T-1434-83
Roman M. Turenko (requérant)
c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada, R. H. Simmonds et commissaire adjoint
de la Gendarmerie royale du Canada, A. M. Hea-
drick (intimés)
Division de première instance, juge Dubé —
Ottawa, 12, 13 et 27 octobre 1983.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus
— Permis de porter une arme à autorisation restreinte — Le
requérant, un inspecteur de sécurité de Brinks, assume des
fonctions qui comportent des dangers et consistent à protéger
la vie d'autrui et la sienne — La demande d'un permis de
porter une arme valide dans tout le Canada a été rejetée par le
commissaire de la GRC, parce que la délivrance n'avait pas été
recommandée par le registraire local d'armes à feu en vertu de
la politique provinciale qui n'autorise pas les agents de sécu-
rité à porter des armes à autorisation restreinte lorsqu'ils ne
sont pas en uniforme — Le commissaire est-il légalement tenu
de délivrer le permis? — Le pouvoir discrétionnaire du com-
missaire est circonscrit par l'art. 106.2(2) du Code — La
politique provinciale concernant les uniformes ne constitue pas
un critère valable pour refuser un permis — Le commissaire
n'est pas autorisé à examiner la décision du commissaire
adjoint — Délivrance d'un bref de mandamus — Code crimi-
nel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 98(2)b)(i),(ii),(iii), 106.2(1),
(2),(10) (abrogés et remplacés par S.C. 1976-77, chap. 53, art.
3) — Loi sur les licences d'exportation et d'importation,
S.R.C. 1970, chap. E-17, art. 8 — Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, chap. I-23, art. 26.
Un inspecteur de sécurité de Brinks, dont les fonctions
comportent des dangers et consistent à assurer la protection de
la vie d'autrui et la sienne, a demandé un permis, valide dans
tout le Canada, pour porter une arme à autorisation restreinte.
La demande a été rejetée lorsque le registraire local d'armes à
feu a refusé de recommander la délivrance de ce permis en
raison de la politique provinciale qui n'autorise pas les agents
de sécurité à porter des armes à autorisation restreinte lors-
qu'ils sont habillés en civil. À la suite de ce rejet, le commis-
saire adjoint a recommandé à ses supérieurs de délivrer le
permis. Le commissaire a examiné la décision du commissaire
adjoint et a refusé de délivrer le permis.
Jugement: un bref de mandamus devrait être délivré. La
Cour avait déjà décidé dans l'affaire Martinoff et autre c.
Gossen, et autres, [1979] 1 C.F. 652 (1" inst.) que le pouvoir
discrétionnaire que le commissaire tient du paragraphe
106.2(2) du Code n'est ni absolu ni arbitraire: il est circonscrit
par les termes clairs de ce paragraphe. Le port d'un uniforme
n'est exigé ni dans le Code ni dans la politique de la GRC
concernant la délivrance des «permis valides dans tout le terri-
toire canadien».
Le commissaire adjoint (1) a omis d'examiner des éléments
pertinents; (2) a commis une erreur en omettant d'appliquer les
critères prévus par le Code; (3) s'est fondé sur une considéra-
tion entièrement étrangère, savoir si les fonctions du requérant
exigeaient le port d'un uniforme; (4) a omis de tenir compte de
la nature de l'occupation.
Finalement, le Code n'autorise aucunement le commissaire à
«examiner la décision» déjà prise par le commissaire adjoint.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martinoff et autre c. Gossen, et autres, [1979] 1 C.F.
652 (1t» inst.); Padfield and others v. Minister of Agri
culture et al., [1968] 1 All E.R. 694 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Maple Lodge Farms Limited c. Le gouvernement du
Canada, et autre, [1982] 21 R.C.S. 2; 441 N.R. 354,
confirmant [1981] 1 C.F. 500 (C.A.), confirmant [1980]
2 C.F. 458 (P» inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Walker c. Gagnon et autre., [1976] 2 C.F. 155; 30
C.C.C. (2d) 177 (1"e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Landreville c. La Reine, [1981] 1 C.F. 15 (1" inst.).
AVOCATS:
Mark G. Peacock pour le requérant.
Claude Joyal pour les intimés.
PROCUREURS:
Byers, Casgrain, Montréal, pour le requérant.
