'une des
allégations essentielles n'est pas vraie.
Même s'il se peut que la Cour n'ait pas compétence, les
procédures ne devraient pas être radiées pour défaut de compé-
tence parce que la question dépend d'un examen soigneux de
l'entente, qui sera fait ultérieurement, et surtout parce que les
défendeurs n'ont pas spécifiquement demandé la radiation mais
l'ont seulement évoquée au cours du débat. La requête en
radiation des procédures de la mandataire de la demanderesse
Cameron est accueillie puisque cette première n'a aucun intérêt
dans le droit d'auteur en tant que tel.
La requête pour détails est accueillie en partie. Elle soulève
de sérieuses questions concernant les détails pouvant ou devant
être ordonnés dans une action en violation du droit d'auteur sur
une œuvre artistique ou littéraire. La jurisprudence sur ce point
n'est pas abondante et est même contradictoire. La jurispru
dence en matière de brevets indiquant qu'il ne suffit pas de dire
simplement qu'il y a eu violation n'est pas d'un grand secours,
car il est possible d'être plus précis en matière de contrefaçon
alléguée de brevets. Dans le cas d'une œuvre littéraire, la
violation peut toucher des centaines de passages et ce serait
imposer un fardeau intolérable à un demandeur que d'exiger
qu'il les énumère en détail dans une liste et qu'il se limite à
cette liste. La demanderesse doit être tenue de donner des
détails assez nombreux pour établir prima facie une cause
d'action, mais ces détails peuvent être accompagnés de la
mention «sans limiter la généralité de ce qui précède». Les
plaidoiries et les détails s'y rapportant devraient être aussi
concis que possible.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Sweet v. Maugham (1840), 11 Sim. 51; 59 E.R. 793
(H.C.Ch.); Starr and Crowe-Swords v. Northern Cons
truction Co. Ltd. et al. (1956), 16 Fox Pat. C. 42
(C.S.C.-B.).
AVOCATS:
J. M. Banfill, c.r. et S. N. Dans pour les
demanderesses.
D. W. Seal, c.r. et L. E. Seidman pour Ciné
St-Henri Inc., défenderesse.
S. E. Barry pour la Société Radio-Canada et
l'Office national du film, défendeurs.
M. H. Cooper pour l'Institut québécois du
cinéma, la Société de développement de l'in-
dustrie cinématographique canadienne et
Famous Players Ltd., défendeurs.
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour les
demanderesses.
Seal & Associés, Montréal, pour Ciné
St-Henri Inc., défenderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
Société Radio-Canada et l'Office national du
film, défendeurs.
Engle, Schwartz, Toronto, pour l'Institut qué-
bécois du cinéma, la Société de développe-
ment de l'industrie cinématographique cana-
dienne et Famous Players Ltd., défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Les diverses requêtes en l'es-
pèce ont été présentées et débattues simultané-
ment, les défendeurs étant représentés par trois
procureurs différents, l'un occupant pour Ciné
St-Henri Inc., l'autre pour les défendeurs Société
Radio-Canada et Office national du film, et le
troisième pour l'Institut québécois du cinéma, la
Société de développement de l'industrie cinémato-
graphique canadienne et Famous Players Ltd. Les
défenses n'étant pas identiques, les requêtes ont
soulevé des questions différentes mais elles se
recoupent, dans une certaine mesure. C'est pour-
quoi une ordonnance rendue sur la requête d'un
groupe de défendeurs peut être utile aussi à d'au-
tres défendeurs, notamment en ce qui concerne la
compétence de la Cour et les détails. Une ordon-
nance distincte doit être rendue à l'égard de
chaque requête, compte tenu des diverses questions
soulevées par certains des défendeurs, mais il n'est
pas souhaitable qu'il y ait double emploi. Les
présents motifs traiteront donc, en général, de
toutes les questions soulevées, et serviront de base
aux différentes ordonnances.
