A-96-82
Tshai Ferrow (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et
juge suppléant Lalande—Winnipeg, 10 janvier;
Ottawa, 25 janvier 1983.
Immigration — Demande d'examen et d'annulation en vertu
de l'art. 28 d'une décision d'un arbitre portant qu'une ordon-
nance d'expulsion aurait été délivrée si le requérant n'avait pas
revendiqué le statut de réfugié — Le requérant a revendiqué le
statut de réfugié au cours de l'enquête — L'arbitre, ayant
conclu que le requérant avait prolongé son séjour après expi
ration de son visa d'étudiant, a refusé d'accorder un ajourne-
ment pour que les autorités compétentes se prononcent sur la
revendication en vertu de l'art. 45, avant d'avoir décidé s'il y
avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion ou un avis
d'interdiction de séjour — La décision de l'arbitre qu'il y avait
lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion si la revendication
échouait est-elle une «décision» au sens de l'art. 28 de la Loi
sur la Cour fédérale et donc sujette à examen? — Demande
rejetée — Dans Le procureur général du Canada c. Cylien, la
Cour a jugé que «décision» vise une décision prise dans
l'exercice d'une compétence conférée par la loi, dont l'effet est
concluant et définitif — La détermination en l'espèce n'est pas
une «décision» mais la simple expression d'une opinion qui n'a
aucun effet avant sa mise en oeuvre par la délivrance d'une
ordonnance d'expulsion — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 32, 45(1), 46 — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Cette demande en vertu de l'article 28 vise à l'examen et à
l'annulation d'une décision d'un arbitre, en vertu de l'article 32
de la Loi sur l'immigration de 1976, portant que si le requérant
n'avait pas revendiqué le statut de réfugié, il aurait été délivré
une ordonnance d'expulsion. Le requérant a revendiqué le
statut de réfugié au cours de l'enquête tenue parce qu'il avait
prolongé son séjour après expiration de son visa d'étudiant.
L'arbitre, ayant conclu que le requérant avait prolongé son
séjour sans autorisation, a refusé d'accorder un ajournement
avant de déterminer s'il y avait lieu de délivrer un avis d'inter-
diction de séjour ou une ordonnance d'expulsion. Après avoir
conclu que, s'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié, le
requérant aurait été frappé d'expulsion, il a ajourné l'enquête
pour permettre aux autorités compétentes de se prononcer sur
la revendication faite en vertu de l'article 45. Le requérant,
s'appuyant sur la décision Ergul c. Le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, prétend que la conclusion de l'arbitre, selon
laquelle il y avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion
plutôt qu'un avis d'interdiction de séjour, est une décision au
sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et donc
sujette à examen puisqu'à la reprise de l'enquête, selon le
paragraphe 46(1), l'arbitre serait obligé, en vertu du paragra-
phe 46(2), de délivrer l'ordonnance d'expulsion qu'il a aupara-
vant résolu de prononcer, au cas où la revendication du statut
de réfugié par le requérant échouerait.
Arrêt: la demande est rejetée. La Loi sur l'immigration de
1976 prévoit un système d'enquêtes tenues devant un arbitre
qui a compétence pour déterminer si une personne présumée
appartenir à une catégorie de personnes non autorisées à rester
au Canada appartient effectivement à cette catégorie. Cette
question réglée, l'arbitre a le pouvoir de prendre des mesures
conformes à sa conclusion, en vertu de l'article 32, sauf dans le
cas d'une revendication de statut de réfugié, en autorisant la
personne en question à rester au Canada ou en ordonnant son
renvoi par une ordonnance d'expulsion ou un avis d'interdiction
de séjour. Quand une personne revendique le statut de réfugié
et que l'arbitre estime que la personne serait sujette à ordon-
nance d'expulsion ou à avis d'interdiction de séjour, sans cette
revendication, l'enquête doit être ajournée et reprise, conformé-
ment à l'article 46, s'il est décidé que la personne n'est pas un
réfugié. En l'espèce, l'arbitre a conclu qu'il y avait lieu de
