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A-797-81
Marc Beauregard, juge puîné de la Cour supé- rieure du district de Montréal, province de Québec (demandeur) (intimé)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse) (appelante)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte et Heald—Ottawa, 25, 26 janvier et 29 juin 1983.
Juges et tribunaux Modification à la Loi sur les juges ayant pour effet de rendre obligatoire la cotisation à des régimes de rente et de prestations de retraite qui jusqu'alors étaient sans cotisation Le Parlement est-il tenu par la Constitution de payer ces avantages sans obliger les juges à en assumer une partie? Le Parlement a-t-il le pouvoir de réduire le traitement des juges? La Constitution ne permet pas d'imposer aux juges un régime de pension à cotisation La modification est ultra vires Le pouvoir du Parlement de fixer le traitement des juges comporte celui de le réduire Le juge de première instance a commis une erreur en statuant que le Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire le traitement et les avantages attachés à la charge de l'intimé au moment de sa nomination Il ne faut pas confondre les droits que confère la commission d'un juge en vertu du Grand Sceau du Canada avec le pouvoir que détient le Parlement en vertu de l'art. 100 de la Loi de 1867 Les premiers ne peuvent être retirés que par application régulière de la loi L'application régulière de la loi peut prendre la forme de procédures d'expropriation Le pouvoir conféré au Parlement par l'art. 400 ne se limite pas à la fixation du traitement des juges qui seront nommés par la suite Il n'existe pas au Canada de règle de droit interdisant, comme au Royaume-Uni et aux États-Unis, de diminuer le traitement des juges pendant la durée de leur commission Les dispositions attaquées n'ont pas pour effet de réduire le traitement mais d'imposer un régime de retraite à contribution obligatoire Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1, art. 29.1 (ajouté par la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81, art. 100) Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 43 (mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 30 et par S.C. 1973-74, chap. 36),— Loi constitution- nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1, art. 91(8),(27), 92(14), 96, 97, 98, 99 (abrogé et remplacé par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. Il, chap. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 36]), 100, 101 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. Ib) The Act of Settlement (1700), 12 & 13 Will. 3, chap. 2 An Act for rendering more effectual the Provisions in [the Act of Settlement] relating to the Commissions and Salaries of Judges, A.D. 1760, 1 Geo. III, chap. 23, art. 3.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Magistra- ture Obligation imposée au Parlement de fixer et de payer les traitements, allocations et pensions des juges Le mot «provided» («payés») n'a pas le même sens que le mot nsecu-
red» («garantis») Le Parlement ne possède pas les pleins pouvoirs pour légiférer sur le traitement des juges Toute- fois, ce pouvoir ne se limite pas à fixer le traitement une fois pour toutes Le Parlement pourrait fixer les traitements à tout niveau Le Parlement n'a pas le pouvoir de dicter la façon dont les traitements doivent être utilisés La modifica tion à la Loi sur les juges qui a imposé un régime de pension à cotisation obligatoire est ultra vires Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1, art. 29.1 (ajouté par la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974- 75-76, chap. 81, art. 100) Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 43 (mod. par S.R.C. 1970) (2 » Supp.), chap. 30 et par S.C. 1973-74, chap. 36) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n°1, art. 91(8),(27), 92(14), 96, 97, 98, 99 (abrogé et remplacé par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.) IS.R.C. 1970, Appendice II, 36], 100, 101 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb) The Act of Settlement (1700), 12 & 13 Will. 3, chap. 2 An Act for rendering more effectual the Provisions in [the Act of Settlement] relating to the Commissions and Salaries of Judges, A.D. 1760, 1 Geo. III, chap. 23, art. 3.
Peu de temps après que l'intimé eut été nommé juge puîné à la Cour supérieure du Québec, la Loi sur les juges a été modifiée par l'insertion de l'article 29.1. Cette disposition oblige les juges à payer, par voie de retenue sur leur traitement, une part du coût des régimes de pension de leurs veuves et de leurs enfants, et à contribuer à leur propre régime de pensions de retraite et de prestation supplémentaires. Jusqu'alors, tous ces régimes étaient sans cotisation. Cette modification a eu pour effet de réduire de 7 % le salaire de l'intimé et des autres juges fraîchement nommés et de 1 1 / 2 % celui des juges nommés avant l'entrée en vigueur de la modification.
La première question qui se pose est de savoir si le Parlement est tenu par la Constitution de verser aux juges des pensions de retraite sans cotisation. La deuxième est de savoir si le Parle- ment a le pouvoir de diminuer, de réduire ou d'abaisser le traitement et les autres avantages fixés établis de l'intimé. La troisième est de savoir si le paragraphe 29.1(2) contrevient à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits. Le juge de première instance a statué que le paragraphe 29.1(2) était, pour ce qui concerne l'intimé, ultra vires.
Arrêt (le juge Pratte étant dissident): l'appel est rejeté.
Le juge en chef Thurlow: Le seul pouvoir que l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement est celui de «fixer et de payer» les traitements, allocations et pensions des juges qui y sont visés. Il ne confère pas au Parlement le pouvoir de dicter aux bénéficiaires la façon de les utiliser, ni de l'obliger à s'en servir à des fins particulières. Dans son essence et sa substance, l'article 29.1 de la Loi sur les juges impose à ces juges un régime de pension à cotisation obligatoire. Rien à l'article 100 ne permet l'adoption d'une telle disposition législa- tive et cette dernière est en conséquence ultra vires pour ce qui concerne les juges qui y sont visés. Il s'ensuit que les paragra- phes (1) et (2) de l'article 29.1 sont ultra vires et invalides.
Il faut ajouter que l'article 100 confère effectivement au Parlement le pouvoir de diminuer le traitement des juges.
Manifestement, le Parlement peut en tout temps fixer ces traitements, ce qui comporte le pouvoir de les augmenter et de les diminuer.
Il n'y a pas eu contravention à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits: la modification a été adoptée en vue d'atteindre un objectif fédéral valable et le Parlement n'a pas agi de façon déraisonnable en établissant que la catégorie de juges obligés de verser des contributions serait formée de juges ayant été nommés après la date de présentation du projet de loi.
Le juge Heald: L'obligation qui est faite au Parlement à l'article 100 de payer les pensions des juges lui impose le devoir de payer le montant total desdites pensions. Le paragraphe 29.1(2) oblige les juges à assumer une partie du coût de leurs propres pensions; pour cette raison, il entre en conflit avec l'article 100 et est par conséquent ultra vires. Le paragraphe 29.1(1) n'est pas ultra vires car il traite d'une question diffé- rente, quoique connexe.
Le pouvoir, conféré au Parlement par l'article 100, de «fixer et de payer» le traitement et les autres avantages des juges comporte implicitement celui de les modifier à la hausse ou à la baisse. Les tenants de l'opinion contraire se fondent essentielle- ment sur un principe de droit constitutionnel fondamental tirant lui-même son origine d'une convention politique. La Cour suprême du Canada a toutefois expressément rejeté l'argument suivant lequel une convention politique puisse devenir loi, dans l'arrêt Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution. La Constitution garantit l'inamovibilité des juges (article 99), mais cette garantie ne s'étend pas à leur traitement. En outre, aucune modification constitutionnelle n'est requise pour que le Parlement puisse apporter des modifications aux matières qui relèvent manifestement des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 100.
L'argument fondé sur l'alinéa l b) de la Déclaration cana- dienne des droits est rejeté pour les motifs donnés par le juge en chef Thurlow.
Le juge Pratte (dissident): L'article 29.1 ne porte pas atteinte aux droits des juges de recevoir une pension mais plutôt à leur droit à leur traitement. La véritable question est donc de savoir si le Parlement a le pouvoir de réduire le traitement des juges.
L'expression «fixés et payés» à l'article 100 ne signifie pas que le traitement des juges ne peut pas être diminué. L'article 100 ne fait que conférer au Parlement le pouvoir mais aussi le devoir de fixer et de payer le traitement des juges; ce pouvoir inclut celui de modifier lesdits traitements. La garantie d'ina- movibilité inscrite à l'article 99 n'est pas une garantie que le traitement des juges ne sera jamais modifié.
Il n'existe pas de principe de droit constitutionnel déniant au Parlement le pouvoir de réduire le traitement de juges. Les lois britanniques ou les pratiques parlementaires britanniques qui prétendraient nier ce droit ne pourraient restreindre le pouvoir du Parlement britannique ni, à plus forte raison, celui du Parlement canadien en la matière.
L'argument fondé sur l'alinéa l b) de la Déclaration cana- dienne des droits est dénué de fondement. Par «égalité devant la loi», il faut entendre l'«assujettissement égal de toutes les classes au droit commun du pays appliqué par les tribunaux ordinaires». De toute évidence, le paragraphe 29.1(2) ne contre- vient pas à cette garantie d'égalité.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
O. Martineau and Sons, Limited v. City of Montreal et al., [ 1932] A.C. 113 (P.C.); Toronto Corporation v. York Corporation, [1938] A.C. 415 (P.C.); Le Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] I R.C.S. 753.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re The Constitutional Questions Act; Re The Income Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134 (C.A. Sask.), confir- mée sub nom. Judges v. Attorney -General of Saskatche- wan, [1937] 2 D.L.R. 209 (P.C.); Abbott v. The City St. John (1908), 40 R.C.S. 597.
DÉCISIONS CITÉES:
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; La Reine c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Prata c. Ministre de la main-d'oeuvre et de l'immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376; Bliss c. Procu- reur général (Can.), [ 1979] 1 R.C.S. 183.
AVOCATS:
David W. Scott, c.r., pour le demandeur (intimé).
W. I. C. Binnie, c.r. et D.M. Low pour la défenderesse (appelante).
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour le demandeur (intimé).
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse (appelante).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Appel est inter- jeté en l'espèce d'un jugement déclaratoire de la Division de première instance [[1981] 2 C.F. 543] portant que le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges [S.R.C. 1970, chap. J-1], telle que modifiée par l'article 100 de la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81, est, pour ce qui concerne l'intimé, ultra vires du Parlement du Canada. L'intimé avait en outre sollicité un juge- ment déclaratoire portant que les mots «avant le 17 février 1975» au paragraphe (1) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges tel qu'édicté dans le chapitre 81 étaient, eux aussi, ultra vires, mais le jugement n'a pas statué sur la validité de ce paragraphe.