La requête sur laquelle a eu lieu le débat le plus
complet dans l'intérêt de tous les défendeurs était
celle introduite au nom de Ciné St-Henri Inc. à
laquelle la défenderesse Nielsen-Ferns Interna-
tional Limited avait cédé les droits qu'elle tient de
son entente conclue le 20 février 1979 avec la
demanderesse B. Anne Cameron. Cette requête
tend à la radiation de certains paragraphes de la
déclaration modifiée des demanderesses pour
absence de cause raisonnable d'action et, subsidiai-
rement, à l'obtention de détails sur plusieurs para-
graphes de cette déclaration, énumérés dans l'or-
donnance qui sera rendue. De plus, elle cherche à
faire radier Nancy Colbert and Associates comme
codemanderesse dans l'action et, au cours du
débat, cette requête a soulevé la question de la
compétence de cette Cour sur l'objet de l'action
elle-même, bien que n'ait été introduite aucune
requête en permission de déposer un acte de com-
parution conditionnelle à cette fin.
Dans l'affidavit de Marie Josée Raymond,
déposé le 13 septembre 1983 à l'appui de la
requête, le paragraphe 7 indique que, dans le
contrat mentionné au paragraphe 10 de la déclara-
tion modifiée, l'alinéa 23a) prévoit que:
[TRADUCTION] ... les parties concluent cet accord en tant
qu'employeur et employé et ... tous les droits afférents aux
produits et fruits des services de l'auteur nés au cours de
l'emploi de ce dernier chez le producteur sont, en vertu des
présentes, la propriété exclusive du producteur, celui-ci en étant
l'auteur et étant titulaire du droit d'auteur s'y rapportant, ainsi
que de tous les renouvellements et de toutes les prolongations
appropriés.
Une des requêtes ayant fait l'objet du débat
était celle par laquelle les demanderesses sollici-
taient une ordonnance déclarant que cet affidavit
est irrecevable en tout ou en partie et ne devrait
pas être examiné par la Cour à l'audition de la
requête de Ciné St-Henri Inc. C'est une requête
assez extraordinaire puisqu'elle revient à dire que
la Cour ne doit pas examiner l'affidavit exigé à
l'appui de la requête en radiation et de la demande
de détails. L'avocat de Ciné St-Henri Inc. a donc
soumis, à l'ouverture de l'audition, un autre affida
vit de Marie Josée Raymond, qui se borne à
annexer la totalité de l'entente du 20 février 1979
dont un extrait avait été cité dans l'affidavit anté-
rieur, afin de souligner que, puisque l'original se
trouve en la possession des demanderesses et est
mentionné dans la déclaration, la production ne
saurait les prendre au dépourvu. Il est vrai que
certains paragraphes de l'affidavit du 13 septem-
bre 1983 prêtent à controverse, notamment ses
paragraphes 4, 5 et 6, mais il contient effective-
ment l'extrait (précité) de l'entente à son paragra-
phe 7, sur lequel s'appuie ladite requête en radia
tion de la défenderesse; il est donc recevable et la
requête des demanderesses pour qu'il n'en soit pas
tenu compte dans l'examen de la requête de la
défenderesse, doit être rejetée avec dépens.
Il y a une grande incertitude quant à la receva-
bilité du second affidavit de Marie Josée Ray-
mond, produit à l'audition et annexant la totalité
de l'entente conclue entre Nielsen-Ferns Interna
tional Limited (le producteur) et la demanderesse
B. Anne Cameron (l'auteur) car la Règle 419(2)
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]
prévoit qu'«Aucune preuve n'est admissible sur une
demande aux termes de l'alinéa (1)a)», qui est
l'alinéa sur lequel se fonde ladite requête de la
défenderesse pour demander la radiation de cer-
tains paragraphes de la déclaration des demande-
resses pour absence de cause raisonnable d'action.
Ladite défenderesse Ciné St-Henri Inc. a cher-
ché à modifier sa requête pour surmonter cette
difficulté en sollicitant, en vertu de la Règle 341,
un jugement que l'on peut demander «à tout stade
d'une procédure» sur la base du document déposé
en Cour (c'est-à-dire l'entente), mais je ne pense
pas que cette Règle soit appropriée compte tenu
des faits de cette action, ni qu'elle puisse être
utilisée comme un moyen indirect de déposer un
document qu'il ne pourrait autrement être possible
de déposer à l'audition de cette requête. Cette
demande verbale de modification est donc rejetée.
