T-3000-82
Compagnie internationale pour l'informatique CII
Honeywell Bull, société anonyme (appelante)
c.
Herridge, Tolmie et registraire des marques de
commerce (intimés)
Division de première instance, juge Addy—Mont-
réal, 4 octobre; Ottawa, l er décembre 1983.
Marques de commerce — Appel interjeté pour faire annuler
la radiation de la marque de commerce «Bull, — Le mot
«Bulle est employé simultanément avec les lettres «Cii» et le
dessin composé d'un écran et d'un arbre, qui sont deux mar-
ques de commerce enregistrées, et avec le mot «Honeywell»,
marque de commerce non enregistrée — Toutes ces marques
de commerce appartiennent à l'appelante — L'emploi de la
marque «Bull» conjointement avec les autres marques consti-
tue-t-il un emploi au sens de l'art. 4 de la Loi? — Rien dans
la Loi n'interdisant l'usage simultané de plusieurs marques,
pourvu que le public ne soit pas induit en erreur quant à la
source des marchandises — Il ressort des faits que les mots
additionnels «Cii» et «Honeywell» ne sont pas de nature à
induire en erreur, puisqu'ils font partie intégrante du nom du
propriétaire de la marque — Appel accueilli — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 4 et 44.
Appel est interjeté pour faire annuler l'ordonnance rendue
par le registraire des marques de commerce en vertu de l'article
44 de la Loi et portant radiation de la marque de commerce
«Bull». La question qui se pose est de savoir si l'emploi du mot
«Bulle conjointement avec deux marques de commerce enregis-
trées, c'est-à-dire un dessin composé d'un écran et d'un arbre et
les lettres «Cii», et avec une marque non enregistrée, savoir le
mot «Honeywell», qui appartenaient toutes à l'appelante et dont
celle-ci aurait fait usage comme marque, constitue un emploi
au sens de l'article 4 de la Loi. Compte tenu des factures, le
registraire a à juste titre décidé que les mots «Cii», «Honeywell»
et «Bull» étaient simplement employés comme abréviation du
nom de l'appelante et comme un nom commercial distinguant
le commerçant par opposition à une marque de commerce
distinguant les marchandises de l'appelante. Toutefois, il a été
clairement établi, compte tenu d'une preuve plus abondante
produite devant la Cour, que ces mots étaient, lors de la
délivrance de l'avis de radiation, apposés sur les marchandises
de l'appelante, et étaient toujours employés conjointement l'un
avec l'autre.
Jugement: l'appel devrait être accueilli et l'enregistrement de
la marque «Bulle rétabli dans le registre des marques de
commerce.
Rien dans la Loi elle-même n'interdit l'emploi simultané de
plusieurs marques ou l'emploi conjoint avec d'autres mots ou
marques, pourvu que cet emploi n'induise pas le public en
erreur quant à l'identité de la source des marchandises. Après
examen des faits, il semble clair que les éléments ajoutas à la
marque «Bull» ne sauraient être considérés comme étant vrai-
semblablement de nature à tromper le public ou à l'induire en
erreur relativement à la provenance de l'équipement mis en
vente, puisque les deux mots additionnels font partie intégrante
du nom du propriétaire de la marque, qu'une de ces marques
est également enregistrée sous le nom de celui-ci, et que l'autre
est une marque non enregistrée dont fait usage le propriétaire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
M. Melachrino and Co. v. The Melachrino Egyptian
Cigarette Co. et al. (1887), 4 R.P.C. 215 (H.C.); Ham-
mond & Co. v. Malcolm Brunker & Co. (1892), 9 R.P.0
301 (H.C.); Honey Dew, Limited v. Rudd et al, [1929]
R.C.É. 83.
DISTINCTION FAITE AVEC:
In re Gray Dort Motors, Limited (1921), 20 R.C.É. 186.
DÉCISIONS CITÉES:
In re Powell's Trade Mark, [1893] 2 Ch. 388; 10 R.P.C.
