T-1188-83
Luis Ernesto Reyes (demandeur)
c.
Procureur général du Canada, Secrétaire d'État et
greffier de la citoyenneté (défendeurs)
Division de première instance, juge Cattanach—
Ottawa, 21 juin et 4 août 1983.
Citoyenneté — Contrôle judiciaire — Recours en equity —
Jugements déclaratoires — Le demandeur est résident perma
nent — Décret en conseil, pris conformément à l'art. 18(1) de
la Loi sur la citoyenneté, déclarant que l'acceptation de la
demande de citoyenneté porterait atteinte à la sécurité et serait
contraire à l'ordre public — Demande de citoyenneté rejetée
— Le demandeur n'a pas été informé des allégations faites
contre lui et on ne lui a pas donné l'occasion d'y répondre
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le
décret en conseil est nul — Requête en radiation — Les
défendeurs acceptent les faits allégués — Aucun affidavit n'est
requis à l'appui de la requête en vertu de la Règle 419(1)a) ni
en vertu de la Règle 419(l )b),c),d),f) — Convenait-il de tran-
cher les points principaux au moment de la présentation de la
requête en radiation? — Questions de droit concernant l'inter-
prétation de la Loi sur la citoyenneté et de la Charte des droits
— Aucune plaidoirie ou preuve additionnelle n'est nécessaire
pour trancher le litige — Les points soulevés peuvent être
examinés dans une requête en radiation — Le décret en conseil
était-il révisable? — L'intervention des tribunaux est justifiée
si l'autorité outrepasse son pouvoir de prendre des décrets en
conseil — Le gouverneur en conseil doit remplir la condition
préalable à l'exercice, du pouvoir conféré — Le législateur
voulait-il imposer une obligation d'agir équitablement? — Il
faut examiner la loi pour déterminer dans quelle mesure il y a
lieu, le cas échéant, d'appliquer la maxime audi alteram
partem: Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [19801 2 R.C.S. 735 — Principes directeurs
pour l'interprétation de l'intention de la loi — Examen des art.
5(1 )e), 18 — Le pouvoir discrétionnaire conféré par l'art. 18
n'est pas assujetti à l'obligation d'agir équitablement — Une
personne ne représente pas un danger pour la sécurité ou
l'ordre public tant qu'il n'est pas déclaré que c'est le cas
L'existence d'un danger n'est pas une condition préalable à
l'exercice du pouvoir attribué au gouverneur en conseil — Une
preuve péremptoire du danger n'est pas nécessaire — Le
gouverneur en conseil n'est pas obligé d'inviter la personne à la
réfuter — Il n'existe aucune restriction expresse ou implicite
au pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil
par l'art. 18 — Nature de l'organe auquel est attribué le
pouvoir — Les dirigeants de l'exécutif sont chargés de ques
tions de politique générale et d'opportunité administrative, qui
ne sont habituellement pas soumises à des restrictions — La
sécurité nationale est en cause lorsque l'art. 18(1) est applica
ble — L'art. 18(1) est-il contraire à la Charte? — Les art. 2, 7
et , 12 de la Charte ont remplacé des dispositions de la Déclara-
tion des droits — Les libertés prévues à l'art. 2 ne sont pas
différentes de celles qui existaient déjà au Canada — Le
décret en conseil n'empêche pas le demandeur de bénéficier au
Canada des droits prévus aux art. 2 et 7 de la Charte — La
privation à l'extérieur du Canada des droits prévus à l'art. 7
constitue une question sur laquelle le Canada n'exerce ni
juridiction ni contrôle — La citoyenneté est un privilège que
l'État peut accorder ou refuser — Ce privilège constitue une
limite- raisonnable et justifiable suivant l'art. 1 de la Charte —
La loi peut imposer les conditions auxquelles la citoyenneté est
accordée — La prise d'un décret en conseil ne constitue pas
une »peine» au sens de l'art. 12 de la Charte — Les termes
»cruels et inusités» doivent-ils être interprétés de façon dis-
jonctive ou de façon conjonctive? — Le décret en conseil laisse
au demandeur la liberté de vivre au Canada et d'y profiter de
la vie — Le décret en conseil ne constitue pas un »traitement
cruel et inusité» — Le caractère raisonnable du droit de rendre
une ordonnance en vertu de l'art. 18(1) apparaît évident et sa
justification peut se démontrer — Déclaration radiée et action
rejetée — Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108,
art. 5(1), 18 — Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970,
chap. C-19, art. 10(1) — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 1, 2, 7, 12 — Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice Ill], art. I, 2b)
— Règles 319(2), 419(1)a),b),c),d)f), 419(2), 603 de la Cour
fédérale.
Droit constitutionnel — Charte des droits — L'art. 18(1) de
la Loi sur la citoyenneté est-il contraire à la Charte? — Les
libertés prévues à l'art. 2 ont toujours existé au Canada — Le
décret en conseil pris en vertu de l'art. 18(1) n'empêche pas le
demandeur de bénéficier des droits prévus aux art. 2 et 7 de la
Charte — La privation à l'extérieur du Canada des droits
prévus à l'art. 7 constitue une question sur laquelle le Canada
n'exerce aucune juridiction — Le privilège de la citoyenneté
constitue une limite raisonnable suivant l'art. I de la Charte
— Un décret en conseil ne constitue pas une »peine» au sens de
l'art. 12 de la Charte — Aucun »traitement cruel et inusité» —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2, 7, 12 — Loi
sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art. 18.
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Action
visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le décret
en conseil pris en vertu de l'art. 18(1) de la Loi sur la
citoyenneté, déclarant que l'octroi de la citoyenneté au deman-
deur porterait atteinte au Canada, est nul car il transgresse
l'obligation d'agir équitablement et les dispositions de la
Charte — Existe-t-il une cause raisonnable d'action? —
Convenait-il de trancher les points principaux au moment de
la présentation de la requête en radiation? — Questions de
droit concernant l'interprétation de la Loi sur la citoyenneté et
de la Charte — Aucune plaidoirie ou preuve additionnelle
nécessaire — Aucun affidavit n'est requis à l'appui de la
requête, les défendeurs acceptant les faits allégués dans la
déclaration — Déclaration radiée et action rejetée — Règle
419 de la Cour fédérale — Loi sur la citoyenneté, S.C.
