A-327-82
La Reine pour le Conseil du Trésor (requérante)
c.
France Thibault (intimée)
et
Alliance de la Fonction publique du Canada et
Commission des relations de travail dans la Fonc-
tion publique (mises-en-cause)
Cour d'appel, juges Pratte, Ryan et Le Dain—
Ottawa, 9 février et 14 mars 1983.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Fonction
publique — Demande d'examen et d'annulation d'une décision
d'un arbitre qui a fait droit à une décision sur un grief portant
que l'intimée avait droit à des augmentations rétroactives de
salaire et d'échelon comme si elle avait été employée de façon
ininterrompue — L'emploi de l'intimée comme employée occa-
sionnelle dans la Fonction publique a été interrompu pendant
quelques jours — Il fallait déterminer si l'intimée avait droit
aux augmentations rétroactives de salaire prévues dans la
convention collective subséquente et quelle était la date de la
nomination à son poste afin de déterminer la date de l'aug-
mentation d'échelon de salaire — L'arbitre a fait droit au grief
affirmant que l'intimée devait être traitée comme si elle avait
travaillé de façon ininterrompue — La convention collective
prévoyait que les «conditions régissant l'application de la
rémunération ... ne sont pas modifiées par cette convention»
— La requérante a prétendu que la convention collective était
donc assujettie au Règlement sur la rémunération avec effet
rétroactif qui refuse les augmentations de salaire avec effet
rétroactif approuvées par le gouverneur en conseil ou le Con-
seil, du Trésor aux employés qui ont cessé d'être employés
pendant la période de rétroactivité — L'intimée a invoqué la
définition d'«emploi continu» dans la convention collective et
les art. 2(1)(b) et 3(f) du Règlement sur les conditions d'emploi
dans la Fonction publique à l'appui de son allégation d'emploi
continu en réponse à la deuxième question relative à la date de
sa nomination — Demande accueillie en ce qui concerne la
partie de la décision de l'arbitre relative à l'augmentation
d'échelon mais rejetée en ce qui a trait à l'augmentation
rétroactive de salaire — Le Règlement sur la rémunération
avec effet rétroactif ne s'applique pas à l'interprétation des
conventions collectives mais seulement aux augmentations de
salaire approuvées par le gouverneur en conseil ou le Conseil
du Trésor — Étant donné que la disposition de la convention
collective relative aux augmentations d'échelon n'utilise pas
l'expression «emploi continu», la définition de cette expression
n'est pas applicable — L'intimée a été nommée à son poste
lorsqu'elle a été rengagée après quelques jours de chômage —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
28 — Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 54, 91 — Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 24,
25 — Règlement sur la rémunération avec effet rétroactif
C.R.C., chap. 344, art. 3, 4 — Règlement sur les conditions
d'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-118, art.
2 ( 1 )(b),(r), 3(f)•
AVOCATS:
Pierre Hamel pour la requérante.
Robert Côté pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'inti-
mée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: La requérante demande l'an-
nulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10,
d'une décision d'un arbitre qui a fait droit à un
grief que l'intimée avait renvoyé à l'arbitrage sui-
vant l'article 91 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-35.
L'intimée, au moment de l'arbitrage, était une
employée occasionnelle de la Commission de l'em-
ploi et de l'immigration du Canada. Elle avait
commencé à y travailler le 15 mai 1979, date à
laquelle elle avait été engagée pour une «période
spécifiée» suivant les articles 24 et 25 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32. À son expiration, l'engagement de
l'intimée fut reconduit jusqu'au 31 juillet 1980.
L'intimée demeura alors en chômage quelques
jours. Le 6 août 1980, elle était, cependant, renga-
gée, encore une fois, comme employée occasion-
nelle et pour une période spécifiée. Ce nouvel
engagement fut reconduit à son expiration de sorte
que l'intimée continua à travailler pour la Com
mission de l'emploi et de l'immigration du Canada
longtemps après la signature, le 17 octobre 1980,
d'une nouvelle convention collective fixant les con
ditions de travail des employés compris dans
l'unité de négociation dont l'intimée faisait partie.
