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T-4655-75
Northland Navigation Co. Ltd. et Northland Ship ping (1962) Co. Ltd. (demanderesses)
c.
Patterson Boiler Works Ltd. (défenderesse)
Division de première instance, juge Collier Van-
couver, 20, 23 et 24 juin 1980, V mars 1983.
Droit maritime Avaries communes Les marchandises de la défenderesse ont été transportées à bord d'un chaland des demanderesses Par forte mer, de l'eau a pénétré dans le remorqueur touant le chaland Le chaland a été abandonné à la dérive La cargaison a plus tard été sauvée L'aban- don à la dérive constituait un sacrifice d'avarie commune Les frais engagés pour sauver la cargaison sont également avaries communes Frais engagés pour sauver à la fois le navire et la cargaison Les propriétaires du remorqueur doivent-ils contribuer? Les services rendus ressemblent à des opérations d'assistance, mais les demanderesses, à titre de transporteurs, n'ont pas qualité de sauveteurs Dispositions
du connaissement Aucune preuve ne démontre l'innavigabi- lité du remorqueur Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 536(1).
Les demanderesses réclament une contribution d'avaries communes par le chargeur de onze bouées d'acier. La deman- deresse, Northland, était propriétaire du chaland Lakelse. La défenderesse a pris des dispositions pour faire transporter ses marchandises par la demanderesse. Puisque aucun navire auto- moteur n'était disponible, la demanderesse a décidé d'utiliser le Lakelse et d'engager les services d'un remorqueur, le Sea Comet, pour touer le chaland de Vancouver à Prince Rupert. Le voyage s'est fait par forte mer. De l'eau a pénétré dans le Sea Comet, qui a eu des pannes de moteur. Le Lakelse fut abandonné à la dérive et il s'échoua sur un récif. Les tentatives faites pour dégager le chaland ont été infructueuses. Northland décida d'abandonner le chaland mais de tenter de sauver la cargaison. Le chaland fut abandonné aux assureurs et des experts en avaries communes furent nommés. Toute la cargai- son fut enlevée. Le connaissement contenait une disposition sur les avaries communes. La demanderesse fait valoir qu'il y a eu avarie commune lorsqu'il a fallu engager des dépenses extraor- dinaires pour tenter de sauver le chaland et la cargaison d'abord, puis la cargaison seulement. La défenderesse soutient que le sacrifice extraordinaire a consisté uniquement à laisser aller le chaland à la dérive, et que tout ce qui s'est passé après relevait d'une opération de sauvetage.
Jugement: l'action des demanderesses devrait être accueillie. Il n'existe que peu de jurisprudence moderne portant sur les avaries communes puisque la plupart des litiges font l'objet d'un règlement. Il y a avarie commune lorsqu'il y a eu (I) un sacrifice extraordinaire ou (2) des frais engagés pour sauver le navire et sa cargaison. Il est clair que le Sea Comet était en danger et il se peut que le remorqueur et le chaland eussent coulé si ce dernier n'avait pas été abandonné. Son abandon à la dérive constituait un sacrifice d'avarie commune. De plus, les frais engagés pour tenter de sauver le chaland et la cargaison sont avaries communes. La Cour ne saurait souscrire à l'argu-
ment de la défenderesse selon lequel les frais engagés dès le moment on a trouvé le chaland échoué jusqu'au moment de son abandon formel ne l'ont pas été pour sauver à la fois le navire et sa cargaison. Rien dans la preuve ne justifiait de considérer au départ le chaland comme irrécupérable.
L'argument voulant que, s'il y a avarie commune, les proprié- taires du Sea Comet doivent contribuer, est troublant. L'espèce présente ressemble à l'affaire Walthew and Another v. Mavro- jani and Others (1870), 5 L.R. Ex. 116, des frais ont été engagés pour remettre le navire à flot après le sauvetage de la cargaison. Il a été jugé que puisque le péril commun n'existait plus, la cargaison n'avait pas à contribuer. En l'espèce, les frais engagés pour recouvrer le chaland et la cargaison n'avaient rien à voir avec la sécurité du Sea Comet. Comme il est dit dans l'ouvrage Carver's Carriage by Sea, au paragraphe 850, sous la rubrique Frais d'avarie commune: «... tous les frais extraordi- naires pour le profit particulier du navire ou la sauvegarde d'une partie de la cargaison doivent être supportés uniquement par la partie au profit de laquelle ils sont engagés».
