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A-102-82
Yuen Tse (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juge Urie, juges suppléants Lalande et McQuaid—Toronto, ler novembre 1982; Ottawa, 7 janvier 1983.
Immigration Appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration rejetant la demande de l'appelant en vue de parrainer l'établissement de jeunes enfants issus d'un mariage polygame pour le motif qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie de la famille que prévoit l'art. 2 de la Loi sur l'immigration de 1976 On prétend que les enfants ne peuvent pas être parrainés en vertu des art. 2 et 4 du Règle- ment sur l'immigration de 1978 parce qu'ils ne seraient pas reconnus comme légitimes si leur père avait été domicilié dans une province du Canada à la date de leur naissance La preuve révèle que le mariage était valide à Hong Kong il a été contracté et que la légitimité des enfants est reconnue en vertu du droit de Hong Kong et en vertu de la common law Appel accueilli L'Ontario, province la demande de parrainage a été faite, est le domicile présumé du père L'état d'enfant légitime est défini en conformité avec la Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance qui a aboli le concept d'illégitimité Interprétation du Règlement en vue de facili- ter la réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs proches parents de l'étranger La Commission a commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération la Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance Discussion par le juge Urie de la validité des mariages polygames et de la légitimité des enfants issus de ces mariages à la lumière de la décision de la C.A. d'Angleterre dans l'arrêt Baindail (other- wise Lawson) v. Baindail approuvé par la C.S.C.-B. dans l'arrêt Sara L'expression «une» province à l'art. 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 signifie 'm'importe quelle» province La législation de la province inclut les règles en matière de conflits de loi, notamment la règle de common law selon laquelle la validité du mariage dépend du domicile du mari à l'époque du mariage Il a été démontré que le droit de la C.-B. («une. province) considère comme légitimes les enfants d'un mariage valide L'appelant peut être présumé avoir été domicilié en C.-B. aux fins du Règle- ment Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2, 3c) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1)a), 4b) Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance, R.S.O. 1980, chap. 68, art. 1.
Conflit de lois Un mariage polygame contracté dans un pays il est autorisé, lorsque les parties y ont leur domicile, est-il reconnu par les tribunaux canadiens? Mention de l'arrêt Baindail (otherwise Lawson) v. Baindail, [19461 P. 122 (C.A.) dans lequel lord Greene, M.R., en soulignant que le statut dépend du droit du domicile a conclu que le mariage hindou était valide et interdisait tout autre mariage ultérieur en Angleterre L'arrêt Baindail a été approuvé dans des affaires de l'Ontario et de la C.-B. Le mariage polygame en cause est considéré valide en Ontario Les enfants issus de ce
mariage sont-ils considérés comme légitimes? Le statut en matière de légitimité est régi par le droit applicable au domi cile du père La législation de la province inclut les règles en matière de conflit de lois L'appelant était domicilié â Hong Kong à l'époque du mariage Les enfants sont considérés comme légitimes en C.-B. Selon les définitions de «fils» et «fille» à l'art. 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 pour ce qui concerne la détermination de la légitimité de ses enfants, l'appelant est réputé avoir été domicilié dans une province du Canada Ce qui signifie n'importe quelle province La Commission d'appel de l'immigration a omis de prendre en considération les incidences de la Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance, la loi applicable pour établir l'état d'enfant légitime aux fins de la Loi sur l'immigration de 1976 Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance, R.S.O. 1980, chap. 68, art. 1 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2.
