A-797-81
Marc Beauregard, juge puîné de la Cour supé-
rieure du district de Montréal, province de
Québec (demandeur) (intimé)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
(appelante)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et Heald—Ottawa, 25, 26 janvier et 29 juin 1983.
Juges et tribunaux — Modification à la Loi sur les juges
ayant pour effet de rendre obligatoire la cotisation à des
régimes de rente et de prestations de retraite qui jusqu'alors
étaient sans cotisation — Le Parlement est-il tenu par la
Constitution de payer ces avantages sans obliger les juges à en
assumer une partie? — Le Parlement a-t-il le pouvoir de
réduire le traitement des juges? — La Constitution ne permet
pas d'imposer aux juges un régime de pension à cotisation —
La modification est ultra vires — Le pouvoir du Parlement de
fixer le traitement des juges comporte celui de le réduire — Le
juge de première instance a commis une erreur en statuant que
le Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire le traitement et
les avantages attachés à la charge de l'intimé au moment de sa
nomination — Il ne faut pas confondre les droits que confère
la commission d'un juge en vertu du Grand Sceau du Canada
avec le pouvoir que détient le Parlement en vertu de l'art. 100
de la Loi de 1867 — Les premiers ne peuvent être retirés que
par application régulière de la loi — L'application régulière de
la loi peut prendre la forme de procédures d'expropriation —
Le pouvoir conféré au Parlement par l'art. 400 ne se limite pas
à la fixation du traitement des juges qui seront nommés par la
suite — Il n'existe pas au Canada de règle de droit interdisant,
comme au Royaume-Uni et aux États-Unis, de diminuer le
traitement des juges pendant la durée de leur commission —
Les dispositions attaquées n'ont pas pour effet de réduire le
traitement mais d'imposer un régime de retraite à contribution
obligatoire — Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1, art.
29.1 (ajouté par la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire
(Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81, art. 100) —
Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, S.R.C.
1970 (1" Supp.), chap. 43 (mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.),
chap. 30 et par S.C. 1973-74, chap. 36),— Loi constitution-
nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1, art. 91(8),(27), 92(14), 96, 97, 98, 99 (abrogé et
remplacé par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. Il, chap.
2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36]), 100, 101 —
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III,
art. Ib) — The Act of Settlement (1700), 12 & 13 Will. 3,
chap. 2 — An Act for rendering more effectual the Provisions
in [the Act of Settlement] relating to the Commissions and
Salaries of Judges, A.D. 1760, 1 Geo. III, chap. 23, art. 3.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Magistra-
ture — Obligation imposée au Parlement de fixer et de payer
les traitements, allocations et pensions des juges — Le mot
«provided» («payés») n'a pas le même sens que le mot nsecu-
red» («garantis») — Le Parlement ne possède pas les pleins
pouvoirs pour légiférer sur le traitement des juges — Toute-
fois, ce pouvoir ne se limite pas à fixer le traitement une fois
pour toutes — Le Parlement pourrait fixer les traitements à
tout niveau — Le Parlement n'a pas le pouvoir de dicter la
façon dont les traitements doivent être utilisés — La modifica
tion à la Loi sur les juges qui a imposé un régime de pension à
cotisation obligatoire est ultra vires — Loi sur les juges,
S.R.C. 1970, chap. J-1, art. 29.1 (ajouté par la Loi de 1975
modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974-
75-76, chap. 81, art. 100) — Loi sur les prestations de retraite
supplémentaires, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 43 (mod. par
S.R.C. 1970) (2 » Supp.), chap. 30 et par S.C. 1973-74, chap.
36) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5], mod. par la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n°1, art. 91(8),(27), 92(14), 96, 97,
98, 99 (abrogé et remplacé par la Loi constitutionnelle de
1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.) IS.R.C. 1970, Appendice II, n°
36], 100, 101 — Déclaration canadienne des droits, S.R.C.
1970, Appendice III, art. lb) — The Act of Settlement (1700),
12 & 13 Will. 3, chap. 2 — An Act for rendering more
effectual the Provisions in [the Act of Settlement] relating to
the Commissions and Salaries of Judges, A.D. 1760, 1 Geo.
III, chap. 23, art. 3.
Peu de temps après que l'intimé eut été nommé juge puîné à
la Cour supérieure du Québec, la Loi sur les juges a été
modifiée par l'insertion de l'article 29.1. Cette disposition
oblige les juges à payer, par voie de retenue sur leur traitement,
une part du coût des régimes de pension de leurs veuves et de
leurs enfants, et à contribuer à leur propre régime de pensions
de retraite et de prestation supplémentaires. Jusqu'alors, tous
ces régimes étaient sans cotisation. Cette modification a eu
pour effet de réduire de 7 % le salaire de l'intimé et des autres
juges fraîchement nommés et de 1 1 / 2 % celui des juges nommés
avant l'entrée en vigueur de la modification.
La première question qui se pose est de savoir si le Parlement
est tenu par la Constitution de verser aux juges des pensions de
retraite sans cotisation. La deuxième est de savoir si le Parle-
ment a le pouvoir de diminuer, de réduire ou d'abaisser le
traitement et les autres avantages fixés établis de l'intimé. La
troisième est de savoir si le paragraphe 29.1(2) contrevient à
l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits. Le juge
de première instance a statué que le paragraphe 29.1(2) était,
pour ce qui concerne l'intimé, ultra vires.
Arrêt (le juge Pratte étant dissident): l'appel est rejeté.
Le juge en chef Thurlow: Le seul pouvoir que l'article 100 de
la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement est celui
de «fixer et de payer» les traitements, allocations et pensions des
juges qui y sont visés. Il ne confère pas au Parlement le pouvoir
de dicter aux bénéficiaires la façon de les utiliser, ni de l'obliger
à s'en servir à des fins particulières. Dans son essence et sa
substance, l'article 29.1 de la Loi sur les juges impose à ces
juges un régime de pension à cotisation obligatoire. Rien à
l'article 100 ne permet l'adoption d'une telle disposition législa-
tive et cette dernière est en conséquence ultra vires pour ce qui
concerne les juges qui y sont visés. Il s'ensuit que les paragra-
phes (1) et (2) de l'article 29.1 sont ultra vires et invalides.
Il faut ajouter que l'article 100 confère effectivement au
Parlement le pouvoir de diminuer le traitement des juges.
Manifestement, le Parlement peut en tout temps fixer ces
traitements, ce qui comporte le pouvoir de les augmenter et de
les diminuer.
Il n'y a pas eu contravention à l'alinéa lb) de la Déclaration
canadienne des droits: la modification a été adoptée en vue
d'atteindre un objectif fédéral valable et le Parlement n'a pas
agi de façon déraisonnable en établissant que la catégorie de
juges obligés de verser des contributions serait formée de juges
ayant été nommés après la date de présentation du projet de loi.
Le juge Heald: L'obligation qui est faite au Parlement à
l'article 100 de payer les pensions des juges lui impose le devoir
de payer le montant total desdites pensions. Le paragraphe
29.1(2) oblige les juges à assumer une partie du coût de leurs
propres pensions; pour cette raison, il entre en conflit avec
l'article 100 et est par conséquent ultra vires. Le paragraphe
29.1(1) n'est pas ultra vires car il traite d'une question diffé-
rente, quoique connexe.
Le pouvoir, conféré au Parlement par l'article 100, de «fixer
et de payer» le traitement et les autres avantages des juges
comporte implicitement celui de les modifier à la hausse ou à la
baisse. Les tenants de l'opinion contraire se fondent essentielle-
ment sur un principe de droit constitutionnel fondamental
tirant lui-même son origine d'une convention politique. La Cour
suprême du Canada a toutefois expressément rejeté l'argument
suivant lequel une convention politique puisse devenir loi, dans
l'arrêt Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution. La
Constitution garantit l'inamovibilité des juges (article 99), mais
cette garantie ne s'étend pas à leur traitement. En outre,
aucune modification constitutionnelle n'est requise pour que le
Parlement puisse apporter des modifications aux matières qui
relèvent manifestement des pouvoirs qui lui sont conférés par
l'article 100.
L'argument fondé sur l'alinéa l b) de la Déclaration cana-
dienne des droits est rejeté pour les motifs donnés par le juge en
chef Thurlow.
Le juge Pratte (dissident): L'article 29.1 ne porte pas atteinte
aux droits des juges de recevoir une pension mais plutôt à leur
droit à leur traitement. La véritable question est donc de savoir
si le Parlement a le pouvoir de réduire le traitement des juges.
L'expression «fixés et payés» à l'article 100 ne signifie pas
que le traitement des juges ne peut pas être diminué. L'article
100 ne fait que conférer au Parlement le pouvoir mais aussi le
devoir de fixer et de payer le traitement des juges; ce pouvoir
inclut celui de modifier lesdits traitements. La garantie d'ina-
movibilité inscrite à l'article 99 n'est pas une garantie que le
traitement des juges ne sera jamais modifié.
Il n'existe pas de principe de droit constitutionnel déniant au
Parlement le pouvoir de réduire le traitement de juges. Les lois
britanniques ou les pratiques parlementaires britanniques qui
prétendraient nier ce droit ne pourraient restreindre le pouvoir
du Parlement britannique ni, à plus forte raison, celui du
Parlement canadien en la matière.
L'argument fondé sur l'alinéa l b) de la Déclaration cana-
dienne des droits est dénué de fondement. Par «égalité devant
la loi», il faut entendre l'«assujettissement égal de toutes les
classes au droit commun du pays appliqué par les tribunaux
ordinaires». De toute évidence, le paragraphe 29.1(2) ne contre-
vient pas à cette garantie d'égalité.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
O. Martineau and Sons, Limited v. City of Montreal et
al., [ 1932] A.C. 113 (P.C.); Toronto Corporation v. York
Corporation, [1938] A.C. 415 (P.C.); Le Procureur
général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349;
Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981]
I R.C.S. 753.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re The Constitutional Questions Act; Re The Income
Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134 (C.A. Sask.), confir-
mée sub nom. Judges v. Attorney -General of Saskatche-
wan, [1937] 2 D.L.R. 209 (P.C.); Abbott v. The City St.
John (1908), 40 R.C.S. 597.
DÉCISIONS CITÉES:
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; La Reine c.
Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Curr c. La Reine,
[1972] R.C.S. 889; Prata c. Ministre de la main-d'oeuvre
et de l'immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376; Bliss c. Procu-
reur général (Can.), [ 1979] 1 R.C.S. 183.
AVOCATS:
David W. Scott, c.r., pour le demandeur
(intimé).
W. I. C. Binnie, c.r. et D.M. Low pour la
défenderesse (appelante).
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour le demandeur
(intimé).
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse (appelante).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Appel est inter-
jeté en l'espèce d'un jugement déclaratoire de la
Division de première instance [[1981] 2 C.F. 543]
portant que le paragraphe (2) de l'article 29.1 de
la Loi sur les juges [S.R.C. 1970, chap. J-1], telle
que modifiée par l'article 100 de la Loi de 1975
modifiant le droit statutaire (Pensions de
retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81, est, pour ce
qui concerne l'intimé, ultra vires du Parlement du
Canada. L'intimé avait en outre sollicité un juge-
ment déclaratoire portant que les mots «avant le 17
février 1975» au paragraphe (1) de l'article 29.1 de
la Loi sur les juges tel qu'édicté dans le chapitre
81 étaient, eux aussi, ultra vires, mais le jugement
n'a pas statué sur la validité de ce paragraphe.