1974-75-76, chap. 108, art. 18.
Le demandeur, résident permanent au Canada, a présenté
une demande de citoyenneté. Comme la décision sur sa
demande tardait beaucoup, le demandeur a sollicité un manda-
mus. Le procureur du demandeur a également demandé, qu'au
cas où l'on envisagerait de prononcer la déclaration visée par le
paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté (nia Loi»), le
demandeur soit informé des allégations faites contre lui et qu'il
lui soit donné l'occasion de les réfuter. Avant qu'il ne soit statué
sur la demande de mandamus, le gouverneur en conseil a, sur la
recommandation du Secrétaire d'Etat, pris en vertu du paragra-
phe 18(1) un décret en conseil qui déclarait que l'acceptation
de la demande de citoyenneté du demandeur porterait atteinte
à la sécurité de l'État et serait contraire à l'ordre public. Le
demandeur n'a pas été informé des allégations faites contre lui
et on ne lui a pas donné l'occasion de les réfuter. Il a demandé à
la Division de première instance un jugement déclaratoire
portant que le décret en conseil était nul. Les défendeurs ont
alors demandé, en vertu de la Règle 419(1)a), la radiation de la
déclaration et le rejet de l'action au motif qu'elle ne révélait
aucune cause raisonnable d'action. Ils ont également invoqué
d'autres alinéas de la Règle 419(1). Les défendeurs acceptent
les faits allégués dans la déclaration du demandeur. Ils n'ont
pas produit d'affidavit à l'appui de leur requête.
Jugement: ( 1) Aucun affidavit n'est requis à l'appui de la
requête des défendeurs. En vertu de la Règle 419(2), aucune
preuve n'est admissible sur une demande aux termes de la
Règle 419(1)a). Ce n'est pas le cas en ce qui concerne les
autres alinéas de la Règle 419(1); cependant, étant donné que
les défendeurs acceptent les faits allégués, aucun affidavit n'est
requis en l'espèce.
(2) Les points soulevés par la déclaration concernent l'inter-
prétation de la Loi et de la Charte des droits. Il s'agit unique-
ment de questions de droit. Aucune plaidoirie ou preuve addi-
tionnelle n'est nécessaire pour trancher les points en litige. C'est
pourquoi la Cour est justifiée de les examiner dans une requête
en radiation.
(3) Les décrets en conseil sont- révisables dans les mêmes
conditions que les lois. L'intervention des tribunaux est justifiée
lorsque l'autorité outrepasse le pouvoir en vertu duquel elle a
pris un décret. Le gouverneur en conseil doit, dans l'exercice
d'un pouvoir, respecter toutes les conditions préalables imposées
par la loi applicable. Le demandeur allègue en l'espèce que le
gouverneur en conseil était assujetti à l'obligation d'agir équita-
blement—plus précisément, qu'il devait respecter la règle audi
alteram partem—et que l'observation de cette obligation était
une condition préalable à la prise d'un décret en conseil en
vertu du paragraphe 18(1). Toutefois, comme le montre l'arrêt
Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada
et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, il faut examiner la loi pour
déterminer dans quelle mesure la règle audi alteram partem est
censée s'appliquer, le cas échéant. L'arrêt Inuit Tapirisat
énonce plusieurs principes directeurs utiles pour l'interprétation
de l'intention de la loi. Il ressort de l'examen des articles 5(1)e)
et 18 de la Loi qu'il n'existe en réalité aucune condition
préalable à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du gouverneur
en conseil de faire la déclaration prévue par le paragraphe
18(1). En vertu de ce paragraphe, une personne ne représente
pas un danger pour la sécurité ou l'ordre public tant qu'il n'est
pas déclaré que c'est le cas; par conséquent, l'existence d'un tel
danger n'est pas une condition préalable à l'exercice du pouvoir
conféré par ce paragraphe. Il en résulte qu'il n'est pas néces-
saire d'en fournir une preuve péremptoire. Le gouverneur en
conseil n'est donc pas obligé d'inviter la personne en cause à
réfuter les allégations faites contre elle. L'article 18 n'impose
aucune restriction expresse ou implicite au pouvoir discrétion-
naire du gouverneur en conseil. D'autres considérations amè-
nent à la même conclusion. Le pouvoir prévu au paragraphe
18(1) est conféré aux dirigeants de l'exécutif. Un organe de
cette nature est chargé de questions de politique générale et
d'opportunité administrative et le Parlement n'impose habituel-
lement pas de limites pour des questions de ce genre. En outre,
s'il faut appliquer le paragraphe 18(1), c'est qu'il s'agit d'un
cas de sécurité nationale. Il peut être nécessaire de reléguer au
second plan les autres préoccupations lorsque la sécurité natio-
nale est en jeu.
(4) Le paragraphe 18(1) n'est pas contraire aux articles 2, 7
et 12 de la Charte des droits. Ces dispositions de la Charte ont
remplacé des dispositions de la Déclaration canadienne des
droits. Les libertés énumérées à l'article 2 ne sont pas différen-
tes de celles dont une personne pouvait bénéficier au Canada
avant qu'elles ne soient inscrites par écrit. Le décret en conseil
n'affecte pas le droit du demandeur de demeurer au Canada et
donc, de bénéficier au Canada des droits prévus aux articles 2
et 7. La privation à l'extérieur du Canada des droits prévus à
l'article 7 constitue une question sur laquelle le Canada
n'exerce ni juridiction ni contrôle. La citoyenneté est un privi-
lège que l'État peut accorder ou refuser. Suivant l'article 1 de
la Charte, ce privilège constitue une limite raisonnable, justifia
ble dans le cadre d'une société libre et démocratique. La Loi
peut donc imposer les conditions auxquelles la citoyenneté sera
accordée ou refusée. La prise du décret en conseil n'équivalait
pas à soumettre le demandeur à une «peine» visée par l'article
12 de la Charte. Le demandeur a été, tout au plus, soumis à un
«traitement», mais étant donné qu'il a été laissé libre de vivre au
Canada et d'y profiter de la vie, il ne s'agissait pas d'un
traitement «cruel et inusité». De plus, le caractère raisonnable
du droit pour un État libre et démocratique de déclarer que
l'octroi de la citoyenneté à une personne porterait atteinte à la
sécurité et à l'ordre public apparaît évident et sa justification
peut, par conséquent, se démontrer.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Secretary of State for Home Affairs, Ex parte
Hosenball, [1977] I W.L.R. 766 (Eng. C.A.); In re
Gittens, [1983] 1 C.F. 152; 68 C.C.C. (2d) 438 (1« Inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lazarov c. Le secrétaire d'État du Canada, [1973] C.F.