L'argument de la défenderesse selon lequel puisque les servi ces rendus avaient le caractère d'une opération d'assistance, l'action serait prescrite (paragraphe 536(1), Loi sur la marine marchande du Canada), ne saurait être accueilli. Certes, les services rendus ressemblent à des opérations d'assistance, mais il ne s'agit pas de sauvetage proprement dit, au sens strictement juridique. Les demanderesses, à titre de transporteurs, n'ont pas qualité de sauveteurs qui, en tant que tiers, se portent volontai- res pour sauver d'un péril de mer le navire et sa cargaison. L'action des demanderesses ne vise pas à l'indemnisation d'une opération de sauvetage, mais à une contribution d'avaries communes.
Il faut aussi rejeter l'argument selon lequel la défenderesse ne peut être tenue responsable parce que le connaissement mentionnait le transport à bord d'un navire automoteur plutôt qu'à bord d'un chaland. Une clause du connaissement permet- tait au transporteur de remplacer le bâtiment choisi par un autre.
Finalement, rien dans la preuve n'étaie le moyen de défense selon lequel le remorqueur n'était pas apte à la mer. Le fait que, par forte mer, de l'eau ait pénétré dans la salle des machines du Sea Comet, ne prouve nullement l'innavigabilité du navire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Birkley and others v. Presgrave (1801), 1 East 220; [1801-1802] R.R. 256 (K.B.); Kemp v. Halliday (2) (1865), 6 B. & S. 723; [1863-1865] R.R. 579 (Q.B.); Walthew and Another v. Mavrojani and Others (1870), 5 L.R. Ex. 116.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Monarch Towing & Trading Co. Ltd. v. British Colum- bia Cement Co. Ltd., [ 1957] R.C.S. 816.
DÉCISIONS CITÉES:
The Ocean Steamship Co. v. Anderson, Tritton & Co. (1883), 13 Q.B.D. 651 (C.A.); infirmée (1884), 10 App.Cas. 107 (H.L.); The J.P. Donaldson, 167 U.S 599 (U.S.S.C. 1897).
AVOCATS:
M. A. Clemens pour les demanderesses. B. J. McConnell pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour les demanderesses.
Meredith & Company, Vancouver, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Les demanderesses récla- ment 8 981,02 $, pour contributions d'avaries com munes par la défenderesse.
Plusieurs défenses ont été soulevées. J'en traite- rai plus loin.
La défenderesse était propriétaire et chargeur de onze bouées d'acier. Les bouées étaient destinées à son client, le ministère des Transports, à Seal Cove, Prince Rupert (Colombie-Britannique).
La demanderesse, Northland Shipping (1962) Co. Ltd., était propriétaire d'un chaland baptisé Lakelse. La demanderesse Northland Navigation Co. Ltd. était sa filiale. Les deux compagnies faisaient affaires sous la raison sociale «North- land».
Elles exploitaient des navires de transport de passagers et de marchandises ainsi que des remor- queurs et des chalands à destination des ports septentrionaux de la côte ouest de la Colombie- Britannique (voir pièce 9, heures d'appareillages en vigueur au 30 août 1971).
La défenderesse avait fait appel aux services de Northland à plusieurs reprises. Pour les expédi- tions vers Prince Rupert, ils pensaient que leurs marchandises seraient transportées à bord de navi- res automoteurs, et non dans des chalands remorqués.
En décembre 1972, la défenderesse a pris des dispositions pour faire envoyer onze bouées à son client de Seal Cove. Les bouées furent livrées au bassin de Northland à Vancouver le 21 décembre. Selon l'horaire habituel, pièce 9, les marchandises auraient dues être chargées à bord du M/S Island
Prince le 22 décembre (route 8) ou à bord du M/S Northland Prince le 26 décembre (route 3). Mais, comme c'est l'usage en décembre, plusieurs bâti- ments de Northland cessèrent leur navette pour subir des inspections en cale sèche.
