T-5247-82
Fred Ager (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
T-5248-82
Bernard Levesque (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Addy—
Ottawa, 11 octobre et ler décembre 1983.
Fonction publique — Contrôle judiciaire — Décision préli-
minaire sur des points de droit dans une action visant à obtenir
un jugement donnant droit aux prestations prévues à l'art.
12.13 de la Loi sur la pension de la Fonction publique —
Ayant participé à un conflit de travail, des contrôleurs de la
circulation aérienne en service opérationnel ont été mutés à des
postes non opérationnels — Les actes des demandeurs anté-
rieurs à leur mutation sont pertinents relativement à la ques
tion de savoir s'ils ont cessé «involontairement d'être
employés., dans le service opérationnel au sens de l'art. 12.13
de la Loi — L'issue estoppel ne peut être invoqué devant la
Cour fédérale à l'endroit des conclusions de la Commission
des relations de travail dans la Fonction publique — Loi sur la
pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-36, art.
12.11, 12.13 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 64, art. 3),
32 (mod. par S.R.C. 1970 (1e' Supp.), chap. 32, art. 2; S.C.
1974-75-76, chap. 81, art. 21; S.C. 1976-77, chap. 28, art. 35;
S.C. 1980-81-82-83, chap. 64, art. 5), (1)v.1) (ajouté par idem,
chap. 64, art. 5(4)) — Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 25 — Règle-
ment sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., chap.
1358, art. 52 (ajouté par DORS/81-866, art. 2) — Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474.
Fin de non-recevoir — Issue estoppel — Cette doctrine
peut-elle s'appliquer, devant une cour de justice, aux conclu
sions antérieures d'un tribunal administratif ou d'un orga-
nisme quasi judiciaire? — Questions de fait et questions
mixtes de droit et de fait tranchées par la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique — Ces décisions
lient-elles la Cour fédérale? — Distinction entre l'issue estop-
pel et le cause of action estoppel (chose jugée) — Les affaires
publiées citées par l'avocat ne portent pas sur des décisions de
tribunaux administratifs — Examen des différences fonda-
mentales entre une audience devant un tribunal administratif
et un procès devant une cour de justice — Les décisions de la
Commission ne sont pas définitives — Une décision qui ne lie
pas le tribunal lui-même ne lie pas une cour de justice —
Dans un procès devant la Cour fédérale, l'issue estoppel ne
peut être invoqué à l'égard d'une conclusion de la Commission.
Ayant participé à un conflit de travail, les demandeurs,
travaillant alors à titre de contrôleurs de la circulation aérienne
en service opérationnel, ont été affectés, sous protêt, à des
postes non opérationnels. Ils ont d'abord déposé un grief pour
attaquer cette décision; ils sollicitent maintenant un jugement
leur donnant droit aux prestations prévues à l'article 12.13 de la
Loi sur la pension de la Fonction publique. Il s'agit de requêtes
visant à obtenir une décision préliminaire sur des points de
droit. La première question est de savoir si les actes des
demandeurs antérieurs à leur mutation—aucune inconduite ne
leur étant reprochée—sont pertinents relativement à la question
de savoir s'ils ont cessé «involontairement d'être employés» dans
le service opérationnel au sens de l'article 12.13. Dans l'affir-
mative, les demandeurs sont-ils irrecevables à nier les conclu
sions de fait tirées par la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique en statuant sur leur grief.
Jugement: la réponse à la première question devrait être
affirmative et la réponse à la seconde question négative. Il
convient de se demander si les demandeurs ont agi sciemment
et librement de façon à provoquer leur mutation, ce qui pour-
rait constituer un acte volontaire leur enlevant le droit aux
prestations. L'avocat a omis un aspect important de la question
de l'issue estoppel: l'issue estoppel peut-il s'appliquer devant
une cour de justice aux conclusions antérieures d'un tribunal
administratif ou d'un organisme quasi judiciaire? Il faut établir
une distinction entre l'issue estoppel et l'estoppel per rem
judicatam. Dans ce dernier cas, il est évident que lorsqu'un
tribunal a compétence pour trancher une question de façon
définitive, cette décision finale ne peut pas être portée en appel
devant un autre tribunal. Il s'agit de savoir si le même empê-
chement absolu s'applique aux autres questions.