927; 39 D.L.R. (3d) 738 (C.A.).
AVOCATS:
M. Wolpert pour le demandeur.
L. P. Chambers pour les défendeurs.
PROCUREURS:
M. Wolpert, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La Cour est saisie, par
voie de requête présentée par les défendeurs en
vertu de la Règle 419(1)a), d'une demande visant
à faire radier la déclaration aux présentes et à
faire rejeter les actions pour le motif qu'aucune
cause raisonnable d'action n'a été révélée contre
les défendeurs ou subsidiairement, à faire radier la
déclaration et rejeter les actions contre le Secré-
taire d'État et le greffier de la citoyenneté, pour le
motif qu'aucune cause raisonnable d'action n'a été
révélée contre eux (à cet égard le redressement
demandé coïncide avec celui demandé initiale-
ment) et parce que, de plus, le fait de les désigner
comme défendeurs est scandaleux, futile ou vexa-
toire, que cela peut causer préjudice, gêner ou
retarder l'instruction équitable de l'action et que
cela constitue un emploi abusif des procédures de
la Cour.
En plus d'invoquer la Règle 419(1)a), la conclu
sion subsidiaire fait appel à la Règle 419(1)b) pour
affirmer qu'il n'est pas essentiel ou qu'il est redon-
dant de désigner ces deux autres défendeurs, et
mentionne également les alinéas c), d) et f). Le
contenu des alinéas 419(1)c), d) et f) est énoncé
dans l'avis de requête mais ce n'est pas le cas pour
l'alinéa b). La raison pour laquelle je pense qu'on
ne l'a pas fait pour ce dernier alinéa est qu'il
ressort de la citation de la Règle que la désignation
des deuxième et troisième défendeurs n'est pas
essentielle et est redondante; mais s'il en est ainsi,
on pourrait s'attendre que ce soit également le cas
des alinéas 419(1)c),d) et f), sauf qu'il existe dans
l'avis de requête une différence par rapport aux
termes des alinéas c) et d), en ce sens que dans ces
derniers, on emploie le «ou» disjonctif alors que
dans l'avis de requête, c'est le terme «et» qui est
utilisé. Peut-être avait-on l'intention d'employer
«et» dans un sens disjonctif plutôt que dans un sens
conjonctif.
En vertu de la Règle 419(2), aucune preuve
n'est admissible sur une demande aux termes de
419(1)a). La raison en est évidente. La déclaration
parle par elle-même.
Ce n'est pas nécessairement le cas en ce qui
concerne les autres alinéas de la Règle 419(1).
En vertu de la Règle 319(2), une requête doit
être appuyée par un affidavit certifiant tous les
faits sur lesquels elle se fonde, sauf ceux qui
ressortent du dossier.
Les défendeurs acceptent les faits allégués dans
la déclaration et, par conséquent, il n'est pas néces-
saire d'appuyer par un affidavit la conclusion sub-
sidiaire présentée au nom des deuxième et troi-
sième défendeurs.
Dans sa déclaration, le demandeur vise à obtenir
un jugement déclaratoire portant que la déclara-
tion faite par le gouverneur en conseil (C.P. 1982-
2455) conformément au paragraphe 18(1) de la
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108,
en date du 13 août 1982 et selon laquelle l'accepta-
tion de la demande de citoyenneté du demandeur
porterait atteinte à la sécurité de l'État et scrait
contraire à l'ordre public, est nulle et non avenue
pour les motifs suivants:
(1) le demandeur n'a pas été informé, avant la
prise du décret en conseil, du contenu des alléga-
tions faites contre lui qui ont entraîné la prise de
ce décret, et le fait d'avoir omis de donner au
demandeur l'occasion de répondre à ces alléga-
tions constituait un manquement à l'obligation
d'agir équitablement qui incombe au gouverneur
en conseil;
(2) l'obligation d'agir équitablement est une
condition implicite préalable à l'exercice du pou-
voir prévu au paragraphe 18(1) de la loi, qui
exige que le demandeur soit informé du contenu
des allégations faites contre lui et qu'il lui soit
donné l'occasion de répondre à celles-ci;
(3) à supposer que cette condition préalable
n'existe pas, le paragraphe 18(1) est alors sans
effet car son application est contraire aux arti
cles 2, 7 et 12 de la Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Les allégations de faits contenues dans la décla-
ration et acceptées par les défendeurs peuvent être
exposées brièvement.
Le demandeur qui n'est pas citoyen canadien a
été admis au Canada comme résident permanent
en 1974.
Le 3 mai 1977, il présentait une demande de
citoyenneté canadienne.
Il n'a pas été donné suite rapidement à cette
demande malgré les demandes de renseignements
répétées présentées par le procureur du demandeur
au Secrétaire d'État et aux fonctionnaires de la
Direction de l'enregistrement de la citoyenneté du
Secrétariat d'État.
Le 23 juillet 1982, le demandeur a déposé un
avis introductif de requête à présenter à Toronto
(Ontario) le 18 août 1982, demandant un redresse-
ment par voie de mandamus. (La formule à utili-
ser est un avis de requête et non pas un avis
introductif de requête; voir la Règle 603.)
Le 11 août 1982, le procureur du demandeur a
demandé qu'au cas où l'on envisagerait de pronon-
cer la déclaration visée par le paragraphe 18(1) de
la Loi sur la citoyenneté, le demandeur soit
informé des allégations faites contre lui et qu'il lui
soit donné l'occasion de les réfuter.