Toutefois, j'ai autorisé la production de l'entente
tout entière qui sera, à l'évidence, nécessaire à
toute décision sur l'action, parce que, en tout état
de cause, la Cour est saisie du paragraphe litigieux
y figurant et sur lequel s'appuie la requête en
radiation; il est en outre clairement dans l'intérêt
de toutes les parties de déterminer le plus tôt
possible si, en fait, cette Cour a compétence. Cela
est d'autant plus vrai si on considère l'affirmation
très surprenante et manifestement erronée qui
figure au paragraphe 16 de la déclaration modi-
fiée, selon laquelle [TRADUCTION] «L'entente du
20 février 1979 dit expressément que le droit d'au-
teur sur l'oeuvre que créera la demanderesse B.
Anne Cameron lui restera». Cette affirmation con-
tredit directement l'alinéa 23a) (précité) de
l'entente.
Je suis parfaitement conscient de la jurispru
dence constante selon laquelle, dans l'examen
d'une requête en radiation, la Cour doit tenir
toutes les allégations de la déclaration pour avé-
rées, et, partant de là, décider si ladite déclaration
révèle une cause d'action. Toutefois, lorsque la
Cour est saisie d'éléments de preuve contenus dans
l'affidavit déposé à l'appui qui démontrent qu'une
allégation essentielle, et, de fait, une allégation sur
laquelle repose la compétence de la Cour, n'est pas
vraie ou est au moins erronée et trompeuse, il
serait déraisonnable de s'attendre à ce que la Cour
ferme ses yeux et rende jugement en tenant l'allé-
gation pour avérée.
Il faut donc examiner la question de la compé-
tence. À moins que l'action ne repose sur une
violation de droit d'auteur, il s'agit simplement
d'une action ordinaire en dommages-intérêts
fondée sur une violation de contrat et relevant de
la compétence des tribunaux d'une province.
L'avocat des demanderesses soutient avec
vigueur (invoquant maintenant la totalité de l'en-
tente dont il a contesté la production) que l'entente
incorpore les conditions de l'Independent Produ
cers Agreement (accord des producteurs indépen-
dants) qui en fait partie. Il s'agit d'un accord entre
Canadian Association of Motion Picture Produ
cers, l'Association canadienne de cinéma-télévi-
sion, l'Office national du film et l'Association des
artistes canadiens de la télévision et de la radio,
portant sur les auteurs indépendants de films, de
programmes de télévision et autres productions.
L'accord est long et compliqué, traitant de paie-
ments, de droits des parties, de paiements pour les
rediffusions, etc. Il est périodiquement révisé.
L'accord en vigueur du 1er avril 1978 au 31 mars
1980 était annexé au contrat du 20 février 1979.
Bien que remplacé depuis par un autre accord
valable pour la période allant du ler avril 1980 au
31 mars 1983, comme l'indique le paragraphe 15
de la déclaration modifiée, la Cour n'est pas saisie
de cette dernière version qui ne toucherait, en tout
état de cause, que le quantum de l'action et ne
saurait être utilisée pour interpréter le contrat
signé le 20 février 1979 qui est visé par les présen-
tes procédures. Selon l'avocat des demanderesses,
la clause A5 de l'Independent Producers Agree
ment en vigueur à l'époque dit:
[TRADUCTION] Il est convenu que tous les droits négociés sous
le régime de cet accord ou dans tout contrat individuel entre un
auteur et un producteur prennent ordinairement la forme d'une
licence accordée par le premier au second et autorisant l'emploi
d'un droit précis, quel qu'il soit, à une fin particulière et pour
une durée déterminée.
