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T-1434-83
Roman M. Turenko (requérant) c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, R. H. Simmonds et commissaire adjoint de la Gendarmerie royale du Canada, A. M. Hea- drick (intimés)
Division de première instance, juge Dubé Ottawa, 12, 13 et 27 octobre 1983.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus Permis de porter une arme à autorisation restreinte Le requérant, un inspecteur de sécurité de Brinks, assume des fonctions qui comportent des dangers et consistent à protéger la vie d'autrui et la sienne La demande d'un permis de porter une arme valide dans tout le Canada a été rejetée par le commissaire de la GRC, parce que la délivrance n'avait pas été recommandée par le registraire local d'armes à feu en vertu de la politique provinciale qui n'autorise pas les agents de sécu- rité à porter des armes à autorisation restreinte lorsqu'ils ne sont pas en uniforme Le commissaire est-il légalement tenu de délivrer le permis? Le pouvoir discrétionnaire du com- missaire est circonscrit par l'art. 106.2(2) du Code La politique provinciale concernant les uniformes ne constitue pas un critère valable pour refuser un permis Le commissaire n'est pas autorisé à examiner la décision du commissaire adjoint Délivrance d'un bref de mandamus Code crimi- nel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 98(2)b)(i),(ii),(iii), 106.2(1), (2),(10) (abrogés et remplacés par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3) Loi sur les licences d'exportation et d'importation, S.R.C. 1970, chap. E-17, art. 8 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 26.
Un inspecteur de sécurité de Brinks, dont les fonctions comportent des dangers et consistent à assurer la protection de la vie d'autrui et la sienne, a demandé un permis, valide dans tout le Canada, pour porter une arme à autorisation restreinte. La demande a été rejetée lorsque le registraire local d'armes à feu a refusé de recommander la délivrance de ce permis en raison de la politique provinciale qui n'autorise pas les agents de sécurité à porter des armes à autorisation restreinte lors- qu'ils sont habillés en civil. À la suite de ce rejet, le commis- saire adjoint a recommandé à ses supérieurs de délivrer le permis. Le commissaire a examiné la décision du commissaire adjoint et a refusé de délivrer le permis.
Jugement: un bref de mandamus devrait être délivré. La Cour avait déjà décidé dans l'affaire Martinoff et autre c. Gossen, et autres, [1979] 1 C.F. 652 (1" inst.) que le pouvoir discrétionnaire que le commissaire tient du paragraphe 106.2(2) du Code n'est ni absolu ni arbitraire: il est circonscrit par les termes clairs de ce paragraphe. Le port d'un uniforme n'est exigé ni dans le Code ni dans la politique de la GRC concernant la délivrance des «permis valides dans tout le terri- toire canadien».
Le commissaire adjoint (1) a omis d'examiner des éléments pertinents; (2) a commis une erreur en omettant d'appliquer les critères prévus par le Code; (3) s'est fondé sur une considéra- tion entièrement étrangère, savoir si les fonctions du requérant
exigeaient le port d'un uniforme; (4) a omis de tenir compte de la nature de l'occupation.
Finalement, le Code n'autorise aucunement le commissaire à «examiner la décision» déjà prise par le commissaire adjoint.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martinoff et autre c. Gossen, et autres, [1979] 1 C.F. 652 (1t» inst.); Padfield and others v. Minister of Agri culture et al., [1968] 1 All E.R. 694 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Maple Lodge Farms Limited c. Le gouvernement du Canada, et autre, [1982] 21 R.C.S. 2; 441 N.R. 354, confirmant [1981] 1 C.F. 500 (C.A.), confirmant [1980] 2 C.F. 458 (P» inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Walker c. Gagnon et autre., [1976] 2 C.F. 155; 30 C.C.C. (2d) 177 (1"e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Landreville c. La Reine, [1981] 1 C.F. 15 (1" inst.). AVOCATS:
Mark G. Peacock pour le requérant. Claude Joyal pour les intimés.