Ministère fédéral de la Justice, Montréal,
pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DusÉ: La présente requête tend à la
délivrance d'un bref de mandamus enjoignant aux
intimés d'exécuter leur obligation légale prévue
aux paragraphes 106.2(2) et (10) du Code crimi-
nel du Canada [S.R.C. 1970, chap. C-34 (abrogés
et remplacés par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3)],
et de délivrer un permis autorisant le requérant à
porter une arme à autorisation restreinte dans tout
le Canada, dans l'exercice de ses fonctions d'ins-
pecteur de sécurité pour Brinks Canada Limited.
Les paragraphes applicables du Code criminel
du Canada sont ainsi rédigés:
106.2 (1) Le commissaire, le procureur général d'une pro
vince, le chef provincial des préposés aux armes à feu ou les
personnes d'une catégorie désignée par écrit à cette fin par le
commissaire ou le procureur général d'une province peuvent
délivrer un permis autorisant une personne à avoir en sa
possession une arme à autorisation restreinte en un lieu autre
que celui où, en vertu du certificat délivré pour cette arme, elle
est en droit de la posséder; il demeure valide, sauf révocation,
jusqu'au terme de la période pour laquelle il est déclaré avoir
été délivré.
(2) Le permis visé au paragraphe (1) ne peut être délivré que
lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que celui
qui le sollicite requiert l'arme à autorisation restreinte visée par
la demande
a) pour protéger des vies;
b) pour son travail ou occupation légitime;
c) pour le tir à la cible sous les auspices d'un club de tir
approuvé aux fins du présent article par le procureur général
de la province où les locaux du club sont situés; ou
d) pour s'en servir dans le tir à la cible conformément aux
conditions annexées au permis.
(10) Aucun permis n'est valide hors de la province dans
laquelle il est délivré à moins, d'une part, qu'il ne le soit par le
commissaire ou par la personne qu'il a nommée et autorisée par
écrit à cet effet et, d'autre part, que la personne qui le délivre
appose, aux fins du présent paragraphe, un visa indiquant les
provinces où il est valide ou à moins enfin, qu'il ne s'agisse des
permis suivants:
a) le permis de possession d'une arme à autorisation res-
treinte, devant être utilisées comme l'indique l'alinéa (2)c);
b) le permis, mentionné au paragraphe (3), de transport
d'une arme à autorisation restreinte d'un endroit à un autre
endroit indiqués dans le permis; ou
c) le permis visé au paragraphe (4) autorisant la personne qui
demande un certificat d'enregistrement à apporter pour fins
d'examen l'arme visée par la demande à un registraire local
d'armes à feu.
Lorsqu'il était employé de Brinks à bord d'un
camion blindé, le requérant possédait un permis de
porter une arme à autorisation restreinte valide
dans la province de l'Ontario. Le 15 juin 1981, il a
été promu inspecteur de sécurité, poste qu'il
occupe actuellement et qui l'oblige à voyager dans
tout le Canada pour visiter les trente-sept succur-
sales de Brinks. Il a demandé (par l'entremise de
son surveillant, Fred Meitin, directeur de la sécu-
rité) et a obtenu un permis, valide pour tout le
Canada, l'autorisant à porter son arme à autorisa-
tion restreinte, un revolver Colt. Le permis d'un an
a expiré le 27 novembre 1982. Le 30 novembre
1982, Meitin a demandé le renouvellement du
permis du requérant pour l'année suivante afin que
ce dernier exécute les mêmes fonctions. Par lettre
en date du 18 février 1983 et portant la signature
du commissaire adjoint Headrick, la demande a
été rejetée dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Étant donné que la délivrance de ce permis n'a
pas été recommandée par le registraire local d'armes à feu de
M. TURENKO, le chef de police, corps de police de la Commu-
nauté urbaine de Toronto, je regrette de ne pouvoir lui délivrer
le permis demandé.
Le 2 mars 1983, Meitin a écrit au chef de police
de la Communauté urbaine de Toronto, deman-
dant à être informé des [TRADUCTION] «motifs» de
son refus de recommander la délivrance du permis
au requérant. Le 15 mars 1983, le sous-chef Noble
l'a avisé du «motif» suivant:
[TRADUCTION] La politique provinciale de l'Ontario n'autorise
pas les détectives privés ou les agents de sécurité à porter des
armes à autorisation restreinte lorsqu'ils sont habillés en civil.
Les fonctions actuelles de M. Turenko ne l'obligent pas à porter
un uniforme, et cela va à l'encontre de la politique provinciale.