La défenderesse connaissait cette pratique. Elle savait que certains voyages réguliers seraient annulés. Northland, le 15 novembre 1972, avait fait paraître un horaire spécial pour Noël et le Nouvel An 1972 (pièce 5). D'après les demande- resses, la pièce 5 aurait été envoyée à la défende- resse selon l'habitude, puisqu'elle était un client régulier. La défenderesse, par ses témoins, n'a pas su dire si elle avait effectivement reçu une copie de la pièce 5. J'estime que c'est probablement le cas. L'horaire indique que le voyage de l'Island Prince du 22 décembre était annulé. L'appareillage sui- vant, à destination de Prince Rupert, était fixé au 29 décembre 1972. Ce voyage devait être effectué par le chaland Northland 101 (route 10). Il devait aller de Vancouver à Kitimat, mais la pièce 5 indique qu'il devait aller également à Prince Rupert. L'horaire révisé signalait que le terminal de Vancouver serait fermé du vendredi 22 décem- bre au 27 décembre 1972, 8 heures du matin.
Comme il a été dit précédemment, les bouées de la défenderesse furent livrées au bassin de North- land le 21 décembre. La défenderesse disposait de connaissements en blanc de Northland. Le con- naissement (pièce 2) a été rempli par la défende- resse; aucune mention n'a été inscrite en regard du mot «navire» et du numéro de voyage. Le connais- sement indique que la marchandise devait norma- lement être chargée sur le chaland 101 qui devait appareiller de Vancouver le 29 décembre. Cette portion du connaissement a été remplie par un agent des demanderesses.
Les demanderesses ont décidé d'utiliser le cha- land Lakelse pour le transport de marchandises à destination de Prince Rupert et le Northland 101 pour le transport à destination de Kitimat. Les deux chalands étaient du même type mais le Northland 101 était un peu plus grand. Il y avait apparemment à ce moment-là plus de marchandi- ses à acheminer vers Kitimat que vers Prince Rupert.
Les demanderesses ont retenu les services d'un remorqueur, le Sea Comet, pour touer le Lakelse. Le 31 décembre, remorqueur et chaland rencontrè- rent une forte mer dans le détroit de Milbanke. La mer déferla sur l'arrière du remorqueur noyant les fonds et pénétrant dans la chambre des machines. Les machines commencèrent à faire des ratés. On laissa filer la remorque, abandonnant le Lakelse à la dérive, et le Sea Comet alla se mettre à l'abri. Le lendemain matin, le Lakelse fut retrouvé échoué sur le récif Pidwell, aux abords de l'île Swindle.
Les demanderesses tentèrent le 1 c ' janvier de dégager le chaland. Ce fut sans succès. Le fond du bâtiment était crevé en plusieurs endroits. On fit d'autres tentatives, tout aussi infructueuses, le 5 janvier.
Il semblait alors que le chaland et sa cargaison devraient être considérés comme une perte totale par interprétation.
Entre le 6 et le 9 janvier, il fut décidé d'aban- donner le chaland mais de tenter de sauver la cargaison. Northland (1962) abandonna formelle- ment le chaland aux assureurs le 9 janvier 1973.
Des experts en avaries communes furent nommés. La plupart des propriétaires de la cargai- son furent notifiés qu'on tentait de la sauver et que, de l'avis des demanderesses, une situation d'avarie commune existait.
On tenta à partir du 7 janvier de déplacer le chaland de façon à pouvoir décharger la cargaison. Finalement, la chance aidant, l'action fortuite des éléments déplaça le chaland et rendit possible son déchargement. Le 25 janvier, toute la cargaison avait été enlevée.
Or, la clause 9 du connaissement stipule notamment:
[TRADUCTION] 9. Les avaries communes sont évaluées confor- mément aux Règles de York et d'Anvers de 1950 et, en cas de lacune de celles-ci, conformément au droit et aux usages du Dominion du Canada; les avaries communes sont constatées par un expert choisi par le transporteur, ledit expert devant assister au règlement et à la perception des contributions d'avaries communes moyennant les frais habituels.
