A-505-81
384238 Ontario Limited et Maple Leaf Lumber
Company Limited (appelantes) (demanderesses)
c.
La Reine du chef du Canada (intimée) (défende-
resse)
Cour d'appel, juges Urie et Stone, juge suppléant
Lalande—Toronto, 14 novembre; Ottawa, 23
décembre 1983.
Impôt sur le revenu — Saisies — Appel d'un jugement de la
Division de première instance ayant rejeté une action en dom-
mages-intérêts fondée sur la saisie et la détention prétendu-
ment illégales de biens en vertu de jugements ordonnant, entre
autres, le paiement d'arriérés d'impôt — Circonstances confu
ses entourant la propriété et la transmission de biens —
Allégations d'appropriation illégitime et d'atteinte à la posses
sion — Allégation d'appropriation illégitime mal fondée car le
Ministère n'a pas employé les biens comme ses propres biens
— La croyance de bonne foi ne constitue pas un moyen de
défense contre la responsabilité en cas d'atteinte à la posses
sion résultant de la saisie illégitime de biens meubles — Même
si elle n'a pas été expressément alléguée comme moyen de
défense, la fin de non-recevoir fondée sur la conduite de la
compagnie à matricule appelante empêche cette dernière de
recouvrer des dommages-intérêts — Appel rejeté — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5, art. 178(2) —
Loi sur le Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap.
C-5, art. 24(2) — Loi sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970,
chap. U-2, art. 104(3) — Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1)a), 4(2)— Loi sur
la généalogie des animaux, S.R.C. 1970, chap. L-10.
Responsabilité délictuelle — Atteinte à la possession —
Saisie de biens par des shérifs en vertu de brefs d'exécution —
Jugements accordant un montant au titre d'arriérés d'impôt
sur le revenu et de contributions non payées au R.P.C. et à la
C.A.C. — Circonstances confuses entourant la propriété et la
transmission de biens — La croyance de bonne foi ne constitue
pas un moyen de défense contre la responsabilité en cas
d'atteinte à la possession résultant de la saisie illégitime de
biens meubles — Même si elle n'a pas été expressément
alléguée comme moyen de défense, la fin de non-recevoir
fondée sur la conduite de l'appelante empêche cette dernière de
recouvrer des dommages-intérêts pour atteinte à la possession.
Responsabilité délictuelle — Appropriation illégitime —
Saisie et détention de biens — Brefs d'exécution — Jugements
accordant un montant au titre d'arriérés d'impôt sur le revenu
et de contributions non payées au R.P.C. et à la C.A.C. —
Allégation d'appropriation illégitime mal fondée car le Minis-
tère n'a pas employé les biens comme ses propres biens — Le
trouble de possession de l'appelante n'a été que temporaire.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Responsabilité de
la Couronne pour saisie et détention prétendument illégales de
biens — Saisie de biens par des shérifs en vertu de brefs
d'exécution — Allégations d'appropriation illégitime et d'at-
teinte à la possession — Allégation d'appropriation illégitime
mal fondée — La croyance de bonne foi ne constitue pas un
moyen de défense contre la responsabilité en cas d'atteinte à la
possession — La fin de non-recevoir fondée sur la conduite de
l'appelante empêche celle-ci d'alléguer l'atteinte à la posses
sion — Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38, art. 3(1)a), 4(2).
Fin de non-recevoir — Saisie et détention de biens —
Allégation d'atteinte à la possession — Un plaidoyer exprès de
fin de non-recevoir n'est pas nécessaire lorsqu'il résulte claire-
ment de faits allégués et prouvés — La conduite de l'appelante
l'empêche de recouvrer des dommages-intérêts pour atteinte à
la possession.
Des shérifs ont saisi certains biens appartenant à la compa-
gnie à matricule appelante (l'«appelante») à la demande d'un
fonctionnaire du ministère du Revenu national et en vertu de
jugements rendus contre Kenneth Allen et Ken Allen and Sons
Limited, jugements qui ont accordé un montant au titre d'arrié-
rés d'impôt sur le revenu et de contributions non payées au
Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage. Les
biens avaient été achetés en bonne et due forme par l'épouse de
M. Allen qui les avait obtenus illégalement de la compagnie de
son époux en se prévalant d'une hypothèque mobilière conclue
au moment où elle savait que la compagnie était pratiquement
en faillite. Le juge de première instance a rejeté l'action en
dommages-intérêts fondée sur la saisie et la détention illégales
pour le motif que la saisie était attribuable à la faute de
l'appelante et non à celle de l'intimée. L'appelante interjette
appel de cette décision en alléguant atteinte à la possession et
appropriation illégitime.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
Le juge Stone (avec l'appui du juge Urie): L'allégation
d'appropriation illégitime est mal fondée car le ministère du
Revenu national n'a pas employé les biens comme ses propres
biens; le trouble de possession de l'appelante n'a été que
temporaire.
Quant à l'allégation d'atteinte à la possession, il n'y a aucun
doute que traditionnellement la common law a considéré la
saisie illégitime de biens comme une atteinte à la possession. Le
fait qu'une personne saisisse des biens en croyant de bonne foi
mais à tort, comme en l'espèce, qu'ils appartiennent au débiteur
saisi n'est pas un moyen de défense. Même si elle n'a pas été
invoquée comme moyen de défense, la doctrine de la fin de
non-recevoir fondée sur la conduite de l'appelante s'appliquait
puisque les faits allégués et prouvés y donnaient ouverture.
Compte tenu de la preuve, la conduite de l'appelante l'empêche
de prétendre que l'intimée n'a pas été amenée à croire que les
biens appartenaient aux débiteurs saisis, et par conséquent,
l'appelante n'est donc pas admise à recouvrer des dommages-
intérêts.
Le juge suppléant Lalande: L'intimée ayant opposé avec
succès une défense de fin de non-recevoir fondée sur la conduite
de la compagnie à matricule appelante, l'appel doit être rejeté.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hollins, et al. v. Fowler, et al., [1874-80] All E.R. Rep.
118 (H.L.); Lancashire & Yorkshire Railway, et al. v.
MacNicoll, [1919] 88 L.J.K.B. 601; Marfani & Co. Ltd.
v. Midland Bank Ltd., [1968] 1 W.L.R. 956 (C.A.
Angl.); Co/will v. Reeves (1811), 2 Camp. 575; 170 E.R.
1257 (N.P.); Jarmain the Elder v. Hooper, et al. (1843),
6 M & G 827; 134 E.R. 1126 (C.P.); Wilson et al. v.
Tumman et al. (1843), 6 M & G 236; 134 E.R. 879
(C.P.); Morris v. Salberg (1889), 22 Q.B.D. 614 (C.A.