Toujours selon l'avocat des demanderesses, l'arti-
cle A702a) et b) dit:
[TRADUCTION] A702 Tous les contrats conclus avec l'auteur
doivent préciser ou inclure:
a) la propriété des droits fondamentaux dans l'ceuvre;
b) une définition des droits achetés;
Les demanderesses font valoir qu'il n'a été trans-
féré au producteur qu'une licence autorisant l'em-
ploi particulier de l'oeuvre originale de l'auteur
pour la série de télévision en 5 épisodes, qu'il n'a
jamais été prévu qu'un film serait tiré de l'oeuvre
de la demanderesse B. Anne Cameron, et qu'en
conséquence elle n'a jamais cédé de droit d'auteur
au producteur pour l'utilisation de son oeuvre à des
fins autres que celles prévues dans l'entente.
Notons toutefois que, à propos de productions de
télévision, la clause C105 porte ce qui suit:
[TRADUCTION] C105 Le producteur peut résilier un contrat à
la fin de chaque série prévue à la clause C103 ou à la clause
C104, auquel cas tout droit que l'auteur détient dans l'eeuvre
lui revient.
À l'évidence, l'Independent Producers Agree
ment n'interdit pas à un auteur de transférer un
droit à son employeur, le producteur, comme cela
s'est fait certainement en l'espèce, mais il y est
effectivement prévu l'octroi d'un permis d'utilisa-
tion à des fins précises dont la réalisation entraîne
le retour du droit d'auteur à son titulaire.
Rien dans tout cela n'irait à l'encontre du para-
graphe (4) de l'article 12 de la Loi sur le droit
d'auteur':
12... .
(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce
droit, en totalité ou en partie, d'une manière générale, ou avec
des restrictions territoriales, pour la durée complète ou partielle
de la protection; il peut également concéder, par une licence, un
intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la conces
sion n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le
titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment
autorisé.
Sans entrer dans les autres détails des conditions
de l'entente du 20 février 1979, on peut dire qu'elle
semble toutefois envisager la possibilité d'utiliser
l'oeuvre pour un film cinématographique et, dans
' S.R.C. 1970, chap. C-30.
cette éventualité, les conditions de paiement s'y
rapportant; il se pourrait donc que, à toutes fins
pratiques, l'entente ait cédé au producteur la tota-
lité du droit d'auteur. Mais, à ce stade des procé-
dures, la Cour n'a pas à trancher cette question.
En conclusion sur ce volet de l'argument, je
conclus que, même s'il se peut que la demande-
resse B. Anne Cameron n'ait eu aucun droit d'au-
teur sur l'oeuvre au moment de l'introduction des
procédures, et que donc la Cour n'ait pas compé-
tence, les procédures ne devraient pas être radiées
pour défaut de compétence par suite de cette
requête, puisque cela n'a pas été spécifiquement
demandé, mais seulement évoqué au cours du
débat. J'estime toutefois que la question devrait
être soulevée prochainement, avant les interroga-
toires préalables et autres procédures, peut-être au
moyen d'une décision préliminaire sur un point de
droit ou d'un exposé des faits, de sorte que la
compétence de cette Cour puisse être déterminée
avant l'examen du fond de l'affaire.
En ce qui concerne toutefois la codemanderesse
Nancy Colbert and Associates, je ne vois pas
comment on pourrait conclure à la compétence de
cette Cour à l'égard de cette société. Elle est
mandataire de la demanderesse B. Anne Cameron
qui l'a dûment autorisée à recevoir tout paiement
dû en vertu de l'entente du 20 février 1979. Bien
entendu, elle s'intéresse, à ce titre, à l'issue finan-
cière des présentes procédures et il serait normal
de la mettre en cause. En revanche, elle n'a aucun
intérêt dans le droit d'auteur en tant que tel.
L'avocat des demanderesses a fait valoir que, dans
un sens, on pourrait dire que la demanderesse B.
Anne Cameron lui a cédé ses droits (si toutefois
elle avait un droit d'auteur à céder selon l'entente
du 20 février 1979), mais il faut repousser cet
argument puisque aucune cession écrite n'a été
faite conformément au paragraphe 12(4) (précité)
de la Loi sur le droit d'auteur.