Les experts ont préparé un état des contribu tions d'avaries communes à verser. Il y a deux postes principaux. Les frais et dépenses engagés du
1" au 7 janvier, classés avaries communes, et les frais et dépenses engagés depuis lors et considérés comme avaries particulières de la cargaison.
Comme il est dit au début des présents motifs, la demande de contribution contre la défenderesse est de 8 981,02 $ calculés comme suit: la valeur con- tributive de la marchandise de la défenderesse s'élève à 16 285 $; le montant imputable au titre des avaries communes s'élève à 1 873,01 $ et les avaries particulières de la cargaison à 7 245,51 $. La défenderesse a eu droit à 137,50 $ pour des dommages subis par certaines de ses bouées.
Dans leur argumentation, les avocats des demanderesses disent qu'il y a eu avarie commune lorsqu'il a fallu engager des dépenses extraordinai- res pour tenter de sauver le chaland et la cargaison d'abord, puis la cargaison seule. La défenderesse soutient qu'il n'y a pas avarie commune en l'es- pèce; le sacrifice ou le péril extraordinaire n'a existé que lorsque l'on a laissé aller le chaland à la dérive; tout ce qui s'est passé après relevait d'une opération de sauvetage.
Il n'est pas facile de trancher en l'espèce. Il n'existe que peu de jurisprudence moderne portant sur les avaries communes. La plupart des litiges ne se rendent pas jusqu'au stade du procès.
Il faut, je pense, remonter aux principes fonda- mentaux. Les dires du juge Lawrence dans l'espèce Birkley and others v. Presgrave' ont été fréquem- ment cités:
[TRADUCTION] Toute perte subie par suite d'un sacrifice extraordinaire ou de dépenses extraordinaires afin de sauver le navire et la cargaison est admissible en avarie commune et doit être supportée par tous les intéressés suivant une contribution proportionnelle.
On remarquera qu'il y a avarie commune lors- qu'il y a eu sacrifice extraordinaire ou que des frais extraordinaires ont été engagés afin de sauver un navire et sa cargaison. Le jet à la mer est une illustration bien connue d'un tel sacrifice extraor- dinaire. Il y avait aussi le sacrifice de certaines parties du bâtiment ou de son grément, particuliè- rement au temps de la navigation à voile, comme le rappelle la jurisprudence plus ancienne.
1 (1801), 1 East 220, la p. 228; [ 1801-1802] R.R. 256
(K.B.), à la p. 263.
L'abandon à la dérive du Lakelse dans le cas d'espèce pourrait être considéré comme un sacri fice extraordinaire pour sauver le remorqueur, le chaland et sa cargaison. On ne m'a soumis aucune preuve sur l'ensemble des raisons pour lesquelles le commandant du Sea Comet a laissé filer la remor- que. Il est clair, d'après les faits admis, que le remorqueur lui-même était en danger. I1 se peut fort bien aussi que le remorqueur et le chaland remorqué risquaient d'aller par le fond si le cha- land n'était pas abandonné.
L'argumentation de la défenderesse ne tient pas compte, à mon avis, de la distinction qu'il faut faire entre la perte ou sacrifice d'avarie commune et la dépense ou frais d'avarie commune:
[TRADUCTION] Le sacrifice d'avarie commune comporte la perte matérielle intentionnelle d'un bien de l'entreprise mari time commune, c'est-à-dire le navire, la cargaison ou le fret, ou un dommage causé volontairement à un tel bien; des exemples de ces sacrifices sont les dommages causés aux navires par échouage ou le jet à la mer et la perte qui s'ensuit de tout fret ainsi mis en danger.
Les frais d'avarie commune, en revanche, ne sont que les frais engagés pour obtenir les services ou le matériel nécessaires pour sauver le bien en danger lors d'une entreprise maritime. Comme exemples, dont il sera question plus longuement dans le présent chapitre, on peut citer la location de remorqueurs et d'allèges et de main-d'oeuvre nécessaire pour décharger une cargaison et remettre à flot un navire échoué, ou encore les frais d'entrée dans un port de refuge. 2
L'abandon à la dérive du Lakelse, sachant qu'iné- vitablement il s'échouerait ou irait par le fond, peut être qualifié de sacrifice d'avarie commune.