L'appelant qui est actuellement domicilié en Ontario a épousé deux femmes alors qu'il était à Hong Kong. Les enfants de ces deux mariages ont été reconnus comme légitimes en vertu du droit applicable à Hong Kong et également en vertu de la common law puisque l'état d'enfant légitime est régi par le droit applicable au domicile du père. L'appelant, qui est citoyen canadien, a demandé en 1979 l'autorisation de parrainer la demande de droit d'établissement des trois jeunes enfants issus du second mariage et nés à Hong Kong. La Commission d'appel de l'immigration a rejeté la demande au motif que les enfants n'appartenaient pas à la catégorie de la famille. La définition de personnes appartenant à la catégorie de la famille au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 vise les personnes à qui les règlements reconnaissent le droit de faire parrainer la demande de droit d'établissement par un citoyen canadien. L'alinéa 4b) du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoit qu'un citoyen canadien peut parrainer ses jeunes fils ou filles non mariés. «Fils», selon l'alinéa 2(1)a) du Règle- ment, désigne un enfant issu d'un mariage qui serait considéré comme légitime si son père avait été domicilié dans une pro vince du Canada à sa naissance. L'intimé soutient que les enfants d'un mariage polygame n'auraient pas été reconnus comme légitimes en Ontario si leur père y avait été domicilié à la date de leur naissance. L'état d'enfant légitime est au cour de la question. Il s'agit d'une question de ressort provincial dont la solution dépend, par conséquent, de la détermination de la province du domicile du père à la date de la naissance des enfants puisque le père n'a pas, de fait, résidé au Canada avant 1971.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Le juge suppléant McQuaid (avec l'appui du juge Urie et du juge suppléant Lalande): Le Règlement ne dit pas dans quelle province du Canada un père est présumé avoir été domicilié quand, en fait, il n'était pas domicilié au Canada à l'époque de la naissance des enfants. Il paraît logique que la province présumée du domicile soit celle dans laquelle le père était en fait domicilié au moment il a demandé à parrainer l'entrée des enfants au Canada, en l'occurrence l'Ontario. De plus, il faut tenir compte du fait que le Règlement doit être interprété comme reconnaissant la nécessité de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs proches parents de l'étranger. Par conséquent, il incombait à la Commission d'ap- pel de l'immigration d'appliquer à la question de la légitimité le
droit en vigueur dans la province de l'Ontario à la date de la demande de parrainage, en l'occurrence la Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance qui, à toutes fins pratiques, a éliminé le concept d'illégitimité. La Commission a apparem- ment omis de prendre en considération cette loi et a donc commis une erreur.
Le juge Urie: Une des questions fondamentales est de savoir si le mariage polygame de l'appelant aurait été considéré valide au Canada. Il semble que la réponse à cette question soit affirmative compte tenu de l'arrêt Baindail (otherwise Lawson) v. Baindail de la Cour d'appel d'Angleterre qui a décidé qu'un mariage hindou valide en Inde qui n'a pas été dissous interdisait tout autre mariage ultérieur en Angleterre. Ce jugement a été cité et approuvé par la Cour suprême de la Colombie-Britanni- que dans l'arrêt Sara v. Sara et la Haute Cour de l'Ontario dans l'affaire Re Hassan and Hassan. Il faut ensuite détermi- ner si les enfants auraient été considérés comme légitimes selon le droit canadien à la date de leur naissance. Dans l'affaire Re Immigration Act and Bains, la Cour suprême de la Colombie- Britannique a conclu à la légitimité des jeunes enfants non mariés du requérant, nés d'une épouse secondaire, parce que le requérant n'avait pas perdu son domicile d'origine, l'Inde, le mariage avec l'épouse secondaire était considéré valide, à toutes fins utiles, y compris la légitimité des enfants issus du mariage. Cette décision représente l'état du droit au Canada. Selon les définitions de «fils» et «fille» à l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978, l'appelant est réputé avoir été domicilié dans une province, ce qui signifie n'importe quelle province du Canada à la date de la naissance de ses enfants. La législation d'une province inclut les règles en matière de conflit de lois qui comprennent la règle de common law selon laquelle la validité d'un mariage dépend du droit applicable au domicile du mari à l'époque du mariage. Le domicile de l'appelant, à l'époque de son mariage polygame, se trouvait à Hong Kong son mariage était reconnu valide et les enfants étaient considérés comme légitimes. Par l'application des règles relatives aux conflits de lois, dans au moins une province (la Colombie-Bri- tannique) les enfants d'un mariage valide sont considérés, en droit, comme légitimes. L'appelant peut être présumé avoir été domicilié en Colombie-Britannique (une province du Canada) aux fins de l'article 2 du Règlement et, par conséquent, les enfants en cause possèdent l'état d'enfants légitimes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Baindail (otherwise Lawson) v. Baindail, [1946] P. 122 (C.A.); Her Majesty the Queen et al. v. Leong Ba Chai, [ 1954] R.C.S. 10; Re Immigration Act and Bains (1954), 109 C.C.C. 315 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Sara v. Sara (1962), 31 D.L.R. (2d) 566 (C.S.C.-B.); Re Hassan and Hassan (1976), 12 O.R. (2d) 432 (H.C.).
