A-1153-83
Ministre du Revenu national du Canada, Gérard
LeBlond, directeur de la division des Enquêtes
spéciales du ministère du Revenu national, Impôt,
et Raymond Galimi, enquêteur spécial aux termes
de la Loi de l'impôt sur le revenu (appelants)
c.
Kruger Inc., Gene H. Kruger et Joseph Kruger II
(intimés)
et
Procureur général du Canada, Kol Inc., Ledair
Inc., Coopers & Lybrand, comptables agréés,
Villor Consultants Inc., Victor Gold & Co., Clark-
son, Tétrault, avocats, Lavery, O'Brien, avocats,
et Phillips, Vineberg, avocats (mis-en-cause)
Cour d'appel, juges Pratte, Ryan et Marceau—
Montréal, 30 et 31 mai; Ottawa, 30 août 1984.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, per-
quisitions ou saisies — Le juge de première instance a annulé
une autorisation permettant des recherches et une saisie,
accordée en vertu de l'art. 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, pour le motif que ladite autorisation violait l'art. 8 de
la Charte — L'autorisation permettait la recherche et la saisie
de preuves relatives à la violation de toute disposition de la
Loi — L'art. 8 est plus une garantie du droit à la protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives
qu'une interdiction de procéder à des fouilles, des perquisitions
et des saisies abusives — Un pouvoir de fouille, de perquisition
et de saisie si étendu qu'il laisse l'individu sans protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives viole
l'art. 8 — Une loi autorisant des fouilles et des perquisitions
sans mandat contrevient à l'art. 8 — L'art. 231(4) contrevient à
l'art. 8 de la Charte parce qu'il confère un pouvoir général de
perquisition et de saisie pour la simple raison qu'une infrac
tion à la Loi a été commise — On ne peut invoquer les
précédents américains traitant du Quatrième Amendement de
la Constitution des États-Unis étant donné que l'art. 8 n'est
pas l'équivalent de la deuxième clause dudit Amendement —
L'art. 1 de la Charte ne limite pas le droit garanti à l'art. 8 de
manière à valider le paragraphe 231(4) parce que le pouvoir
conféré au Ministre n'a pas »une justification qui peut se
démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique»
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 8 — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
231(4),(5).
Impôt sur le revenu — Saisies — L'autorisation par
laquelle le Ministre a permis la recherche et la saisie de
preuves relatives à la violation de toute disposition de la Loi
n'excédait pas le pouvoir qui lui est conféré par l'art. 231(4) de
la Loi — La Cour n'a pas suivi l'arrêt In re Collavino Brothers
Construction Limited où il a été jugé que l'art. 231(4) autorise
la recherche de preuves relatives à la violation de dispositions
auxquelles on croit, pour des motifs raisonnables, qu'il a été
contrevenu — L'interprétation appropriée de l'art. 231(4) est
que le Ministre peut autoriser la recherche et la saisie de
preuves relatives à toute infraction à la Loi une fois qu'il a des
motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi a été
commise — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 231(4),(5), 239 — Règlement de l'impôt sur le
revenu, C.R.C., chap. 945, art. 900(5) (mod. par DORS/80-
837, art. 1).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
L'autorisation du Ministre accordée en vertu de l'art. 231(4) de
la Loi de l'impôt sur le revenu peut faire l'objet d'un certiorari
— L'exercice du pouvoir conféré au Ministre par l'art. 231(4)
est un acte purement administratif — L'autorisation ne peut
être contestée ni pour violation des principes de la justice
naturelle ni pour manque d'équité dans les procédures — Il
peut y avoir lieu à certiorari pour d'autres motifs qui ne
tiennent pas compte du caractère judiciaire ou administratif de
la décision, comme le défaut de compétence et l'erreur de droit
manifeste au dossier — L'autorisation peut faire l'objet d'un
certiorari même si elle n'est pas exécutoire tant qu'elle n'a pas
été approuvée par un juge — La contestation de l'autorisation
du Ministre ne constitue pas une contestation subsidiaire ou
indirecte de l'approbation du juge — Contestation de l'autori-
sation du Ministre malgré l'approbation du juge — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
231(4),(5) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.).
chap. 10, art. 18, 28.
Appel est interjeté du jugement par lequel la Division de
première instance a annulé une «autorisations, accordée en
vertu du paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu
et permettant des recherches et une saisie, pour le motif que
ladite autorisation violait l'article 8 de la Charte. La perquisi-
tion et la saisie ont été jugées abusives parce qu'elles ne se
limitaient pas aux preuves relatives aux infractions spécifiques
qui auraient été commises par les intimés. Le paragraphe
231(4) prévoit que lorsque le Ministre a des motifs raisonnables
et probables de croire qu'une infraction à la Loi a été commise,
il peut, avec l'approbation d'un juge d'une cour supérieure,
autoriser la recherche et la saisie de preuves se rapportant à la
violation de toute disposition de la Loi. L'autorisation a été
rédigée dans les termes mêmes du paragraphe 231(4). Les
appelants affirment que l'autorisation ne pouvait être contestée
par voie de certiorari et que ladite autorisation était valide et a
été donnée en vertu d'une disposition législative valide. Les
appelants soutiennent que le fait que l'exercice du pouvoir
conféré au Ministre par le paragraphe 231(4) est un acte
purement administratif qui n'est pas soumis aux règles de la
justice naturelle ni à celles de l'équité dans les procédures
empêchait la délivrance d'un certiorari. Ils allèguent également
qu'une autorisation accordée par un ministre en vertu du
paragraphe 231(4) ne peut être contestée par voie de certiorari
parce que ladite autorisation n'a aucun effet juridique tant et
aussi longtemps qu'elle n'a pas été approuvée par un juge et
parce qu'elle ne .tranche pas des questions touchant les droits
des personnes». Finalement, les appelants font valoir que la
contestation de l'autorisation constituait une contestation indi-
recte de l'approbation du juge qui ne pouvait être contestée
directement par voie de certiorari. Les appelants soutiennent
dans leur deuxième moyen d'appel que l'autorisation n'excédait
pas les pouvoirs conférés au Ministre et que le paragraphe
231(4) ne contrevient pas à l'article 8 de la Charte.
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Pratte (avec l'appui du juge Ryan): Le premier
argument des appelants voulant que l'autorisation ne pouvait
être contestée par voie de certiorari est sans fondement. Le
pouvoir conféré au Ministre par le paragraphe 231(4) est
purement administratif et l'exercice dudit pouvoir n'est pas
assujetti aux règles de l'équité procédurale. L'autorisation ne
peut être contestée ni pour violation des principes de la justice
naturelle ni pour manque d'équité dans les procédures. Il n'en
résulte pas qu'il n'est jamais possible de lancer un certiorari
lorsqu'il s'agit de l'exercice dudit pouvoir. Il peut y avoir lieu à
certiorari pour d'autres motifs qui ne tiennent pas compte du
caractère judiciaire ou administratif de la décision, c'est-à-dire
le défaut de compétence et l'erreur de droit manifeste au
dossier.
Il existe de nombreux précédents appuyant la proposition
voulant qu'une ordonnance rendue par une autorité peut faire
l'objet d'un certiorari malgré le fait qu'une telle ordonnance
n'entre en vigueur qu'une fois qu'elle a été confirmée ou
approuvée par une autre autorité.
La réponse à l'argument suivant lequel une décision qui ne
peut être contestée directement par voie de certiorari ne peut
faire l'objet d'une contestation indirecte est que la contestation
de l'autorisation du Ministre ne constitue pas une contestation
subsidiaire ou indirecte de l'approbation du juge de la Cour
supérieure. Les intimés contestent la validité de l'autorisation
permettant les recherches et la saisie. Un juge de la Cour
supérieure a approuvé ladite autorisation, mais ne l'a pas
donnée. En contestant l'autorisation du Ministre en se fondant
sur des motifs de compétence, les intimés font simplement
valoir que, malgré l'approbation et indépendamment de celle-ci,
l'autorisation est nulle parce que le Ministre n'était pas habilité
à la donner.
