A-1094-82
Sunita Devi Ahir (appelante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Mahoney—
Vancouver, 28 septembre et 4 octobre 1983.
Immigration — Appel d'une décision de la Commission
d'appel de l'immigration qui déclare que l'appelante fait partie
de la catégorie de personnes non admissibles visée à l'art.
19(1)a)(ii) et qui ordonne son renvoi — Visiteuse indienne
rejetée au point d'entrée à cause des avis de médecins selon
lesquels son admission entraînerait un fardeau excessif pour
les services sociaux ou de santé L'art. 19(1)a) prévoit qu'au
moins deux médecins doivent confirmer que l'admission de la
requérante entraînerait ou «pourrait vraisemblablement
entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de
santé» — Appel accueilli — La Commission a commis une
erreur en traitant comme concluantes les opinions des méde-
cins qui n'ont pas tenu compte des circonstances de chaque cas
— Aucune aide n'a été demandée et aucun élément de preuve à
cet effet — Il est nécessaire d'établir une distinction entre les
critères utilisés pour évaluer un immigrant éventuel et ceux
applicables à un visiteur — Les critères d'admissibilité doivent
avoir un rapport avec le but et la durée de l'admission —
L'arbitre a le pouvoir d'examiner si, comme les médecins l'ont
conclu, la possibilité que l'admission entraîne un fardeau
excessif est vraisemblable ou non, compte tenu des circons-
tances de chaque cas — L'agent des visas en Inde n'a pas agi
correctement lorsqu'il a informé la requérante qu'elle ne pou-
vait se rendre au Canada sans avoir obtenu l'autorisation
préalable, étant donné que l'Inde était un pays visé à l'annexe
Il du Règlement et que ses citoyens pouvaient donc demander
à un agent canadien d'immigration, à un point d'entrée, l'auto-
risation de séjourner au Canada à titre de visiteur — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)a)(ii)
— Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art.
22e).
AVOCATS:
J. R. Aldridge pour l'appelante.
A. Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom, McCrea & Aldridge, Vancou-
ver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Comme il a été indiqué à la
fin de l'audition, nous sommes tous d'avis que cet
appel devrait être accueilli. L'appelante est une
citoyenne de l'Inde qui a sollicité une autorisation
de séjour au Canada pour rendre visite à son père.
Elle a dû se soumettre à une visite médicale après
son arrivée à un point d'entrée au Canada. Un
rapport établi par la suite indiquait que, de l'avis
d'un médecin, confirmé par un autre médecin,
[TRADUCTION] «... l'admission de l'appelante au
Canada entraînerait ou pourrait entraîner un far-
deau excessif pour les services sociaux ou de santé
(19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration de 1976)».
Au cours de l'enquête spéciale tenue au sujet de
cet avis, il a été allégué que l'appelante faisait
partie de la catégorie de personnes non admissibles
visée au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'im-
migration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]'.
Lorsque l'enquête a pris fin le 9 novembre 1981,
l'arbitre a décidé que l'appelante faisait partie de
cette catégorie de personnes et, en conséquence, a
délivré une ordonnance d'exclusion contre elle.
Toutefois, l'enquête a été rouverte. D'autres élé-
ments de preuve documentaires ont été présentés
et d'autres arguments ont été apportés par l'agent
chargé de présenter le cas et l'avocat de l'appe-
lante, aux auditions tenues par l'arbitre qui, dans
sa décision du 22 décembre 1981, a réformé sa
décision antérieure et a admis l'appelante au
Canada à titre de visiteuse pour une période de
deux mois, à la condition qu'elle ne fréquente
aucune école et qu'elle n'exerce aucun emploi au
Canada. L'intimé aux présentes a interjeté appel
de cette décision arbitrale à la Commission d'appel
de l'immigration. La Commission a annulé la déci-
sion arbitrale du 22 décembre 1981 et a déclaré
' Alinéa 19(1)a):
19. (1) Ne sont pas admissibles
a) les personnes souffrant d'une maladie, d'un trouble,
d'une invalidité ou autre incapacité pour raison de santé,
dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles
qu'un médecin, dont l'avis est confirmé par au moins un
autre médecin, conclut,
(i) qu'elles constituent ou pourraient constituer un
danger pour la santé ou la sécurité publiques, ou
(ii) que leur admission entraînerait ou pourrait vraisem-
blablement entraîner un fardeau excessif pour les servi
ces sociaux ou de santé;
que l'appelante faisait partie de la catégorie de
personnes non admissibles visée au sous-alinéa
19(1)a)(ii) de la Loi et a ordonné son renvoi du
Canada. Le présent appel porte sur cette décision
de la Commission.