Angl.); Clissold v. Cratchley et al., [1910] 2 K.B. 244
(C.A. Angl.); Re Vandervell's Trust (No. 2), [1974] 3 All
E.R. 205 (C.A.); Lickbarrow et al. v. Mason, et al.
(1787), 2 T.R. 63; 100 E.R. 35 (K.B.); Commonwealth
Trust, Limited v. Akotey, [1926] A.C. 72 (P.C.); Zwic-
ker, et al. v. Feindel (1899), 29 R.C.S. 516; Re Montgo-
mery v. E. Diamond, [1925] 4 D.L.R. 736 (C.S.Î.-P.-E.);
Minchau v. Busse, [1940] 2 D.L.R. 282 (C.S.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cook v. Lewis, [1951] R.C.S. 830; National Coal Board
v. J. E. Evans & Co. (Cardiff) Ld. et al., [1951] 2 K.B.
861; Barnett and Wise v. Wise, [1961] O.R. 97 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Mills v. Brooker, [1919] 1 K.B. 555; Sanderson v. Mars-
den & Jones (1922), 10 Ll. L. Rep. 529 (C.A. Angl.);
Simpson v. Gowers et al. (1981), 32 O.R. (2d) 385
(C.A.); Park v. Taylor (1852), 1 U.C.C.P. 414; Wilkin-
son v. Harvey et al. (1887), 15 O.R. 346 (C.P.); Meadow
Farm Ltd. v. Imperial Bank of Canada (1922), 66
D.L.R. 743 (C.S. Alb. Div. d'appel); Walmsley et al. v.
Humenick et al., [1954] 2 D.L.R. 232 (C.S.C.-B.);
Woodward v. Begbie et al., [1962] O.R. 60 (H.C.);
Dahlberg v. Naydiuk (1970), 10 D.L.R. (3d) 319 (C.A.
Man.); Larin v. Goshen (1975), 56 D.L.R. (3d) 719
(C.S.N.-E. Div. d'appel); Doyle v. Garden of the Gulf
(1980), 24 Nfld. & P.E.I.R. 123 (C.S.Ï.-P.-E.); Bell
Canada v. Bannermount Ltd., [1973] 2 O.R. 811 (C.A.);
Bell Canada v. Cope (Sarnia) Ltd. (1981), 15 C.C.L.T.
190 (C.A. Ont.), confirmant (1980), 11 C.C.L.T. 170
(H.C.); Fowler v. Lanning, [1959] 1 Q.B. 426; Letang v.
Cooper, [1965] 1 Q.B. 232.
AVOCATS:
R. J. Reynolds pour les appelantes (demande-
resses).
M. A. Kelen pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Reynolds, Hunter, Sullivan & Kline, Belle-
ville (Ontario), pour les appelantes (demande-
resses).
Michael A. Kelen, Ottawa, pour l'intimée
(défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Les questions qui font l'objet
du présent appel font suite aux saisies de certains
biens appartenant à la compagnie à matricule
appelante, saisies qui ont été effectuées au mois de
juin 1980 par les shérifs des comtés de Hastings et
de Gray (Ontario), à la demande d'un fonction-
naire du ministère du Revenu national. Le Minis-
tère en question a eu recours à des brefs d'exécu-
tion en vue de recouvrer un montant de plus de
70 000 $ adjugé contre Kenneth Richard Allen et
Ken Allen and Sons Limited au titre d'arriérés
d'impôt sur le revenu et de contributions non
payées au Régime de pensions du Canada et à
l'assurance-chômage. Après avoir entendu le
procès [[1981] CTC 295], le juge Walsh a rejeté,
en date du 22 juin 1981, l'action des appelantes
qui réclamaient des dommages-intérêts par suite
de la saisie et de la détention prétendument illéga-
les de biens.
Kenneth Allen a exploité l'entreprise d'uAllen-
dale Farms» à Markdale dans le comté de Gray. Il
était un riche éleveur de chevaux pursang qu'il
entraînait en attelage et qu'il exhibait également
dans des foires et des expositions. Allen s'est en
outre lancé dans une entreprise de promotion
immobilière qu'il a exploitée par le biais d'une
compagnie appelée Ken Allen and Sons Limited,
constituée au mois d'avril 1972. Une fois le plan de
lotissement approuvé, il a dépensé la somme de
500 000 $ pour y installer des services publics. Il a
acheté des maisons préfabriquées en vue de les
revendre à des acheteurs de lots faisant partie du
plan en question et il a engagé des sommes consi-
dérables. C'est après avoir vendu quatorze de ces
maisons qu'il s'est aperçu que l'électricité ne pou-
vait être branchée sur les lots. Cette affaire a mal
tourné. On a obtenu des jugements contre la com-
pagnie pour obtenir la restitution des sommes
déposées qui n'ont pu être remboursées aux ache-
teurs. Ces opérations reliées à l'exploitation agri-
cole et à la promotion immobilière sont à l'origine
de l'endettement qui a donné lieu aux saisies. Cet
endettement a commencé en 1966 et s'est pour-
suivi jusqu'en 1972.
Le 21 mars 1977, le 8 avril 1980 et le 23 mai
1980, on a enregistré des certificats devant cette
Cour en vue de recouvrer les sommes exigibles.
Une fois enregistrés, ces certificats avaient la
même force et le même effet qu'un jugement'. Le
juge de première instance a conclu qu'Allen devait
certainement être au courant de son arriéré d'im-
pôt bien avant l'enregistrement des certificats. Il
est manifeste qu'au moment où ils ont été saisis,
tous les biens appartenaient à l'appelante 384238
Ontario Limited et que l'appelante Maple Leaf
Lumber Company Limited n'avait aucun droit
légal dans ces biens. Pour fins de commodité, la
compagnie à matricule est ci-après appelée
«l'appelante».
Les motifs du juge de première instance créent
une certaine confusion concernant la propriété et
la transmission des biens utilisés par Kenneth
Allen pour l'exploitation d'Allendale Farms. Ken
Allen and Sons Limited a manifestement pris part
à cette exploitation car, au mois de janvier 1974,
La Banque Royale du Canada, à titre de créan-
cière hypothécaire, a cédé à Ken Allen and Sons
Limited tous les droits qu'elle détenait dans les
biens immobiliers qui ont servi à l'exploitation
d'Allendale Farms à Markdale. Subséquemment,
le 4 août 1976, cette compagnie a conclu en faveur
d'Emily Allen, épouse de Kenneth Allen, une
hypothèque mobilière au montant nominal de
100 000 $ sur les biens que les shérifs ont saisis par
la suite. La compagnie faisait alors l'objet de 51
exécutions et Emily Allen a admis qu'au moment
où l'hypothèque a été conclue, elle était au, courant
des jugements qui ont donné lieu à ces exécutions.