Les affaires relatives à l'issue estoppel citées par l'avocat
sont des décisions judiciaires antérieures plutôt que des déci-
sions de tribunaux administratifs. Il y a un bon nombre de
différences fondamentales entre les règles régissant les audien
ces devant une commission et les procès devant un tribunal.
Parmi ces différences, mentionnons: la nécessité de l'échange de
conclusions écrites; l'interrogatoire préalable; la possibilité
d'accepter des témoignages non rendus sous serment; le droit
des personnes qui ont un intérêt d'assister au procès; la possibi-
lité de présenter une preuve par ouï-dire et la possibilité que le
tribunal soit dessaisi lorsqu'il a rendu son jugement. Puisque la
Commission n'est pas liée par ses décisions, celles-ci ne peuvent
pas lier une cour de justice qui examine subséquemment la
même question.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Angle c. Le Ministre du Revenu National, [1975] 2
R.C.S. 248; Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd.
and others (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.); Hoystead
and Others v. Commissioner of Taxation, [1926] A.C.
155 (P.C.); Humphries v. Humphries, [1910] 2 K.B. 531
(C.A.); Thoday v. Thoday, [1964] 1 All E.R. 341 (C.A.).
AVOCATS:
J. A. McDougall, c.r. et J. Hendry pour les
demandeurs.
J. Sims pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Perley-Robertson, Panet, Hill & McDougall,
Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: Dans ces deux actions, les
demandeurs, l'un et l'autre contrôleurs de la circu
lation aérienne, cherchent à obtenir à l'encontre de
la défenderesse un jugement déclarant qu'ils ont
droit aux prestations visées à l'article 12.13 de la
Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C.
1970, chap. P-36 [ajouté par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 64, art. 3], (ci-après appelée la Loi); ils
réclament en outre des dommages-intérêts spé-
ciaux au titre de la perte des prestations de prére-
traite plus les intérêts.
Dans les deux actions, on a, par des requêtes
présentées en vertu de la Règle 474 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], demandé à la
Cour de trancher deux points de droit préliminai-
res. Vu la similitude des deux affaires quant aux
faits essentiels et puisque le même avocat représen-
tait les demandeurs, il a été convenu que les
requêtes seraient entendues en même temps.
Une ordonnance en date du 9 septembre 1983
précise qu'il faut avant le procès trancher les deux
questions de droit suivantes:
1. Étant donné qu'on ne reproche au demandeur aucune incon-
duite, les actes que, d'après la défense produite par la défende-
resse, il aurait accomplis avant sa mutation du service opéra-
tionnel au service non opérationnel sont-ils pertinents
relativement à la question de savoir s'il a cessé «involontaire-
ment d'être employé» dans le service opérationnel au sens de
l'article 12.13 de la Loi sur la pension de la Fonction publique,
S.R.C. 1970, chapitre P-36, et modifications, l'expression «ser-
vice opérationnel» étant définie dans ladite loi?
2. Dans l'affirmative, le demandeur est-il irrecevable à nier les
conclusions de fait tirées par la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique dans sa décision en date du 5
septembre 1978 relativement aux dossiers portant les numéros
166-2-3413 et 166-2-3414?
Les demandeurs travaillaient depuis presque
vingt ans à titre de contrôleurs de la circulation
aérienne et, jusqu'à la fin de septembre 1977,
remplissaient les fonctions de surveillants. En cette
dernière qualité, ils étaient encore considérés
comme des contrôleurs de la circulation aérienne
en service opérationnel au sens de l'article 12.11 de
la Loi [ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 64,
art. 3]. En août 1977, apparemment par suite de
leur participation à un conflit de travail, ils se sont
vu tous les deux affectés à des postes non opéra-
tionnels d'instructeur régional des contrôleurs de la
circulation aérienne. Comme on peut le déduire de
la formulation de la première question, les parties
reconnaissent que ces mutations n'étaient pas
motivées par quelque inconduite des demandeurs
dans l'exécution de leurs fonctions.
Pour des raisons qui deviendront apparentes plus
loin, les demandeurs n'ont pas voulu des postes
d'instructeur et se sont opposés à l'affectation.