L'article 29.1, qui fait partie des dispositions de
la Loi sur les juges qui portent sur les Pensions et
qui a obligé pour la première fois les juges à
participer à leur propre pension de retraite, à la
pension de leur veuve et de leurs enfants et aux
prestations prévues dans la Loi sur les prestations
de retraite supplémentaires [S.R.C. 1970 (ler
Supp.), chap. 43], est entré en vigueur le 20
décembre 1975 après que la Loi de 1975 modifiant
le droit statutaire (Pensions de retraite) eut reçu
la sanction royale. Cet article prévoit que:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une
cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu
consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur
traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour
supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six
pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires,
établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi
sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu
tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant
1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Le projet de loi renfermant ces dispositions avait
été déposé à la Chambre des communes le 17
février 1975. À cette époque, il y avait devant le
Parlement un projet qui avait été présenté le 19
décembre 1974 et qui prévoyait des hausses de
traitement pour les juges et des prestations supplé-
mentaires pour les conjoints survivants et les
enfants de juges décédés. Ce projet a reçu la
sanction royale le 4 juillet 1975 [TR/75-83].
L'intimé a été nommé juge de la Cour supé-
rieure du district de Montréal le 14 juillet 1975,
soit après l'entrée en vigueur de la Loi prévoyant
la majoration des traitements des juges et des
prestations destinées à leur veuve et à leurs
enfants, mais avant l'adoption de la Loi obligeant
les juges à participer à ces pensions et à ces
prestations. Par sa commission, l'intimé a été
nommé juge de la Cour avec tous les pouvoirs,
droits, attributions, prérogatives, bénéfices, émolu-
ments et avantages attachés de plein droit ou par
l'effet de la loi auxdites fonctions durant bonne
conduite. Lorsqu'il a accepté sa nomination, l'in-
timé ne savait pas que le Parlement était saisi d'un
projet de loi qui allait rendre la participation
obligatoire. Pour leur part, les juges qui exerçaient
déjà leur fonction lors de la présentation dudit
projet de loi avaient été informés par le Ministre
de la Justice que:
[TRADUCTION] Toutefois, ces améliorations ont été appor-
tées dans le cadre de la révision globale des politiques fédérales
en matière de pensions que l'on vient tout juste de terminer. En
conséquence, il est possible que l'on doive dans l'avenir deman-
der aux juges qui exercent actuellement leur fonction de parti-
ciper modestement à l'amélioration du régime de pensions pour
les veuves, et aux personnes qui seront à l'avenir nommées à des
postes de juge, de contribuer dans une certaine mesure aux
coûts du régime de prestations de retraite.
Cette participation obligatoire des juges a été
imposée par la Loi de 1975 modifiant le droit
statutaire (Pensions de retraite) qui, comme nous
l'avons mentionné, a été présentée le 17 février
1975 et est entrée en vigueur le 20 décembre 1975.
L'intimé qui, depuis sa nomination, avait reçu son
salaire sans retenue de ce genre pour les pensions,
s'est vu obligé, par cette Loi à verser des contribu
tions totalisant 3 445 $ en 1976, 3 815 $ en 1977 et
3 955 $ en 1978.
L'intimé a plaidé, tant en première instance
qu'en appel, que le paragraphe 29.1(2) est ultra
vires parce que le Parlement n'a pas le pouvoir en
vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1] ni en vertu du droit
constitutionnel non écrit d'exiger des contributions
pour les pensions de retraite et les prestations
supplémentaires de retraite (par opposition aux
pensions destinées aux veuves et aux enfants) dont
les juges des cours supérieures bénéficiaient au 20
décembre 1975.
Subsidiairement, l'intimé a plaidé que les mots
«avant le 17 février 1975» au paragraphe 29.1(1)
et le paragraphe 29.1(2) dans son ensemble sont
ultra vires pour ce qui le concerne parce que le
Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire ou
diminuer les avantages fixés et établis que lui
conférait sa commission.
Subsidiairement, l'intimé a allégué que les mots
«avant le 17 février 1975» employés au paragraphe
29.1(1) et la totalité du paragraphe 29.1(2) sont
inopérants et invalides pour ce qui le concerne
parce qu'ils sont discriminatoires et contreviennent
à l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III] en lui déniant
le droit à l'égalité devant la loi.
Le dernier argument, si j'ai bien compris, reve-
nait à dire que l'adoption de la loi de 1975 avait eu
pour effet de dénier à l'intimé son droit à l'égalité
devant la loi parce qu'en vertu de ladite Loi, ce
dernier ne perdait pas dans la même mesure que
les juges qui occupaient leur poste avant le 20
décembre 1975 le droit de recevoir son traitement
libre de retenue. L'intimé, s'appuyant sur le rai-
sonnement du juge McIntyre dans l'arrêt MacKay
c. La Reine', a allégué que le fait d'établir le 20
décembre 1975 une distinction entre les juges
nommés le 16 février 1975 ou avant et ceux
nommés après cette date ne visait pas un objectif
fédéral valable et que le fait d'agir ainsi était
arbitraire, déraisonnable et inutile.
L'argument de l'intimé sur ce point a été rejeté
par le juge de première instance et fait l'objet d'un
appel incident sollicitant un jugement déclaratoire
portant que si les dispositions ne sont pas ultra
vires, elles sont inopérantes.
L'argument est donc fondé sur l'hypothèse que
le Parlement avait le pouvoir législatif nécessaire
pour adopter ladite Loi. Il me semble donc qu'on
ne peut affirmer que le Parlement ne cherchait pas
à atteindre un objectif fédéral valable lorsqu'il a
obligé les juges à contribuer à un régime de pen
sions à participation. En outre, la distinction qu'a
établie la loi entre les juges nommés avant une
date déterminée, en faveur desquels il existait déjà
des dispositions prévoyant un régime de pensions
sans participation, et les juges nommés après cette
date, afin qu'ultimement, à la suite du décès ou de
la démission des juges exempts, l'ensemble de la
magistrature participe au régime de pensions à
cotisation, m'apparaît comme un moyen d'attein-
dre un objectif fédéral valable. Le problème qui se
pose découle du fait que la date choisie est anté-
rieure à la date d'entrée en vigueur de la Loi mais,
aussi injuste que puisse sembler le résultat à qui-
conque n'était pas au courant, contrairement à
celui qui le savait au moment de sa nomination,
I [1980] 2 R.C.S. 370, la page 406.
qu'un régime de pensions à cotisation s'imposerait
à tous les juges nommés après la date de présenta-
tion du projet de loi, je ne crois pas que l'on puisse
en déduire qu'il a été établi, au sens où l'entendait
le juge Ritchie dans la même affairez, que les
dispositions du projet de loi, y compris le choix de
la date, n'ont pas été adoptées en vue d'atteindre
un objectif fédéral valable ou que le Parlement a
agi de façon arbitraire, déraisonnable ou inutile en
établissant que la catégorie de juges obligée de
verser des contributions serait formée de juges
ayant été nommés après la date de présentation du
projet de loi. Je déclarerais donc l'argument irrece-
vable et rejetterais l'appel incident. Dans ces cir-
constances, je n'accorderais pas de dépens puisque
l'appelant n'en a pas fait la demande.
Le juge de première instance n'a pas formulé de
conclusion à l'égard du premier argument de l'in-
timé. Il a plutôt fondé son jugement sur l'argu-
ment subsidiaire suivant lequel le Parlement
n'avait pas le pouvoir de réduire le traitement et
les autres avantages établis en faveur des juges de
la Cour supérieure au moment de la nomination de
l'intimé. Ces deux arguments reposent à mon avis
sur l'interprétation des dispositions de la Loi cons-
titutionnelle de 1867, telle que modifiée par la Loi
constitutionnelle de 1960 [9 Eliz. II, chap. 2
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36]],
laquelle rendait obligatoire la mise à la retraite des
juges à l'âge de soixante-quinze ans.
Il me semble que l'examen des arguments pré-
sentés doit se faire en tenant compte de l'objet de
la Loi de 1867 et du fait qu'il s'agit d'une loi
constitutionnelle. Cette Loi concrétisait le désir
exprimé par les trois provinces du Canada, de la
Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick de
«contracter une Union Fédérale pour ne former
qu'une seule et même Puissance (Dominion) ...
avec une constitution reposant sur les mêmes prin-
cipes que celle du Royaume-Uni». Suivent ensuite,
dans des parties distinctes de la Loi, des disposi
tions relatives à l'union elle-même, au pouvoir
exécutif, à la constitution du Parlement du
Canada, à la constitution des législatures des pro
vinces et, aux articles 91 et 92, la distribution des
pouvoirs législatifs entre le Parlement du Canada
et les législatures des provinces. L'article 92 a
2 MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, la page 393,
citant La Reine c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693.
conféré aux législatures provinciales le pouvoir
exclusif de légiférer relativement aux matières
entrant dans certaines catégories de sujets dont:
92... .
14. L'administration de la justice dans la province, y compris
la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de
justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle,
y compris la procédure en matières civiles dans ces
tribunaux;
La septième Partie de la loi s'intitule «JUDicA-
TURE» et renferme les dispositions suivantes:
96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours
supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf
ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le
Nouveau-Brunswick.
97. Jusqu'à ce que les lois relatives à la propriété et aux
droits civils dans Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-
Brunswick, et à la procédure dans les cours de ces provinces,
soient rendues uniformes, les juges des cours de ces provinces
qui seront nommés par le gouverneur-général devront être
choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces
provinces.
98. Les juges des cours de Québec seront choisis parmi les
membres du barreau de cette province.
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge
durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs
fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et
de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours
supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica-
tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des
cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont
alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute
disposition contraire énoncée dans le présent acte, lorsque
l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer,
maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le
Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure
administration des lois du Canada.
L'article 99 a été abrogé par la Loi de 1960 et
remplacé par la disposition suivante:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les
juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne
conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur
général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des
Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après
l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa
charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à
l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà
atteint ledit âge.
Je n'ai pas l'intention de faire l'historique de ces
dispositions par rapport à la situation constitution-
nelle de la magistrature au Royaume-Uni ou au
Canada lorsque la Loi constitutionnelle de 1867 a
été adoptée. L'objet général de ces dispositions et
leur effet ressortent d'ailleurs avec suffisamment
de clarté des passages suivants tirés des jugements
du Conseil privé dans O. Martineau and Sons,
Limited v. City of Montreal et al. 3 et Toronto
Corporation v. York Corporation'', et d'un article
du professeur W. R. Lederman publié dans La
Revue du Barreau canadien en 1956 [Vol. 34,
pages 769 et 1139].
Dans l'affaire Martineau, lord Blanesburgh
affirmait:
[TRADUCTION] La compagnie appelante plaide que la législa-
ture du Québec a, dans les lois dont il sera fait mention dans un
instant, empiété sur le pouvoir relatif à la nomination des juges
que détient le gouverneur général en vertu de l'art. 96 de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Il s'agit là d'une
question très importante, car il ne fait aucun doute que le
pouvoir exclusif de nommer les juges des cours supérieures, de
district et de comté de chacune des provinces que détient le
gouverneur général en vertu de cet article est l'une des disposi
tions fondamentales de la loi. Complété par l'art. 100 qui
impose au Parlement du Canada le devoir de fixer et de payer
les traitements, allocations et pensions des juges ainsi nommés
et également par l'art. 99 qui prévoit que les juges des cours
supérieures resteront en fonction durant bonne conduite et ne
pourront être révoqués que par le gouverneur général sur une
adresse du Sénat et de la Chambre des communes, cet article
apparaît comme le fondement des moyens que les rédacteurs de
la loi ont adopté pour assurer l'impartialité et l'indépendance de
la magistrature provinciale. Une cour chargée d'interpréter des
dispositions législatives manquerait donc à son devoir si elle
devait permettre à une loi provinciale d'empiéter de quelque
façon sur lesdites dispositions et sur le principe qui y est
enchâssé.