198 (C.A. Angl.); Richards v. Butcher, [1891] 2 Ch. 522
(C.A. Angl.); Standard Stoker Company, Inc. v. The
Registrar of Trade Marks, [1947] R.C.E. 437; The
Registrar of Trade Marks v. G. A. Hardie & Co. Limi
ted, [1949] R.C.S. 483.
AVOCATS:
Richard Uditsky pour l'appelante.
Jean Trottier pour le registraire des marques
de commerce, intimé.
PROCUREURS:
Phillips, Halperin, Montréal, pour l'appe-
lante.
Le sous-procureur général du Canada pour le
registraire des marques de commerce, intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: L'appelante cherche à faire
annuler une ordonnance que le registraire des mar-
ques de commerce a rendue en vertu de l'article 44
de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C.
1970, chap. T-10] et par laquelle il a radié l'enre-
gistrement de la marque de commerce «Bulb». Les
intimés Herridge, Tolmie n'ont pas répondu à
l'avis d'appel; en fait, ils ont écrit à la Cour pour
l'informer qu'ils se désistaient et qu'ils ne conteste-
raient pas la question devant la Cour. L'avocat du
registraire des marques de commerce a comparu et
la Cour l'a entendu.
La question soulevée est très restreinte et con-
siste, en fait, à déterminer si l'emploi au Canada
de la marque de commerce «Bull», conjointement
et simultanément avec deux autres marques dépo-
sées canadiennes et avec une marque non enregis-
trée, qui appartenaient toutes à l'appelante et dont
celle-ci aurait fait usage comme marque, doit être
considéré comme un emploi au sens de l'article 4
de la Loi.
Il ressort clairement de la preuve que l'appelante
est propriétaire de trois marques de commerce
distinctes: savoir le dessin d'un écran derrière
lequel se trouve un arbre, les lettres «Cii» et le mot
«Bull» actuellement en litige. Il y a également
preuve non contestée que l'appelante est proprié-
taire d'une marque non enregistrée: savoir le mot
«Honeywell». L'énumération des articles, fournitu-
res et équipements en liaison avec lesquels ces
mots étaient employés n'est nullement contestée.
Comme cela arrive souvent, la preuve portée à la
connaissance du registraire des marques de com
merce était loin d'être aussi complète que celle
produite dans l'appel dont j'ai été saisi, et elle
comportait au moins une lacune très importante:
au moment où la décision attaquée a été rendue, la
preuve matérielle était composée d'une série de
factures dont l'en-tête comprenait, en caractères
d'imprimerie, les mots «Cii», «Honeywell», «Bull»,
ainsi que les nom et adresse complets de l'appe-
lante. Ces mots n'étaient nullement destinés à
distinguer les marchandises pour lesquelles les
marques avaient été enregistrées. Compte tenu de
ces éléments de preuve, le registraire des marques
de commerce a décidé, à juste titre d'ailleurs selon
moi, que les mots «Cii», «Honeywell», «Bull» étaient
en fait employés comme abréviation ou abrége-
ment du nom de l'appelante et comme un nom
commercial distinguant le commerçant par opposi
tion à une marque de commerce distinguant les
marchandises décrites dans les factures.
Il ressort des éléments de preuve portés à ma
connaissance, par contre, que ces trois mots, seuls
ou accompagnés de la marque composée d'un
écran et d'un arbre étaient, en 1978 jusqu'à la date
pertinente, savoir le 20 octobre 1980, date de la
délivrance de l'avis prévu à l'article 44, apposés sur
les marchandises, échantillons et emballages des
articles mis en vente.
Il faut insister sur le fait que les étiquettes ne
contenaient aucune adresse ni aucune identifica
tion ou mention du nom réel de l'appelante. Il
'agit, à mon avis, d'un emploi des mots comme
marque par opposition à leur emploi comme nom
commercial.
