A-831-82
La Reine (appelante) (demanderesse)
c.
James Lorimer and Company Limited (intimée)
(défenderesse)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Ryan —
Ottawa, 29 novembre 1983 et 5 janvier 1984.
Droit d'auteur — Publication gouvernementale — Contre-
façon commise par un éditeur du secteur privé — Rejet de la
défense d'utilisation équitable — Le juge de première instance
a statué qu'il s'agissait d'une contrefaçon intentionnelle com-
mise pour tirer un bénéfice commercial — Refus d'accorder à
l'État une injonction, des dommages-intérêts exemplaires et
les dépens — L'État a été qualifié de «demandeur inhabituel»
— La Cour a accordé une redevance de 8 % pour ce qui est des
ventes futures de l'oeuvre contrefaite et des dommages-intérêts
relativement aux ventes déjà faites — Le juge a rejeté la
demande reconventionnelle en dommages-intérêts en consé-
quence de l'envoi, par le procureur général, d'avis aux ven-
deurs de l'oeuvre contrefaite — Appel accueilli, appel incident
rejeté — Pour prouver la contrefaçon, il n'est pas nécessaire
qu'il y ait compétition sur le marché — Dans les cas de
contrefaçon, le titulaire du droit d'auteur a droit prima facie à
une injonction — Il n'est pas nécessaire de prouver l'existence
de dommages — La loi n'envisageait pas une licence obliga-
toire — Injonction ordonnant de remettre les copies de l'oeuvre
contrefaite — Il n'y a pas lieu d'accorder une injonction
ordonnant à la défenderesse de reprendre possession des exem-
plaires qui ont été distribués — Des dommages-intérêts exem-
plaires auraient pu être accordés — Le juge de première
instance n'a pas commis d'erreur manifeste en exerçant son
pouvoir discrétionnaire pour refuser les dépens — Rien ne
justifie le refus des dépens — C'est à juste titre que le juge de
première instance a rejeté l'argument fondé sur la liberté
d'expression garantie par la Charte et la défense d'intérêt
public — Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30,
art. 11, 17(1),(2)(a), 20(1),(2) et 21 — Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 7(1), 18(1).
Pratique — Frais et Dépens — L'État a eu gain de cause
dans une action en contrefaçon d'un droit d'auteur — Le juge
de première instance a exercé sa discrétion en refusant d'ac-
corder les dépens — Il a déclaré qu'il ne s'agit pas «d'un cas
où il faut punir ... la défenderesse en lui imposant le paiement
des dépens qui suivent normalement„ — Le pouvoir discré-
tionnaire relatif aux dépens doit être exercé d'une manière
régulière — Les dépens ne sont pas accordés pour punir une
partie qui n'a pas eu gain de cause — Les raisons données
pour refuser les dépens sont totalement étrangères à l'affaire
— Rien ne justifie de refuser les dépens — Appel accueilli —
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 20(2).
Dommages-intérêts — Exemplaires ou punitifs — Action
engagée par l'État en contrefaçon d'un droit d'auteur sur une
publication gouvernementale — Le juge de première instance a
mentionné le «mépris évident» de la défenderesse des lois sur
le droit d'auteur mais n'a pas accordé de dommages-intérêts
exemplaires — Faits correspondant à ceux de Rookes v.
Barnard — Le juge n'a pas commis d'erreur manifeste en
exerçant son pouvoir discrétionnaire pour refuser les dépens.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d'ex-
pression — Moyen de défense invoqué dans une action en
contrefaçon d'un droit d'auteur sur une publication gouverne-
mentale — Ce moyen de défense n'est pas fondé lorsque
l'oeuvre contrefaite contient peu de la propre pensée de la
défenderesse, de sa croyance, de son opinion et de son expres
sion — Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue
la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2b).
Le Directeur des enquêtes et des recherches a rédigé un
exposé de la preuve en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions et l'a fait publier sous le titre État de la concur
rence dans l'industrie pétrolière du Canada. Il s'agit d'un
ouvrage de sept volumes offert au prix de 70 $ la série. C'est
l'oeuvre que vise le droit d'auteur. L'oeuvre contrefaite se
présente en un seul volume publié par James Lorimer and
Company Limited. Elle est offerte en vente au prix de 14,95 $.
Bien que le juge de première instance ait statué qu'il y avait eu
contrefaçon intentionnelle dans le but de tirer un bénéfice
commercial et qu'il ait rejeté le moyen de défense fondé sur
l'utilisation équitable, il a refusé à l'État les mesures de redres-
sement demandées: une injonction et des dommages-intérêts
exemplaires. Le juge n'a pas non plus accordé les dépens. La
décision accorde à l'État une redevance de 8 % en ce qui
concerne les ventes futures de l'oeuvre contrefaite et des dom-
mages-intérêts, au même taux, relativement aux exemplaires
déjà vendus. Dans sa décision, le juge a qualifié l'État de
«demandeur inhabituel», parce qu'il n'est pas «très intéressé par
le revenu qu'il pourrait tirer de cet ouvrage». Il ajoute aussi que
la publication de la défenderesse n'a pas porté atteinte aux
ventes de l'oeuvre originale. C'est pourquoi il a refusé d'accor-
der une injonction. L'État a porté cette décision en appel.