AVOCATS:
M. M. Green, c.r., pour l'appelant. M. Thomas pour l'intimé.
PROCUREURS:
Green & Spiegel, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'occasion de lire les motifs du jugement de M. le juge McQuaid et je souscris pour l'essentiel à son analyse et à la décision qu'il propose pour cet appel. Je souhaite toutefois ajouter quelques remarques personnelles qu'a suscitées une approche assez différente du problème.
Une des questions fondamentales, à mon sens, est de savoir si des mariages polygames contractés dans des pays ils sont autorisés, lorsque les parties y ont leur domicile, seraient ou non recon- nus par les tribunaux de notre pays. II semble que la réponse à cette question soit affirmative. La première expression positive de cette opinion appa- raît dans l'arrêt Baindail (otherwise Lawson) v. Baindail' de la Cour d'appel d'Angleterre. Les faits dans cette affaire étaient les suivants: l'in- timé, le mari, alors domicilié en Inde avait épousé une femme hindoue selon les rites hindous; ce mariage subsistait encore lorsqu'il se maria de nouveau en Angleterre avec une Anglaise. Cette dernière demanda l'annulation de son mariage dès qu'elle eut connaissance du mariage hindou anté- rieur. On soutint que ce mariage était nul, parce que les tribunaux anglais ne pouvaient pas tenir compte du mariage hindou et qu'en conséquence, à la date du mariage anglais, le «marin n'était pas marié et n'était donc pas empêché, par une union préexistante, d'épouser la requérante. Aux pages 127 et 128 du recueil, lord Greene, Maître des rôles, disait ceci:
[TRADUCTION] À mon avis, on ne peut contester la proposition selon laquelle, en règle générale, le statut d'un individu dépend du droit qui le régit personnellement, en l'occurrence la loi du domicile. Le droit applicable au lieu du domicile de l'intimé, à la date de son mariage hindou, lui conférait incontestablement le statut d'homme marié selon le droit hindou. Il était marié aux termes du droit hindou et avait acquis les droits et obliga tions que ce droit confère à ce statut. Il n'a jamais perdu ce statut. Rien de ce qui pouvait arriver par la suite, à l'exclusion de la dissolution du mariage, si elle est possible en droit hindou,
' [1946] P. 122 (C.A.).
ne pouvait le priver de l'état d'homme marié qu'il avait acquis aux termes du droit hindou au moment de son mariage hindou; il était donc marié, le 5 mai 1939, conformément au droit hindou.
Ce statut doit-il être reconnu dans notre pays? Le droit anglais ne rejette certainement pas toute reconnaissance de ce statut. Dans de nombreux cas, bien évidemment, cet état devra être reconnu. Si un Hindou domicilié en Inde mourait intestat en Angleterre, laissant des biens meubles dans ce pays, la succes sion à ces biens serait régie par le droit de son domicile; et, en appliquant le droit de son domicile, il faudrait donner effet aux droits de tous les enfants du mariage hindou et de sa veuve hindoue; à cette fin, les tribunaux de notre pays seraient donc tenus de reconnaître la validité d'un mariage hindou dans la mesure il a une incidence sur les droits et sur les biens meubles laissés dans ce pays par un intestat; on peut imaginer d'autres exemples.
Lord Maugham, lord Chancelier, qui a prononcé l'opinion majoritaire du Comité des privilèges dans l'affaire Lord Sinha (Journals of the House of Lords, 1939, vol. 171, la p. 350), disait ceci: «En revanche, on ne peut plus douter, à mon avis, que, malgré certains obiter dicta exprimés auparavant par des juges éminents, le mariage hindou de personnes domiciliées en Inde est reconnu par nos tribunaux, que les enfants issus de ce mariage sont considérés comme légitimes et que ces enfants peuvent succéder aux biens, avec l'exception possible à laquelle je reviendrai plus tard»; il s'agit de l'exception bien connue des biens immobiliers.
Il conclut ensuite que le mariage hindou, puis- qu'il était valide, interdisait tout autre mariage ultérieur en Angleterre puisqu'il n'avait pas été dissous avant la célébration du mariage selon le droit anglais.