Des griefs ayant été déposés auprès de la Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique (ci-après appelée la Commission), il y a
eu des enquêtes publiques de grande envergure au
cours desquelles beaucoup de témoins ont été
entendus et de nombreux documents produits. Bien
que les décisions rendues ne se rapportent pas
vraiment aux requêtes dont il s'agit ici, les motifs
de la Commission contiennent un bon nombre de
conclusions sur des questions de fait et sur des
questions mixtes de fait et de droit qui, sans aucun
doute, auront une très grande pertinence relative-
ment aux conclusions de cette Cour dans ces
actions. Par conséquent, à moins que la réponse à
la première question ne soit négative ou encore,
que la réponse à la seconde soit affirmative, le juge
de première instance aura à se pencher sur ces
mêmes questions et à entendre les témoignages et
les arguments y afférents.
L'importance que peut revêtir pour les deux
parties le sens donné à l'expression «involontaire-
ment d'être employé» qui figure à l'article 12.13 de
la Loi devient immédiatement apparente lorsqu'on
tient compte des prestations de retraite uniques,
très spéciales et extrêmement généreuses prévues à
l'article 12.13 pour les contrôleurs ayant plus de
dix ans de service opérationnel. Le fonctionnaire
ordinaire, y compris les contrôleurs affectés au
service non opérationnel, n'ont droit aux presta-
tions de retraite normales qu'à l'âge de 60 ans ou,
s'ils ont 35 années de service, 55 ans. À l'âge de 50
ans, le fonctionnaire ordinaire ayant à son actif 35
années de service peut toucher une pension réduite.
Par contre, un contrôleur de la circulation aérienne
qui quitte son poste volontairement après vingt
années de service opérationnel a droit à une pen
sion à jouissance immédiate. Celui qui a plus de
dix années de service mais moins de vingt peut lui
aussi recevoir une pension à jouissance immédiate
et cela peu importe son âge, à condition toutefois
que son départ ne soit pas volontaire ou, pour
reprendre l'expression utilisée dans la loi, pourvu
qu'il cesse «involontairement d'être employé» dans
le service opérationnel.
Dans le cas d'un contrôleur de la circulation
aérienne qui après dix ans cesse involontairement
d'être employé dans le service opérationnel et qui
choisit de rester dans la Fonction publique, le
paragraphe 12.13(2) lui donne immédiatement
droit à un supplément de salaire («nivellement du
revenu») égal à la moitié de la pension qu'il aurait
reçue s'il avait quitté la Fonction publique.
Si les contrôleurs affectés au service opération-
nel bénéficient de prestations de retraite très spé-
ciales comprenant le «nivellement du revenu», c'est
probablement parce qu'ils doivent, pour obtenir et
conserver leurs permis professionnels, satisfaire à
des normes rigoureuses en matière technique et en
matière de santé. Ces normes peuvent s'expliquer
par le fait qu'il s'agit d'un travail que l'on consi-
dère comme exigeant et aussi par le fait que la
sécurité du public dépend dans une large mesure
de la compétence des contrôleurs, de leur constante
vigilance et de la promptitude de leurs réactions
lorsqu'ils sont de service. Ils subissent périodique-
ment des examens médicaux et techniques et, en
cas d'échec, doivent se retirer du service opération-
nel. D'un autre côté, une personne jugée inapte à
ce service du fait d'avoir échoué à un examen
médical pourrait être parfaitement capable d'occu-
per d'autres postes dans la Fonction publique, y
compris celui d'instructeur des contrôleurs de la
circulation aérienne.
J'ai déjà mentionné l'article 12.13. En voici les
parties pertinentes:
12.13 (1) Les dispositions suivantes s'appliquent au contrô-
leur de la circulation aérienne employé dans le service opéra-
tionnel le 1°" avril 1976 ou après cette date qui, pour toute
raison autre que l'inconduite, cesse involontairement d'être
employé dans le service opérationnel:
b) s'il cesse d'être employé ainsi après dix années ou plus
mais moins de vingt années de service opérationnel ouvrant
droit à pension, il a droit, à son gré dès qu'il cesse d'être
employé dans la Fonction publique, de bénéficier au titre de
ce service à l'égard duquel il n'a pas exercé l'option visée au
paragraphe (2), d'une allocation annuelle tenant lieu des
prestations visées au paragraphe 12(1) au titre de ce service,
payable immédiatement, lors de l'exercice de son option, et
égale au montant de la pension à jouissance différée qui
serait payable en vertu du paragraphe 12(1) au titre de ce
service, diminué du produit obtenu en multipliant cinq pour
cent du montant de cette pension par vingt moins le nombre
d'années, arrondi au dixième d'année le plus proche, de son
service opérationnel ouvrant droit à pension, avec une réduc-
tion maximale de trente pour cent.
