T-4655-75
Northland Navigation Co. Ltd. et Northland Ship
ping (1962) Co. Ltd. (demanderesses)
c.
Patterson Boiler Works Ltd. (défenderesse)
Division de première instance, juge Collier Van-
couver, 20, 23 et 24 juin 1980, V mars 1983.
Droit maritime — Avaries communes — Les marchandises
de la défenderesse ont été transportées à bord d'un chaland des
demanderesses — Par forte mer, de l'eau a pénétré dans le
remorqueur touant le chaland — Le chaland a été abandonné
à la dérive — La cargaison a plus tard été sauvée — L'aban-
don à la dérive constituait un sacrifice d'avarie commune
Les frais engagés pour sauver la cargaison sont également
avaries communes — Frais engagés pour sauver à la fois le
navire et la cargaison — Les propriétaires du remorqueur
doivent-ils contribuer? — Les services rendus ressemblent à
des opérations d'assistance, mais les demanderesses, à titre de
transporteurs, n'ont pas qualité de sauveteurs — Dispositions
du connaissement Aucune preuve ne démontre l'innavigabi-
lité du remorqueur — Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 536(1).
Les demanderesses réclament une contribution d'avaries
communes par le chargeur de onze bouées d'acier. La deman-
deresse, Northland, était propriétaire du chaland Lakelse. La
défenderesse a pris des dispositions pour faire transporter ses
marchandises par la demanderesse. Puisque aucun navire auto-
moteur n'était disponible, la demanderesse a décidé d'utiliser le
Lakelse et d'engager les services d'un remorqueur, le Sea
Comet, pour touer le chaland de Vancouver à Prince Rupert.
Le voyage s'est fait par forte mer. De l'eau a pénétré dans le
Sea Comet, qui a eu des pannes de moteur. Le Lakelse fut
abandonné à la dérive et il s'échoua sur un récif. Les tentatives
faites pour dégager le chaland ont été infructueuses. Northland
décida d'abandonner le chaland mais de tenter de sauver la
cargaison. Le chaland fut abandonné aux assureurs et des
experts en avaries communes furent nommés. Toute la cargai-
son fut enlevée. Le connaissement contenait une disposition sur
les avaries communes. La demanderesse fait valoir qu'il y a eu
avarie commune lorsqu'il a fallu engager des dépenses extraor-
dinaires pour tenter de sauver le chaland et la cargaison
d'abord, puis la cargaison seulement. La défenderesse soutient
que le sacrifice extraordinaire a consisté uniquement à laisser
aller le chaland à la dérive, et que tout ce qui s'est passé après
relevait d'une opération de sauvetage.
Jugement: l'action des demanderesses devrait être accueillie.
Il n'existe que peu de jurisprudence moderne portant sur les
avaries communes puisque la plupart des litiges font l'objet
d'un règlement. Il y a avarie commune lorsqu'il y a eu (I) un
sacrifice extraordinaire ou (2) des frais engagés pour sauver le
navire et sa cargaison. Il est clair que le Sea Comet était en
danger et il se peut que le remorqueur et le chaland eussent
coulé si ce dernier n'avait pas été abandonné. Son abandon à la
dérive constituait un sacrifice d'avarie commune. De plus, les
frais engagés pour tenter de sauver le chaland et la cargaison
sont avaries communes. La Cour ne saurait souscrire à l'argu-
ment de la défenderesse selon lequel les frais engagés dès le
moment où on a trouvé le chaland échoué jusqu'au moment de
son abandon formel ne l'ont pas été pour sauver à la fois le
navire et sa cargaison. Rien dans la preuve ne justifiait de
considérer au départ le chaland comme irrécupérable.
L'argument voulant que, s'il y a avarie commune, les proprié-
taires du Sea Comet doivent contribuer, est troublant. L'espèce
présente ressemble à l'affaire Walthew and Another v. Mavro-
jani and Others (1870), 5 L.R. Ex. 116, où des frais ont été
engagés pour remettre le navire à flot après le sauvetage de la
cargaison. Il a été jugé que puisque le péril commun n'existait
plus, la cargaison n'avait pas à contribuer. En l'espèce, les frais
engagés pour recouvrer le chaland et la cargaison n'avaient rien
à voir avec la sécurité du Sea Comet. Comme il est dit dans
l'ouvrage Carver's Carriage by Sea, au paragraphe 850, sous la
rubrique Frais d'avarie commune: «... tous les frais extraordi-
naires pour le profit particulier du navire ou la sauvegarde
d'une partie de la cargaison doivent être supportés uniquement
par la partie au profit de laquelle ils sont engagés».