Dans l'arrêt Toronto, lord Atkin s'exprimait
ainsi:
[TRADUCTION] La première question touche un domaine
d'importance capitale pour le peuple canadien. Alors que le
pouvoir législatif relatif à la création, au maintien et à l'organi-
sation de tribunaux de justice pour la province, y compris la
procédure en matières civiles dans ces tribunaux, est confié à la
province, l'indépendance des juges est protégée par les disposi
tions prévoyant que les juges des cours supérieures, de district
et de comté sont nommés par le gouverneur général (art. 96 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867), que les juges
des cours supérieures seront inamovibles (art. 99), et que les
salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures,
de district et de comté seront fixés et payés par le parlement du
3 [1932] A.C. 113 (P.C.), aux pages 120 et 121.
4 [ 1938] A.C. 415 (P.C.), aux pages 425 et 426.
Canada (art. 100). Ce sont là trois piliers principaux du temple
de la justice, et il ne faut pas les détruire.
Voici ce qu'écrivait le professeur Lederman dans
son article [aux pages 1158 et 1160]:
[TRADUCTION] Les dispositions judiciaires de la loi constitu-
tive de la fédération (1867, (30-31 Vict., c. 3)), établissent
clairement que les provinces constituantes et le nouvel État
devaient continuer de se conformer au modèle du pouvoir
judiciaire anglais. A cet égard, comme à d'autres, il devait y
avoir «une Constitution reposant sur les mêmes principes que
celle du Royaume-Uni». Les tribunaux qui existaient dans
chacune des provinces ont été maintenus par l'article 129, sous
réserve toutefois de certaines autres dispositions de la loi pré-
voyant le partage des pouvoirs et des responsabilités concernant
la magistrature entre les autorités fédérales et provinciales.
L'article 92(14) a donné aux provinces le pouvoir «exclusif» de
légiférer relativement à «L'administration de la justice dans la
province, y compris la création, le maintien et l'organisation de
tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et
criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces
tribunaux».
Même en l'absence de tout autre indice à ce sujet, il suffit de
lire les articles 96 100 de l'A.A.N.B. pour constater que ces
dispositions visent à créer des cours supérieures sur le modèle
des central royal courts d'Angleterre. En vertu de l'article 96,
la nomination des juges des cours supérieures des provinces
demeure une prérogative royale devant désormais être exercée
par le gouverneur général sous le contrôle du cabinet fédéral.
Aussi, les articles 97 et 98 prévoient que ces juges doivent être
des avocats membres du barreau de leur province respective.
L'article 99 reprend manifestement assez fidèlement les fameu-
ses dispositions relatives à l'inamovibilité et à la révocation sur
adresse conjointe du Parlement que l'on trouve dans l'Act of
Settlement. Enfin, l'article 100 exige que les salaires des juges
des cours supérieures soient «fixés et payés par le parlement du
Canada». L'Act of Settlement prévoyait que les salaires
devaient être «déterminés et établis», mais il semble évident que
les termes «fixés et payés» devaient avoir la même signification.
Il convient donc de conclure que la situation des juges des cours
supérieures des provinces était assimilée, pour ce qui concerne
la nomination, la durée de la charge, la révocation et la
garantie du traitement, à celle des juges des cours supérieures
d'Angleterre au lendemain de L'Act of Settlement.
Je ne suis pas convaincu que les mots «fixés et
payés» employés à l'article 100, que cela ait été ou
non l'intention du législateur, ont exactement le
même sens que les mots «déterminés et établis»
utilisés dans The Act of Settlement [(1700), 12 &
13 Will. 3, chap. 2]. Le sens du mot «fixés» ne
diffère pas beaucoup de celui du mot «déterminés»,
mais le mot «payés» n'a pas à mon avis dans ce
contexte la même connotation qu'aurait le mot
«établis». Le mot «established» (établis) suggère,
me semble-t-il, l'idée de «secured» (garantis), con
cept que je ne décèle pas dans le mot «provided»
(payés).
Le sens de l'article 100 présente à mon avis au
moins deux facettes. D'une part, il prévoit que les
traitements des juges seront «fixés et payés» et ce,
dans un sens comparable à celui des mots «déter-
minés et établis», de façon à garantir à la personne
nommée par le gouverneur général un traitement
fixé et payé par le Parlement du Canada. D'autre
part, comme on a prévu à l'article 96 que la
nomination des juges des cours supérieures, de
district et de comté des provinces relève du gouver-
neur général et, à l'article 99, que les juges des
cours supérieures resteront en fonctions à titre
inamovible, mais pourront toutefois être révoqués
par le gouverneur général sur une adresse du Sénat
et de la Chambre des communes, l'article 100
impose non pas au pouvoir exécutif mais au Parle-
ment l'obligation de fixer le montant des traite-
ments, pensions et allocations des juges ainsi
nommés et d'en assurer le paiement. Cet article
règle donc également la question de savoir sur qui
doit reposer cette responsabilité en l'imposant au
Parlement du Canada.
Je suis en désaccord avec l'argument de l'avocat
de l'appelante suivant lequel l'article 100 confère
au Parlement du Canada tous les pouvoirs pour
légiférer relativement aux traitements, pensions et
allocations des juges. Je suis plutôt d'avis, compte
tenu du pouvoir législatif que possèdent les législa-
tures provinciales en vertu du paragraphe 14 de
l'article 92, que le Parlement ne détient pas un
pouvoir général de légiférer à l'égard des juges des
cours supérieures, de district ou de comté des
provinces. Ces tribunaux sont établis en vertu de
l'autorité provinciale et tout pouvoir que peut déte-
nir le Parlement relativement aux juges de ces
tribunaux se limite à ce qui lui est conféré par
l'article 100. Même le pouvoir de révocation, bien
qu'il ne puisse être exercé que sur une adresse du
Sénat et de la Chambre des communes, est conféré
au gouverneur général. Il était donc nécessaire que
le Parlement du Royaume-Uni accepte en 1960 de
modifier la Constitution pour rendre obligatoire la
mise à la retraite des juges des cours supérieures à
l'âge de soixante-quinze ans. Ni les provinces ni le
Parlement du Canada n'avaient le pouvoir de
modifier l'article 99. J'estime qu'il est au moins
tout aussi défendable de prétendre que le Parle-
ment ne peut redéfinir ce qu'on entend par l'ex-
pression «bonne conduite» utilisée dans cet article,
même si l'on peut concevoir que le Sénat et la
Chambre des communes, dans un cas particulier,
puissent être appelés un jour à déterminer ce
qu'elle voulait dire en 1867. Le Parlement n'a pas
non plus compétence pour modifier les dispositions
des articles 96, 97 et 98.
D'après moi, le seul pouvoir que l'article 100
confère au Parlement relativement aux traite-
ments, etc., des juges des cours supérieures, de
district et de comté des provinces, c'est celui de les
fixer et de les payer. Il ne s'agit pas d'un pouvoir
législatif complet relativement à ces questions, car
s'il en était ainsi le Parlement pourrait laisser au
gouverneur en conseil ou à quelque autre autorité
le soin de les fixer, ce qui me semble incompatible
avec le libellé de l'article. En outre, un pouvoir
comme celui accordé par l'article 100 va de pair
avec la responsabilité de fixer les traitements, etc.,
et ensuite de les payer'. Toutefois, je ne crois pas
que le pouvoir du Parlement relativement à ces
traitements, pensions ou allocations soit limité à
les fixer une fois pour toutes. Il me semble qu'il
ressort du libellé même de l'article que le pouvoir
ou la responsabilité de fixer les traitements auto-
rise le Parlement, tant que ce dernier agit de bonne
foi et non pour un motif spécieux ou inavoué, à les
fixer à tout niveau qu'il juge approprié, que ce soit
un niveau très élevé ou très bas. Il ne fait aucun
doute qu'il pourrait s'avérer difficile de recruter
des personnes compétentes désireuses d'accepter
une nomination si les traitements étaient fixés à un
niveau ridiculement bas, mais là n'est pas la ques
tion. Cela ne toucherait en rien à l'étendue du
pouvoir du Parlement de fixer les traitements à ce
niveau. Il en serait de même relativement au pou-
voir de fixer les pensions et les allocations des
juges. Par contre, le Parlement ne dispose en vertu
de l'article 100 que du pouvoir de les fixer et de les
payer. En effet, il n'a aucune autorité pour dicter
La formulation de cet article provient peut-être du fait qu'à
l'époque de son adoption, la plupart des juges canadiens étaient
rémunérés par des traitements plutôt que par des honoraires ou
par d'autres modes de rétribution. Les juges des cours de
vérification de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick
étaient sans doute rémunérés uniquement au moyen d'honorai-
res. Il est probable que l'on envisageait de continuer à rétribuer
les juges dont il est question à l'article 100 au moyen de
traitements, de pensions et d'allocations de retraite. C'est effec-
tivement ce qu'a fait le Parlement du Canada lorsqu'il a
légiféré pour la première fois sur ce sujet. Voir les Statuts du
Canada, 1868, chap. 33.
aux bénéficiaires comment ils doivent les utiliser,
ni pour les obliger à s'en servir à des fins particu-
lières. Il convient également de noter que même si
ces juges sont nommés par le gouverneur général
sur recommandation du cabinet fédéral, ils ne sont
ni des fonctionnaires ou dirigeants fédéraux ni des
personnes nommées sur qui le pouvoir exécutif
fédéral dispose de quelque autorité, que ce soit
pour les obliger à participer ou à contribuer à un
régime de pensions à cotisation ou pour autre
chose.
On a plaidé, en se fondant sur les observations
du juge d'appel Martin [tel était alors son titre]
dans Re The Constitutional Questions Act, [1936]
4 D.L.R. 134 (C.A. Sask.) et sur le jugement du
Conseil privé dans Judges v. Attorney -General of
Saskatchewan, [1937] 2 D.L.R. 209, que le pou-
voir que détient le Parlement en vertu de l'article
100 est similaire au pouvoir conféré par le para-
graphe 91(8), soit celui de légiférer relativement à
91....
8. La fixation et le paiement des salaires et honoraires des
officiers civils et autres du gouvernement du Canada.
Cependant, ces dispositions m'apparaissent diffé-
rentes d'une part en raison du fait que le paragra-
phe 91(8) attribue un pouvoir législatif sur le sujet
et d'autre part en raison de la présence dans le
texte anglais du paragraphe 91(8) de la préposi-
tion «for» qui lui donne un sens très différent. Par
ailleurs, le paragraphe 91(8) ne traite aucunement
des pensions. Les jugements ne portaient pas prin-
cipalement sur la question de l'étendue du pouvoir
du Parlement en vertu de l'article 100 et je ne crois
pas qu'ils contredisent le point de vue que j'ai
exprimé sur cette question.
J'aborde maintenant l'article 29.1 de la Loi sur
les juges et la question de son caractère véritable.
Il me semble que l'un des arguments de l'appelante
qui me semble incontestable d'ailleurs, consistait à
prétendre que cette loi faisait partie d'un plan
global visant à faire de tous les régimes de pen
sions financés par le fédéral des régimes à cotisa-
tion. La méthode utilisée pour atteindre ce but a
consisté à insérer ces dispositions dans une loi
portant sur les pensions de retraite des fonctionnai-
res, des employés, des membres du Parlement et
autres personnes, et rendant obligatoire la partici
pation. Pour ce qui concerne ces personnes, l'adop-
tion de cette loi s'est faite dans le cadre de l'exer-
cice de pouvoirs législatifs entièrement distincts de
tout pouvoir conféré par l'article 100. Pour ce qui
concerne les juges, la loi qui met en vigueur l'arti-
cle 29.1 comporte donc essentiellement, à mon
avis, l'imposition d'un régime de pensions à cotisa-
tion obligeant les juges à verser des contributions à
un fonds et ne leur laissant pas le choix de décider
si oui ou non ils veulent contribuer ou participer.