Le 13 août 1982, la suite de la recommanda-
tion du Secrétaire d'État, un décret en conseil pris
conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur
la citoyenneté déclarait que l'acceptation de la
demande de citoyenneté du demandeur porterait
atteinte à la sécurité de l'État et serait contraire à
l'ordre public.
Le greffier de la citoyenneté, en réponse à l'avis
de requête en mandamus présenté par le deman-
deur, a déposé un affidavit attestant que le deman-
deur était l'objet d'une déclaration prévue au para-
graphe 18(1), auquel il a annexé une copie
conforme du décret en conseil, et qu'il ne serait pas
donné suite à la demande de citoyenneté du
demandeur parce qu'en vertu du paragraphe
18(2), sa demande est réputée ne pas être
approuvée.
Selon moi, la présente demande soulève trois
points importants qu'il faut trancher dans l'ordre
qui suit:
(1) convient-il de trancher le principal point en
litige à ce stade des procédures et par le moyen
proposé, et si oui,
(2) devrait-on considérer que le paragraphe
18(1) de la Loi sur la citoyenneté est assujetti
aux règles de l'équité, et sinon,
(3) le paragraphe 18(1) est-il sans effet parce
que contraire aux articles 2, 7 et 12, de la
Charte canadienne des droits et libertés?
En ce qui concerne le premier point exposé plus
haut, la Cour suprême du Canada en a fait une
analyse approfondie dans Le procureur général du
Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre,
[1980] 2 R.C.S. 735.
L'appel dont était saisie la Cour suprême con-
cernait la justesse de la décision rendue par mon
collègue le juge Marceau sur une demande présen-
tée à la Cour fédérale, Division de première ins
tance, visant à faire radier la déclaration parce
qu'elle ne révélait aucune cause raisonnable
d'action.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes (CRTC) avait accordé
une augmentation des tarifs de téléphone dans les
Territoires du Nord-Ouest. Inuit Tapirisat et sa
codemanderesse en ont appelé de cette décision du
CRTC conformément au paragraphe 64(1) de la
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970,
chap. N-17 [mod. par S.R.C. 1970, chap. 10 (2e
Supp.), art. 65 (Item 32)] qui figure sous le titre
Revision et appel, auquel on peut recourir aux fins
d'interprétation. Le gouverneur en conseil a rejeté
la requête des intimées (demanderesses). Sur ce,
les intimées ont contesté la décision du gouverneur
en conseil, alléguant qu'elles n'avaient pas bénéfi-
cié d'une audition conformément aux principes de
justice naturelle. Le juge Marceau a radié la
déclaration parce qu'elle ne révélait aucune cause
raisonnable d'action. En appel, la Cour d'appel
fédérale a infirmé l'ordonnance de la Division de
première instance. La Cour suprême du Canada a
accueilli le pourvoi dont elle a été saisie et a rétabli
l'ordonnance du juge de première instance.
Le juge Estey qui a prononcé le jugement de la
Cour a déclaré qu'aucune plaidoirie ni preuve
additionnelles n'étaient nécessaires pour trancher
le point en litige.
En partant de là, il a déclaré à la page 741:
Par conséquent, je souscris à l'opinion du juge de première
instance selon laquelle il s'agit d'un cas où le tribunal peut à
bon droit trancher pareille question au stade préliminaire de
l'action.
Le principe avancé dans les remarques du juge
Estey citées plus haut est encore plus manifeste
dans l'affaire dont je suis saisi.
Dans une requête en radiation d'une déclaration,
il faut tenir tous les faits qui y sont énoncés pour
avérés. C'est ce qui ressort de la Règle 419(2).
Aucune défense n'a été produite en réponse à la
déclaration. Le procureur des défendeurs aux pré-
sentes a catégoriquement déclaré qu'il acceptait
tous les faits allégués dans la déclaration et il me
semble que les principaux faits ne peuvent être
contredits. Par conséquent, aucune plaidoirie ou
preuve additionnelle n'est nécessaire pour trancher
les points en litige soulevés dans la déclaration.
Ces points en litige sont tous des questions de
droit, c'est-à-dire l'interprétation des dispositions
de la Loi sur la citoyenneté et de la Charte cana-
dienne des droits et libertés dans le contexte des
allégations contenues dans la déclaration.
Je fais face au même problème, quoiqu'il se pose
de façon plus claire, que celui qui s'est présenté à
mon collègue le juge Marceau dont la décision a
été confirmée par la Cour suprême du Canada et
par conséquent, je suivrai la solution qu'il a
adoptée.
J'arrive à la conclusion que les points soulevés
dans la déclaration peuvent être examinés par la
Cour dans une requête en radiation.
Cela m'amène donc au deuxième point du litige
qui consiste à déterminer si ce décret en conseil
particulier est révisable parce que le gouverneur en
conseil a manqué à son obligation d'agir équitable-
ment ou si le gouverneur est tenu par cette
obligation.
Les décrets en conseil sont révisables dans les
mêmes conditions que les lois. Comme ils résultent
principalement de pouvoirs délégués, l'intervention
des tribunaux est justifiée lorsque le gouverneur en
conseil, en prenant un décret en conseil, outrepasse
le pouvoir qui lui a été conféré.
Le demandeur n'allègue pas que le décret en
conseil C.P. 1982-2455 en cause en l'espèce a été
pris sans que le gouverneur ait le pouvoir de le
faire, mais seulement qu'il est nul parce qu'en le
prenant le gouverneur en conseil a manqué à son
obligation d'agir équitablement envers le deman-
deur en n'informant pas celui-ci des allégations
faites contre lui et en ne l'invitant pas à leur
répondre.
Au pouvoir de révision attribué aux tribunaux
afin de déterminer si un décret en conseil est ultra
vires s'ajoute celui de vérifier si le gouverneur en
conseil n'a pas respecté une condition préalable à
l'exercice du pouvoir que la loi confère à ce corps
constitué.
