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A-349-80
La Reine (appelante)
c.
Anton J. Pongratz (intimé)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup pléant Kelly—Toronto, 19 avril; Ottawa, 19 mai 1982.
Impôt sur le revenu Pénalités Appel du jugement par lequel le juge de première instance a accueilli l'appel formé par l'intimé contre la nouvelle pénalité qui lui avait été imposée pour l'année 1977 De 1972 1977 inclusivement, le contribuable n'a pas produit dans les délais ses déclarations d'impôt sur le revenu à cause des exigences de ses affaires et de son manque de fonds pour acquitter l'impôt en souffrance Des mises en demeure de production lui ont été envoyées de 1974 1977 inclusivement Le contribuable s'est défendu d'avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'exis- tence d'un projet destiné à le soustraire à l'impôt Paiement de la pénalité pour production tardive et du montant de l'impôt en souffrance lors de la production des déclarations d'impôt L'appelante fait valoir que l'imposition d'une pénalité civile pour évasion fiscale volontaire en vertu de l'art. 163(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est justifiée lorsqu'il y a omission volontaire de produire une déclaration d'impôt, ou que le juge de première instance aurait conclure, compte tenu de la preuve, que le retard délibéré à produire les déclarations constituait une tentative volontaire de se sous- traire au paiement L'appelante prétend aussi que la tenta tive de se soustraire à l'imposition comprend la tentative d'éluder le paiement de l'impôt de façon temporaire Le juge de première instance a condamné l'intimé aux dépens malgré le fait que le jugement au fond ait été prononcé en faveur de ce dernier Le contribuable a formé un appel incident contre l'adjudication des dépens L'appel est rejeté, et le contre- appel accueilli La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un refus volontaire de production de déclaration de revenu a pour but de se soustraire au paiement de l'impôt La preuve permet au juge de première instance de ne pas conclure à une tentative volontaire d'éluder le paiement de l'impôt L'interprétation de la Loi que propose l'appelante impliquerait l'ajout des mots «pendant un certain temps» ou «temporairement» L'interprétation par la Cour ne doit porter que sur les mots que le législateur a employés Aussi l'art. 163(4 parce qu'il impose une pénalité, doit-il être interprété restrictivement et contre le fisc On ne trouve aucune justification à la décision d'adjuger les dépens en faveur de la partie qui succombe à l'encontre de la partie qui a gain de cause sauf en ce qui a trait au déroulement de la poursuite Rien dans la preuve soumise relativement au comportement de l'intimé ne justifie d'adjuger les dépens contre lui Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 162(1), 163(4 239(1)d) Règle 344 de la Cour fédérale.
Il est fait appel de la décision par laquelle la Division de première instance a accueilli l'appel formé par l'intimé, en ce qui concerne son année d'imposition 1977, contre la nouvelle pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. De 1972 1977 inclusivement, si le
contribuable a constamment omis de produire ses déclarations d'impôt à la date prévue, c'est que c'est à cette période de l'année que son bureau était le plus occupé et qu'il n'avait pas alors les fonds nécessaires pour acquitter l'impôt. Des mises en demeure lui ont été envoyées de 1974 à 1977 inclusivement. Le contribuable savait qu'il était tenu par la Loi de produire sa déclaration et d'acquitter tout impôt payable au plus tard le 30 avril de l'année suivant l'année d'imposition. Il s'est défendu d'avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence d'un projet destiné à le soustraire à l'imposition. Durant les
années 1972 1977, il s'était vu imposer la pénalité pour production tardive prévue au paragraphe 162(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et l'avait payée. Lors de la production de ses déclarations, il avait aussi acquitté le montant des impôts qu'il devait. Le paragraphe 163(1) impose une pénalité civile pour la tentative volontaire de se soustraire à l'impôt. Le juge de première instance a condamné l'intimé aux dépens malgré le fait que le jugement au fond ait été prononcé en faveur de ce dernier. L'intimé a formé un appel incident contre cette adjudi cation de dépens.