L'article 29.1, qui fait partie des dispositions de la Loi sur les juges qui portent sur les Pensions et qui a obligé pour la première fois les juges à participer à leur propre pension de retraite, à la pension de leur veuve et de leurs enfants et aux prestations prévues dans la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires [S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 43], est entré en vigueur le 20 décembre 1975 après que la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite) eut reçu la sanction royale. Cet article prévoit que:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires, établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant 1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Le projet de loi renfermant ces dispositions avait été déposé à la Chambre des communes le 17 février 1975. À cette époque, il y avait devant le Parlement un projet qui avait été présenté le 19 décembre 1974 et qui prévoyait des hausses de traitement pour les juges et des prestations supplé- mentaires pour les conjoints survivants et les enfants de juges décédés. Ce projet a reçu la sanction royale le 4 juillet 1975 [TR/75-83].
L'intimé a été nommé juge de la Cour supé- rieure du district de Montréal le 14 juillet 1975, soit après l'entrée en vigueur de la Loi prévoyant la majoration des traitements des juges et des prestations destinées à leur veuve et à leurs enfants, mais avant l'adoption de la Loi obligeant les juges à participer à ces pensions et à ces prestations. Par sa commission, l'intimé a été nommé juge de la Cour avec tous les pouvoirs, droits, attributions, prérogatives, bénéfices, émolu- ments et avantages attachés de plein droit ou par l'effet de la loi auxdites fonctions durant bonne conduite. Lorsqu'il a accepté sa nomination, l'in-
timé ne savait pas que le Parlement était saisi d'un projet de loi qui allait rendre la participation obligatoire. Pour leur part, les juges qui exerçaient déjà leur fonction lors de la présentation dudit projet de loi avaient été informés par le Ministre
de la Justice que:
[TRADUCTION] Toutefois, ces améliorations ont été appor- tées dans le cadre de la révision globale des politiques fédérales en matière de pensions que l'on vient tout juste de terminer. En conséquence, il est possible que l'on doive dans l'avenir deman- der aux juges qui exercent actuellement leur fonction de parti- ciper modestement à l'amélioration du régime de pensions pour les veuves, et aux personnes qui seront à l'avenir nommées à des postes de juge, de contribuer dans une certaine mesure aux coûts du régime de prestations de retraite.
Cette participation obligatoire des juges a été imposée par la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite) qui, comme nous l'avons mentionné, a été présentée le 17 février 1975 et est entrée en vigueur le 20 décembre 1975. L'intimé qui, depuis sa nomination, avait reçu son salaire sans retenue de ce genre pour les pensions, s'est vu obligé, par cette Loi à verser des contribu tions totalisant 3 445 $ en 1976, 3 815 $ en 1977 et 3 955 $ en 1978.
L'intimé a plaidé, tant en première instance qu'en appel, que le paragraphe 29.1(2) est ultra vires parce que le Parlement n'a pas le pouvoir en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1] ni en vertu du droit constitutionnel non écrit d'exiger des contributions pour les pensions de retraite et les prestations supplémentaires de retraite (par opposition aux pensions destinées aux veuves et aux enfants) dont les juges des cours supérieures bénéficiaient au 20 décembre 1975.
Subsidiairement, l'intimé a plaidé que les mots «avant le 17 février 1975» au paragraphe 29.1(1) et le paragraphe 29.1(2) dans son ensemble sont ultra vires pour ce qui le concerne parce que le Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire ou diminuer les avantages fixés et établis que lui conférait sa commission.
Subsidiairement, l'intimé a allégué que les mots «avant le 17 février 1975» employés au paragraphe 29.1(1) et la totalité du paragraphe 29.1(2) sont
inopérants et invalides pour ce qui le concerne parce qu'ils sont discriminatoires et contreviennent à l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] en lui déniant le droit à l'égalité devant la loi.
Le dernier argument, si j'ai bien compris, reve- nait à dire que l'adoption de la loi de 1975 avait eu pour effet de dénier à l'intimé son droit à l'égalité devant la loi parce qu'en vertu de ladite Loi, ce dernier ne perdait pas dans la même mesure que les juges qui occupaient leur poste avant le 20 décembre 1975 le droit de recevoir son traitement libre de retenue. L'intimé, s'appuyant sur le rai- sonnement du juge McIntyre dans l'arrêt MacKay c. La Reine', a allégué que le fait d'établir le 20 décembre 1975 une distinction entre les juges nommés le 16 février 1975 ou avant et ceux nommés après cette date ne visait pas un objectif fédéral valable et que le fait d'agir ainsi était arbitraire, déraisonnable et inutile.
L'argument de l'intimé sur ce point a été rejeté par le juge de première instance et fait l'objet d'un appel incident sollicitant un jugement déclaratoire portant que si les dispositions ne sont pas ultra vires, elles sont inopérantes.
L'argument est donc fondé sur l'hypothèse que le Parlement avait le pouvoir législatif nécessaire pour adopter ladite Loi. Il me semble donc qu'on ne peut affirmer que le Parlement ne cherchait pas à atteindre un objectif fédéral valable lorsqu'il a obligé les juges à contribuer à un régime de pen sions à participation. En outre, la distinction qu'a établie la loi entre les juges nommés avant une date déterminée, en faveur desquels il existait déjà des dispositions prévoyant un régime de pensions sans participation, et les juges nommés après cette date, afin qu'ultimement, à la suite du décès ou de la démission des juges exempts, l'ensemble de la magistrature participe au régime de pensions à cotisation, m'apparaît comme un moyen d'attein- dre un objectif fédéral valable. Le problème qui se pose découle du fait que la date choisie est anté- rieure à la date d'entrée en vigueur de la Loi mais, aussi injuste que puisse sembler le résultat à qui- conque n'était pas au courant, contrairement à celui qui le savait au moment de sa nomination,
I [1980] 2 R.C.S. 370, la page 406.
qu'un régime de pensions à cotisation s'imposerait à tous les juges nommés après la date de présenta- tion du projet de loi, je ne crois pas que l'on puisse en déduire qu'il a été établi, au sens l'entendait le juge Ritchie dans la même affairez, que les dispositions du projet de loi, y compris le choix de la date, n'ont pas été adoptées en vue d'atteindre un objectif fédéral valable ou que le Parlement a agi de façon arbitraire, déraisonnable ou inutile en établissant que la catégorie de juges obligée de verser des contributions serait formée de juges ayant été nommés après la date de présentation du projet de loi. Je déclarerais donc l'argument irrece- vable et rejetterais l'appel incident. Dans ces cir- constances, je n'accorderais pas de dépens puisque l'appelant n'en a pas fait la demande.
Le juge de première instance n'a pas formulé de conclusion à l'égard du premier argument de l'in- timé. Il a plutôt fondé son jugement sur l'argu- ment subsidiaire suivant lequel le Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire le traitement et les autres avantages établis en faveur des juges de la Cour supérieure au moment de la nomination de l'intimé. Ces deux arguments reposent à mon avis sur l'interprétation des dispositions de la Loi cons- titutionnelle de 1867, telle que modifiée par la Loi constitutionnelle de 1960 [9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 36]], laquelle rendait obligatoire la mise à la retraite des juges à l'âge de soixante-quinze ans.
Il me semble que l'examen des arguments pré- sentés doit se faire en tenant compte de l'objet de la Loi de 1867 et du fait qu'il s'agit d'une loi constitutionnelle. Cette Loi concrétisait le désir exprimé par les trois provinces du Canada, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick de «contracter une Union Fédérale pour ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) ... avec une constitution reposant sur les mêmes prin- cipes que celle du Royaume-Uni». Suivent ensuite, dans des parties distinctes de la Loi, des disposi tions relatives à l'union elle-même, au pouvoir exécutif, à la constitution du Parlement du Canada, à la constitution des législatures des pro vinces et, aux articles 91 et 92, la distribution des pouvoirs législatifs entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces. L'article 92 a
2 MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, la page 393, citant La Reine c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693.
conféré aux législatures provinciales le pouvoir exclusif de légiférer relativement aux matières entrant dans certaines catégories de sujets dont:
92... .
14. L'administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux;
La septième Partie de la loi s'intitule «JUDicA- TURE» et renferme les dispositions suivantes:
96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
97. Jusqu'à ce que les lois relatives à la propriété et aux droits civils dans Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau- Brunswick, et à la procédure dans les cours de ces provinces, soient rendues uniformes, les juges des cours de ces provinces qui seront nommés par le gouverneur-général devront être choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces provinces.
98. Les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province.
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica- tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.
L'article 99 a été abrogé par la Loi de 1960 et remplacé par la disposition suivante:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge.
Je n'ai pas l'intention de faire l'historique de ces dispositions par rapport à la situation constitution- nelle de la magistrature au Royaume-Uni ou au Canada lorsque la Loi constitutionnelle de 1867 a été adoptée. L'objet général de ces dispositions et leur effet ressortent d'ailleurs avec suffisamment de clarté des passages suivants tirés des jugements du Conseil privé dans O. Martineau and Sons, Limited v. City of Montreal et al. 3 et Toronto Corporation v. York Corporation'', et d'un article du professeur W. R. Lederman publié dans La Revue du Barreau canadien en 1956 [Vol. 34, pages 769 et 1139].
Dans l'affaire Martineau, lord Blanesburgh affirmait:
[TRADUCTION] La compagnie appelante plaide que la législa- ture du Québec a, dans les lois dont il sera fait mention dans un instant, empiété sur le pouvoir relatif à la nomination des juges que détient le gouverneur général en vertu de l'art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Il s'agit d'une question très importante, car il ne fait aucun doute que le pouvoir exclusif de nommer les juges des cours supérieures, de district et de comté de chacune des provinces que détient le gouverneur général en vertu de cet article est l'une des disposi tions fondamentales de la loi. Complété par l'art. 100 qui impose au Parlement du Canada le devoir de fixer et de payer les traitements, allocations et pensions des juges ainsi nommés et également par l'art. 99 qui prévoit que les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite et ne pourront être révoqués que par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes, cet article apparaît comme le fondement des moyens que les rédacteurs de la loi ont adopté pour assurer l'impartialité et l'indépendance de la magistrature provinciale. Une cour chargée d'interpréter des dispositions législatives manquerait donc à son devoir si elle devait permettre à une loi provinciale d'empiéter de quelque façon sur lesdites dispositions et sur le principe qui y est enchâssé.
Dans l'arrêt Toronto, lord Atkin s'exprimait ainsi:
[TRADUCTION] La première question touche un domaine d'importance capitale pour le peuple canadien. Alors que le pouvoir législatif relatif à la création, au maintien et à l'organi- sation de tribunaux de justice pour la province, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux, est confié à la province, l'indépendance des juges est protégée par les disposi tions prévoyant que les juges des cours supérieures, de district et de comté sont nommés par le gouverneur général (art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867), que les juges des cours supérieures seront inamovibles (art. 99), et que les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté seront fixés et payés par le parlement du
3 [1932] A.C. 113 (P.C.), aux pages 120 et 121.