L'autorisation donnée n'excédait pas les pouvoirs conférés au
Ministre par le paragraphe 231(4). Les intimés invoquent
l'arrêt In re Collavino Brothers Construction Company Limi
ted à l'appui de leur argument voulant que le paragraphe
231(4) n'habilite pas le Ministre à autoriser des recherches
aussi étendues, mais simplement la recherche et la saisie de
preuves au sujet de l'infraction à des dispositions auxquelles,
selon l'opinion raisonnable du Ministre, le contribuable a con-
trevenu. La Cour d'appel de l'Ontario et la Cour d'appel de
l'Alberta ont toutes les deux refusé, pour de bonnes raisons, de
suivre la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt
Collavino. L'interprétation normale et la seule interprétation
possible du paragraphe 231(4) est que, une fois que le Ministre
a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi a
été commise, il peut autoriser la recherche et la saisie de
preuves relatives non seulement à cette infraction, mais à la
violation de toute disposition de la Loi. Il ne faut donc pas
suivre la décision rendue dans l'arrêt Collavino.
Le paragraphe 231(4) contrevient à l'article 8 de la Charte
dans la mesure où il confère au Ministre le pouvoir d'autoriser
des recherches et une saisie sans restriction relativement à la
violation de toute disposition de la Loi lorsqu'il a des motifs
raisonnables de croire qu'une infraction particulière a été com-
mise. Même s'il existe une ressemblance entre le libellé de
l'article 8 et celui de la première clause du Quatrième Amende-
ment de la Constitution des États-Unis, il serait dangereux
d'invoquer des précédents américains étant donné que la
deuxième clause du Quatrième Amendement, qui n'a pas
d'équivalent dans la Charte, a grandement influencé les déci-
sions rendues aux États-Unis. L'article 8 n'interdit pas simple-
ment les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives; il va
plus loin et garantit le droit à la protection contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives. Une loi conférant à une
autorité un pouvoir de fouille, de perquisition et de saisie si
étendu qu'il laisse l'individu sans protection contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives violera l'article 8. Une loi
autorisant des fouilles ou des perquisitions sans mandat contre-
vient à l'article 8 parce qu'elle prive l'individu de la protection
qui découle normalement de l'obligation de détenir un mandat.
Le paragraphe 231(4) ne contrevient pas à la Charte dans la
mesure oa il donne au Ministre, lorsqu'il a des motifs valables
de croire qu'une infraction a été commise, le pouvoir d'autoriser
des recherches et une saisie relativement à cette infraction.
Cependant, le fait qu'un contribuable ait commis une infraction
à la Loi ne constitue pas une justification suffisante du pouvoir
général de perquisition et de saisie conféré par le paragraphe
231(4).
L'article 1 de la Charte ne limite pas le droit garanti par
l'article 8 de manière à valider le paragraphe 231(4) parce que
le pouvoir qui y est conféré au Ministre n'a pas .une justifica
tion qui peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique».
Le juge Marceau (dissident): L'autorisation ne contrevient
pas à l'article 8 de la Charte. L'article 8 fixe une norme, celle
du raisonnable, qui exige le maintien d'un équilibre entre le
droit d'un individu à la vie privée et le besoin d'assurer que les
lois du pays sont obéies.
.Le droit d'être protégé contre» les fouilles, les perquisitions
ou les saisies abusives donne à un individu la possibilité de
porter plainte non seulement parce qu'une fouille, une perquisi-
tion ou une saisie abusive a été effectuée, mais aussi parce qu'il
est simplement en danger de subir une telle incursion illégale
dans sa vie privée. Pour satisfaire aux exigences constitutionnel-
les, tout texte de loi autorisant des fouilles, des perquisitions et
des saisies dans certaines circonstances doit prévoir une protec
tion adéquate contre celles qui seraient abusives; il doit assujet-
tir l'exercice du pouvoir conféré à des restrictions et des condi
tions suffisantes pour constituer des garanties adéquates. Cela
signifie que les possibilités d'exercice abusif du pouvoir ne
doivent pas être si nombreuses et si lourdes de conséquences ni
si regrettables, qu'elles l'emportent sur les avantages qui peu-
vent découler pour la société de l'existence de ce pouvoir. Il
faudra mettre en balance les divers éléments particuliers à
chaque texte de loi.
L'article 1 n'a aucun effet sur l'interprétation de l'article 8.
Une fouille, une perquisition ou une saisie »abusive» ne peut
devenir »raisonnable» en vertu de l'article 1. Il ne peut exister
de «justification [...] dans le cadre d'une société libre et
démocratique» au fait de permettre que l'individu puisse faire
l'objet d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie abusive
sans lui accorder de recours.
Même si l'autorisation peut donner lieu à une fouille et à une
saisie, elle ne constitue pas une fouille et une saisie. L'allégation
porte qu'une autorisation d'effectuer des recherches et une
saisie, émise conformément au paragraphe 231(4) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, viole le droit du contribuable visé à être
protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusi-
ves parce que les recherches et la saisie ainsi autorisées peuvent
s'étendre à des documents incriminants qui n'ont aucun rapport
avec les violations qu'on sait avoir été commises par le contri-
buable. La validité de cette proposition générale doit être
vérifiée en mettant en balance les deux intérêts opposés en
cause. Une fois tous les éléments considérés, on constate que
l'intérêt qui peut être servi par l'existence de ce pouvoir, soit
ultimement l'intégrité du système fiscal, l'emporte sur la valeur
que l'ensemble de la collectivité peut attacher à la protection
contre les indiscrétions à laquelle un contribuable soupçonné de
malhonnêteté peut s'attendre en ce qui concerne ses livres, ses
registres et ses documents. L'incursion partielle dans sa vie
privée est justifiée compte tenu du contexte dans lequel elle a
lieu. Étant donné l'obligation d'obtenir l'approbation d'un juge,
les possibilités d'abus ne sont pas si lourdes de conséquences, si
susceptibles de causer un préjudice irréparable que, pour les
éviter, il faille priver complètement le Ministre d'un outil qui
peut être le seul disponible pour assurer le respect de la loi.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Marti-
neau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui,
[1980] 1 R.C.S. 602; In Re M.N.R. v. Paroian, Courey,
Cohen & Houston (1980), 80 DTC 6077 (C.A. Ont.);
Royal Craft Products Ltd. et al. v. The Queen (1979), 80
DTC 6143; [1980] CTC 97 (C.A. Alb.).
DECISION ÉCARTÉE:
In re Collavino Brothers Construction Company Limited,
[1978] 2 C.F. 642; 78 DTC 6050 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Goodman c. Rompkey et autre, [1982] 1 R.C.S. 589;
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495; 92 D.L.R. (3d) 1; Rex v. Electricity
Commissioners, [1924] 1 K.B. 171 (C.A.); Wilson c. La
Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; [1984] 1 W.W.R. 481; R. v.
Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R. (3d) 1 (C.A.);
Équipements Rocbec Inc. et autres c. Ministre du Revenu
national, [1982] 1 R.C.S. 605; 82 DTC 6174; Kelly
Douglas and Company Limited v. The Queen et al.
(1981), 82 DTC 6036 (C.S.C: B.); Burnac Corporation
Limited, et autres c. Le ministre du Revenu national,
[1978] 2 C.F. 269; [1977] CTC 593 W e inst.); Bathville
Corp. Ltd. et al. v. Atkinson et al. (1964), 64 DTC 5330
(C.A. Ont.).
AVOCATS:
Wilfred Lefebvre, c.r., Jacques Côté et Carole
Bonhomme pour les appelants.
Bruno J. Pateras, c.r. et Yves Bériault pour
l'intimée Kruger Inc.
Philip F. Vineberg, c.r. pour les intimés Gene
H. Kruger et Joseph Kruger II.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Pateras & lezzoni, Montréal, pour l'intimée
Kruger Inc.
Phillips & Vineberg, Montréal, pour les inti-
més Gene H. Kruger et Joseph Kruger II.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Appel est interjeté du juge-
ment par lequel le juge Dubé de la Division de
première instance [[1984] 1 C.F. 120] a annulé
une «autorisation» permettant des recherches et
une saisie, accordée en vertu du paragraphe 231(4)
de la Loi de l'impôt sur le revenu' [S.R.C. 1952,
chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 1)].