Kenneth Allen a été contraint d'admettre au
procès que sa compagnie était [TRADUCTION]
«pratiquement en faillite en 1976», année au cours
de laquelle elle a fait l'objet de saisies-exécutions
qui totalisaient 237 108,56 $. En temps voulu,
Emily Allen s'est prévalue de l'hypothèque mobi-
lière, prétendant ainsi être devenue propriétaire
des biens. Le juge de première instance n'a pas
hésité à conclure, à la lumière de la preuve, que
son [TRADUCTION] «droit à la propriété des biens
était vicié vu l'absence de contrepartie».
Il a, par ailleurs, conclu avec hésitation à la
validité, sur le plan du droit strict, de l'achat des
biens par l'appelante qui ne savait pas que son titre
de propriété était vicié. Cette opération a été effec-
' Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5, art.
178(2); Loi sur le Régime de pensions du Canada, S.R.C.
1970, chap. C-5, art. 24(2); Loi sur l'assurance-chômage,
S.R.C. 1970, chap. U-2, art. 104(3).
tuée par le biais de deux actes distincts, c'est-à-
dire une entente écrite conclue entre les deux Allen
et des nommés Walker et Norguard qui étaient
actionnaires de l'appelante, et un acte de vente.
L'entente écrite indiquait que les biens ont été
transmis [TRADUCTION] «sous forme de prêt»,
mais Emily Allen a maintenu au cours du procès
que les biens ont été carrément vendus et transmis.
Les procureurs qui ont rédigé l'entente ont témoi-
gné que le terme «prêt» a été employé à des fins
fiscales lorsque les fonds servant à payer les biens
ont été retirés de l'appelante. Un acte de vente
distinct conclu le ler juin 1978 entre Emily Allen
en qualité de vendeur et l'appelante en qualité
d'acheteur confirme la prétention de ladite Emily
Allen portant qu'elle a effectivement eu l'intention
de vendre et de transmettre carrément tous ses
droits dans les chevaux et l'équipement qui ont été
subséquemment saisis par les shérifs. En contre-
partie, on lui a remis un billet à ordre portant sur
le prix d'achat des biens. L'entente écrite prévoyait
que Kenneth Allen [TRADUCTION] «est habilité à
signer les chèques au nom de la compagnie aux
fins de gestion quotidienne». Il a également été
établi que l'appelante a engagé Kenneth Allen
pour gérer son entreprise moyennant un salaire de
300 $ par semaine. Norguard a soutenu qu'Allen
n'a jamais reçu de salaire, bien que, par la suite,
Emily Allen fût rémunérée pour tenir les livres de
l'appelante. Le juge de première instance a conclu
qu'Allen a demandé à l'appelante de verser son
salaire à son épouse.
Il ressort des cônclusions du juge de première
instance qu'Allen a joué un rôle très actif dans
l'exploitation d'Allendale Farms après la vente et
la transmission des biens à l'appelante en date du
ler juin 1978. Premièrement, l'entreprise a conti-
nué d'être exploitée sous la raison sociale d'«Allen-
dale Farms», qui était très bien connue et identi-
fiait Kenneth Allen et sa famille. Le juge de
première instance a conclu qu'aucun des chevaux
pursang transmis à l'appelante n'a été inscrit en
son nom dans le registre requis à cette fin par la
Loi sur la généalogie des animaux 2 . En fait, au
mois de juin 1980, le nom de Kenneth Allen
figurait dans ce registre à titre de propriétaire de
quatre des chevaux. Qui plus est, ce n'est qu'au
2 S.R.C. 1970, chap. L-10.
mois de septembre 1980, trois mois après que les
saisies eurent été effectuées, qu'Allendale Farms a
entrepris d'inscrire ses chevaux pursang dans ce
registre. Lorsque, au mois de novembre 1979, l'ap-
pelante a vendu un cheval né au mois d'avril de
cette même année, Kenneth Allen a envoyé à la
personne responsable de ce registre une déclaration
écrite disant qu'il était le [TRADUCTION] «proprié-
taire à la naissance» de ce cheval. Il a déclaré sous
serment à cette personne comme l'exige la loi:
[TRADUCTION] Je déclare par la présente que j'étais le proprié-
taire de l'animal susmentionné à sa naissance, et que les
informations fournies ci-dessus sont conformes à mes livres et
registres et qu'elles sont exactes.
Ainsi, comme l'a fait remarquer le juge de pre-
mière instance, Kenneth Allen «continuait à indi-
quer dans les registres publics qu'il était le proprié-
taire des chevaux qui, à l'époque, appartenaient
indéniablement» à l'appelante. Le juge a égale-
ment considéré que l'omission par l'appelante
d'inscrire les chevaux en son nom «peut induire les
gens en erreur» et que «le fait qu'elle tolère que
Ken Allen en gardât quelques-uns inscrits à son
propre nom pouvait jeter la confusion chez les
créanciers qui voulaient vérifier le titre de pro-
priété par la consultation» des registres tenus sous
le régime de la Loi sur la généalogie des animaux.
Le numéro de printemps 1980 du Draft Horse
Journal, une revue américaine qu'on dit de grande
diffusion au Canada et aux États-Unis, contenait
une grande annonce publicitaire d'Allendale
Farms où Kenneth Allen était une fois de plus
décrit comme «propriétaire». Au sujet de cette
annonce publicitaire, le juge de première instance
a fait remarquer que «les tiers avaient tout lieu de
croire qu'il n'y avait eu aucun changement dans
l'entreprise qui, pendant de longues années, avait
été exploitée par M. Allen, d'autant plus que M.
Norguard et Mme Walker lui avaient donné pleins
pouvoirs pour la mener comme il l'avait toujours
fait».
La personne responsable de la saisie-exécution
des biens d'Allen et de sa compagnie était un
nommé William O'Neill, employé du ministère du
Revenu national. Il ne fait aucun doute que l'inti-
mée était responsable des actes délictuels de son
employé accomplis, comme en l'espèce, dans
l'exercice de ses fonctions'. Le juge de première
instance a conclu que, avant d'enjoindre aux shé-
rifs de Hastings et de Gray de saisir les biens,
O'Neill a pris de nombreuses mesures pour déter-
miner à qui ils appartenaient. Il a passé deux jours
à examiner les registres tenus par le Centre cana-
dien national de l'enregistrement des animaux à
Ottawa afin de savoir à qui appartenaient les
chevaux et il a constaté que, même si l'appelante
ne figurait à titre de propriétaire inscrit d'aucun de
ces chevaux, certains d'entre eux étaient immatri-
culés au nom de Kenneth Allen. Il s'est adressé à
l'avocat de l'appelante mais celui-ci a refusé de le
renseigner en invoquant le «secret professionnel».