Arrêt: l'appel est rejeté, et le contre-appel accueilli. Pour ce qui est de la prétention qu'une omission volontaire de produire une déclaration constitue une tentative volontaire d'éluder le paiement de l'impôt, le raisonnement adopté dans l'affaire The Queen v. Paveley, 76 DTC 6415 est convaincant. «Sur preuve du `refus volontaire' de produire une déclaration d'impôt ... la Cour peut, et non pas doit, conclure que l'accusé a agi dans l'intention d'éluder le paiement de l'impôt.» Aussi, le législateur n'a pas voulu que le paragraphe 163(1) s'applique automati- quement à tout contribuable qui produit sa déclaration en retard. Finalement, le Parlement a récemment augmenté la pénalité prévue pour la production tardive de la déclaration, ce qui fait que cette pénalité constitue une fois de plus un moyen de dissuasion efficace. Il s'agit d'une indication supplémen- taire de la capacité et de la volonté du Parlement de s'attaquer au problème des productions tardives de déclarations sans avoir recours aux pénalités sévères que prescrit le paragraphe 163(1). Quant à l'argument de l'appelante selon lequel la production tardive répétée et délibérée équivalait à une tentative volontaire d'éluder le paiement de l'impôt, les faits ont permis au juge de première instance de refuser de conclure à une tentative volon- taire de se soustraire à l'impôt: l'intimé a produit ses déclara- tions de 1972, 1973 et 1978 sans qu'il soit nécessaire de le mettre en demeure de le faire; l'intimé s'est conformé aux mises en demeure de produire une déclaration envoyées par le Minis- tre dans les deux mois qui ont suivi leur réception; toutes les déclarations ont été produites dans l'année suivant la date fixée pour la production, et l'intimé a acquitté l'impôt payable de même que la pénalité prévue pour la production tardive lors- qu'il a produit les déclarations; l'intimé s'est défendu d'avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence d'un projet destiné à le soustraire à l'impôt et, en 34 ans, on n'avait pas mis en doute l'exactitude de ses déclarations. La conclusion tirée par le juge de première instance était donc justifiée. Finalement, l'argument que les mots «se soustraire» sont syno- nymes du mot «éviter» va à l'encontre de la jurisprudence, laquelle établit, en matière fiscale, une distinction entre le fait de se soustraire à l'imposition et celui de l'éviter. La proposition de l'appelante implique que l'on interprète le paragraphe 163(1) comme si les mots «se soustraire» étaient suivis des mots
«pendant un certain temps» ou «temporairement». Lorsque la Cour interprète une loi, son interprétation ne doit porter que sur les mots que le législateur a employés, et elle n'a pas le pouvoir de combler les lacunes qu'elle détecte dans le texte. Agir de la sorte constituerait pour elle une usurpation des fonctions du législateur. Le juge de première instance n'a pas appliqué aux faits un principe erroné. En outre, puisque le paragraphe 163(1) impose une pénalité, il doit être interprété restrictivement et contre le fisc. Quant au contre-appel, on ne trouve aucune justification à l'exercice du pouvoir discrétion- naire d'adjuger les dépens en faveur de l'appelante qui n'a pas eu gain de cause. La Règle 344 prévoit que les frais suivent l'issue de la cause sauf ordonnance contraire, et précise les circonstances relatives au déroulement de la poursuite qui peuvent donner lieu à une décision prescrivant qu'il ne sera pas accordé de dépens à la partie en faveur de qui le jugement a été prononcé ou adjugeant les dépens contre cette partie. Rien dans la preuve soumise n'établit que l'intimé s'est comporté pendant l'action d'une façon telle qu'il serait justifié d'adjuger les dépens contre lui. Ce que le juge de première instance sanction- nait en adjugeant les dépens contre l'appelant, c'était la con- duite de l'appelant consistant à produire tardivement, à plu- sieurs reprises, ses déclarations, ce qui, avait-il conclu auparavant, n'enfreignait pas le paragraphe 163(1). Ni la Loi de l'impôt sur le revenu ni les Règles de la Cour n'autorisent une telle pénalité, et le contre-appel est accueilli.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Queen v. Paveley, 76 DTC 6415 (C.A. Sask.); Magor et al. v. Newport Corporation, [1952] A.C. 189; Tuck & Sons v. Priester (1887), 19 Q.B.D. 629.