L'intimée Kruger Inc. est une société cana-
dienne exploitant une entreprise de fabrication de
papier; l'intimé Gene H. Kruger est administrateur
et président du conseil d'administration de cette
' Les paragraphes 231(4) et (5) portent:
231....
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour
croire qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été
commise ou sera probablement commise, il peut, avec l'agré-
ment d'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe du
pouvoir de donner sur la présentation d'une demande ex
parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du
Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie
royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l'assis-
tance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y
être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s'il le
faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de
découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui
peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction de toute
disposition de la présente loi ou d'un règlement et à saisir et à
emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et
à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la cour.
(5) Une demande faite à un juge en vertu du paragra-
phe(4) sera appuyée d'une preuve fournie sous serment et
établissant la véracité des faits sur lesquels est fondée la
demande.
société tandis que l'intimé Joseph Kruger II est un
de ses administrateurs.
Le 22 juin 1983, la suite d'une longue vérifica-
tion de la comptabilité de la société Kruger Inc.,
l'appelant Raymond Galimi, fonctionnaire du
ministère du Revenu national, a énoncé sous ser-
ment dans un affidavit les faits pour lesquels il
croyait que
a) Gene H. Kruger et Joseph Kruger II avaient
éludé le paiement de l'impôt sur le revenu en
déclarant faussement qu'entre le l er janvier 1980
et le 31 décembre 1981, ils étaient résidents de
Panama et ce, en violation de l'article 239 de la
Loi de l'impôt sur le revenu;
b) la société Kruger Inc. avait violé l'article 239
de la Loi de l'impôt sur le revenu en faisant des
déclarations fausses et trompeuses dans sa
déclaration d'impôt sur le revenu pour l'année
1981, ce qui a permis à Gene H. Kruger et à
Joseph Kruger II d'éluder le paiement de l'im-
pôt sur le revenu.
Le 8 juillet 1983, l'appelant Gérard LeBlond,
directeur de la division des Enquêtes spéciales du
ministère du Revenu national, Impôt, se fondant
sur les faits allégués dans l'affidavit et agissant
conformément au paragraphe 231(4) de la Loi et
au paragraphe 900(5) du Règlement de l'impôt
sur le revenue [C.R.C., chap. 945 (mod. par
DORS/80-837)], a signé l'«autorisation» qui a été
par la suite annulée par l'ordonnance de la Divi
sion de première instance. Ce document autorisait
des fonctionnaires désignés du ministère du
Revenu national, Impôt,
a) à pénétrer dans les locaux commerciaux de la
société Kruger Inc. et dans les résidences privées
de Gene H. Kruger et de Joseph Kruger II et à y
chercher [TRADUCTION] «les documents, livres,
registres, pièces ou choses qui peuvent servir de
preuve au sujet de l'infraction à toute disposition
2 En vertu de cette disposition du Règlement:
900... .
(5) Le directeur général de l'Observation, le directeur de
la division des Enquêtes spéciales ou le chef soit de la section
des Procédures judiciaires, soit de la section des Enquêtes qui
font partie de la division des Enquêtes spéciales du ministère
du Revenu national, Impôt, peuvent exercer les pouvoirs et
remplir les fonctions que les paragraphes 150(2), 231(2), (3)
et (4) et 244(4) de la Loi attribuent au Ministre.
de la Loi de l'impôt sur le revenu ou d'un
règlement, et à saisir et à emporter ces docu
ments, livres, registres, pièces ou choses et à les
retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la
cour»;
b) à pénétrer dans les locaux commerciaux de
toute autre personne désignée et à y chercher
[TRADUCTION] «les documents, livres, registres,
pièces ou choses appartenant ou se rapportant à
la société Kruger Inc., à Gene H. Kruger et à
Joseph Kruger II, qui peuvent servir de preuve
au sujet de l'infraction à toute disposition de la
Loi de l'impôt sur le revenu ou d'un règlement,
et à saisir et à emporter ces objets et à les
retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la
cour.»
Le 11 juillet 1983, à la suite d'une demande
présentée par M. LeBlond et appuyée de l'affidavit
de M. Galimi, le juge Ducros de la Cour supé-
rieure de la province de Québec a approuvé l'auto-
risation comme suit:
[TRADUCTION] Après avoir examiné la demande présentée
par le directeur de la division des Enquêtes spéciales, et fondée
sur l'affidavit de Raymond Galimi, j'approuve par la présente
l'autorisation qui précède, conformément au paragraphe 231(4)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, laquelle approbation est
également indiquée par mes initiales paraissant sur la page
précédente.
Le 14 juillet 1983, des fonctionnaires du minis-
tère du Revenu national ont saisi et emporté, sur le
fondement de cette autorisation, un grand nombre
de documents. À la suite de cette saisie, la société
Kruger Inc., Gene H. Kruger et Joseph Kruger II
ont demandé à la Division de première instance de
rendre une ordonnance de certiorari annulant l'au-
torisation que l'appelant LeBlond avait signée con-
formément au paragraphe 231(4) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Le juge de première instance
a accueilli la demande au motif que l'autorisation
en cause violait l'article 8 de la [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la] Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)] et qu'elle permettait une fouille, une per-
quisition et une saisie qui étaient abusives parce
qu'elles ne se limitaient pas aux documents et aux
choses relatives aux infractions spécifiques qui
auraient été commises par les intimés.
Les deux principaux moyens invoqués par les
appelants pour contester cette décision sont les
suivants: ils affirment en premier lieu que l'autori-
sation signée par M. LeBlond ne pouvait être
contestée par voie de certiorari, et, en second lieu,
que cette autorisation était valide et avait été
accordée sur le fondement d'un article valide de la
Loi de l'impôt sur le revenu.
I. Certiorari.
Après avoir fait remarquer à juste titre que la
demande des intimés n'attaque pas l'approbation
de l'autorisation par le juge Ducros 3 , mais plutôt
l'autorisation signée par M. LeBlond, l'avocat des
appelants invoque trois arguments pour soutenir
que l'autorisation ne peut faire l'objet d'un
certiorari.
Le premier argument de l'avocat consiste à dire
que l'exercice du pouvoir du Ministre d'accorder
une autorisation en vertu du paragraphe 231(4) de
la Loi de l'impôt sur le revenu est un acte pure-
ment administratif qui n'est soumis ni aux règles
de la justice naturelle ni aux règles de l'équité
procédurale. L'avocat affirme que, pour ce motif,
il n'y a pas lieu à certiorari en ce qui concerne
l'exercice de ce pouvoir.
En réponse à cet argument, l'avocat des intimés
fait valoir que le Ministre est obligé d'agir équita-
blement lorsqu'il exerce le pouvoir conféré par le
paragraphe 231(4). Se fondant sur cette alléga-
tion, il invoque les décisions de la Cour suprême du
Canada dans les arrêts Nicholson" et Martineau 5
à l'appui de sa conclusion qu'il peut y avoir lieu à.
certiorari en ce qui concerne une autorisation
accordée en vertu du paragraphe 231(4).
Le premier argument des appelants doit, à mon
avis, être rejeté pour d'autres motifs que ceux
avancés au nom des intimés. Ainsi que les deux
parties l'admettent, le pouvoir du Ministre en
vertu du paragraphe 231(4) est manifestement
3 Cette approbation ne pouvait ni faire l'objet d'un appel
(Goodman c. Rompkey et autre, [1982] 1 R.C.S. 589) ni être
contestée par application de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], (Ministre du
Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495)
ou par voie de certiorari.
