T-3794-78
Minnesota Mining and Manufacturing Company
et 3M Canada Limited -3M Canada Limitée
(demanderesses)
c.
Lorcon Inc. (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh—Mont-
réal, 20 juin; Ottawa, 23 juin 1983.
Pratique — Suspension d'instance — Requête visant à
obtenir la suspension ou le rejet de l'action en contrefaçon de
brevet pour le motif que le retard excessif dans les procédures
cause un préjudice à la défenderesse — L'action a été intentée
au mois d'août 1978; la requête a été introduite au mois de
mai 1983 — Une des demanderesses poursuit d'autres person-
nes aux États-Unis — R, témoin principal de la défenderesse,
ne peut déposer — La branche de l'entreprise de la défende-
resse visée par l'action est vendue — Les circonstances de
l'espèce sont inhabituelles car les demanderesses veulent pour-
suivre l'action — Chaque cas doit être tranché selon ses
propres faits — Le fait que la défenderesse a refusé de donner
son accord à une ordonnance pour la protection des témoigna-
ges pendant que l'action était devant les tribunaux américains
est en partie responsable du retard — Le rejet de l'action aux
États-Unis n'entraînera pas nécessairement le même résultat
au Canada — Le changement d'avocats par les demanderesses
ne peut justifier le retard mais il faut un certain temps pour se
familiariser avec un dossier — La défenderesse s'est contentée
de laisser les affaires en suspens jusqu'à ce que les demande-
resses manifestent leur intention de poursuivre l'action — La
défenderesse subira un préjudice si R ne peut pas témoigner —
Il est peu probable qu'il aurait pu témoigner avec un souvenir
plus précis des faits si l'affaire avait été instruite plus tôt —
Les demanderesses n'ont pas cherché à tirer parti de la dété-
rioration de l'état de santé de R — Les demanderesses sont
prêtes à mettre à la disposition de la défenderesse le témoi-
gnage de R devant la Commission sur les pratiques restrictives
du commerce et l'enregistrement du témoignage que ce dernier
a donné lors du procès aux États-Unis — La défenderesse
n'insiste pas sur l'allégation de monopole — La défenderesse
était au courant de l'action, au moment de la vente, et devait
avoir obtenu tous les renseignements qu'elle aurait pu vouloir
déposer en preuve — La requête est rejetée, sous réserve de
l'engagement des demanderesses de produire la transcription
sténographique et les enregistrements vidéo si, pour des rai-
sons médicales, R ne peut témoigner de vive voix ou par
commission rogatoire — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règles 419(1)d),), 440, 447 — Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23.
Brevets — Pratique — Requête en suspension ou rejet de
l'action en contrefaçon de brevet pour le motif que le retard
excessif dans les procédures cause un préjudice à la défende-
resse — Les demanderesses veulent poursuivre l'action — R,
témoin principal de la défenderesse, ne peut témoigner — La
branche de l'entreprise de la défenderesse visée par l'action est
vendue — La défenderesse refuse de donner son accord à une
ordonnance pour la protection des témoignages pendant que
l'action est devant les tribunaux américains — La requête est
rejetée, sous réserve de l'engagement des demanderesses de
produire, si besoin est, la transcription sténographique et les
enregistrements vidéo de la déposition de R dans d'autres
procédures — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 419(1)d)f), 440.
La défenderesse demande à la Cour, sur le fondement de la
Règle 419(1)d) et f) et de la Règle 440, de rendre une
ordonnance suspendant ou rejetant l'action en contrefaçon
intentée par les demanderesses au motif que le retard excessif
dans les procédures cause préjudice à la présentation de sa
défense.