L'argument de la défenderesse selon lequel puisque les servi
ces rendus avaient le caractère d'une opération d'assistance,
l'action serait prescrite (paragraphe 536(1), Loi sur la marine
marchande du Canada), ne saurait être accueilli. Certes, les
services rendus ressemblent à des opérations d'assistance, mais
il ne s'agit pas de sauvetage proprement dit, au sens strictement
juridique. Les demanderesses, à titre de transporteurs, n'ont pas
qualité de sauveteurs qui, en tant que tiers, se portent volontai-
res pour sauver d'un péril de mer le navire et sa cargaison.
L'action des demanderesses ne vise pas à l'indemnisation d'une
opération de sauvetage, mais à une contribution d'avaries
communes.
Il faut aussi rejeter l'argument selon lequel la défenderesse
ne peut être tenue responsable parce que le connaissement
mentionnait le transport à bord d'un navire automoteur plutôt
qu'à bord d'un chaland. Une clause du connaissement permet-
tait au transporteur de remplacer le bâtiment choisi par un
autre.
Finalement, rien dans la preuve n'étaie le moyen de défense
selon lequel le remorqueur n'était pas apte à la mer. Le fait
que, par forte mer, de l'eau ait pénétré dans la salle des
machines du Sea Comet, ne prouve nullement l'innavigabilité
du navire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Birkley and others v. Presgrave (1801), 1 East 220;
[1801-1802] R.R. 256 (K.B.); Kemp v. Halliday (2)
(1865), 6 B. & S. 723; [1863-1865] R.R. 579 (Q.B.);
Walthew and Another v. Mavrojani and Others (1870), 5
L.R. Ex. 116.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Monarch Towing & Trading Co. Ltd. v. British Colum-
bia Cement Co. Ltd., [ 1957] R.C.S. 816.
DÉCISIONS CITÉES:
The Ocean Steamship Co. v. Anderson, Tritton & Co.
(1883), 13 Q.B.D. 651 (C.A.); infirmée (1884), 10
App.Cas. 107 (H.L.); The J.P. Donaldson, 167 U.S 599
(U.S.S.C. 1897).
AVOCATS:
M. A. Clemens pour les demanderesses.
B. J. McConnell pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour les
demanderesses.
Meredith & Company, Vancouver, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Les demanderesses récla-
ment 8 981,02 $, pour contributions d'avaries com
munes par la défenderesse.
Plusieurs défenses ont été soulevées. J'en traite-
rai plus loin.
La défenderesse était propriétaire et chargeur de
onze bouées d'acier. Les bouées étaient destinées à
son client, le ministère des Transports, à Seal
Cove, Prince Rupert (Colombie-Britannique).
La demanderesse, Northland Shipping (1962)
Co. Ltd., était propriétaire d'un chaland baptisé
Lakelse. La demanderesse Northland Navigation
Co. Ltd. était sa filiale. Les deux compagnies
faisaient affaires sous la raison sociale «North-
land».
Elles exploitaient des navires de transport de
passagers et de marchandises ainsi que des remor-
queurs et des chalands à destination des ports
septentrionaux de la côte ouest de la Colombie-
Britannique (voir pièce 9, heures d'appareillages
en vigueur au 30 août 1971).
La défenderesse avait fait appel aux services de
Northland à plusieurs reprises. Pour les expédi-
tions vers Prince Rupert, ils pensaient que leurs
marchandises seraient transportées à bord de navi-
res automoteurs, et non dans des chalands
remorqués.
En décembre 1972, la défenderesse a pris des
dispositions pour faire envoyer onze bouées à son
client de Seal Cove. Les bouées furent livrées au
bassin de Northland à Vancouver le 21 décembre.
Selon l'horaire habituel, pièce 9, les marchandises
auraient dues être chargées à bord du M/S Island
Prince le 22 décembre (route 8) ou à bord du M/S
Northland Prince le 26 décembre (route 3). Mais,
comme c'est l'usage en décembre, plusieurs bâti-
ments de Northland cessèrent leur navette pour
subir des inspections en cale sèche.