Mais également, à mon avis, les frais engagés par les demanderesses pour tenter de sauver le chaland et sa cargaison après l'échouement sur le récif Pidwell sont avaries communes. Le juge Blackburn dans l'espèce Kemp v. Halliday (2) 3 présente la chose comme ceci:
'- Lowndes & Rudolph, General Average and York -Antwerp Rules (10c éd., 1975) par. 241 (p. 120).
Voir aussi: Carver's Carriage by Sea, 12' éd., 1971, par. 849 et 850 (pp. 723 et 724) et par. 901 (p. 767); Arnould's Law of Marine Insurance and Average, 16` éd., 1981, Vol. 11, par. 915A (p. 798); The Ocean Steamship Co. v. Anderson, Tritton & Co. (1883), 13 Q.B.D. 651 (C.A.), maître des rôles Brett, à la p. 662; infirmée (1884), 10 App.Cas. 107 (H.L.).
3 (1865), 6 B. & S. 723,à la p. 746; [1863-1865] R.R. 579 (Q.B.), à la p. 595.
[TRADUCTION] Pour que l'on puisse prétendre qu'il y a avarie commune, il est essentiel qu'il y ait sacrifice volontaire afin de préserver plus d'un objet exposé au péril commun; mais les frais extraordinaires engagés à cette fin constituent tout autant un sacrifice que le cas où, au lieu d'une dépense d'argent des objets de cette valeur sont jetés. Il importe peu que l'arma- teur sacrifie un câble ou une ancre pour dégager un navire d'un récif ou qu'il en paie la valeur pour louer les services extraordi- naires qui permettront de le faire.
Avant la décision d'abandonner le chaland, le navire et la cargaison étaient tous deux en péril. Les mesures prises pour tenter de les sauver, et les frais qui en ont résulté, ont été, selon moi, extraor- dinaires. Les frais qui ont été engagés sont vrai- ment des frais d'avaries communes.
L'avocat de la défenderesse soutient que le cha- land constituait, à toutes fins utiles, une perte totale dès le moment on l'a trouvé échoué; les frais engagés par la suite, jusqu'au moment de son abandon formel comme perte totale, ne l'auraient donc pas été pour sauver à la fois le navire et sa cargaison.
Je ne suis pas de cet avis.
Les efforts faits en premier lieu pour sauver la cargaison et le chaland étaient, à mon avis, raison- nables. Rien dans la preuve soumise ne justifiait de considérer au départ le Lakelse comme irrécupéra- ble.
On a soutenu ensuite, au nom de la défende- resse, que s'il y avait avarie commune, les proprié- taires du remorqueur Sea Comet devaient contri- buer. C'est un point troublant. Il semble n'y avoir que peu de doctrine ou de jurisprudence en Angleterre et au Canada à ce sujet. Aux États- Unis, il y a controverse 4 . Selon moi, le Sea Comet ne devrait pas avoir à contribuer en l'espèce. Les frais engagés pour recouvrer le chaland et sa car- gaison n'avaient rien à voir avec la sécurité du remorqueur. Il n'y avait à l'époque aucun péril commun; le péril, et les contributions d'avaries communes nécessaires pour le sauvetage, concer-
^ Voir Parks, Law of Tug, Tow and Pilotage, 1" éd., 1971,
aux pp. 286 293. La Cour suprême des Etats-Unis, dans l'arrêt The J.P. Donaldson, 167 U.S. 599 (U.S.S.C. 1897), a cependant jugé qu'il ne devait pas y avoir contribution du remorqueur lorsque des chalands avaient été abandonnés à la dérive et leur cargaison perdue.
naient le chaland et la cargaison uniquement`. Il peut y avoir des cas où, parce que remorqueur et chaland remorqué ne sont qu'une seule et même entreprise maritime, le remorqueur est tenu de contribuer. L'espèce n'est pas un de ces cas. L'ar- rêt Monarch Towing & Trading Co. Ltd. v. British Columbia Cement Co. Ltd." n'est d'aucune aide. Dans cette affaire, le tonnage du remorqueur et celui du chaland ont été additionnés pour les fins du calcul de la limite de responsabilité aux termes de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, chap. 29. Mais le cas d'es- pèce était alors fort différent. Le résultat dépen- dait dans une large mesure de l'effet des disposi tions légales portant sur la limite de responsabilité.