À ce sujet, le juge Estey a dit ce qui suit dans
l'arrêt Inuit Tapirisat (précité) à la page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Il a ajouté plus loin, à la page 752:
... l'essentiel du principe de droit applicable en l'espèce est
simplement que dans l'exercice d'un pouvoir conféré par la loi,
le gouverneur en conseil, comme n'importe quelle autre per-
sonne ou groupe de personnes, doit respecter les limites de la loi
édictée par le Parlement ou la Législature. Y déroger déclen-
chera le rôle de surveillance de la cour supérieure qui a la
responsabilité de faire appliquer la loi, c'est-à-dire de s'assurer
que les actes autorisés par la loi sont accomplis en conformité
avec ses dispositions ou qu'une autorité publique ne se dérobe
pas à une obligation qu'elle lui impose.
Le demandeur prétend que le gouverneur en
conseil n'a pas rempli son obligation de respecter
l'équité dans la procédure, qu'exprime la maxime
audi alteram partem, obligation qui, selon lui,
constitue une condition implicite préalable à
l'exercice du pouvoir conféré au gouverneur en
conseil par le paragraphe 18(1) de la Loi sur la
citoyenneté.
Le juge Estey déclarait ce qui suit sur ce sujet
particulier, toujours dans l'arrêt Inuit Tapirisat, à
la page 755:
Même s'il est exact que l'obligation de respecter l'équité dans
la procédure, qu'exprime la maxime audi alteram partem, n'a
pas à être expresse ... elle n'est pas implicite dans tous les cas.
Il faut toujours considérer l'économie globale de la loi pour voir
dans quelle mesure, le cas échéant, le législateur a voulu que ce
principe s'applique.
Il ressort de la décision rendue dans l'arrêt Inuit
Tapirisat une grande quantité d'éléments dont la
présence permet à la Cour de conclure que le
législateur voulait que le gouverneur en conseil soit
soumis à l'obligation de respecter les règles de
justice naturelle ou l'obligation d'agir équitable-
ment lorsqu'il exerce le pouvoir conféré par la loi,
et l'inverse lorsque ces éléments sont absents.
Après avoir exprimé l'avis qu'il fallait interpré-
ter la loi avec prudence afin de déterminer quelle
était l'intention du législateur, le juge Estey a fait
une analyse détaillée du paragraphe pertinent
qu'on lui avait soumis et a fait référence à de
nombreux éléments utiles pour l'interprétation de
la loi et qu'il convient d'appliquer aux dispositions
légales qui sont examinées en l'espèce.
Les voici:
(1) Tout ce qui sert à restreindre la liberté
d'action du gouverneur en conseil comme, par
exemple, l'imposition de principes, de fond ou de
procédure, concernant l'exercice de ses fonctions
en vertu de la disposition légale (voir page 745).
(2) S'il est interdit au gouverneur en conseil
d'exercer son pouvoir de sa propre initiative, on
ne peut conclure que ce pouvoir est législatif
plutôt qu'administratif ou judiciaire ou quasi
judiciaire. Si ce pouvoir était législatif, l'obliga-
tion d'agir équitablement ou de respecter les
règles de justice naturelle n'existerait pas
comme dans le cas de fonctions de nature admi
nistrative ou judiciaire, et le rôle de surveillance
de la cour se limiterait à établir si les fonctions
ont été remplies dans les limites du pouvoir et du
mandat confiés par le législateur (voir pages 758
et 759).
(3) Lorsqu'il n'existe aucune restriction au droit
du gouverneur en conseil d'avoir recours à son
personnel, aux fonctionnaires du ministère con
cerné et à l'avis de ses collègues du Cabinet sur
des questions d'intérêt public soulevées par le
point en litige, et lorsque le gouverneur en con-
seil agit de son propre mouvement, il s'agit d'un
acte législatif sous la forme la plus pure (voir
pages 753, 754, 755 et 756).
(4) La loi ne restreint pas le pouvoir discrétion-
naire du gouverneur en conseil.
(5) Même s'il est possible que les tribunaux
révisent les décisions du gouverneur en conseil
lorsque les dispositions prévues par la loi n'ont
pas été respectées ou qu'il existe un vice de
compétence auquel il ne peut être remédié, les
décisions rendues par le gouverneur en conseil
sur des questions d'intérêt public et d'ordre
général sont finales et ne peuvent faire l'objet
d'un examen dans une action.
Dans cette optique, il est opportun d'appliquer
ces principes aux dispositions pertinentes de la Loi
sur la citoyenneté.
Ces dispositions sont l'alinéa 5(1)e) et l'article
18.
En vertu du paragraphe 5(1), le Ministre doit
accorder la citoyenneté à toute personne qui,
n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
remplit les conditions énoncées aux alinéas a) à d).
L'alinéa 5(1)e) est une prohibition rédigée
comme suit:
5. (I) ...
e) n'est pas sous le coup d'une ordonnance d'expulsion et
n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil
faite en application de l'article 18.
Étant donné son contexte et les autres disposi
tions, le terme «et» qui suit «ordonnance d'expul-
sion» doit être interprété dans un sens disjonctif.
Voici l'article 18:
18. (I) Nonobstant toute disposition de la présente loi, les
demandes de citoyenneté présentées en vertu de l'article 5 ou
du paragraphe 10(1) et les demandes de certificat de répudia-
tion présentées en vertu de l'article 8 ne doivent pas être
approuvées lorsque le gouverneur en conseil déclare que l'ac-
ceptation de ces demandes porterait atteinte à la sécurité de
l'Etat ou serait contraire à l'ordre public.
(2) Lorsqu'une personne est visée par une déclaration faite
en vertu du paragraphe (1), toute demande faite par cette
personne en vertu des articles 5 ou 8, ou du paragraphe 10(1)
est réputée ne pas être approuvée et tout appel interjeté par
cette personne en vertu du paragraphe 13(5) est réputé être
rejeté.
(3) Une déclaration faite en vertu du paragraphe (I) cesse
d'avoir effet deux ans après la date à laquelle elle a été faite.
(4) Nonobstant toute disposition de la présente loi ou de
toute autre loi du Parlement, une déclaration faite par le
gouverneur en conseil en vertu du paragraphe (1) est péremp-
toire quant à son contenu en ce qui a trait à une demande de
citoyenneté ou à la délivrance d'un certificat de répudiation.