Le 9 avril 1980, il a communiqué avec Kenneth
Allen qui a refusé de lui montrer les registres et
qui l'a injurié. Il a parlé au concédant de la ferme
sur laquelle Allen exploitait son entreprise d'éle-
vage de chevaux à Markdale et on lui a exhibé un
contrat de concession signé par Allen en vertu
duquel le bien-fonds était concédé à Kenneth Allen
et à Ken Allen and Sons Limited mais où il n'était
pas fait mention de l'appelante. Il s'est renseigné
auprès d'un vétérinaire du ministère de l'Agricul-
ture concernant les certificats d'examen qu'il a
faits sur les chevaux le 14 mai 1980, ces certificats
indiquant que Kenneth Allen était «le proprié-
taire». Il a fait enquête auprès du concours hippi-
que de l'Exposition nationale canadienne à
Toronto et il a constaté que certains des chevaux
avaient été inscrits au nom de [TRADUCTION]
«Ken Allen and Sons—propriétaire», et que le prix
en argent gagné par ces chevaux a été payé par
chèque à l'ordre de Ken Allen and Sons le 15
septembre 1978.
Ce n'est qu'après avoir entrepris ces démarches
et consulté son supérieur qu'O'Neill a décidé de
saisir et d'enlever les biens. A la suite de la saisie,
on a constaté que l'appelante avait acheté quel-
ques-uns des chevaux saisis après le l er juin 1978.
Tous les biens saisis ont été restitués aux appelan-
tes dans un délai de trois jours, continuant d'être
assujettis à une saisie fictive. Au mois d'octobre
1980, la Division de première instance a ordonné
que les biens continuent de demeurer en la posses
sion de l'appelante qui pouvait les vendre, étant
entendu que le produit de la vente serait détenu en
fiducie mais que certains frais d'exploitation leur
seraient remboursés aux appelantes et que le solde
' Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38, art. 3(1)a) et 4(2).
serait versé aux shérifs. Le 19 mars 1981, l'intimée
a signé une confession de jugement dans la pré-
sente instance, ce qui a donné lieu à une mainlevée
de la saisie fictive de certains biens effectuée par
les shérifs, huit chevaux et quatre poulains ainsi
que différentes pièces d'équipement demeurant
assujettis à la saisie. Dans son jugement du 22 juin
1981, le juge de première instance a ordonné la
mainlevée de la saisie de tous les biens, sauf le
solde du billet à ordre consenti à Emily Allen.
Après avoir examiné ces faits, le juge de pre-
mière instance a conclu que la saisie des biens était
imputable uniquement à l'appelante. Voici ce qu'il
a dit [à la page 308]:
Je ne puis conclure que dans ses instructions aux shérifs, M.
O'Neill ait commis de faute. Si par suite de ces instructions,
des biens qui n'auraient pas dû être saisis l'ont été pour couvrir
la dette fiscale de Ken Allen ou de Ken Allen and Sons Limited
et que par la suite, certains d'entre eux aient dû être libérés, la
faute en incombe entièrement à la compagnie à matricule dont
les dirigeants ont permis à M. Allen de poursuivre l'exploitation
exactement comme il l'avait fait par le passé, avec tous les
signes extérieurs indiquant que lui ou Ken Allen and Sons
Limited était toujours propriétaire des chevaux et du matériel
de ferme, malgré l'acte de vente signé par Emily Allen au profit
de la compagnie.
Plus loin [aux pages 309 et 310], il a conclu que,
malgré la vente des biens à l'appelante, Kenneth
Allen
... a poursuivi l'entreprise d'élevage de chevaux exactement
comme il l'avait fait par le passé, en utilisant indifféremment
son propre nom ou les noms commerciaux de Ken Allen and
Sons Limited et d'Allendale Farms. Sa principale activité
professionnelle n'a donc jamais été interrompue malgré ses
difficultés financières. On a du mal à comprendre que l'exploi-
tation de la compagnie à matricule ait pu se poursuivre de cette
façon avec le consentement de M. Norguard qui est manifeste-
ment un entrepreneur réussi et de Mm' Walker qui est un agent
immobilier, l'un et l'autre devant à tout le moins posséder des
notions élémentaires pour ce qui est du fonctionnement d'une
société, de la nécessité des actes écrits, de la distinction entre
une compagnie et ses actionnaires considérés individuellement,
ainsi que d'autres principes élémentaires de droit. Dans ses
dépositions, M. Norguard affirme qu'on peut conclure une
bonne affaire avec les gens en difficulté. Il a dû estimer que
Mn' Walker et lui-même ont fait une bonne affaire. L'avocat
qui a établi l'accord reconnaît que M. Allen lui avait dit qu'en
raison de ses difficultés, la participation à la compagnie à
matricule serait au nom de sa femme. Mm° Walker n'a pas posé
de questions lorsque M. Allen a demandé que son salaire
hebdomadaire de 300 $ fût porté au crédit de sa femme.
L'avocat qui s'occupa de la constitution de Maple Leaf Lumber
Company était au courant des nombreux brefs d'exécution émis
contre M. Allen et, selon ses dépositions, celui-ci se rendait
parfaitement compte de ses difficultés financières et planifiait
soigneusement en conséquence.
En outre, même s'il a conclu avec hésitation que
l'appelante a acquis un droit valable dans les biens
en les achetant à Emily Allen le 1 e juin 1978, le
juge de première instance est arrivé à des conclu
sions de fait importantes en ce qui concerne la
connaissance de l'appelante des difficultés finan-
cières d'Allen et de sa compagnie et des tentatives
de ce dernier visant à éviter de payer ses créan-
ciers. Il a dit [à la page 310] que:
... le comportement subséquent de M. Allen dans la gestion de
la compagnie, la demande que son salaire fût porté au crédit de
Mme Allen et d'autres informations qui se sont fait jour par la
suite, font ressortir que les Allen ont fait en sorte d'éviter de
payer certains créanciers, dont la défenderesse ...
La question soumise au juge de première ins
tance était de savoir si, dans les circonstances de
l'espèce, il y avait eu une «saisie illégitime» des
biens permettant à l'appelante de réclamer des
dommages-intérêts. Il a conclu que l'intimée
n'était pas responsable en disant [aux pages 312 et
313]:
Il ne suffirait pas que les demanderesses établissent qu'elles
ont subi un préjudice par suite de la saisie et de la détention de
leurs biens, à supposer qu'elles soient en mesure de le faire, car
pour pouvoir prétendre aux dommages-intérêts, elles doivent
encore prouver une faute de la part de la défenderesse, et elles
n'y ont pas réussi.