Toutefois, le mot «Bull» n'a jamais été employé
seul, mais uniquement conjointement avec les mots
«Cii» et «Honeywell». Ces trois mots étaient parfois
précédés de la marque composée d'un écran et
d'un arbre.
Comme il a précédemment été exposé, la ques
tion est donc de savoir si l'emploi du mot «Bull»
avec les deux autres marques enregistrées et une
marque non enregistrée peut constituer un emploi
de la marque au sens de la Loi, ou si un tel emploi
est incompatible avec le concept d'emploi envisagé
par la Loi.
Rien dans la Loi elle-même n'interdit à une
personne de faire un usage simultané de deux ou
plusieurs de ses marques pourvu, bien entendu, que
l'emploi de plusieurs marques à la fois ou l'emploi
conjoint avec d'autres mots ou marques n'ait pas
pour effet d'induire le public en erreur quant à
l'identité de la source des marchandises. L'avocat
a invoqué la jurisprudence anglaise, savoir les
affaires M. Melachrino and Co. v. The Mela-
chrino Egyptian Cigarette Co. et al.', et Ham-
mond & Co. v. Malcolm Brunker & Co. 2 . Dans
ces deux affaires, des marques plutôt compliquées
et recherchées étaient employées conjointement
avec d'autres dessins ajoutés aux marques. Dans
l'affaire Melachrino, des armoiries de divers pays
étaient ajoutées et dans l'affaire Hammond, il y
avait le dessin d'un bras et d'un bouclier. Il a été
décidé que de tels dessins additionnels ne rendaient
pas nul l'emploi de la marque. A l'instruction,
l'avocat a aussi fait mention de l'affaire In re Gray
Dort Motors, Limited'. Il y a été jugé que l'emploi
des mots «Gray Dort», figurant toujours dans l'ex-
pression «Own a Gray Dort, you will like it»,
constituait un emploi approprié de la marque
«Gray Dort». L'enregistrement de la totalité de la
marque a été ordonné. Toutefois, je n'estime pas
que cette affaire soit entièrement pertinente, la
Cour y traitant principalement de la question de
savoir si la totalité de l'expression constituait une
' (1887), 4 R.P.C. 215 [H.C.].
2 (1892), 9 R.P.C. 301 [H.C.].
3 (1921), 20 R.C.É. 186.
publicité et si elle n'était pas, pour cette raison,
enregistrable à titre de marque de commerce. Le
juge a, non sans hésitation, ordonné l'enregistre-
ment, mais il a ajouté que, si l'on avait demandé
l'enregistrement de l'expression «Gray Dort» seule,
il n'aurait pas du tout hésité à en ordonner l'enre-
gistrement même si elle était employée en même
temps que les mots susmentionnés. Dans l'affaire
Honey Dew, Limited v. Rudd et al 4 , l'expression
«Honey Dew» a été enregistrée comme une marque
ayant la forme de lettres arabesques, les mots
étant superposés, mais ils étaient en fait employés
de la manière ordinaire, en majuscules d'imprime-
rie. La Cour a jugé que puisque personne n'avait
été trompé, la dérogation à la forme de la marque
enregistrée ne pouvait donner lieu à préjudice et le
demandeur ne devrait pas perdre son droit à la
protection pour cette raison.
Lorsque, comme en l'espèce présente, aucun élé-
ment de preuve n'établit qu'une marque a été
employée seule, mais toujours conjointement avec
d'autres mots, l'enregistrement a parfois été
refusé. Selon certaines décisions, pour constituer
un emploi au sens de la loi, une marque de com
merce doit nécessairement être employée exacte-
ment sous la forme dans laquelle elle est enregis-
trée, et toute dérogation à cette forme ou tout
ajout empêche ce type d'emploi d'être reconnu
comme emploi au sens de la loi (voir In re Powell's
Trade Mark (l'affaire ((Yorkshire Relish») 5 , Rich-
ards v. Butcher 6 , Standard Stoker Company, Inc.
v. The Registrar of Trade Marks', et également
l'énoncé du juge Kellock qui semble être en fait
une opinion incidente dans l'affaire The Registrar
of Trade Marks v. G. A. Hardie & Co. Limited 5 ).