À mon avis, la Commission a commis une erreur
en semblant accorder une valeur concluante aux
avis des deux médecins visés à l'alinéa 19(1)a)
précité. Je voudrais tout d'abord faire remarquer
qu'aux termes de cet alinéa, les médecins doivent
certifier que l'admission de la requérante entraîne-
rait ou «pourrait vraisemblablement entraîner un
fardeau excessif pour les services sociaux ou de
santé». (C'est moi qui souligne.) L'alinéa 22e) du
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-
172 est également pertinent:
22. Afin de pouvoir déterminer si une personne constitue ou
est susceptible de constituer un danger pour la santé ou la
sécurité publiques ou si l'admission d'une personne entraînerait
ou pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services
sociaux ou de santé, un médecin doit tenir compte des facteurs
suivants, en fonction de la nature, de la gravité ou de la durée
probable de la maladie, du trouble, de l'invalidité ou de toute
autre incapacité pour raison de santé dont souffre la personne
en question, à savoir:
e) si la prestation de services sociaux ou de santé dont cette
personne peut avoir besoin au Canada est limitée au point
(i) qu'il y a tout lieu de croire que l'utilisation de ces
services par cette personne pourrait empêcher ou retarder
la prestation des services en question aux citoyens cana-
diens ou aux résidents permanents, ou
(ii) qu'il est possible qu'on ne puisse offrir ces services ou
que ceux-ci ne soient pas accessibles à la personne visée;
Lorsque cette disposition du Règlement est lue
de concert avec le sous-alinéa 19(1)a)(ii) précité
de la Loi, il semble évident que l'avis des médecins
doit tenir compte des circonstances particulières de
chaque cas. Il semble également évident que les
médecins n'ont pas tenu compte des circonstances
particulières au cas présent puisque, dans une
lettre envoyée au centre d'immigration Canada et
datée du 16 décembre 1981, le D r Purser, le méde-
cin qui a donné l'avis sur lequel s'est fondée la
Commission, a écrit: [TRADUCTION] «Le libellé de
la Loi sur l'immigration ne fait pas de distinction
entre les visiteurs et les immigrants ou tout autre
groupe et les visites médicales et les examens sont
faits, dans la plupart des cas, sans tenir compte du
statut futur de l'intéressé.» (Dossier d'appel,
volume 1, page 45). On trouve une autre explica
tion de l'avis des deux médecins à la page 44 du
volume 1 du Dossier d'appel où ceux-ci déclarent:
[TRADUCTION] «La requérante, à cause de son
état de santé, devra recevoir une formation spé-
ciale et une aide professionnelle. L'accessibilité à
ces services est déjà limitée. Même avec cette aide,
il est très probable qu'elle ne pourra pas être
formée en vue d'être autonome et aura besoin de
l'appui continu de sa famille ou des services
sociaux. Par conséquent, elle entraînera un far-
deau excessif pour les services sociaux.»
Comme l'a souligné l'arbitre, les éléments de
preuve qui lui ont été présentés indiquaient qu'au-
cune aide n'avait été demandée ni ne le serait au
cours du séjour de la requérante au Canada. En
conséquence, je suis d'accord avec l'arbitre que les
critères appropriés pour évaluer un immigrant
éventuel en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) ne
correspondent pas nécessairement aux critères
applicables à un visiteur éventuel qui désire séjour-
ner au Canada pendant quelques mois. Je souscris
à l'opinion de l'arbitre selon laquelle: [TRADUC-
TION] «Les critères d'admissibilité doivent être
appropriés au but et à la durée de l'admission.»
Après avoir conclu que les opinions des médecins
n'étaient pas, dans le cas présent, fondées sur les
critères appropriés, l'arbitre avait-elle le pouvoir
de remettre en question la validité de ces opinions?
À mon avis, l'arbitre a ce pouvoir lorsqu'il mène
une enquête dont le but est de déterminer si la
personne concernée fait ou non partie de la catégo-
rie de personnes non admissibles visée au sous-ali-
néa 19(1)a)(ii). Ce sous-alinéa exige que l'arbitre
détermine, notamment, la vraisemblance de la con
clusion des médecins selon laquelle le sujet entraî-
nera un fardeau excessif pour les services sociaux
ou de santé. Puisque, en l'espèce, les médecins se
sont fondés sur des données erronées et ont utilisé
les mauvais critères, l'arbitre avait certainement le
pouvoir de conclure comme elle l'a fait, que leurs
prévisions dans ce cas n'étaient pas vraisemblables.