Par conséquent, la citoyenneté ne doit pas être
accordée aux personnes qui la demandent,
... lorsque le gouverneur en conseil déclare que l'acceptation
de ces demandes porterait atteinte à la sécurité de l'Etat ou
serait contraire à l'ordre public.
Une demande de citoyenneté est réputée ne pas
être approuvée et un appel en cours est réputé être
rejeté.
La déclaration a ses effets pendant deux ans.
La déclaration est péremptoire quant à son con-
tenu en ce qui a trait à une demande de
citoyenneté.
Le greffier de la citoyenneté a informé le
demandeur qu'en raison de la déclaration contenue
dans le décret en conseil C.P. 1982-2455, pris
conformément au paragraphe 18(1), sa demande
de citoyenneté est, en vertu du paragraphe 18(2),
réputée ne pas être approuvée et qu'il n'y serait pas
donné suite.
Les termes du paragraphe 18(1) sont péremptoi-
res. La citoyenneté ne devra pas être accordée à la
personne qui la demande lorsque le gouverneur en
conseil déclare que cela porterait atteinte à la
sécurité du Canada ou à l'ordre public. Un point,
c'est tout.
À mon avis, il ressort de l'interprétation des
termes de la loi qu'il n'existe aucune condition
préalable à l'exercice du pouvoir discrétionnaire
que possède le gouverneur en conseil de déclarer
que l'octroi d'un certificat de citoyenneté porterait
atteinte à la sécurité de l'État ou serait contraire à
l'ordre public.
Une condition est une disposition (expresse ou
implicite) qui fait dépendre l'existence d'un droit
(en l'espèce, celui de faire une déclaration) d'un
certain état de choses. Une condition préalable
retarde l'attribution d'un droit jusqu'à ce que quel-
que chose se soit d'abord produit.
En l'espèce, la condition préalable à la déclara-
tion du gouverneur en conseil et que l'on dit exister
de façon implicite est le respect de l'obligation
d'agir équitablement et en particulier, de la règle
audi alteram partem.
Le paragraphe 18(1) implique nécessairement
que le gouverneur en conseil doit d'abord arriver à
la conclusion que la personne représente un danger
pour la sécurité du Canada ou pour l'ordre public.
La déclaration du gouverneur en conseil n'est pas
faite en raison de l'existence préalable de ce fait,
mais plutôt le contraire. Le paragraphe 18(1) de la
Loi vise à faire en sorte que la personne ne porte
pas atteinte à la sécurité ou à l'ordre public avant
que le gouverneur en conseil ne déclare que ce
serait le cas. Ce paragraphe n'envisage pas une
condition qui porte sur un état de fait préalable
mais bien postérieur à la déclaration. S'il s'agissait
d'une condition préalable, le paragraphe aurait été
rédigé dans des termes différents portant que si
une personne porte atteinte à la sécurité de l'État
ou à l'ordre public, le gouverneur en conseil peut
déclarer que cette personne ne doit pas obtenir un
certificat de citoyenneté.
Pour ce motif, l'existence d'une menace pour la
sécurité ou l'ordre public n'est pas une condition
préalable à l'exercice du pouvoir attribué au gou-
verneur en conseil.
Par conséquent, étant donné que l'existence
réelle d'une atteinte à la sécurité ou à l'ordre
public du Canada n'est pas une condition préalable
à la déclaration, il en résulte qu'il n'est pas néces-
saire d'en fournir une preuve péremptoire, et si tel
est bien le cas, le gouverneur en conseil n'est pas
obligé d'inviter la personne à la réfuter.
Par contraste, le Ministre est, en vertu du para-
graphe 5(1), soumis aux conditions préalables à
l'octroi de la citoyenneté qui sont énoncées expres-
sément aux alinéas a) à d) inclusivement. Si ces
conditions préalables ne sont pas réalisées, il doit
refuser la demande. Si elles sont réalisées, le
Ministre doit accorder la citoyenneté.
L'article 18 ne contient pas de telles conditions.
Je n'oublie pas qu'une ordonnance d'expulsion
rendue en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52, ou qu'une déclara-
tion du gouverneur en conseil faite en vertu du
paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté sont
comprises dans l'alinéa 5(1)e) et constituent une
fin de non-recevoir à l'octroi de la citoyenneté.
Si on en revient aux cinq principes directeurs
tirés plus haut des remarques du juge Estey dans
l'arrêt Inuit Tapirisat, on constate que la Loi sur
la citoyenneté n'impose aucun principe, de fond ou
de procédure, concernant l'exercice du pouvoir
attribué au gouverneur en conseil par le paragra-
phe 18(1) de la Loi, que rien dans cet article ou
dans tout autre article de la Loi n'empêche le
gouverneur en conseil d'exercer le pouvoir qui lui
est accordé ni d'obtenir ou de demander des rensei-
gnements et des conseils de toutes sources qu'il
peut vouloir consulter, et qu'il n'existe aucune
restriction à l'exercice du pouvoir déclaratoire dont
il est investi.
Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire du
gouverneur en conseil n'est limité ni par le libellé
de la loi ni par implication nécessaire.
D'autres considérations s'ajoutant à celles qui
précèdent sont applicables en l'espèce, la première
étant qu'en ce qui concerne la manière dont le
pouvoir déclaratoire doit être exercé, il faut tenir
compte de la véritable nature de l'organe auquel
est attribué ce pouvoir. Les dirigeants de l'exécutif
(et dans certains cas, du législatif) sont chargés de
questions de politique générale et d'opportunité
administrative. Bien qu'il soit possible que le Par-
lement impose certaines limites pour des questions
de ce genre, il ne le fait habituellement pas, et à
mon avis, le Parlement n'a pas cru approprié de
restreindre l'action du gouverneur en conseil en
prévoyant des procédures et autres contraintes du
genre. Dans le cas qui nous intéresse, le gouver-
neur en conseil peut agir de son propre mouvement
et il l'a fait en l'espèce.