délivrer une ordonnance d'expulsion compte tenu de l'interpré-
tation du paragraphe 45(1) dans Ergul c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration dans lequel il a été jugé qu'une
enquête ajournée avant que cette question soit tranchée ne
pouvait être considérée comme ajournée en vertu du paragra-
phe 45(1) ni reprise en vertu du paragraphe 46(1) et qu'en
conséquence, l'enquête ne pouvait être reprise par un arbitre
différent de celui qui l'avait commencée sans le consentement
de l'intéressé. Si le raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul est
exact, la loi en cause exige que cette décision soit prise avant
l'ajournement prévu au paragraphe 45(1). Toutefois, indépen-
damment de l'arrêt Ergul, une telle conclusion de l'arbitre ne
constitue pas une décision sujette à examen en vertu de l'article
28. Dans l'affaire Cylien, la Cour a estimé qu'à son avis, une
«décision» dans le contexte de cet article désignait la décision ou
ordonnance ultime prise par le tribunal, en vertu de la loi
pertinente. La conclusion en cause est une simple expression
d'«opinion» et ne constitue pas une décision susceptible d'exa-
men en vertu de l'article 28 tant qu'elle n'est pas mise en oeuvre
par la délivrance d'une ordonnance d'expulsion. Ce n'est qu'a-
lors qu'elle revêt un caractère définitif et peut faire l'objet d'un
examen conformément à ce qui était envisagé dans cette
affaire. Il convient de ne pas suivre l'interprétation donnée au
paragraphe 45(1) dans l'arrêt Ergul. Il faut interpréter la Loi
sur l'immigration de 1976 de manière à éviter des difficultés
administratives et, dans cette optique, l'expression «S'il est
établi ... [que] l'enquête aurait abouti à une ordonnance de
renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour» n'exige pas que
l'arbitre détermine s'il y a lieu d'émettre une ordonnance ou un
avis avant d'ajourner l'enquête, mais a pour but d'indiquer qu'il
s'agit d'une situation dans laquelle il y aura lieu d'émettre une
ordonnance d'expulsion ou un avis d'interdiction de séjour et
non d'autoriser la personne à entrer ou à demeurer au Canada,
ce qui est également une issue possible selon l'article 32.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F.
1166 (C.A.); National Indian Brotherhood, et autres c.
Juneau, et autres (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Ergul c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1982] 2 C.F. 98 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
British Columbia Packers Limited, et autres c. Le Con-
seil canadien des relations du travail et autre, [1973]
C.F. 1194 (C.A.); In re la Loi antidumping et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [ 1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
La Commission canadienne des droits de la personne c.
British American Bank Note Company, [1981] 1 C.F.
578 (C.A.); Richard c. La Commission des relations de
travail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344
(C.A.); Pincheira c. Le procureur général du Canada, et
autres, [1980] 2 C.F. 265 (C.A.); Vakili c. Ministère de
l'Emploi et de l'Immigration, et autres, Cour fédérale,
A-482-82, jugement en date du 16 décembre 1982;
Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1981] 2 C.F. 141 (C.A.).
AVOCATS:
D. Matas pour le requérant.
B. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le requérant
demande, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10,
l'examen et l'annulation de ce qui est décrit dans
l'avis de requête introductif d'instance de la
manière suivante:
[TRADUCTION] ... la décision prononcée contre le requérant
par M. Paul Tetrault, arbitre, en vertu de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976, le 2 février 1982 et communiquée le même jour
au requérant, selon laquelle une ordonnance d'expulsion aurait
été émise si le requérant n'avait pas revendiqué le statut de
réfugié.
À l'audience, les débats ont essentiellement
porté sur la question de savoir si ce qui est attaqué
constitue une «décision» au sens du paragraphe
28 (1) de la Loi sur la Cour fédérale. On ne
prétend pas que l'objet de l'attaque est une «ordon-
nance» au sens de ce paragraphe.