Rien à l'article 100 ne permet selon moi l'adoption
d'une telle loi et cette dernière est en conséquence
ultra vires pour ce qui concerne les juges qui sont
visés dans cet article, dont l'intimé.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas stricte-
ment nécessaire que je traite de l'argument qu'a
accueilli le juge de première instance, c'est-à-dire
que le Parlement n'avait aucune autorité pour
réduire les traitements et les autres avantages affé-
rents aux fonctions de l'intimé au moment de sa
nomination. Toutefois, comme cet argument est à
la base du jugement qui fait l'objet du présent
appel, il me semble souhaitable d'indiquer à tout le
moins les raisons pour lesquelles il ne devrait pas
être accueilli.
Il faut se garder, à mon avis, de confondre d'une
part les droits conférés par la commission du juge
en vertu du Grand Sceau du Canada et d'autre
part le pouvoir que détient le Parlement en vertu
de l'article 100.
La commission du juge débute au moment de sa
nomination par le gouverneur général en vertu du
pouvoir conféré par l'article 96 et de la loi provin-
ciale créant le poste. Par cette commission, le juge
se voit octroyer le poste et les pouvoirs y afférents
de même que le traitement et les autres avantages
fixés par le Parlement en vertu de l'article 99. Le
titulaire de la commission acquiert en vertu de
cette dernière le droit au traitement ainsi fixé, un
peu de la même façon que le cessionnaire d'une
somme d'argent ou d'un bien-fonds acquiert le
droit de propriété qui s'y rapporte. C'est là quelque
chose qu'on ne peut lui retirer sauf par l'applica-
tion régulière de la loi. L'application régulière de
la loi peut prendre la forme de procédures d'expro-
priation prises par une assemblée législative. Tou-
tefois, suivant un principe reconnu, l'assemblée
législative n'est pas, en l'absence d'une disposition
expresse au contraire, présumée exproprier sans
indemnité appropriée. D'ailleurs, une expropria-
tion sans indemnisation est exceptionnelle. C'est
une situation que le Parlement cherche à éviter, du
moins normalement. Voilà pourquoi à mon avis on
a inséré dans plusieurs lois relatives au traitement
des juges des clauses protégeant les droits acquis
afin de sauvegarder la position des juges titulaires.
Cependant, l'existence de ces clauses ne suffit pas
en elle-même pour affirmer que le Parlement n'a
pas le pouvoir légal d'exproprier sans indemniser
ou de retirer des droits qui avaient été conférés
dans le respect de la loi.
Comme le Parlement a, en vertu de l'article 100,
la responsabilité de fixer et de payer les traite-
ments des juges, il me semble que, suivant l'inter-
prétation que je donne du libellé de cet article, le
Parlement doit avoir un pouvoir continu de fixer
ces traitements et que ce pouvoir ne se limite pas
uniquement à la fixation des traitements des juges
au moment de leur nomination. Manifestement, le
Parlement peut hausser les traitements des juges
qui sont déjà nommés et il me semble tout aussi
évident que, théoriquement, rien ne l'empêche de
les réduire même si un tel geste pourrait prendre
aux yeux des juges titulaires l'allure d'une confis
cation et d'une injustice et qu'il pourrait même
constituer en substance une dérogation aux avan-
tages légalement consentis par le gouverneur géné-
ral dans la commission du juge.
Il existe évidemment un motif très fort pour
s'opposer à toute révision à la baisse des traite-
ments des juges pendant la durée de leur commis
sion. D'éminents auteurs, membres de la magistra-
ture ou d'autres sphères d'activités, l'ont d'ailleurs
maintes fois répété. Ce motif est que la garantie de
l'inamovibilité et du traitement des juges est essen-
tielle à leur indépendance et en est le fondement. Il
existe depuis de nombreuses années au Royaume-
Uni une loi qui interdit de diminuer le traitement
d'un juge pendant la durée de sa commission. Aux
États-Unis une disposition en ce sens est prévue
dans la Constitution même. Cependant, il semble
n'y avoir rien dans l'article 100 qui fasse obstacle à
une telle mesure et le seul bien-fondé du motif
justifiant l'existence d'une telle disposition ne
suffit pas à en faire la règle de droit applicable.
Cela étant dit, j'aimerais ajouter que même si
les sommes déduites du traitement de l'intimé ont
incontestablement réduit le montant qui lui est
effectivement versé à titre de traitement, à mon
avis, l'adoption de l'article 29.1 n'a pas eu pour
effet de réduire son traitement ou le montant qui
lui était crédité à ce titre, mais plutôt de l'obliger à
contribuer et à participer à un régime de pensions
à cotisation. Pour les motifs que j'ai exprimés,
selon moi, cette mesure est ultra vires.
Il découle de l'opinion que j'ai exprimée que les
paragraphes (1) et (2) de l'article 29.1 sont ultra
vires et invalides et je ne saisis pas très bien en
vertu de quel raisonnement seuls les mots «avant le
17 février 1975» pourraient à cet égard être jugés
invalides. En effet, si le paragraphe (2) est ultra
vires parce que le Parlement n'a pas le pouvoir
d'obliger les juges à participer à un régime de
pensions à cotisation pour ce qui concerne leur
propre pension, il me semble qu'il est également
ultra vires de les obliger à participer et à contri-
buer à un tel régime lorsqu'il s'agit des pensions
des veuves et des enfants de juges.
Je rejette l'appel avec dépens, mais compte tenu
du temps consacré à l'infructueux appel incident,
j'ordonne que les frais de l'appel soient taxés en
fonction d'une audience d'une durée d'un jour et
demi.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté
en l'espèce d'un jugement déclaratoire de la Divi
sion de première instance (juge Addy) portant que
le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges 6 est
ultra vires du Parlement du Canada parce qu'il
réduit illégalement la rémunération des juges
nommés en vertu de l'article 96 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867. Un appel incident est également
formé à l'encontre de ce même jugement qui, selon
l'intimé, aurait dû aussi déclarer que le paragraphe
29.1(2) de la Loi sur les juges était inopérant
parce qu'il contrevenait à la Déclaration cana-
dienne des droits.
L'intimé a été nommé juge de la Cour supé-
rieure du district de Montréal le 24 juillet 1975. A
cette époque, la Loi sur les juges prévoyait,
comme elle le fait encore d'ailleurs, le paiement de
6 S.R.C. 1970, chap. J-1 (tel que modifié par l'article 100 de
la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de
retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81).
pensions aux juges retraités et aux veuves et aux
enfants des juges décédés. Cependant, les juges
n'étaient aucunement obligés, à cette époque, de
participer ou de contribuer au coût afférent à ces
pensions. Il est vrai qu'un projet de loi imposant
une telle obligation avait déjà passé l'étape de la
première lecture le 16 février 1975, mais il était
encore devant le Parlement et l'intimé n'était pas
au courant de ce fait lorsqu'il a accepté de devenir
juge.
Durant les premiers mois qui ont suivi sa nomi
nation, l'intimé a reçu le plein traitement attaché à
son poste. Cependant, après le 20 décembre 1975
la situation changea. A cette date en effet, le
projet de loi dont je viens de parler est devenu loi
et a modifié la Loi sur les juges en y ajoutant
l'article 29.1. Cette nouvelle disposition obligeait
les juges à participer au coût des pensions payables
en vertu de la Loi sur les juges et de la Loi sur les
prestations de retraite supplémentaires'. Elle était
rédigée en partie comme suit:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une
cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu
consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur
traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour
supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six
pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires,
établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi
sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu
tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant
1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Cette nouvelle disposition a eu pour effet de
diviser les juges en deux catégories suivant la date
de leur nomination. Les juges qui avaient été
nommés le 16 février 1975 ou avant cette date
(date de la première lecture du projet de loi modi-
fiant la Loi sur les juges) se voyaient obligés de
verser une contribution égale à un et demi pour
cent de leur traitement tandis que la participation
des autres juges a été fixée à 6' % de leur traite-
' S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 43, (tel que modifié par
S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 30, et par S.C. 1973-74, chap.
36).
ment pour 1976 et 7 % par la suite. Suivant une
lettre en date du 17 février 1975 expédiée par le
ministre de la Justice à [TRADUCTION] «... TOUS
LES JUGES NOMMÉS PAR LE GOUVERNEMENT
FÉDÉRAL», la participation de 1 1 / 2 % imposée à
tous les juges était une contribution au coût des
pensions payables aux veuves et autres personnes à
charge des juges décédés, tandis que la contribu
tion supplémentaire exigée des juges nommés
après le 16 février 1975 se rapportait aux pensions
de retraite payables aux juges eux-mêmes.
Comme l'intimé avait été nommé le 24 juillet
1975, l'adoption de l'article 29.1 a eu pour effet de
réduire son salaire de plus de 6 %.
L'intimé ne s'est pas opposé à la déduction de
1' % imposée à tous les juges relativement au coût
des pensions payables aux veuves et autres dépen-
dants des juges décédés. Ce à quoi il s'est opposé
cependant c'est la déduction supplémentaire impo
sée aux juges nommés après le 16 février 1975.
Selon lui, le Parlement a, en imposant cette déduc-
tion supplémentaire, outrepassé le pouvoir législa-
tif qu'il détient en vertu de la Constitution et violé
le droit de l'intimé à «l'égalité devant la loi» prévu
à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des
droits. Dans l'action qu'il a intentée contre Sa
Majesté, il a demandé un jugement déclaratoire
portant que le paragraphe 29.1(2) était ultra vires
et inopérant. Le juge Addy a rejeté l'argument
suivant lequel le paragraphe 29.1(2) contrevenait à
la Déclaration canadienne des droits; il n'a pas
jugé utile de se prononcer sur l'argument de l'in-
timé suivant lequel le Parlement n'avait pas le
pouvoir en vertu de la Constitution d'obliger les
juges à participer au coût des pensions de retraite;
il a conclu cependant que le paragraphe 29.1(2)
était ultra vires pour ce qui concerne l'intimé
parce que le Parlement n'avait pas le pouvoir en
vertu de la Constitution de réduire le salaire ou la
rémunération d'un juge. Le présent appel porte sur
ce jugement et soulève trois questions:
(1) Le Parlement est-il tenu en vertu de la
Constitution de payer aux juges des pensions de
retraite sans participation?
(2) Le Parlement a-t-il en vertu de la Constitu
tion, le pouvoir de réduire les traitements des
juges?
(3) Le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les
juges contrevient-il à l'alinéa 1 b) de la Déclara-
tion canadienne des droits?
1. Le pouvoir du Parlement d'obliger les juges à
participer au coût des pensions de retraite aux-
quelles ils ont droit.
Pour appuyer son argument suivant lequel le
Parlement n'a pas le pouvoir d'obliger les juges à
participer au coût de leurs pensions de retraite,
l'avocat de l'intimé s'est d'abord rapporté à l'his-
toire de la magistrature tant en Angleterre qu'au
Canada. L'histoire a démontré, a-t-il dit, qu'immé-
diatement avant l'adoption de la Loi constitution-
nelle de 1867, l'indépendance des juges, tant au
Canada qu'en Angleterre, était garantie par leur
inamovibilité et leur droit de recevoir au moment
de la retraite une pension sans participation.