Dans un affidavit en date du 5 juillet 1983, le
commissaire adjoint Headrick affirme que le refus
du registraire local d'armes à feu (le chef de police
de la communauté urbaine de Toronto) reposait
sur deux motifs distincts:
[TRADUCTION] a) M. Turenko devait exercer ses fonctions
habillé en civil, ce qui est contraire à la politique provinciale de
l'Ontario et b) les fonctions de M. Turenko sont celles d'un
enquêteur en civil contrôlant les voitures de Brinks Canada
Limited, ce qui ne justifie pas le port d'armes à autorisation
restreinte dissimulées.
Par suite d'autres lettres, des requêtes introdui-
tes devant cette Cour et du contre-interrogatoire
du commissaire adjoint sur son affidavit, plusieurs
documents ont été produits, notamment deux notes
de service internes. Dans une note datée du 25 mai
1983 et adressée à son supérieur immédiat, le
sous-commissaire, le commissaire adjoint recom-
mande la délivrance du permis au motif que [TRA-
DUCTION] «cette demande de permis de port d'ar-
mes valide pour tout le Canada est controversée»,
et que [TRADUCTION] «l'Ontario est la seule pro
vince qui a adopté cette politique exigeant le port
d'un uniforme». Une deuxième note, en date du 6
juin 1983 et adressée par le sous-commissaire au
commissaire recommande [TRADUCTION] «forte-
ment» que le permis soit délivré [TRADUCTION]
«puisque vous tenez de la loi le pouvoir de le faire
et que vous ne violez aucune loi provinciale». Cette
note ajoute que [TRADUCTION] «le préposé provin
cial aux armes à feu de l'Ontario a déjà délivré
quatre permis provinciaux à des particuliers qui ne
portent pas d'uniforme, ce qui contrevient à leur
propre politique».
Dans son affidavit du 15 septembre 1983, le
commissaire Simmonds expose qu'il [TRADUC-
TION] «a eu l'occasion d'examiner la décision
prise» par le commissaire adjoint Headrick le 18
février 1983, et que sa décision [TRADUCTION]
«est de ne pas délivrer le permis demandé». Une
copie de cette décision est jointe à l'affidavit et
porte la même date, soit le 15 septembre 1983.
Dans la lettre adressée au requérant lui-même,
le commissaire examine la situation et dit qu'à son
avis, [TRADUCTION] «il n'existe pas de motifs suf-
fisants pour justifier» le permis. Il ajoute que
[TRADUCTION] «les principales fonctions du requé-
rant consistent à faire de la surveillance et à
signaler les situations et les individus suspects à la
police locale». Il explique ensuite au requérant
qu'il ne s'expose pas personnellement à la violence
dans le cas d'un vol à main armée [TRADUCTION]
«à moins que vous ne choisissiez d'intervenir». Le
commissaire conclut que [TRADUCTION] «le seul
cas où, d'après moi, vous puissiez avoir besoin de
porter une arme à feu est lorsque vous transportez
des articles très précieux (on peut obtenir ces
permis des provinces)». On ne donne nullement la
raison pour laquelle, dans les mêmes circonstances,
le requérant a obtenu l'année précédente un permis
de port d'armes valide dans tout le Canada.
Les vraies fonctions du requérant sont décrites
en ces termes dans son propre affidavit: il est
constamment tenu d'être présent là où on trans-
porte de grosses sommes d'argent, ce qui comporte
un grand risque pour sa vie. Il accompagne le
personnel local pour l'ouverture des chambres
fortes de Brinks le matin et la fermeture de cel-
les-ci à la fin de la journée et doit effectuer des
fouilles afin de s'assurer que des voleurs armés ne
sont pas cachés dans les lieux. Il est en civil pour
rester incognito lorsqu'il observe les individus sus
pects qui se trouvent aux alentours au moment où
les camions blindés reçoivent et livrent des objets
précieux. Mesurant six pieds sept pouces et pesant
270 livres, il est reconnu à première vue par les
employés de Brinks travaillant à bord de camions
blindés, mais pas par d'éventuels voleurs de
banque. On lui demande de se trouver tout près du
lieu de chargement et de déchargement de camions
blindés pour intervenir le cas échéant afin de
protéger la vie des agents de Brinks qui portent
l'uniforme. Il s'est exercé à se servir de son arme à
autorisation restreinte, et a suivi des cours d'armes
à feu de poing. En fait, il est maintenant plus
compétent qu'au moment où il a obtenu son pre
mier permis valide dans tout le territoire canadien,
ayant suivi avec succès un cours d'armes de poing
et de combat, et il a obtenu un diplôme le 20 août
1982.