Lorimer a formé un appel incident contre le rejet de sa
demande reconventionnelle en dommages-intérêts en consé-
quence de l'envoi, par le procureur général, d'avis aux vendeurs
de l'oeuvre contrefaite.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'appel incident est rejeté avec
dépens dans cette Cour et dans la Division de première
instance.
La Loi est claire. Si l'auteur de la contrefaçon exécute un
acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'exécu-
ter, il y a contrefaçon, que l'oeuvre contrefaite soit ou non en
compétition sur le marché avec l'oeuvre originale. Lorsque la
contrefaçon du droit d'auteur a été établie, le titulaire du droit
d'auteur a droit prima facie à une injonction qui interdit de
continuer ces activités fautives. On ne peut refuser une injonc-
tion au motif que la contrefaçon n'a entraîné aucun dommage
pour le titulaire du droit d'auteur. Rien ne permet d'obliger le
titulaire d'un droit d'auteur à acquiescer à une contrefaçon
permanente moyennant le paiement d'une redevance. Les dispo
sitions législatives pertinentes ne prévoient pas ce qui équivau-
drait à imposer une licence obligatoire. Par conséquent, le juge
de première instance a commis une erreur de droit en refusant
d'accorder une injonction permanente interdisant à la défende-
resse de produire ou de reproduire des parties importantes de
l'ouvrage de la demanderesse et en refusant d'accorder une
injonction lui ordonnant de remettre les planches qui ont servi à
la confection de l'ceuvre contrefaite et toutes les copies de cette
oeuvre que la défenderesse a en sa possession. Il ne conviendrait
pas, toutefois, que la Cour accorde une injonction ordonnant à
la défenderesse de reprendre possession de tous les exemplaires
qui ont été distribués pour la vente, puisque le respect d'une
telle ordonnance ne dépend pas uniquement de la défenderesse.
La mention dans le jugement du «mépris évident» de la
défenderesse des lois sur le droit d'auteur nous porte à croire
que le juge envisageait d'accorder des dommages-intérêts exem-
plaires. Les faits en l'espèce s'inscrivent effectivement dans la
deuxième catégorie mentionnée par lord Devlin dans l'arrêt
Rookes v. Barnard et al., [1964] A.C. 1129 (H.L.). Des
dommages-intérêts exemplaires auraient pu être accordés.
Cependant, bien qu'il soit difficile de réconcilier la formulation
des motifs du jugement avec la conclusion de ne pas accorder
de tels dommages-intérêts, on ne saurait dire que le juge de
première instance a commis une erreur manifeste en exerçant
ainsi son pouvoir discrétionnaire.
Bien que la question des dépens ressorte d'un pouvoir discré-
tionnaire absolu de la Cour, ce pouvoir doit être exercé d'une
manière régulière. L'époque où la «dignité» empêchait l'État de
demander ou de payer des dépens est révolue. En l'espèce, les
raisons données pour refuser les dépens sont totalement étran-
gères à l'affaire. Le droit d'action de l'appelante était bien net,
l'objet sur lequel il portait n'était pas insignifiant et la deman-
deresse a eu gain de cause au procès. Rien ne justifiait de
refuser les dépens.
Le juge de première instance a eu raison de rejeter le moyen
de défense d'utilisation équitable et celui de l'intérêt public, de
même que le moyen de défense relatif à la liberté d'expression
garantie par la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Donald Campbell and Company Limited v. Pollack,
[1927] A.C. 732 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hubbard et al. v. Vosper et al., [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.
Angl.); Beloff v. Pressdram Limited et al., [1973] R.P.C.
765 (Ch.D.).
DECISION EXAMINÉE:
Time Incorporated v. Bernard Geis Associates, et al.
(1968), 293 F.Supp. 130 (S.D.N.Y.).
DECISIONS CITÉES:
Massie & Renwick, Limited v. Underwriters' Survey
Bureau Limited et al., [1937] R.C.S. 265; Bouchet v.
Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (C. de l'É.); appel
rejeté, [1966] R.C.S. v; Dominion Manufacturers Limi
ted v. Electrolier Manufacturing Company Limited,
[1939] R.C.É. 204; Underwriters' Survey Bureau Limi
ted v. Massie & Renwick Limited, [1942] R.C.É. 1;
Rookes v. Barnard et al., [1964] A.C. 1129 (H.L.);
Paragon Properties Ltd. v. Magna Investments Ltd.
(1972), 24 D.L.R. (3d) 156 (C.A. Alb.); Netupsky et al.
v. Dominion Bridge Co. Ltd. (1969), 58 C.P.R. 7
(C.A.C.-B.).
AVOCATS:
D. Sgayias et M. Ciavaglia pour l'appelante
(demanderesse).
B. C. McDonald et C. Trethewey pour l'inti-
mée (défenderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (demanderesse).