Cette convention prévoyait des augmentations de
salaire rétroactives au 12 novembre 1979; elle
contenait aussi des clauses relatives aux «augmen-
tations d'échelon de salaire» qui prévoyaient que
pareilles augmentations devaient être payées aux
employés dans la situation de l'intimée cinquante-
deux semaines après leur nomination à un poste
dans l'unité de négociation. En appliquant ces
clauses de la convention à l'intimée, l'employeur
jugea qu'elle n'avait pas droit à l'augmentation
rétroactive de salaire pour la période antérieure au
6 août 1980, date à laquelle elle avait été réenga-
gée après quelques jours de chômage; il jugea aussi
que «l'augmentation d'échelon de salaire» à
laquelle l'intimée avait droit devait être calculée
comme si elle avait été nommée au poste qu'elle
occupait le 6 août 1980 et non auparavant.
L'intimée présenta un grief contre cette décision
de l'employeur. Elle prétendait avoir droit à l'aug-
mentation rétroactive de salaire et à l'augmenta-
tion d'échelon comme si elle avait été employée de
façon ininterrompue depuis le 15 mai 1979, sans
égard au fait qu'elle avait été sans emploi du 31
juillet au 6 août 1980 et qu'elle avait été réengagée
à cette dernière date. C'est à ce grief qu'a fait
droit la décision attaquée qui affirme que l'intimée
avait droit, d'une part, à l'augmentation rétroac-
tive de salaire et, d'autre part, à l'augmentation
d'échelon comme si elle avait travaillé sans inter
ruption depuis le 15 mai 1979. La requérante
prétend que les deux parties de cette décision,
concernant respectivement l'augmentation rétroac-
tive et l'augmentation d'échelon, sont mal fondées.
1. L'augmentation rétroactive de salaire
Les clauses de la convention collective signée le
17 octobre 1980 qui se rapportent à ce sujet sont
contenues à l'article 27 et à l'annexe «B». Les deux
premiers paragraphes de l'article 27 se lisent
comme suit:
27.01 Sous réserve de cet article, les conditions régissant l'ap-
plication de la rémunération aux employés ne sont pas modi
fiées par cette convention.
27.02 Tout employé a droit pour services rendus à la
rémunération:
a) qui est indiquée à l'appendice «B» pour la classification du
poste auquel il est nommé ....
Quant à l'annexe «B» de la convention, elle con-
tient une liste des taux de rémunération payable
aux diverses classes d'employés. Pour chaque
classe, trois taux sont prévus: le premier devant
prendre effet le 12 novembre 1979 et les deux
autres à des dates postérieures à la signature de la
convention.
Si l'on ne s'en tient qu'au paragraphe 27.02 de
la convention, il semble clair que l'intimée a droit
à l'augmentation de salaire rétroactive prévue sans
égard au fait qu'elle n'a pas été employée du 31
juillet au 6 août 1980. Elle n'a, bien sûr, droit à
aucun salaire pour le temps durant lequel elle n'a
pas travaillé, mais rien dans le paragraphe 27.02
n'indique que le fait qu'elle ait cessé, pendant
quelques jours, d'être employée lui fasse perdre
l'augmentation rétroactive de salaire à laquelle elle
aurait autrement droit pour la période durant
laquelle elle a travaillé avant de cesser d'être
employée.
Le seul argument invoqué par l'avocat de la
requérante pour en arriver à une conclusion con-
traire est fondé sur le paragraphe 27.01 de la
convention qui, suivant lui, aurait pour effet d'as-
sujettir le paiement des augmentations rétroactives
de salaire prévues à la convention aux règles édic-
tées par les articles 3 et 4 du Règlement sur la
rémunération avec effet rétroactif, un Règlement
adopté par le gouverneur en conseil en vertu de la
Loi des subsides n° 5 de 1963, S.C. 1963, chap. 42
(annexe B, crédit n° 71a) et que l'on retrouve
aujourd'hui au chapitre 344 de la Codification des
règlements du Canada de 1978. Ce Règlement
prescrit que dans le cas où le gouverneur en conseil
ou le Conseil du Trésor approuve une augmenta
tion de salaire avec effet rétroactif, l'employé qui a
cessé d'être employé pendant la période de rétroac-
tivité ne peut, règle générale, bénéficier de l'aug-
mentation pour le temps pendant lequel il a été
employé avant sa cessation d'emploi. Il s'ensuit,
suivant l'avocat de la requérante, que l'intimée, qui
a été sans emploi du 31 juillet au 6 août 1980,
n'aurait pas droit à l'augmentation rétroactive de
salaire pour le temps durant lequel elle a travaillé
avant le 6 août 1980.