(2) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi,
mais sous réserve de l'article 12.22, les contrôleurs de la
circulation aérienne visés au paragraphe (1) qui, après avoir
quitté le service opérationnel, sont employés dans un service de
la Fonction publique qui n'est pas un service opérationnel et qui
n'ont pas reçu une prestation conformément au paragraphe (1)
ou au paragraphe 12(1) au titre de leur service opérationnel ont
droit, à leur gré et dès l'exercice de leur option, à une pension
égale à la pension à jouissance immédiate ou à l'allocation
annuelle qui leur aurait été payable en vertu du paragraphe (1)
s'ils avaient cessé d'être employés dans la Fonction publique à
la cessation de leur service opérationnel, jusqu'à concurrence de
cinquante pour cent de leur service opérationnel ouvrant droit à
pension.
Ainsi, les deux demandeurs, qui ont chacun plus
de dix mais moins de vingt années de service
opérationnel, pourraient bénéficier de ces disposi
tions s'il est conclu qu'ils ont cessé involontaire-
ment d'être employés dans le service opérationnel.
La première question posée en l'espèce porte en
vérité sur la pertinence et c'est normalement au
juge de première instance qu'il appartient de
répondre à une telle question.
L'avocat de la défenderesse allègue et entend
prouver en premier lieu que les demandeurs ont
volontairement et de propos délibéré adopté une
ligne de conduite qui a déclenché une série d'évé-
nements lesquels devaient d'une façon prévisible
aboutir à leur destitution de leurs fonctions et à
leur mutation à des postes différents et, en second
lieu, que cela ne signifie pas qu'il s'agissait de
mutations involontaires ou d'événements qui se
sont produits indépendamment de la volonté des
demandeurs. L'avocat fait valoir qu'ils ont été
mutés [TRADUCTION] «parce qu'ils avaient, volon-
tairement et de propos délibéré, agi d'une manière
incompatible avec les exigences de leur emploi non
reliées directement au service opérationnel.»
Pour trancher la question de la pertinence, on
doit admettre que ces allégations peuvent être
prouvées. On ne saurait répondre à cette question
sans tenir compte des faits qui pourront être éta-
blis à l'audience et, en y répondant, il faut suppo-
ser que sera effectivement prouvé l'ensemble des
faits qui pourraient, fût-ce indirectement, indiquer
l'existence d'autres éléments volontaires que la
simple acceptation de la mutation. Cette question
fondamentale doit être examinée dans un contexte
où un contrôleur de la circulation aérienne accom-
plit délibérément un acte qui ne nuit pas à l'ac-
complissement de ses fonctions comme telles, mais
qui, il le sait, entraînera logiquement et selon toute
vraisemblance sa mutation à un poste non opéra-
tionnel. Quand ce contrôleur finit par être muté,
peut-on alors prétendre, du fait qu'il ne veut pas
accepter la mutation et qu'il désire rester dans le
service opérationnel, qu'il ne l'a pas été «involon-
tairement»?
L'article 12.11 de la Loi donne à l'expression
«service opérationnel» la définition suivante:
«service opérationnel« Le service appelé opérationnel dans les
règlements pris en vertu de l'alinéa 32(1)v.1) et, en outre,
toute période non consacrée au service opérationnel précisée
en vertu de ces règlements.
L'alinéa 32(1)v.1) [ajouté par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 64, art. 5(4)] autorise des règlements:
v.1) désignant le service qui constitue du «service opération-
nel« aux fins de la définition de cette expression à l'article
12.11 et précisant les périodes non consacrées au service
opérationnel auxquelles il faut accorder le sens de service
opérationnel;
L'article 52 du Règlement [Règlement sur la
pension de la Fonction publique, C.R.C., chap.