Le requérant est Éthiopien, il est né le 2 novem-
bre 1962 et est arrivé à Winnipeg le 31 décembre
1980, ayant en sa possession un permis de voyage
soudanais; il a été autorisé à demeurer au Canada
comme étudiant jusqu'au 7 décembre 1981. Il
avait décidé, avant cette date, de demander l'auto-
risation de rester au Canada en tant que réfugié au
sens de la Convention et, après s'être renseigné
auprès de fonctionnaires à l'Immigration, décida
de prolonger son séjour dans ce pays au-delà du 7
décembre 1981 et de faire valoir sa revendication
au cours de l'enquête qui devait suivre. Au début
des procédures d'enquête, son avocat déclara qu'il
soumettrait cette revendication en temps utile. À
la suite du prononcé d'une conclusion selon
laquelle le requérant avait prolongé son séjour
au-delà de la durée autorisée, son avocat demanda
un ajournement qui lui fut refusé. L'arbitre aborda
alors la question de savoir s'il convenait d'émettre
un avis d'interdiction de séjour ou une ordonnance
d'expulsion, et se prononça en faveur d'une ordon-
nance d'expulsion. Il exprima son opinion de la
manière suivante:
[TRADUCTION] Étant donné les éléments énoncés au paragra-
phe 32(6), je dirais, pour résumer, que je ne crois pas que votre
situation justifie l'expulsion, mais j'estime que vous ne m'avez
pas suffisamment convaincu que vous êtes disposé à quitter le
Canada et que vous êtes en mesure de le faire. En conséquence,
j'aurais ordonné aujourd'hui votre expulsion si vous n'aviez pas
revendiqué le statut de réfugié.
L'enquête fut alors ajournée pour permettre aux
autorités compétentes de se prononcer sur la reven-
dication par le requérant du statut de réfugié au
sens de la Convention, conformément à l'article 45
de la Loi. L'ordonnance d'expulsion n'a pas été
émise et ne pouvait l'être légalement avant la
résolution de la question de la revendication et la
reprise ultérieure de l'enquête. Ce que le requérant
demande en l'espèce c'est l'examen et l'annulation
de la conclusion de l'arbitre selon laquelle il y
aurait eu lieu d'émettre une ordonnance d'expul-
sion de préférence à un avis d'interdiction de
séjour, s'il n'y avait pas eu revendication du statut
de réfugié au sens de la Convention. On soutient
que cette conclusion constitue une «décision» au
sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Avant de citer les dispositions pertinentes de la
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, il convient de donner un aperçu général
du contexte dans lequel elles s'appliquent.
Aux termes de la Loi, certaines catégories défi-
nies de personnes, et notamment les citoyens cana-
diens, ont le droit d'entrer et de demeurer au
Canada, certaines autres catégories définies de
personnes peuvent être autorisées à entrer ou à
demeurer au Canada et, enfin, certaines autres
catégories n'ont pas le droit d'entrer au Canada
ou, si ces personnes s'y trouvent déjà, n'ont pas le
droit d'y demeurer. Pour ce qui concerne la défini-
tion des droits de personnes autres que celles qui
déclarent être des citoyens canadiens ou des réfu-
giés au sens de la Convention, la Loi prévoit un
système d'enquêtes tenues par des fonctionnaires
que l'on appelle les arbitres, qui ont le pouvoir
d'enquêter à leur sujet et de déterminer si une
personne qui fait apparemment partie d'une caté-
gorie qui n'est pas autorisée à entrer ou à demeu-
rer au Canada appartient effectivement à cette
catégorie et, après avoir tranché la question, d'agir
en conséquence de cette conclusion, conformément
à l'article 32, en autorisant cette personne à entrer
ou à demeurer au Canada ou en ordonnant son
exclusion ou son renvoi. Dans le cas du renvoi,
l'ordonnance à prononcer est une ordonnance d'ex-
pulsion ou d'exclusion. Toutefois, dans certains cas
de personnes qui ont été admises au Canada ou qui
s'y trouvent, selon la catégorie précise de person-
nes sujettes à renvoi à laquelle il a conclu que la
personne appartenait:
32. (6) ... l'arbitre doit émettre un avis d'interdiction de
séjour fixant à ladite personne un délai pour quitter le Canada,
s'il est convaincu
a) qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue
eu égard aux circonstances de l'espèce; et
b) que ladite personne quittera le Canada dans le délai
imparti.
La différence essentielle entre les conséquences
de l'avis d'interdiction de séjour et celles d'une
ordonnance d'expulsion tient à ce qu'une personne
qui a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion ne
puisse plus revenir au Canada sans l'autorisation
du Ministre. Une interdiction de séjour n'entraîne
pas la même prohibition.
Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, la loi ne
confère pas à l'arbitre le pouvoir de se prononcer
sur la revendication du statut de réfugié au sens de
la Convention. L'article 45 de la Loi prévoit une
procédure spéciale pour la reconnaissance de ce
statut. Si ce statut est reconnu, la loi contient des
dispositions accordant à l'intéressé, dans certains
cas, le droit de demeurer au Canada et, dans
d'autres, un certain degré de protection contre
l'expulsion vers un pays dans lequel sa vie ou sa
liberté seraient en danger.