J'en viens maintenant aux frais engagés après l'abandon du Lakelse aux assureurs.
À mon avis, ces frais ont été considérés à bon droit comme afférents à la cargaison du chaland. À compter du 9 janvier 1973 environ, les efforts des demanderesses ont été concentrés sur le sauve- tage de la cargaison uniquement. Ces efforts, avec leur résultat pécuniaire, ont été couronnés de succès. Selon moi, les faits de l'espèce sont régis par les principes énoncés dans Carver's (précité), paragraphe 850 (page 723):
[TRADUCTION] Frais d'avarie commune. Ici encore, un prin- cipe fort similaire exige que certains frais extraordinaires enga- gés au profit de l'entreprise commune soient supportés par tous les intéressés alors que d'ordinaire l'armateur doit assumer seul les frais qu'il engage dans l'exécution de son contrat. De même tous les frais extraordinaires pour le profit particulier du navire ou la sauvegarde d'une partie de la cargaison doivent être supportés uniquement par la partie au profit de laquelle ils sont engagés. [C'est moi qui souligne.]
et dans Arnould's (précité), au paragraphe 918 (pages 804 et 805):
5 Pour un cas à peu près semblable, voir Walthew and Another v. Mavrojani and Others (1870), 5 L.R. Ex. 116. Un navire s'étant échoué, sa cargaison fut mise en sûreté: par après, des frais extraordinaires furent engagés pour remettre le navire à flot. On jugea que le péril ou risque commun n'existait plus et qu'on ne pouvait exiger de contributions de la cargaison. Les frais n'avaient été engagés qu'à l'égard du navire. Le juge Hannen dit à la p. 126:
[TRADUCTION] ... seuls les frais engagés pour préserver le navire et sa cargaison du péril commun sont des avaries communes. Ici je constate que le péril commun n'existait plus une fois la cargaison à terre; le propriétaire de la cargaison n'est donc pas tenu de contribuer.
6 [ 1 95 7] R.C.S. 816.
[TRADUCTION] De la même manière, lorsque des frais ont été engagés non pour sauver le navire et la cargaison, mais pour le navire seul ou pour la cargaison seule, il ne saurait y avoir contribution pour avarie commune mais au contraire imputa tion des frais ainsi engagés au propriétaire de l'intérêt particu- lier sauvegardé par la mesure adoptée.
Je ferai remarquer ceci. Mises à part les règles générales en matière de contributions d'avarie commune et de paiement des avaries particulières, le connaissement en l'espèce prévoyait expressé- ment le paiement de frais spéciaux sur la cargai- son. J'ai déjà cité une partie de la clause 9, qui stipule aussi:
[TRADUCTION] En cas d'accident, de danger, d'avaries ou de sinistre ... les marchandises, les chargeurs, consignataires ou propriétaires de ces marchandises contribueront comme le transporteur aux avaries communes, soit au paiement de tous sacrifices, pertes ou frais d'avarie commune subis ou engagés, et ils paieront le sauvetage et les frais d'avaries particulières concernant les marchandises.
La défenderesse soulève d'autres moyens de défense:
a) Les services rendus dans le cas d'espèce, qu'ils concernent le chaland et sa cargaison ou la cargaison seule, constitueraient, dit-on, des opéra- tions de sauvetage pur et simple; or, une demande d'indemnité de sauvetage doit être intentée dans les deux ans de la date des opérations (paragraphe 536(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9); cette action serait prescrite. À mon avis, ce moyen n'est pas fondé. Certes, les services rendus ressemblent à des opérations d'assistance, mais il ne s'agit pas de sauvetage proprement dit, au sens strictement juri- dique. Les demanderesses, à titre de transporteurs, n'ont pas qualité de sauveteurs par rapport à la défenderesse, au sens de tiers n'ayant aucun lien avec le Lakelse et sa cargaison, qui se seraient portés volontaires pour sauver d'un péril de mer le chaland et, par après, sa cargaison. La demande en l'espèce ne vise pas à l'indemnisation d'une opéra- tion de sauvetage mais à des contributions aux avaries communes et particulières de la cargaison.
