A-1031-82
E. H. Price Limited (appelante) (demanderesse)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
Cour d'appel, juges Pratte et Urie, juge suppléant
Clement—Winnipeg, 13 et 14 avril; Ottawa, 31
mai 1983.
Douanes et accise — Une action en perception de taxes et
d'amendes imposées en vertu de la Loi sur la taxe d'accise
est-elle prescriptible? — Un certificat délivré en vertu de l'art.
52(4) de la Loi et déposé devant la Cour fédérale n'est pas une
«procédure devant la Cour» au sens de l'art. 38(1) de la Loi
sur la Cour fédérale — L'art. 52(1) prévoit expressément
l'imprescriptibilité — Appel rejeté — Loi sur la taxe d'accise,
S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 12, 52(1) (abrogé et remplacé
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 21), (4) (idem, art. 46)
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10,
art. 38(1),(2) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23,
art. 16 — Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915, S.C. 1915,
chap. 8, art. 20(1) — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règle 474(1)a).
En janvier 1980, un certificat a été délivré en vertu du
paragraphe 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise exigeant que
l'appelante paie des taxes et des amendes relativement à des
opérations remontant à février 1972. L'appelante prétend que le
délai de prescription de six ans prévu par The Limitation of
Actions Act du Manitoba s'applique et que certains montants
n'auraient pas dû être inclus. Saisi d'une requête visant à
obtenir une décision préliminaire sur certains points de droit, le
premier juge a conclu qu'en l'espèce, il n'y avait aucun délai de
prescription applicable à une action en recouvrement de taxes.
C'est de cette décision qu'il est interjeté appel.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté. Le paragraphe 38(1) de la
Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas l'application de la loi
manitobaine The Limitation of Actions Act, étant donné que le
certificat n'est pas une procédure devant la Cour au sens visé
par le paragraphe. De plus, le recouvrement de taxes et d'amen-
des en vertu de la Loi sur la taxe d'accise échappe à l'applica-
tion du paragraphe 38(1) parce que l'expression «à toute
époque» liée au membre de phrase «recouvrables à toute
époque, passé l'échéance de leur reddition de compte et de leur
acquittement» au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe
d'accise empêche expressément l'application de tout délai de
prescription à une réclamation de la Couronne pour recouvre-
ment d'une taxe d'accise; la clause d'exception au début du
paragraphe 38(1) s'applique donc.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Royce v. Municipality of Macdonald (1909), 12 W.L.R.
347 (C.A. Man.); Her Majesty The Queen v. T. H.
Parker (1981), 2 C.E.R. 181 (C.F. lre inst.); Twinriver
Timber Ltd. v. R. in Right of British Columbia (1981),
25 B.C.L.R. 175 (C.A.), confirmant (1980), 15 B.C.L.R.
38 (C.S.); Attorney -General v. Brown, [1920] 1 K.B. 773
(K.B.D.); Canadian Northern Railway Co. et al. v. The
King et al. (1922), 64 R.C.S. Can. 264; Grey v. Pearson
(1857), 6 H.L. Cas. 61; [1843-60] All E.R. 21; 10 E.R.
1216.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Heydon's Case (1584), 76 E.R. 637; 3 Co. Rep. 18
(K.B.D.).
AVOCATS:
J. Barry Hughes, c.r., pour l'appelante
(demanderesse).
Harry Glinter pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Inkster, Walker, Westbury, Irish, Rusen &
Hughes, Winnipeg, pour l'appelante (deman-
deresse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT CLEMENT: La compagnie
appelante allègue en l'espèce qu'un certificat déli-
vré par le sous-ministre du Revenu national en
vertu du paragraphe 52(4) de la Loi sur la taxe
d'accise [S.R.C. 1970, chap. E-13, mod. par
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64(2)]
(appelée ci-après «la Loi») et indiquant le montant
des taxes et amendes payables par la compagnie
relativement à des opérations remontant jusqu'au
l er février 1972 est invalide dans la mesure où il
tient compte de sommes qui sont devenues exigi-
bles avant le délai de prescription approprié prévu
par The Limitation of Actions Act [R.S.M. 1970,
chap. L150] du Manitoba. Dans sa défense, la
Couronne nie l'existence de tout délai de prescrip
tion applicable à une action en recouvrement de la
taxe d'accise intentée en vertu de la Loi et soutient
que même si un tel délai existe, il ressort des faits
de la cause que le délai n'est écoulé pour aucune
partie de sa réclamation. La Couronne a demandé
en vertu de la Règle 474(1)a) des Règles de la
Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] de statuer sur
les questions de droit suivantes:
[TRADUCTION] (1) une action en perception de taxes et
amendes imposées par la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C.