4 [ 1938] A.C. 415 (P.C.), aux pages 425 et 426.
Canada (art. 100). Ce sont trois piliers principaux du temple de la justice, et il ne faut pas les détruire.
Voici ce qu'écrivait le professeur Lederman dans son article [aux pages 1158 et 1160]:
[TRADUCTION] Les dispositions judiciaires de la loi constitu- tive de la fédération (1867, (30-31 Vict., c. 3)), établissent clairement que les provinces constituantes et le nouvel État devaient continuer de se conformer au modèle du pouvoir judiciaire anglais. A cet égard, comme à d'autres, il devait y avoir «une Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni». Les tribunaux qui existaient dans chacune des provinces ont été maintenus par l'article 129, sous réserve toutefois de certaines autres dispositions de la loi pré- voyant le partage des pouvoirs et des responsabilités concernant la magistrature entre les autorités fédérales et provinciales. L'article 92(14) a donné aux provinces le pouvoir «exclusif» de légiférer relativement à «L'administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux».
Même en l'absence de tout autre indice à ce sujet, il suffit de
lire les articles 96 100 de l'A.A.N.B. pour constater que ces dispositions visent à créer des cours supérieures sur le modèle des central royal courts d'Angleterre. En vertu de l'article 96, la nomination des juges des cours supérieures des provinces demeure une prérogative royale devant désormais être exercée par le gouverneur général sous le contrôle du cabinet fédéral. Aussi, les articles 97 et 98 prévoient que ces juges doivent être des avocats membres du barreau de leur province respective. L'article 99 reprend manifestement assez fidèlement les fameu- ses dispositions relatives à l'inamovibilité et à la révocation sur adresse conjointe du Parlement que l'on trouve dans l'Act of Settlement. Enfin, l'article 100 exige que les salaires des juges des cours supérieures soient «fixés et payés par le parlement du Canada». L'Act of Settlement prévoyait que les salaires devaient être «déterminés et établis», mais il semble évident que les termes «fixés et payés» devaient avoir la même signification. Il convient donc de conclure que la situation des juges des cours supérieures des provinces était assimilée, pour ce qui concerne la nomination, la durée de la charge, la révocation et la garantie du traitement, à celle des juges des cours supérieures d'Angleterre au lendemain de L'Act of Settlement.
Je ne suis pas convaincu que les mots «fixés et payés» employés à l'article 100, que cela ait été ou non l'intention du législateur, ont exactement le même sens que les mots «déterminés et établis» utilisés dans The Act of Settlement [(1700), 12 & 13 Will. 3, chap. 2]. Le sens du mot «fixés» ne diffère pas beaucoup de celui du mot «déterminés», mais le mot «payés» n'a pas à mon avis dans ce contexte la même connotation qu'aurait le mot «établis». Le mot «established» (établis) suggère, me semble-t-il, l'idée de «secured» (garantis), con cept que je ne décèle pas dans le mot «provided» (payés).
Le sens de l'article 100 présente à mon avis au moins deux facettes. D'une part, il prévoit que les traitements des juges seront «fixés et payés» et ce, dans un sens comparable à celui des mots «déter- minés et établis», de façon à garantir à la personne nommée par le gouverneur général un traitement fixé et payé par le Parlement du Canada. D'autre part, comme on a prévu à l'article 96 que la nomination des juges des cours supérieures, de district et de comté des provinces relève du gouver- neur général et, à l'article 99, que les juges des cours supérieures resteront en fonctions à titre inamovible, mais pourront toutefois être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes, l'article 100 impose non pas au pouvoir exécutif mais au Parle- ment l'obligation de fixer le montant des traite- ments, pensions et allocations des juges ainsi nommés et d'en assurer le paiement. Cet article règle donc également la question de savoir sur qui doit reposer cette responsabilité en l'imposant au Parlement du Canada.
Je suis en désaccord avec l'argument de l'avocat de l'appelante suivant lequel l'article 100 confère au Parlement du Canada tous les pouvoirs pour légiférer relativement aux traitements, pensions et allocations des juges. Je suis plutôt d'avis, compte tenu du pouvoir législatif que possèdent les législa- tures provinciales en vertu du paragraphe 14 de l'article 92, que le Parlement ne détient pas un pouvoir général de légiférer à l'égard des juges des cours supérieures, de district ou de comté des provinces. Ces tribunaux sont établis en vertu de l'autorité provinciale et tout pouvoir que peut déte- nir le Parlement relativement aux juges de ces tribunaux se limite à ce qui lui est conféré par l'article 100. Même le pouvoir de révocation, bien qu'il ne puisse être exercé que sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes, est conféré au gouverneur général. Il était donc nécessaire que le Parlement du Royaume-Uni accepte en 1960 de modifier la Constitution pour rendre obligatoire la mise à la retraite des juges des cours supérieures à l'âge de soixante-quinze ans. Ni les provinces ni le Parlement du Canada n'avaient le pouvoir de modifier l'article 99. J'estime qu'il est au moins tout aussi défendable de prétendre que le Parle- ment ne peut redéfinir ce qu'on entend par l'ex- pression «bonne conduite» utilisée dans cet article, même si l'on peut concevoir que le Sénat et la
Chambre des communes, dans un cas particulier, puissent être appelés un jour à déterminer ce qu'elle voulait dire en 1867. Le Parlement n'a pas non plus compétence pour modifier les dispositions des articles 96, 97 et 98.
D'après moi, le seul pouvoir que l'article 100 confère au Parlement relativement aux traite- ments, etc., des juges des cours supérieures, de district et de comté des provinces, c'est celui de les fixer et de les payer. Il ne s'agit pas d'un pouvoir législatif complet relativement à ces questions, car s'il en était ainsi le Parlement pourrait laisser au gouverneur en conseil ou à quelque autre autorité le soin de les fixer, ce qui me semble incompatible avec le libellé de l'article. En outre, un pouvoir comme celui accordé par l'article 100 va de pair avec la responsabilité de fixer les traitements, etc., et ensuite de les payer'. Toutefois, je ne crois pas que le pouvoir du Parlement relativement à ces traitements, pensions ou allocations soit limité à les fixer une fois pour toutes. Il me semble qu'il ressort du libellé même de l'article que le pouvoir ou la responsabilité de fixer les traitements auto- rise le Parlement, tant que ce dernier agit de bonne foi et non pour un motif spécieux ou inavoué, à les fixer à tout niveau qu'il juge approprié, que ce soit un niveau très élevé ou très bas. Il ne fait aucun doute qu'il pourrait s'avérer difficile de recruter des personnes compétentes désireuses d'accepter une nomination si les traitements étaient fixés à un niveau ridiculement bas, mais n'est pas la ques tion. Cela ne toucherait en rien à l'étendue du pouvoir du Parlement de fixer les traitements à ce niveau. Il en serait de même relativement au pou- voir de fixer les pensions et les allocations des juges. Par contre, le Parlement ne dispose en vertu de l'article 100 que du pouvoir de les fixer et de les payer. En effet, il n'a aucune autorité pour dicter
La formulation de cet article provient peut-être du fait qu'à l'époque de son adoption, la plupart des juges canadiens étaient rémunérés par des traitements plutôt que par des honoraires ou par d'autres modes de rétribution. Les juges des cours de vérification de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick étaient sans doute rémunérés uniquement au moyen d'honorai- res. Il est probable que l'on envisageait de continuer à rétribuer les juges dont il est question à l'article 100 au moyen de traitements, de pensions et d'allocations de retraite. C'est effec- tivement ce qu'a fait le Parlement du Canada lorsqu'il a légiféré pour la première fois sur ce sujet. Voir les Statuts du Canada, 1868, chap. 33.
aux bénéficiaires comment ils doivent les utiliser, ni pour les obliger à s'en servir à des fins particu- lières. Il convient également de noter que même si ces juges sont nommés par le gouverneur général sur recommandation du cabinet fédéral, ils ne sont ni des fonctionnaires ou dirigeants fédéraux ni des personnes nommées sur qui le pouvoir exécutif fédéral dispose de quelque autorité, que ce soit pour les obliger à participer ou à contribuer à un régime de pensions à cotisation ou pour autre chose.
On a plaidé, en se fondant sur les observations du juge d'appel Martin [tel était alors son titre] dans Re The Constitutional Questions Act, [1936] 4 D.L.R. 134 (C.A. Sask.) et sur le jugement du Conseil privé dans Judges v. Attorney -General of Saskatchewan, [1937] 2 D.L.R. 209, que le pou- voir que détient le Parlement en vertu de l'article 100 est similaire au pouvoir conféré par le para- graphe 91(8), soit celui de légiférer relativement à
91....
8. La fixation et le paiement des salaires et honoraires des officiers civils et autres du gouvernement du Canada.
Cependant, ces dispositions m'apparaissent diffé- rentes d'une part en raison du fait que le paragra- phe 91(8) attribue un pouvoir législatif sur le sujet et d'autre part en raison de la présence dans le texte anglais du paragraphe 91(8) de la préposi- tion «for» qui lui donne un sens très différent. Par ailleurs, le paragraphe 91(8) ne traite aucunement des pensions. Les jugements ne portaient pas prin- cipalement sur la question de l'étendue du pouvoir du Parlement en vertu de l'article 100 et je ne crois pas qu'ils contredisent le point de vue que j'ai exprimé sur cette question.
J'aborde maintenant l'article 29.1 de la Loi sur les juges et la question de son caractère véritable. Il me semble que l'un des arguments de l'appelante qui me semble incontestable d'ailleurs, consistait à prétendre que cette loi faisait partie d'un plan global visant à faire de tous les régimes de pen sions financés par le fédéral des régimes à cotisa- tion. La méthode utilisée pour atteindre ce but a consisté à insérer ces dispositions dans une loi portant sur les pensions de retraite des fonctionnai- res, des employés, des membres du Parlement et autres personnes, et rendant obligatoire la partici pation. Pour ce qui concerne ces personnes, l'adop-
tion de cette loi s'est faite dans le cadre de l'exer- cice de pouvoirs législatifs entièrement distincts de tout pouvoir conféré par l'article 100. Pour ce qui concerne les juges, la loi qui met en vigueur l'arti- cle 29.1 comporte donc essentiellement, à mon avis, l'imposition d'un régime de pensions à cotisa- tion obligeant les juges à verser des contributions à un fonds et ne leur laissant pas le choix de décider si oui ou non ils veulent contribuer ou participer. Rien à l'article 100 ne permet selon moi l'adoption d'une telle loi et cette dernière est en conséquence ultra vires pour ce qui concerne les juges qui sont visés dans cet article, dont l'intimé.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas stricte- ment nécessaire que je traite de l'argument qu'a accueilli le juge de première instance, c'est-à-dire que le Parlement n'avait aucune autorité pour réduire les traitements et les autres avantages affé- rents aux fonctions de l'intimé au moment de sa nomination. Toutefois, comme cet argument est à la base du jugement qui fait l'objet du présent appel, il me semble souhaitable d'indiquer à tout le moins les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être accueilli.