Le paragraphe 45(1) et l'article 46 s'inscrivent
dans ce contexte. Ils prévoient notamment:
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en
cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention,
doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi-
cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à
un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire
sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
46. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé conformé-
ment au paragraphe 45(5) que la personne en cause n'est pas
un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre
l'enquête, dès que les circonstances le permettent, par l'arbitre
qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la
personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du
paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas,
l'enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa
décision au Ministre.
(2) L'arbitre chargé de poursuivre l'enquête en vertu du
paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de
réfugié n'avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l'inter-
diction de séjour de la personne
a) à qui le Ministre n'a pas reconnu le statut de réfugié au
sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen
de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou
b) à qui la Commission n'a pas reconnu le statut de réfugié
au sens de la Convention.
En concluant en l'espèce, avant d'ajourner l'en-
quête conformément au paragraphe 45(1), qu'il y
avait lieu d'émettre une ordonnance d'expulsion
plutôt qu'un avis d'interdiction de séjour, l'arbitre
a adopté et suivi l'interprétation que donnait la
présente Cour à ce paragraphe dans l'arrêt Ergul
c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration'.
Dans cette décision, la Cour a statué qu'une
enquête ajournée avant que cette question soit
tranchée ne pouvait être considérée comme ajour-
née en vertu du paragraphe 45(1) ni reprise en
vertu du paragraphe 46(1) et qu'en conséquence,
l'enquête ne pouvait être reprise par un arbitre
différent de celui qui l'avait commencée sans le
consentement de l'intéressé.
' [1982] 2 C.F. 98 (C.A.).
Lorsqu'il prétend que la conclusion à laquelle est
parvenu l'arbitre constitue une «décision» au sens
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, le
requérant, si je comprends bien son argumenta
tion, dit en fait qu'à la reprise de l'enquête aux
termes du paragraphe 46(1), si sa revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention est
rejetée, l'arbitre sera obligé, en vertu du paragra-
phe 46(2), de prononcer simplement l'ordonnance
d'expulsion qu'il a auparavant résolu de prononcer
et qu'en conséquence, la détermination qu'il a prise
est elle-même définitive et constitue une «décision»
qui peut faire l'objet d'un examen aux termes de
l'article 28. Cette argumentation est fondée sur
l'hypothèse que le raisonnement adopté dans l'ar-
rêt Ergul est juste et doit être suivi. Si, en revan-
che, ce raisonnement était erroné et donc ne devait
pas être suivi, son avocat a admis que la conclusion
contestée ne constituerait pas une «décision» et
qu'en conséquence, la demande d'examen et d'an-
nulation devrait échouer. L'avocat du requérant et
celui de l'intimé ont instamment demandé à la
Cour d'adopter ce point de vue. L'avocat de l'in-
timé a toutefois soutenu que, même si le raisonne-
ment adopté dans l'arrêt Ergul devait être suivi, la
conclusion attaquée ne constituerait pas une «déci-
sion» au sens de l'article 28.
La question de savoir si des mesures précises
prises par des tribunaux fédéraux constituaient des
«décisions» au sens du paragraphe 28(1) de la Loi
sur la Cour fédérale a été étudiée en de nombreu-
ses occasions depuis 1971, et notamment dans les
arrêts suivants: Le procureur général du Canada c.
Cylien 2 , British Columbia Packers Limited, et
autres c. Le Conseil canadien des relations du
travail et autre 3 , et In re la Loi antidumping et in
re Danmor Shoe Co. Ltd. 4 . Dans l'arrêt Cylien, le
juge en chef Jackett a cité l'arrêt National Indian
Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (N° 2) 5
dans lequel il avait étudié, sans se prononcer,
certaines questions qui pouvaient se poser dans la
définition de la portée des mots «décision ou ordon-
nance» au paragraphe 28(1). Il a cité un passage
de cet arrêt qui disait notamment ceci [à la page
1174] :
2 [1973] C.F. 1166 (C.A.).
3 [1973] C.F. 1194 (C.A.).
° [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
5 [1971] C.F. 73 (C.A.).
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des
termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de l'art.
28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit d'une
décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal
en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances
ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de
trancher définitivement l'affaire.