Le 22 août 1978, les demanderesses ont intenté une action en
contrefaçon concernant deux brevets. Les procédures se sont
d'abord déroulées normalement. La première demanderesse
poursuivait en justice d'autres défendeurs aux États-Unis; ces
procédures donnèrent lieu à des discussions entre les avocats en
l'espèce sur la nécessité d'une ordonnance de protection concer-
nant les témoins qui seraient entendus au Canada. Les discus
sions, y compris l'échange de correspondance, ont duré du
milieu du mois de juin 1979 la fin du mois de février 1980. À
ce stade des procédures, l'avocat des demanderesses a envoyé
une lettre à son opposant dans laquelle il lui demandait une
réponse. Apparemment, celle-ci n'est jamais venue. Pendant
l'automne 1980 et le printemps 1981, les avocats des demande-
resses ont poursuivi la préparation de la liste de documents
visée par la Règle 447 et ont effectué à cette fin des voyages au
Minnesota. Le procès américain a eu lieu en mars et en avril
1981 et le jugement qui a rejeté l'action a été prononcé en
novembre 1981. Malgré cet échec, les demanderesses ont décidé
au printemps 1982 de soumettre le litige aux tribunaux cana-
diens; par ailleurs, en juin 1982, l'avocat qui s'occupait de
l'affaire au nom des demanderesses a quitté l'étude et un autre
avocat a repris le dossier. En janvier 1983, les demanderesses
ont décidé de ne pas intenter de poursuites en contrefaçon de
l'un des brevets en cause mais en février, elles ont fait connaître
à l'avocat de la défenderesse leur intention de reprendre les
poursuites dans l'autre litige.
Durant la période où tous ces événements sont survenus, deux
autres faits se sont produits. Premièrement, M. A. F. Ratzer, le
témoin principal de la défenderesse, est tombé malade et ne
pouvait plus témoigner. Le témoignage de Ratzer avait, pour
une bonne part, mené au rejet de l'action intentée aux Etats-
Unis. Il avait également comparu devant la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce (uCPRC») où il avait témoi-
gné relativement à une allégation contenue dans la demande
reconventionnelle de la défenderesse portant que les demande-
resses avaient essayé d'établir un monopole illégal en empê-
chant la défenderesse de se procurer certaines matières. M.
Ratzer a été victime de deux attaques cérébrales, l'une pendant
l'été 1979 et l'autre en août 1982. Au moment de l'instruction
de la présente requête, son état de santé ne lui permettait
probablement pas de supporter la fatigue d'un voyage pour
venir témoigner au Canada ni même de témoigner par l'inter-
médiaire d'une commission rogatoire. De plus, il prend depuis
peu un médicament calmant la douleur et qui affecte la
mémoire.
Le deuxième fait important est survenu en décembre 1982: la
défenderesse a vendu la branche de son entreprise qui était
visée dans l'action en contrefaçon de brevet. Compte tenu de
cet événement, la défenderesse prétend qu'il se peut qu'elle ait
des difficultés à obtenir des documents ou témoignages qui
pourraient être nécessaires pour la défense ou la demande
reconventionnelle.
La présente requête a été entendue le 11 mai 1983.
Jugement: la requête est rejetée.
Les circonstances donnant lieu à la présente requête sont
inhabituelles. Normalement, dans une requête de ce genre, le
défendeur cherche à obtenir le rejet de l'action du demandeur
pour défaut de poursuivre quand ce dernier n'a pas manifesté
son intention d'y donner suite ou pour le forcer à prendre
quelques mesures nécessaires pour faire progresser l'action. En
l'espèce, c'est différent. Les demanderesses veulent poursuivre
l'action mais la défenderesse tente d'y mettre un terme parce
que les demanderesses ont pris trop de temps pour présenter
l'affaire à l'instruction.
Chaque cas doit être tranché selon ses propres faits. Si la
justification du retard par les demanderesses n'est pas aussi
solide qu'elle pourrait l'être, la défenderesse a sa part de
responsabilité dans ce retard car elle n'a pas donné son accord à
une ordonnance pour la protection des témoignages rendus au
Canada pendant que l'action était devant les tribunaux améri-
cains. Le rejet de cette action n'entraînera pas nécessairement
le même résultat au Canada. Le remplacement de l'avocat des
demanderesses ne peut en soi justifier le retard, mais il est
compréhensible que dans une affaire de brevet très complexe
comme en l'espèce, l'avocat qui en remplace un autre doive se
familiariser avec le dossier avant de poursuivre l'action. Il est
significatif que la défenderesse n'ait pas cherché à faire rejeter
l'action plus tôt pour défaut de poursuivre, mais qu'elle se soit
contentée de laisser les affaires en suspens, n'entreprenant cette
démarche que lorsque les demanderesses ont manifesté leur
intention de poursuivre l'action.