L'avocat a plaidé, si j'ai bien compris, que les
articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de
1867 avaient enchâssé dans la Constitution ces
deux garanties de l'indépendance des juges. Les
articles 99 et 100 sont ainsi conçus:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge
durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs
fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et
de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours
supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica-
tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des
cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont
alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
L'avocat a également appuyé son argument sur
le fait qu'en 1960, avant de demander au Parle-
ment du Royaume-Uni de modifier l'article 99
afin d'obliger les juges des cours supérieures à
prendre leur retraite à l'âge de soixante-quinze
anse, le Parlement canadien a modifié la Loi sur
les juges de façon à ce que ces derniers aient droit
8 L'article 99 fut modifié par la Loi constitutionnelle de 1960
et se lit maintenant comme suit:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article,
les juges des cours supérieures resteront en fonction durant
bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gou-
verneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre
des Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après
l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa
charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou
à l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a
déjà atteint ledit âge.
lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite obligatoire
à une pension égale au 2 / 3 de leur traitement.
Je ne saisis pas cet argument. Les articles 99 et
100 de la Loi constitutionnelle de 1867 ont de
toute évidence été adoptés afin de garantir l'indé-
pendance de la magistrature. Toutefois, je ne vois
aucun lien entre l'indépendance et le fait que les
juges puissent être obligés ou non de participer au
coût de leur pension de retraite. Il est possible que
pour assurer l'indépendance des juges il faille leur
verser un traitement décent et leur garantir au
moment de la retraite une pension suffisante; mais
cela ne va certes pas jusqu'à exiger la mise sur pied
en leur faveur d'un régime de pensions sans parti
cipation. En outre, je ne peux déceler aux articles
99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867
l'intention d'imposer au Parlement canadien le
devoir de continuer d'assurer aux juges exactement
le même type de pension et de rentes qui leur
étaient versées avant la Confédération.
La solution au problème qui nous est posé ne
réside donc pas selon moi dans l'histoire de la
Constitution mais plutôt dans le texte même de la
Loi constitutionnelle de 1867. Cette Loi a-t-elle
conféré au Parlement le pouvoir d'obliger les juges
des cours supérieures à participer au coût de leur
pension de retraite? Avant de répondre à cette
question, deux observations s'imposent. D'une
part, l'article 100, suivant l'interprétation que j'en
fais, ne crée aucun droit en faveur des juges, mais
ne fait qu'établir que c'est le Parlement, plutôt que
le pouvoir exécutif ou les provinces, qui aura la
responsabilité de fixer et de payer les traitements
et les pensions des juges. D'autre part, le Parle-
ment n'a pas, en adoptant l'article 29.1 de la Loi
sur les juges, porté atteinte aux droits des juges de
recevoir une pension. -Leur droit de recevoir une
pension au moment de leur retraite était, au lende-
main de l'adoption de l'article 29.1 de la Loi sur
les juges, le même qu'avant. Seul le droit des
juges à leur traitement a été touché par cette
nouvelle disposition et ce, parce qu'elle n'a pas
obligé les juges à verser quoi que ce soit, prévoyant
seulement qu'un montant serait déduit de leur
traitement. Il découle de ces deux observations que
la véritable question posée par l'adoption de l'arti-
cle 29.1 de la Loi sur les juges est de savoir si le
Parlement avait le pouvoir de réduire les traite-
ments des juges. Cependant, une fois accepté,
comme l'exige l'examen de l'argument dont on
discute présentement, l'hypothèse suivant laquelle
le Parlement détenait ce pouvoir, il s'ensuit néces-
sairement à mon avis que le Parlement avait égale-
ment le pouvoir de prescrire qu'un certain montant
serait déduit des traitements des juges à titre de
participation au coût de leur pension de retraite. Je
ne vois d'ailleurs pas comment l'on pourrait refu-
ser de reconnaître un tel droit au Parlement,
lequel, en vertu de l'article 100 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 avait le pouvoir et le devoir de
fixer et de payer tant les traitements que les
pensions des juges.
2. Le pouvoir du Parlement de réduire les traite-
ments des juges.
Le juge Addy a accueilli l'argument suivant
lequel la Constitution ne permettait pas au Parle-
ment de réduire le traitement de l'intimé. Voilà
pourquoi il a accordé un jugement déclaratoire
portant que le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les
juges était, pour ce qui concerne l'intimé, ultra
vires du Parlement du Canada.
Si je comprends bien ce jugement et l'argument
de l'intimé, ils ne contestent pas que le Parlement
détient, en vertu de l'article 100 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 le pouvoir de légiférer afin de
réduire les traitements des juges si cette réduction
s'applique uniquement aux juges nommés après la
date de l'adoption de la loi prévoyant ladite réduc-
tion. Ce que le Parlement n'avait pas le pouvoir de
faire, selon l'argument accueilli par le jugement de
première instance, c'était de réduire les traite-
ments des juges ayant été nommés avant l'adoption
de la loi prévoyant la réduction. Suivant cette
théorie, une fois nommé, un juge d'une cour supé-
rieure a droit, en vertu de la Constitution, aussi
longtemps qu'il demeure juge, à un traitement qui
ne sera jamais inférieur à celui afférent à son poste
au moment de sa nomination.
Le juge Addy a résumé ses motifs et ses conclu
sions dans les termes suivants [aux pages 588 et
5901:
Comme nous l'avons déjà dit, en Angleterre, au moment de la
Confédération, la garantie des traitements des juges était cons-
titutionnellement protégée en droit depuis The Act of Settle
ment. (Ce qui ne veut pas dire, puisque c'est un État unitaire,
que la Constitution n'aurait pu être modifiée par le Parlement
avec le consentement du Roi.) Avec l'adoption de l'A.A.N.B.,
les juges des cours suprêmes des provinces ont acquis le même
statut que celui des juges anglais de l'époque. Ce statut de la
magistrature était assorti des mêmes droits, pouvoirs et privilè-
ges, y compris, par une loi le prévoyant expressément, le droit à
ce que leur traitement soit «fixé et établi» par le Parlement, ce
qui comprend le droit de recevoir ce traitement pendant la
durée de leurs fonctions. En vertu de la Constitution, la nomi
nation et le paiement des juges des cours supérieures provincia-
les et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de la
compétence fédérale, alors que l'administration de la justice, la
création de tribunaux de justice et les règles de fond que ces
juges appliquaient en matière de propriété et de droit civil
relevaient de la compétence provinciale. Il semble donc clair
qu'il existe une exigence de droit constitutionnel découlant de la
nature fédérale de notre Constitution et qui veut que les droits
des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils existaient au
moment de la Confédération, ne puissent être abrogés, dimi-
nués ou modifiés sans un amendement de la Constitution.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que le Parle-
ment, sans au moins le consentement du juge intéressé, ne peut
constitutionnellement, en droit, réduire, par toute loi portant
directement sur des réductions ou des déductions de traitements
des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait droit au
moment de sa nomination. J'arrive à cette conclusion non
seulement à cause du partage des pouvoirs entre les provinces et
le fédéral mais parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque
et fondamental de droit constitutionnel dont nous avons hérité
avec le système parlementaire britannique.
Je dois avouer que j'ai éprouvé au départ quel-
ques difficultés à saisir les observations du juge au
sujet du partage des pouvoirs entre le Canada et
les provinces. Je crois maintenant avoir compris ce
qu'il voulait dire. De l'avis du juge Addy, il existe
un principe de droit constitutionnel qui exige que
les traitements des juges ne soient pas réduits. Si le
Canada était un Etat unitaire, ce principe ne
limiterait pas la suprématie du Parlement et il
pourrait, dans sa législation, l'abroger ou ne pas en
tenir compte. Cependant, comme le Canada n'est
pas un État unitaire et comme, en vertu de notre
Constitution, les provinces ont, compte tenu de
leur compétence dans le domaine de l'administra-
tion de la justice, manifestement intérêt à ce que
soit appliqué un principe constitutionnel garantis-
sant l'indépendance de la magistrature, le juge de
première instance a conclu que le Parlement ne
pouvait ni abroger ni faire abstraction de ce prin-
cipe dans sa loi.
La question décisive en l'espèce est donc de
savoir s'il existait une règle de droit constitutionnel
interdisant au Parlement de réduire les traitements
des juges titulaires. Pour répondre à cette question,
il faut d'abord déterminer si la Loi constitution-
nelle de 1867 en vigueur en 1975 contenait une
telle règle.
Dans un article publié dans La Revue du Bar-
reau canadien 9 , le professeur Lederman a exprimé
l'opinion qu'une telle limite était imposée au pou-
voir du Parlement par l'article 100 de la Loi
constitutionnelle de 1867 qui prévoit que
les salaires des juges des cours supérieures soient «fixés et payés
par le parlement du Canada».
De l'avis du professeur Lederman, que partage le
juge de première instance, les mots «fixés et payés»
utilisés dans cet article impliquent que les traite-
ments des juges ne peuvent être réduits. Je ne
partage pas cette opinion. Tout ce que fait l'article
100,à mon avis c'est de conférer au Parlement le
pouvoir mais aussi le devoir de fixer et de payer les
traitements des juges. Que je regarde cette disposi
tion avec ou sans l'éclairage de son historique, je
n'y vois pas plus que cela.
Je suis donc d'avis que l'article 100 confère au
Parlement le pouvoir de fixer et de modifier les
traitements des juges. Le seul autre article de la
Loi constitutionnelle qui peut être interprété de
façon à imposer une limite à ce pouvoir est l'article
99 qui prévoit que, sous réserve de l'obligation qui
leur est faite de prendre leur retraite à l'âge de
soixante-quinze ans,
99. (1) ... les juges des cours supérieures resteront en fonc-
tion durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par
le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la
Chambre des communes.
Comme le droit au traitement est un attribut
normal de la fonction de juge, la garantie d'inamo-
vibilité prévue à l'article 99 peut-elle être interpré-
tée comme une garantie implicite contre toute
réduction du traitement des juges? Je ne le crois
pas. Si le droit au traitement suit nécessairement
la fonction de juge, il en découle que le juge a,
aussi longtemps qu'il demeure juge, droit au traite-
ment afférent à son poste; il ne s'ensuit pas toute-
fois que ce dernier jouit de la garantie que le
traitement afférent à son poste ne sera jamais
modifié.
Le juge de première instance a cependant jugé
qu'il existait un principe de droit constitutionnel
déniant au Parlement le pouvoir de réduire les
9 (1956), 34 R. du B. Can. 769 et 1139, à la page 1160.
traitements des juges. Il a tiré ce principe de deux
vieilles lois du Parlement du Royaume-Uni '° qu'il
a interprétées comme prévoyant que les salaires
des juges ne pouvaient être réduits, et d'une prati-
que que suivrait le Parlement, tant en Angleterre
qu'au Canada, de ne pas réduire les traitements
des juges titulaires sans leur consentement.
Je ne vois pas en quoi The Act of Settlement et
la Loi de 1760 viennent étayer la décision du juge
de première instance. Ces deux lois ne restreignent
pas le pouvoir du Parlement qui les a édictées et au
surplus, elles ne se sont jamais appliquées au
Canada. Comment de telles lois pourraient-elles
limiter le pouvoir du Parlement canadien?
Pour ce qui concerne la pratique parlementaire,
il est important de noter qu'en Angleterre cette
pratique n'a jamais eu pour effet de dénier au
Parlement le pouvoir de réduire les traitements des
juges. En dépit de cette pratique, la suprématie du
Parlement est demeurée intacte. Il est difficile de
comprendre comment une telle pratique aurait pu
donner naissance à une règle constitutionnelle qui,
une fois implantée au Canada, aurait acquis une
force inconnue à ce jour et dénier au Parlement
canadien un pouvoir que le Parlement du
Royaume-Uni possédait encore.