Hayhurst, Dale & Deeth, Toronto, pour l'inti-
mée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La Cour est saisie d'un
appel et d'un appel incident contre un jugement de
la Division de première instance [en date du 30
avril 1982, T-2216-81, non publié] qui a conclu
que l'intimée a contrefait le droit d'auteur de
l'appelante sur une certaine oeuvre, mais qui a
refusé à l'appelante les dépens, l'injonction et les
dommages-intérêts exemplaires qu'elle a deman
dés, et qui a rejeté sans frais la demande reconven-
tionnelle de l'intimée. Le juge de première instance
a statué que l'État était titulaire du droit d'auteur
sur son oeuvre (Dossier d'appel, page 142, lignes 1
et 2). Il a rejeté les moyens de défense fondés sur
l'utilisation équitable, sur la violation de libertés
garanties par la Charte et sur l'intérêt public (page
159, ligne 24 la page 160, ligne 2). Selon lui,
l'oeuvre contrefaite est un abrégé descriptif (page
144, ligne 5); il a qualifié d'intentionnelle la con-
duite de l'intimée (page 159, lignes 13 24) et a
ajouté que cette dernière avait agi au «mépris
évident» des droits de l'appelante (page 164, lignes
23 26). La contrefaçon a été commise à des fins
«principalement commerciales» (page 150, lignes
28 et 29). Il est admis que l'appelante n'a subi
aucune perte financière. J'estime que la preuve
soumise justifie entièrement les conclusions de fait
du premier juge et il n'y a pas lieu de les modifier.
La Loi sur le droit d'auteur' dispose:
11. Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Cou-
ronne, le droit d'auteur sur les ouvres préparées ou publiées,
par l'entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa
Majesté ou de quelque département du gouvernement, appar-
tient, sauf stipulation conclue avec l'auteur, à Sa Majesté et,
S.R.C. 1970, chap. C-30.
dans ce cas, il dure cinquante ans à compter de la première
publication de l'ouvre.
L'ceuvre visée en l'espèce est un rapport intitulé
État de la concurrence dans l'industrie pétrolière
du Canada; il s'agit de l'exposé de la preuve rédigé
par le Directeur des enquêtes et des recherches en
vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions 2 et présenté à la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce conformément
au paragraphe 18 (1) de cette Loi, à la suite d'une
enquête instruite sur demande telle que prévue par
le paragraphe 7(1). L'appelante a fait publier l'ou-
vrage de 1748 pages en sept volumes qu'elle offre
au public au prix de 70 $ la série, soit 10 $ le
volume. (Pièce A-1.)
L'ceuvre contrefaite de l'intimée est un abrégé
descriptif de celle de l'État et présente, selon les
termes utilisés par l'éditeur dans l'introduction:
[TRADUCTION] ... le texte intégral du volume I—les conclu
sions et les recommandations du directeur relativement à l'in-
dustrie pétrolière, ainsi qu'une bonne partie des débats et des
renseignements tirés des volumes II à VI. Pour que le présent
livre ne dépasse pas des proportions raisonnables, nous avons
omis certaines parties parmi les plus techniques, mais les
conclusions et les résumés de toutes les sections du rapport ont
été reproduites ...
Dans le présent livre, nous avons conservé les titres des
volumes, des chapitres et des sections de tout le rapport, ainsi
que leur désignation alphabétique et numérique.
Les numéros de renvoi du rapport original ont été conservés.
Les lecteurs qui souhaitent obtenir les références de ces renvois
peuvent les trouver au volume VII du rapport.
L'ceuvre contrefaite a été offerte en vente en un
seul volume de 626 pages au prix de 14,95 $.
(Pièces A-2 et A-3.)
D'abord, en ce qui concerne l'appel, le premier
point à examiner porte sur le refus d'accorder le
redressement demandé, c'est-à-dire:
[TRADUCTION] a) une injonction permanente interdisant à la
société défenderesse, ses cadres, ses préposés, ses manda-
taires et ses employés de produire ou de reproduire dans le
livre «Canada's Oil Monopoly» ou sous toute autre forme,
des parties importantes du rapport de Robert J. Bertrand,
c.r., Directeur des enquêtes et des recherches, Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, intitulé «État de la concur
rence dans l'industrie pétrolière du Canada»;
b) une injonction ordonnant à la société défenderesse, ses
cadres, ses préposés, ses mandataires et ses employés de
remettre immédiatement à la demanderesse toutes les
2 S.R.C. 1970, chap. C-23.
planches qui ont servi ou qui sont destinées à servir à la
confection du livre intitulé «Canada's Oil Monopoly»;
c) une injonction ordonnant à la société défenderesse, ses
cadres, ses préposés, ses mandataires et ses employés de
remettre immédiatement à la demanderesse toutes les
copies du livre intitulé «Canada's Oil Monopoly» qu'ils ont
en leur possession;
d) une injonction ordonnant à la société défenderesse, ses
cadres, ses préposés, ses mandataires et ses employés de
reprendre tous les exemplaires du livre «Canada's Oil
Monopoly» qui ont été distribués pour la vente au détail,
pour la vente en gros ou pour diffusion, et de les remettre
immédiatement à la demanderesse;
e) une reddition de compte de toutes les sommes reçues par la
société défenderesse pour la publication et la vente du livre
«Canada's Oil Monopoly», et le remboursement à la
demanderesse de tous les profits tirés de la publication et
de la vente;
f) des dommages exemplaires;
En ce qui concerne l'alinéa d), il n'existe, à ma
connaissance, aucun précédent d'une telle ordon-
nance. On voulait manifestement obliger la défen-
deresse à reprendre possession des exemplaires qui
ne sont plus en la possession de la défenderesse
alors que l'alinéa c) vise les copies qu'elle a en sa
possession. Le respect d'une telle ordonnance ne
dépend pas uniquement de la personne à laquelle
elle s'adresse. C'est justement ce qu'un contrefac-
teur prudent pourrait essayer de faire pour réduire
le montant des dommages-intérêts auxquels il s'ex-
pose mais à mon avis, la Cour ne peut rendre une
ordonnance en ce sens, et il n'y a plus lieu d'y
revenir. La demanderesse s'est désistée lors du
procès de la demande de redressement de l'alinéa
e). Le juge a rejeté les demandes des alinéas a), b),
c) et f) et, a accordé plutôt une redevance repré-
sentant 8 % du prix de vente au détail de l'oeuvre
contrefaite, pour ce qui est des ventes futures, et a
accordé relativement aux ventes faites avant le
jugement des dommages-intérêts de 3 192,12 $
représentant 8 % du prix de vente au détail.