Le juge en chef a ensuite décrit ce qui était
contesté dans l'arrêt Cylien [à la page 1174]:
Selon mon interprétation des prétentions soumises au nom du
procureur général, la Commission, en prononçant ses motifs à
la majorité le 16 octobre 1973, a rendu, expressément ou
implicitement, une décision par laquelle elle rejetait l'objection
faite à sa compétence, confirmait sa décision antérieure quant à
la production du «dossier» et décidait de procéder à une audi
tion avant de s'acquitter de ses obligations découlant de l'article
11(3). C'est cette décision que l'avocat demande à la Cour
d'annuler en vertu de l'article 28. (Au cours des débats, l'avocat
du procureur général fit savoir qu'il ne recherchait aucunement
l'annulation de l'«ordonnance» du 24 octobre, si ce n'est en tant
que partie intégrante de cette «décision».)
Puis, plus loin [aux pages 1175 et 1176]:
Afin de déterminer si ce qu'on présente ici comme une
décision est une «décision» au sens de ce mot à l'article 28(1), il
faut se rappeler que la Commission d'appel de l'immigration est
un office, une commission ou un autre tribunal fédéral car il
s'agit d'un organisme ayant, exerçant ou prétendant exercer
«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du
Parlement du Canada (voir article 2g) de la Loi sur la Cour
fédérale). Une décision susceptible d'annulation en vertu de
l'article 28(1) doit donc être une décision résultant de l'exercice
ou du prétendu exercice d'aune compétence ou des pouvoirs»
conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision
du tribunal, prise en vertu d'aune compétence ou des pouvoirs»
expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de
cette catégorie. Une décision prise dans le prétendu exercice
d'aune compétence ou des pouvoirs» précis conférés par la loi
relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de
ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle
prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée,
le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant
une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne
peut y revenir. (A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès
ou implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compé-
tence supplémentaire.) [C'est moi qui souligne.]
Je m'arrête un instant pour faire observer que
c'est à mon avis sur cet extrait et en particulier les
deux phrases que j'ai soulignées que le requérant
s'appuie en l'espèce.
Plus loin dans ses motifs, le juge en chef dit ceci
[aux pages 1176 et 1177]:
Il s'agit donc ici d'examiner la question de savoir si l'article
28(1) s'applique non seulement à toutes les décisions de la
Commission d'appel de l'immigration dans l'exercice ou le
prétendu exercice de «sa compétence ou de ses pouvoirs» de
rendre des décisions qui ont un effet ou des conséquences
juridiques, mais s'applique aussi à toutes les conclusions aux-
quelles la Commission est parvenue au cours des diverses étapes
préliminaires avant d'exercer réellement «sa compétence ou ses
pouvoirs» de rendre des décisions.
En définitive, il statua que ce qui faisait l'objet
de l'attaque n'était pas une «décision» au sens du
paragraphe 28(1).
Il faut noter toutefois que ni l'arrêt Cylien ni
l'arrêt British Columbia Packers ne portait sur un
cas où le tribunal avait tranché une question sur
laquelle il était expressément autorisé ou requis de
se prononcer par la loi applicable. L'arrêt Danmor
Shoe portait sur un point similaire et a abouti au
même résultat. Étaient attaquées comme «déci-
sions» la conclusion de la Commission du tarif
selon laquelle elle n'avait pas compétence pour
examiner une directive ministérielle prise en vertu
d'une loi et certaines décisions incidentes prises
par cette Commission sur la question des objec
tions soulevées contre l'admission d'éléments de
preuve pendant l'audition des appels. Aucun de ces
trois cas ne correspondait à la question posée en
l'espèce. La seule déclaration du juge en chef qui
touche de près les questions soulevées en l'espèce
est le passage de son analyse de l'affaire National
Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres
(No 2) qu'il a cité dans l'affaire Cylien, en l'occur-
rence la déclaration selon laquelle, dans le contexte
de la Loi sur la Cour fédérale, il s'agit d'une
décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par
le tribunal en vertu de sa constitution.
Un cas un peu plus proche a été examiné dans
l'affaire La Commission canadienne des droits de
la personne c. British American Bank Note Com
pany, [1981] 1 C.F. 578 (C.A.): une ordonnance
par laquelle le tribunal des droits de la personne
s'était déclaré incompétent pour connaître de cer-
taines plaintes n'a pas été considérée comme une
«décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Le tribunal ne cherchait pas à
rejeter les plaintes. Cette situation est en contraste
avec les faits de l'affaire Richard c. La Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique, [1978] 2 C.F. 344 (C.A.), dans laquelle,
après avoir conclu au défaut de compétence, l'arbi-
tre a exercé son pouvoir légal et a rejeté le grief.