Le Code criminel du Canada ne prévoit pas
d'appel du rejet d'une demande de permis de port
d'une arme à autorisation restreinte valide dans
tout le territoire canadien. Par conséquent, le bref
de mandamus est le recours approprié si cette
Cour décide que le commissaire, ou une personne
désignée par lui à cette fin, est légalement tenu de
délivrer le permis, et qu'il ne l'a pas fait.
L'avocat des intimés m'a renvoyé à ma propre
décision rendue dans l'affaire Maple Lodge Farms
Limited c. Le gouvernement du Canada et autre',
où j'ai refusé de délivrer un bref de mandamus
enjoignant au Ministre d'accorder à la requérante
une licence supplémentaire en vue de lui permettre
d'importer une plus grande quantité de poulets que
la quantité autorisée par le quota d'importation
prévue par la liste de marchandises d'importation
contrôlée. J'ai conclu qu'en vertu de la Loi sur les
licences d'exportation et d'importation [S.R.C.
1970, chap. E-17], le Ministre avait le pouvoir
discrétionnaire de délivrer ou de ne pas délivrer le
permis, et que la Cour n'avait pas à intervenir pour
lui enjoindre d'agir autrement, à moins que sa
décision ne soit «déraisonnable ou qu'elle ait été
prise de mauvaise foi». Ma décision a été confir-
mée par la Cour d'appel 2 , qui a jugé que le mot
«peut» figurant à l'article 8 de la Loi devait s'inter-
préter comme exprimant une faculté, à moins que
le contexte n'indique une intention contraire. Cet
arrêt a été confirmé par la Cour suprême du
Canada 3 , qui a décidé que:
Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été
exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux princi-
pes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des
' [1980] 2 C.F. 458 [1" inst.].
2 [1981] 1 C.F. 500 [C.A.].
3 [[1982] 2 R.C.S. 2 aux pp. 7 et 8]; 44 N.R. 354, juge
McIntyre.
considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les
cours ne devraient pas modifier la décision.
Il n'a pas été établi dans l'affaire Maple Lodge
que le Ministre s'était fondé sur des considérations
étrangères ou avait, sous d'autre rapports, commis
une erreur quelconque. En l'espèce, il ne s'agit pas
d'une procédure administrative complexe comme
celle prévue par la Loi sur les licences d'exporta-
tion et d'importation, question qu'il vaut mieux
laisser à la discrétion du Ministre et à la gestion de
ses fonctionnaires, mais d'un paragraphe très
précis du Code criminel du Canada autorisant la
délivrance d'un permis selon des critères très précis
et très simples. D'ailleurs, cette Cour a déjà décidé
que le commissaire ne jouit pas, sous le régime du
paragraphe 106.2(2) du Code criminel du Canada,
d'un pouvoir absolu ou arbitraire. Dans l'affaire
Martinoff et autre c. Gossen, et autres", mon
collègue le juge Collier dit ceci au sujet de l'an-
cienne disposition [à la page 660]:
A mon avis, le commissaire n'a pas le pouvoir absolu ou
arbitraire de délivrer ou de refuser un permis. Si un requérant
satisfait aux conditions prévues au paragraphe 97(2), le com-
missaire est tenu à l'obligation, susceptible d'exécution forcée,
de lui délivrer le permis. Le traité de S. A. de Smith (op.cit.)
énonce, à la page 485, les principes généraux en la matière:
Voici la dernière phrase de l'extrait de l'ouvrage de
de Smith [à la page 661]:
[TRADUCTION] Ainsi, lorsqu'une autorité investie d'un pouvoir
discrétionnaire le conçoit ou l'applique mal en l'exerçant soit
dans un but illégitime, soit d'une manière capricieuse, soit en se
fondant sur des considérations n'ayant aucun rapport avec
l'affaire, soit en ignorant les considérations pertinentes, on peut
dire qu'elle a failli complètement à son devoir d'exercer son
pouvoir discrétionnaire ou sa compétence ou encore qu'elle n'a
pas entendu et jugé selon la loi et, de ce fait, un bref de
mandamus peut être décerné pour l'obliger à s'acquitter de ses
fonctions conformément à la loi.