Le juge de première instance, après avoir exa-
miné la preuve, a conclu comme suit [à la page 20
des motifs du jugement] *:
Tout cela semble confirmer que M. Lorimer savait et agissait
en tout temps comme une personne qui sait que ce qu'elle fait
est à sa face même une contrefaçon du droit d'auteur de la
demanderesse, et qui sait qu'elle aurait dû soit obtenir le
consentement ou la permission d'une personne pour donner
suite à son projet, soit prévoir des négociations pour obtenir une
* Le jugement a été rendu oralement à l'audience. J'ai pris la
liberté de corriger des erreurs typographiques et les fautes
évidentes dans la transcription.
licence ou verser une redevance de quelque sorte. J'en conclus
donc que, si l'on accorde quelque sens aux lois sur le droit
d'auteur, alors la défenderesse n'aurait pas dû agir comme elle
l'a fait en publiant ce rapport dans la forme qu'on lui connaît
sans le consentement de la demanderesse.
(Dossier d'appel, page 159)
Pour refuser les dommages exemplaires et subs-
tituer à l'injonction ce qui, en fait, constitue une
licence obligatoire, le juge de première instance a
dit [aux pages 21 23]:
Quant à la question des mesures de redressement j'ai con-
damné la défenderesse parce que M. Lorimer, selon moi, aurait
pu éviter les ennuis qui le frappent simplement en faisant au
moins quelque effort pour obtenir une permission avant la
publication. Sa situation pourrait être tout autre en l'espèce s'il
avait établi qu'il n'a pas supposé que sa demande se perdrait
dans un dédale bureaucratique, mais plutôt qu'il a au moins
offert de soumettre son abrégé ou son projet d'abrégé à une
personne qui aurait pu l'approuver, l'autoriser, le refuser ou lui
accorder une licence. Cependant, aucune preuve n'a été fournie
d'un effort en ce sens par M. Lorimer ou un représentant de sa
société. Il est donc ainsi l'auteur de son propre malheur et de
celui de sa société, puisqu'il a omis de prendre simplement des
moyens pour essayer d'obtenir une autorisation qui, au moins
selon les dires de M. Bertrand, aurait bien pu être donnée d'une
façon ou d'une autre. Qui plus est, cette autorisation aurait
bien pu être accordée sous la forme de ce qu'il a décrit comme
un arrangement non exclusif qui n'aurait rien coûté à la
défenderesse.
D'autre part, il me faut tenir compte du fait qu'en adoptant
une telle conduite, il s'est arrogé ce qui constituait en réalité un
droit exclusif de publier un abrégé officiel du rapport et, ainsi,
qu'il passait complètement outre à la législation sur le droit
d'auteur.
En ce qui concerne les mesures de redressement, la demande-
resse ne réclame pas les profits déterminés par reddition de
compte. Je suis donc dispensé du fardeau que représente l'exa-
men des renseignements sur les profits et pertes de la société
défenderesse. À mon avis, on ne sert pas les fins de la justice si
cette Cour ou les parties tentaient à ce moment-ci de retirer de
la circulation les exemplaires de cet ouvrage ou d'en empêcher
toute publication ultérieure. Il ne s'agit pas, en d'autres termes,
d'une situation de préjudice à la distribution ou la vente de
l'ouvrage original de la demanderesse, ou du fait que la deman-
deresse subit un préjudice économique. Manifestement, nous
sommes en présence de circonstances qui atténuent dans une
certaine mesure la contrefaçon du droit d'auteur. Première-
ment, l'État est un demandeur inhabituel et n'est pas réelle-
ment très intéressé par le revenu qu'il pourrait tirer de cet
ouvrage. Ce revenu n'est d'aucune commune mesure avec le
coût de l'enquête qui a duré plusieurs années et qui doit certes
avoir coûté plusieurs millions de dollars. Les frais d'impression
de cette oeuvre ont été établis d'une manière très approximative
pour équivaloir dans une certaine mesure aux frais d'impression
ce qui, j'en suis convaincu, n'a pas été atteint. Ainsi, pour la
demanderesse, ce revenu n'est pas de très grande importance.
Par ailleurs, je le répète, la publication de la défenderesse n'a
pas nui et ne nuit pas présentement à la distribution ou aux
ventes de l'oeuvre originale de la demanderesse et, par consé-
quent, je ne vois pas pourquoi j'ordonnerais maintenant un
rappel ou une injonction interdisant à la défenderesse de conti-
nuer à vendre cette oeuvre.
II ne s'agit pas d'une situation dans laquelle la demanderesse
doit être indemnisée ou même cherche à être indemnisée de
pertes de revenus tirés de la vente de son propre ouvrage, ni
d'un cas où à mon avis la présence de l'oeuvre de la défende-
resse sur le marché nuit à la distribution de l'ouvrage de la
demanderesse. En conséquence, selon moi, l'injonction n'est pas
une mesure de redressement indiquée.