Il est vrai que les provinces possèdent un intérêt
dans l'administration de la justice et dans la sauve-
garde de l'indépendance de la magistrature.
Cependant, malgré cet intérêt direct, c'est au Par-
lement et à lui seul qu'a été conféré le pouvoir de
fixer les traitements et les pensions des juges.
L'intérêt des provinces à cet égard ne peut être
invoqué afin de dépouiller le Parlement de sa
compétence.
Je suis donc en désaccord avec l'opinion suivant
laquelle il aurait déjà existé, en Angleterre ou ici,
un principe constitutionnel interdisant au Parle-
ment de réduire les traitements des juges. Notre
Constitution protège l'indépendance de la magis-
trature en attribuant de façon exclusive au Parle-
ment le pouvoir de démettre les juges de leurs
fonctions et de fixer ou de modifier leurs traite-
ments. Il est évident qu'à la base des dispositions
de la Loi constitutionnelle portant sur ce sujet, il y
'° The Act of Settlement (1700), 12 & 13 Will. 3, chap. 2, et
An Act for rendering more effectual, etc., A.D. 1760, 1 Geo.
III, chap. 23.
a l'idée que la protection de l'indépendance des
juges exige que le pouvoir de les révoquer soit
réservé au Parlement; à mon avis, il serait donc
incompatible avec cette idée d'affirmer que la
protection de l'indépendance desdits juges exige
que l'on retire au Parlement le pouvoir de réduire
leur traitement.
Je ne partage donc pas l'avis du juge Addy
suivant lequel le Parlement n'avait pas le pouvoir
de réduire les traitements des juges et que, pour ce
motif, le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi
sur les juges est ultra vires.
3. Le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges et
l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des
droits.
Le juge de première instance a rejeté le dernier
argument de l'intimé suivant lequel le paragraphe
(2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges qui
prévoit que les juges nommés après le 16 février
1975 doivent recevoir un traitement inférieur à
celui des autres juges contrevient à l'alinéa lb) de
la Déclaration canadienne des droits.
Le passage pertinent de l'alinéa lb) de la Décla-
ration canadienne des droits est ainsi conçu:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
Le juge Addy s'est dit d'avis que la Cour
suprême du Canada avait interprété l'expression
«égalité devant la loi» dans cette disposition dans le
sens d'«assujettissement égal de toutes les classes
au droit commun du pays appliqué par les tribu-
naux ordinaires»". Comme, de toute évidence, le
paragraphe 29.1(2) ne contrevient pas à cette
garantie d'égalité, le juge a rejeté l'argument for-
mulé en ce sens par l'intimé.
" Le Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S.
1349, à la page 1366; voir également Curr c. La Reine, [1972]
R.C.S. 889; La Reine c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata
c. Ministre de la main-d'œuvre et de l'immigration, [1976] 1
R.C.S. 376; Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S.
183; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
Je partage cette opinion. Au surplus, je suis
d'avis que l'article 29.1 dans son ensemble a été
adopté par le Parlement afin de réaliser un objectif
fédéral valable.
Par tous ces motifs, j'accueillerais l'appel, rejet-
terais l'appel incident, annulerais le jugement de la
Division de première instance et rejetterais l'action
de l'intimé. Conformément à la suggestion de l'ap-
pelante, je ne rendrais aucune ordonnance relative-
ment aux dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté en l'espèce
d'un jugement déclaratoire de la Division de pre-
mière instance portant que le paragraphe (2) de
l'article 29.1 de la Loi sur les juges, telle que
modifiée par l'article 100 de la Loi de 1975 modi-
fiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C.
1974-75-76, chap. 81, est, pour ce qui concerne
l'intimé, ultra vires du Parlement du Canada. Un
appel incident, qui a été débattu en même temps
que l'appel, a été logé par l'intimé à l'encontre de
la partie du jugement de la Division de première
instance déclarant que l'alinéa l b) de la Déclara-
tion canadienne des droits est inapplicable et que
la loi attaquée n'est pas, pour ce qui concerne
l'intimé, inopérante parce que discriminatoire.
L'article 29.1 est ainsi rédigé:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une
cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu
consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur
traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour
supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six
pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires,
établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi
sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu
tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant
1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Comme l'a fait remarquer le juge de première
instance, les faits ne sont pas contestés. Aucun
témoin n'a été cité et l'affaire a été jugée à partir
d'admissions faites dans les actes de procédures,
d'un exposé conjoint des faits et de certaines pièces
qui furent déposées sur consentement. Le 24 juillet
1975, l'intimé a accepté sa nomination à la fonc-
tion de juge puîné de la Cour supérieure de la
province de Québec. À cette date, la Loi sur les
juges prévoyait pour tous les juges puînés de la
Cour supérieure de cette province les traitements
et avantages suivants:
1. Des traitements globaux de 53 000 $: traite-
ment de base de 50 000 $, traitement supplé-
mentaire de 3 000 $ pour les services extrajudi-
ciaires que les juges peuvent être appelés à
accomplir et en dédommagement des frais
accessoires.
2. Pensions de retraite sans participation des
intéressés.
3. Des pensions sans participation des intéressés
pour les veuves et enfants de juges.
4. Prestations de retraite supplémentaires sans
participation des intéressés conformément aux
dispositions de la Loi sur les prestations de
retraite supplémentaires, telle que modifiée.
Le 20 décembre 1975, soit environ cinq mois après
la nomination de l'intimé, la Loi de 1975 modi-
fiant le droit statutaire (Pensions de retraite),
précitée, fut adoptée. Cette loi prévoyait la partici
pation des intéressés non seulement aux pensions
des veuves et des enfants de juges mais également
aux pensions de retraite et prestations supplémen-
taires des juges eux-mêmes, dans le cas de juges
nommés après le 16 février 1975 1 z. Cette modifica
tion apportée à la loi a donc eu pour effet, en ce
qui concerne l'intimé, de diminuer du montant de
ces contributions le traitement et les avantages
qu'il recevait depuis la date de sa nomination. Cela
est évident puisque la loi a eu pour effet de l'obli-
ger à verser désormais six pour cent de son traite-
ment à titre de cotisation à sa propre pension de
retraite et aux pensions de sa famille ainsi qu'un
demi de un pour cent avant le ler janvier 1977 et
de un pour cent par la suite au titre de l'indexation
12 La première lecture de la Loi de 1975 modifiant le droit
statutaire (Pensions de retraite), précitée, a eu lieu le 17 février
1975. C'est ce qui expliquerait le choix des dates du 17 et du 16
février 1975 à l'article 29.1 précité.
des pensions de retraite conformément à la Loi sur
les prestations de retraite supplémentaires. Le
juge de première instance a donc conclu que l'in-
timé avait de ce fait subi une réduction du traite-
ment auquel il avait droit et qu'il avait effective-
ment reçu à compter de la date de sa nomination
et pendant quelque cinq mois par la suite. Les
parties ont admis premièrement qu'à la date de sa
nomination à la magistrature le 24 juillet 1975,
l'intimé ignorait complètement que le projet de loi
modifiant le droit statutaire (pensions de retraite)
était alors devant le Parlement et, deuxièmement,
qu'il n'en avait pas été avisé.
Si j'ai bien compris les avocats des deux parties,
ces dernières ont convenu entre elles qu'il s'agit en
l'espèce d'une question dont les tribunaux peuvent
être saisis et qui doit être tranchée par des juges
nommés par le fédéral et que même s'il est possible
que lesdits juges aient potentiellement un intérêt
identique ou similaire dans l'issue du litige, la
Cour doit néanmoins instruire l'affaire ex
necessitate' 3 .
Le présent appel soulève trois questions:
1. Le Parlement est-il tenu par la Constitution
de payer à l'intimé et à ceux qui se trouvent dans
une position comparable des prestations de retraite
sans participation? Le juge de première instance
s'est abstenu de trancher cette question, cela étant
devenu inutile à son avis puisqu'il avait fondé sa
décision sur un autre point.
2. La Constitution autorisait-elle le Parlement,
le 20 décembre 1975, diminuer, à réduire ou à
baisser le traitement et les autres avantages fixés
et établis de l'intimé? Le juge de première instance
a répondu négativement à cette question. Il a
affirmé (à la page 590):
... je conclus que le Parlement, sans au moins le consentement
du juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit,
réduire, par toute loi portant directement sur des réductions ou
des déductions de traitements des juges, la rémunération à
laquelle ce juge avait droit au moment de sa nomination.
J'arrive à cette conclusion non seulement à cause du partage
des pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais parce qu'elle
découle d'un principe intrinsèque et fondamental de droit cons-
titutionnel dont nous avons hérité avec le système parlemen-
taire britannique.
13 Voir Re Income Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134
(C.A. Sask.), à la p. 135; confirmé sous le nom de Judges v.
Attorney -General of Saskatchewan, [1937] 2 D.L.R. 209
(P.C.).
3. Le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi
sur les juges contrevient-il à l'alinéa lb) de la
Déclaration canadienne des droits? Le juge de
première instance a répondu négativement à cette
question. Cette conclusion fait l'objet de l'appel
incident logé par l'intimé.
Question n° 1—La question des pensions (pen-
sions de retraite).
À mon avis, les articles 99 et 100 de la Loi
constitutionnelle de 1867 constituent le point de
départ de l'examen de cette question. Ces articles
sont rédigés en ces termes:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge
durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs
fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et
de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours
supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica-
tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des
cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont
alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
L'avocat de l'appelante a plaidé que rien dans le
libellé de l'article 100 de la Loi constitutionnelle
de 1867 ne vient entraver le pouvoir législatif du
Parlement de façon à l'empêcher d'exiger que les
juges nommés par le fédéral contribuent à défrayer
les coûts des prestations qu'ils retirent après leur
mise à la retraite. À l'appui de cet argument,
l'avocat a cité l'arrêt Re Income Tax Act, 1932,
[1936] 4 D.L.R. 134 précité. Cette décision una-
nime de la Cour d'appel de la Saskatchewan por-
tait notamment sur la question de savoir si les
juges nommés par le fédéral qui résidaient dans la
province de la Saskatchewan et qui étaient à d'au-
tres égards assujettis aux dispositions de The
Income Tax Act, 1932 de la Saskatchewan [S.S.
1932, chap. 9], étaient ou non, malgré leur statut
de juges nommés par le fédéral, imposables en
vertu de la loi provinciale de l'impôt sur le revenu.
La Cour a répondu affirmativement à cette ques
tion. Cependant, le juge d'appel Martin (tel était
alors son titre) a appuyé sa conclusion sur la
présence du mot «fixé» dans l'article 100 et a suivi
la décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Abbott v. The City St. John
((1908) 40 R.C.S. 597) qui portait sur l'assujettis-
sement des fonctionnaires fédéraux à l'impôt pré-
levé dans leur province de résidence. Si j'ai bien
saisi les motifs du juge d'appel Martin, ils étaient
fondés sur la présence du mot «fixation» au para-
graphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 14 .
À mon avis, la décision du tribunal de la Sas-
katchewan, précitée, sur laquelle s'est appuyé l'ap-
pelante n'est d'aucune utilité pour résoudre la
question examinée en l'espèce. Le passage de l'ar-
ticle 100 qui, selon moi, doit être interprété afin de
trancher la question relative aux pensions est l'exi-
gence formulée dans cet article suivant laquelle
«... les ... pensions des juges ... seront fixé(e)s
et payé(e)s par le parlement du Canada.» (C'est
moi qui souligne.)