La défenderesse connaissait cette pratique. Elle
savait que certains voyages réguliers seraient
annulés. Northland, le 15 novembre 1972, avait
fait paraître un horaire spécial pour Noël et le
Nouvel An 1972 (pièce 5). D'après les demande-
resses, la pièce 5 aurait été envoyée à la défende-
resse selon l'habitude, puisqu'elle était un client
régulier. La défenderesse, par ses témoins, n'a pas
su dire si elle avait effectivement reçu une copie de
la pièce 5. J'estime que c'est probablement le cas.
L'horaire indique que le voyage de l'Island Prince
du 22 décembre était annulé. L'appareillage sui-
vant, à destination de Prince Rupert, était fixé au
29 décembre 1972. Ce voyage devait être effectué
par le chaland Northland 101 (route 10). Il devait
aller de Vancouver à Kitimat, mais la pièce 5
indique qu'il devait aller également à Prince
Rupert. L'horaire révisé signalait que le terminal
de Vancouver serait fermé du vendredi 22 décem-
bre au 27 décembre 1972, 8 heures du matin.
Comme il a été dit précédemment, les bouées de
la défenderesse furent livrées au bassin de North-
land le 21 décembre. La défenderesse disposait de
connaissements en blanc de Northland. Le con-
naissement (pièce 2) a été rempli par la défende-
resse; aucune mention n'a été inscrite en regard du
mot «navire» et du numéro de voyage. Le connais-
sement indique que la marchandise devait norma-
lement être chargée sur le chaland 101 qui devait
appareiller de Vancouver le 29 décembre. Cette
portion du connaissement a été remplie par un
agent des demanderesses.
Les demanderesses ont décidé d'utiliser le cha-
land Lakelse pour le transport de marchandises à
destination de Prince Rupert et le Northland 101
pour le transport à destination de Kitimat. Les
deux chalands étaient du même type mais le
Northland 101 était un peu plus grand. Il y avait
apparemment à ce moment-là plus de marchandi-
ses à acheminer vers Kitimat que vers Prince
Rupert.
Les demanderesses ont retenu les services d'un
remorqueur, le Sea Comet, pour touer le Lakelse.
Le 31 décembre, remorqueur et chaland rencontrè-
rent une forte mer dans le détroit de Milbanke. La
mer déferla sur l'arrière du remorqueur noyant les
fonds et pénétrant dans la chambre des machines.
Les machines commencèrent à faire des ratés. On
laissa filer la remorque, abandonnant le Lakelse à
la dérive, et le Sea Comet alla se mettre à l'abri.
Le lendemain matin, le Lakelse fut retrouvé
échoué sur le récif Pidwell, aux abords de l'île
Swindle.
Les demanderesses tentèrent le 1 c ' janvier de
dégager le chaland. Ce fut sans succès. Le fond du
bâtiment était crevé en plusieurs endroits. On fit
d'autres tentatives, tout aussi infructueuses, le 5
janvier.
Il semblait alors que le chaland et sa cargaison
devraient être considérés comme une perte totale
par interprétation.
Entre le 6 et le 9 janvier, il fut décidé d'aban-
donner le chaland mais de tenter de sauver la
cargaison. Northland (1962) abandonna formelle-
ment le chaland aux assureurs le 9 janvier 1973.
Des experts en avaries communes furent
nommés. La plupart des propriétaires de la cargai-
son furent notifiés qu'on tentait de la sauver et
que, de l'avis des demanderesses, une situation
d'avarie commune existait.
On tenta à partir du 7 janvier de déplacer le
chaland de façon à pouvoir décharger la cargaison.
Finalement, la chance aidant, l'action fortuite des
éléments déplaça le chaland et rendit possible son
déchargement. Le 25 janvier, toute la cargaison
avait été enlevée.
Or, la clause 9 du connaissement stipule
notamment:
[TRADUCTION] 9. Les avaries communes sont évaluées confor-
mément aux Règles de York et d'Anvers de 1950 et, en cas de
lacune de celles-ci, conformément au droit et aux usages du
Dominion du Canada; les avaries communes sont constatées par
un expert choisi par le transporteur, ledit expert devant assister
au règlement et à la perception des contributions d'avaries
communes moyennant les frais habituels.