1970, chap. E-13, est-elle prescriptible?
(2) dans l'affirmative, quel est le délai de prescription?
(3) si la réponse à la question (1) est affirmative, à partir de
quelle date le délai de prescription applicable aux taxes et
aux amendes réclamées commence-t-il à courir?
Cette demande a été instruite [[1983] 2 C.F. 518
(1 r° inst.)] sur un exposé conjoint des faits par le
juge suppléant Smith qui a conclu [à la page 530]
que «pendant toute la période qui nous intéresse, il
n'y avait aucun délai de prescription applicable à
une action en recouvrement de taxes et d'amendes»
intentée en vertu de la Loi. Cette réponse négative
apportée à la première question a rendu inutile
tout examen des questions incidentes. C'est de
cette décision que la compagnie a interjeté appel.
La compagnie exploite une entreprise de fabri
cation à Winnipeg et la réclamation ou cause de
l'action en recouvrement de taxes dont elle fait
l'objet a pris naissance au Manitoba. Par suite
d'une vérification des opérations commerciales de
la compagnie, le ministère du Revenu national
(douanes et accise) a expédié le 28 août 1975, par
courrier recommandé, un avis de réclamation d'ar-
riérés de taxes totalisant 63 127,61 $ accumulés
depuis le 1" février 1972 et exigibles en vertu de la
Partie V de la Loi relativement à la vente par la
compagnie de ses produits de fabrication. Le 31
janvier 1980, le sous-ministre a délivré le certificat
suivant qui dispose que:
[TRADUCTION] ... les montants suivants sont dus, exigibles et
impayés par E. H. PRICE LIMITED:
Taxes de vente dues et accumulées
pour la période du 1" février 1972
au 30 novembre 1974 63 127,61 $
Amendes accumulées au 31 janvier 1980 31 988,45 $
95 116,06 $
ainsi qu'une amende supplémentaire calculée à partir du 1"
février 1980 jusqu'à la date de paiement, au taux de deux tiers
d'un pour cent par mois sur ledit montant de 63 127,61 $
conformément au paragraphe 50(4) de la Loi sur la taxe
d'accise.
Ce certificat fut adressé à la Division de première
instance de la Cour fédérale du Canada et déposé
le 7 février 1980. Ces deux documents sont confor-
mes à la procédure de recouvrement de taxes
autorisée par le paragraphe 52(4) de la Loi, dont
je traiterai sous peu. Dans sa déclaration datée du
22 octobre 1979, la compagnie a allégué l'invali-
dité de l'avis expédié par courrier recommandé.
Par ailleurs, après que le sous-ministre eut délivré
le certificat, la déclaration fut modifiée pour y
alléguer l'invalidité de la réclamation de tout mon-
tant que le certificat attestait être devenu exigible
plus de six ans avant le 31 janvier 1980. La
compagnie a, à une date non précisée, présenté une
requête devant la Commission du tarif. Cependant,
il est bien établi que la compétence de la Commis
sion ne s'étend pas à la question en litige en
l'espèce. En fait, cette requête demeure en suspens
tant que cette Cour n'aura pas rendu sa décision
finale en l'espèce.
L'exposé conjoint rapporte des faits qui ne sont
pas essentiels à la solution du présent litige et, bien
que les parties en aient longuement débattu au
cours de l'argumentation, je n'ai pas l'intention de
m'y attarder.
La première règle de droit pertinente en l'espèce
est l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui est ainsi
conçu:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles
de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre
sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant
la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance
dans cette province ...
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de
droit relatives à la prescription des actions désignées au para-
graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou
contre la Couronne.