Cet argument serait difficilement réfutable si
l'avocat de la requérante avait raison d'affirmer
que l'effet des clauses de la convention collective
relatives à l'augmentation rétroactive de salaire est
régi par les prescriptions des articles 3 et 4 du
Règlement sur la rémunération avec effet rétroac-
tif. Mais cette affirmation me semble inexacte. Ce
Règlement prévoit que le gouverneur en conseil et
le Conseil du Trésor peuvent approuver des aug
mentations rétroactives de salaire et il précise à
qui, règle générale, les augmentations ainsi
approuvées doivent bénéficier. Ce Règlement, à
mon avis, ne s'applique qu'aux augmentations de
salaire qui ont été approuvées suivant le Règle-
ment. Il ne s'applique pas aux augmentations pré-
vues dans une convention collective que le Conseil
du Trésor a conclue suivant l'autorité que lui
confère l'article 54 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique. En d'autres
mots, le Règlement précise l'effet de l'approbation
par le gouverneur en conseil ou le Conseil du
Trésor d'une augmentation de salaire rétroactive;
il ne régit en aucune façon l'interprétation ou
l'effet d'une convention collective prévoyant de
pareilles augmentations. Il est bien vrai que le
paragraphe 27.01 de la convention prévoit que «les
conditions régissant l'application de la rémunéra-
tion aux employés ne sont pas modifiées par cette
convention» sauf dans la mesure où l'article 27 ne
stipule le contraire. Cependant, les règles ou condi
tions que prescrit le Règlement sur la rémunéra-
tion avec effet rétroactif ne sont pas, à mon avis,
des «conditions régissant l'application de la rému-
nération aux employés».
Pour ces motifs, je rejetterais la demande dans
la mesure où elle s'attaque à la première partie de
la décision de l'arbitre relative à l'augmentation
rétroactive de salaire.
2. L'augmentation d'échelon
Le paragraphe 27.08 de la convention dit com
ment doit être calculée la période après laquelle les
employés ont droit à une augmentation d'échelon.
Ce paragraphe se lit comme suit:
27.08 Sous réserve de la clause 27.07, la date d'augmentation
d'échelon de salaire de l'employé qui, par suite d'une promotion
ou d'une rétrogradation ou à son entrée dans la Fonction
publique, est nommé à un poste de l'unité de négociation après
le 4 mars 1976, est le premier lundi qui suit la période
d'augmentation d'échelon de salaire indiquée ci-dessous, calcu-
lée à compter de la date de la promotion, de la rétrogradation
ou de l'entrée dans la Fonction publique. Sous réserve de la
clause 27.07, les périodes d'augmentation d'échelon de salaire
indiquées ci-dessous continueront de toucher les employés
nommés avant le 4 mars 1976.
PERIODES D'AUGMENTATION D'ECHELON DE
SALAIRE
Niveau Employés à plein temps
CR-1 26 semaines
CR-2 à 7 (inclusivement) 52 semaines
Il est constant que, d'après cette clause, l'intimée
avait droit à une augmentation d'échelon le pre
mier lundi suivant une période de cinquante-deux
semaines à compter du jour où elle avait été
nommée à un poste de l'unité de négociation. La
seule question à résoudre concerne la date qui,
pour les fins du paragraphe 27.08, doit être rete-
nue comme celle où l'intimée a été ainsi nommée.
Est-ce, comme le prétend l'intimée, le 15 mai
1979, date à laquelle elle a été, pour la première
fois, engagée pour travailler à la Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada ou est-ce,
comme le prétend la requérante, le 6 août 1980,
date à laquelle elle a été réengagée pour travailler
à la Commission après une période de chômage de
quelques jours?
L'avocat de l'intimée reconnaît, si je l'ai bien
compris, que, dans le cas d'une personne qui a été
employée dans la Fonction publique de façon dis
continue, les termes du paragraphe 27.08 doivent
être interprétés comme référant, en règle générale,
à la date à laquelle cette personne a été, pour la
dernière fois, nommée à un poste de l'unité de
négociation. S'il prétend qu'il doive en être autre-
ment dans le cas de l'intimée, c'est parce que
celle-ci, malgré qu'elle n'ait pas été employée dans
la Fonction publique du 31 juillet au 6 août 1980,
devrait néanmoins être considérée comme ayant
été employée de façon continue depuis le 15 mai
1979. Cela, en vertu des définitions des expressions
«emploi continu» et «emploi ininterrompu» conte-
nues à l'alinéa 2.01e) de la convention collective
applicable en l'espèce et aux alinéas 2(1)(b) et 3(f)
du Règlement sur les conditions d'emploi dans la
Fonction publique, DORS/67-118.