Les experts ont préparé un état des contribu
tions d'avaries communes à verser. Il y a deux
postes principaux. Les frais et dépenses engagés du
1" au 7 janvier, classés avaries communes, et les
frais et dépenses engagés depuis lors et considérés
comme avaries particulières de la cargaison.
Comme il est dit au début des présents motifs, la
demande de contribution contre la défenderesse est
de 8 981,02 $ calculés comme suit: la valeur con-
tributive de la marchandise de la défenderesse
s'élève à 16 285 $; le montant imputable au titre
des avaries communes s'élève à 1 873,01 $ et les
avaries particulières de la cargaison à 7 245,51 $.
La défenderesse a eu droit à 137,50 $ pour des
dommages subis par certaines de ses bouées.
Dans leur argumentation, les avocats des
demanderesses disent qu'il y a eu avarie commune
lorsqu'il a fallu engager des dépenses extraordinai-
res pour tenter de sauver le chaland et la cargaison
d'abord, puis la cargaison seule. La défenderesse
soutient qu'il n'y a pas avarie commune en l'es-
pèce; le sacrifice ou le péril extraordinaire n'a
existé que lorsque l'on a laissé aller le chaland à la
dérive; tout ce qui s'est passé après relevait d'une
opération de sauvetage.
Il n'est pas facile de trancher en l'espèce. Il
n'existe que peu de jurisprudence moderne portant
sur les avaries communes. La plupart des litiges ne
se rendent pas jusqu'au stade du procès.
Il faut, je pense, remonter aux principes fonda-
mentaux. Les dires du juge Lawrence dans l'espèce
Birkley and others v. Presgrave' ont été fréquem-
ment cités:
[TRADUCTION] Toute perte subie par suite d'un sacrifice
extraordinaire ou de dépenses extraordinaires afin de sauver le
navire et la cargaison est admissible en avarie commune et doit
être supportée par tous les intéressés suivant une contribution
proportionnelle.
On remarquera qu'il y a avarie commune lors-
qu'il y a eu sacrifice extraordinaire ou que des
frais extraordinaires ont été engagés afin de sauver
un navire et sa cargaison. Le jet à la mer est une
illustration bien connue d'un tel sacrifice extraor-
dinaire. Il y avait aussi le sacrifice de certaines
parties du bâtiment ou de son grément, particuliè-
rement au temps de la navigation à voile, comme
le rappelle la jurisprudence plus ancienne.
1 (1801), 1 East 220, la p. 228; [ 1801-1802] R.R. 256
(K.B.), à la p. 263.
L'abandon à la dérive du Lakelse dans le cas
d'espèce pourrait être considéré comme un sacri
fice extraordinaire pour sauver le remorqueur, le
chaland et sa cargaison. On ne m'a soumis aucune
preuve sur l'ensemble des raisons pour lesquelles le
commandant du Sea Comet a laissé filer la remor-
que. Il est clair, d'après les faits admis, que le
remorqueur lui-même était en danger. I1 se peut
fort bien aussi que le remorqueur et le chaland
remorqué risquaient d'aller par le fond si le cha-
land n'était pas abandonné.
L'argumentation de la défenderesse ne tient pas
compte, à mon avis, de la distinction qu'il faut
faire entre la perte ou sacrifice d'avarie commune
et la dépense ou frais d'avarie commune:
[TRADUCTION] Le sacrifice d'avarie commune comporte la
perte matérielle intentionnelle d'un bien de l'entreprise mari
time commune, c'est-à-dire le navire, la cargaison ou le fret, ou
un dommage causé volontairement à un tel bien; des exemples
de ces sacrifices sont les dommages causés aux navires par
échouage ou le jet à la mer et la perte qui s'ensuit de tout fret
ainsi mis en danger.
Les frais d'avarie commune, en revanche, ne sont que les
frais engagés pour obtenir les services ou le matériel nécessaires
pour sauver le bien en danger lors d'une entreprise maritime.
Comme exemples, dont il sera question plus longuement dans le
présent chapitre, on peut citer la location de remorqueurs et
d'allèges et de main-d'oeuvre nécessaire pour décharger une
cargaison et remettre à flot un navire échoué, ou encore les
frais d'entrée dans un port de refuge. 2
L'abandon à la dérive du Lakelse, sachant qu'iné-
vitablement il s'échouerait ou irait par le fond,
peut être qualifié de sacrifice d'avarie commune.