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com
missioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
5 Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Mats-
qui, [1980] 1 R.C.S. 602.
purement administratif; en outre, l'exercice dudit
pouvoir n'est pas assujetti, à mon avis, aux règles
de l'équité procédurale. C'est pourquoi une autori-
sation accordée par le Ministre aux termes du
paragraphe 231(4) ne peut être contestée ni pour
violation des principes de la justice naturelle ni
pour manque d'équité dans les procédures. Toute-
fois, il n'en résulte pas qu'il n'est jamais possible
de lancer un certiorari lorsqu'il s'agit de l'exercice
dudit pouvoir. La violation des règles de la justice
naturelle (dans le cas de décisions judiciaires ou
quasi judiciaires) et le manque d'équité dans les
procédures (dans le cas de décisions administrati-
ves) constituent simplement des motifs pour les-
quels un certiorari peut être accordé; il peut cepen-
dant y avoir lieu à certiorari pour d'autres motifs
qui ne tiennent pas compte du caractère judiciaire
ou administratif de la décision contestée, c'est-à-
dire le défaut de compétence et l'erreur de droit
manifeste au dossier. Dès qu'on accepte, comme il
faut le faire depuis les décisions de la Cour
suprême du Canada dans les arrêts Nicholson
(précité) et Martineau (précité), que les décisions
purement administratives ne sont plus à l'abri des
certiorari, il en résulte, selon moi, que ces déci-
sions peuvent être annulées par voie de certiorari
non seulement, dans les cas pertinents, pour le
manque d'équité dans les procédures, mais aussi
pour le défaut de compétence et la présence d'une
erreur de droit manifeste au dossier 6 .
Je conclus donc que, contrairement à ce qui a
été avancé pour les appelants, le fait que l'autori-
sation accordée par le Ministre était un acte pure-
ment administratif qui n'était pas soumis aux
règles de l'équité dans les procédures n'empêchait
pas la délivrance d'un certiorari.
Le deuxième argument invoqué par l'avocat des
appelants pour faire valoir qu'une autorisation
accordée en vertu du paragraphe 231(4) ne peut
être contestée par voie de certiorari consiste à dire
que l'autorisation accordée par un ministre en
vertu de ce paragraphe n'a aucun effet juridique
tant et aussi longtemps qu'elle n'a pas été approu-
vée par un juge. L'avocat affirme que l'autorisa-
6 Voir à ce sujet: de Smith, Judicial Review of Administra
tive Action, Fourth Edition, (1980), p. 392.
tion du Ministre ne tranche pas «des questions
touchant les droits des personnes' et ne peut, pour
cette raison, être contestée par voie de certiorari.
Cet argument n'est toutefois pas concluant. Il
existe de nombreux précédents' appuyant la pro
position voulant qu'une ordonnance rendue par
une autorité peut faire l'objet d'un certiorari
malgré le fait qu'une telle ordonnance n'entre en
vigueur qu'une fois qu'elle a été confirmée ou
approuvée par une autre autorité 9 .
L'avocat des appelants a également prétendu
que l'autorisation du Ministre ne peut être contes-
tée par voie de certiorari parce qu'une telle contes-
tation constitue en fait une contestation indirecte
de la décision du juge Ducros qui a approuvé
l'autorisation. Comme la décision du juge Ducros
ne pouvait être contestée directement par voie de
certiorari, elle ne pouvait, selon l'avocat, faire
l'objet d'une contestation indirecte. En outre,
l'avocat invoque la règle voulant que la décision
d'un tribunal supérieur qui n'a été ni annulée ni
modifiée par voie d'appel ne peut être attaquée
subsidiairement '°. La réponse à cet argument est
que la contestation par les intimés de l'autorisation
du Ministre ne constitue pas une contestation sub-
sidiaire ou indirecte de l'approbation du juge
Ducros. Les intimés contestent la validité de l'au-
torisation permettant les recherches et la saisie. Le
juge Ducros a approuvé ladite autorisation, mais il
ne l'a pas donnée. En fait, c'est au Ministre et non
au juge que le paragraphe 231(4) confère le pou-
voir d'autoriser des recherches et une saisie. En
contestant l'autorisation du Ministre en se fondant
sur des motifs de compétence, les intimés ne
demandent pas à la Cour de ne pas tenir compte
de l'approbation donnée par le juge Ducros; ils
font simplement valoir que, malgré cette approba
tion et pour des motifs qui lui sont tout à fait
étrangers, l'autorisation est nulle parce que le
Ministre n'était pas habilité à la donner.
7 Lord Atkin dans l'arrêt Rex v. Electricity Commissioners,
[1924] 1 K.B. 171 (C.A.), à la p. 205.
S Parmi ceux-ci, l'arrêt Rex v. Electricity Commissioners,
précité.
9 Voir: de Smith, Judicial Review of Administrative Action,
Fourth Edition, (1980), pp. 387-388.
'° Voir: Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; [1984] 1
W.W.R. 481.
Par ces motifs, j'estime que le premier argument
des appelants voulant que l'autorisation signée par
M. LeBlond ne pouvait être contestée par voie de
certiorari est sans fondement.
Passons maintenant au deuxième moyen d'appel
des appelants, c'est-à-dire que l'autorisation visée
par les présentes procédures était valide et a été
donnée en vertu d'une disposition législative valide.
II. Validité de l'autorisation et du paragraphe
231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu
Deux questions se posent relativement à cet
aspect du litige:
a) En supposant que le paragraphe 231(4) est
valide au point de vue constitutionnel, l'autorisa-
tion signée par M. LeBlond excédait-elle les
pouvoirs conférés au Ministre par ledit paragra-
phe?
b) Le paragraphe 231(4) contrevient-il à l'arti-
cle 8 de la Loi constitutionnelle de 1982?
A. Le libellé du paragraphe 231(4) habilite-t-il le
Ministre à donner une autorisation du même
genre que celle signée par M. LeBlond?
L'avocat des intimés a soutenu que l'autorisa-
tion signée par M. LeBlond excédait le pouvoir
conféré au Ministre par le paragraphe 231(4). M.
LeBlond a autorisé des fonctionnaires du Minis-
tère à chercher [TRADUCTION] «les documents,
livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir
de preuve au sujet de l'infraction à toute disposi
tion de la Loi de l'impôt sur le revenu ou d'un
règlement, et à saisir et à emporter ces documents,
livres, registres, pièces ou choses». Selon l'avocat,
le paragraphe 231(4) n'habilite pas le Ministre à
autoriser des recherches aussi étendues, mais sim-
plement la recherche et la saisie des «documents,
livres, registres, pièces ou choses» qui peuvent
servir de preuve au sujet de l'infraction à des
dispositions de la Loi ou des règlements auxquel-
les, selon l'opinion raisonnable du Ministre, le
contribuable a contrevenu. À l'appui de cette inter-
prétation du paragraphe 231(4), l'avocat a invoqué
la décision de la Cour dans In re Collavino Bro
thers Construction Company Limited", décision
" [1978] 2 C.F. 642; 78 DTC 6050 (C.A.).
qui a été infirmée pour d'autres motifs par la Cour
suprême du Canada 12 .
La Cour d'appel de l'Ontario" et la Cour d'ap-
pel de l'Alberta' 4 ont toutes les deux refusé de
suivre la décision de cette Cour dans l'arrêt Colla -
vino (précité) et, à mon avis, elles avaient de
bonnes raisons pour le faire. Selon moi, un examen
attentif du paragraphe 231(4) montre que l'inter-
prétation normale et la seule interprétation possi
ble de cette disposition est que, une fois que le
Ministre a des motifs raisonnables de croire qu'une
infraction à la Loi ou aux règlements a été com-
mise, il peut autoriser la recherche et la saisie de
choses ou de documents relatifs non seulement à
cette infraction, mais à la violation de toute dispo
sition de la Loi ou des règlements. J'estime, par
conséquent, qu'il ne faudrait pas suivre la décision
rendue dans l'arrêt Collavino et qu'il faudrait
attribuer leur sens habituel aux termes utilisés au
paragraphe 231(4).
L'avocat des appelants a laissé entendre qu'il
fallait rejeter cette interprétation et celle adoptée
par la Cour dans l'arrêt Collavino. Il a affirmé
que, à son avis, le paragraphe 231(4) habilite le
Ministre à autoriser des recherches limitées aux
choses se rapportant à l'infraction soupçonnée par
le Ministre et la saisie illimitée de toute chose qui
peut servir de preuve au sujet de la violation de
toute disposition de la Loi. Son interprétation
trouve certes un appui dans l'opinion dissidente du
juge MacKay dans l'arrêt Collavino, mais il m'est
toutefois impossible de concilier celle-ci et les
termes de l'article.