1358 (ajouté par DORS/81-866, art. 2)] pris en
vertu de cette dernière disposition est ainsi rédigé:
52. Aux fins de l'article 12.13 de la Loi, un contributeur est
réputé avoir cessé involontairement son emploi en service opé-
rationnel dès que le sous-chef du ministère des Transports
atteste
a) que l'employé est incapable de satisfaire aux exigences
médicales inhérentes à la validation de son permis de contrô-
leur de la circulation aérienne ou de la lettre d'autorisation
émise par le ministère des Transports;
b) que l'employé est incapable de conserver le niveau de
compétence technique exigé; ou
c) que le retrait de l'employé du service opérationnel est
nécessaire au maintien de sa santé physique ou mentale.
Je rejette l'argument selon lequel, grâce à l'ap-
plication du principe «expressio unius exclusio
alterius», le Règlement précité écarte tous les
autres sens possibles du mot «involontairement».
L'article 32 de la Loi [mod. par S.R.C. 1970 (1 °r
Supp.), chap. 32, art. 2; S.C. 1974-75-76, chap.
81, art. 21; S.C. 1976-77, chap. 28, art. 35; S.C.
1980-81-82-83, chap. 64, art. 5] ne permet pas de
façon expresse de définir ce qu'est le service volon-
taire; il permet simplement de préciser les périodes
non consacrées au service opérationnel qui doivent
être considérées comme du service opérationnel.
L'article 52 du Règlement ne définit pas le mot
«involontairement» et, s'il le faisait, la définition ne
serait pas valable en droit car, sauf autorisation
expresse dans la loi elle-même, le sens d'une dispo
sition d'une loi ne peut être déterminé par voie de
règlement.
Toute disposition d'une loi doit s'interpréter à la
lumière de la loi dans son ensemble, les mots
employés devant recevoir d'abord et avant tout
leur sens courant. Lorsqu'il n'y a aucune incompa-
tibilité avec l'esprit de la loi, il est évident que le
sens courant doit primer. Toutefois, dans l'hypo-
thèse contraire, on donnera au mot en question un
sens spécial qui sera, selon le cas, soit plus res-
treint, soit plus large, de manière à donner effet à
l'esprit de la loi et à éviter que l'intention mani-
feste du législateur soit contrecarrée.
«Volontairement» signifie de son gré et sans
obligation ni contrainte. On a cité toute une série
de décisions américaines à l'appui du principe
selon lequel, lorsqu'une loi impose la cessation de
l'emploi comme condition du paiement des presta-
tions, les actes de la personne destituée de ses
fonctions ne sont pas pertinents. M'ont également
été signalées plusieurs décisions rendues par des
juges-arbitres en vertu de la Loi sur l'assurance-
chômage [S.R.C. 1970, chap. U-2 (abrogé par
S.C. 1970-71-72, chap. 48)]. Dans chacune de ces
décisions il s'agit d'une cessation d'emploi plutôt
que d'une mutation. Quoi qu'il en soit, comme
nous l'avons déjà vu, tout mot figurant dans une
loi doit toujours recevoir le sens indiqué par le
contexte de la loi elle-même.
Compte tenu des avantages très spéciaux accor
dés aux contrôleurs affectés au service opération-
nel, ces avantages étant placés dans le contexte
général de la Loi, il paraîtrait contraire à l'inten-
tion du législateur de conclure qu'un contrôleur
muté après avoir sciemment, librement et volontai-
rement fait tout ce qui pouvait logiquement entraî-
ner une telle mesure l'a été involontairement parce
qu'il désire tout de même rester dans le service
opérationnel et ne veut pas accepter la mutation. Il
s'agit au fond d'une question de cause et effet.