Suivant l'argument de l'appelante, le Parlement
a le pouvoir de modifier le montant des pensions
versées aux juges et de transformer le régime de
pensions sans cotisation en un régime à cotisation.
Pour appuyer cet argument, l'appelante cite le
paragraphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de
1867 précité qui vise les fonctionnaires.
À mon avis, le paragraphe 91(8) n'est en aucune
façon analogue ou comparable à l'article 100. Le
paragraphe 91(8) est une disposition habilitante
qui confère au Parlement le pouvoir de payer
(provide for) les traitements des fonctionnaires
mais ne l'oblige pas à le faire. Ce paragraphe ne
renferme aucune disposition concernant les pen
sions des fonctionnaires. En revanche, l'article 100
impose au fédéral la responsabilité, notamment, de
payer les pensions des juges. Le mot «for» du texte
anglais du paragraphe 91(8) n'apparaît pas à l'ar-
ticle 100. A mon avis, l'obligation imposée par
l'article 100 de payer les pensions impose au Parle-
ment le devoir de payer le montant total desdites
pensions. Si c'est le cas, les dispositions de l'article
29.1 obligeant les juges à défrayer une partie du
coût de leurs propres pensions entrent en conflit
avec l'article 100. Lorsque les juges doivent payer
un certain pourcentage du coût de leur propre
pension, que ce soit cinq pour cent ou quatre-vingt-
quinze pour cent, on ne peut alors dire que le
Parlement «paye» leur pension. On peut affirmer
qu'à l'article 29.1, le Parlement prend des disposi
tions relatives aux (provisions for) pensions des
juges, mais cela ne répond pas aux exigences de
14 Le paragraphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de 1867
confère au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer quant à
«La fixation et le paiement des salaires et honoraires des
officiers civils et autres du gouvernement du Canada.»
l'article 100. Le Parlement ne fait donc que payer
partiellement lesdites pensions. Toutefois, l'avocat
de l'appelante prétend que les modifications de
1975 doivent être considérées comme un tout, que
le Parlement a le pouvoir de diminuer et de baisser
les traitements et les pensions, que les modifica
tions de 1975 prises dans leur ensemble se tradui-
sent par une majoration des traitements et des
avantages, que même si les juges nommés avant le
17 février 1975 tirent profit de la clause des droits
acquis pour ce qui concerne l'aspect participation
mise en vigueur par les modifications, cette prati-
que de la participation, avec le temps, s'appliquera
uniformément à tous les juges, et finalement que le
Parlement a le pouvoir d'adopter une telle disposi
tion. Même en supposant, sans toutefois trancher
la question à ce stade-ci, que le pouvoir que détient
le Parlement lui permet de majorer ou de réduire
les traitements et les pensions, je ne crois pas qu'un
tel résultat puisse être atteint en rendant obliga-
toire la participation aux pensions car, ce faisant,
le Parlement ne «paye» plus le montant total des
pensions des juges comme l'article 100 lui impose
de le faire. Il se peut fort bien que le Parlement
aurait pu réduire les pensions des juges en adop-
tant une loi qui, par exemple, aurait prévu simple-
ment la réduction de la pension de retraite du juge
alors prévue à un tiers du traitement versé à ce
juge juste avant sa mise à la retraite, au lieu des
deux tiers prévus actuellement. En posant l'hypo-
thèse que c'est le Parlement qui paye la totalité de
cette pension réduite, je suis d'avis qu'il n'y aurait
alors pas contravention des dispositions de l'article
100 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui a
trait à l'obligation de payer les pensions des juges.
Ce qui, selon moi, contrevient à cette exigence au
paragraphe (2) de l'article 29.1 est le plan pré-
voyant le partage des coûts desdites pensions.
L'appelante affirme: [TRADUCTION] «... que
l'adoption de la participation obligatoire au coût
des rentes des juges constituait une mesure d'ad-
ministration financière dans le cadre de la mise en
place d'une politique d'application générale visant
à rendre obligatoire la participation à tous les
régimes de pension financés par le gouvernement
fédéral. Ces mesures ne visaient pas exclusivement
les juges, mais s'inscrivaient dans le cadre d'une
politique globale en matière de pension en vertu de
laquelle tous les titulaires de la Fonction publique
étaient désormais appelés à participer au coût de
ces régimes.» (Exposé de faits et de droit de l'appe-
lante, par. 22.) Cet argument ne tient aucun
compte du statut très différent, sur le plan consti-
tutionnel, des fonctionnaires d'une part et des
juges nommés par le gouvernement fédéral d'autre
part, comme nous l'avons vu précédemment et
comme l'indiquent les articles 99 et 100 de la Loi
constitutionnelle de 1867. Il est à mon avis tout
simplement impossible de mettre sur pied un
régime de pension pour les juges sur les mêmes
bases qu'un régime de pension pour la Fonction
publique, eu égard aux articles 99 et 100 précités.
L'avocat de l'appelante soutient toutefois que les
mots «payés par le parlement du Canada» veulent
uniquement dire que c'est le Parlement et non les
législatures provinciales qui devra payer les juges
nommés par le gouvernement fédéral. De l'avis de
l'avocat, une telle disposition est nécessaire en
raison du partage des compétences entre le
Canada et les provinces prévu aux paragraphes
91(27) et 92(14) de la Loi constitutionnelle de
1867.
Pour ma part, je ne crois pas que le mot «payés»
utilisé à l'article 100 puisse être interprété aussi
strictement. Il faut à mon avis lui donner un sens
plus large. Mis à part d'autres facteurs, si la seule
intention du législateur était de départager les
responsabilités entre le Canada et les provinces,
j'estime que l'on aurait ajouté au texte anglais le
mot «for», comme au paragraphe 91(8), comme
nous l'avons souligné précédemment. Au surplus,
si le seul motif derrière l'insertion de cette disposi
tion à l'article 100 consistait à indiquer qui, du
Canada ou des provinces, devrait effectuer les
paiements, il aurait été plus logique d'inclure cette
disposition à la Partie VI de la Loi constitution-
nelle de 1867 intitulée «DISTRIBUTION DES POU-
VOIRS LÉGISLATIFS» qui comprend les articles 91
et 92. Cependant, la disposition figure à la Partie
VII intitulée «JUDICATURE». Cette Partie traite de
la nomination, du choix, de la durée des fonctions,
des traitements, des allocations et des pensions des
juges nommés par le gouvernement fédéral et se
termine par l'article 101 qui autorise la constitu
tion, le maintien et l'organisation d'une cour géné-
rale d'appel pour le Canada ainsi que l'établisse-
ment d'autres tribunaux pour assurer la meilleure
administration des lois du Canada. Après avoir
examiné les mots «payés par le parlement» dans ce
contexte et leur avoir donné leur sens le plus clair
et le plus évident, j'en arrive à la conclusion que
l'emploi de ces mots à l'article 100 a pour but
d'obliger le Parlement à fournir la totalité des
fonds nécessaires au paiement des pensions des
juges 15 .
Par ces motifs, je répondrais affirmativement à
la première question et trancherais donc en faveur
de l'intimé.
Question n° 2—Le pouvoir du Parlement, en
vertu de la Constitution, au 20 décembre 1975,
de diminuer, réduire ou baisser le traitement et
les autres avantages fixés et établis de l'intimé.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, le
juge de première instance a conclu que la Consti
tution n'autorisait pas le Parlement à prendre ces
mesures sans le consentement de l'intimé, parce
que:
a) Le Canada est un État fédéral dont les
compétences sont réparties entre les provinces et
le fédéral; et
b) parce qu'il existe dans notre droit constitu-
tionnel un principe fondamental suivant lequel
les juges ont la garantie absolue de recevoir leur
plein traitement pendant toute la durée de leur
commission.
De l'avis du juge, ce principe de droit fondamental
faisant partie intégrante de la Constitution tire son
origine de [à la page 565] « ... textes législatifs
qui constituent un arrangement entre le Roi et le
Parlement». Les «textes législatifs» dont il fait état
sont, premièrement, The Act of Settlement (1700)
et, deuxièmement, la Loi de 1760. The Act of
Settlement prévoyait que [TRADUCTION] «... la
nomination des juges est à titre inamovible et leur
traitement est déterminé et établi ...» (C'est moi
qui souligne.) La Loi de 1760 prévoyait [à l'article
3] que: [TRADUCTION] «... Les traitements qui
sont attribués aux juges ... seront désormais et
pour toujours payés et payables à chacun de ces
juges tant et aussi longtemps que demeurera en
15 The Living Webster donne entre autres la définition sui-
vante du mot «provide»: [TRADUCTION] «fournir ou assurer à
une fin».
De même, The Shorter Oxford English Dictionary donne
entre autres du mot «provide» la définition qui suit: [TRADUC-
TION] «assurer ou fournir à une fin».
vigueur leur patente ou commission respective.»
Après avoir passé en revue les diverses dispositions
législatives des différentes provinces du Canada
qui étaient en vigueur avant la Confédération, les
articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de
1867 et les diverses modifications apportées à la
Loi sur les juges, et après avoir cité de longs
extraits d'articles du professeur W. R. Lederman,
le juge de première instance a conclu que (à la
page 582):
La grande majorité des juristes et des autorités en droit
constitutionnel d'hier et d'aujourd'hui sont d'avis qu'une fois le
juge nommé, son salaire est inviolable tant qu'il exerce ses
fonctions.
À la page 587, le juge dit clairement que selon lui
il s'agit d'un principe de droit constitutionnel fon-
damental et non d'une simple convention politique.
Je ne peux faire mienne cette conclusion du juge
de première instance. À mon avis, la décision de la
Cour suprême du Canada dans Renvoi: Résolution
pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S.
753, établit le contraire de façon très convain-
cante. Dans la première partie de ce jugement,
sept des neuf juges ont expressément rejeté l'argu-
ment suivant lequel une convention politique
puisse devenir loi (aux pages 774 et 775):
On n'a pas cité de cas de reconnaissance explicite d'une conven
tion qui soit devenue une règle de droit. Il est impossible
d'imposer en droit une convention vu sa nature même: l'origine
en est politique et elle est intimement liée à une reconnaissance
politique continue de ceux pour le bénéfice et au détriment (le
cas échéant) desquels elle s'est développée sur une période de
temps considérable.
On fait erreur en tentant d'assimiler l'évolution d'une con
vention et celle de la common law. Cette dernière est le produit
des travaux du judiciaire fondés sur des questions justiciables
des tribunaux et dont la formulation est juridique; les tribunaux
qui en sont les auteurs peuvent les modifier et même les
renverser dans l'exercice de leur rôle dans l'Etat conformément
aux lois ou aux directives constitutionnelles. Les tribunaux ne
jouent pas de rôle parental semblable à l'égard des conventions.
Un peu plus loin, à la page 784, commentant l'un
des articles du professeur Lederman, les sept
mêmes juges affirmaient:
Il explique le saut de la convention à la loi comme s'il y avait
une common law du droit constitutionnel qui tirerait son ori-
gine de la pratique politique. Ce n'est tout bonnement pas le
cas. Ce qui est désirable comme limite politique ne se traduit
pas en une limite juridique sans qu'il existe une loi ou un texte
constitutionnel impératif.
Selon moi, l'opinion formulée par six des neuf
juges qui dans le jugement majoritaire concernant
la partie II de la décision de la Cour est au même
effet. En ce qui concerne la nature des conventions
constitutionnelles, la majorité de la Cour affirme
ce qui suit aux pages 880 et 881:
Les règles conventionnelles de la Constitution présentent une
particularité frappante. Contrairement au droit constitutionnel,
elles ne sont pas administrées par les tribunaux. Cette situation
est notamment due au fait qu'à la différence des règles de
common law, les conventions ne sont pas des règles judiciaires.