PROCUREURS:
Byers, Casgrain, Montréal, pour le requérant. Ministère fédéral de la Justice, Montréal, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DusÉ: La présente requête tend à la délivrance d'un bref de mandamus enjoignant aux intimés d'exécuter leur obligation légale prévue aux paragraphes 106.2(2) et (10) du Code crimi- nel du Canada [S.R.C. 1970, chap. C-34 (abrogés et remplacés par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3)], et de délivrer un permis autorisant le requérant à porter une arme à autorisation restreinte dans tout le Canada, dans l'exercice de ses fonctions d'ins- pecteur de sécurité pour Brinks Canada Limited.
Les paragraphes applicables du Code criminel du Canada sont ainsi rédigés:
106.2 (1) Le commissaire, le procureur général d'une pro vince, le chef provincial des préposés aux armes à feu ou les personnes d'une catégorie désignée par écrit à cette fin par le commissaire ou le procureur général d'une province peuvent délivrer un permis autorisant une personne à avoir en sa possession une arme à autorisation restreinte en un lieu autre que celui où, en vertu du certificat délivré pour cette arme, elle
est en droit de la posséder; il demeure valide, sauf révocation, jusqu'au terme de la période pour laquelle il est déclaré avoir été délivré.
(2) Le permis visé au paragraphe (1) ne peut être délivré que lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que celui qui le sollicite requiert l'arme à autorisation restreinte visée par la demande
a) pour protéger des vies;
b) pour son travail ou occupation légitime;
c) pour le tir à la cible sous les auspices d'un club de tir approuvé aux fins du présent article par le procureur général de la province les locaux du club sont situés; ou
d) pour s'en servir dans le tir à la cible conformément aux conditions annexées au permis.
(10) Aucun permis n'est valide hors de la province dans laquelle il est délivré à moins, d'une part, qu'il ne le soit par le commissaire ou par la personne qu'il a nommée et autorisée par écrit à cet effet et, d'autre part, que la personne qui le délivre appose, aux fins du présent paragraphe, un visa indiquant les provinces il est valide ou à moins enfin, qu'il ne s'agisse des permis suivants:
a) le permis de possession d'une arme à autorisation res- treinte, devant être utilisées comme l'indique l'alinéa (2)c);
b) le permis, mentionné au paragraphe (3), de transport d'une arme à autorisation restreinte d'un endroit à un autre endroit indiqués dans le permis; ou
c) le permis visé au paragraphe (4) autorisant la personne qui demande un certificat d'enregistrement à apporter pour fins d'examen l'arme visée par la demande à un registraire local d'armes à feu.
Lorsqu'il était employé de Brinks à bord d'un camion blindé, le requérant possédait un permis de porter une arme à autorisation restreinte valide dans la province de l'Ontario. Le 15 juin 1981, il a été promu inspecteur de sécurité, poste qu'il occupe actuellement et qui l'oblige à voyager dans tout le Canada pour visiter les trente-sept succur- sales de Brinks. Il a demandé (par l'entremise de son surveillant, Fred Meitin, directeur de la sécu- rité) et a obtenu un permis, valide pour tout le Canada, l'autorisant à porter son arme à autorisa- tion restreinte, un revolver Colt. Le permis d'un an a expiré le 27 novembre 1982. Le 30 novembre 1982, Meitin a demandé le renouvellement du permis du requérant pour l'année suivante afin que
ce dernier exécute les mêmes fonctions. Par lettre en date du 18 février 1983 et portant la signature du commissaire adjoint Headrick, la demande a été rejetée dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Étant donné que la délivrance de ce permis n'a pas été recommandée par le registraire local d'armes à feu de M. TURENKO, le chef de police, corps de police de la Commu- nauté urbaine de Toronto, je regrette de ne pouvoir lui délivrer le permis demandé.
Le 2 mars 1983, Meitin a écrit au chef de police de la Communauté urbaine de Toronto, deman- dant à être informé des [TRADUCTION] «motifs» de son refus de recommander la délivrance du permis au requérant. Le 15 mars 1983, le sous-chef Noble l'a avisé du «motif» suivant:
[TRADUCTION] La politique provinciale de l'Ontario n'autorise pas les détectives privés ou les agents de sécurité à porter des armes à autorisation restreinte lorsqu'ils sont habillés en civil.
Les fonctions actuelles de M. Turenko ne l'obligent pas à porter un uniforme, et cela va à l'encontre de la politique provinciale.