La Commission, en décidant que l'arbitre n'avait
pas le droit de remettre en question l'opinion des
médecins, a indiqué qu'à son avis, permettre à un
arbitre d'en décider, comme le présent arbitre l'a
fait, créerait une situation inacceptable car les
arbitres et la Commission auraient alors le pouvoir
de trancher entre des preuves médicales contradic-
toires.
Je ne puis souscrire à cette interprétation de la
Loi. La Loi définit clairement le «médecin» comme
«un médecin agréé ou reconnu par ordre du minis-
tre de la Santé nationale et du Bien-être social,
pour exercer les pouvoirs que la présente loi con-
fère aux médecins». Cette définition exclut donc
les avis des médecins qui ne sont pas nommés en
vertu de la Loi. J'estime que l'alinéa 19(1)a) éta-
blit les pouvoirs de deux médecins tels que définis
par la Loi. Toutefois, je crois que ce pouvoir doit
être exercé de façon raisonnable. Etant donné
l'économie de la Loi, l'arbitre d'abord et la Com
mission ensuite, quand il y a appel, doivent décider
si, comme les médecins l'ont conclu, la possibilité
que l'admission entraîne un fardeau excessif est
«vraisemblable» ou non, compte tenu des circons-
tances de chaque cas particulier.
En l'espèce, la Commission a interprété le sous-
alinéa 19(1)a)(ii) comme s'il ne contenait pas le
terme «vraisemblablement». Ainsi, je crois que la
Commission a commis une erreur de droit qui est
suffisante pour entacher sa décision de nullité.
L'avocat de l'appelante a soulevé un motif d'ap-
pel supplémentaire dans son mémoire sur lequel il
s'est fondé lors de l'audition de l'appel. Bien que
l'avocat de l'intimé ait contesté ce moyen dans son
mémoire, il n'a présenté aucun argument à son
sujet pendant l'audition.
L'appelante soutenait que la Commission avait
commis une erreur en disant qu'à son avis, l'agent
des visas en Inde avait agi correctement et dans le
cadre des pouvoirs qui lui étaient conférés lorsque,
dans une lettre envoyée à la requérante l'avisant
que sa demande de résidence permanente avait été
refusée pour des raisons médicales, il avait en
outre informé la requérante qu'elle ne pouvait se
rendre au Canada sans avoir obtenu son autorisa-
tion préalable. À mon avis, cet argument est bien
fondé. À l'époque pertinente, l'Inde était un pays
visé à l'annexe II des Règlements; ses citoyens
pouvaient donc demander à un agent canadien
d'immigration, à un point d'entrée, l'autorisation
de séjourner au Canada à titre de visiteurs. La
compétence de l'agent des visas en Inde se limitait
à la demande de résidence permanente de l'appe-
Tante. L'avocat de l'appelante a déclaré que cette
erreur de droit commise par la Commission suffi-
sait pour annuler l'ordonnance de la Commission.
Puisque j'ai conclu précédemment que la décision
de la Commission devait être annulée car celle-ci
n'avait pas interprété ni appliqué correctement les
dispositions du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi, il
n'est pas nécessaire de décider si cette erreur
supplémentaire suffirait pour annuler l'ordonnance
de la Commission. Puisque la question a été soule-
vée, je crois qu'il convient toutefois de dire qu'à
notre avis, l'agent des visas en Inde a commis une
erreur en prétendant refuser à la requérante l'ad-
mission au Canada à titre de visiteuse.
Dans son mémoire, l'avocat de l'appelante a
également soutenu que la Commission avait
commis une erreur en décidant que l'article 73 de
la Loi sur l'immigration de 1976 n'était pas con-
traire à la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III]. L'avocat de l'intimé
a lié la contestation avec l'appelante à l'égard de
ce motif d'appel. A l'audition de l'appel, la Cour a
indiqué aux avocats que l'appel serait accueilli en
raison de l'erreur commise par la Commission sur
l'interprétation et l'application du sous-alinéa
19(1)a)(ii), et qu'il n'était donc pas utile d'enten-
dre les arguments concernant la Déclaration cana-
dienne des droits.
Par tous les motifs susmentionnés, j'estime qu'il
y a lieu d'accueillir l'appel et d'annuler la décision
et l'ordonnance rendues par la Commission d'appel
de l'immigration le 22 septembre 1982 et modi
fiées le 28 septembre 1982. Je rétablirais la déci-
sion de l'arbitre L. Leckie, en date du 22 décembre
1981 qui, en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi,
accordait à l'appelante l'admission au Canada à
titre de visiteuse pour une période de deux mois
(jusqu'au 22 février 1982) la condition qu'elle ne
fréquente aucune école et qu'elle n'exerce aucun
emploi au Canada.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.