L'appelante soutient que le juge de première ins
tance a commis une erreur de droit et que l'intimée
est passible de dommages-intérêts en raison des
pertes résultant de la saisie illégitime qu'elle consi-
dère comme [TRADUCTION] «ni plus ni moins une
atteinte à la possession ou une appropriation illégi-
time», même si O'Neill a pu avoir des motifs
raisonnables de croire que les biens appartenaient
à Kenneth Allen ou à sa compagnie, les débiteurs
saisis. De fait, l'avocat a admis qu'O'Neill [TRA-
DUCTION] «avait agi raisonnablement et sans
négligence ... en se fondant sur la preuve qu'Allen
était le propriétaire des biens qui étaient ainsi
assujettis aux brefs d'exécution», et que les directi
ves d'O'Neill aux shérifs concernant la saisie des
biens [TRADUCTION] «se fondaient sur des motifs
raisonnables et n'indiquaient aucune négligence de
sa part».
J'examinerai en premier lieu la question de l'ap-
propriation illégitime. Même s'il est vrai que les
shérifs ont enlevé les biens pendant une période de
trois jours, le ministère du Revenu national ne les
a pas utilisés ou autrement considérés comme ses
propres biens. Après avoir examiné la jurispru
dence, je suis convaincu que ce n'est que lorsqu'un
défendeur a utilisé ou autrement exploité un bien
saisi qu'il y a appropriation illégitime. Ce n'est pas
le cas en l'espèce. Ainsi, dans l'affaire Hollins, et
al. v. Fowler, et al. 4 , le défendeur Hollins, un
courtier en coton, a conclu une opération avec un
nommé Bayley qui prétendait lui vendre une cer-
taine quantité de coton en balles. En fait, Bayley,
qui était également un courtier, n'était habilité à
vendre les biens qu'à un tiers désigné. N'étant pas
au courant de cette situation, le défendeur a pris
possession des biens et décidé de les vendre à une
firme de fileurs de coton, MM. Micholls, Lucas &
Co. Il a payé à Bayley le prix des marchandises et
il a lui-même été payé par Micholls qui a filé les
balles de coton. Fowler, le véritable propriétaire, a
intenté une action contre Hollins pour appropria
tion illégitime. L'affaire a été soumise à la Cham-
bre des lords qui a jugé qu'il y avait effectivement
eu appropriation illégitime, lord Chelmsford décla-
rant (à la page 122) que:
[TRADUCTION] ... quiconque, même de bonne foi, prend pos
session des biens d'une personne qui en a été dépossédée d'une
manière frauduleuse, et en dispose, que ce soit à son profit ou à
celui d'une autre personne, est coupable d'appropriation
illégitime.
Dans cette affaire-là, contrairement à la présente
espèce, le défendeur a employé à des fins commer-
ciales les biens dont il avait pris possession, même
s'il ignorait le droit du demandeur dans ces biens.
On peut trouver un autre exemple dans l'affaire
Lancashire & Yorkshire Railway, et al. v. Mac-
Nicoll 5 où un certain nombre de tonneaux ont été
livrés par erreur au défendeur. L'erreur n'a été
découverte qu'après que le défendeur eut versé le
contenu des tonneaux dans son propre réservoir.
En ce qui concerne la question de savoir s'il s'agis-
sait d'une appropriation illégitime, le juge Atkin a
répondu par l'affirmative en disant (à la page
605):
[TRADUCTION] Il me semble évident que le fait d'employer les
biens d'une manière incompatible avec le droit des véritables
propriétaires équivaut à une appropriation illégitime, si on
prouve également que, ce faisant, le défendeur a eu l'intention
de nier le droit du propriétaire ou de revendiquer un droit qui
est incompatible avec celui du propriétaire. La preuve de cette
intention est concluante si le défendeur a pris ou employé les
biens comme s'il s'agissait des siens. En l'espèce, il ne fait
4 [1874-80] All E.R. Rep. 118 (H.L.).
5 [1919] 88 L.J.K.B. 601.
aucun doute que le défendeur a employé les biens comme s'il
s'agissait des siens. Il les a versés ... dans sa propre cuve ou son
propre réservoir.
Dans une cause plus récente de 1968, le lord
juge Diplock a mis encore plus d'emphase sur ce
qui équivaut à une appropriation illégitime du
point de vue du droit et sur ses conséquences. Dans
l'affaire Marfani & Co. Ltd. v. Midland Bank
Ltd. 6 , il s'agissait de savoir si la défenderesse avait
commis une appropriation illégitime en prenant et
en négociant le chèque de la demanderesse dans le
cours ordinaire de son commerce bancaire. Un
voleur avait remis le chèque à la défenderesse qui
n'avait pas eu connaissance du vol. La défende-
resse a accepté et honoré le chèque dans le cours
normal de ses affaires et elle a porté la somme au
crédit du voleur. Celui-ci a par la suite retiré
l'argent et est disparu. Il s'agissait essentiellement
de savoir si la défenderesse pouvait se prévaloir
d'un moyen de défense prévu par la loi, mais,
avant d'examiner cette question, le lord juge
Diplock a profité de l'occasion pour analyser la
nature du délit d'appropriation illégitime et ses
conséquences du point de vue de la common law.
Voici ce qu'il a dit (aux pages 970 et 971):
[TRADUCTION] En common law, l'obligation d'une personne
envers son voisin qui est propriétaire ou qui a la possession de
ses biens est de s'abstenir d'accomplir un acte intentionnel qui
constitue une usurpation de son droit à la propriété ou à la
possession desdits biens. Sous réserve de certaines exceptions
qui ne sont pas pertinentes en l'espèce, il est sans importance
que l'auteur de l'usurpation n'ait pas eu ou n'ait pu avoir
connaissance, en prenant des précautions raisonnables, du droit
de son voisin dans les biens. Il s'agit d'une obligation absolue; la
personne tenue à cette obligation en subit les risques.
Bien qu'on n'ait cité aucun précédent à l'appui de
ce principe, le lord juge Diplock paraît avoir sim-
plement voulu confirmer la règle de droit reconnue
en Angleterre depuis plusieurs années, règle dont
on trouve des exemples dans les décisions susmen-
tionnées ainsi que dans les décisions Mills v.
Brooker' et Sanderson v. Marsden & Jones s. Au
Canada, l'arrêt récent de la Cour d'appel de l'On-
tario Simpson v. Gowers et al. 9 contient des exem-
ples clairs d'actes qui constituent, du point de vue
du droit, une appropriation illégitime. Même si
6 [1968] 1 W.L.R. 956 (C.A. Angl.).
' [1919] 1 K.B. 555.
8 (1922), 10 Ll. L. Rep. 529 (C.A. Angl.).