Dans un affidavit en date du 5 juillet 1983, le commissaire adjoint Headrick affirme que le refus du registraire local d'armes à feu (le chef de police de la communauté urbaine de Toronto) reposait sur deux motifs distincts:
[TRADUCTION] a) M. Turenko devait exercer ses fonctions habillé en civil, ce qui est contraire à la politique provinciale de l'Ontario et b) les fonctions de M. Turenko sont celles d'un enquêteur en civil contrôlant les voitures de Brinks Canada Limited, ce qui ne justifie pas le port d'armes à autorisation restreinte dissimulées.
Par suite d'autres lettres, des requêtes introdui- tes devant cette Cour et du contre-interrogatoire du commissaire adjoint sur son affidavit, plusieurs documents ont été produits, notamment deux notes de service internes. Dans une note datée du 25 mai 1983 et adressée à son supérieur immédiat, le sous-commissaire, le commissaire adjoint recom- mande la délivrance du permis au motif que [TRA- DUCTION] «cette demande de permis de port d'ar- mes valide pour tout le Canada est controversée», et que [TRADUCTION] «l'Ontario est la seule pro vince qui a adopté cette politique exigeant le port d'un uniforme». Une deuxième note, en date du 6 juin 1983 et adressée par le sous-commissaire au commissaire recommande [TRADUCTION] «forte- ment» que le permis soit délivré [TRADUCTION] «puisque vous tenez de la loi le pouvoir de le faire et que vous ne violez aucune loi provinciale». Cette
note ajoute que [TRADUCTION] «le préposé provin cial aux armes à feu de l'Ontario a déjà délivré quatre permis provinciaux à des particuliers qui ne portent pas d'uniforme, ce qui contrevient à leur propre politique».
Dans son affidavit du 15 septembre 1983, le commissaire Simmonds expose qu'il [TRADUC- TION] «a eu l'occasion d'examiner la décision prise» par le commissaire adjoint Headrick le 18 février 1983, et que sa décision [TRADUCTION] «est de ne pas délivrer le permis demandé». Une copie de cette décision est jointe à l'affidavit et porte la même date, soit le 15 septembre 1983.
Dans la lettre adressée au requérant lui-même, le commissaire examine la situation et dit qu'à son avis, [TRADUCTION] «il n'existe pas de motifs suf- fisants pour justifier» le permis. Il ajoute que [TRADUCTION] «les principales fonctions du requé- rant consistent à faire de la surveillance et à signaler les situations et les individus suspects à la police locale». Il explique ensuite au requérant qu'il ne s'expose pas personnellement à la violence dans le cas d'un vol à main armée [TRADUCTION] «à moins que vous ne choisissiez d'intervenir». Le commissaire conclut que [TRADUCTION] «le seul cas où, d'après moi, vous puissiez avoir besoin de porter une arme à feu est lorsque vous transportez des articles très précieux (on peut obtenir ces permis des provinces)». On ne donne nullement la raison pour laquelle, dans les mêmes circonstances, le requérant a obtenu l'année précédente un permis de port d'armes valide dans tout le Canada.
Les vraies fonctions du requérant sont décrites en ces termes dans son propre affidavit: il est constamment tenu d'être présent on trans- porte de grosses sommes d'argent, ce qui comporte un grand risque pour sa vie. Il accompagne le personnel local pour l'ouverture des chambres fortes de Brinks le matin et la fermeture de cel- les-ci à la fin de la journée et doit effectuer des fouilles afin de s'assurer que des voleurs armés ne sont pas cachés dans les lieux. Il est en civil pour rester incognito lorsqu'il observe les individus sus pects qui se trouvent aux alentours au moment les camions blindés reçoivent et livrent des objets précieux. Mesurant six pieds sept pouces et pesant 270 livres, il est reconnu à première vue par les employés de Brinks travaillant à bord de camions blindés, mais pas par d'éventuels voleurs de
banque. On lui demande de se trouver tout près du lieu de chargement et de déchargement de camions blindés pour intervenir le cas échéant afin de protéger la vie des agents de Brinks qui portent l'uniforme. Il s'est exercé à se servir de son arme à autorisation restreinte, et a suivi des cours d'armes à feu de poing. En fait, il est maintenant plus compétent qu'au moment il a obtenu son pre mier permis valide dans tout le territoire canadien, ayant suivi avec succès un cours d'armes de poing et de combat, et il a obtenu un diplôme le 20 août 1982.