Il faut se garder, à mon avis, de confondre d'une part les droits conférés par la commission du juge en vertu du Grand Sceau du Canada et d'autre part le pouvoir que détient le Parlement en vertu de l'article 100.
La commission du juge débute au moment de sa nomination par le gouverneur général en vertu du pouvoir conféré par l'article 96 et de la loi provin- ciale créant le poste. Par cette commission, le juge se voit octroyer le poste et les pouvoirs y afférents de même que le traitement et les autres avantages fixés par le Parlement en vertu de l'article 99. Le titulaire de la commission acquiert en vertu de cette dernière le droit au traitement ainsi fixé, un peu de la même façon que le cessionnaire d'une somme d'argent ou d'un bien-fonds acquiert le droit de propriété qui s'y rapporte. C'est quelque chose qu'on ne peut lui retirer sauf par l'applica- tion régulière de la loi. L'application régulière de la loi peut prendre la forme de procédures d'expro- priation prises par une assemblée législative. Tou- tefois, suivant un principe reconnu, l'assemblée législative n'est pas, en l'absence d'une disposition expresse au contraire, présumée exproprier sans indemnité appropriée. D'ailleurs, une expropria-
tion sans indemnisation est exceptionnelle. C'est une situation que le Parlement cherche à éviter, du moins normalement. Voilà pourquoi à mon avis on a inséré dans plusieurs lois relatives au traitement des juges des clauses protégeant les droits acquis afin de sauvegarder la position des juges titulaires. Cependant, l'existence de ces clauses ne suffit pas en elle-même pour affirmer que le Parlement n'a pas le pouvoir légal d'exproprier sans indemniser ou de retirer des droits qui avaient été conférés dans le respect de la loi.
Comme le Parlement a, en vertu de l'article 100, la responsabilité de fixer et de payer les traite- ments des juges, il me semble que, suivant l'inter- prétation que je donne du libellé de cet article, le Parlement doit avoir un pouvoir continu de fixer ces traitements et que ce pouvoir ne se limite pas uniquement à la fixation des traitements des juges au moment de leur nomination. Manifestement, le Parlement peut hausser les traitements des juges qui sont déjà nommés et il me semble tout aussi évident que, théoriquement, rien ne l'empêche de les réduire même si un tel geste pourrait prendre aux yeux des juges titulaires l'allure d'une confis cation et d'une injustice et qu'il pourrait même constituer en substance une dérogation aux avan- tages légalement consentis par le gouverneur géné- ral dans la commission du juge.
Il existe évidemment un motif très fort pour s'opposer à toute révision à la baisse des traite- ments des juges pendant la durée de leur commis sion. D'éminents auteurs, membres de la magistra- ture ou d'autres sphères d'activités, l'ont d'ailleurs maintes fois répété. Ce motif est que la garantie de l'inamovibilité et du traitement des juges est essen- tielle à leur indépendance et en est le fondement. Il existe depuis de nombreuses années au Royaume- Uni une loi qui interdit de diminuer le traitement d'un juge pendant la durée de sa commission. Aux États-Unis une disposition en ce sens est prévue dans la Constitution même. Cependant, il semble n'y avoir rien dans l'article 100 qui fasse obstacle à une telle mesure et le seul bien-fondé du motif justifiant l'existence d'une telle disposition ne suffit pas à en faire la règle de droit applicable.
Cela étant dit, j'aimerais ajouter que même si les sommes déduites du traitement de l'intimé ont incontestablement réduit le montant qui lui est effectivement versé à titre de traitement, à mon
avis, l'adoption de l'article 29.1 n'a pas eu pour effet de réduire son traitement ou le montant qui lui était crédité à ce titre, mais plutôt de l'obliger à contribuer et à participer à un régime de pensions à cotisation. Pour les motifs que j'ai exprimés, selon moi, cette mesure est ultra vires.
Il découle de l'opinion que j'ai exprimée que les paragraphes (1) et (2) de l'article 29.1 sont ultra vires et invalides et je ne saisis pas très bien en vertu de quel raisonnement seuls les mots «avant le 17 février 1975» pourraient à cet égard être jugés invalides. En effet, si le paragraphe (2) est ultra vires parce que le Parlement n'a pas le pouvoir d'obliger les juges à participer à un régime de pensions à cotisation pour ce qui concerne leur propre pension, il me semble qu'il est également ultra vires de les obliger à participer et à contri- buer à un tel régime lorsqu'il s'agit des pensions des veuves et des enfants de juges.
Je rejette l'appel avec dépens, mais compte tenu du temps consacré à l'infructueux appel incident, j'ordonne que les frais de l'appel soient taxés en fonction d'une audience d'une durée d'un jour et demi.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté en l'espèce d'un jugement déclaratoire de la Divi sion de première instance (juge Addy) portant que le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges 6 est ultra vires du Parlement du Canada parce qu'il réduit illégalement la rémunération des juges nommés en vertu de l'article 96 de la Loi constitu- tionnelle de 1867. Un appel incident est également formé à l'encontre de ce même jugement qui, selon l'intimé, aurait aussi déclarer que le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges était inopérant parce qu'il contrevenait à la Déclaration cana- dienne des droits.
L'intimé a été nommé juge de la Cour supé- rieure du district de Montréal le 24 juillet 1975. A cette époque, la Loi sur les juges prévoyait, comme elle le fait encore d'ailleurs, le paiement de
6 S.R.C. 1970, chap. J-1 (tel que modifié par l'article 100 de la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81).
pensions aux juges retraités et aux veuves et aux enfants des juges décédés. Cependant, les juges n'étaient aucunement obligés, à cette époque, de participer ou de contribuer au coût afférent à ces pensions. Il est vrai qu'un projet de loi imposant une telle obligation avait déjà passé l'étape de la première lecture le 16 février 1975, mais il était encore devant le Parlement et l'intimé n'était pas au courant de ce fait lorsqu'il a accepté de devenir juge.
Durant les premiers mois qui ont suivi sa nomi nation, l'intimé a reçu le plein traitement attaché à son poste. Cependant, après le 20 décembre 1975 la situation changea. A cette date en effet, le projet de loi dont je viens de parler est devenu loi et a modifié la Loi sur les juges en y ajoutant l'article 29.1. Cette nouvelle disposition obligeait les juges à participer au coût des pensions payables en vertu de la Loi sur les juges et de la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires'. Elle était rédigée en partie comme suit:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires, établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant 1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Cette nouvelle disposition a eu pour effet de diviser les juges en deux catégories suivant la date de leur nomination. Les juges qui avaient été nommés le 16 février 1975 ou avant cette date (date de la première lecture du projet de loi modi- fiant la Loi sur les juges) se voyaient obligés de verser une contribution égale à un et demi pour cent de leur traitement tandis que la participation des autres juges a été fixée à 6' % de leur traite-
' S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 43, (tel que modifié par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 30, et par S.C. 1973-74, chap. 36).
ment pour 1976 et 7 % par la suite. Suivant une lettre en date du 17 février 1975 expédiée par le ministre de la Justice à [TRADUCTION] «... TOUS LES JUGES NOMMÉS PAR LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL», la participation de 1 1 / 2 % imposée à tous les juges était une contribution au coût des pensions payables aux veuves et autres personnes à charge des juges décédés, tandis que la contribu tion supplémentaire exigée des juges nommés après le 16 février 1975 se rapportait aux pensions de retraite payables aux juges eux-mêmes.
Comme l'intimé avait été nommé le 24 juillet 1975, l'adoption de l'article 29.1 a eu pour effet de réduire son salaire de plus de 6 %.
L'intimé ne s'est pas opposé à la déduction de 1' % imposée à tous les juges relativement au coût des pensions payables aux veuves et autres dépen- dants des juges décédés. Ce à quoi il s'est opposé cependant c'est la déduction supplémentaire impo sée aux juges nommés après le 16 février 1975. Selon lui, le Parlement a, en imposant cette déduc- tion supplémentaire, outrepassé le pouvoir législa- tif qu'il détient en vertu de la Constitution et violé le droit de l'intimé à «l'égalité devant la loi» prévu à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits. Dans l'action qu'il a intentée contre Sa Majesté, il a demandé un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 29.1(2) était ultra vires et inopérant. Le juge Addy a rejeté l'argument suivant lequel le paragraphe 29.1(2) contrevenait à la Déclaration canadienne des droits; il n'a pas jugé utile de se prononcer sur l'argument de l'in- timé suivant lequel le Parlement n'avait pas le pouvoir en vertu de la Constitution d'obliger les juges à participer au coût des pensions de retraite; il a conclu cependant que le paragraphe 29.1(2) était ultra vires pour ce qui concerne l'intimé parce que le Parlement n'avait pas le pouvoir en vertu de la Constitution de réduire le salaire ou la rémunération d'un juge. Le présent appel porte sur ce jugement et soulève trois questions:
(1) Le Parlement est-il tenu en vertu de la Constitution de payer aux juges des pensions de retraite sans participation?
(2) Le Parlement a-t-il en vertu de la Constitu tion, le pouvoir de réduire les traitements des juges?
(3) Le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges contrevient-il à l'alinéa 1 b) de la Déclara- tion canadienne des droits?
1. Le pouvoir du Parlement d'obliger les juges à participer au coût des pensions de retraite aux- quelles ils ont droit.
Pour appuyer son argument suivant lequel le Parlement n'a pas le pouvoir d'obliger les juges à participer au coût de leurs pensions de retraite, l'avocat de l'intimé s'est d'abord rapporté à l'his- toire de la magistrature tant en Angleterre qu'au Canada. L'histoire a démontré, a-t-il dit, qu'immé- diatement avant l'adoption de la Loi constitution- nelle de 1867, l'indépendance des juges, tant au Canada qu'en Angleterre, était garantie par leur inamovibilité et leur droit de recevoir au moment de la retraite une pension sans participation. L'avocat a plaidé, si j'ai bien compris, que les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 avaient enchâssé dans la Constitution ces deux garanties de l'indépendance des juges. Les articles 99 et 100 sont ainsi conçus:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica- tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
L'avocat a également appuyé son argument sur le fait qu'en 1960, avant de demander au Parle- ment du Royaume-Uni de modifier l'article 99 afin d'obliger les juges des cours supérieures à prendre leur retraite à l'âge de soixante-quinze anse, le Parlement canadien a modifié la Loi sur les juges de façon à ce que ces derniers aient droit
8 L'article 99 fut modifié par la Loi constitutionnelle de 1960 et se lit maintenant comme suit:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gou- verneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge.
lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite obligatoire à une pension égale au 2 / 3 de leur traitement.