La jurisprudence récente a strictement inter-
prété la compétence de cette Cour, et une partie
qui, autrement, n'aurait pas qualité pour agir
devant cette Cour ne saurait l'acquérir par voie de
demande reconventionnelle, par procédure de mise
en cause ni autrement, ni, comme en l'espèce, par
constitution de partie, à titre de codemanderesse, à
l'action intentée par la demanderesse B. Anne
Cameron et née de ses droits d'auteur allégués sur
lesquels la Cour aurait compétence. Il se peut que
les sommes qui lui seraient adjugées à la suite de
ces procédures soient alors partagées avec Nancy
Colbert and Associates en vertu de quelque
mandat intervenu entre elle et cette société, mais
cela ne concerne pas la Cour. Donc, cette société
sera radiée des procédures en tant que codemande-
resse, et l'intitulé de la cause sera modifié en
conséquence.
Pour ce qui est de la requête introduite par la
défenderesse Ciné St-Henri Inc., la radiation de
certains paragraphes de la déclaration modifiée
des demanderesses, notamment des paragraphes
17, 19, 21, 22a),b),c),d),e),f),g) et h), n'est pas
accordée, mais la demande subsidiaire d'une
ordonnance prescrivant certains détails est réglée
de la façon suivante:
1. L'adresse complète de la demanderesse B.
Anne Cameron à Nanaimo n'est pas nécessaire à
la défenderesse pour plaider et peut être facile-
ment obtenue lors d'un interrogatoire préalable. Il
n'est donc ordonné aucune réponse.
2. Ces détails ne sont pas pertinents, Nancy
Colbert and Associates ayant été radiée à titre de
codemanderesse.
3. [Alinéas] 12a),b),c),d) et e). Même s'il
appert que ces dates sont connues de ladite défen-
deresse, la demanderesse devrait les donner si elle
les a consignées dans un dossier.
4. Les accords se passent de commentaires et j'ai
déjà dit que l'accord subséquent ne serait pertinent
qu'à l'égard des dommages-intérêts. Il n'est
ordonné aucun détail.
[Alinéas] 6a) et 8b). Les droits dus à la deman-
deresse B. Anne Cameron sont probablement ceux
dus en vertu de l'entente et de 1'Independent Pro
ducers Agreement que la défenderesse connaît;
mais si la demanderesse réclame plus que cela, à
titre de «droits», il convient de donner des détails
supplémentaires.
[Alinéa] 7a). La défenderesse est consciente de
la publicité faite. Aucun détail n'est nécessaire.
[Alinéa] 9a). Bien que Nancy Colbert and Asso
ciates ne soit pas autorisée à se constituer deman-
deresse devant cette Cour, la défenderesse est, par
avis dûment reçu, tenue de payer à cette société les
sommes dues à B. Anne Cameron. Il y aurait donc
lieu de donner ces détails.
[Alinéas] 8c), 9c) et d). Quant aux détails sur
les allégations faites aux alinéas 22c) et d) portant
sur des dommages-intérêts punitifs et des domma-
ges-intérêts pour atteinte à la réputation, ces ques
tions seront tranchées par la Cour après audition
de l'affaire au fond ou il y aura une référence
quant aux dommages-intérêts; aucun détail n'est
nécessaire à la défense.
Il reste les paragraphes 5, 6b), 7b), 8a), 8d), 9b)
et 9e) qui soulèvent de sérieuses questions concer-
nant les détails pouvant ou devant être ordonnés
dans une action en violation du droit d'auteur sur
une œuvre artistique ou littéraire. La jurispru
dence sur ce point n'est pas abondante et peut
même être contradictoire.
La demanderesse invoque l'ancienne affaire bri-
tannique Sweet v. Maugham 2 où il a été jugé qu'il
suffit pour le demandeur d'alléguer sans autre
précision que l'oeuvre du défendeur contient des
passages qui ont été copiés dans celle du deman-
deur pour que la Cour compare les deux. Par
contre, la défenderesse cite l'affaire Starr and
Crowe-Swords v. Northern Construction Co. Ltd.
et al. 3 , où le juge Macfarlane, de la Cour suprême
de la Colombie-Britannique, a décidé qu'il faut
donner les détails des allégations faites dans les
plaidoiries, qui déterminent les litiges, de manière
à parer à toute surprise à l'instruction. Dans cette
affaire, la question était limitée à un plan adopté
par les défendeurs qui était une imitation trom-
peuse du plan mentionné dans la déclaration.