Ce jugement a été cité et approuvé par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Sara v. Sara 2 et la Haute Cour de l'Ontario dans l'affaire Re Hassan and Hassan 3 . J'estime que l'on peut dire, sans risques, que le mariage poly- game en cause aurait été considéré valide en Onta- rio à l'époque de la naissance des enfants de l'appelant à Hong Kong.
Il faut maintenant déterminer si les enfants auraient été considérés comme légitimes selon le droit de notre pays à la date de leur naissance. Dans l'affaire Her Majesty the Queen et al. v. Leong Ba Chai 4 , le juge Taschereau conclut au nom de la Cour que [TRADUCTION] «... s'il est établi que l'intimé a été légitimé en Chine, lorsque
2 (1962), 31 D.L.R. (2d) 566 (C.S.C.-B.).
3 (1976), 12 O.R. (2d) 432 (H.C.).
4 [1954] R.C.S. 10, la p. 12.
son père était domicilié en Chine, le droit canadien reconnaît cet enfant comme légitime ... puisque le statut personnel de l'intimé du point de vue de sa légitimité est régi par le droit applicable au domi cile de son père».
En 1954, la Cour suprême de la Colombie-Bri- tannique considérait, dans l'affaire Re Immigra tion Act and Bains', la question de la délivrance d'un mandamus afin d'exiger le nouvel examen d'une demande d'admission au Canada de deux jeunes enfants non mariés du requérant qui étaient nés d'une femme secondaire de ce dernier. Les autorités compétentes en matière d'immigration ont adopté le point de vue que les enfants n'étaient pas admissibles parce qu'ils n'étaient pas légitimes aux yeux du droit canadien, le requérant ayant acquis un domicile canadien au moment de leur naissance. Le juge Clyne conclut que le requérant n'avait pas perdu son domicile d'origine, l'Inde, le mariage avec l'épouse secondaire était considéré valide, et qu'en conséquence, ses enfants étaient légitimes. A la page 318, il ajoutait ceci:
[TRADUCTION] ... étant donné le droit issu de sa religion et le droit applicable au Punjab, Dedar Singh était autorisé à pren- dre une deuxième épouse et, dans le cadre de ce droit, le deuxième mariage était valide en Inde, à toutes fins utiles, y compris la légitimité des enfants issus du mariage, les succes sions et héritages. Comme l'a souligné le juge d'appel O'Hallo- ran dans l'arrêt Leong Ba Chai, à la p. 767 D.L.R., aux pp. 137 et 138 Can. C.C.: «Les tribunaux de cette province reconnaî- tront comme épouses légitimes les femmes qui ont le statut légal de femmes secondaires dans un pays la polygamie n'est pas illégale. En conséquence, nous devons reconnaître égale- ment la légitimité des enfants de ces femmes, lorsque les enfants sont légitimes aux termes du droit applicable au domi cile du père.»
Cette interprétation du droit est compatible avec ce que disait lord Greene dans le passage précité de l'affaire Baindail, selon lequel un mariage hindou entre des personnes domiciliées en Inde est reconnu comme valide par les tribunaux anglais et donc les enfants de ce mariage sont considérés comme légitimes. En outre, à mon avis, cela repré- sente également l'état du droit au Canada en ce qui concerne la reconnaissance de la légitimité des enfants nés de mariages polygames au domicile des parties, à la date des mariages et, en particulier, à la date de la naissance de chacun des enfants, c'est-à-dire en l'espèce en 1959, 1960 et 1963.
5 (1954), 109 C.C.C. 315 (C.S.C.-B.).
Selon les définitions de «fils» et «fille» à l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172], pour ce qui concerne la détermi- nation de la légitimité de ses enfants, l'appelant est réputé avoir été domicilié dans une province du Canada à la date de leur naissance. Selon moi, cela signifie n'importe quelle province. La législation de la province doit inclure, bien sûr, des règles en matière de conflits de lois. Parmi celles-ci, on trouve la règle de common law selon laquelle la validité du mariage dépend du droit applicable au domicile du mari à l'époque du mariage. Le domi cile de l'appelant, à l'époque de son mariage, qui était polygame, se trouvait à Hong Kong. Il n'est pas contesté qu'à l'époque, ce mariage était reconnu valide par le droit du domicile, à savoir Hong Kong, et que les enfants issus d'un mariage valide étaient légitimes en vertu de ce droit. Par l'application des règles relatives aux conflits de lois, comme je l'ai indiqué, dans au moins une des provinces canadiennes (la Colombie-Britannique) et probablement en Ontario, les enfants d'un mariage valide sont considérés, en droit, comme légitimes. En conséquence, et puisqu'aux termes des définitions, l'appelant est présumé avoir été domicilié dans une province du Canada (qui, pour les besoins de la cause, peut être la Colombie-Bri- tannique, afin d'appliquer le critère imposé par les définitions de «fils» et «fille» de l'article 2 du Règlement), les enfants de son mariage, pour les- quels il a fait une demande de parrainage, possè- dent l'état d'enfants légitimes.