Si l'on revient à l'élément essentiel du délit de la défende-
resse, il consiste en ce qu'elle a poursuivi ses activités sans
demander la permission, alors qu'elle savait ou devait savoir, à
mon avis, qu'elle ne pouvait le faire sans permission sans en
subir les conséquences. Il m'apparaît donc qu'il s'agit d'un cas
où l'indemnisation indiquée n'est pas l'injonction ou les dom-
mages-intérêts exemplaires ou punitifs, mais plutôt le verse-
ment d'une redevance.
(Dossier d'appel, pages 160 et s.)
Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent en
l'espèce:
17. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit
d'auteur sur une oeuvre, quiconque, sans le consentement du
titulaire de ce droit, exécute un acte qu'en vertu de la présente
loi seul ledit titulaire a la faculté d'exécuter.
20. (1) Lorsque le droit d'auteur sur une œuvre a été violé, le
titulaire du droit est admis, sauf disposition contraire de la
présente loi, à exercer tous les recours, par voie d'injonction,
dommages-intérêts, reddition de compte ou autrement, que la
loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.
21. Tous les exemplaires contrefaits d'une oeuvre protégée,
ou d'une partie importante de celle-ci, de même que toutes les
planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection
d'exemplaires contrefaits, sont considérés comme étant la pro-
priété du titulaire du droit d'auteur; en conséquence, celui-ci
peut engager toute procédure en recouvrement de possession ou
concernant l'usurpation du droit de propriété.
Les faits qui ont persuadé le juge de première
instance, dans l'exercice de son pouvoir discrétion-
naire, de refuser l'injonction sont que la contrefa-
çon n'a pas porté atteinte à la distribution ni aux
ventes de l'ceuvre contrefaite de l'appelante, qu'elle
n'a pas diminué les revenus tirés de ces ventes, et
que l'appelante est un demandeur inhabituel. À
mon avis, le fait qu'il ait qualifié l'État de «deman-
deur inhabituel» découle de ce qu'il a conclu qu'il
n'est pas très intéressé par les recettes ou les
revenus tirés de son ouvrage et non, je pense, d'une
généralisation qui nous amènerait à traiter l'État
différemment des autres parties.
La Loi est claire. Pour qu'il y ait contrefaçon il
n'est pas nécessaire que l'oeuvre contrefaite soit en
compétition sur le marché avec l'oeuvre originale:
il suffit que l'auteur de la contrefaçon exécute un
acte que seul le titulaire a la faculté d'exécuter. Il
s'ensuit que, lorsque la contrefaçon du droit d'au-
teur a été établie, le titulaire du droit d'auteur a
droit prima facie à une injonction qui interdit de
continuer ces activités fautives. Il s'ensuit égale-
ment que, une fois établi que l'oeuvre contrefaite
comprend une partie importante de l'oeuvre proté-
gée, le titulaire du droit` d'auteur est réputé avoir
la propriété de tous les exemplaires de l'oeuvre
contrefaite ainsi que de toutes les planches qui ont
servi à sa confection et a, prima facie, droit à,
l'aide de la Cour pour en prendre possession. Il
incombe au contrefacteur d'établir des motifs qui
justifieraient la Cour, dans l'exercice de son pou-
voir discrétionnaire, de refuser un tel recours'. Ces
motifs doivent se fonder sur la conduite du titu-
laire du droit d'auteur et non sur la conduite ou les
mobiles du contrefacteur. On ne peut refuser une
injonction au motif que la contrefaçon n'a entraîné
aucun dommage pour le titulaire du droit
d'auteur °.
Un calcul de dommages-intérêts en fonction de
redevances équitables est admissible lorsque le
titulaire du droit d'auteur ne peut établir qu'il
aurait réalisé les ventes que le contrefacteur a
faites 5 . Par contre, rien à mon avis ne permet
d'obliger le titulaire d'un droit d'auteur à acquies-
cer à une contrefaçon permanente moyennant le
paiement d'une redevance. Cela équivaut à impo-
ser une licence obligatoire. Puisque la loi ne le
prévoit pas, la Cour n'a pas le pouvoir de
l'ordonner.
J'estime que le juge de première instance a
appliqué des principes erronés et, qu'il a commis
une erreur de droit en refusant les mesures deman-
dées aux alinéas a), b) et c) de la demande et en y
substituant une redevance sur les ventes futures
des exemplaires contrefaits.
Massie & Renwick, Limited v. Underwriters' Survey
Bureau Limited et al., [1937] R.C.S. 265.
° Bouchet v. Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (C. de
l'É.); appel rejeté, [1966] R.C.S. v.
5 Dominion Manufacturers Limited v. Electrolier Manufac
turing Company Limited, [ 1939] R.C.É. 204.
La question des dommages exemplaires est plus
difficile. En plus de ce que j'ai déjà cité, le juge de
première instance [à la page 25] a qualifié la
conduite de l'intimée de «mépris évident de ce qui
est de toute évidence le droit de la demanderesse
en vertu des lois sur le droit d'auteur ...». (Dos-
sier d'appel, page 164.) Il a conclu également [à la
page 11] que «la demanderesse a agi à des fins
principalement commerciales» (page 150). Dans
l'ensemble, les conclusions de fait sont exprimées
en des termes qui nous portent à croire qu'on
envisageait d'accorder des dommages exemplaires.