Il est raisonnable de conclure que la défenderesse subira un
certain préjudice si M. Ratzer ne peut témoigner de vive voix
ou par l'intermédiaire d'une commission rogatoire; en revanche,
il est peu probable qu'il aurait pu témoigner avec un souvenir
plus précis des faits si l'affaire avait été instruite au Canada en
1981 ou en 1982. La défenderesse admet que ce n'est pas parce
que les demanderesses savaient que l'état de santé de M. Ratzer
se détériorait et qu'elles voulaient tirer parti de cette situation
qu'elles n'ont pas poursuivi avec plus d'empressement leur
action au Canada depuis 1980. De plus, son témoignage au
procès aux États-Unis a été transcrit et même enregistré sur
une bande vidéo que les demanderesses offrent de présenter à
l'instruction au Canada. La défenderesse prétend que certains
sujets abordés durant ce témoignage ont pu l'être de façon
inadéquate aux fins du litige au Canada; toutefois, il semble
probable que M. Ratzer ne pourrait ajouter à sa déposition que
des éléments d'importance mineure. Les demanderesses sont
prêtes à mettre le témoignage de M. Ratzer devant la CPRC à
la disposition de la défenderesse, mais, de toute façon, la
défenderesse n'insiste pas sur l'allégation relative au monopole.
En fait, la défenderesse admet qu'elle n'a plus aucune difficulté
à se procurer les matières nécessaires.
Il est vrai que la vente de la branche concernée peut causer
des difficultés à la défenderesse; mais la défenderesse connais-
sait, au moment de la vente, tous les aspects de la présente
action et a donc sûrement conservé la copie de tout document
pertinent et obtenu tous les renseignements qu'elle pourrait
vouloir déposer en preuve.
La requête est rejetée, sous réserve de l'engagement des
demanderesses de produire à l'instruction la transcription sté-
nographique et les enregistrements vidéo de la déposition faite
aux États-Unis par M. Ratzer, ainsi que la transcription de son
témoignage devant la CPRC, si la défenderesse le désire, à la
seule condition qu'il soit démontré que M. Ratzer ne peut, pour
des raisons médicales, témoigner à l'instruction, de vive voix
devant la Cour ou par commission rogatoire.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Norton Co. c. Lionite Abrasives Ltd. (1976), 32 C.P.R.
(2d) 270 (C.F. P' inst.).
AVOCATS:
J. N. Landry pour les demanderesses.
G. E. Fisk pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les demande-
resses.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: La défenderesse demande à la
Cour, sur le fondement de la Règle 419(1)d) et f)
et de la Règle 440 [des Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663], de rendre une ordonnance
suspendant ou rejetant l'action des demanderesses
au motif que le retard excessif dans les procédures
cause préjudice à la présentation de sa défense.
Les dates importantes sont chronologiquement les
suivantes: le 22 août 1978, les demanderesses ont
intenté une action en contrefaçon concernant deux
brevets différents. Les procédures se sont d'abord
déroulées normalement; A. F. Ratzer, témoin prin
cipal de la défenderesse, a fait une déposition le 25
juillet 1979 dans un litige entendu aux Etats-Unis.
Malheureusement, il a été victime, un mois plus
tard, d'une attaque cérébrale grave. La défende-
resse a produit une défense modifiée et une
demande reconventionnelle le 5 février 1980.
Comme les poursuites opposant la demanderesse
Minnesota Mining and Manufacturing Company
et Ansul Company et Ciba-Geigy Corporation au
sujet de brevets américains suivaient leurs cours
aux Etats-Unis, il fut abondamment question de la
nécessité d'une ordonnance de protection concer-
nant les témoins qui seraient entendus au Canada.