Dans son ouvrage The Canadian Law of Trade
Marks and Unfair Competition (3 édit.) [1972],
Fox, après avoir analysé les affaires ci-dessus et
d'autres causes semblables, dit ceci à la page 62:
[TRADUCTION] Il est suggéré que ce point de vue est peu
réaliste et n'est pas conforme à la pratique moderne en matière
de marques de commerce. Les propos tenus par le juge Kellock
dans l'affaire Super -Weave constituaient, dans une certaine
mesure, une opinion incidente, et il est permis de douter que les
principes énoncés dans les affaires dont il a fait mention soient
4 [1929] R.C.L. 83.
5 [1893] 2 Ch. 388, à la p. 401; 10 R.P.C. 198 [C.A. Angl.].
6 [1891] 2 Ch. 522 [C.A. Angl.].
7 [1947] R.C.É. 437, à la p. 445.
8 [1949] R.C.S. 483.
encore applicables, compte tenu d'autres affaires que nous
examinerons bientôt. On prétend également que le principe
énoncé par le juge Cameron dans l'affaire Standard Stoker, lui
non plus, n'est pas soutenable.
Il ajoute ceci aux pages 63 et 64:
[TRADUCTION] ... «La question de savoir si l'emploi d'une
étiquette qui s'écarte de l'étiquette spécifique constitue une
dérogation telle qu'elle équivaudrait à un non-emploi d'une
marque de commerce spécifique est, semble-t-il, une question
de fait dans chaque cas particulier, le principe suivant lequel
ces faits doivent être appréciés étant celui qu'a posé le juge
Maclean dans l'affaire Honey Dew, savoir que la dérogation ne
doit pas être de nature à causer un préjudice à quiconque ou à
induire quelqu'un en erreur.»
Une dérogation ou un ajout à une marque enregistrée peut
équivaloir à une affirmation trompeuse et, en constituant une
fraude à l'endroit du public, interdire tout redressement au
demandeur. Mais à moins qu'un ajout ou une dérogation à une
marque de commerce ne soit de nature à induire en erreur, on
ne voit pas pourquoi un tel emploi peut être considéré comme
n'étant pas celui de la marque de commerce si, selon le texte du
par. 4(1) de la Loi sur les marques de commerce, il est lié aux
marchandises «au point qu'avis de liaison est alors donné à la
personne à qui la propriété ou possession est transférée.» Il
s'agit à l'évidence d'une question de fait à trancher en tenant
compte des éléments de preuve et non au moyen d'une compa-
raison arbitraire et méticuleuse entre la marque employée et la
marque enregistrée.
Ce qui précède constitue, à mon avis, un meil-
leur exposé du droit sur le sujet tel qu'il existe
actuellement.
Compte tenu des faits de l'espèce, il semble clair
que les éléments ajoutés à la marque «Bull» ne
sauraient être considérés comme étant vraisembla-
blement de nature à tromper le public ou à l'in-
duire en erreur, de quelque façon que ce soit,
relativement à la provenance de l'équipement mis
en vente, puisque les deux mots additionnels font
partie intégrante du nom du propriétaire de la
marque, qu'une de ces marques est également
enregistrée sous le nom de celui-ci, et que l'autre
est une marque non enregistrée dont fait usage le
propriétaire. En ce qui concerne le dessin composé
d'un écran et d'un arbre et qui est parfois employé
avec le mot «Bull» et les deux autres mots, il s'agit
également d'une marque déposée du propriétaire.
Dans les circonstances, l'appel sera accueilli, et
l'enregistrement de la marque «Bull» sera rétabli
dans le registre des marques de commerce.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.