Bien que la Loi sur le droit d'auteur ne prévoie
pas expressément des dommages exemplaires
comme mesure de redressement possible, ces der-
niers ne sont pas exclus par le paragraphe 20(1), et
il est constant que cette mesure peut être imposée
dans des circonstances appropriées 6 . Je ne vois pas
pourquoi les circonstances appropriées ne seraient
pas les mêmes dans le cas de la contrefaçon d'un
droit d'auteur que dans le cas de toute autre
atteinte civile aux droits d'une autre personne. Je
ne vois pas non plus pourquoi, en l'espèce, il
faudrait trancher la question de savoir si cette
Cour doit appliquer le principe énoncé par lord
Devlin dans l'arrêt Rookes v. Barnard et al.', ou
celui qui paraît avoir été plus généralement
accepté par les cours d'appel provinciales et qu'a
énoncé, par exemple, le juge d'appel Clement dans
l'arrêt Paragon Properties Ltd. v. Magna Invest
ments Ltd. 8 . Selon moi, les faits en l'espèce s'ins-
crivent effectivement dans la deuxième catégorie
dont parle lord Devlin et si on applique l'un ou
l'autre principe, des dommages exemplaires
auraient pu être accordés.
Dans l'arrêt Netupsky et al. v. Dominion Bridge
Co. Ltd. 9 , le juge d'appel Taggart, au nom de la
Cour, a maintenu le refus des dommages exem-
plaires ou punitifs et a conclu:
[TRADUCTION] .. . j'estime qu'il suffit de dire que, en l'espèce,
je ne trouve absolument aucune justification pour les accorder.
Je ne trouve chez l'intimée ni fraude, ni malice, ni violence, ni
cruauté, ni insolence ou mépris des droits des appelants.
'P. ex. Underwriters' Survey Bureau Limited v. Massie &
Renwick Limited, [1942] R.C.É. 1.
[1964] A.C. 1129 (H.L.), aux pp. 1221 et s.
8 (1972), 24 D.L.R. (3d) 156 (C.A. Alb.), à la p. 167.
9 (1969), 58 C.P.R. 7 (C.A.C: B.), à la p. 42.
Contrairement aux motifs qui permettent de refu-
ser une injonction, ceux qui permettent de refuser
des dommages exemplaires doivent ressortir de la
conduite et des mobiles du contrefacteur.
L'absence d'une perte économique et le carac-
tère «inhabituel» de l'État comme demandeur ne
sont pas des motifs suffisants pour lui refuser des
dommages exemplaires. Il est difficile de réconci-
lier la formulation des motifs du jugement avec la
conclusion qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas
qui permet d'accorder des dommages exemplaires.
De toute évidence, le juge de première instance,
malgré qu'il ait qualifié d'«évidente» la contrefaçon
manifestement délibérée et motivée par des consi-
dérations mercantiles de la part de l'intimée, n'a
pas estimé que cette peine était justifiée, ni que la
dissuasion serait un objectif souhaitable. On ne
saurait dire qu'il a commis une erreur manifeste en
exerçant ainsi son pouvoir discrétionnaire et je ne
crois pas qu'il s'agisse d'un cas où il m'est permis
de substituer mon opinion de la contrefaçon à la
sienne.
Pour refuser les dépens à l'appelante, le juge de
première instance a dit [aux pages 24 et 251:
Quant à la question des dépens, après y avoir mûrement
réfléchi, j'ai décidé de ne pas accorder les dépens qui suivraient
normalement l'issue de la cause. C'est à bon droit que l'État a
soutenu l'interprétation de la Loi sur le droit d'auteur telle
qu'elle s'applique dans son cas et il a eu gain de cause. En
l'espèce, la défenderesse, en violant la Loi sur le droit d'auteur,
comme je l'ai dit et redit, a fait sans permission ce qui, elle
aurait dû le savoir, exigeait une permission. Toutefois, elle n'a
pas pas fait une utilisation inéquitable de ]'oeuvre et en a
réalisé, d'après la preuve, un très bon abrégé. Maintenant
qu'elle est obligée de payer les redevances qu'elle s'attendait à
payer, selon ses propres dires, si elle avait obtenu la permission,
je ne pense pas qu'il s'agisse d'un cas où il faut punir encore
plus la défenderesse en lui imposant le paiement des dépens qui
suivent normalement un tel jugement.
Je reviens sur la situation inhabituelle de l'État, la partie
demanderesse en l'espèce. Bien des éléments de la présente
affaire sont spéciaux, notamment la propriété de l'ouvrage, la
protection qu'on lui accorde. Il s'agit après tout d'un problème
bien particulier en l'espèce: c'est-à-dire, la protection d'un droit
d'auteur sur une oeuvre qu'il incombe au titulaire du droit de
publier et de diffuser le plus possible, ce qu'il a fait. Soulignons
également la conclusion qu'en l'espèce, la défenderesse est
parvenue, sans permission, à publier une version qui est plus
accessible au grand public, ce qui se confirme par le nombre
d'achats qui aurait été encore plus élevé, n'eût été des obstacles
juridiques rencontrés. Il faut ajouter aussi que la défenderesse a
réalisé un bon abrégé de l'oeuvre. Finalement, peut-être que ma
décision quant aux dépens laisse entendre que la défenderesse
peut être pardonnée au moins en partie pour avoir présumé, en
raison du caractère public du document visé, que la position
adoptée relativement au droit d'auteur serait moins rigoureuse
dans ce cas-ci que dans le cas d'une oeuvre à caractère privé.