Par ces motifs, ainsi que les motifs exprimés par le juge suppléant McQuaid, je trancherais l'appel de la manière qu'il a proposée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MCQUAID: Appel est interjeté d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration, en date du 7 octobre 1981, qui rejetait la demande présentée par Yuen Tse, l'ap- pelant en l'espèce, en vue de parrainer l'admission au Canada de trois enfants, Tse Kwan Mai, Tse Kwan Kit et Tse Kwan Yin, qui habitent dans la colonie britannique de Hong Kong et y sont domiciliés.
Les faits ne sont pas contestés. L'appelant Yuen Tse habite actuellement dans la province de l'On- tario, il est domicilié; il y vit avec son épouse principale (ou t'sai) dont il a eu neuf enfants et qu'il a épousée à Hong Kong selon les coutumes établies par le droit Tsing de Chine, tel qu'il s'appliquait alors à la colonie. À cette époque, Yuen Tse était domicilié à Hong Kong.
Alors qu'il vivait encore à Hong Kong, il épousa par la suite Ching Fung Ho, la mère des trois enfants que l'appelant souhaite parrainer, Tse Kwan Mai, Tse Kwan Kit et Tse Kwan Yin. La preuve soumise à la Cour nous a convaincus qu'à l'époque de la naissance des trois enfants respecti- vement, à Hong Kong, c'est-à-dire de 1959 1963, le droit Tsing de Chine, alors en vigueur à Hong Kong, reconnaissait la validité du mariage de Yuen Tse et Ching Fung Ho, par lequel cette dernière était devenue son épouse secondaire (ou t'sip). Ce droit reconnaissait également la légiti- mité des enfants issus de ce mariage, en l'occur- rence des trois enfants visés par la demande en cause.
Le 7 octobre 1971, fut adoptée la Marriage Reform Ordinance de Hong Kong prévoyant qu'à la suite de son entrée en vigueur:
[TRADUCTION] Nul homme ne prendra une seconde épouse et nulle femme n'acquerra le statut de seconde épouse, mais la présente disposition n'aura aucun effet à Hong Kong sur le statut ou les droits d'une seconde épouse ayant légalement acquis cet état avant le 7 octobre 1971, ni sur le statut et les droits d'un enfant avant ou après le 7 octobre 1971 d'une seconde épouse ayant légalement acquis cet état avant cette date.
Cette ordonnance avait pour effet de confirmer le statut dont jouissait Ching Fung Ho en tant qu'épouse légale de Yuen Tse ainsi que la légiti- mité des trois enfants issus du mariage de Ching Fung Ho et Yuen Tse.
Yuen Tse est arrivé au Canada en 1971 et a acquis la citoyenneté canadienne en 1979. Le 15 août 1979, il a demandé l'autorisation de parrainer la demande de droit d'établissement au Canada de ces enfants. La demande a été rejetée au motif qu'ils n'appartenaient pas à la catégorie de la famille au sens du Règlement sur l'immigration de 1978 et ne pouvaient donc pas être parrainés par l'appelant.
L'expression «personnes appartenant à la caté- gorie de la famille» est définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] de la manière suivante:
2.(1)...
... personnes à qui les règlements reconnaissent le droit de faire parrainer la demande de droit d'établissement par un citoyen canadien ou un résident permanent, appelé le répondant;
L'alinéa 4b) du Règlement sur l'immigration de 1978, le règlement pertinent en l'espèce, prévoit ceci:
4. Tout citoyen canadien ou résident permanent résidant au Canada et âgé d'au moins dix-huit ans peut parrainer une demande de droit d'établissement présentée par
b) ses fils ou filles non mariés, âgés de moins de vingt et un ans;
Le terme «fils» est défini à l'alinéa 2(1)a) du Règlement comme suit:
2.(1)...