Je ne saisis pas cet argument. Les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 ont de toute évidence été adoptés afin de garantir l'indé- pendance de la magistrature. Toutefois, je ne vois aucun lien entre l'indépendance et le fait que les juges puissent être obligés ou non de participer au coût de leur pension de retraite. Il est possible que pour assurer l'indépendance des juges il faille leur verser un traitement décent et leur garantir au moment de la retraite une pension suffisante; mais cela ne va certes pas jusqu'à exiger la mise sur pied en leur faveur d'un régime de pensions sans parti cipation. En outre, je ne peux déceler aux articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 l'intention d'imposer au Parlement canadien le devoir de continuer d'assurer aux juges exactement le même type de pension et de rentes qui leur étaient versées avant la Confédération.
La solution au problème qui nous est posé ne réside donc pas selon moi dans l'histoire de la Constitution mais plutôt dans le texte même de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette Loi a-t-elle conféré au Parlement le pouvoir d'obliger les juges des cours supérieures à participer au coût de leur pension de retraite? Avant de répondre à cette question, deux observations s'imposent. D'une part, l'article 100, suivant l'interprétation que j'en fais, ne crée aucun droit en faveur des juges, mais ne fait qu'établir que c'est le Parlement, plutôt que le pouvoir exécutif ou les provinces, qui aura la responsabilité de fixer et de payer les traitements et les pensions des juges. D'autre part, le Parle- ment n'a pas, en adoptant l'article 29.1 de la Loi sur les juges, porté atteinte aux droits des juges de recevoir une pension. -Leur droit de recevoir une pension au moment de leur retraite était, au lende- main de l'adoption de l'article 29.1 de la Loi sur les juges, le même qu'avant. Seul le droit des juges à leur traitement a été touché par cette nouvelle disposition et ce, parce qu'elle n'a pas obligé les juges à verser quoi que ce soit, prévoyant seulement qu'un montant serait déduit de leur traitement. Il découle de ces deux observations que la véritable question posée par l'adoption de l'arti- cle 29.1 de la Loi sur les juges est de savoir si le Parlement avait le pouvoir de réduire les traite- ments des juges. Cependant, une fois accepté,
comme l'exige l'examen de l'argument dont on discute présentement, l'hypothèse suivant laquelle le Parlement détenait ce pouvoir, il s'ensuit néces- sairement à mon avis que le Parlement avait égale- ment le pouvoir de prescrire qu'un certain montant serait déduit des traitements des juges à titre de participation au coût de leur pension de retraite. Je ne vois d'ailleurs pas comment l'on pourrait refu- ser de reconnaître un tel droit au Parlement, lequel, en vertu de l'article 100 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 avait le pouvoir et le devoir de fixer et de payer tant les traitements que les pensions des juges.
2. Le pouvoir du Parlement de réduire les traite- ments des juges.
Le juge Addy a accueilli l'argument suivant lequel la Constitution ne permettait pas au Parle- ment de réduire le traitement de l'intimé. Voilà pourquoi il a accordé un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges était, pour ce qui concerne l'intimé, ultra vires du Parlement du Canada.
Si je comprends bien ce jugement et l'argument de l'intimé, ils ne contestent pas que le Parlement détient, en vertu de l'article 100 de la Loi consti- tutionnelle de 1867 le pouvoir de légiférer afin de réduire les traitements des juges si cette réduction s'applique uniquement aux juges nommés après la date de l'adoption de la loi prévoyant ladite réduc- tion. Ce que le Parlement n'avait pas le pouvoir de faire, selon l'argument accueilli par le jugement de première instance, c'était de réduire les traite- ments des juges ayant été nommés avant l'adoption de la loi prévoyant la réduction. Suivant cette théorie, une fois nommé, un juge d'une cour supé- rieure a droit, en vertu de la Constitution, aussi longtemps qu'il demeure juge, à un traitement qui ne sera jamais inférieur à celui afférent à son poste au moment de sa nomination.
Le juge Addy a résumé ses motifs et ses conclu sions dans les termes suivants [aux pages 588 et 5901:
Comme nous l'avons déjà dit, en Angleterre, au moment de la Confédération, la garantie des traitements des juges était cons- titutionnellement protégée en droit depuis The Act of Settle ment. (Ce qui ne veut pas dire, puisque c'est un État unitaire, que la Constitution n'aurait pu être modifiée par le Parlement avec le consentement du Roi.) Avec l'adoption de l'A.A.N.B., les juges des cours suprêmes des provinces ont acquis le même
statut que celui des juges anglais de l'époque. Ce statut de la magistrature était assorti des mêmes droits, pouvoirs et privilè- ges, y compris, par une loi le prévoyant expressément, le droit à ce que leur traitement soit «fixé et établi» par le Parlement, ce qui comprend le droit de recevoir ce traitement pendant la durée de leurs fonctions. En vertu de la Constitution, la nomi nation et le paiement des juges des cours supérieures provincia- les et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de la compétence fédérale, alors que l'administration de la justice, la création de tribunaux de justice et les règles de fond que ces juges appliquaient en matière de propriété et de droit civil relevaient de la compétence provinciale. Il semble donc clair qu'il existe une exigence de droit constitutionnel découlant de la nature fédérale de notre Constitution et qui veut que les droits des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils existaient au moment de la Confédération, ne puissent être abrogés, dimi- nués ou modifiés sans un amendement de la Constitution.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que le Parle- ment, sans au moins le consentement du juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit, réduire, par toute loi portant directement sur des réductions ou des déductions de traitements des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette conclusion non seulement à cause du partage des pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque et fondamental de droit constitutionnel dont nous avons hérité avec le système parlementaire britannique.
Je dois avouer que j'ai éprouvé au départ quel- ques difficultés à saisir les observations du juge au sujet du partage des pouvoirs entre le Canada et les provinces. Je crois maintenant avoir compris ce qu'il voulait dire. De l'avis du juge Addy, il existe un principe de droit constitutionnel qui exige que les traitements des juges ne soient pas réduits. Si le Canada était un Etat unitaire, ce principe ne limiterait pas la suprématie du Parlement et il pourrait, dans sa législation, l'abroger ou ne pas en tenir compte. Cependant, comme le Canada n'est pas un État unitaire et comme, en vertu de notre Constitution, les provinces ont, compte tenu de leur compétence dans le domaine de l'administra- tion de la justice, manifestement intérêt à ce que soit appliqué un principe constitutionnel garantis- sant l'indépendance de la magistrature, le juge de première instance a conclu que le Parlement ne pouvait ni abroger ni faire abstraction de ce prin- cipe dans sa loi.
La question décisive en l'espèce est donc de savoir s'il existait une règle de droit constitutionnel interdisant au Parlement de réduire les traitements des juges titulaires. Pour répondre à cette question,
il faut d'abord déterminer si la Loi constitution- nelle de 1867 en vigueur en 1975 contenait une telle règle.
Dans un article publié dans La Revue du Bar- reau canadien 9 , le professeur Lederman a exprimé l'opinion qu'une telle limite était imposée au pou- voir du Parlement par l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit que
les salaires des juges des cours supérieures soient «fixés et payés par le parlement du Canada».
De l'avis du professeur Lederman, que partage le juge de première instance, les mots «fixés et payés» utilisés dans cet article impliquent que les traite- ments des juges ne peuvent être réduits. Je ne partage pas cette opinion. Tout ce que fait l'article 100,à mon avis c'est de conférer au Parlement le pouvoir mais aussi le devoir de fixer et de payer les traitements des juges. Que je regarde cette disposi tion avec ou sans l'éclairage de son historique, je n'y vois pas plus que cela.
Je suis donc d'avis que l'article 100 confère au Parlement le pouvoir de fixer et de modifier les traitements des juges. Le seul autre article de la Loi constitutionnelle qui peut être interprété de façon à imposer une limite à ce pouvoir est l'article 99 qui prévoit que, sous réserve de l'obligation qui leur est faite de prendre leur retraite à l'âge de soixante-quinze ans,
99. (1) ... les juges des cours supérieures resteront en fonc- tion durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
Comme le droit au traitement est un attribut normal de la fonction de juge, la garantie d'inamo- vibilité prévue à l'article 99 peut-elle être interpré- tée comme une garantie implicite contre toute réduction du traitement des juges? Je ne le crois pas. Si le droit au traitement suit nécessairement la fonction de juge, il en découle que le juge a, aussi longtemps qu'il demeure juge, droit au traite- ment afférent à son poste; il ne s'ensuit pas toute- fois que ce dernier jouit de la garantie que le traitement afférent à son poste ne sera jamais modifié.
Le juge de première instance a cependant jugé qu'il existait un principe de droit constitutionnel déniant au Parlement le pouvoir de réduire les
9 (1956), 34 R. du B. Can. 769 et 1139, à la page 1160.
traitements des juges. Il a tiré ce principe de deux vieilles lois du Parlement du Royaume-Uni qu'il a interprétées comme prévoyant que les salaires des juges ne pouvaient être réduits, et d'une prati- que que suivrait le Parlement, tant en Angleterre qu'au Canada, de ne pas réduire les traitements des juges titulaires sans leur consentement.
Je ne vois pas en quoi The Act of Settlement et la Loi de 1760 viennent étayer la décision du juge de première instance. Ces deux lois ne restreignent pas le pouvoir du Parlement qui les a édictées et au surplus, elles ne se sont jamais appliquées au Canada. Comment de telles lois pourraient-elles limiter le pouvoir du Parlement canadien?
Pour ce qui concerne la pratique parlementaire, il est important de noter qu'en Angleterre cette pratique n'a jamais eu pour effet de dénier au Parlement le pouvoir de réduire les traitements des juges. En dépit de cette pratique, la suprématie du Parlement est demeurée intacte. Il est difficile de comprendre comment une telle pratique aurait pu donner naissance à une règle constitutionnelle qui, une fois implantée au Canada, aurait acquis une force inconnue à ce jour et dénier au Parlement canadien un pouvoir que le Parlement du Royaume-Uni possédait encore.