9 (1981), 32 O.R. (2d) 385 (C.A.).
dans cette affaire le défendeur n'a pas porté
atteinte au droit revendiqué par le demandeur
dans ses biens, il s'est comporté à leur égard d'une
manière incompatible avec le droit du demandeur
en jetant certains de ces biens, en en répandant
d'autres sur son terrain et en vendant le reste.
À mon avis, l'attitude du ministère du Revenu
national à l'égard des biens de l'appelante à la
suite de la saisie effectuée au mois de juin 1980 ne
constitue pas, dans le présent cas, une appropria
tion illégitime. Il est indéniable qu'il y a eu trouble
temporaire de la possession de l'appelante, mais je
ne crois pas que cela suffise pour que le Ministère
soit coupable d'appropriation illégitime. À mon
avis, la prétention de l'appelante concernant ce
moyen d'appel doit être rejetée.
Examinons maintenant la prétention de l'appe-
lante portant que l'intimée s'est rendue coupable
d'atteinte à la possession en saisissant illégitime-
ment ses biens. Il s'agit d'une question tout à fait
distincte. Il n'y a aucun doute que traditionnelle-
ment, la common law a considéré la saisie illégi-
time de biens comme une atteinte à la possession
qui rend son auteur passible de dommages-intérêts.
Ainsi, dans l'affaire Colwill v. Reeves 10 , un failli,
afin de mettre ses biens à l'abri de ses créanciers, a
comploté avec le demandeur en demandant à ce
dernier de lui remettre certains articles de son
mobilier pour qu'ils soient confondus avec les
siens. Le défendeur a saisi un sofa qui avait été
remis par le demandeur en le confondant avec les
biens du failli. Il a prétendu que, dans ces circons-
tances, il ne devrait pas être coupable d'atteinte à
la possession, mais la Cour était d'avis contraire,
lord Ellenborough disant que [TRADUCTION] «les
biens en question demeuraient distincts» et que,
comme le défendeur [TRADUCTION] «aurait pu
s'apercevoir qu'ils appartenaient au demandeur», il
[TRADUCTION] «les a pris à ses risques». Dans la
décision Jarmain the Elder v. Hooper, et al.", le
défendeur a obtenu un jugement contre un nommé
«Joseph Jarmain» et par la suite, un bref de fieri
facias. En conséquence, le shérif a saisi les biens
du père du débiteur, qui s'appelait également
«Joseph Jarmain». Le demandeur a poursuivi le
shérif qui a effectué la saisie et le défendeur qui l'a
10 (1811), 2 Camp. 575; 170 E.R. 1257 (N.P.).
11 (1843), 6 M & G 827; 134 E.R. 1126 (C.P.).
obtenue par suite d'une directive donnée par son
avocat. En déclarant le défendeur coupable d'at-
teinte à la possession, le juge en chef Tindal a dit
qu'il [TRADUCTION] «doit répondre» de l'acte de
son mandataire, l'avocat, qui a agi [TRADUCTION]
«par inadvertance ou ignorance». La même année,
le juge en chef Tindal a rendu la décision Wilson
et al. v. Tumman et al. 12 . Il s'agissait de savoir si
la ratification d'une saisie illégitime par le créan-
cier saisissant après la saisie engageait la responsa-
bilité du shérif qui a procédé à ladite saisie en
vertu d'un bref valide. Même s'il a tranché en
faveur du shérif concernant l'argument principal,
le juge a ajouté sous forme d'opinion incidente (à
la page 244) [E.R. 883]:
[TRADUCTION] Si le défendeur Tumman avait enjoint au
shérif de saisir les biens du présent demandeur, en vertu d'un
bref valide, l'obligeant à saisir les biens d'une personne autre
que le défendeur dans l'action initiale, cette directive précé-
dente aurait sans aucun doute fait de lui un violateur, suivant le
principe que toutes les personnes qui permettent la perpétration
d'une atteinte à la possession sont elles-mêmes des violateurs, et
ce n'est pas uniquement en vertu du bref mais en qualité de
préposé du demandeur que le shérif aurait été censé avoir saisi
les biens.
La Cour d'appel a appliqué ce principe en Angle-
terre dans l'arrêt Morris v. Salberg 13 . Dans cette
affaire, le défendeur a obtenu un bref de fieri
facias en vue de la saisie-exécution des biens du
débiteur saisi. Le procureur du créancier saisissant
a endossé le bref en enjoignant par inadvertance
au shérif de saisir les biens du père du débiteur.
Dans une action pour atteinte à la possession
intentée par le père, le débiteur saisi a été tenu
responsable. Dans une affaire plus récente Clissold
v. Cratchley et al. 14 , les biens du demandeur ont
fait l'objet d'une saisie-exécution après le paiement
du montant de la dette adjugé et ce, en raison de
l'inadvertance des procureurs du défendeur. Le
créancier saisissant et son procureur ont été décla-
rés coupables d'atteinte à la possession pour le
motif que, après le paiement du montant adjugé, le
bref était devenu nul et non avenu.
Il y a pénurie de décisions publiées dans ce pays
concernant cette question, mais leurs conclusions
sont, à mon avis, conformes aux principes énoncés
dans les décisions déjà examinées. Je mentionne à
12 (1843), 6 M & G 236; 134 E.R. 879 (C.P.).
13 (1889), 22 Q.B.D. 614 (C.A. Angl.).
14 [1910] 2 K.B. 244 (C.A. Angl.).
titre d'exemples les décisions Park v. Taylor 15 ,
Wilkinson v. Harvey et al. 16 et Meadow Farm Ltd.
v. Imperial Bank of Canada" qu'on nous a égale-
ment citées.
L'intimée a soutenu que la règle de droit énon-
cée dans les décisions plus anciennes ne s'applique
plus dans ce pays. À son avis, la jurisprudence
actuelle a établi qu'un défendeur qui ne commet
aucune faute dans une affaire de ce genre dispose
d'un moyen de défense valable dans une action
pour atteinte à la possession. Elle s'est fondée en
particulier sur l'arrêt majoritaire de la Cour
suprême du Canada Cook v. Lewis'B. Dans cette
affaire, l'intimé a été atteint à la figure et blessé
par du petit plomb au cours d'une expédition de
chasse aux oiseaux. La preuve n'a pas clairement
établi si c'est l'appelant ou un autre chasseur qui a
causé la blessure, mais il a été prouvé que chacun
d'eux a déchargé son arme à feu en même temps à
peu près en direction du demandeur en visant un
oiseau en vol. Les deux chasseurs ont été poursui-
vis conjointement. En confirmant la décision de la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui a
ordonné un nouveau procès, le juge Cartwright [tel
était alors son titre], au nom de la majorité de la
Cour, a énoncé le principe suivant (à la page 839):
[TRADUCTION] À mon sens, les décisions recueillies et com-
mentées par le juge Denman, dans Stanley v. Powell (1891), 1
Q.B.D. 86, établissent (sauf une exception dans le cas des
accidents de la route qui ne nous concerne pas ici) la règle que
quand un demandeur a subi un préjudice du fait d'une force
directement employée contre lui par le défendeur, sa cause est
établie par la preuve de ce fait et c'est au défendeur qu'il
incombe de prouver «que l'acte illicite n'est absolument pas de
sa faute». A mon avis, Stanley v. Powell a justement décidé
qu'un défendeur a une bonne défense à l'encontre d'une telle
action s'il arrive à prouver tant l'absence d'intention que l'ab-
sence de négligence de sa part.