.. par rapport à toute personne, désigne un enfant
a) issue du mariage de cette personne et qui posséderait l'état d'enfant légitime si son père avait été domicilié dans une province du Canada à sa naissance,
Le terme «fille» est défini de la même manière.
L'argument invoqué à l'appui du refus tient fondamentalement à ce qu'il s'agit d'enfants d'un mariage polygame qui, en tant que tels, n'auraient pas été reconnus comme légitimes dans la province de l'Ontario si le requérant, leur père Yuen Tse, avait été domicilié dans cette province à la date de leur naissance.
Les règlements doivent être étudiés soigneuse- ment pour évaluer la validité de cette argumenta tion.
Il est manifeste qu'aux termes du règlement, l'état d'enfant légitime est au coeur de la question. Comme il s'agit d'une question de ressort provin cial et non fédéral, il convient de l'examiner en fonction du droit de la province est domicilié le père. Si le père, Yuen Tse, avait été domicilié dans la province de l'Ontario à la date de la naissance d'un des enfants, le droit de l'Ontario se serait alors appliqué. Toutefois, le père, Yuen Tse, n'était pas domicilié dans la province de l'Ontario à cette époque. On ne dit pas dans quelle province du Canada il est présumé avoir été domicilié, aux
termes du règlement, mais il paraît logique que la province présumée du domicile soit celle dans laquelle il était en fait domicilié au moment il a demandé à parrainer l'entrée des enfants au Canada, en l'occurrence l'Ontario.
La deuxième question à résoudre concerne l'in- terprétation à donner au règlement applicable. La Partie I de la Loi établit la «POLITIQUE CANA- DIENNE D'IMMIGRATION» et son article 3, intitulé «Les objectifs», définit l'état d'esprit et l'intention du Parlement au moment de l'adoption de cette législation:
3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immi- gration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en vertu de la présente loi, sont conçus et mis en oeuvre en vue de promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, en reconnaissant la nécessité
c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger;
Bien qu'il soit admis que la Loi autorise non seulement l'établissement de règlements, mais aussi des décisions ministérielles, il est certain que ces règlements et décisions doivent s'inscrire dans le cadre des objectifs de la législation qui ont été clairement définis par le Parlement.
Puisque les points essentiels en ce qui concerne l'admissibilité d'un enfant à entrer au Canada sont a) l'état d'enfant légitime; b) la province du domi cile du père; et c) la date de naissance de l'enfant, et puisqu'en outre, l'énoncé de la définition du mot «fils» (ou «fille» selon le cas) dans le règlement laisse à désirer du point de vue de la clarté et de la précision, il convient peut-être de développer cette définition de la manière suivante:
«fils», par rapport à toute personne, signifie:
a) un enfant issu du mariage de cette personne,
et
b) qui possède l'état d'enfant légitime selon le droit de la province dans laquelle était domicilié le père au moment de la naissance de cet enfant;
ou
lorsqu'en fait le père n'était pas domicilié dans une province du Canada à la date de la naissance de cet enfant, qui aurait eu l'état d'enfant légitime selon le droit de la province dans laquelle le père est maintenant domicilié, cette province étant considérée, à cette fin, comme la province du domicile du père à la date de la naissance de l'enfant.
Cette paraphrase du règlement ne modifie pas le fond de la définition, mais sert uniquement à la rendre un peu plus lisible.
Il est admis que les trois enfants sont issus du mariage de l'appelant Yuen Tse. Il est également admis par les parties que, selon le droit applicable à Hong Kong à la date de leur naissance respec tive, ces enfants, aux termes de ce droit, seraient considérés comme des enfants légitimes. Il semble qu'en vertu de la common law, ils le seraient également puisque l'état d'enfant légitime est régi par le droit applicable au domicile du père 6 .
Puisque la Loi sur l'immigration de 1976, par son Règlement, place l'état d'enfant légitime parmi les critères essentiels, et que la question de la légitimité est de ressort provincial plutôt que fédéral, cette question doit être déterminée en fonction du droit d'une province du Canada. Comme nous l'avons déjà souligné, le règlement n'indique pas clairement le droit de quelle province il faut appliquer, mais il me paraît logique que l'on retienne la province dans laquelle le père est domi- cilié au moment de la demande, comme celle qui lui est donc attribuée, de manière fictive, par le Règlement, comme province de son domicile aux dates de naissance respectives des enfants.