Mais également, à mon avis, les frais engagés
par les demanderesses pour tenter de sauver le
chaland et sa cargaison après l'échouement sur le
récif Pidwell sont avaries communes. Le juge
Blackburn dans l'espèce Kemp v. Halliday (2) 3
présente la chose comme ceci:
'- Lowndes & Rudolph, General Average and York -Antwerp
Rules (10c éd., 1975) par. 241 (p. 120).
Voir aussi: Carver's Carriage by Sea, 12' éd., 1971, par. 849
et 850 (pp. 723 et 724) et par. 901 (p. 767); Arnould's Law of
Marine Insurance and Average, 16` éd., 1981, Vol. 11, par.
915A (p. 798); The Ocean Steamship Co. v. Anderson, Tritton
& Co. (1883), 13 Q.B.D. 651 (C.A.), maître des rôles Brett, à
la p. 662; infirmée (1884), 10 App.Cas. 107 (H.L.).
3 (1865), 6 B. & S. 723,à la p. 746; [1863-1865] R.R. 579
(Q.B.), à la p. 595.
[TRADUCTION] Pour que l'on puisse prétendre qu'il y a
avarie commune, il est essentiel qu'il y ait sacrifice volontaire
afin de préserver plus d'un objet exposé au péril commun; mais
les frais extraordinaires engagés à cette fin constituent tout
autant un sacrifice que le cas où, au lieu d'une dépense d'argent
des objets de cette valeur sont jetés. Il importe peu que l'arma-
teur sacrifie un câble ou une ancre pour dégager un navire d'un
récif ou qu'il en paie la valeur pour louer les services extraordi-
naires qui permettront de le faire.
Avant la décision d'abandonner le chaland, le
navire et la cargaison étaient tous deux en péril.
Les mesures prises pour tenter de les sauver, et les
frais qui en ont résulté, ont été, selon moi, extraor-
dinaires. Les frais qui ont été engagés sont vrai-
ment des frais d'avaries communes.
L'avocat de la défenderesse soutient que le cha-
land constituait, à toutes fins utiles, une perte
totale dès le moment où on l'a trouvé échoué; les
frais engagés par la suite, jusqu'au moment de son
abandon formel comme perte totale, ne l'auraient
donc pas été pour sauver à la fois le navire et sa
cargaison.
Je ne suis pas de cet avis.
Les efforts faits en premier lieu pour sauver la
cargaison et le chaland étaient, à mon avis, raison-
nables. Rien dans la preuve soumise ne justifiait de
considérer au départ le Lakelse comme irrécupéra-
ble.
On a soutenu ensuite, au nom de la défende-
resse, que s'il y avait avarie commune, les proprié-
taires du remorqueur Sea Comet devaient contri-
buer. C'est là un point troublant. Il semble n'y
avoir que peu de doctrine ou de jurisprudence en
Angleterre et au Canada à ce sujet. Aux États-
Unis, il y a controverse 4 . Selon moi, le Sea Comet
ne devrait pas avoir à contribuer en l'espèce. Les
frais engagés pour recouvrer le chaland et sa car-
gaison n'avaient rien à voir avec la sécurité du
remorqueur. Il n'y avait à l'époque aucun péril
commun; le péril, et les contributions d'avaries
communes nécessaires pour le sauvetage, concer-
^ Voir Parks, Law of Tug, Tow and Pilotage, 1" éd., 1971,
aux pp. 286 293. La Cour suprême des Etats-Unis, dans
l'arrêt The J.P. Donaldson, 167 U.S. 599 (U.S.S.C. 1897), a
cependant jugé qu'il ne devait pas y avoir contribution du
remorqueur lorsque des chalands avaient été abandonnés à la
dérive et leur cargaison perdue.
naient le chaland et la cargaison uniquement`. Il
peut y avoir des cas où, parce que remorqueur et
chaland remorqué ne sont qu'une seule et même
entreprise maritime, le remorqueur est tenu de
contribuer. L'espèce n'est pas un de ces cas. L'ar-
rêt Monarch Towing & Trading Co. Ltd. v.