C'est le paragraphe (2) qui attire tout d'abord
notre attention: sont visées en l'espèce des procédu-
res engagées par et contre la Couronne. Le para-
graphe (2), par son renvoi au paragraphe (1), rend
ensuite applicables auxdites procédures les règles
de droit relatives à la prescription des actions en
vigueur, pour le cas qui nous intéresse, au Mani-
toba, et le délai de prescription de six ans. Toute-
fois, aux termes du paragraphe (1), cette déroga-
tion à la prérogative traditionnelle de la Couronne
se limite «à toute procédure devant la Cour» qui,
d'après la définition qu'en donne la loi, désigne la
Cour fédérale du Canada; et elle ne s'applique pas
du tout lorsqu'une disposition expresse au con-
traire est prévue dans une autre loi. Cette excep
tion est aussi prévue au paragraphe (2).
Le deuxième ensemble de dispositions légales
importantes dans l'examen du présent litige se
retrouve aux paragraphes (1) et (4) [mod. par
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)] de
l'article 52 de la Loi:
52. (I) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la
présente loi sont recouvrables à toute époque, passé l'échéance
de leur reddition de compte et de leur acquittement, et toutes
ces taxes et sommes sont recouvrables, et tous les droits de Sa
Majesté s'exercent en vertu des présentes, avec obtention de
tous les frais judiciaires, tout comme une dette envers Sa
Majesté ou un droit susceptible d'être exercé par Sa Majesté,
devant la Cour fédérale du Canada ou devant tout autre
tribunal compétent.
(4) Tout montant payable à l'égard des taxes, impôts, inté-
rêts et amendes prévus à la Partie II ou aux Parties III à VI,
restés impayés en totalité ou en partie quinze jours après la
date de la mise à la poste, par courrier recommandé, d'un avis
d'arriérés adressé au transporteur aérien titulaire d'un permis
ou au contribuable, selon le cas, peut être certifié par le
sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise
et, sur production à la Cour fédérale du Canada ou à un de ses
juges ou au fonctionnaire que la Cour ou le juge de cette Cour
peut désigner, le certificat est enregistré dans ladite Cour et
possède, à compter de la date de cet enregistrement, la même
vigueur et le même effet, et toutes procédures peuvent être
intentées sur la foi de ce certificat, comme s'il était un juge-
ment obtenu dans ladite Cour pour le recouvrement d'une dette
au montant spécifié dans le certificat, y compris les amendes
jusqu'à la date du paiement prévu à la Partie II ou aux Parties
III à VI, et inscrites à la date de cet enregistrement, et tous les
frais et dépenses raisonnables afférents à l'enregistrement de ce
certificat sont recouvrables de la même manière que s'ils fai-
saient partie de ce jugement.
Je renvoie ici aux dispositions de la Loi qui étaient
en vigueur en 1979 lorsque la compagnie a intenté
la présente action. Les modifications apportées
ultérieurement à la Loi en 1980-1981, particulière-
ment à l'article 52 [S.C. 1980-81-82-83, chap. 68,
art. 21, 46], ne s'appliquent pas en l'espèce. Toute-
fois, le savant juge de première instance y a fait
allusion dans le cours de sa recherche sur l'inter-
prétation à donner au paragraphe en question.
Dans son exposé de faits et de droit, la Couronne
assoit sa position sur les arguments suivants:
[TRADUCTION] (1) Un certificat délivré en vertu du par. 52(4)
de la Loi et déposé devant la Cour fédérale n'est pas une
procédure devant la Cour relativement à une cause d'action à
laquelle pourrait s'appliquer le par. 38(1) de la Loi sur la Cour
fédérale.
(2) Subsidiairement, même si on devait juger qu'il s'agit d'une
procédure devant la Cour visée par le par. 38(1), le par. 52(1)
de la Loi, à cause des mots «à toute époque» employés dans le
membre de phrase «recouvrables à toute époque, passé
l'échéance de leur reddition de compte et de leur acquittement»
ne tomberait pas sous le régime du par. 38(1) parce que les
mots susmentionnés prévoient expressément l'imprescriptibilité
d'une action en recouvrement de taxes d'accise et concrétisent
ainsi l'exception prévue au début du par. 38(1) de la Loi sur la
Cour fédérale. On soutient que ces mots sont clairs et doivent
être interprétés suivant leur sens ordinaire, bref, qu'aucun délai
de prescription ne s'applique.