L'appelant Yuen Tse a présenté sa demande de parrainage le 15 août 1979. Lorsque la Commis sion d'appel de l'immigration l'a examinée, il lui incombait de le faire en fonction du droit en vigueur dans la province de l'Ontario pour ce qui concernait la question de la légitimité.
La Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance [S.O. 1977, chap. 41 (maintenant R.S.O. 1980, chap. 68)] est entrée en vigueur en Ontario le 31 mars 1978, soit un peu plus d'un an avant la date de la demande; elle constituait donc le droit applicable en Ontario à cette date.
L'article 1 de cette Loi dit ceci:
1—(1) Sous réserve du paragraphe (2), à quelques fins que ce soit du droit de l'Ontario, une personne est l'enfant de ses
6 Voir Cheshire's Private International Law, 9e éd., 1974, aux pp. 448 450 et l'arrêt Her Majesty the Queen et al. v. Leong Ba Chai, [ 1954] R.C.S. 10, la p. 12.
auteurs. À ce titre, son état est indépendant du fait qu'elle est née d'un mariage ou hors mariage.
(2) Lorsqu'une ordonnance d'adoption a été émise, l'article 86 ou 87 de la Loi sur le bien-être de l'enfance s'appliquent et l'enfant est l'enfant des parents adoptifs comme s'ils étaient ses auteurs.
(3) Il faut suivre la filiation telle qu'elle a été déterminée aux termes des paragraphes (1) et (2) dans l'établissement d'autres liens de parenté qui en découlent.
(4) Toute distinction faite par la common law entre le statut des enfants nés du mariage et celui des enfants nés hors mariage est abolie. Aux fins de la common law, la filiation et les autres liens de parenté qui en découlent doivent être déter- minés conformément à cet article.
Il est donc clair que lorsque la question de la demande de l'appelant a été soumise à la Commis sion d'appel de l'immigration, le droit de la pro vince de l'Ontario, en vertu duquel il convenait de définir l'«état d'enfant légitime», avait, à toutes fins pratiques et juridiques, éliminé le concept d'illégitimité ainsi que la distinction de common law qui existait auparavant entre les enfants nés du mariage ou hors du mariage.
Cette législation signifie donc que, pour toutes les fins du droit de l'Ontario, tout enfant est un enfant légitime dès la date de sa naissance et, en conséquence, possède l'«état d'enfant légitime», indépendamment du fait qu'il peut être hors mariage, ou d'un mariage polygame. Puisque le père était domicilié en Ontario au moment a été soulevée la question de la légitimité, aux fins de la Loi sur l'immigration de 1976, c'est le droit de la province de l'Ontario, qui, dans ce cas, devrait être appliqué pour définir le statut de l'enfant.
Lorsque la Commission d'appel de l'immigration a étudié la demande soumise par l'appelant, elle disposait de preuves établissant clairement que les enfants en question étaient considérés comme des enfants légitimes, à toutes fins pratiques, selon le droit applicable à leur lieu de naissance et domicile actuel. La Commission a apparemment omis, dans son examen, de prendre en considération les inci dences de la Loi de 1977 sur la réforme du droit de l'enfance qui était la loi applicable pour établir l'état d'enfant légitime aux fins de la Loi sur l'immigration de 1976. Si elle en avait tenu compte, elle aurait nécessairement conclu que chacun des enfants visés par la demande a) était issu du mariage de l'appelant; b) possédait l'état
d'enfant légitime, dès la date de sa naissance, dans la colonie britannique de Hong Kong, son lieu actuel de résidence et domicile; et c) possédait l'état d'enfant légitime, dès la date de sa naissance, dans la province de l'Ontario, qui est actuellement le lieu de résidence et le domicile de son père, l'appelant Yuen Tse, mais également, la province de domicile attribuée à l'appelant, à compter de cette date, par la Loi sur l'immigration de 1976 et le Règlement y afférent.
Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel et de renvoyer la question à la Commission d'appel de l'immigration pour un nouvel examen tenant compte des présents motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris.
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