La deuxième considération découle des remar-
ques sur la sécurité nationale qu'a faites le Maître
des rôles, lord Denning, dans Regina v. Secretary
of State for Home Affairs, Ex parte Hosenball,
[1977] 1 W.L.R. 766 (Eng. C.A.). Il ressort très
clairement des termes du paragraphe 18(1) qu'il
s'agit d'un cas de sécurité nationale. Le gouver-
neur en conseil peut déclarer qu'accepter d'accor-
der la citoyenneté à une personne en particulier
«porterait atteinte à la sécurité de l'État ou serait
contraire à l'ordre public».
Lord Denning a déclaré au sujet du cas dont il
était saisi, à la page 778:
[TRADUCTION] Toutefois, il ne s'agit pas d'un cas ordinaire.
C'est un cas qui concerne la sécurité nationale et notre histoire
montre que, lorsque l'État lui-même est menacé, il se peut que
nos libertés les plus chères doivent être reléguées au second
plan. Même les règles de justice naturelle peuvent en être
affectées. Siècle après siècle, le Parlement en a ainsi ordonné et
les tribunaux ont fidèlement respecté ses décisions.
Il a ajouté plus loin à la page 782:
[TRADUCTION] L'intérêt public à la sûreté du Royaume est si
grand que les sources des renseignements ne doivent pas être
révélées, ni leur nature, s'il en résulte le moindre risque de faire
découvrir ces sources.
et,
[TRADUCTION] Si grand que soit l'intérêt public à sauvegarder
la liberté de l'individu et à lui rendre justice, il doit céder le pas
à la sécurité du pays lui-même.
et il a terminé par ces mots:
[TRADUCTION] Lorsque l'intérêt public requiert que des rensei-
gnements soient tenus confidentiels, cette exigence peut primer
même l'intérêt public dans l'administration de la justice.
Ayant répondu à la première question que je
m'étais posée que le principal point en litige
devrait être tranché à ce moment-ci par le moyen
proposé et pour les motifs exposés, et estimant
qu'on ne peut conclure qu'il découle du paragraphe
18(1) de la Loi sur la citoyenneté, soit par inter-
prétation de ses termes, soit comme conséquence
logique, qu'il impose le respect des règles de
l'équité, j'arrive maintenant à la troisième
question.
Lorsque j'ai conclu que le paragraphe 18(1) ne
comportait pas l'obligation d'agir équitablement,
je n'ai cependant pas oublié de tenir compte de la
décision de la division d'appel dans Lazarov c. Le
Secrétaire d'État du Canada, [1973] C.F. 927; 39
D.L.R. (3d) 738 (C.A.).
La disposition légale qui faisait l'objet d'un
examen dans cette cause, le paragraphe 10(1) de
la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970,
chap. C-19, est nettement différente de la disposi
tion en cause en l'espèce, le paragraphe 18(1) de la
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108.
Le paragraphe 10(1) de l'ancienne Loi, abrogée'
par la Loi actuelle, conférait expressément au
Ministre un pouvoir discrétionnaire qui, d'après le
jugement, lui permettait non seulement d'établir
une politique administrative mais qui était égale-
ment de nature administrative et devait être exercé
selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire;
cela diffère radicalement du texte et de l'objet du
paragraphe 18(1) de la Loi actuelle selon lequel la
déclaration doit être prononcée en fonction de la
politique établie et de l'opportunité administrative.
Le texte du paragraphe 10(1) de l'ancienne Loi,
«Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un
certificat de citoyenneté» a été remplacé dans le
paragraphe 5(1) de la présente Loi par les termes
«Le Ministre doit accorder la citoyenneté».
Cette troisième question à laquelle j'ai fait allu
sion avant d'intercaler les remarques sur l'arrêt
Lazarov, consiste à déterminer si le paragraphe
18(1) est sans effet parce que contraire aux arti
cles 2, 7 et 12 de la Charte canadienne des droits
et libertés.
L'article 2 dit:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
Ces libertés sont qualifiées, dans le titre, de
Libertés fondamentales et diffèrent seulement
dans leur formulation des libertés fondamentales
dont l'existence avait été reconnue par l'article 1
de la Déclaration canadienne des droits, S.C.
1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III]. Par
conséquent, aucun changement miraculeux n'a été
apporté à ces libertés, dont les personnes ont tou-
jours bénéficié au Canada, en les inscrivant par
écrit dans une loi ou dans une constitution.
L'article 7 dit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Cet article est rangé sous le titre Garanties
juridiques et la note marginale qui l'accompagne
dit «Vie, liberté et sécurité».
Le texte de l'article 7 se retrouve à l'alinéa 1 a)
de la Déclaration canadienne des droits sauf que
dans cette dernière, la privation de ces droits ne
peut être faite que «par l'application régulière de la
loi», et que cette expression a été remplacée par la
suivante, «en conformité avec les principes de jus
tice fondamentale».
L'article 12 dit:
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou
peines cruels et inusités.
Cet article tire également sa source de la Décla-
ration canadienne des droits, où l'article 2, alinéa
b), porte que nulle loi du Canada ne doit s'appli-
quer comme:
2....
b) infligeant des peines ou traitements cruels ou inusités, ou
comme en autorisant l'imposition;
Ce sont ces dispositions qui, a-t-on allégué, ren-
dent inopérant le paragraphe 18(1) de la Loi sur
la citoyenneté.
Toutefois, en vertu de l'article 1 de la Charte
canadienne des droits et libertés, les droits et
libertés qui y sont énumérés ne peuvent être res-
treints «que par une règle de droit, dans des limites
qui soient raisonnables et dont la justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique».
Dans la déclaration que les défendeurs cher-
chent à faire radier par voie de requête, le deman-
deur sollicite un jugement déclaratoire portant que
la déclaration du gouverneur en conseil, C.P.
1982-2455, est nulle et non avenue.
Le décret en conseil porte que [TRADUCTION]
«cela porterait atteinte à la sécurité de l'État et
qu'il serait contraire à l'ordre public d'accorder la
citoyenneté» au demandeur.
Cette déclaration n'affecte pas et ne diminue
pas le droit du demandeur de demeurer au Canada
en qualité de résident permanent.
Il en résulte que les libertés fondamentales énon-
cées dans l'article 2 de la Charte canadienne des
droits et libertés ne sont, elles non plus, ni affec-
tées ni diminuées et que rien n'empêche le deman-
deur de jouir de ces libertés au Canada.