Je suis par conséquent d'avis que l'autorisation
signée par M. LeBlond en l'espèce n'excédait pas
les pouvoirs conférés au Ministre par le paragra-
phe 231(4). Il reste maintenant à déterminer si ce
paragraphe contrevient à l'article 8 de la Loi cons-
titutionnelle de 1982.
B. Le paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur
le revenu et l'article 8 de la Loi constitution-
nelle de 1982.
12 Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495; 92 D.L.R. (3d) 1.
13 In Re M.N.R. v. Paroian, Courey, Cohen & Houston
(1980), 80 DTC 6077 (C.A. Ont.).
14 Royal Craft Products Ltd. et al. v. The Queen (1979), 80
DTC 6143; [1980] CTC 97 (C.A. Alb.).
L'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982
garantit que:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Il existe une ressemblance frappante entre le
libellé de cette disposition et celui de la première
clause du Quatrième Amendement de la Constitu
tion des Etats-Unis. Cependant, il serait dange-
reux, à mon avis, d'invoquer des précédents améri-
cains pour interpréter l'article 8 étant donné que la
deuxième clause du Quatrième Amendement, qui
n'a pas d'équivalent dans la Charte, a grandement
influencé les décisions rendues aux États-Unis sur
ce sujet (voir les remarques du juge d'appel Martin
sur ce sujet dans l'arrêt R. v. Rao (1984), 46 O.R.
(2d) 80; 40 C.R. (3d) 1 (C.A.)). Les rédacteurs de
notre Constitution ont voulu, comme leurs homolo-
gues américains, protéger l'individu contre les
fouilles, les perquisitions et les saisies abusives,
mais contrairement à ceux-ci, ils ne souhaitaient
pas subordonner l'interprétation du terme «abusi-
ves» aux contraintes découlant de la deuxième
clause du Quatrième Amendement.
Les fouilles, les perquisitions et les saisies consti
tuent des intrusions dans le domaine privé de
l'individu. Elles ne peuvent être tolérées à moins
que les circonstances les justifient. Une fouille, une
perquisition ou une saisie est abusive si elle est
injustifiée compte tenu des circonstances. L'article
8 n'interdit pas simplement les fouilles, les perqui-
sitions et les saisies abusives. Il va plus loin et
garantit le droit à la protection contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives. Cela veut
dire que violeront l'article 8 une fouille, une per-
quisition ou une saisie abusives ou encore, une loi
autorisant expressément une fouille, une perquisi-
tion ou une saisie sans motifs, mais aussi une loi
conférant à une autorité un pouvoir de fouille, de
perquisition et de saisie si étendu qu'il laisse l'indi-
vidu sans protection contre les fouilles, les perqui-
sitions et les saisies abusives. C'est pour cette
raison, à mon avis, qu'une loi autorisant des fouil-
les ou des perquisitions sans mandat peut, comme
cela a été décidé dans l'arrêt R. v. Rao (précité),
contrevenir à l'article 8. Une fouille ou une perqui-
sition sans mandat peut être justifiée ou non, peu
importe qu'elle ait été effectuée sans mandat;
cependant, il est possible, sauf dans des cas excep-
tionnels, de considérer qu'une loi autorisant des
fouilles ou des perquisitions sans mandat contre-
vient à l'article 8 parce qu'elle prive l'individu de
la protection qui découle normalement de l'obliga-
tion de détenir un mandat.
Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'énumérer les
diverses conditions auxquelles doivent satisfaire
une perquisition ou une saisie pour être raisonna-
bles. Les parties reconnaissent que le paragraphe
231(4) ne contrevient pas à la Charte dans la
mesure où il donne au Ministre, lorsqu'il a des
motifs valables de croire qu'une infraction a été
commise par un contribuable, le pouvoir d'autori-
ser des recherches et une saisie relativement à
cette infraction. C'est la constitutionnalité de ce
paragraphe qui est contestée dans la mesure où il
confère au Ministre, lorsqu'il a des motifs de croire
qu'une infraction spécifique a été commise, le pou-
voir d'autoriser des recherches et une saisie sans
restriction, relativement à la violation de toute
disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu ou
des règlements.
Je serais prêt à admettre que, dans certains cas,
il peut être justifié de conclure, lorsqu'un contri-
buable a commis une infraction grave à la Loi de
l'impôt sur le revenu, qu'il a probablement
commis d'autres infractions à la Loi. Cependant,
je ne peux admettre la proposition générale vou-
lant que le simple fait qu'un contribuable ait, à un
certain moment, commis une infraction à la Loi de
l'impôt sur le revenu ou aux règlements, si peu
importante que soit cette infraction, constitue une
justification suffisante du pouvoir général de per-
quisition et de saisie conféré par le paragraphe
231(4). À mon avis, ce paragraphe contrevient à
l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 en ce
qu'il viole le droit du contribuable «à la protection
contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives.»
L'avocat des appelants a invoqué, en dernier
lieu, l'article 1 de la Charte et a allégué que, de
toute façon, le droit garanti par l'article 8 de la
Charte doit être limité de manière à valider le
,paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu parce que le pouvoir qui y est conféré au
Ministre a «une justification qui peut se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique.»
Il n'a cependant pas réussi à me convaincre. Il est
vrai que ce pouvoir peut être nécessaire une fois
qu'une personne est soupçonnée, pour des motifs
sérieux, de recourir à des moyens frauduleux pour
éluder le paiement de l'impôt sur le revenu; toute-
fois, le seul fait qu'une personne ait commis une
infraction à la Loi de l'impôt sur le revenu ou aux
règlements ne justifie pas toujours un tel soupçon.
Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Je ne partage
malheureusement pas les opinions de mes collègues
les juges Pratte et Ryan quant à la décision à
rendre sur le présent appel et, en toute déférence,
je vais essayer d'expliquer ma propre opinion et
d'exposer les motifs de mon désaccord.
Les faits qui ont donné lieu à la présente action
ont été exposés en détail dans les motifs de juge-
ment rédigés par le juge Pratte. Il n'est pas néces-
saire d'en faire de nouveau le récit. Un bref rappel
des données factuelles de base et un nouveau
regard sur ce qui s'est passé devant le tribunal de
première instance pourraient néanmoins être utiles
en guise d'introduction.
Le 8 juillet 1983, une autorisation de pénétrer
dans certains locaux déterminés pour y chercher et
saisir des documents appartenant aux intimés était
accordée au nom du ministre du Revenu national
sous l'autorité du paragraphe 231(4) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
tel que modifié, dont je rappelle de nouveau le
texte:
231....
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire
qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise
ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un
juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément
que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner
sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit
tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que
tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout
autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et
toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à
chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment,
contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres,
registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet
de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un
règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres,
registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient
produits devant la cour.
Comme requis, l'autorisation fut soumise à l'ap-
probation d'un juge de la Cour supérieure de la
province de Québec et elle fut approuvée. Quel-
ques jours plus tard, des fonctionnaires du minis-
tère du Revenu national pénétraient simultané-
ment dans les différents locaux décrits dans
l'autorisation, y saisissaient un grand nombre de
registres et de documents et les emportaient avec
eux.
Les intimés décidèrent de soumettre leur cas au
tribunal. Ils saisirent la Division de première ins
tance d'une demande visant l'obtention d'une
ordonnance, de la nature d'un certiorari, annulant
l'autorisation en vertu de laquelle la perquisition et
la saisie avaient été effectuées et, par conséquent,
ordonnant la remise de tous les documents saisis.