Dans The Canadian Law of Copyright and
Industrial Designs, deuxième édition, Fox dit ceci
à la page 448:
[TRADUCTION] Il semblerait que le défendeur ait droit à des
détails indiquant les parties de l'ceuvre du demandeur que,
selon ce dernier, le défendeur aurait copiées; ceci est particuliè-
rement vrai lorsque le demandeur n'a qu'un droit d'auteur
partiel sur son œuvre ..
et il poursuit en ces termes:
[TRADUCTION] En revanche, on trouve des précédents portant
que le défendeur n'est pas en droit de recevoir des détails sur les
2 (1840), 11 Sim. 51; 59 E.R. 793 (H.C.Ch.).
3 (1956), 16 Fox Pat. C. 42 (C.S.C.-B.).
parties de son oeuvre qui, selon l'allégation, reproduisent l'oeu-
vre du demandeur; il suffit de plaider que l'oeuvre du défendeur
reproduit l'oeuvre du demandeur ou une partie substantielle de
celle-ci.
La jurisprudence en matière de brevets indi-
quant qu'il ne suffit pas de dire qu'il y a eu
violation et qu'il faut donner des détails sur la
violation alléguée, n'est pas d'un grand secours,
car il est possible d'être plus précis en matière de
contrefaçon alléguée de brevets.
Dans une action en violation du droit d'auteur
sur une oeuvre littéraire, la violation peut toucher
des centaines de passages, de phrases ou d'intri-
gues et, au stade des plaidoiries, ce serait un
fardeau intolérable pour un demandeur de les énu-
mérer en détail dans une liste et de se limiter à
cette liste. Ceci est d'autant plus vrai en l'espèce
où tant l'ceuvre sur laquelle le droit d'auteur de la
demanderesse B. Anne Cameron subsiste que les
versions cinématographiques incriminées découlent
d'une source commune, le roman de feue Gabrielle
Roy The Tin Flute/Bonheur d'occasion. Par ail-
leurs, il semble que la demanderesse n'a même pas
le scénario du film, qu'elle a appris la violation à la
suite de certaines affirmations faites par l'avocat
de la défenderesse dans sa correspondance et peut-
être même seulement en voyant le film.
La Cour statuant sur le fond de l'affaire devra
en définitive faire les comparaisons. Par contre, on
peut dire que les paragraphes 17, 19b), 20b), 21a),
21d), 22c) et 22f) sont trop généraux et vagues
pour établir une cause précise d'action à laquelle la
défenderesse peut répondre.
Il me semble que, dans une affaire telle que
l'espèce présente, la demanderesse devrait être
tenue de donner des détails sur plusieurs phrases,
passages ou situations dont elle est l'auteur origi
nal et que la défenderesse aurait plagiés ou copiés
dans la version cinématographique. Ces détails
devraient être assez nombreux pour établir prima
facie une cause d'action, mais peuvent être accom-
pagnés de la mention [TRADUCTION] «sans limiter
la généralité de ce qui précède» ni interdire à la
demanderesse d'introduire à l'instruction d'autres
exemples. Il ne faut pas confondre une requête en
détails avec un interrogatoire préalable. Les plai-
doiries et les détails s'y rapportant devraient être
aussi concis que possible et, au stade initial des
procédures, on ne devrait pas encombrer le dossier
de la Cour de centaines de pages de détails qui
constituent en réalité la preuve à présenter à l'ins-
truction et qui peuvent se rapporter plus à la
gravité du plagiat allégué et donc au montant des
dommages-intérêts qui pourra faire l'objet d'une
référence, qu'à la nécessité pour la demanderesse
d'établir qu'il y a eu violation.
L'ordonnance concernant la requête de la défen-
deresse Ciné St-Henri Inc. sera rendue conformé-
ment à ces constatations.