Il est vrai que les provinces possèdent un intérêt dans l'administration de la justice et dans la sauve- garde de l'indépendance de la magistrature. Cependant, malgré cet intérêt direct, c'est au Par- lement et à lui seul qu'a été conféré le pouvoir de fixer les traitements et les pensions des juges. L'intérêt des provinces à cet égard ne peut être invoqué afin de dépouiller le Parlement de sa compétence.
Je suis donc en désaccord avec l'opinion suivant laquelle il aurait déjà existé, en Angleterre ou ici, un principe constitutionnel interdisant au Parle- ment de réduire les traitements des juges. Notre Constitution protège l'indépendance de la magis- trature en attribuant de façon exclusive au Parle- ment le pouvoir de démettre les juges de leurs fonctions et de fixer ou de modifier leurs traite- ments. Il est évident qu'à la base des dispositions de la Loi constitutionnelle portant sur ce sujet, il y
The Act of Settlement (1700), 12 & 13 Will. 3, chap. 2, et An Act for rendering more effectual, etc., A.D. 1760, 1 Geo. III, chap. 23.
a l'idée que la protection de l'indépendance des juges exige que le pouvoir de les révoquer soit réservé au Parlement; à mon avis, il serait donc incompatible avec cette idée d'affirmer que la protection de l'indépendance desdits juges exige que l'on retire au Parlement le pouvoir de réduire leur traitement.
Je ne partage donc pas l'avis du juge Addy suivant lequel le Parlement n'avait pas le pouvoir de réduire les traitements des juges et que, pour ce motif, le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges est ultra vires.
3. Le paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges et l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits.
Le juge de première instance a rejeté le dernier argument de l'intimé suivant lequel le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges qui prévoit que les juges nommés après le 16 février 1975 doivent recevoir un traitement inférieur à celui des autres juges contrevient à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits.
Le passage pertinent de l'alinéa lb) de la Décla- ration canadienne des droits est ainsi conçu:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
Le juge Addy s'est dit d'avis que la Cour suprême du Canada avait interprété l'expression «égalité devant la loi» dans cette disposition dans le sens d'«assujettissement égal de toutes les classes au droit commun du pays appliqué par les tribu- naux ordinaires»". Comme, de toute évidence, le paragraphe 29.1(2) ne contrevient pas à cette garantie d'égalité, le juge a rejeté l'argument for- mulé en ce sens par l'intimé.
" Le Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349, à la page 1366; voir également Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; La Reine c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la main-d'œuvre et de l'immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
Je partage cette opinion. Au surplus, je suis d'avis que l'article 29.1 dans son ensemble a été adopté par le Parlement afin de réaliser un objectif fédéral valable.
Par tous ces motifs, j'accueillerais l'appel, rejet- terais l'appel incident, annulerais le jugement de la Division de première instance et rejetterais l'action de l'intimé. Conformément à la suggestion de l'ap- pelante, je ne rendrais aucune ordonnance relative- ment aux dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté en l'espèce d'un jugement déclaratoire de la Division de pre- mière instance portant que le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges, telle que modifiée par l'article 100 de la Loi de 1975 modi- fiant le droit statutaire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, chap. 81, est, pour ce qui concerne l'intimé, ultra vires du Parlement du Canada. Un appel incident, qui a été débattu en même temps que l'appel, a été logé par l'intimé à l'encontre de la partie du jugement de la Division de première instance déclarant que l'alinéa l b) de la Déclara- tion canadienne des droits est inapplicable et que la loi attaquée n'est pas, pour ce qui concerne l'intimé, inopérante parce que discriminatoire.
L'article 29.1 est ainsi rédigé:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 une cour supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires, établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, une contribu tion égale
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant 1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Comme l'a fait remarquer le juge de première instance, les faits ne sont pas contestés. Aucun
témoin n'a été cité et l'affaire a été jugée à partir d'admissions faites dans les actes de procédures, d'un exposé conjoint des faits et de certaines pièces qui furent déposées sur consentement. Le 24 juillet 1975, l'intimé a accepté sa nomination à la fonc- tion de juge puîné de la Cour supérieure de la province de Québec. À cette date, la Loi sur les juges prévoyait pour tous les juges puînés de la Cour supérieure de cette province les traitements et avantages suivants:
1. Des traitements globaux de 53 000 $: traite- ment de base de 50 000 $, traitement supplé- mentaire de 3 000 $ pour les services extrajudi- ciaires que les juges peuvent être appelés à accomplir et en dédommagement des frais accessoires.
2. Pensions de retraite sans participation des intéressés.
3. Des pensions sans participation des intéressés pour les veuves et enfants de juges.
4. Prestations de retraite supplémentaires sans participation des intéressés conformément aux dispositions de la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, telle que modifiée.
Le 20 décembre 1975, soit environ cinq mois après la nomination de l'intimé, la Loi de 1975 modi- fiant le droit statutaire (Pensions de retraite), précitée, fut adoptée. Cette loi prévoyait la partici pation des intéressés non seulement aux pensions des veuves et des enfants de juges mais également aux pensions de retraite et prestations supplémen- taires des juges eux-mêmes, dans le cas de juges nommés après le 16 février 1975 1 z. Cette modifica tion apportée à la loi a donc eu pour effet, en ce qui concerne l'intimé, de diminuer du montant de ces contributions le traitement et les avantages qu'il recevait depuis la date de sa nomination. Cela est évident puisque la loi a eu pour effet de l'obli- ger à verser désormais six pour cent de son traite- ment à titre de cotisation à sa propre pension de retraite et aux pensions de sa famille ainsi qu'un demi de un pour cent avant le ler janvier 1977 et de un pour cent par la suite au titre de l'indexation
12 La première lecture de la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite), précitée, a eu lieu le 17 février 1975. C'est ce qui expliquerait le choix des dates du 17 et du 16 février 1975 à l'article 29.1 précité.
des pensions de retraite conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires. Le juge de première instance a donc conclu que l'in- timé avait de ce fait subi une réduction du traite- ment auquel il avait droit et qu'il avait effective- ment reçu à compter de la date de sa nomination et pendant quelque cinq mois par la suite. Les parties ont admis premièrement qu'à la date de sa nomination à la magistrature le 24 juillet 1975, l'intimé ignorait complètement que le projet de loi modifiant le droit statutaire (pensions de retraite) était alors devant le Parlement et, deuxièmement, qu'il n'en avait pas été avisé.
Si j'ai bien compris les avocats des deux parties, ces dernières ont convenu entre elles qu'il s'agit en l'espèce d'une question dont les tribunaux peuvent être saisis et qui doit être tranchée par des juges nommés par le fédéral et que même s'il est possible que lesdits juges aient potentiellement un intérêt identique ou similaire dans l'issue du litige, la Cour doit néanmoins instruire l'affaire ex necessitate' 3 .
Le présent appel soulève trois questions:
1. Le Parlement est-il tenu par la Constitution de payer à l'intimé et à ceux qui se trouvent dans une position comparable des prestations de retraite sans participation? Le juge de première instance s'est abstenu de trancher cette question, cela étant devenu inutile à son avis puisqu'il avait fondé sa décision sur un autre point.
2. La Constitution autorisait-elle le Parlement, le 20 décembre 1975, diminuer, à réduire ou à baisser le traitement et les autres avantages fixés et établis de l'intimé? Le juge de première instance a répondu négativement à cette question. Il a affirmé la page 590):
... je conclus que le Parlement, sans au moins le consentement du juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit, réduire, par toute loi portant directement sur des réductions ou des déductions de traitements des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette conclusion non seulement à cause du partage des pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque et fondamental de droit cons- titutionnel dont nous avons hérité avec le système parlemen- taire britannique.
13 Voir Re Income Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134 (C.A. Sask.), à la p. 135; confirmé sous le nom de Judges v. Attorney -General of Saskatchewan, [1937] 2 D.L.R. 209 (P.C.).
3. Le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges contrevient-il à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits? Le juge de première instance a répondu négativement à cette question. Cette conclusion fait l'objet de l'appel incident logé par l'intimé.
Question 1—La question des pensions (pen- sions de retraite).
À mon avis, les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 constituent le point de départ de l'examen de cette question. Ces articles sont rédigés en ces termes:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs fonctions par le gouverneur-général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica- tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
L'avocat de l'appelante a plaidé que rien dans le libellé de l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne vient entraver le pouvoir législatif du Parlement de façon à l'empêcher d'exiger que les juges nommés par le fédéral contribuent à défrayer les coûts des prestations qu'ils retirent après leur mise à la retraite. À l'appui de cet argument, l'avocat a cité l'arrêt Re Income Tax Act, 1932, [1936] 4 D.L.R. 134 précité. Cette décision una- nime de la Cour d'appel de la Saskatchewan por- tait notamment sur la question de savoir si les juges nommés par le fédéral qui résidaient dans la province de la Saskatchewan et qui étaient à d'au- tres égards assujettis aux dispositions de The Income Tax Act, 1932 de la Saskatchewan [S.S. 1932, chap. 9], étaient ou non, malgré leur statut de juges nommés par le fédéral, imposables en vertu de la loi provinciale de l'impôt sur le revenu. La Cour a répondu affirmativement à cette ques tion. Cependant, le juge d'appel Martin (tel était alors son titre) a appuyé sa conclusion sur la présence du mot «fixé» dans l'article 100 et a suivi la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Abbott v. The City St. John ((1908) 40 R.C.S. 597) qui portait sur l'assujettis- sement des fonctionnaires fédéraux à l'impôt pré- levé dans leur province de résidence. Si j'ai bien
saisi les motifs du juge d'appel Martin, ils étaient fondés sur la présence du mot «fixation» au para- graphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 14 .
À mon avis, la décision du tribunal de la Sas- katchewan, précitée, sur laquelle s'est appuyé l'ap- pelante n'est d'aucune utilité pour résoudre la question examinée en l'espèce. Le passage de l'ar- ticle 100 qui, selon moi, doit être interprété afin de trancher la question relative aux pensions est l'exi- gence formulée dans cet article suivant laquelle «... les ... pensions des juges ... seront fixé(e)s et payé(e)s par le parlement du Canada.» (C'est moi qui souligne.)
Suivant l'argument de l'appelante, le Parlement a le pouvoir de modifier le montant des pensions versées aux juges et de transformer le régime de pensions sans cotisation en un régime à cotisation. Pour appuyer cet argument, l'appelante cite le paragraphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 précité qui vise les fonctionnaires.