(3) D'autre part, si on juge que le certificat constitue une
procédure et donc que le délai de prescription s'applique, on fait
valoir qu'en vertu du par. 52(4) de la Loi, ce délai n'a com-
mencé à courir que quinze jours après la date de la mise à la
poste par courrier recommandé de l'avis dont j'ai fait état plus
haut, soit quinze jours après le 28 août 1975.
Ces propositions semblent, dans une certaine
mesure, inaptes à fournir la réponse à la première
question soumise par la Couronne, mais comme les
arguments présentés en l'espèce avaient une très
vaste portée je vais tenter ci-après de faire un
examen à l'avenant.
Il est clair qu'un certificat délivré et produit en
vertu du paragraphe 52(4) est une procédure de
recouvrement de taxes, intérêts et amendes visée
par le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour
fédérale. Je fais miens à cet égard les mots du juge
d'appel Perdue dans l'arrêt Royce v. Municipality
of Macdonald (1909), 12 W.L.R. 347 [C.A.
Man.], à la page 350:
[TRADUCTION] Le mot "procédure" a un sens très large: il
comprend également des étapes ou mesures qui ne sont liées
d'aucune façon à des actions ou poursuites.
La question qui se pose consiste à déterminer si
par suite de sa production, le certificat est devenu
une procédure devant la Cour. La Division de
première instance de cette Cour a rendu une série
de décisions défavorables aux prétentions de la
compagnie, dont la plus récente est l'affaire Her
Majesty The Queen v. T. H. Parker (1981), 2
C.E.R. 181 dans laquelle le juge Cattanach s'est
prononçé comme suit à la page 182:
Ce certificat n'est pas un jugement et ne devient pas un
jugement de la Cour après son enregistrement; il demeure un
simple certificat délivré par le Ministre bien que, une fois
enregistré, il produise les mêmes effets qu'un jugement de la
Cour et puisse servir de base juridique à d'autres procédures
(voir The Minister of National Revenue v. Bolduc, [1961]
R.C.É. 115, à la p. 118, et La Reine c. Star Treck Holdings
Limited, [1978] 1 C.F. 61 (1te inst.), à la p. 64).
Et d'ajouter le juge à la page 183:
La Cour n'est saisie d'aucune action. La Cour n'a rendu aucun
jugement. Il n'y a qu'un certificat signé par le sous-ministre, au
nom du Ministre.
Je fais miennes ces conclusions et je vais me
contenter d'ajouter quelques explications supplé-
mentaires. Une procédure devant la Cour com-
prend l'allégation d'une cause d'action et la possi-
bilité d'y opposer des moyens de défense fondés sur
les faits ou le droit, notamment une prescription
prévue par une loi. Le paragraphe 52(4) de la Loi
n'accorde pas aux contribuables la possibilité de
présenter des moyens de défense à l'encontre de la
simple réclamation du sous-ministre. Si des
moyens de défense sont soulevés, le tribunal doit
alors instruire l'affaire, trancher les questions et
rendre jugement. Le paragraphe 52(4) est à l'op-
posé d'une procédure judiciaire normale. Lors-
qu'un certificat est produit, il ne devient à aucun
égard un jugement. Il demeure un certificat du
sous-ministre permettant d'invoquer et de tirer
profit de certaines procédures administratives ulté-
rieures dont disposent les tribunaux en matière
d'exécution des jugements.