Le 18 février 1980, l'avocat de la défenderesse
écrivait à l'avocat des demanderesses pour lui
expliquer les problèmes posés par une ordonnance
de ce genre et, le 29 février 1980, l'avocat des
demanderesses lui répondait que la défenderesse
n'avait rien à redouter compte tenu de la forme
que prendrait l'ordonnance proposée. Il souligne
dans cette lettre que l'avocat de la défenderesse a
été contacté au sujet d'une telle ordonnance dès le
14 juin 1979, et demande s'il y a lieu d'en modifier
le texte pour protéger les intérêts de la défende-
resse. La lettre se termine ainsi: [TRADUCTION]
«Je vous saurais gré de me faire parvenir votre
réponse motivée dans les meilleurs délais.» Cette
lettre n'a jamais reçu de réponse, du moins pas de
réponse écrite.
Malheureusement, M. Ratzer a dû subir des
opérations bilatérales des carotides en août 1980;
toutefois pendant l'automne 1980 et le printemps
1981, un membre de l'étude d'avocats chargé de
représenter les demanderesses a poursuivi la prépa-
ration de la liste visée par la Règle 447 et a
effectué des voyages au Minnesota. Le procès
américain a eu lieu en mars et en avril 1981. Le
jugement, prononcé le 10 novembre 1981, rejetait
l'action des demanderesses. Les avocats convien-
nent que ce jugement était fondé en grande partie
sur la déposition faite par M. Ratzer à l'instruc-
tion de l'action aux États-Unis.
Malgré cet échec, les demanderesses ont décidé
au printemps 1982 de soumettre le litige aux tribu-
naux canadiens et d'intenter des poursuites en
contrefaçon de brevet au Royaume-Uni. En juin
1982, l'avocat qui s'occupait de l'affaire au nom
des demanderesses a quitté l'étude et un autre
avocat a repris le dossier. En août 1982, pendant
son retour au Canada, M. Ratzer a eu une
deuxième attaque qui toutefois n'a pas exigé son
hospitalisation.
Le 1" décembre 1982, la défenderesse a vendu
une des divisions de sa compagnie (Foam Division)
à une autre compagnie. En janvier 1983, les
demanderesses ont décidé de ne pas intenter de
poursuites en contrefaçon de l'un des brevets en
cause, le n° 735 370, qui, du reste, était sur le point
d'arriver à expiration. En février 1983, elles ont
fait connaître à l'avocat de la défenderesse leur
intention de reprendre les poursuites et l'avocat
s'occupant alors de l'affaire s'est rendu dans ce but
à St. Paul au Minnesota, pour une période de trois
jours. La défenderesse a déposé la présente requête
le 11 mai 1983. Il est admis que l'état de santé de
M. Ratzer ne lui permettrait probablement pas de
supporter la fatigue d'un voyage pour venir témoi-
gner ni même de témoigner par l'intermédiaire
d'une commission rogatoire. Il prend depuis peu un
médicament calmant la douleur qui, selon l'affida-
vit de son médecin, affecte la mémoire.
La défenderesse allègue donc qu'elle subira un
préjudice grave si les demanderesses sont mainte-
nant autorisées à poursuivre leur action après ce
long retard dans les procédures, puisqu'elle ne peut
plus se prévaloir au Canada du très important
témoignage de M. Ratzer; de plus, ayant vendu
une des branches de l'entreprise qui aurait été
visée dans l'action en cause, il se peut qu'elle ait
des difficultés à obtenir des documents ou témoi-
gnages qui pourraient être nécessaires pour la
défense ou la demande reconventionnelle ou, du
moins, qu'elle ne puisse compter sur la pleine
collaboration de la compagnie acheteuse à cet
égard. En ce qui a trait au premier point, les
demanderesses soutiennent que, puisque M. Ratzer
est malade et prend de fortes doses de médica-
ments depuis 1960, son état de santé n'est pas pire
aujourd'hui qu'il ne l'aurait été si l'affaire avait été
instruite en 1981 ou en 1982; de plus, son témoi-
gnage au procès aux États-Unis a été transcrit et
même enregistré sur une bande vidéo que les
demanderesses offrent de présenter à l'instruction
au Canada, à condition toutefois qu'il soit impossi
ble à M. Ratzer de venir témoigner en personne au
moment où son témoignage sera requis.