Le Code criminel du Canada ne prévoit pas d'appel du rejet d'une demande de permis de port d'une arme à autorisation restreinte valide dans tout le territoire canadien. Par conséquent, le bref de mandamus est le recours approprié si cette Cour décide que le commissaire, ou une personne désignée par lui à cette fin, est légalement tenu de délivrer le permis, et qu'il ne l'a pas fait.
L'avocat des intimés m'a renvoyé à ma propre décision rendue dans l'affaire Maple Lodge Farms Limited c. Le gouvernement du Canada et autre', j'ai refusé de délivrer un bref de mandamus enjoignant au Ministre d'accorder à la requérante une licence supplémentaire en vue de lui permettre d'importer une plus grande quantité de poulets que la quantité autorisée par le quota d'importation prévue par la liste de marchandises d'importation contrôlée. J'ai conclu qu'en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation [S.R.C. 1970, chap. E-17], le Ministre avait le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou de ne pas délivrer le permis, et que la Cour n'avait pas à intervenir pour lui enjoindre d'agir autrement, à moins que sa décision ne soit «déraisonnable ou qu'elle ait été prise de mauvaise foi». Ma décision a été confir- mée par la Cour d'appel 2 , qui a jugé que le mot «peut» figurant à l'article 8 de la Loi devait s'inter- préter comme exprimant une faculté, à moins que le contexte n'indique une intention contraire. Cet arrêt a été confirmé par la Cour suprême du Canada 3 , qui a décidé que:
Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux princi- pes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des
' [1980] 2 C.F. 458 [1" inst.].
2 [1981] 1 C.F. 500 [C.A.].
3 [[1982] 2 R.C.S. 2 aux pp. 7 et 8]; 44 N.R. 354, juge McIntyre.
considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
Il n'a pas été établi dans l'affaire Maple Lodge que le Ministre s'était fondé sur des considérations étrangères ou avait, sous d'autre rapports, commis une erreur quelconque. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une procédure administrative complexe comme celle prévue par la Loi sur les licences d'exporta- tion et d'importation, question qu'il vaut mieux laisser à la discrétion du Ministre et à la gestion de ses fonctionnaires, mais d'un paragraphe très précis du Code criminel du Canada autorisant la délivrance d'un permis selon des critères très précis et très simples. D'ailleurs, cette Cour a déjà décidé que le commissaire ne jouit pas, sous le régime du paragraphe 106.2(2) du Code criminel du Canada, d'un pouvoir absolu ou arbitraire. Dans l'affaire Martinoff et autre c. Gossen, et autres", mon collègue le juge Collier dit ceci au sujet de l'an- cienne disposition la page 660]:
A mon avis, le commissaire n'a pas le pouvoir absolu ou arbitraire de délivrer ou de refuser un permis. Si un requérant satisfait aux conditions prévues au paragraphe 97(2), le com- missaire est tenu à l'obligation, susceptible d'exécution forcée, de lui délivrer le permis. Le traité de S. A. de Smith (op.cit.) énonce, à la page 485, les principes généraux en la matière:
Voici la dernière phrase de l'extrait de l'ouvrage de de Smith la page 661]:
[TRADUCTION] Ainsi, lorsqu'une autorité investie d'un pouvoir discrétionnaire le conçoit ou l'applique mal en l'exerçant soit dans un but illégitime, soit d'une manière capricieuse, soit en se fondant sur des considérations n'ayant aucun rapport avec l'affaire, soit en ignorant les considérations pertinentes, on peut dire qu'elle a failli complètement à son devoir d'exercer son pouvoir discrétionnaire ou sa compétence ou encore qu'elle n'a pas entendu et jugé selon la loi et, de ce fait, un bref de mandamus peut être décerné pour l'obliger à s'acquitter de ses fonctions conformément à la loi.