Je l'ai redit maintes fois, cela n'excuse pas le mépris évident
de la défenderesse à l'égard du droit que garantissent à la
demanderesse les lois sur le droit d'auteur, mais je considère
qu'il s'agit d'un cas où l'État est en mesure, sans que cela lui
nuise, de supporter ses propres dépens. Je pense qu'il est
indiqué de ne pas ajouter un fardeau supplémentaire à la
défenderesse, en l'espèce, en lui faisant supporter les dépens des
deux parties.
(Dossier d'appel, pages 163 et s.)
La Loi sur le droit d'auteur dispose:
20....
(2) Les frais de toutes les parties à des procédures relatives à
la violation du droit d'auteur sont à la discrétion absolue de la
cour.
Cette discrétion absolue doit, néanmoins, être
exercée d'une manière régulière. Dans l'arrêt
Donald Campbell and Company Limited v.
Pollack 10 , le vicomte Cave, L.C., dans un extrait
fréquemment cité, a dit:
[TRADUCTION] Un défendeur qui a gain de cause dans une
affaire où il n'y a pas de jury peut sans doute raisonnablement
s'attendre, à moins de circonstances spéciales, à obtenir une
ordonnance visant le remboursement de ses dépens par le
demandeur; cependant, il n'a pas droit aux dépens tant que la
Cour ne les lui a pas accordés. Cette dernière jouit d'un pouvoir
discrétionnaire absolu de les accorder ou de les refuser. Ce
pouvoir discrétionnaire, comme tout autre pouvoir discrétion-
naire doit être exercé d'une manière régulière. Le juge ne devra
pas exercer ce pouvoir à l'encontre d'une partie qui a gain de
cause sauf pour un motif directement lié à l'affaire en question.
Ainsi, si un juge—selon une hypothèse qui ne peut se réaliser
dans nos tribunaux—refusait d'accorder les dépens à une partie
en se fondant sur les motifs d'une quelconque inconduite com-
plètement étrangère à la cause d'action, ou sur quelque préjugé
en raison de la race ou de la religion ou (pour citer un exemple
familier) en raison de la couleur de ses cheveux, alors la Cour
d'appel pourrait bien se sentir obligée d'intervenir. Par contre,
lorsqu'un juge, cherchant à dessein à exercer ses pouvoirs
discrétionnaires, a rendu une décision en se fondant sur des
faits reliés à la contestation ou qui y ont conduit et qui ont été
prouvés devant lui ou qu'il a pu lui-même remarquer au cours
du procès, il me semble que la loi interdit à une cour d'appel
d'entendre l'appel de sa décision, même si elle trouve ses motifs
insuffisants et qu'elle ne souscrit pas à sa conclusion.
L'intimée ne peut invoquer, à la défense du refus,
qu'une application littérale du paragraphe 20(2).
C'est un lieu commun que les dépens ne sont pas
accordés pour punir une partie qui n'a pas eu gain
de cause. Il fut un temps où la «dignité» empêchait
° [1927] A.C. 732 (H.L.), aux pp. 811 et 812.
l'État de demander ou de payer des dépens dans le
cours ordinaire des choses. Cette époque est révo-
lue et la situation de l'État, même si elle est
«inhabituelle», n'est pas plus une question perti-
nente que ne l'est la couleur des cheveux d'une des
parties. Avec égards, les raisons données pour refu-
ser les dépens à l'appelante sont totalement étran-
gères à l'affaire ou aux faits reliés à la contestation
ou qui y ont conduit. Cette remarque s'applique
particulièrement à toute conjecture que l'intimée a
cru pouvoir faire quant à la réaction possible de
l'appelante face à la contrefaçon. Une atteinte
anodine au droit d'une autre personne est peut-être
une question toute différente, mais je ne vois pas
comment une atteinte délibérée, commise en espé-
rant que la partie lésée y consentira par la suite,
serait un fait justifiant l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire au détriment de la partie lésée.
Le droit d'action de l'appelante était bien net; ni
ce droit, ni l'objet sur lequel il portait n'était
insignifiant. Le procureur général a engagé des
procédures devant la présente Cour immédiate-
ment, promptement et sans trop de frais. À tous
égards, l'appelante a eu entièrement gain de cause
au procès, sauf en ce qui concerne l'obtention des
mesures de redressement prévues par la loi. Rien
ne justifiait la Cour d'exercer son pouvoir discré-
tionnaire pour refuser les dépens à l'appelante.
L'appel incident porte sur le rejet au procès des
moyens de défense soulevés par l'intimée et sur le
rejet de la demande reconventionnelle. L'utilisa-
tion équitable de l'oeuvre était le premier moyen de
défense soulevé. La Loi dispose:
17....
(2) Ne constituent aucune violation du droit d'auteur:
a) l'utilisation équitable d'une oeuvre quelconque pour des
fins d'étude privée, de recherche, de critique, de compte
rendu ou en vue d'en préparer un résumé destiné aux
journaux;
L'intimée prétend que son abrégé est une utilisa
tion équitable de l'oeuvre à des fins d'analyse.
Après avoir passé en revue la jurisprudence, le
juge de première instance a conclu [à la page 11]
qu'une telle utilisation équitable
... exige au moins une utilisation de l'oeuvre autrement qu'en
le résumant dans une version abrégée et en le reproduisant sous
le nom de l'auteur.