Les allégations appuyant la demande ne se rappor-
taient pas aux conditions dans lesquelles l'autorisa-
tion avait été signée et approuvée: il était, en effet,
incontestable que le Ministre avait des motifs
sérieux de croire que les intimés avaient commis
des infractions graves à la Loi de l'imp6t sur le
revenu; elles n'avaient non plus rien à voir avec la
manière dont l'opération avait été menée. Selon les
requérants, l'autorisation devait être annulée parce
qu'elle visait la recherche et la saisie des u. ..
documents, livres, registres, pièces ou choses qui
peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction à
toute disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu
ou d'un règlement ...n et était pour cette raison
illégale, nulle et non avenue aux motifs (énoncés
dans l'avis de requête)
[TRADUCTION] i) que le paragraphe 231(4) de la Loi de
l'impôt sur le revenu va à l'encontre de l'article 8 de la Loi
constitutionnelle de 1982 et qu'il est donc nul et de nul effet;
ii) que ladite autorisation est incompatible avec l'article 8 de
la Loi constitutionnelle de 1982 et qu'elle n'est donc pas
valable;
iii) que ladite autorisation est illégale, irrégulière, nulle et
non avenue;
iv) et que les recherches, la saisie, la prise et la possession des
biens saisis qu'ont effectuées les intimés et leurs représen-
tants sont abusives, illégales, irrégulières et nulles.
Le juge des requêtes souscrivit aux prétentions
des requérants: il annula l'autorisation et ordonna
la mainlevée de tous les documents saisis. Sa posi
tion est expliquée dans un paragraphe de ses
motifs [à la page 124]:
À mon avis, l'autorisation contestée viole l'article 8 de la Loi
constitutionnelle, parce qu'elle constitue une fouille, une per-
quisition et une saisie abusives. Je la trouve abusive parce
qu'elle ne se limite pas aux infractions spécifiques qui auraient
été commises. Il s'agit d'un ordre d'une portée générale visant
la violation de toute disposition de la Loi. A mon sens, une telle
recherche à l'aveuglette n'est pas nécessaire et n'aurait pas dû
être accordée. Elle constitue une fouille, une perquisition et une
saisie abusives.
L'appel dont la Cour est maintenant saisie atta-
que la décision de la Division de première instance
sur la base de trois propositions juridiques distinc-
tes, l'une qui soulève une question préliminaire
relative à la compétence, les deux autres qui con-
testent la validité du raisonnement du juge. Mes
collègues ne sont d'accord avec aucune de ces trois
propositions; je souscris cependant pour ma part à
la troisième. C'est donc cette troisième proposition
sur laquelle je dois réellement appuyer, et j'y
viendrai très rapidement, mais je crois devoir
d'abord dire quelques mots au sujet des deux
premières.
Les appelants font d'abord valoir que la Division
de première instance n'était pas compétente pour
connaître d'une contestation de l'autorisation du
Ministre, étant donné qu'il s'agissait d'une autori-
sation qui avait été approuvée par un juge d'une
cour supérieure et que la Cour fédérale n'est pas
habilitée à mettre en doute la validité de la déci-
sion d'un juge d'une cour supérieure et n'a pas le
droit de ne pas en tenir compte, même de manière
indirecte. Ils affirment que, de toute façon, même
si la Cour était compétente, cette compétence ne
pouvait certainement pas être conférée à la Divi
sion de première instance par l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale parce que l'autorisation, étant
un acte purement administratif non assujetti aux
règles procédurales d'équité, n'était pas susceptible
d'être attaquée par voie de certiorari. Et à l'appui
de ce premier argument relatif à la compétence,
les appelants invoquent les deux décisions bien
connues de la Cour suprême, Ministre du Revenu
national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S.
495, et Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594;
[1984] 1 W.W.R. 481.
Ma réaction à cette prétention préliminaire est
semblable à celle du juge Pratte. A mon avis, la
contestation de l'autorisation du Ministre ne cons-
titue pas une attaque, même indirecte, de l'appro-
bation donnée par le juge, les motifs allégués étant
tout à fait étrangers à cette approbation. Il n'est
pas demandé à la Cour d'examiner et de critiquer
l'opinion et les conclusions du juge; il lui est plutôt
demandé de déterminer si le Ministre était habilité
à donner l'autorisation, point sur lequel le juge qui
a donné son approbation n'était pas appelé à se
pencher ni à trancher. En revanche, il me semble
tout à fait approprié qu'on ait recours à un certio-
rari, un bref de prérogative créé pour réprimer les
erreurs juridictionnelles, en vue d'attaquer, pour
cause d'absence ou d'excès de compétence, ce qui
constitue incontestablement de la part d'une •auto-
rité publique une décision touchant des droits indi-
viduels (quoique je doute que sur présentation
d'une simple requête, comme c'est le cas en l'es-
pèce, il soit possible de solliciter un redressement
autre que l'annulation de l'autorisation).
Le deuxième argument invoqué à l'appui du
présent appel, qui, lui, porte sur le fond de la
décision, consiste à dire que le juge de première
instance a commis une erreur en concluant que
l'autorisation permettait la recherche et la saisie
de tous les documents qui pouvaient servir de
preuve de violation de l'une quelconque des dispo
sitions de la Loi de l'impôt sur le revenu. On fait
valoir que l'autorisation était principalement desti
née à donner lieu à la recherche et à la saisie des
documents se rapportant uniquement aux disposi
tions de la Loi qui, selon l'avis du Ministre, avaient
été violées, et ce n'est qu'accessoirement, par quel-
que application de la version canadienne de la
«plain view doctrine», qu'elle pouvait s'étendre à la
saisie d'éléments de preuve de nature incriminante
sur lesquels les fonctionnaires pouvaient tomber
par hasard. L'autorisation n'était pas destinée à
permettre des recherches illimitées et, en fait, la
preuve établit clairement que l'opération telle
qu'effectuée a été menée de manière à ce que seuls
les documents qui pouvaient servir de preuve au
sujet des violations alléguées ont fait l'objet des
recherches et ont été saisis. La plainte des intimés
et, par la suite, la critique du juge de première
instance ont simplement résulté d'une interpréta-
tion erronée du document, interprétation erronée
qui devient évidente lorsque l'on constate que l'au-
torisation est rédigée dans les termes mêmes du
paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et que la Cour, dans l'arrêt In re Collavino
Brothers Construction Company Limited, [1978]
2 C.F. 642 (C.A.), a statué (le juge Heald, à la
page 645) que:
... «l'infraction» évoquée à la dernière partie du paragraphe (4)
se rapporte à «une infraction» mentionnée à son début .. .
À mon avis, cet argument par lequel l'avocat des
appelants essaie de limiter le litige à une question
d'interprétation du document signé au nom du
Ministre (et d'éviter ainsi la question de l'applica-
tion de la Charte, soulevée par la troisième propo
sition) ne peut être retenu. D'abord, je ne suis pas
convaincu qu'il faille donner à l'autorisation la
même interprétation que celle donnée au paragra-
phe 231(4) uniquement parce qu'elle utilise des
mots identiques à ceux du texte de Loi, car le
contexte dans lequel il fallait interpréter ces mots
était différent. Mais, de toute façon , comme le
juge Pratte l'a souligné, la Cour d'appel de l'Onta-
rio dans l'arrêt In Re M.N.R. v. Paroian, Courey,
Cohen & Houston (1980), 80 DTC 6077, et la
Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Royal Craft
Products Ltd. et al. v. The Queen (1979), 80 DTC
6143; [1980] CTC 97, ont refusé, dans des déci-
sions unanimes, de suivre les conclusions de cette
Cour dans l'arrêt Collavino et, en toute déférence,
moi aussi j'estime que leur refus était justifié. Les
termes employés dans la disposition sont simples et
clairs et ne laissent aucune place à l'interprétation;
ils ne contiennent aucune ambiguïté en considéra-
tion de laquelle une limitation de leur portée pour-
rait devenir acceptable et ils ne peuvent se voir
attribuer que leur sens premier qui exprime qu'une
fois que le Ministre a des motifs raisonnables de
croire qu'une infraction à la Loi de l'impôt sur le
revenu a été commise, il peut autoriser la recher-
che et la saisie des documents se rapportant à la
violation de toute disposition de la Loi.
Ce qui conduit à la troisième et principale pro
position sur laquelle repose l'appel, une proposition
à l'opposé de celle avancée par les intimés et
acceptée par le juge de première instance, aux
termes de laquelle l'autorisation, quelque large que
soit l'interprétation qu'on pouvait lui attribuer, ne
violait pas l'article 8 de la Loi constitutionnelle de
1982. C'est au sujet de cette proposition que je
diffère d'avis avec mes collègues car je l'accepte et
je vais essayer d'expliquer pourquoi.