Il me semble que le Parlement a conféré un pouvoir discrétionnaire au commissaire et à d'au- tres personnes désignées dans l'intention que ce pouvoir discrétionnaire soit utilisé pour promou- voir la politique des armes à autorisation restreinte exposée à grands traits dans le Code criminel du Canada. Ce pouvoir discrétionnaire est loin d'être absolu. Il est circonscrit par les termes clairs du paragraphe 106.2(2). Lorsqu'un requérant satisfait aux exigences de ce paragraphe, on ne devrait pas le priver de l'usage de l'arme à autorisation res- treinte dont il a besoin pour protéger sa vie et la
4 [1979] 1 C.F. 652 [1" inst.].
vie des autres dans le cadre de son occupation légitime. Le Code criminel du Canada ne prévoit pas que la délivrance d'un tel permis est limitée aux requérants portant un uniforme.
Dans l'affaire Walker c. Gagnon et autre. 5 , mon collègue le juge Walsh a délivré un bref de man- damus enjoignant au registraire d'armes à feu de la province de Québec de viser la demande du requérant et de prendre les mesures prévues aux alinéas 98(2)b)(i),(ii) et (iii) du Code criminel du Canada. Il a décidé que l'agent n'avait nullement le pouvoir d'exiger du requérant qu'il se soumette à la prise d'empreintes digitales et de photogra- phies en l'absence de dispositions expresses à cet effet dans le Code criminel du Canada.
Le ler décembre 1982, la Gendarmerie royale du Canada a adopté une nouvelle politique concernant la délivrance des permis valides dans tout le terri- toire canadien. Il y est exposé que ces permis ne seront délivrés qu'à quatre catégories de personnes. Les deux premières catégories comprennent des personnes susceptibles d'affronter des bêtes sauva- ges ou qui vendent des armes à autorisation res- treinte. Les deux paragraphes portant sur les deux autres catégories de personnes et le reste de cette politique sont reproduits ci-dessous:
[TRADUCTION] C) Les personnes qui sont responsables, dans leur travail ou occupation légitime (c.-à-d. les agents de sécu- rité), de la sécurité d'effets négociables de très grande valeur ou d'articles attrayants et qui doivent voyager dans plusieurs provinces, ou
D) Les personnes qui peuvent démontrer qu'elles ont faire face à la violence, ou qu'elles peuvent raisonnablement s'atten- dre à être exposées à la violence:
(i) dans leur travail, occupation ou affaires personnelles légitimes, ou
(ii) dans la protection de la vie d'autrui.
Les personnes visées aux paragraphes A), C) ou D) qui deman- dent des permis devront faire preuve d'aptitude dans l'utilisa- tion, la manipulation et la conservation d'armes à autorisation restreinte, et l'arme qui sera portée doit être enregistrée au nom du requérant.
La délivrance doit être recommandée par une autorité provin- ciale (c.-à-d. le registraire local d'armes à feu). De plus, les demandes faites par des personnes relevant de la catégorie D) doivent être accompagnées d'une recommandation écrite du chef de police de la région réside le requérant; il doit s'agir d'un soutien ferme en faveur de la délivrance.
Ce qui précède doit être considéré uniquement comme des directives de base pour la délivrance des permis de port d'ar- mes, puisque le commissaire ou son délégué examinera séparé-
s [[1976] 2 C.F. 155]; 30 C.C.C. (2d) 177 [l'e inst.].
ment le bien-fondé de chaque demande, et que la délivrance sera faite conformément au paragraphe 106.2(1) du Code criminel.
Ainsi donc, même la nouvelle politique ne men- tionne pas le port d'un uniforme comme critère d'admissibilité. Elle extrapole à partir des disposi tions du Code criminel du Canada et prévoit que les personnes dont les occupations légitimes com- portent la responsabilité du transport d'articles très précieux et qui sont tenues de voyager entre les provinces sont admissibles. Les personnes qui peuvent raisonnablement s'attendre à devoir faire face à la violence dans l'exercice de leurs fonctions ou pour protéger la vie d'autrui sont également admissibles en vertu de la politique. Si le requérant n'appartient pas aux catégories C) et D), qui donc y appartiendrait?
D'après la décision rendue dans l'affaire Pad- field and others v. Minister of Agriculture et a1. 6 (appliquée dans l'affaire Landreville c. La Reine'), la Cour doit protéger les personnes qui sont lésées lorsque ceux qui détiennent le pouvoir n'ont pas fait usage de leur pouvoir discrétionnaire confor- mément à la politique de la loi conférant ce der- nier. Lord Upjohn la page 717) a adopté la classification commode faite par le lord juge en chef Parker. J'en ferai autant.