Cela ne satisfait cependant pas entièrement la
défenderesse qui prétend que certaines preuves
vont peut-être faire défaut en raison des différen-
ces existant entre le droit américain et le droit
canadien sur des points comme le caractère évident
des faits qui est invoqué dans la demande recon-
ventionnelle, et la date à laquelle il doit être
déterminé, et en ce qui concerne un discours que
M. Ratzer a prononcé à Campobello Island. Des
extraits de ce discours ont été reproduits dans un
article de magazine et il a été interrogé à ce sujet
devant les tribunaux américains. La défenderesse
soutient que d'autres questions concernant le dis-
cours pourraient être pertinentes pour le litige au
Canada, même s'il n'a pas été nécessaire ni possi
ble de les examiner aux Etats-Unis.
Il est raisonnable de conclure que la défende-
resse subira un certain préjudice si M. Ratzer ne
peut témoigner en personne; en revanche, il est peu
probable qu'il aurait pu témoigner avec un souve
nir plus précis des faits si l'affaire avait été ins-
truite au Canada en 1981 ou en 1982. Il semble
également probable qu'il ne pourrait ajouter à la
déposition qu'il a faite dans le cadre de l'action
intentée aux États-Unis et dont les bandes vidéo
peuvent être utilisées au Canada, que des éléments
d'importance mineure.
Pour ce qui est de la vente par la défenderesse
de la branche de son entreprise qui était concernée
par le brevet en cause, il est vrai que cette situation
pourra lui causer des difficultés; mais, comme le
font remarquer les demanderesses, la défenderesse
connaissait, au moment de la vente, tous les
aspects de la présente action et a donc sûrement
conservé la copie de tout document pertinent et
obtenu tous les renseignements qu'elle pourrait
vouloir déposer en preuve.
La défenderesse allègue aussi dans sa demande
reconventionnelle qu'en violation de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970,
chap. C-23], les demanderesses ont essayé d'établir
un monopole illégal en empêchant la défenderesse
de se procurer certaines matières. M. Ratzer a
témoigné sur ce point à Ottawa le 19 novembre
1975, devant la Commission sur les pratiques res-
trictives du commerce, et les demanderesses sont
prêtes à mettre aussi ce témoignage à la disposi
tion de la défenderesse si elle le désire. La défende-
resse n'insiste pas sur cet aspect de sa demande
reconventionnelle et a même offert de retirer cette
allégation si les demanderesses ne poursuivent pas
la présente action. Celles-ci n'ont cependant pas
l'intention de le faire et la défenderesse admet
qu'elle n'a plus aucune difficulté à se procurer les
matières nécessaires.
Tout ce qui précède est un résumé des faits. En
ce qui concerne le droit, la présente requête est
inhabituelle puisque normalement le défendeur
cherche à obtenir le rejet de l'action des deman-
deurs pour défaut de poursuivre quand ces derniers
n'ont pas manifesté leur intention d'y donner suite
ou pour les forcer à prendre quelques mesures
nécessaires pour faire progresser l'action. En l'es-
pèce, c'est le contraire. Les demanderesses veulent
poursuivre l'action mais la défenderesse tente d'y
mettre un terme parce que les demanderesses ont
pris trop de temps pour présenter l'affaire à l'ins-
truction. La défenderesse a cité plusieurs arrêts qui
permettent de constater que chaque cas doit être
tranché en fonction de ses propres faits. L'arrêt le
plus pertinent, puisque ses circonstances sont assez
semblables à celles de l'espèce, est Norton Co. c.
Lionite Abrasives Ltd.' dans lequel le juge Maho-
ney de cette Cour a rejeté une action pour défaut
de poursuivre parce que la demanderesse avait
tenté de donner suite aux procédures après les
avoir fait retarder pendant près de six ans pour
attendre le résultat d'une action intentée aux
États-Unis. Le juge Mahoney a fait remarquer
qu'il appartenait à la demanderesse de rapporter la
preuve de faits démontrant le caractère raisonna-
ble de ce retard de six ans à poursuivre l'action. Il
a cependant déclaré qu'il n'était pas disposé à
rejeter, comme non prouvés, des faits dont il avait
été témoigné d'une telle façon car s'ils étaient
inexacts sur un point, la défenderesse devait le
prouver par affidavit plutôt que d'invoquer une
déficience qu'elle aurait perçue dans l'affidavit. Il
a toutefois souligné un fait sur lequel il semble
s'être appuyé pour rendre son jugement: il n'avait
pas été expressément allégué que le retard avait
causé un préjudice à la défenderesse et la nature
de l'action ne permettait pas de considérer que le
préjudice découlait implicitement d'un si long
retard. Ce cas est manifestement différent de l'es-
pèce, car la défenderesse souligne dans son affida
vit que le retard pourra lui causer un préjudice.