Lorsqu'une personne produit volontairement telle
cause sachant très bien que tel effet, quoique non
désiré, en résultera inévitablement ou fort proba-
blement, peut-on alors prétendre qu'elle n'a pas
volontairement provoqué l'effet, bien qu'elle ne
l'ait pas souhaité? Il est bien établi en droit et le
principe s'applique d'ailleurs au comportement
humain en général, qu'une personne est censée
avoir voulu les conséquences naturelles de ses
actes, particulièrement lorsqu'il s'agit de consé-
quences prévues dont on a pleinement conscience
d'avance. Selon moi, il n'importe pas que la réali-
sation de ces conséquences dépend de l'action
d'une autre personne (en l'espèce, la décision de
l'employeur de muter l'employé), lorsque cette
action doit manifestement, logiquement et raison-
nablement s'ensuivre dans les circonstances.
Compte tenu de la loi, toute autre conclusion serait
injuste envers les contrôleurs qui n'ont pas agi de
cette manière et qui doivent continuer dans le
service opérationnel pour avoir droit à la pension.
Cela pourrait en outre aboutir au chaos total et
contrecarrer l'objet même des prestations spéciales
prévues pour les contrôleurs affectés au service
opérationnel.
Je réponds donc à la première question par
l'affirmative.
Abordons maintenant la fin de non-recevoir
(issue estoppel) soulevée dans la seconde question.
La nature, les exigences et les limites de l'issue
estoppel ainsi que la possibilité de l'invoquer rela-
tivement à plusieurs conclusions fondamentales
tirées dans la décision de la Commission ont fait
l'objet d'arguments détaillés appuyés d'une juris
prudence abondante.
L'avocat a toutefois passé sous silence un point
qui me paraît pertinent en l'espèce. Il s'agit de la
question de savoir si les conclusions d'un tribunal
administratif, d'une commission ou d'un organisme
quasi judiciaire du même genre peuvent constituer
une fin de non-recevoir devant une cour de justice
ordinaire. Plus précisément, et là je tiens pour
acquis, sans pour autant trancher ce point, que les
conclusions de la Commission sur des questions
particulières de droit ou sur des questions mixtes
de fait et de droit satisfont à toutes les conditions
essentielles de l'issue estoppel et aussi que ces
conclusions revêtent une importance fondamentale
en la présente instance, la question est de savoir si
lesdites conclusions peuvent être considérées en
droit comme liant la Cour fédérale du Canada du
fait qu'il est interdit aux parties de soumettre à
cette Cour des preuves sur les questions susmen-
tionnées.
Pour répondre à cette question, il serait peut-
être utile de faire une distinction entre l'issue
estoppel et le cause of action estoppel appelé plus
communément l'autorité de la chose jugée ou
estoppel per rem judicatam. Dans ce dernier cas, il
est évident que, lorsqu'un tribunal, qu'il soit ou
non un tribunal administratif, dans l'exercice
d'une compétence spéciale lui ayant été attribuée à
cet effet, a jugé une cause ou une question et a
rendu une décision définitive, cette compétence
spéciale du premier tribunal et le principe de
l'autorité de la chose jugée concourent à empêcher
que la cause ou question soit entendue de nouveau
devant un autre tribunal ou organisme judiciaire
et, par l'application de l'estoppel per rem judica-
tam, les parties sont irrecevables à saisir un autre
tribunal de la même question.
Reste maintenant à déterminer si le même
empêchement absolu peut être invoqué aussi lors-
que ce n'est pas la même cause ou question fonda-
mentale qui a été décidée par le tribunal adminis-
tratif mais d'autres importantes questions
pertinentes. Sur la question de l'issue estoppel,
l'avocat a cité notamment les décisions Angle c. Le
Ministre du Revenu National, [1975] 2 R.C.S.
248, Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd.
and others (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 [H.L.],
Hoystead and Others v. Commissioner of Taxa
tion, [1926] A.C. 155 (P.C.), Humphries v.
Humphries, [1910] 2 K.B. 531 (C.A.), Thoday v.
Thoday, [1964] 1 All E.R. 341 [C.A.], aux pages
351 et suivantes, mais il s'agit dans chaque cas
d'une action antérieure ou d'une décision anté-
rieure d'une cour de justice par opposition à une
décision antérieure d'un tribunal administratif.
Il existe un bon nombre de différences fonda-
mentales entre une audience ou instance devant
une commission administrative, devant un tribunal
administratif ou devant un tribunal quasi judi-
ciaire et un procès devant une cour de justice.
Comme ces différences se rapportent directement
à la question présentement à l'étude, il serait utile
d'en énumérer quelques-unes et de les commenter.