Il me semble que le Parlement a conféré un
pouvoir discrétionnaire au commissaire et à d'au-
tres personnes désignées dans l'intention que ce
pouvoir discrétionnaire soit utilisé pour promou-
voir la politique des armes à autorisation restreinte
exposée à grands traits dans le Code criminel du
Canada. Ce pouvoir discrétionnaire est loin d'être
absolu. Il est circonscrit par les termes clairs du
paragraphe 106.2(2). Lorsqu'un requérant satisfait
aux exigences de ce paragraphe, on ne devrait pas
le priver de l'usage de l'arme à autorisation res-
treinte dont il a besoin pour protéger sa vie et la
4 [1979] 1 C.F. 652 [1" inst.].
vie des autres dans le cadre de son occupation
légitime. Le Code criminel du Canada ne prévoit
pas que la délivrance d'un tel permis est limitée
aux requérants portant un uniforme.
Dans l'affaire Walker c. Gagnon et autre. 5 , mon
collègue le juge Walsh a délivré un bref de man-
damus enjoignant au registraire d'armes à feu de
la province de Québec de viser la demande du
requérant et de prendre les mesures prévues aux
alinéas 98(2)b)(i),(ii) et (iii) du Code criminel du
Canada. Il a décidé que l'agent n'avait nullement
le pouvoir d'exiger du requérant qu'il se soumette
à la prise d'empreintes digitales et de photogra-
phies en l'absence de dispositions expresses à cet
effet dans le Code criminel du Canada.
Le ler décembre 1982, la Gendarmerie royale du
Canada a adopté une nouvelle politique concernant
la délivrance des permis valides dans tout le terri-
toire canadien. Il y est exposé que ces permis ne
seront délivrés qu'à quatre catégories de personnes.
Les deux premières catégories comprennent des
personnes susceptibles d'affronter des bêtes sauva-
ges ou qui vendent des armes à autorisation res-
treinte. Les deux paragraphes portant sur les deux
autres catégories de personnes et le reste de cette
politique sont reproduits ci-dessous:
[TRADUCTION] C) Les personnes qui sont responsables, dans
leur travail ou occupation légitime (c.-à-d. les agents de sécu-
rité), de la sécurité d'effets négociables de très grande valeur ou
d'articles attrayants et qui doivent voyager dans plusieurs
provinces, ou
D) Les personnes qui peuvent démontrer qu'elles ont dû faire
face à la violence, ou qu'elles peuvent raisonnablement s'atten-
dre à être exposées à la violence:
(i) dans leur travail, occupation ou affaires personnelles
légitimes, ou
(ii) dans la protection de la vie d'autrui.
Les personnes visées aux paragraphes A), C) ou D) qui deman-
dent des permis devront faire preuve d'aptitude dans l'utilisa-
tion, la manipulation et la conservation d'armes à autorisation
restreinte, et l'arme qui sera portée doit être enregistrée au nom
du requérant.
La délivrance doit être recommandée par une autorité provin-
ciale (c.-à-d. le registraire local d'armes à feu). De plus, les
demandes faites par des personnes relevant de la catégorie D)
doivent être accompagnées d'une recommandation écrite du
chef de police de la région où réside le requérant; il doit s'agir
d'un soutien ferme en faveur de la délivrance.
Ce qui précède doit être considéré uniquement comme des
directives de base pour la délivrance des permis de port d'ar-
mes, puisque le commissaire ou son délégué examinera séparé-
s [[1976] 2 C.F. 155]; 30 C.C.C. (2d) 177 [l'e inst.].
ment le bien-fondé de chaque demande, et que la délivrance
sera faite conformément au paragraphe 106.2(1) du Code
criminel.
Ainsi donc, même la nouvelle politique ne men-
tionne pas le port d'un uniforme comme critère
d'admissibilité. Elle extrapole à partir des disposi
tions du Code criminel du Canada et prévoit que
les personnes dont les occupations légitimes com-
portent la responsabilité du transport d'articles
très précieux et qui sont tenues de voyager entre
les provinces sont admissibles. Les personnes qui
peuvent raisonnablement s'attendre à devoir faire
face à la violence dans l'exercice de leurs fonctions
ou pour protéger la vie d'autrui sont également
admissibles en vertu de la politique. Si le requérant
n'appartient pas aux catégories C) et D), qui donc
y appartiendrait?
D'après la décision rendue dans l'affaire Pad-
field and others v. Minister of Agriculture et a1. 6
(appliquée dans l'affaire Landreville c. La Reine'),
la Cour doit protéger les personnes qui sont lésées
lorsque ceux qui détiennent le pouvoir n'ont pas
fait usage de leur pouvoir discrétionnaire confor-
mément à la politique de la loi conférant ce der-
nier. Lord Upjohn (à la page 717) a adopté la
classification commode faite par le lord juge en
chef Parker. J'en ferai autant.