Depuis lors, ce principe a été appliqué au Canada
dans les cas où il y a une atteinte directe à
l'intégrité physique d'une personne: Walmsley et
al. v. Humenick et al. 19 , Woodward v. Begbie et
al. 20 , Dahlberg v. Naydiuk 21 , Larin v. Goshen 22 et
15 (1852), 1 U.C.C.P. 414.
16 (1887), 15 O.R. 346 (C.P.).
17 (1922), 66 D.L.R. 743 (C.S. Alb. Div. d'appel).
18 [1951] R.C.S. 830.
19 [1954] 2 D.L.R. 232 (C.S.C.-B.).
20 [1962] O.R. 60 (H.C.).
21 (1970), 10 D.L.R. (3d) 319 (C.A. Man.).
22 (1975), 56 D.L.R. (3d) 719 (C.S.N.-E. Div. d'appel).
Doyle v. Garden of the Gulf 13 . Ce principe a
également été appliqué dans les cas où il y a une
atteinte directe à la propriété mobilière entraînant
des dommages: Bell Canada v. Bannermount
Ltd. 24 , Bell Canada v. Cope (Sarnia) Ltd. 25 . Le
droit anglais a suivi la même évolution à une
différence importante près. C'est le demandeur qui
a l'obligation de prouver que l'acte préjudiciable a
été soit intentionnel soit négligent: Fowler v.
Lanning 26 , Letang v. Cooper 27 .
On ne nous a cité aucun cas où le principe
énoncé dans l'affaire Cook v. Lewis a été appliqué
à la saisie illégale de biens n'ayant entraîné,
comme en l'espèce, aucune blessure. Je ne crois
pas que la common law de ce pays ait évolué au
point où une personne qui, dans une procédure
d'exécution, saisit les biens d'une autre personne
en croyant de bonne foi mais à tort que ces biens
appartenaient à son débiteur saisi, puisse se déga-
ger de toute responsabilité dans une action pour
atteinte à la possession en prouvant que son acte
n'a été ni intentionnel ni négligent. La responsabi-
lité en cas d'atteinte à la possession résultant de la
saisie illégitime de biens meubles se fonde sur une
cause d'action distincte de celle qui existe lorsqu'il
s'agit d'un acte visant directement une personne ou
un bien meuble et entraînant un préjudice. Dans
un tel cas, le législateur a considéré un accident
inévitable comme un moyen de défense: National
Coal Board v. J. E. Evans & Co. (Cardiff) Ld. et
al. 28 , pour le motif que l'acte du défendeur n'était
«absolument pas de sa faute». Le fait qu'une per-
sonne saisisse des biens en croyant de bonne foi
mais à tort qu'ils appartenaient au débiteur saisi
n'a pas été considéré comme un moyen de défense.
Je conclus par conséquent que, en enjoignant aux
shérifs des comtés de Hastings et de Gray de saisir
les biens, O'Neill a effectué une saisie illégitime et
porté atteinte à la possession de ces biens, à moins
que l'intimée ne puisse opposer à cela un moyen de
défense.
23 (1980), 24 Nfld. & P.E.I.R. 123 (C.S.Ï.-P.-É.).
24 [1973] 2 O.R. 811 (C.A.).
25 (1980), 11 C.C.L.T. 170 (H.C. Ont.); confirmé en appel
(1981), 15 C.C.L.T. 190 (C.A.).
26 [1959] 1 Q.B. 426.
27 [1965] 1 Q.B. 232.
28 [1951] 2 K.B. 861.
L'intimée prétend qu'elle dispose dans le présent
cas d'un moyen de défense valable, c'est-à-dire une
fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'ap-
pelante. Celle-ci soutient le contraire mais, quoi
qu'il en soit, elle fait valoir que l'intimée ne peut
présenter cet argument à ce stade-ci parce qu'il n'a
pas été expressément plaidé. L'avocat de l'intimée
est d'avis que tous les faits importants servant à
étayer cet argument ont été allégués, mais il a
demandé l'autorisation de modifier une fois de plus
sa défense modifiée si cela s'avérait nécessaire.
L'appelante a allégué au paragraphe 4 de sa décla-
ration modifiée que la saisie et l'enlèvement des
biens effectués [TRADUCTION] «à la demande des
fonctionnaires du ministre du Revenu national»
étaient «injustifiés» et ont eu lieu [TRADUCTION]
«alors que les fonctionnaires du Ministre savaient
que les biens appartenaient non pas à Kenneth
Richard Allen mais à la compagnie demanderesse»
ou que, subsidiairement, on a procédé à la saisie et
à l'enlèvement [TRADUCTION] «sans tenir compte
de la propriété des biens». L'intimée a nié ces
allégations dans sa défense modifiée où elle allègue
également, au paragraphe 3b), [TRADUCTION]
«des motifs raisonnables de croire» que les biens
appartenaient aux débiteurs saisis. L'appelante a
lié la contestation. Les faits allégués et prouvés par
l'intimée dénonçaient la conduite de l'appelante
qui a créé à Allendale Farms une situation telle
qu'O'Neill a eu des motifs raisonnables de croire
que les biens appartenaient aux débiteurs saisis.
De toute évidence, le juge de première instance a
souscrit à cet argument car, après avoir vu et
entendu les témoins et examiné la preuve, il a
conclu [à la page 308] que, pour ce qui est de la
saisie des biens, «la faute en incombe entièrement»
à l'appelante «dont les dirigeants ont permis à M.
Allen de poursuivre l'exploitation exactement
comme il l'avait fait par le passé, avec tous les
signes extérieurs que lui ou Ken Allen and Sons
Limited était toujours propriétaire des chevaux et
du matériel de ferme» malgré la cession consentie
par Emily Allen à l'appelante.