[TRADUCTION] L'ordonnance de prérogative est le seul moyen de soumettre le Ministre, dans l'exercice des pouvoirs et fonc- tions qu'il tient de la loi, à un contrôle judiciaire, ordonnance qui ne sera délivrée que s'il agit illégalement. Aux fins du présent appel, on peut dire avec assez de précision qu'une conduite illégale du Ministre (et j'adopte ici la classification adoptée par le LORD PARKER, juge en chef, de la cour division- naire) consiste: a) à refuser catégoriquement d'examiner la question pertinente; b) à commettre une erreur sur un point de droit; c) à tenir compte d'un facteur complètement inapproprié ou étranger; ou d) à omettre entièrement de tenir compte d'une considération appropriée. Un abondante jurisprudence étaie ces propositions qui n'ont pas été contestées au cours du débat.
À mon avis, le commissaire adjoint a, première- ment, omis d'examiner des éléments pertinents, savoir que la fonction du requérant consiste à protéger des vies et des objets précieux dans le cadre de son occupation légitime. Deuxièmement, il a commis une erreur en omettant d'appliquer les critères prévus par le Code criminel du Canada et les directives sur la politique adoptée. Troisième- ment, il s'est fondé sur une considération entière-
6 [1968] 1 All E.R. 694 [H.L.].
7 [1981] 1 C.F. 15 [l'e inst.].
ment étrangère, savoir l'obligation de porter un uniforme. En dernier lieu, il a omis de tenir compte de la nature de l'occupation du requérant et de la nécessité, pour sa propre protection et la protection d'autres personnes, de porter, dans tout le Canada, l'arme à autorisation restreinte.
Lorsque le commissaire adjoint a recommandé, dans sa note du 25 mai 1983, la délivrance du permis, il avait encore le plein pouvoir d'accorder un tel permis, ayant été désigné par le commissaire en sa qualité de directeur des Services de l'identité et des laboratoires judiciaires comme membre d'une catégorie de personnes habilitées à délivrer des permis sous le régime du paragraphe 106.2(1) du Code criminel du Canada. (Le ler juin 1983, il a quitté ce poste.) Une semaine avant son départ, il a recommandé la délivrance d'un tel permis, mais a omis de le faire. Quand un tel pouvoir est conféré ou un devoir imposé, le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli selon les circonstances 8 . Ayant exprimé le désir de faire ce qu'il était expressément autorisé à faire, il aurait accomplir cet acte. Bien entendu, il n'est plus possible de le forcer à exercer une fonction prévue par la loi qui lui était autrefois attribuée.
À mon avis, il est évident que le commissaire adjoint, en refusant le permis le 18 février 1983, se fondait sur l'exigence du port d'un uniforme impo sée par l'Ontario, condition étrangère au Code criminel du Canada. Cette décision ne saurait être confirmée. Sa recommandation, en date du 25 mai 1983, de délivrer le permis n'a pas été suivie. Le Code criminel du Canada n'autorise aucunement le commissaire à [TRADUCTION] «examiner la décision» déjà prise par le commissaire adjoint— personne nommée pour délivrer un tel permis—et à donner d'autres motifs pour justifier la décision.
Il sera donc décerné un bref de mandamus ordonnant au commissaire de délivrer au requé- rant, sous le régime du paragraphe 106.2(2) du Code criminel du Canada, un permis l'autorisant à porter dans tout le territoire canadien une arme à autorisation restreinte dans l'exercice de ses fonc- tions d'inspecteur de sécurité de Brinks Canada Limited.
8 Voir la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 26.
ORDONNANCE
La Cour ordonne la délivrance d'un bref de mandamus enjoignant au commissaire intimé de s'acquitter de son obligation légale prévue au para- graphe 106.2(2) du Code criminel du Canada, et de délivrer au requérant un permis l'autorisant à porter dans tout le Canada une arme à autorisa- tion restreinte dans l'exercice de ses fonctions d'inspecteur de sécurité de Brinks Canada Limi ted. Les dépens sont adjugés au requérant.
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