Aucune de ces affaires ne se compare vraiment
avec la situation qui nous occupe puisqu'en l'es-
pète, si le raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul
est juste, la loi elle-même exige une conclusion
avant que l'ajournement ne soit ordonné aux
termes du paragraphe 45(1).
À mon avis, la conclusion de l'arbitre n'est pas
une «décision» pouvant être contestée en vertu de
l'article 28 et j'adopte ce point de vue sans me
prononcer sur la justesse du raisonnement adopté
dans l'arrêt Ergul. Il est évident, je crois, que si ce
raisonnement n'est pas fondé, la conclusion n'a
aucune valeur juridique et n'en aura aucune jus-
qu'à sa mise en ouvre, le cas échéant, par la
délivrance d'une ordonnance d'expulsion. Comme
je l'ai déjà indiqué, cette proposition est admise
par les avocats. Toutefois, même si le raisonne-
ment de l'arrêt Ergul est juste, la conclusion en
cause n'est, à mon avis, rien de plus que l'expres-
sion d'une opinion et ne sera pas une «décision»
susceptible d'examen en vertu de l'article 28 avant
sa mise en ouvre par une ordonnance d'expulsion.
À mon sens, cette conclusion n'a aucun caractère
obligatoire à l'égard de quiconque. La question
soumise à l'arbitre n'est pas tranchée par des mots
mais par le prononcé d'une ordonnance obligatoire.
Avant cela, rien n'est définitif. J'estime qu'il est
impossible de dire qu'à ce stade, le pouvoir du
Ministre de délivrer un permis aux termes de
l'article 37 est épuisé. Il s'est simplement passé
ceci: l'enquête a été ajournée, et lorsqu'elle sera
reprise, l'arbitre, à mon avis, aura devant lui l'en-
semble de la question soumise à l'enquête comme
il l'avait devant lui avant l'ajournement. Il lui sera
alors loisible, s'il estime que la preuve le justifie,
de réexaminer et de modifier toute conclusion à
laquelle il était parvenu ou de mettre en œuvre ses
conclusions en exerçant son pouvoir légal d'émet-
tre une ordonnance d'expulsion 6 . C'est à ce
6 Voir l'arrêt Pincheira c. Le procureur général du Canada,
et autres, [1980] 2 C.F. 265 (C.A.), dans lequel le juge Pratte
disait ceci au nom de la Cour, à la p. 267:
La conclusion à laquelle en arrive un arbitre au terme du
premier stade d'une enquête ajournée conformément à l'arti-
cle 45(1) n'est pas immuable; l'arbitre a le droit de la réviser
à tout moment au cours de l'enquête et il a même le devoir de
le faire s'il constate qu'elle est mal fondée. En conséquence,
si pendant la seconde partie de l'enquête l'arbitre constate
que, contrairement à ce qu'il avait d'abord cru, la personne
concernée a le droit de venir ou demeurer au Canada, il doit
arrêter là l'enquête et prononcer la décision qui s'impose. Il
ne servirait à rien de poursuivre le second stade de l'enquête
prévu à l'article 47: pourquoi perdre son temps à déterminer
si un réfugié peutêtre forcé à quitter le pays si, par ailleurs,
le droit de ce réfugié d'entrer et de demeurer chez nous est
incontesté?
moment et pas avant, à mon avis, qu'il y aura
quelque chose de définitif et donc matière à
examen aux termes de l'article 28, c'est-à-dire une
décision conforme à ce qu'envisageait le juge en
chef Jackett dans l'extrait cité de son jugement
dans l'arrêt National Indian Brotherhood.
L'avocat du requérant a mis l'accent sur une
distinction à faire entre ce qui relève du mot
«décision» à l'article 28 et ce qui relève du mot
«ordonnance». Il est évident que ces mots ont un
sens différent. Ils ne couvrent pas le même champ.