J'aimerais commencer avec quelques commen-
taires généraux que suggère la simple lecture de
l'article 8 de la Charte . canadienne des droits et
libertés, qui fait maintenant partie de la Constitu
tion du Canada. Cet article porte:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Une telle déclaration constitue manifestement la
confirmation solennelle que le droit à la vie privée
dont chaque personne de ce pays ressent le besoin
pour sa sécurité, le développement de sa personna-
lité et l'accomplissement de ses capacités, est tout
à fait légitime. Le citoyen a le droit de s'attendre à
ce que, en règle générale, aucune incursion par qui
que ce soit, dans sa vie privée ou dans ses proprié-
tés, ne sera tolérée. Toutefois, cette déclaration
constitue également la confirmation que l'intérêt
de la société en général à ce que les contrevenants
soient dénoncés et le crime réprimé peut amener
des exceptions à cette règle. Les fouilles, les per-
quisitions et les saisies effectuées par des représen-
tants de l'État responsables de l'application des
lois dans ce pays seront permises dans certaines
circonstances. Ce que la Constitution garantit,
c'est que ces fouilles, ces perquisitions et ces saisies
ne seront pas «abusives», non «raisonnables».
Une norme est ainsi fixée, celle du raisonnable.
Toute restriction apportée au droit d'un individu à
la vie privée et à son droit de propriété ou toute
atteinte à ces mêmes droits doit, par conséquent,
pouvoir raisonnablement se justifier. Cette norme,
qui exige de faire un choix judicieux, dans tout cas
particulier, entre l'intérêt que l'ensemble de la
collectivité peut attacher à la sauvegarde du droit
à la vie privée et celui qu'elle peut avoir à la mise
au jour d'une infraction possible à la loi, suppose
manifestement le maintien d'un équilibre entre le
droit d'un individu à la vie privée et le besoin
d'assurer que les lois du pays sont obéies. Pour
déterminer si, dans un cas particulier, une fouille,
une perquisition ou une saisie reste à l'intérieur des
limites imposées par la Constitution, il faudra tenir
compte de tous ses aspects pratiques, comme par
exemple, les circonstances dans lesquelles on a eu
recours à la fouille, à la perquisition ou à la saisie,
la manière dont elle a été effectuée, la nature des
choses recherchées et saisies, la mesure dans
laquelle la vie privée de l'individu est touchée,
l'importance que la mise en application de la loi en
cause peut avoir en général ou dans la situation
particulière concernée. Il n'y a pas beaucoup de
place là pour la formulation de propositions géné-
rales facilement applicables.
Cependant, l'article 8 de la Charte ne condamne
pas simplement les fouilles, les perquisitions ou les
saisies abusives mais encore, il confère à l'individu
«le droit d'être protégé contre» celles-ci (en anglais,
«the right to be secure against»). Ainsi formulé, ce
droit donne à un individu la possibilité de porter
plainte non seulement parce qu'une fouille, une
perquisition ou une saisie abusive a été effectuée,
mais aussi parce qu'il est simplement en danger de
subir une telle incursion illégale dans sa vie privée.
Il en résulte qu'un texte législatif qui laisserait
l'individu sans protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives peut contreve-
nir à l'article 8. Ainsi pour satisfaire aux exigences
constitutionnelles, tout texte de loi autorisant des
fouilles, des perquisitions et des saisies dans certai-
nes circonstances doit prévoir une protection adé-
quate contre celles qui seraient abusives; il doit
assujettir l'exercice du pouvoir conféré à des res
trictions et des conditions suffisantes pour consti-
tuer des garanties adéquates. Cela signifie-t-il que
les garanties doivent être telles que le pouvoir ne
puisse jamais être exercé abusivement? Le com-
portement humain ne permet pas l'existence de
garanties ayant une telle efficacité absolue. À mon
avis, cela signifie que les possibilités d'exercice
abusif du pouvoir ne doivent pas être si nombreu-
ses et si lourdes de conséquences ni si regrettables,
qu'elles l'emportent sur les avantages qui peuvent
découler pour la société de l'existence de ce pou-
voir. Et une fois encore, il me semble qu'il faudra
mettre en balance les divers éléments particuliers à
chaque texte de loi.
Une dernière remarque générale. Quels que
soient le but et la signification qui seront finale-
ment attribués à l'article 1 de la Loi constitution-
nelle de 1982, qu'on en dégage un principe d'appli-
cation générale faisant appel aux caractéristiques
d'une société libre et démocratique, ou qu'on y voie
une disposition fondamentale exigeant la justifica
tion, dans le contexte en cause, de toute restriction
apportée aux droits et libertés garantis par la
Charte, je ne vois pas comment il peut avoir un
rôle particulier à jouer dans l'interprétation ou
l'application de l'article 8. Une fouille, une perqui-
sition ou une saisie «abusive» au sens de l'article 8
ne peut devenir «raisonnable» en vertu de l'article
1, et il est difficile d'imaginer qu'il pourrait exister
une «justification [...1 dans le cadre d'une société
libre et démocratique» au fait de permettre que
l'individu puisse faire l'objet d'une fouille, d'une
perquisition ou d'une saisie abusive sans lui accor-
der de recours. S'il fallait attribuer à l'expression
«la protection» le sens d'une protection totale et
d'une immunité absolue en pratique, on pourrait
peut-être alors invoquer l'article 1 pour apporter
quelques restrictions, mais comme je viens juste de
le dire, je ne crois qu'il puisse en être ainsi.
Revenons maintenant aux éléments particuliers
de l'affaire en instance.
Je pense qu'il faut d'abord remarquer que, bien
que le seul but visé par les procédures intentées par
les intimés était de faire annuler la saisie de leurs
documents et de leurs choses, le principal redresse-
ment sollicité dans leur requête est l'annulation de
l'autorisation en vertu de laquelle l'opération a été
menée. Il est inexact d'affirmer, comme le juge de
première instance l'a fait dans ses motifs de juge-
ment [à la page 124], que l'«[autorisation] consti-
tue une fouille, une perquisition et une saisie abu-
sives»; il est même crucial, à mon avis, d'éviter de
commettre cette confusion de langage et de ne
jamais oublier que l'autorisation peut donner lieu à
une fouille et une saisie mais ne constitue pas
elle-même la fouille ou la saisie. Les intimés n'ont
pas vraiment prétendu que la perquisition et la
saisie dont ils avaient fait l'objet étaient abusives,
et il semble qu'ils aient été sages de s'abstenir de le
faire car, comme je l'ai déjà mentionné plus haut,
il existe des éléments de preuve non contredits
montrant que la perquisition a été menée de
manière à ce que seuls les documents qui pou-
vaient servir de preuve au sujet des violations
alléguées ont été cherchés et saisis. Ce qui se
trouvait derrière la prétention des intimés était
évidemment que, si l'autorisation était déclarée
«illégale, irrégulière, nulle et non avenue», la per-
quisition et la saisie étaient elles-mêmes illégales
pour avoir été effectuées sans autorisation, et il
fallait en éliminer les effets. (J'ai déjà dit que je
nourrissais des doutes sérieux quant à la question
de savoir s'il était possible, à l'occasion de la
présentation d'une requête sollicitant un ordre de
certiorari contre l'autorisation du Ministre, de
demander une ordonnance prévoyant la remise de
tous les biens saisis, mais je ne vois pas l'utilité de
statuer en l'espèce sur ce problème de procédure.)
Ainsi, c'est l'autorisation qui est attaquée, et l'allé-
gation appropriée formulée à l'appui est que l'au-
torisation était illégale parce qu'elle avait été
accordée sur le fondement d'une disposition légis-
lative incompatible avec l'article 8 de la Loi cons-
titutionnelle de 1982, et qu'elle violait elle-même
ledit article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Il faut également remarquer que, même si la
contestation vise une autorisation précise, les cir-
constances dans lesquelles cette autorisation a été
accordée ne sont pas en litige. La contestation
repose sur une allégation de principe dont la vali-
dité est présentée comme absolue; cette allégation
porte en fait qu'une autorisation d'effectuer des
recherches et une saisie, émise aux termes du
paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, viole le droit du contribuable visé à être
protégé contre les fouilles, les perquisitions et les
saisies abusives parce que les recherches et la saisie
ainsi autorisées peuvent s'étendre à des documents
incriminants qui n'ont aucun rapport avec les vio
lations qu'on sait avoir été commises par le
contribuable.