Mais les observations qui précèdent n'ont permis
d'écarter que certains des obstacles qui nous empê-
chent de répondre à la première question posée par
la Couronne dans sa demande. Deux questions
fondamentales se posent: déterminer, d'une part,
quelle interprétation doit être donnée à l'expres-
sion «à toute époque» employée au paragraphe
52(1) de la Loi et d'autre part, si la procédure
intentée en vertu de ce paragraphe est distincte, en
ce qui a trait au délai de prescription, de celle
prévue au paragraphe (4). L'avocat de la Cou-
ronne a fait remarquer et ce, avec beaucoup de
justesse selon moi, qu'il serait étrange et même
ridicule d'établir une telle distinction. En fait, c'est
également la position de la compagnie: là où les
parties divergent d'opinion, c'est sur l'interpréta-
tion et l'application de cette expression. En effet,
la première question posée à cette Cour fait état
d'une action alors qu'en l'espèce, il s'agit d'un
certificat. Je vais d'abord examiner la question du
lien étroit qui existe entre les deux paragraphes.
J'ai souligné précédemment qu'une procédure
visée par le paragraphe (1) de l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale est également visée par le
paragraphe (2): il s'ensuit donc qu'une procédure
intentée en vertu du paragraphe 52(4) de la Loi est
visée par l'expression «toute procédure» utilisée
dans les deux paragraphes. Toutefois, le paragra-
phe (1) limite l'application des règles de droit dont
il y est question à «toute procédure devant la Cour»
alors qu'aucune restriction de ce genre n'est expri-
mée au paragraphe (2), ce qui, à mon avis, révèle
clairement l'intention qu'avait le Parlement en
édictant sa Loi. Le paragraphe (2) ne pose pas de
limite quant à la nature des procédures pour les-
quelles on peut avoir recours à ces règles de droit
et, de façon plus précise, il les rend applicables à
toute procédure intentée par ou contre la Cou-
ronne. Sous réserve d'autres facteurs, un contri-
buable peut, à mon avis, se prévaloir de ces règles
de droit tant à l'égard d'un montant certifié par le
sous-ministre en vertu du paragraphe 52(4) de la
Loi qu'à l'égard d'une procédure devant la Cour, à
la différence toutefois, que le paragraphe 52(4) ne
fournit pas au contribuable les moyens de faire
valoir ces règles de droit à l'encontre de la Cou-
ronne: ce dernier doit donc se présenter devant la
Cour pour demander redressement comme c'est le
cas en l'espèce. Dans des circonstances analogues,
le juge Taylor a, dans l'arrêt Twinriver Timber
Ltd. v. R. in Right of British Columbia (1980), 15
B.C.L.R. 38 [C.S.], approuvé une telle façon de
faire et son opinion a été confirmée par la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique à (1981), 25
B.C.L.R. 175, la page 180.
Il nous faut interpréter l'expression «à toute
époque» qui figure au paragraphe 52(1) de la Loi
avant de pouvoir examiner le paragraphe (4) dans
lequel elle n'apparaît pas. Au cours des débats, on
a tenté de convaincre la Cour qu'historiquement le
paragraphe 52(1) avait été conçu pour faciliter
l'interprétation du paragraphe dans sa formulation
de 1979. Il est juste à cette fin de prendre cela en
considération dans les circonstances de l'espèce. À
titre d'exemple, le juge Sankey, dans des circons-
tances similaires, en a tenu compte dans l'arrêt
Attorney -General v. Brown, [1920] 1 K.B. 773
[K.B.D.] où il a affirmé en partie ce qui suit à la
page 791:
[TRADUCTION] L'élément essentiel en l'espèce est l'interpré-
tation de l'art. 43, et, pour interpréter une loi du Parlement, il
est légitime, selon moi, de prendre en considération l'état du
droit à l'époque où cette loi du Parlement a été adoptée et les
changements qu'elle avait pour but d'apporter; bref d'étudier
les articles et la structure de la loi du Parlement dans son
ensemble ...
Le prédécesseur du paragraphe 52(1) de la Loi
est, pour cette fin, le paragraphe 20(1) de la Loi
spéciale des Revenus de guerre, 1915 [S.C. 1915,
chap. 8] dont la formulation est identique sauf
pour ce qui est de l'allusion à la Cour de l'Échi-
quier que cette Cour a remplacée. De 1915 à
1980-1981, aucune autre modification n'a été
apportée à ce paragraphe. Au moment de son
adoption, il existait, comme on le souligne à la
page 39 de l'arrêt Twinriver Timber Ltd. v. R. in
Right of British Columbia, précité, une [TRADUC-
TION] «présomption de common law suivant
laquelle la Couronne était exempte des fardeaux et
incapacités d'origine légale». Plus impérieux
cependant est l'article 16 de la Loi d'interprétation
[S.R.C. 1970, chap. I-23] qui prévoyait à l'époque
et prévoit toujours d'ailleurs:
16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa
Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté ou sur les droits
et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mention-
née ou prévue.