À mon avis, le paragraphe 91(8) n'est en aucune façon analogue ou comparable à l'article 100. Le paragraphe 91(8) est une disposition habilitante qui confère au Parlement le pouvoir de payer (provide for) les traitements des fonctionnaires mais ne l'oblige pas à le faire. Ce paragraphe ne renferme aucune disposition concernant les pen sions des fonctionnaires. En revanche, l'article 100 impose au fédéral la responsabilité, notamment, de payer les pensions des juges. Le mot «for» du texte anglais du paragraphe 91(8) n'apparaît pas à l'ar- ticle 100. A mon avis, l'obligation imposée par l'article 100 de payer les pensions impose au Parle- ment le devoir de payer le montant total desdites pensions. Si c'est le cas, les dispositions de l'article 29.1 obligeant les juges à défrayer une partie du coût de leurs propres pensions entrent en conflit avec l'article 100. Lorsque les juges doivent payer un certain pourcentage du coût de leur propre pension, que ce soit cinq pour cent ou quatre-vingt- quinze pour cent, on ne peut alors dire que le Parlement «paye» leur pension. On peut affirmer qu'à l'article 29.1, le Parlement prend des disposi tions relatives aux (provisions for) pensions des juges, mais cela ne répond pas aux exigences de
14 Le paragraphe 91(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer quant à «La fixation et le paiement des salaires et honoraires des officiers civils et autres du gouvernement du Canada.»
l'article 100. Le Parlement ne fait donc que payer partiellement lesdites pensions. Toutefois, l'avocat de l'appelante prétend que les modifications de 1975 doivent être considérées comme un tout, que le Parlement a le pouvoir de diminuer et de baisser les traitements et les pensions, que les modifica tions de 1975 prises dans leur ensemble se tradui- sent par une majoration des traitements et des avantages, que même si les juges nommés avant le 17 février 1975 tirent profit de la clause des droits acquis pour ce qui concerne l'aspect participation mise en vigueur par les modifications, cette prati- que de la participation, avec le temps, s'appliquera uniformément à tous les juges, et finalement que le Parlement a le pouvoir d'adopter une telle disposi tion. Même en supposant, sans toutefois trancher la question à ce stade-ci, que le pouvoir que détient le Parlement lui permet de majorer ou de réduire les traitements et les pensions, je ne crois pas qu'un tel résultat puisse être atteint en rendant obliga- toire la participation aux pensions car, ce faisant, le Parlement ne «paye» plus le montant total des pensions des juges comme l'article 100 lui impose de le faire. Il se peut fort bien que le Parlement aurait pu réduire les pensions des juges en adop- tant une loi qui, par exemple, aurait prévu simple- ment la réduction de la pension de retraite du juge alors prévue à un tiers du traitement versé à ce juge juste avant sa mise à la retraite, au lieu des deux tiers prévus actuellement. En posant l'hypo- thèse que c'est le Parlement qui paye la totalité de cette pension réduite, je suis d'avis qu'il n'y aurait alors pas contravention des dispositions de l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui a trait à l'obligation de payer les pensions des juges. Ce qui, selon moi, contrevient à cette exigence au paragraphe (2) de l'article 29.1 est le plan pré- voyant le partage des coûts desdites pensions.
L'appelante affirme: [TRADUCTION] «... que l'adoption de la participation obligatoire au coût des rentes des juges constituait une mesure d'ad- ministration financière dans le cadre de la mise en place d'une politique d'application générale visant à rendre obligatoire la participation à tous les régimes de pension financés par le gouvernement fédéral. Ces mesures ne visaient pas exclusivement les juges, mais s'inscrivaient dans le cadre d'une politique globale en matière de pension en vertu de laquelle tous les titulaires de la Fonction publique étaient désormais appelés à participer au coût de
ces régimes.» (Exposé de faits et de droit de l'appe- lante, par. 22.) Cet argument ne tient aucun compte du statut très différent, sur le plan consti- tutionnel, des fonctionnaires d'une part et des juges nommés par le gouvernement fédéral d'autre part, comme nous l'avons vu précédemment et comme l'indiquent les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est à mon avis tout simplement impossible de mettre sur pied un régime de pension pour les juges sur les mêmes bases qu'un régime de pension pour la Fonction publique, eu égard aux articles 99 et 100 précités.
L'avocat de l'appelante soutient toutefois que les mots «payés par le parlement du Canada» veulent uniquement dire que c'est le Parlement et non les législatures provinciales qui devra payer les juges nommés par le gouvernement fédéral. De l'avis de l'avocat, une telle disposition est nécessaire en raison du partage des compétences entre le Canada et les provinces prévu aux paragraphes 91(27) et 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Pour ma part, je ne crois pas que le mot «payés» utilisé à l'article 100 puisse être interprété aussi strictement. Il faut à mon avis lui donner un sens plus large. Mis à part d'autres facteurs, si la seule intention du législateur était de départager les responsabilités entre le Canada et les provinces, j'estime que l'on aurait ajouté au texte anglais le mot «for», comme au paragraphe 91(8), comme nous l'avons souligné précédemment. Au surplus, si le seul motif derrière l'insertion de cette disposi tion à l'article 100 consistait à indiquer qui, du Canada ou des provinces, devrait effectuer les paiements, il aurait été plus logique d'inclure cette disposition à la Partie VI de la Loi constitution- nelle de 1867 intitulée «DISTRIBUTION DES POU- VOIRS LÉGISLATIFS» qui comprend les articles 91 et 92. Cependant, la disposition figure à la Partie VII intitulée «JUDICATURE». Cette Partie traite de la nomination, du choix, de la durée des fonctions, des traitements, des allocations et des pensions des juges nommés par le gouvernement fédéral et se termine par l'article 101 qui autorise la constitu tion, le maintien et l'organisation d'une cour géné- rale d'appel pour le Canada ainsi que l'établisse- ment d'autres tribunaux pour assurer la meilleure administration des lois du Canada. Après avoir examiné les mots «payés par le parlement» dans ce
contexte et leur avoir donné leur sens le plus clair et le plus évident, j'en arrive à la conclusion que l'emploi de ces mots à l'article 100 a pour but d'obliger le Parlement à fournir la totalité des fonds nécessaires au paiement des pensions des juges 15 .
Par ces motifs, je répondrais affirmativement à la première question et trancherais donc en faveur de l'intimé.
Question 2—Le pouvoir du Parlement, en vertu de la Constitution, au 20 décembre 1975, de diminuer, réduire ou baisser le traitement et les autres avantages fixés et établis de l'intimé.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, le juge de première instance a conclu que la Consti tution n'autorisait pas le Parlement à prendre ces mesures sans le consentement de l'intimé, parce que:
a) Le Canada est un État fédéral dont les compétences sont réparties entre les provinces et le fédéral; et
b) parce qu'il existe dans notre droit constitu- tionnel un principe fondamental suivant lequel les juges ont la garantie absolue de recevoir leur plein traitement pendant toute la durée de leur commission.
De l'avis du juge, ce principe de droit fondamental faisant partie intégrante de la Constitution tire son origine de la page 565] « ... textes législatifs qui constituent un arrangement entre le Roi et le Parlement». Les «textes législatifs» dont il fait état sont, premièrement, The Act of Settlement (1700) et, deuxièmement, la Loi de 1760. The Act of Settlement prévoyait que [TRADUCTION] «... la nomination des juges est à titre inamovible et leur traitement est déterminé et établi ...» (C'est moi qui souligne.) La Loi de 1760 prévoyait l'article 3] que: [TRADUCTION] «... Les traitements qui sont attribués aux juges ... seront désormais et pour toujours payés et payables à chacun de ces juges tant et aussi longtemps que demeurera en
15 The Living Webster donne entre autres la définition sui- vante du mot «provide»: [TRADUCTION] «fournir ou assurer à une fin».
De même, The Shorter Oxford English Dictionary donne entre autres du mot «provide» la définition qui suit: [TRADUC- TION] «assurer ou fournir à une fin».
vigueur leur patente ou commission respective.» Après avoir passé en revue les diverses dispositions législatives des différentes provinces du Canada qui étaient en vigueur avant la Confédération, les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 et les diverses modifications apportées à la Loi sur les juges, et après avoir cité de longs extraits d'articles du professeur W. R. Lederman, le juge de première instance a conclu que la page 582):
La grande majorité des juristes et des autorités en droit constitutionnel d'hier et d'aujourd'hui sont d'avis qu'une fois le juge nommé, son salaire est inviolable tant qu'il exerce ses fonctions.
À la page 587, le juge dit clairement que selon lui il s'agit d'un principe de droit constitutionnel fon- damental et non d'une simple convention politique. Je ne peux faire mienne cette conclusion du juge de première instance. À mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, établit le contraire de façon très convain- cante. Dans la première partie de ce jugement, sept des neuf juges ont expressément rejeté l'argu- ment suivant lequel une convention politique puisse devenir loi (aux pages 774 et 775):
On n'a pas cité de cas de reconnaissance explicite d'une conven tion qui soit devenue une règle de droit. Il est impossible d'imposer en droit une convention vu sa nature même: l'origine en est politique et elle est intimement liée à une reconnaissance politique continue de ceux pour le bénéfice et au détriment (le cas échéant) desquels elle s'est développée sur une période de temps considérable.
On fait erreur en tentant d'assimiler l'évolution d'une con vention et celle de la common law. Cette dernière est le produit des travaux du judiciaire fondés sur des questions justiciables des tribunaux et dont la formulation est juridique; les tribunaux qui en sont les auteurs peuvent les modifier et même les renverser dans l'exercice de leur rôle dans l'Etat conformément aux lois ou aux directives constitutionnelles. Les tribunaux ne jouent pas de rôle parental semblable à l'égard des conventions.
Un peu plus loin, à la page 784, commentant l'un des articles du professeur Lederman, les sept mêmes juges affirmaient:
Il explique le saut de la convention à la loi comme s'il y avait une common law du droit constitutionnel qui tirerait son ori- gine de la pratique politique. Ce n'est tout bonnement pas le cas. Ce qui est désirable comme limite politique ne se traduit pas en une limite juridique sans qu'il existe une loi ou un texte constitutionnel impératif.
Selon moi, l'opinion formulée par six des neuf juges qui dans le jugement majoritaire concernant
la partie II de la décision de la Cour est au même effet. En ce qui concerne la nature des conventions constitutionnelles, la majorité de la Cour affirme ce qui suit aux pages 880 et 881:
Les règles conventionnelles de la Constitution présentent une particularité frappante. Contrairement au droit constitutionnel, elles ne sont pas administrées par les tribunaux. Cette situation est notamment due au fait qu'à la différence des règles de common law, les conventions ne sont pas des règles judiciaires. Elle ne s'appuient pas sur des précédents judiciaires, mais sur des précédents établis par les institutions mêmes du gouverne- ment. Elles ne participent pas non plus des ordres législatifs auxquels les tribunaux ont pour fonction et devoir d'obéir et qu'ils doivent respecter. En outre, les appliquer signifierait imposer des sanctions en bonne et due forme si elles sont violées. Mais le régime juridique dont elles sont distinctes ne prévoit pas de sanctions de la sorte pour leur violation.