C'est la validité de cette proposition générale qui
doit être vérifiée et, comme je l'ai déjà dit, il est
nécessaire pour ce faire de mettre en balance les
deux intérêts opposés, c'est-à-dire, d'un côté, l'inté-
rêt que peut servir le pouvoir conféré au Ministre
et de l'autre, la valeur à accorder à l'élément de vie
privée que l'exercice de ce pouvoir peut affecter.
L'économie de la Loi de l'impôt sur le revenu
repose sur un système d'autocotisation en vertu
duquel il est demandé à chaque contribuable de
révéler son revenu et d'évaluer le montant d'impôt
qu'il doit payer. En vertu de l'arrangement législa-
tif, le Ministre est chargé de s'assurer, dans une
certaine mesure, de l'honnêteté des contribuables
et, afin de l'aider à remplir ce devoir, la Loi lui
accorde certains pouvoirs lui permettant d'obtenir
des renseignements. L'article 231 de la Loi prévoit
quelques-uns de ces pouvoirs. Ils comprennnent
notamment le droit de pénétrer dans des endroits
dans lesquels une entreprise est exploitée ou dans
lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou
des registres relatifs à cette entreprise; le droit de
vérifier ou d'examiner ces livres et registres; le
droit d'obliger le propriétaire ou le gérant de l'en-
treprise à lui prêter toute aide raisonnable; le droit
d'exiger de toute personne des renseignements ou
la production de documents, et le droit de saisir
des documents ou autres choses si, au cours d'une
vérification, il devient apparent qu'une infraction à
la Loi a été commise. Le dernier de ces pouvoirs
d'enquête, qui est en même temps le plus impor
tant, est celui prévu au paragraphe 4, c'est-à-dire
le pouvoir d'entrer dans des lieux, d'y chercher des
documents et d'autres choses et de les saisir. Dans
un sens, il s'agit sans contredit d'un pouvoir
impressionnant, mais il est loin d'être illimité: il ne
peut être exercé que par le Ministre ou les hauts
fonctionnaires de son Ministère qui ont été autori-
sés à le faire; il ne porte que sur les documents,
livres, registres, pièces ou choses du genre, et, en ce
qui concerne la saisie, il ne porte que sur les
documents, livres, pièces et registres qui pourraient
servir de preuve au sujet de la violation d'une
disposition de la Loi; il ne peut être exercé que
dans des circonstances définies très précisément, et
il exige la certitude raisonnable que le contribuable
visé est malhonnête et essaie de frauder le système.
C'est ce pouvoir qui nous intéresse et c'est en ce
qu'il peut donner lieu à la recherche et à la saisie
de tous documents, papiers, etc., pouvant servir de
preuve au sujet de toute violation de la Loi, qu'il
est remis en cause. Il est vrai que l'autorisation du
Ministre peut avoir une portée plus grande que
celle du mandat de perquisition lancé aux termes
du Code criminel, mais elle restera manifestement
très différente du mandat général si dénigré par les
révolutionnaires américains et, malgré ce que l'on
peut parfois affirmer, elle peut difficilement
entraîner une saisie systématique ou des recher-
ches exploratoires générales dans les effets d'une
personne.
Si on va maintenant de l'autre côté de l'équa-
tion, pour évaluer adéquatement l'importance qu'il
faut accorder à l'autre intérêt en jeu, il faut exami
ner combien sérieusement et jusqu'à quel point les
expectatives de vie privée de l'individu peuvent être
trahies par une opération menée aux termes du
paragraphe 231(4). L'examen n'a pas à être éla-
boré. Est impliquée la question de savoir si un
contribuable, sérieusement soupçonné de malhon-
nêteté, peut encore espérer garder par devers lui
ses livres, registres et documents, même après que
ces livres, registres et documents soient devenus
objet de recherches légitimes et possiblement de
saisie, personne ne s'opposant , à des recherches et
saisies limitées aux infractions déjà déterminées.
Une fois tous les éléments considérés, il m'appa-
raît évident que l'intérêt qui peut être servi par
l'existence de ce pouvoir, soit ultimement l'inté-
grité même du système fiscal, l'emporte sur la
valeur que l'ensemble de la collectivité peut atta-
cher à la protection contre les indiscrétions à
laquelle un contribuable soupçonné de malhonnê-
teté peut s'attendre en ce qui concerne ses livres,
ses registres et ses documents. Il me semble que
l'incursion partielle dans sa vie privée que doit
alors subir le contribuable est parfaitement justi-
fiée compte tenu du contexte dans lequel elle a
lieu.
On dit que ce pouvoir peut être mal employé
étant donné que toute infraction, si mineure soit-
elle, pourrait, en théorie, justifier son exercice.
J'admets qu'il existe des possibilités d'abus, mais
je crois qu'elles sont très peu probables en raison
de l'obligation d'obtenir l'autorisation d'un juge,
dont le devoir est de «... scruter [avec le plus
grand soin] l'exercice envisagé du pouvoir discré-
tionnaire ministériel ...m (Le juge Dickson (alors
juge puîné) dans l'arrêt Ministre du Revenu natio
nal c. Coopers and Lybrand (précité), à la page
506.) De toute façon, ces possibilités éloignées
d'abus,—et qui pourront toujours donner lieu à un
recours devant les tribunaux sur le fondement,
précisément, de l'article 8 de la Charte—ne sont
pas si lourdes de conséquences et si socialement
inacceptables, si susceptibles de causer un préju-
dice irréparable que, pour les éviter, il faille priver
complètement le Ministre d'un outil qui, dans
certains cas, est le seul disponible pour assurer le
respect de la loi.
Je dirai en terminant que je considère ma façon
de voir comme renforcée par le fait que le pouvoir
de perquisition et de saisie prévu au paragraphe
231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu est un
pouvoir de vieille date ayant été créé il y a long-
temps par le législateur fédéral, et que les tribu-
naux ont statué dans plusieurs décisions qu'il était
à la fois nécessaire et approprié. (Voir notamment:
In Re M.N.R. v. Paroian, Courey, Cohen &
Houston (1980), 80 DTC 6077 (C.A. Ont.); Royal
Craft Products Ltd. et al. v. The Queen (1979), 80
DTC 6143; [1980] CTC 97 (C.A. Alb.); Goodman
c. Rompkey et autre, [1982] 1 R.C.S. 589; Équi-
pements Rocbec Inc. et autres c. Ministre du
Revenu national, [1982] 1 R.C.S. 605; 82 DTC
6174; Kelly Douglas and Company Limited v. The
Queen et al. (1981), 82 DTC 6036 (C.S.C.-B.);
Burnac Corporation Limited, et autres c. Le
ministre du Revenu national, [1978] 2 C.F. 269;
[1977] CTC 593 (1 re inst.); Bathville Corp. Ltd. et
al. v. Atkinson et al. (1964), 64 DTC 5330 (C.A.
Ont.).) Évidemment, l'entrée en vigueur de la
Charte peut avoir rendu inopérantes des disposi
tions législatives existant depuis longtemps dans
nos recueils de lois, mais la notion en cause en
l'espèce est celle du «raisonnable» et je ne crois pas
que la Charte pourrait avoir modifié sans transi
tion notre conception de ce qui est raisonnable et
de ce qui ne l'est pas.
C'est donc pour ces motifs que je m'oppose, en
toute déférence, à l'opinion voulant que, en l'es-
pèce, on puisse considérer que l'autorisation du
Ministre, une autorisation accordée régulièrement
aux termes du paragraphe 231(4) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, ait pu contrevenir à la
Constitution.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler le
jugement de la Division de première instance et de
rejeter la requête des intimés, avec dépens dans
toutes les cours.
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