Il y a des décisions qui ne relèvent pas du sens du
mot «ordonnance» et peut-être des ordonnances
qu'il est difficile de considérer comme des déci-
sions. Mais à mon avis, leurs sens se recoupent
dans une large mesure. Une ordonnance prononcée
tombera évidemment dans la catégorie des «ordon-
nances», qu'elle puisse ou non être décrite égale-
ment par le mot «décision». Mais il existe des lois
qui confèrent le pouvoir de rendre des décisions
qui, en pratique, ne donnent pas lieu à une ordon-
nance formelle et peuvent être mises en oeuvre sans
ordonnance. Il y a également des lois qui définis-
sent ce qu'il faut considérer comme une décision
du tribunal. L'expression «décision ou ordonnance»
à l'article 28 a pour but, à mon avis, d'englober
toutes ces décisions ainsi que toutes les ordonnan-
ces sans qu'il soit nécessaire de faire des distinc
tions pointilleuses à leur sujet.
Ce qui précède est suffisant pour disposer de la
demande qui doit, à mon avis, être rejetée. Je me
propose toutefois d'ajouter quelques observations
sur la décision Ergul puisqu'elle a été longuement
discutée au cours des débats et a été mentionnée
dans quatre autres demandes qui ont été entendues
au cours de la même session de la présente Cour.
On nous a dit que la décision Ergul a trans
formé la pratique suivie jusqu'alors par les arbitres
et qu'elle a provoqué des difficultés administrati-
ves. Bien sûr, on peut facilement concevoir que le
bien-fondé d'une conclusion prononcée avant
l'ajournement, aux termes du paragraphe 45(1) et
indiquant qu'il convient d'émettre un avis d'inter-
diction de séjour, risque d'être plus ou moins remis
en cause par l'évolution des circonstances avant la
reprise de l'enquête. De plus, il n'est habituelle-
ment pas possible de fixer un délai avant d'ajour-
ner l'enquête aux termes du paragraphe 45(1),
puisque l'arbitre n'est pas en mesure d'estimer la
durée de la procédure d'examen de la revendica-
tion du statut de réfugié. La conclusion selon
laquelle il conviendrait d'émettre une ordonnance
d'expulsion pourrait aussi devenir inappropriée
avant la reprise de l'enquête. Compte tenu de
toutes ces difficultés, j'estime qu'il faut dans la
mesure du possible, interpréter la loi de manière à
les éviter. Le paragraphe 45(1) peut et doit être
interprété de cette manière. Je crois que l'expres-
sion «S'il est établi ... [que] l'enquête aurait
abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis
d'interdiction de séjour» n'exige pas que l'arbitre
détermine s'il y a lieu ou non d'émettre une ordon-
nance ou un avis avant d'ajourner l'enquête, mais
a pour but d'indiquer qu'il s'agit d'une situation
dans laquelle il y aura lieu d'émettre une ordon-
nance d'expulsion ou un avis d'interdiction de
séjour et non d'autoriser la personne à entrer ou à
demeurer au Canada, ce qui est également une
issue possible de l'enquête, selon l'article 32.
Le libellé du paragraphe 46(2) peut également,
à mon avis, être interprété de la même manière
quoique le temps du verbe «would have been
made», dans la version anglaise, le rende obscur,
alors que la version française ne présente pas le
même problème.
En outre, des doutes ont été exprimés quant à la
justesse du raisonnement adopté dans l'arrêt
Ergul, dans la décision Vakili c. Ministère de
l'Emploi et de l'Immigration, et autres (non
publiée, A-482-82, 16 décembre 1982). Dans ses
motifs, le juge Pratte, avec l'accord des autres
membres de la Cour dit ceci [à la page 3]:
Comme je l'ai indiqué à l'audience, cependant, les nombreux
inconvénients pratiques qui résultent de l'arrêt rendu dans
l'affaire Ergul me font maintenant douter de la valeur de cette
décision que cette Cour devra peut-être, un jour, déclarer ne
pas devoir être suivie.
La décision Ergul paraît également être en con-
flit avec l'opinion exprimée par le juge Ryan et à
laquelle ont souscrit les autres membres de la
Cour, dans l'arrêt Brannson c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration'.
Compte tenu des doutes exprimés dans l'arrêt
Vakili et du conflit avec l'opinion formulée dans
l'arrêt Brannson, je pense que la Cour peut et doit
7 [1981] 2 C.F. 141 (C.A.) aux pp. 147, 148 et 155.
adopter ce qui paraît maintenant être la meilleure
interprétation possible du paragraphe 45(1) et
qu'elle devrait indiquer que l'interprétation qui lui
est donnée dans la décision Ergul ne doit pas être
suivie.
La demande est donc rejetée.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.