Peut-être la raison principale pour laquelle les règles conven- tionnelles ne peuvent être appliquées par les tribunaux est qu'elles entrent généralement en conflit avec les règles juridi- ques qu'elles postulent. Or les tribunaux sont tenus d'appliquer les règles juridiques. Il ne s'agit pas d'un conflit d'un genre qui entraînerait la perpétration d'illégalités. Il résulte du fait que les règles juridiques créent des facultés, pouvoirs discrétionnai- res et droits étendus dont les conventions prescrivent qu'ils doivent être exercés seulement d'une façon limitée, si tant est qu'ils puissent l'être.
Le problème que me pose l'opinion du juge de première instance la page 565] est que le soi- disant «arrangement entre le Roi et le Parlement» en Angleterre qui, à son avis, est devenu partie intégrante de la Constitution canadienne en 1867 ne s'est pas «traduit en une limite juridique» parce qu'il n'a pas été «exprimé dans une loi ou un texte constitutionnel impératif». Si l'on avait voulu que ce soi-disant «arrangement législatif» soit incorporé dans la Constitution du Canada, j'estime qu'on lui aurait fait une place dans les dispositions de l'arti- cle 100 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme l'a fait remarquer le juge de première instance, c'est ce qu'on a fait dans les constitutions sud-africaine et américaine qui prévoient expressé- ment que la rémunération payable aux juges ne peut être réduite pendant la durée de leurs fonc- tions. Comme l'a souligné la majorité de la Cour suprême (dans la partie II) précitée, les règles conventionnelles de la Constitution ne participent pas des ordres législatifs auxquels les tribunaux doivent obéir et qu'ils doivent faire respecter. En outre, comme on l'a souligné précédemment, les règles conventionnelles entrent généralement en conflit avec les règles juridiques qu'elles postulent, et les tribunaux sont tenus d'appliquer les règles juridiques. Les règles juridiques pertinentes dans le
cadre du présent litige sont formulées à l'article 100. Le devoir imposé dans cette disposition au Parlement est de fixer et de payer les traitements des juges. The Shorter Oxford English Dictionary définit le mot «fix» (fixer) entre autres comme voulant dire «to determine» (déterminer). The Living Webster le définit entre autres comme vou- lant dire [TRADUCTION] «régler d'une façon défi- nitive; déterminer; ajuster ou arranger; assurer ou fournir». J'estime que le devoir imposé au Parle- ment par ces mots consiste à fixer le montant du traitement des juges et fournir la totalité de la somme requise. Ce pouvoir de fixer comprend implicitement à mon avis le pouvoir de modifier les traitements à la hausse ou à la baisse comme le Parlement peut décider, dans sa sagesse, de le faire.
L'avocat de l'intimé a en outre prétendu que l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, précité, ne doit pas être examiné isolément mais qu'il doit plutôt être rapproché de l'article 99 qui confère l'inamovabilité aux juges nommés par le gouvernement fédéral et prévoit qu'ils ne peuvent être révoqués que par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes. Il prétend qu'il ressort du rapprochement de ces deux articles qu'ils prévoient expressément que l'inamovabilité des juges ainsi que leurs traite- ments sont garantis par la Constitution. Je suis d'accord avec l'argument suivant lequel l'article 99 garantit l'inamovabilité mais j'estime toutefois que l'article 100 exige du Parlement qu'il établisse et fournisse tous les fonds nécessaires au paiement des traitements des juges, ce qui, comme je l'ai souligné précédemment, comprend le pouvoir de modifier ces traitements à la hausse ou à la baisse. Même en rapprochant ces deux articles, je trouve très cohérent le fait que l'article 99 confie l'indé- pendance de la magistrature au Parlement et, en même temps, que l'article 100 confère également au Parlement le devoir de fixer et de payer les traitements des juges.
En ce qui concerne le fondement initial de la conclusion qu'il a formulée relativement à la ques tion 2, soit le fait que le Canada est un État fédéral dont les compétences sont partagées entre les provinces et le Canada, la conclusion du juge de première instance semble être fondée sur le raisonnement suivant (aux pages 588 et 589):
En vertu de la Constitution, la nomination et le paiement des juges des cours supérieures provinciales et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de la compétence fédérale, alors que l'administration de la justice, la création de tribunaux de justice et les règles de fond que ces juges appliquaient en matière de propriété et de droit civil relevaient de la compé- tence provinciale. Il semble donc clair qu'il existe une exigence de droit constitutionnel découlant de la nature fédérale de notre Constitution et qui veut que les droits des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils existaient au moment de la Confédération, ne puissent être abrogés, diminués ou modifiés sans un amende- ment de la Constitution. A défaut d'un amendement de la Constitution, même le consentement exprès des provinces ne serait pas suffisant parce qu'une obligation ou un pouvoir constitutionnel ne peut être légalement modifié ou abandonné dans un État fédéral sur simple consentement.
Il ne me paraît pas possible de partager l'opinion suivant laquelle il faudrait en raison de «la nature fédérale de notre Constitution», procéder par voie d'amendement constitutionnel pour changer ou modifier des questions à l'égard desquelles l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère de façon expresse la compétence au Parlement. Comme l'ont souligné les sept juges de la Cour suprême du Canada qui ont rédigé le jugement majoritaire concernant la partie I de la décision de la Cour (p. 806), il y a une contradiction interne à parler du fédéralisme à la lumière du principe invariable de la suprématie parlementaire britanni- que, contradiction résolue par le mécanisme de répartition des pouvoirs législatifs de la Loi consti- tutionnelle de 1867. Je conclus donc que puisque l'article 100 confère au Parlement le pouvoir et l'obligation de payer, entre autres, le traitement des juges nommés par le gouvernement fédéral, et puisqu'il n'existe ailleurs dans la Constitution aucune précision ou limitation qui restreindrait ce pouvoir et cette obligation, il demeure intact et pleinement opérant.
Par ces motifs, je suis en désaccord avec la conclusion du juge de première instance suivant laquelle le principe de droit fondamental dont nous venons de parler existe dans notre droit constitu- tionnel.
Question 3—L'appel incident de l'intimé rela- tivement à la question de savoir si le paragraphe (2) de l'article 29.1 contrevient à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits.
L'avocat de l'intimé a affirmé que cet argument n'était pas vraiment un appel incident mais plutôt un argument subsidiaire. La position de l'intimé
consistait à dire que si la Cour ne concluait pas que l'article 29.1 était ultra vires pour les motifs allégués à l'appui soit de la question 1 soit de la question 2, précités, alors le système prévu par cet article était inopérant en ce qui concerne l'in- timé parce que contraire à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits, ayant des effets discriminatoires à son endroit. Puisque, à mon avis, l'intimé a gain de cause sur la première question abordée plus tôt, je n'ai pas l'intention d'examiner en détail les mérites de cette question. Qu'il suffise de dire que je fais miens le dispositif et les motifs du juge en chef à l'égard de cette question.
Nature du redressement auquel a droit l'intimé.
À la page 22 de son exposé des faits et du droit, l'intimé propose qu'advenant le cas la Cour conclut que le Parlement n'a pas le pouvoir en vertu de la Constitution de rendre obligatoire la participation des juges à leur régime de pension de retraite, l'ordonnance de la Cour devrait être ainsi rédigée:
[TRADUCTION] L'appel est rejeté avec dépens mais le dispositif du jugement frappé d'appel devrait être ainsi libellé: «les mots "avant le 17 février 1975" au paragraphe 29.1(1) et la totalité du paragraphe 29.1(2) de la Loi sur les juges, telle qu'édictée par l'article 100 du chapitre 81, 1974-75-76, sont ultra vires du Parlement du Canada«.
Je ne crois pas qu'une ordonnance présentée sous une telle forme serait un reflet fidèle de mes conclusions. À mon avis, le paragraphe 29.1(1) n'est pas ultra vires du Parlement du Canada parce que la déduction de 1 1 / % du traitement qu'elle prévoit est consacrée exclusivement au coût afférent à l'augmentation des pensions destinées aux veuves et autres personnes à charge des juges (voir D.A., p. 18—la lettre d'Otto Lang à tous les juges nommés par le gouvernement fédéral, datée du 17 février 1975). Une telle disposition ne con- trevient pas aux prescriptions de l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, précité, puisqu'elle n'exige pas que les juges eux-mêmes participent au coût de leur propre pension. Toutefois, le paragra- phe 29.1(2) contrevient, lui, à l'article 100 puisque la participation des juges qui y est prévue vise à la fois leur propre pension et celle qui pourrait être versée à leurs personnes à charge (voir D.A., p. 19—la lettre du 17 février 1975 expédiée par Otto Lang à tous les juges nommés par le gouver- nement fédéral, mentionnée précédemment).
Je suis donc d'avis que le jugement rendu par le juge de première instance est bien fondé et ce, même si la conclusion de ce dernier repose sur un fondement différent de celui dont je fais état dans les présents motifs. Je rejetterais donc l'appel et condamnerais l'appelante à payer à l'intimé ses dépens tant en appel que devant la Division de première instance. Je rejetterais l'appel incident. Comme l'appelante n'a pas demandé de dépens, je ne lui accorderais pas les dépens relativement à l'appel incident. Cependant, je fais mienne la directive proposée par le juge en chef que les dépens de l'appel soient taxés en fonction d'une audience ayant duré un jour et demi, à titre d'in- demnité pour le temps consacré à cet appel inci dent infructueux.
Je suis conscient qu'étant donné ma conclusion suivant laquelle le paragraphe 29.1(1) n'est pas ultra vires du Parlement du Canada, le dispositif que je propose place les juges nommés avant le 17 février 1975 dans une position désavantageuse vis-à-vis de ceux nommés après le 16 février 1975. Toutefois, si ma perception de la question est correcte, si le Parlement juge à propos de le faire, il détient en vertu de la Constitution le pouvoir de modifier le paragraphe 29.1(1) pour exiger des juges nommés après le 16 février 1975 une partici pation de 1 1 / 2 %, éliminant ainsi toute discrimina tion entre les deux catégories de juges nommés par le gouvernement fédéral, fondée uniquement sur la date de leur nomination.
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