[TRADUCTION] L'ordonnance de prérogative est le seul moyen
de soumettre le Ministre, dans l'exercice des pouvoirs et fonc-
tions qu'il tient de la loi, à un contrôle judiciaire, ordonnance
qui ne sera délivrée que s'il agit illégalement. Aux fins du
présent appel, on peut dire avec assez de précision qu'une
conduite illégale du Ministre (et j'adopte ici la classification
adoptée par le LORD PARKER, juge en chef, de la cour division-
naire) consiste: a) à refuser catégoriquement d'examiner la
question pertinente; b) à commettre une erreur sur un point de
droit; c) à tenir compte d'un facteur complètement inapproprié
ou étranger; ou d) à omettre entièrement de tenir compte d'une
considération appropriée. Un abondante jurisprudence étaie ces
propositions qui n'ont pas été contestées au cours du débat.
À mon avis, le commissaire adjoint a, première-
ment, omis d'examiner des éléments pertinents,
savoir que la fonction du requérant consiste à
protéger des vies et des objets précieux dans le
cadre de son occupation légitime. Deuxièmement,
il a commis une erreur en omettant d'appliquer les
critères prévus par le Code criminel du Canada et
les directives sur la politique adoptée. Troisième-
ment, il s'est fondé sur une considération entière-
6 [1968] 1 All E.R. 694 [H.L.].
7 [1981] 1 C.F. 15 [l'e inst.].
ment étrangère, savoir l'obligation de porter un
uniforme. En dernier lieu, il a omis de tenir
compte de la nature de l'occupation du requérant
et de la nécessité, pour sa propre protection et la
protection d'autres personnes, de porter, dans tout
le Canada, l'arme à autorisation restreinte.
Lorsque le commissaire adjoint a recommandé,
dans sa note du 25 mai 1983, la délivrance du
permis, il avait encore le plein pouvoir d'accorder
un tel permis, ayant été désigné par le commissaire
en sa qualité de directeur des Services de l'identité
et des laboratoires judiciaires comme membre
d'une catégorie de personnes habilitées à délivrer
des permis sous le régime du paragraphe 106.2(1)
du Code criminel du Canada. (Le ler juin 1983, il
a quitté ce poste.) Une semaine avant son départ,
il a recommandé la délivrance d'un tel permis,
mais a omis de le faire. Quand un tel pouvoir est
conféré ou un devoir imposé, le pouvoir peut être
exercé et le devoir doit être accompli selon les
circonstances 8 . Ayant exprimé le désir de faire ce
qu'il était expressément autorisé à faire, il aurait
dû accomplir cet acte. Bien entendu, il n'est plus
possible de le forcer à exercer une fonction prévue
par la loi qui lui était autrefois attribuée.
À mon avis, il est évident que le commissaire
adjoint, en refusant le permis le 18 février 1983, se
fondait sur l'exigence du port d'un uniforme impo
sée par l'Ontario, condition étrangère au Code
criminel du Canada. Cette décision ne saurait être
confirmée. Sa recommandation, en date du 25 mai
1983, de délivrer le permis n'a pas été suivie. Le
Code criminel du Canada n'autorise aucunement
le commissaire à [TRADUCTION] «examiner la
décision» déjà prise par le commissaire adjoint—
personne nommée pour délivrer un tel permis—et
à donner d'autres motifs pour justifier la décision.
Il sera donc décerné un bref de mandamus
ordonnant au commissaire de délivrer au requé-
rant, sous le régime du paragraphe 106.2(2) du
Code criminel du Canada, un permis l'autorisant à
porter dans tout le territoire canadien une arme à
autorisation restreinte dans l'exercice de ses fonc-
tions d'inspecteur de sécurité de Brinks Canada
Limited.
8 Voir la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23,
art. 26.
ORDONNANCE
La Cour ordonne la délivrance d'un bref de
mandamus enjoignant au commissaire intimé de
s'acquitter de son obligation légale prévue au para-
graphe 106.2(2) du Code criminel du Canada, et
de délivrer au requérant un permis l'autorisant à
porter dans tout le Canada une arme à autorisa-
tion restreinte dans l'exercice de ses fonctions
d'inspecteur de sécurité de Brinks Canada Limi
ted. Les dépens sont adjugés au requérant.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.