Ce moyen de défense n'est pas fondé.
b) Le connaissement, fait-on valoir, stipule qu'il y aura transport des bouées de la défenderesse à bord d'un navire automoteur, non pas à bord d'un chaland remorqué; la défenderesse ne peut donc être tenue responsable. Je ne souscris pas à ce moyen. J'ai déjà conclu que la défenderesse a
probablement reçu copie de la pièce 5 qui signale l'annulation de certains départs et les changements d'horaires pour le temps des fêtes. Le personnel de la défenderesse savait, ou aurait savoir, que la cargaison à destination de Seal Cove ne serait pas expédiée sur les navires Island Prince ou North- land Prince. Il était parfaitement clair que les bouées seraient expédiées sur le chaland North- land 101 (route 10) ou sur un autre bâtiment qui le remplacerait. La première clause du connaisse- ment stipule notamment:
[TRADUCTION] Le transporteur se réserve le droit de remplacer le bâtiment choisi par un autre sans préavis, à tout moment et en tout lieu, qu'il en soit l'exploitant ou que ce soit un tiers ...
En l'espèce, le Lakelse a été substitué au North- land 101.
Ce moyen de défense doit donc être également rejeté.
c) La défenderesse soutient en outre que les demanderesses n'ont pas établi quelle compagnie a rendu quel service ni quelle compagnie a engagé ou déboursé les frais relatifs aux services et maté- riaux fournis par des tiers. La preuve administrée démontre que la compagnie mère, Northland Ship ping (1962) Co. Ltd., a, en dernière analyse, acquitté les frais. Dans le cas des services rendus et des frais engagés par sa filiale, le paiement s'est fait par virement d'écritures entre les deux compa- gnies. Ce moyen de défense n'est aucunement fondé. L'une ou l'autre des demanderesses a rendu des services ou a fait en sorte que des services et des matériaux soient fournis et en a assumé les frais. La défenderesse ne prétend pas le contraire et elle ne conteste pas les montants en cause.
d) Comme dernier moyen de défense, on sou- tient que le remorqueur loué par les demanderesses n'était pas apte à la mer; et qu'en conséquence, les demanderesses ne pourraient réclamer ni les ava- ries communes ni les avaries particulières. Que l'argument soit ou non fondé en droit, je n'ai été saisi d'aucune preuve démontrant l'innavigabilité du Sea Comet ou son incapacité d'effectuer le transport en cause. Le fait que, par forte mer, de l'eau ait pénétré dans sa salle des machines et qu'il ait été jugé nécessaire d'abandonner le chaland à la dérive, n'est pas un indice logique ni matériel de l'innavigabilité du remorqueur. Les assureurs des demanderesses ont engagé une action en domma-
ges-intérêts contre les propriétaires du remorqueur pour la perte du Lakelse et les frais engagés. L'innavigabilité du remorqueur était notamment alléguée. Il y a eu transaction cependant. Cela non plus ne démontre pas l'innavigabilité.
En résumé, les demanderesses ont droit de recouvrer de la défenderesse 8 981,02 $, soit la contribution de cette dernière aux avaries commu nes et aux avaries particulières à la cargaison. Les demanderesses ont droit à leurs dépens.
Reste la question de l'intérêt. La perte en l'es- pèce remonte à janvier 1973. L'action des deman- deresses a été engagée le 23 décembre 1975 mais n'a été instruite qu'en juin 1980. C'est avec un grand retard que je rends mon jugement. L'intérêt ne saurait courir contre la défenderesse pendant tout ce temps. J'entendrai les avocats des parties sur ce qui pourrait être juste et raisonnable à ce sujet. La procédure pourra être écrite, mais les parties peuvent s'adresser au greffe si elles souhai- tent une audience à ce sujet.
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