De même, à mon avis, les droits du demandeur
«à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa per-
sonne» au Canada ne sont pas touchés et il peut en
bénéficier en sa qualité de résident permanent
comme les autres étrangers ayant le statut de
résidents.
Le procureur du demandeur allègue que le refus
de la citoyenneté auquel équivaut le décret en
conseil (mais seulement pour une période de deux
ans et il ne s'agit pas d'un refus absolu) vient
restreindre le droit à la protection qui appartient à
un citoyen.
La citoyenneté est un statut acquis par la nais-
sance. Un sujet de naissance doit allégeance à son
souverain à partir de sa naissance, en échange de
quoi il a droit à sa protection.
En common law, le sujet de naissance ne pouvait
en aucun temps se libérer de cette allégeance.
Des lois récentes ont donné la possibilité de se
libérer de cette obligation.
Des lois récentes comme la Loi sur la citoyen-
neté et les lois qui l'ont précédée, et parmi celles-ci,
la Loi de naturalisation, S.R.C. 1927, chap. 138
[abrogée par S.C. 1946, chap. 15, art. 45], pré-
voient également qu'un étranger peut obtenir la
citoyenneté sur l'ordre de l'État auquel il la
demande, aux conditions que l'État juge bon
d'imposer.
Une fois qu'elle lui est accordée, le citoyen est
toutefois soumis aux mêmes obligations que le
citoyen de naissance et reçoit la même protection
que ce dernier.
Le procureur du demandeur a soutenu que la
protection qui était refusée à son client était celle
qu'assure un passeport canadien, pour l'obtention
duquel la citoyenneté canadienne est requise.
Je ne vois pas pourquoi la loi ne pourrait pas
imposer les conditions auxquelles la citoyenneté
sera accordée à des étrangers. Cela découle logi-
quement du fait que le privilège d'accorder ou de
refuser la citoyenneté appartient à l'État et que
cela constitue par conséquent une limite raisonna-
ble justifiable dans le cadre d'une société libre et
démocratique tel que le prévoit l'article 1 de la
Charte canadienne des droits et libertés.
De plus, je ne comprends pas comment on peut
affirmer que la déclaration du gouverneur en con-
seil, qui empêche l'octroi de la citoyenneté, prive le
demandeur de son droit à la sécurité de sa per-
sonne. Il n'est certainement pas privé de ce droit à
l'intérieur même du Canada. S'il perd ce droit à
l'extérieur des frontières du Canada où la juridic-
tion canadienne ne s'applique pas, c'est en raison
de l'intervention de forces sur lesquelles le Canada
n'exerce ni juridiction ni contrôle.
Pour ces motifs, la déclaration du gouverneur en
conseil ne prive le demandeur d'aucun des droits
prévus à l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés.
L'autre article de la Charte canadienne des
droits et libertés avec lequel, selon ce qu'a allégué
le demandeur, la déclaration du gouverneur en
conseil est incompatible est l'article 12; l'allégation
du demandeur porte qu'il a été soumis à des
«traitements ou peines cruels et inusités».
Le demandeur n'a pas été soumis à une «peine»
infligée par une décision qui la prévoyait expressé-
ment. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
Le demandeur a été tout au plus soumis à un
«traitement» et on peut se demander si ce traite-
ment était «cruel et inusité».
Dans In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152; 68
C.C.C. (2d) 438 (1" inst.), mon collègue le juge
Mahoney devait examiner si dans l'expression
«traitements cruels et inusités», les termes «cruels»
et «inusités» doivent être interprétés de façon dis-
jonctive ou de façon conjonctive ou si l'on doit
plutôt considérer qu'il s'agit de termes qui ne sont
pas tout à fait conjonctifs mais qui se complètent
et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être
considérés comme la formulation concise d'une
norme.
Il a adopté la troisième façon d'envisager la
question.
L'affaire dont avait été saisi le juge Mahoney
était une ordonnance d'expulsion.
Il a affirmé que c'est au concept de l'exécution
des ordonnances d'expulsion en général et non à
leur exécution dans un cas particulier que doit être
appliquée la norme du traitement cruel et inusité.
Il a terminé ainsi [à la page 161 des Recueils
des arrêts de la Cour fédérale]:
Peu importe les conséquences de l'expulsion, celles-ci ne sau-
raient constituer un traitement cruel et inusité à l'égard d'une
personne d'âge adulte.
En qualité de norme, l'exécution d'une ordonnance d'expul-
sion ne peut, dans l'abstrait, constituer un traitement cruel et
inusité.
Si l'exécution d'une ordonnance d'expulsion ne
constitue pas un traitement cruel et inusité, a
fortiori je n'arrive pas à comprendre comment la
déclaration en cause en l'espèce qui laisse au
demandeur la liberté de vivre au Canada et d'y
profiter de la vie, peut constituer un traitement
cruel et inusité au sens de l'article 12.
De plus, comme je l'ai souligné au début du
présent examen, les droits et libertés garantis par
la Charte canadienne des droits et libertés peu-
vent, en vertu de l'article 1, être restreints par une
règle de droit, dans des limites qui soient raisonna-
bles et dont la justification puisse se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Je tiens compte des remarques faites par le juge
Mahoney dans l'arrêt Gittens à la page 158
[Recueils des arrêts de la Cour fédérale]:
Le caractère raisonnable du droit pour un État libre et démo-
cratique d'expulser des criminels étrangers apparaît évident et
sa justification peut, par conséquent, se démontrer.
Je tiens compte également des remarques de
lord Denning dans Regina v. Home Secretary
(précité) que j'ai citées dans un autre contexte au
sujet de l'importance suprême de la sécurité du
Royaume.
Dans cette optique, le caractère raisonnable du
droit pour un État libre et démocratique de décla-
rer par l'intermédiaire de son plus important délé-
gataire que le fait d'accorder la citoyenneté à une
personne en particulier porterait atteinte à la sécu-
rité du Canada et serait contraire à l'ordre public,
apparaît également évident et sa justification peut,
par conséquent, se démontrer.
Pour ces motifs, la déclaration est radiée et
l'action rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.