La troisième requête présentée par l'Institut
québécois du cinéma, la Société de développement
de l'industrie cinématographique canadienne et
Famous Players Ltd., défendeurs, tend simplement
à l'obtention de détails sur les paragraphes 17, 18,
19 et 20 de la déclaration modifiée. Il est allégué
dans les paragraphes 17, 18 et 19 qu'ils ont produit
un long métrage introduisant une partie ou la
totalité de l'oeuvre originale créée par la demande-
resse pour les séries télévisées, qu'ils ont financé et
participé à la réalisation de ce film et l'ont pré-
senté au public à l'insu de la demanderesse et sans
son consentement. Le paragraphe 20 allègue que,
par l'entremise de leurs mandataires, ils ont dif-
fusé des messages publicitaires désignant comme
auteur une autre personne que la demanderesse.
L'avocat desdits défendeurs reconnaît qu'ils ont
financé la production mais nie qu'ils y ont parti-
cipé. En réponse, l'avocat de la demanderesse fait
valoir que les accords sont assez parlants et que
lesdits défendeurs connaissent bien le degré de leur
participation et ne peuvent donc pas dire qu'ils ont
été pris au dépourvu. Toutefois, plaider une con
clusion découlant d'un contrat est différent de
plaider des faits pertinents. Un démenti général
dans une plaidoirie, sans autres détails, est inac-
ceptable. Lesdits défendeurs doivent donc avoir des
détails sur leur participation à la production, sur
l'assistance donnée autrement que par finance-
ment, publication du film et diffusion de messages
publicitaires attribuant la qualité d'auteur à une
personne autre que la demanderesse. Celle-ci
devrait indiquer les faits sur lesquels elle s'appuie
en faisant ces allégations dans la mesure où ils ont
été portés à sa connaissance et non à la seule
connaissance desdits défendeurs.
La quatrième requête est introduite par la
Société Radio-Canada et l'Office national du film
du Canada, défendeurs, et tend à l'obtention de
détails semblables à ceux demandés par Ciné
St-Henri Inc. dans la requête sur laquelle j'ai déjà
statué. L'avocat fait savoir que lesdits défendeurs
ont déjà reçu quelques détails et limitent mainte-
nant leur requête aux paragraphes 17, 20 et 22b)
de la déclaration modifiée. Le paragraphe 17
demande des détails précis sur le plagiat allégué et
j'ai déjà réglé la question à propos de la requête de
Ciné St-Henri; sur la même base, des détails limi
tés devraient être fournis aux défendeurs. Il en est
de même pour les détails demandés au sujet du
paragraphe 20—pour l'alinéa 20c) de ladite
requête des défendeurs. Pour ce qui est des alinéas
20a) et b), lesdits défendeurs savent bien quelle
publicité, si publicité il y a, attribue la qualité
d'auteur à une personne autre que B. Anne Came-
ron, et connaissent le nom des mandataires qui
l'ont diffusée.
La demanderesse devrait donner suffisamment
d'exemples dont elle a pris connaissance pour éta-
blir qu'il y a eu une telle publicité sans être pour
autant limitée par la suite aux exemples fournis.
Toutefois, les défendeurs connaissent bien les man-
dataires, s'il en est, qui ont propagé cette publicité,
et la demanderesse n'a pas à donner de détails sur
ce point. Pour ce qui est de l'alinéa 22b), la
requête expose qu'il se rapporte à l'alinéa d) de la
déclaration modifiée portant sur des dommages-
intérêts punitifs, et j'ai déjà fait savoir qu'il s'agis-
sait d'une question que la Cour déterminerait
après instruction et non au stade de l'examen
d'une requête en détails. Au cours du débat, l'avo-
cat desdits défendeurs a estimé que c'était l'alinéa
22d) de sa requête qu'il avait à l'esprit. S'il en est
ainsi, cet alinéa se rapporte à l'alinéa 22f) de la
déclaration modifiée et tend encore à l'obtention
de détails précis sur la partie de l'aeuvre de la
demanderesse qui aurait été utilisée à tort, et dont
la demanderesse cherche à faire interdire l'utilisa-
tion. J'ai déjà tranché la question pour la requête
de Ciné St-Henri, et il est inutile d'y revenir.
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