Elle ne s'appuient pas sur des précédents judiciaires, mais sur
des précédents établis par les institutions mêmes du gouverne-
ment. Elles ne participent pas non plus des ordres législatifs
auxquels les tribunaux ont pour fonction et devoir d'obéir et
qu'ils doivent respecter. En outre, les appliquer signifierait
imposer des sanctions en bonne et due forme si elles sont
violées. Mais le régime juridique dont elles sont distinctes ne
prévoit pas de sanctions de la sorte pour leur violation.
Peut-être la raison principale pour laquelle les règles conven-
tionnelles ne peuvent être appliquées par les tribunaux est
qu'elles entrent généralement en conflit avec les règles juridi-
ques qu'elles postulent. Or les tribunaux sont tenus d'appliquer
les règles juridiques. Il ne s'agit pas d'un conflit d'un genre qui
entraînerait la perpétration d'illégalités. Il résulte du fait que
les règles juridiques créent des facultés, pouvoirs discrétionnai-
res et droits étendus dont les conventions prescrivent qu'ils
doivent être exercés seulement d'une façon limitée, si tant est
qu'ils puissent l'être.
Le problème que me pose l'opinion du juge de
première instance [à la page 565] est que le soi-
disant «arrangement entre le Roi et le Parlement»
en Angleterre qui, à son avis, est devenu partie
intégrante de la Constitution canadienne en 1867
ne s'est pas «traduit en une limite juridique» parce
qu'il n'a pas été «exprimé dans une loi ou un texte
constitutionnel impératif». Si l'on avait voulu que
ce soi-disant «arrangement législatif» soit incorporé
dans la Constitution du Canada, j'estime qu'on lui
aurait fait une place dans les dispositions de l'arti-
cle 100 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Comme l'a fait remarquer le juge de première
instance, c'est ce qu'on a fait dans les constitutions
sud-africaine et américaine qui prévoient expressé-
ment que la rémunération payable aux juges ne
peut être réduite pendant la durée de leurs fonc-
tions. Comme l'a souligné la majorité de la Cour
suprême (dans la partie II) précitée, les règles
conventionnelles de la Constitution ne participent
pas des ordres législatifs auxquels les tribunaux
doivent obéir et qu'ils doivent faire respecter. En
outre, comme on l'a souligné précédemment, les
règles conventionnelles entrent généralement en
conflit avec les règles juridiques qu'elles postulent,
et les tribunaux sont tenus d'appliquer les règles
juridiques. Les règles juridiques pertinentes dans le
cadre du présent litige sont formulées à l'article
100. Le devoir imposé dans cette disposition au
Parlement est de fixer et de payer les traitements
des juges. The Shorter Oxford English Dictionary
définit le mot «fix» (fixer) entre autres comme
voulant dire «to determine» (déterminer). The
Living Webster le définit entre autres comme vou-
lant dire [TRADUCTION] «régler d'une façon défi-
nitive; déterminer; ajuster ou arranger; assurer ou
fournir». J'estime que le devoir imposé au Parle-
ment par ces mots consiste à fixer le montant du
traitement des juges et fournir la totalité de la
somme requise. Ce pouvoir de fixer comprend
implicitement à mon avis le pouvoir de modifier les
traitements à la hausse ou à la baisse comme le
Parlement peut décider, dans sa sagesse, de le
faire.
L'avocat de l'intimé a en outre prétendu que
l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867,
précité, ne doit pas être examiné isolément mais
qu'il doit plutôt être rapproché de l'article 99 qui
confère l'inamovabilité aux juges nommés par le
gouvernement fédéral et prévoit qu'ils ne peuvent
être révoqués que par le gouverneur général sur
adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
Il prétend qu'il ressort du rapprochement de ces
deux articles qu'ils prévoient expressément que
l'inamovabilité des juges ainsi que leurs traite-
ments sont garantis par la Constitution. Je suis
d'accord avec l'argument suivant lequel l'article 99
garantit l'inamovabilité mais j'estime toutefois que
l'article 100 exige du Parlement qu'il établisse et
fournisse tous les fonds nécessaires au paiement
des traitements des juges, ce qui, comme je l'ai
souligné précédemment, comprend le pouvoir de
modifier ces traitements à la hausse ou à la baisse.
Même en rapprochant ces deux articles, je trouve
très cohérent le fait que l'article 99 confie l'indé-
pendance de la magistrature au Parlement et, en
même temps, que l'article 100 confère également
au Parlement le devoir de fixer et de payer les
traitements des juges.
En ce qui concerne le fondement initial de la
conclusion qu'il a formulée relativement à la ques
tion n° 2, soit le fait que le Canada est un État
fédéral dont les compétences sont partagées entre
les provinces et le Canada, la conclusion du juge
de première instance semble être fondée sur le
raisonnement suivant (aux pages 588 et 589):
En vertu de la Constitution, la nomination et le paiement des
juges des cours supérieures provinciales et le droit criminel
qu'ils appliquaient relevaient de la compétence fédérale, alors
que l'administration de la justice, la création de tribunaux de
justice et les règles de fond que ces juges appliquaient en
matière de propriété et de droit civil relevaient de la compé-
tence provinciale. Il semble donc clair qu'il existe une exigence
de droit constitutionnel découlant de la nature fédérale de notre
Constitution et qui veut que les droits des juges nommés par le
fédéral, tels qu'ils existaient au moment de la Confédération, ne
puissent être abrogés, diminués ou modifiés sans un amende-
ment de la Constitution. A défaut d'un amendement de la
Constitution, même le consentement exprès des provinces ne
serait pas suffisant parce qu'une obligation ou un pouvoir
constitutionnel ne peut être légalement modifié ou abandonné
dans un État fédéral sur simple consentement.
Il ne me paraît pas possible de partager l'opinion
suivant laquelle il faudrait en raison de «la nature
fédérale de notre Constitution», procéder par voie
d'amendement constitutionnel pour changer ou
modifier des questions à l'égard desquelles l'article
100 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère de
façon expresse la compétence au Parlement.
Comme l'ont souligné les sept juges de la Cour
suprême du Canada qui ont rédigé le jugement
majoritaire concernant la partie I de la décision de
la Cour (p. 806), il y a une contradiction interne à
parler du fédéralisme à la lumière du principe
invariable de la suprématie parlementaire britanni-
que, contradiction résolue par le mécanisme de
répartition des pouvoirs législatifs de la Loi consti-
tutionnelle de 1867. Je conclus donc que puisque
l'article 100 confère au Parlement le pouvoir et
l'obligation de payer, entre autres, le traitement
des juges nommés par le gouvernement fédéral, et
puisqu'il n'existe ailleurs dans la Constitution
aucune précision ou limitation qui restreindrait ce
pouvoir et cette obligation, il demeure intact et
pleinement opérant.
Par ces motifs, je suis en désaccord avec la
conclusion du juge de première instance suivant
laquelle le principe de droit fondamental dont nous
venons de parler existe dans notre droit constitu-
tionnel.
Question n° 3—L'appel incident de l'intimé rela-
tivement à la question de savoir si le paragraphe
(2) de l'article 29.1 contrevient à l'alinéa l b) de
la Déclaration canadienne des droits.
L'avocat de l'intimé a affirmé que cet argument
n'était pas vraiment un appel incident mais plutôt
un argument subsidiaire. La position de l'intimé
consistait à dire que si la Cour ne concluait pas
que l'article 29.1 était ultra vires pour les motifs
allégués à l'appui soit de la question n° 1 soit de la
question n° 2, précités, alors le système prévu par
cet article était inopérant en ce qui concerne l'in-
timé parce que contraire à l'alinéa lb) de la
Déclaration canadienne des droits, ayant des effets
discriminatoires à son endroit. Puisque, à mon
avis, l'intimé a gain de cause sur la première
question abordée plus tôt, je n'ai pas l'intention
d'examiner en détail les mérites de cette question.
Qu'il suffise de dire que je fais miens le dispositif
et les motifs du juge en chef à l'égard de cette
question.
Nature du redressement auquel a droit l'intimé.
À la page 22 de son exposé des faits et du droit,
l'intimé propose qu'advenant le cas où la Cour
conclut que le Parlement n'a pas le pouvoir en
vertu de la Constitution de rendre obligatoire la
participation des juges à leur régime de pension de
retraite, l'ordonnance de la Cour devrait être ainsi
rédigée:
[TRADUCTION] L'appel est rejeté avec dépens mais le dispositif
du jugement frappé d'appel devrait être ainsi libellé: «les mots
"avant le 17 février 1975" au paragraphe 29.1(1) et la totalité
du paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges, telle qu'édictée
par l'article 100 du chapitre 81, 1974-75-76, sont ultra vires du
Parlement du Canada«.
Je ne crois pas qu'une ordonnance présentée sous
une telle forme serait un reflet fidèle de mes
conclusions. À mon avis, le paragraphe 29.1(1)
n'est pas ultra vires du Parlement du Canada
parce que la déduction de 1 1 / % du traitement
qu'elle prévoit est consacrée exclusivement au coût
afférent à l'augmentation des pensions destinées
aux veuves et autres personnes à charge des juges
(voir D.A., p. 18—la lettre d'Otto Lang à tous les
juges nommés par le gouvernement fédéral, datée
du 17 février 1975). Une telle disposition ne con-
trevient pas aux prescriptions de l'article 100 de la
Loi constitutionnelle de 1867, précité, puisqu'elle
n'exige pas que les juges eux-mêmes participent au
coût de leur propre pension. Toutefois, le paragra-
phe 29.1(2) contrevient, lui, à l'article 100 puisque
la participation des juges qui y est prévue vise à la
fois leur propre pension et celle qui pourrait être
versée à leurs personnes à charge (voir D.A.,
p. 19—la lettre du 17 février 1975 expédiée par
Otto Lang à tous les juges nommés par le gouver-
nement fédéral, mentionnée précédemment).
Je suis donc d'avis que le jugement rendu par le
juge de première instance est bien fondé et ce,
même si la conclusion de ce dernier repose sur un
fondement différent de celui dont je fais état dans
les présents motifs. Je rejetterais donc l'appel et
condamnerais l'appelante à payer à l'intimé ses
dépens tant en appel que devant la Division de
première instance. Je rejetterais l'appel incident.
Comme l'appelante n'a pas demandé de dépens, je
ne lui accorderais pas les dépens relativement à
l'appel incident. Cependant, je fais mienne la
directive proposée par le juge en chef que les
dépens de l'appel soient taxés en fonction d'une
audience ayant duré un jour et demi, à titre d'in-
demnité pour le temps consacré à cet appel inci
dent infructueux.
Je suis conscient qu'étant donné ma conclusion
suivant laquelle le paragraphe 29.1(1) n'est pas
ultra vires du Parlement du Canada, le dispositif
que je propose place les juges nommés avant le 17
février 1975 dans une position désavantageuse
vis-à-vis de ceux nommés après le 16 février 1975.
Toutefois, si ma perception de la question est
correcte, si le Parlement juge à propos de le faire,
il détient en vertu de la Constitution le pouvoir de
modifier le paragraphe 29.1(1) pour exiger des
juges nommés après le 16 février 1975 une partici
pation de 1 1 / 2 %, éliminant ainsi toute discrimina
tion entre les deux catégories de juges nommés par
le gouvernement fédéral, fondée uniquement sur la
date de leur nomination.
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