Le texte de l'alinéa 2.01e) de la convention
collective est le suivant:
2.01 Aux fins de l'application de la présente convention, le
terme
e) «emploi continu» s'entend dans le sens qu'il a dans les
règles et règlements existants de l'employeur à la date de
signature de la présente convention;
Quant aux alinéas 2(1)(b) et 3(f) du Règlement
sur les conditions d'emploi dans la Fonction
publique, ils se lisent comme suit*:
2. (1) Dans le présent règlement, l'expression
(b) «service ininterrompu» ou «emploi ininterrompu» signifie
un emploi interrompu au service prévu à l'Annexe A;
* [Voir le Manuel de gestion du personnel, Vol. 8, «Rémuné-
ration», Appendice A, CT 665757, émis par le Conseil du
Trésor du Canada le 2 mars 1967—l'arrêtiste.]
3. Aux fins du présent règlement ...
(f) lorsqu'une personne exerçant des fonctions de caractère
occasionnel, au cours de toute période pertinente, cesse
d'être employée au service prévu à l'Annexe A pour toute
raison autre que la destitution, le congédiement, le renvoi
ou une déclaration qu'elle a abandonné son poste et est
devenue de nouveau employée à ce service après une
période d'au plus cinq jours ouvrables suivant celui où elle
a ainsi cessé d'être employée, son emploi au poste [qu'elle
détenait avant de cesser ainsi d'être employée et au poste] *
auquel elle est nommée constitue un service ininterrompu.
L'expression «service prévu à l'Annexe A» est
définie à l'alinéa 2(1)(r) du Règlement et il est
constant que l'intimée a été employée à un tel
service. Il est également constant que l'intimée
était une employée occasionnelle qui a perdu son
emploi le 31 juillet 1980 et est redevenue employée
le 6 août 1980 après une période de trois jours
ouvrables (les 1", 4 et 5 août). Il s'ensuit que, aux
fins du Règlement sur les conditions d'emploi
dans la Fonction publique, l'emploi de l'intimée,
malgré qu'il ait été interrompu du 31 juillet au 6
août 1980, est censé avoir été ininterrompu. L'avo-
cat de l'intimée prétend qu'il s'ensuit aussi que
l'emploi de l'intimée est censé avoir été ininter-
rompu pour les fins de la convention collective
puisque l'alinéa 2.01e) de la convention stipule que
«Aux fins de l'application de la présente conven
tion» l'expression «emploi continu» a le même sens
que celui que lui donnent les règlements de l'em-
ployeur. Il en conclut que la date à laquelle l'inti-
mée a été nommée à un poste de l'unité de négo-
ciation est celle à laquelle elle a été engagée pour
la première fois, savoir le 15 mai 1979.
À cet argument le procureur de la requérante a
répliqué que l'alinéa 2.01e) de la convention conte-
nait une simple définition de l'expression «emploi
continu» et que s'il faut donc recourir à cet alinéa
pour interpréter les clauses de la convention où
l'expression «emploi continu» est employée, on ne
doit pas y recourir pour interpréter celles qui,
comme le paragraphe 27.08, n'utilisent pas cette
expression.
Cette réponse me satisfait. Il ne s'agit pas ici de
savoir si l'emploi de l'intimée doit être considéré
comme continu; il faut déterminer à quel moment
* Ces mots ont été ajoutés par le juge Pratte afin de complé-
ter le texte de l'alinéa 3(f)—l'arrêtiste.
elle a été nommée au poste qu'elle occupe dans
l'unité de négociation. Il me paraît certain que
cette nomination a eu lieu le 6 août 1980 et je ne
vois pas que ce fait doive être ignoré pour le seul
motif que, pour certaines fins (comme, par exem-
ple, le calcul des vacances payées), l'emploi de
l'intimée avant le 31 juillet et après le 6 août 1980
soit considéré comme constituant un service
ininterrompu.
Sur ce deuxième point, il me paraît donc que
l'arbitre a eu tort de décider comme il l'a fait.
Pour ces motifs, je ferais droit à la demande, je
casserais cette partie de la décision attaquée qui se
rapporte à l'augmentation d'échelon de salaire et
je renverrais l'affaire à l'arbitre pour qu'il la
décide en prenant pour acquis que, pour les fins du
paragraphe 27.08, l'intimée doit être considérée
comme ayant été nommée à son poste et comme
étant entrée dans la Fonction publique le 6 août
1980.
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
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