1. D'une manière générale, l'échange de conclu
sions écrites dans lesquelles les parties doivent au
préalable clairement exposer les faits essentiels ou
fondamentaux qu'elles entendent prouver ou nier,
n'est pas exigé dans le cadre de procédures devant
les tribunaux administratifs; d'ailleurs, cela n'est
même pas prévu. Il n'est donc pas nécessaire que
les parties précisent avant l'audience l'ensemble
des questions fondamentales de fait et des ques
tions mixtes de fait et de droit.
2. En règle générale, il n'y a aucun droit à un
interrogatoire préalable ni à la communication
préalable de documents pas plus qu'il n'y a de
règles de procédure prévoyant des requêtes visant à
obtenir la communication avant l'audience.
3. La plupart des commissions sont autorisées à
accepter des témoignages non rendus sous serment,
ce qu'elles font d'ailleurs régulièrement.
4. Dans le cas d'un bon nombre de ces commis
sions et tribunaux, une personne dont l'intérêt
pourrait être directement touché par la décision ne
jouit pas d'un droit absolu de comparaître au cours
de l'audience. Il suffit qu'elle ait été complètement
informée de la nature et de l'étendue de la preuve
apportée et qu'on lui ait fourni une occasion rai-
sonnable de répliquer, d'apporter sa propre preuve
et de se défendre par tout autre moyen.
5. Beaucoup de ces tribunaux admettent la
preuve par ouï-dire, même si cette preuve a passé
par plusieurs intermédiaires. De plus, la même
absence de formalités et de vérification caractérise
l'admission de pièces et d'autres preuves documen-
taires. Il en résulte qu'un tribunal administratif
peut parfois en arriver à une conclusion qui serait
impossible pour une cour de justice, soumise
comme elle est à des règles strictes en matière de
preuve. Non seulement serait-il injuste et illogique
d'obliger une cour de justice à accepter une con
clusion sur une question de fait qui ne pourrait être
établie devant elle, mais ce serait en outre un
travestissement de la justice.
6. Une cour de justice est toujours liée par ses
propres conclusions et, une fois la minute du juge-
ment déposée, elle s'est acquittée de sa charge,
sauf dans les rares cas où il est possible d'établir
clairement qu'une fraude, un parjure ou quelque
autre circonstance grave du même genre qui com-
promet l'administration de la justice a constitué un
élément fondamental de la décision. Les décisions
administratives, par contre, de par leur nature
souvent ne sont pas considérées comme définitives,
à moins que la loi ne dise le contraire. Le tribunal
jouit d'un pouvoir discrétionnaire de réexaminer la
question et de modifier ou d'infirmer la décision
lorsque de nouveaux éléments de preuve sont
apportés ou qu'il semble juste ou convenable de le
faire. Sur cette question, l'article 25 de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, chap. P-35, dispose:
25. La Commission peut examiner de nouveau, annuler ou
modifier toute décision ou ordonnance qu'elle a rendue, ou
procéder à une nouvelle audition de toute demande avant de
rendre une ordonnance à son sujet. Toutefois les droits acquis
en raison d'une décision ou d'une ordonnance ainsi examinée de
nouveau, annulée ou modifiée ne peuvent faire l'objet d'une
modification ou abolition qui prendrait effet avant la date de ce
nouvel examen, de cette annulation ou de cette modification.
Puisque les décisions de la Commission ne sont
pas définitives et qu'elle peut examiner de nou-
veau, annuler ou modifier toute décision qu'elle a
rendue, il s'ensuit nécessairement qu'elle peut
exercer ce même pouvoir à l'égard des conclusions
sur lesquelles la décision est fondée.
On peut difficilement conclure en droit qu'une
conclusion qui n'est pas définitive et qui ne lie pas
le tribunal qui l'a tirée lie une cour de justice qui
est par la suite saisie de la même question.
Pour ces motifs, je conclus que, lorsqu'une
affaire est entendue devant la Cour fédérale du
Canada, on ne saurait invoquer l'issue estoppel à
l'encontre d'une conclusion de la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique.
La seconde question recevra donc une réponse
négative.
Les dépens occasionnés par la requête suivront
l'issue de la cause.
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