C'est à partir de ces allégations de fait libellées
en termes généraux qu'on a examiné en première
instance l'incidence de la conduite de l'appelante
sur le moyen de défense fondé sur la croyance
raisonnable et qu'on est arrivé à certaines conclu
sions en se référant à cette conduite. L'appelante a
eu tout le loisir, à ce stade, d'établir que cette
conduite n'aurait pas dû inciter O'Neill à saisir les
biens en question. De toute évidence, le juge de
première instance n'était pas de cet avis. Par con-
séquent, je ne peux voir comment l'appelante peut
se dire surprise par le point de vue, adopté par
l'intimée au cours du présent appel, que l'appe-
lante ne peut, en raison de sa conduite, recouvrer
des dommages-intérêts. En soutenant ce point de
vue, l'intimée ne fait rien de plus, me semble-t-il,
que de considérer que les faits allégués et prouvés
au cours du procès donnent ouverture à une fin
de non-recevoir fondée sur la conduite de
l'appelante 29 . Il ressort clairement des précédents
que l'intimée avait le droit de soutenir ce point de
vue. Dans l'arrêt Re Vandervell's Trust (No. 2) 3 °,
lord Denning a analysé et appliqué ce principe en
disant (à la page 213):
[TRADUCTION] L'avocat des exécuteurs testamentaires a fait
valoir que les arguments soulevés par l'avocat de la compagnie
de fiducie n'ont pas été traités dans les plaidoiries. Il a répété à
maintes reprises: «Cette façon d'argumenter n'a pas été invo-
quée»; «Cette fiducie n'a pas été invoquée». Et ainsi de suite.
Plus il argumentait, plus il devenait formaliste. J'ai commencé
à penser que nous revenions à la triste époque ... où il fallait
indiquer les conséquences juridiques dans les plaidoiries; on
pouvait perdre une cause en omettant une seule allégation (voir
Bullen and Leake Precedents of Pleadings (3' éd., 1868), p.
147). Tout cela est disparu depuis longtemps. Il suffit que le
plaideur énonce les faits importants. Il n'est pas tenu d'indiquer
les conséquences juridiques. S'il le fait pour fins de commodité,
il n'est pas lié ni limité par ce qu'il a déclaré. Il peut exposer, à
titre d'argument, les conséquences juridiques qui découlent des
faits. Dans le présent cas, les plaidoiries contenaient tous les
faits importants. Il est évident que l'avocat de la compagnie de
fiducie ne nous a pas présenté la cause de la même façon que
devant le juge: cela ne change rien aux faits, seule la façon
d'exposer les conséquences juridiques diffère. Il avait donc
parfaitement le droit de le faire.
Je ne pense pas que, dans les circonstances, il ait
été nécessaire que l'intimée aille plus loin qu'elle
ne l'a fait dans ses plaidoiries ni qu'elle précise que
la conduite de l'appelante donne lieu à une «fin de
non-recevoir», qui empêche le recouvrement de
dommages-intérêts. En fait, comme l'a décidé le
juge de première instance, cette conduite a incité
O'Neill à agir comme il l'a fait. Si un plaidoyer
exprès de fin de non-recevoir s'était avéré néces-
saire, j'aurais été enclin à y faire droit dans les
circonstances 31 .
29 Zwicker, et al. v. Feindel (1899), 29 R.C.S. 516.
30 [1974] 3 All E.R. 205 (C.A.).
3' Barnett and Wise v. Wise, [1961] O.R. 97 (C.A.).
La dernière question est donc de savoir si les
faits donnent ouverture à une fin de non-recevoir.
Le juge de première instance était convaincu que
la saisie des biens a été provoquée par l'attitude de
l'appelante. Il estimait que cette conduite qu'il a
décrite de façon très pittoresque dans ses motifs de
jugement a amené O'Neill à croire que les biens
appartenaient aux débiteurs saisis. A mon avis,
cette conduite de l'appelante lui interdit de préten-
dre le contraire et de recouvrer des dommages-
intérêts 32 . Même si l'appelante et O'Neill étaient
tous deux innocents, celle-ci doit quand même être
tenue responsable du préjudice parce qu'elle a
permis à Allen d'exploiter son entreprise comme il
l'a fait. Cela est conforme au principe général
énoncé par le juge Ashhurst dans la décision Lick-
barrow et al. v. Mason, et al. 33 , savoir, que:
[TRADUCTION] ... chaque fois que les actes d'un tiers causent
un préjudice à l'une de deux personnes innocentes, celle qui a
permis à ce tiers de causer le préjudice doit être tenue
responsable.
Ce principe a été approuvé par le Conseil privé
dans l'arrêt Commonwealth Trust, Limited v.
Akotey 34 et, bien qu'il faille l'appliquer avec
prudence 35 , je pense qu'il peut l'être à bon droit
dans les circonstances de l'espèce.
L'appelante a laissé entendre qu'O'Neill savait
qu'elle avait réclamé la propriété des biens avant
qu'on ne procède à la saisie des biens, mais je ne
vois rien dans les motifs du juge de première
instance qui appuierait clairement cette proposi
tion. Comme le présent appel a été entendu à la
suite de la demande non contestée des appelantes,
étant entendu que lesdits motifs constitueraient à
eux seuls le dossier, nous n'avons aucun moyen de
savoir si cette proposition peut se fonder sur la
preuve présentée au procès. Il est dit dans les
motifs du jugement qu'O'Neill a admis au cours
du procès que «d'autres personnes ont réclamé la
propriété» mais le juge de première instance n'a
pas identifié ces «autres personnes» ni précisé la
nature de la «réclamation». Vu sa conclusion prin-
cipale que c'est la conduite de l'appelante qui a
mené à la saisie des biens, le juge de première
32 Re Montgomery v. E. Diamond, [1925] 4 D.L.R. 736
33 (1787), 2 T.R. 63, la p.70; 100 E.R. 35 (K.B.), à la p. 39.
34 [1926] A.C. 72 (P.C.), à la p. 76.
35 Minchau y. Busse, [1940] 2 D.L.R. 282 (C.S.C.), le juge
en chef Duff, à la p. 303.
instance paraît avoir été convaincu qu'O'Neill n'a
pas agi malgré une réclamation de l'appelante qui
l'aurait avisé que c'était elle, et non' les débiteurs
saisis, qui était propriétaire des biens qui allaient
être saisis.
Je suis par conséquent d'avis de rejeter le pré-
sent appel avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Il s'agit d'un
appel du rejet d'une action en dommages-intérêts
intentée par le propriétaire de biens meubles pour
atteinte à la possession résultant d'une saisie effec-
tuée en vertu d'un bref d'exécution.
L'intimée ayant opposé avec succès une défense
de fin de non-recevoir fondée sur la conduite de la
compagnie à matricule appelante, j'estime, comme
le juge Stone, que l'appel doit être rejeté avec
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.