À partir de cette prémisse, la Couronne soutient en
effet que l'expression «à toute époque» utilisée au
paragraphe 20(1) de la loi de 1915 est claire et a le
sens évident dont elle a fait état dans son argument
subsidiaire (2), précité. Parmi les précédents invo-
qués à l'appui de cette interprétation, il suffit de
citer l'arrêt The Canadian Northern Railway Co.
et al. v. The King et al. (1922), 64 R.C.S. Can.
264, dans lequel, à la page 270, le juge Duff
(devenu plus tard juge en chef) a adopté la règle
d'interprétation bien connue énoncée par lord
Wensleydale dans Grey v. Pearson (1857), 6 H.L.
Cas. 61; [[1843-60] All E.R. 21; 10 E.R. 1216],
aux pages 104 et 106 [H.L. Cas.]:
[TRADUCTION] On doit, dans l'interprétation des testaments,
des lois et de tout document écrit, donner aux mots leur sens
grammatical et ordinaire à moins qu'il n'en résulte quelque
absurdité, contradiction ou incompatibilité avec le reste du
document, auquel cas il est permis de modifier le sens gramma
tical et ordinaire de ces mots mais uniquement dans la mesure
nécessaire pour éliminer l'absurdité, la contradiction ou
l'incompatibilité.
Et d'ajouter le juge [à la page 270]:
[TRADUCTION] Il est possible évidemment que quelque chose
dans le contexte ait pour effet d'exclure ce sens: conférer un tel
sens à ces mots pourrait entrer en contradiction avec l'objet
exprimé ou apparent de la loi et, dans un tel cas, le sens littéral
céderait alors le pas à une interprétation plus en harmonie avec
l'intention du législateur.
Comme on le souligne en faveur de la compa-
gnie, puisque la prescription ne s'appliquait pas à
ce moment à la Couronne, l'expression «à toute
époque» ne devrait pas être interprétée comme une
simple affirmation plutôt vague de la prérogative
de la Couronne—ce qui serait une absurdité—
mais devrait se voir conférer un sens qui lui attri-
buerait un rôle raisonnable dans l'application de la
loi de 1915. Cette loi, tout comme celle qui nous
intéresse en l'espèce, imposait des taxes sur divers
produits et activités et prévoyait dans chaque cas
les modalités relatives à leur paiement ou à leur
recouvrement. On soutient que dans un tel con-
texte, l'expression est conçue pour fixer la date
précise d'exigibilité des diverses taxes et devrait
être interprétée de cette façon tant pour cette
époque que maintenant. Si on applique cette inter-
prétation au paragraphe 52(1) de la Loi, elle ne
fournit aucun motif justifiant l'entrée en jeu de
l'exception prévue au paragraphe 38(1) de la Loi
sur la Cour fédérale. Comme je l'ai fait remarquer
précédemment, l'expression n'apparaît pas du tout
au paragraphe 52(4) qui impose plutôt un délai
avant l'engagement de mesures administratives
ultérieures, délai qui n'a rien à voir avec la pré-
sente question, mais sur lequel je ferai des observa
tions plus loin.