British Columbia Cement Co. Ltd." n'est d'aucune
aide. Dans cette affaire, le tonnage du remorqueur
et celui du chaland ont été additionnés pour les
fins du calcul de la limite de responsabilité aux
termes de la Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1952, chap. 29. Mais le cas d'es-
pèce était alors fort différent. Le résultat dépen-
dait dans une large mesure de l'effet des disposi
tions légales portant sur la limite de responsabilité.
J'en viens maintenant aux frais engagés après
l'abandon du Lakelse aux assureurs.
À mon avis, ces frais ont été considérés à bon
droit comme afférents à la cargaison du chaland.
À compter du 9 janvier 1973 environ, les efforts
des demanderesses ont été concentrés sur le sauve-
tage de la cargaison uniquement. Ces efforts, avec
leur résultat pécuniaire, ont été couronnés de
succès. Selon moi, les faits de l'espèce sont régis
par les principes énoncés dans Carver's (précité),
paragraphe 850 (page 723):
[TRADUCTION] Frais d'avarie commune. Ici encore, un prin-
cipe fort similaire exige que certains frais extraordinaires enga-
gés au profit de l'entreprise commune soient supportés par tous
les intéressés alors que d'ordinaire l'armateur doit assumer seul
les frais qu'il engage dans l'exécution de son contrat. De même
tous les frais extraordinaires pour le profit particulier du navire
ou la sauvegarde d'une partie de la cargaison doivent être
supportés uniquement par la partie au profit de laquelle ils sont
engagés. [C'est moi qui souligne.]
et dans Arnould's (précité), au paragraphe 918
(pages 804 et 805):
5 Pour un cas à peu près semblable, voir Walthew and
Another v. Mavrojani and Others (1870), 5 L.R. Ex. 116. Un
navire s'étant échoué, sa cargaison fut mise en sûreté: par
après, des frais extraordinaires furent engagés pour remettre le
navire à flot. On jugea que le péril ou risque commun n'existait
plus et qu'on ne pouvait exiger de contributions de la cargaison.
Les frais n'avaient été engagés qu'à l'égard du navire. Le juge
Hannen dit à la p. 126:
[TRADUCTION] ... seuls les frais engagés pour préserver le
navire et sa cargaison du péril commun sont des avaries
communes. Ici je constate que le péril commun n'existait plus
une fois la cargaison à terre; le propriétaire de la cargaison
n'est donc pas tenu de contribuer.
6 [ 1 95 7] R.C.S. 816.
[TRADUCTION] De la même manière, lorsque des frais ont été
engagés non pour sauver le navire et la cargaison, mais pour le
navire seul ou pour la cargaison seule, il ne saurait y avoir
contribution pour avarie commune mais au contraire imputa
tion des frais ainsi engagés au propriétaire de l'intérêt particu-
lier sauvegardé par la mesure adoptée.
Je ferai remarquer ceci. Mises à part les règles
générales en matière de contributions d'avarie
commune et de paiement des avaries particulières,
le connaissement en l'espèce prévoyait expressé-
ment le paiement de frais spéciaux sur la cargai-
son. J'ai déjà cité une partie de la clause 9, qui
stipule aussi:
[TRADUCTION] En cas d'accident, de danger, d'avaries ou de
sinistre ... les marchandises, les chargeurs, consignataires ou
propriétaires de ces marchandises contribueront comme le
transporteur aux avaries communes, soit au paiement de tous
sacrifices, pertes ou frais d'avarie commune subis ou engagés,
et ils paieront le sauvetage et les frais d'avaries particulières
concernant les marchandises.
La défenderesse soulève d'autres moyens de
défense:
a) Les services rendus dans le cas d'espèce,
qu'ils concernent le chaland et sa cargaison ou la
cargaison seule, constitueraient, dit-on, des opéra-
tions de sauvetage pur et simple; or, une demande
d'indemnité de sauvetage doit être intentée dans
les deux ans de la date des opérations (paragraphe
536(1) de la Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9); cette action
serait prescrite. À mon avis, ce moyen n'est pas
fondé. Certes, les services rendus ressemblent à des
opérations d'assistance, mais il ne s'agit pas de
sauvetage proprement dit, au sens strictement juri-
dique. Les demanderesses, à titre de transporteurs,
n'ont pas qualité de sauveteurs par rapport à la
défenderesse, au sens de tiers n'ayant aucun lien
avec le Lakelse et sa cargaison, qui se seraient
portés volontaires pour sauver d'un péril de mer le
chaland et, par après, sa cargaison. La demande en
l'espèce ne vise pas à l'indemnisation d'une opéra-
tion de sauvetage mais à des contributions aux
avaries communes et particulières de la cargaison.