Par contre, le retard n'est pas aussi grand en
l'espèce. Les demanderesses le justifient, bien que
leur argument ne soit pas aussi solide qu'il pourrait
l'être, en faisant remarquer que c'est la défende-
resse qui n'a pas donné son accord à une ordon-
nance pour la protection des témoignages rendus
au Canada pendant que l'action était devant les
tribunaux américains, et qu'on peut au moins sou-
tenir que l'issue des poursuites au Canada ou au
Royaume-Uni ne sera pas nécessairement la même
qu'aux États-Unis. La défenderesse admet que ce
n'est pas parce que les demanderesses savaient que
(1976), 32 C.P.R. (2d) 270 (C.F. 1" inst.).
l'état de santé de M. Ratzer se détériorait et
qu'elles voulaient tirer parti de cette situation,
qu'elles n'ont pas poursuivi avec plus d'empresse-
ment leur action au Canada depuis 1980. Même
s'il est dommage que l'avocat des demanderesses
ait quitté l'étude qui les représentait et ait dû être
remplacé, ce qui en soi ne peut justifier le retard, il
est sûrement compréhensible que dans une affaire
de brevet très complexe comme en l'espèce, l'avo-
cat qui en remplace un autre doive se familiariser
avec le dossier avant de poursuivre l'action. Il est
également significatif que la défenderesse n'ait pas
cherché à invoquer plus tôt la Règle 440 pour faire
rejeter l'action pour défaut de poursuivre, mais
qu'elle se soit contentée de laisser les affaires en
suspens et qu'elle n'ait entrepris cette démarche
que lorsque les demanderesses ont manifesté leur
intention de poursuivre l'action.
Étant donné les faits de l'espèce, la requête de la
défenderesse sera rejetée, sous réserve de l'engage-
ment des demanderesses de produire, si besoin est,
à l'instruction, la transcription sténographique et
les enregistrements vidéo de la déposition faite aux
États-Unis par M. Ratzer dans l'action opposant
Minnesota Mining and Manufacturing Company
et Ansul Company et Ciba-Geigy Corporation,
ainsi que la transcription de son témoignage au
Canada devant la Commission sur les pratiques
restrictives du commerce, si la défenderesse le
désire, à la seule condition qu'il soit démontré que
M. Ratzer ne peut pour des raisons médicales
témoigner à l'instruction soit de vive voix devant la
Cour soit par commission rogatoire. Les demande-
resses doivent prendre quelques mesures nécessai-
res pour faire progresser l'action dans un délai de
soixante jours à partir de la présente.
ORDONNANCE
La requête de la défenderesse est rejetée et les
dépens suivront l'issue de la cause, sur l'engage-
ment des demanderesses de fournir aux fins de la
présente action la transcription sténographique et
les enregistrements vidéo de la déposition faite par
M. A. F. Ratzer dans l'État du Wisconsin des
États-Unis d'Amérique, dans l'action civile portant
le numéro 78-C-330, entre la demanderesse Min-
nesota Mining and Manufacturing Company et les
défenderesses Ansul Company et Ciba-Geigy Cor
poration, ainsi que sa déposition en 1975 devant la
Commission sur les pratiques restrictives du com-
merce au Canada si la défenderesse le désire, à la
seule condition toutefois que M. Ratzer soit inca
pable pour des raisons médicales de témoigner de
façon satisfaisante soit de vive voix soit par com
mission rogatoire. Les demanderesses doivent
prendre les mesures nécessaires pour faire progres-
ser l'action dans un délai de soixante jours de la
présente.
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