La loi de 1915 avait pour objet de lever des
fonds, objectif que poursuit la Loi mais sur une
plus grande échelle et suivant des modalités plus
élaborées. Par conséquent, il sera plus approprié
d'examiner l'argument de la compagnie à la
lumière de la Loi. Six catégories de taxe sont
précisées dans la Loi. La Partie I prévoit des
dispositions spéciales relativement à des assurances
nommées et n'a aucune application en l'espèce. La
Partie II impose une taxe sur le transport aérien
payable (article 12) lorsque le passage est effecti-
vement payé «et en tout cas avant que n'ait été
fourni le transport». La Partie III impose une taxe
d'accise sur les cosmétiques, les bijoux, les postes
de radio et d'autres biens nommés importés et
fabriqués ou produits au Canada. Ces droits sont
payables, de façon générale, lorsque les biens
importés sont retirés de l'entrepôt pour fins de
consommation ou lorsque les biens canadiens sont
livrés à l'acheteur. La Partie IV prélève une taxe
sur les cartes à jouer et le vin, payable à des
moments analogues à ceux qui sont prévus à la
Partie III. La Partie IV.I [ajoutée par S.C.
1980-81-82-83, chap. 68, art. 43] impose des taxes
sur le gaz naturel et les liquides qu'on en extrait
dans le cadre du programme énergétique national.
Ces taxes sont également payables à des moments
qui varient, suivant les diverses étapes de la pro
duction ou de la distribution. La Partie V impose
une taxe de consommation ou de vente, laquelle
vise la compagnie. Quant aux marchandises visées
par la taxe qui sont produites ou fabriquées au
Canada, cette taxe est de façon générale payable à
l'époque où les marchandises sont livrées à l'ache-
teur ou à l'époque où la propriété lui en est trans-
mise, en choisissant celle de ces dates qui est
antérieure à l'autre; et dans le cas de marchandises
importées, dès qu'elles sont retirées des entrepôts.
Vient ensuite la Partie VI intitulée «DISPOSI-
TIONS GÉNÉRALES» qui renferme l'article 52 pres-
crivant les modalités de recouvrement des taxes et
autres sommes exigibles en vertu de la Loi.
Compte tenu du contexte dans lequel est utilisée
l'expression «à toute époque» au paragraphe (1), je
suis d'avis que l'argument de la Couronne est
fondé.
Ce paragraphe se subdivise en deux parties com-
plètes en soi et toutes deux de nature générale. La
première partie renferme l'expression en litige:
52. (1) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la
présente loi sont recouvrables à toute époque, passé l'échéance
de leur reddition de compte et de leur acquittement ...
Cette disposition est d'application générale: ces
premiers mots visent toutes les sommes exigibles
en vertu de la Loi et ce, par tout moyen prévu pour
leur recouvrement par la Couronne. Un de ces
moyens est indiqué au paragraphe 52(4). Indisso-
lublement lié à cette généralisation du départ, on
trouve les mots «sont recouvrables à toute époque,
passé l'échéance de leur reddition de compte et de
leur acquittement». Voilà, formulés de façon
claire, les divers moments auxquels doivent être
acquittées les taxes. Ce serait, à mon avis, pousser
trop loin les règles normales d'interprétation que
de prétendre, comme le fait la compagnie, que
l'expression «à toute époque» ne sert qu'à mettre
l'accent sur les mots suivants qui traitent d'une
question différente, soit les moments auxquels les
taxes deviennent exigibles. Sur le plan grammati
cal, il s'agit d'un complément circonstanciel modi-
fiant l'adjectif «recouvrables». Interprétée ainsi,
cette expression traduit clairement l'intention du
Parlement de ne soumettre à aucun délai de pres
cription les réclamations de la Couronne pour
recouvrement de toute taxe d'accise imposée en
vertu de la Loi. Il s'agit là, selon moi, d'une
disposition contraire visée par l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale.
La deuxième partie du paragraphe confère de
façon générale à la Couronne un droit d'action
fondé sur le recouvrement de toutes taxes et autres
sommes dues, droit qui s'ajoute aux autres mesures
de redressement prévues par la Loi. La première
partie du paragraphe s'applique à toute procédure
de ce genre.
Je fais donc mienne la conclusion du savant juge
de première instance suivant laquelle aucune loi
relative à la prescription ne vient faire obstacle à
quelque réclamation pour recouvrement des taxes
visées par les présentes procédures.
Deux autres questions ayant trait à l'interpréta-
tion des dispositions légales doivent être tranchées.