(Dossier d'appel, page 150)
Le juge de première instance avait raison.
Le deuxième moyen de défense concerne l'inté-
rêt public et est énoncé comme suit dans l'exposé
des faits et du droit de l'intimée:
[TRADUCTION] La publication de l'intimée ne favorise-t-elle
pas la divulgation au public de faits et de documents se
rapportant à des délits présumés ou à d'autres questions de
nature grave qui sont importantes pour tout le pays et pour le
bien-être du grand public de sorte que le moyen de défense
d'intérêt public s'applique aux faits de l'espèce?
À l'appui de ce moyen de défense, l'intimée a cité
trois décisions sur le droit d'auteur.
Dans l'arrêt Hubbard et al. v. Vosper et al." la
contrefaçon présumée d'un droit d'auteur portait
sur des documents confidentiels de l'église de la
Scientologie, et dans l'affaire Beloff v. Pressdram
Limited et al. 12 , l'ouvrage dont il s'agissait était un
document non publié. Ces deux cas traitent de
l'intérêt public dans le contexte de l'information
qui doit être rendue publique mais qui ne l'est pas,
ce qui n'est certainement pas le cas en l'espèce. Le
juge de première instance a conclu [à la page 19]:
La divulgation du rapport a pris beaucoup d'ampleur. Rien
n'indique que le grand public ait manqué d'information par la
faute des auteurs du rapport ou des personnes responsables de
sa distribution. Des copies gratuites ont été distribuées en grand
nombre, mises en librairie partout au pays et, par conséquent,
rien ne justifie, en l'espèce, l'affirmation selon laquelle le public
n'aurait pas été entièrement informé de l'objet de l'enquête. En
outre, il me semble que M. Lorimer savait cela.
(Dossier d'appel, page 158)
Je suis convaincu que le moyen de défense d'in-
térêt public tel qu'énoncé dans les décisions anglai-
ses reste ouvert dans des circonstances appropriées
à l'encontre d'un droit d'auteur que l'Etat peut
faire valoir. Toutefois, les faits en l'espèce ne
justifient pas d'appliquer ce moyen de défense et
c'est à juste titre que le juge de première instance
l'a rejeté.
Dans l'affaire Time Incorporated v. Bernard
Geis Associates, et al. 13 , une cour de district des
États-Unis a statué que la reproduction, dans un
livre portant sur l'assassinat du président Kennedy,
d'images du film de l'assassinat, pour lequel la
demanderesse était titulaire d'un droit d'auteur,
" [1972] 2 Q.B. 84 (C.A. Angl.).
12 [197 3] R.P.C. 765 (Ch.D.).
" (1968), 293 F.Supp. 130 (S.D.N.Y.), aux pp. 144 et s.
constituait une «utilisation équitable» que ne proté-
geait pas le droit d'auteur. Il ne s'agit pas dans ce
cas d'une question «d'intérêt public» au même sens
que dans les décisions anglaises ni, réellement,
dans le sens du moyen de défense avancé en l'es-
pèce. Le tribunal américain a plutôt appliqué une
doctrine d'équité similaire, dans sa portée, au
moyen de défense d'utilisation équitable prévu par
la loi et dont nous avons parlé précédemment. Le
jugement traite assez longuement d'une loi qui
était alors soumise au Congrès en vue de codifier
la doctrine.
Le troisième moyen de défense se fonde sur la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.U.)], qui dispose:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Il ne peuvent être restreints
que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonna-
bles et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
Je souscris encore une fois à la conclusion du juge
de première instance que ce moyen de défense
n'est pas fondé. Si l'interdiction de la contrefaçon
d'un droit d'auteur peut parfois être interprétée
comme une limitation injustifiée de la liberté, d'ex-
pression du contrefacteur dans certaines circons-
tances, ce n'est pas le cas en espèce. L'oeuvre
contrefaite par l'intimée contient si peu de sa
propre pensée, de sa croyance, de son opinion et de
son expression que c'est à juste titre qu'elle est
considérée comme une appropriation de la pensée,
de la croyance, de l'opinion et de l'expression de
l'auteur de l'oeuvre contrefaite.
Finalement, l'intimée se pourvoit contre le rejet
de sa demande reconventionnelle. Elle demandait
des dommages-intérêts en conséquence de l'envoi,
par le procureur général, d'avis aux vendeurs et
aux distributeurs de l'oeuvre contrefaite. Cette
demande ne pouvait réussir à moins que l'appe-
lante échoue dans son action. L'appelante n'a pas
échoué; c'est donc avec justesse que la demande
reconventionnelle a été rejetée.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel et de rejeter
l'appel incident avec dépens dans cette Cour et
dans la Division de première instance. Il y a lieu de
modifier le jugement de première instance, de
radier la partie qui ordonne à l'intimée de payer
une redevance à l'appelante, d'ajouter au montant
des dommages-intérêts exigibles par l'appelante le
montant des redevances payées ou exigibles en
vertu de ce jugement jusqu'à la date du présent
jugement et d'accorder les mesures de redresse-
ment demandées aux alinéas a), b), et c) de la
déclaration. Je propose que l'appelante demande
un jugement conformément à la Règle 324 [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]; le juge-
ment sera délivré quand la Cour en aura fixé les
termes.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
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