Ce moyen de défense n'est pas fondé.
b) Le connaissement, fait-on valoir, stipule qu'il
y aura transport des bouées de la défenderesse à
bord d'un navire automoteur, non pas à bord d'un
chaland remorqué; la défenderesse ne peut donc
être tenue responsable. Je ne souscris pas à ce
moyen. J'ai déjà conclu que la défenderesse a
probablement reçu copie de la pièce 5 qui signale
l'annulation de certains départs et les changements
d'horaires pour le temps des fêtes. Le personnel de
la défenderesse savait, ou aurait dû savoir, que la
cargaison à destination de Seal Cove ne serait pas
expédiée sur les navires Island Prince ou North-
land Prince. Il était parfaitement clair que les
bouées seraient expédiées sur le chaland North-
land 101 (route 10) ou sur un autre bâtiment qui
le remplacerait. La première clause du connaisse-
ment stipule notamment:
[TRADUCTION] Le transporteur se réserve le droit de remplacer
le bâtiment choisi par un autre sans préavis, à tout moment et
en tout lieu, qu'il en soit l'exploitant ou que ce soit un tiers ...
En l'espèce, le Lakelse a été substitué au North-
land 101.
Ce moyen de défense doit donc être également
rejeté.
c) La défenderesse soutient en outre que les
demanderesses n'ont pas établi quelle compagnie a
rendu quel service ni quelle compagnie a engagé
ou déboursé les frais relatifs aux services et maté-
riaux fournis par des tiers. La preuve administrée
démontre que la compagnie mère, Northland Ship
ping (1962) Co. Ltd., a, en dernière analyse,
acquitté les frais. Dans le cas des services rendus et
des frais engagés par sa filiale, le paiement s'est
fait par virement d'écritures entre les deux compa-
gnies. Ce moyen de défense n'est aucunement
fondé. L'une ou l'autre des demanderesses a rendu
des services ou a fait en sorte que des services et
des matériaux soient fournis et en a assumé les
frais. La défenderesse ne prétend pas le contraire
et elle ne conteste pas les montants en cause.
d) Comme dernier moyen de défense, on sou-
tient que le remorqueur loué par les demanderesses
n'était pas apte à la mer; et qu'en conséquence, les
demanderesses ne pourraient réclamer ni les ava-
ries communes ni les avaries particulières. Que
l'argument soit ou non fondé en droit, je n'ai été
saisi d'aucune preuve démontrant l'innavigabilité
du Sea Comet ou son incapacité d'effectuer le
transport en cause. Le fait que, par forte mer, de
l'eau ait pénétré dans sa salle des machines et qu'il
ait été jugé nécessaire d'abandonner le chaland à
la dérive, n'est pas un indice logique ni matériel de
l'innavigabilité du remorqueur. Les assureurs des
demanderesses ont engagé une action en domma-
ges-intérêts contre les propriétaires du remorqueur
pour la perte du Lakelse et les frais engagés.
L'innavigabilité du remorqueur était notamment
alléguée. Il y a eu transaction cependant. Cela non
plus ne démontre pas l'innavigabilité.
En résumé, les demanderesses ont droit de
recouvrer de la défenderesse 8 981,02 $, soit la
contribution de cette dernière aux avaries commu
nes et aux avaries particulières à la cargaison. Les
demanderesses ont droit à leurs dépens.
Reste la question de l'intérêt. La perte en l'es-
pèce remonte à janvier 1973. L'action des deman-
deresses a été engagée le 23 décembre 1975 mais
n'a été instruite qu'en juin 1980. C'est avec un
grand retard que je rends mon jugement. L'intérêt
ne saurait courir contre la défenderesse pendant
tout ce temps. J'entendrai les avocats des parties
sur ce qui pourrait être juste et raisonnable à ce
sujet. La procédure pourra être écrite, mais les
parties peuvent s'adresser au greffe si elles souhai-
tent une audience à ce sujet.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.