Les avocats des deux parties ont cité un large
éventail de lois dans lesquelles figure dans divers
contextes l'expression «à toute époque». Interpréter
cette expression suivant le contexte dans lequel elle
est employée dans d'autres lois ne peut mener qu'à
des conclusions sans pertinence à moins qu'on ne
puisse honnêtement affirmer que cet exercice res-
pecte la règle d'interprétation connue sous le nom
in pari materia. Je fais mien le passage suivant tiré
de Craies on Statute Law, 7e éd., à la page 134:
[TRADUCTION] Lorsque des lois du Parlement sont in pari
materia, c'est-à-dire si étroitement liées qu'elles forment en
quelque sorte un système ou un code législatif, selon la règle
établie par les douze juges qui ont rendu décision dans l'arrêt
Palmer, (1785) 1 Leach C.C., 4e éd., 355, de telles lois "doivent
être considérées comme formant un système unique et s'inter-
prétant à la lumière les unes des autres et se complétant les
unes les autres."
Si un tel lien n'existe pas entre les lois, c'est alors
le passage suivant tiré de la page 133 de cet
ouvrage qui s'applique:
[TRADUCTION] Les tribunaux refusent d'interpréter les lois à
la lumière d'autres textes législatifs ayant des orientations
distinctes et renfermant des dispositions différentes, ou encore à
la lumière des décisions judiciaires auxquelles elles ont donné
lieu.
Aucun effort notable n'a été fait en l'espèce afin
d'établir que les diverses lois portées à l'attention
de cette Cour sont in pari materia; d'ailleurs rien
dans le caractère disparate de leurs titres et de
leurs origines législatives ne laisse entrevoir qu'un
tel effort serait couronné de succès.
On soutient ensuite que le savant juge de pre-
mière instance était fondé d'avoir recours à la
modification apportée au paragraphe 52(1) de la
Loi en 1980-1981 pour interpréter cette disposition
dans sa version de 1979. La règle d'interprétation
que semble soulever cet argument a été établie
dans Heydon's Case (1584), 76 E.R. 637; [3 Co.
Rep. 18 (K.B.D.)]:
[TRADUCTION] ... il faut, pour donner une interprétation sûre
et exacte de toutes les lois en général (qu'elles aient un carac-
tère pénal ou avantageux, ou encore qu'elles restreignent ou
étendent le champ de la common law) identifier et examiner
quatre points:
(1) quel était l'état de la common law avant l'adoption de la
Loi?
(2) quels étaient le mal et la carence pour lesquels la
common law ne prévoyait rien?
(3) quel redressement le Parlement a-t-il choisi et désigné
pour remédier au mal qui afflige la population?
(4) le véritable motif du redressement. Ensuite, le devoir de
tous les juges consiste à toujours interpréter ces lois de façon à
réprimer le mal et à fournir le redressement nécessaire, à
éliminer tous les subtiles subterfuges et échappatoires permet-
tant la poursuite du mal dans un intérêt privé, et de donner
force et vigueur, dans l'intérêt public, au remède prévu confor-
mément à l'intention véritable des auteurs de la Loi.
Je suis d'avis que le fait d'appliquer à rebours la
règle comme on propose de le faire en l'espèce
aurait pour résultat de lui donner un sens diamé-
tralement opposé. Cette règle trouverait applica
tion si un litige prenait naissance quant à l'inter-
prétation de la modification apportée en
1980-1981; mais je ne tiens pas à prendre le risque
de me prononcer en obiter sur l'interprétation et
l'application des modifications apportées à l'article
52 afin de déterminer quel était le droit avant leur
adoption. Ces modifications sont complexes et
auront droit à un débat complet et particulier
lorsque la question de leur interprétation sera
dûment soumise à la Cour.
Je conclus donc au rejet de l'appel et je confirme
le bien-fondé de la réponse apportée par le savant
juge de première instance à la première question,
soit que:
... pendant toute la période qui nous intéresse, il n'y avait
aucun délai de prescription applicable à une action en recouvre-
ment de taxes et d'amendes en vertu de la Loi sur la taxe
d'accise ...
Comme la réponse à la question (1) préalable est
négative, point n'est besoin de répondre aux ques
tions (2) et (3).
L'intimée aura droit aux dépens afférents à
l'appel.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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