DÉCISIONS CITÉES:
Medicine Hat Greenhouses Ltd. et al. v. The Queen, 81 DTC 5100 (C.A. Alb.); The Queen v. Regehr (1968), 3 C.C.C. 72 (C.A. Yuk.); Ciglen c. La Reine, [1970] R.C.S. 804.
APPEL. AVOCATS:
W. Lefebvre et I. MacGregor pour l'appe- lante.
T. E. McDonnell et D. A. Giannini pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous - procureur général du Canada pour l'appelante.
Little, Reeves, Mahoney, Jarrett & Hart,
London, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La Cour est saisie de l'appel d'une décision de la Division de première instance
par laquelle celle-ci accueillait l'appel interjeté par l'intimé contre la nouvelle pénalité que lui avait imposée le Ministre pour l'année d'imposition 1977, en application du paragraphe 163(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, chap. 63, arti cle 1 (ci-après appelée la Loi)'. Il sera aussi traité dans les présents motifs du contre-appel formé par l'intimé à l'encontre de l'adjudication des dépens à l'appelante par le juge de première instance.
L'APPEL
Le considérant du jugement de la Division de première instance pertinent au présent appel est rédigé comme suit:
[TRADUCTION] Il ressort de la preuve présentée dans cet appel, laquelle n'est formée que d'un exposé conjoint partiel des faits et de la déposition du demandeur, que le Ministre n'a pas fait la preuve des faits qui justifient l'imposition de la pénalité.
L'appel est donc accueilli et l'affaire renvoyée au Ministre pour nouvel examen.
L'exposé des faits qui suit est tiré de l'exposé conjoint des faits qui a été produit en première instance. L'intimé est expert-comptable et exerce seul depuis environ 34 ans. Entre autres choses, il fait de la planification fiscale et remplit les décla- rations d'impôt de sa clientèle constituée de parti- culiers et de sociétés. Pendant ces 34 années, il a rempli et produit sa propre déclaration d'impôt et il savait qu'en vertu de la Loi, il devait produire sa déclaration et acquitter l'impôt payable au plus tard le 30 avril de l'année suivant l'année d'imposi- tion. Il savait aussi que durant chaque année d'im- position il devait payer, périodiquement, une partie de son impôt. Le dossier de l'intimé concernant les années d'imposition 1972 1977 peut être résumé dans le tableau suivant:
Année 6c66qttn 0ete lvmvce 4.te de ]a trace d• ]e Gours Imp6t d
d'vmpoz vtvmn: provos vonnels pour 1 productvan de ecyuv tcer d
versfs productvon de demeure de de 1 retard: a date
le dëclare[ion production: décleratvon: imite de
roduc[von
1971 Aucun 30 avril 73 Aucune 27 nov.73 213 56,100.00
1973 un ral 71 21 no 70 306 56,120.20
1971 Aucun 30 avril 75 15 par, 76 mar. 76 506 $7,001.10
1975 51,500 30 avr71 76 3 nor. 76 52 567. 76 244 30490.90
1976 ua 30 avril 77 5.167. 77 50 5.4v. 75 275 07,134.00
1977 Aucun 30 avril 75 55 7471. le 11 sept. 76 154 55.466.15
' Le paragraphe 163(1) est rédigé en ces termes:
163. (1) Toute personne qui tente volontairement de se soustraire à l'impôt qu'elle doit payer, en vertu de la présente Partie, en ne produisant pas de déclaration de revenu dans la forme et les délais requis par le paragraphe 150(1), est passible d'une pénalité égale à 50% du montant de l'impôt auquel elle a cherché à se soustraire.
Du témoignage de l'intimé, le seul témoin à déposer à l'instruction, il ressort notamment ce qui suit: avant 1972, il n'a pas toujours produit ses déclarations dans les délais. En ce qui concerne l'année d'imposition 1978, il a produit sa déclara- tion le 9 juin 1979, ce qui fait à peu près 70 jours de retard, et n'a versé aucun acompte provisionnel sur l'impôt qu'il devait acquitter pour l'année 1978. S'il a constamment omis de produire ses déclarations à la date prévue par la Loi, c'est que c'est à cette période de l'année que son bureau était le plus occupé et qu'il n'avait pas les fonds nécessaires pour acquitter l'impôt. Il remettait donc la préparation et la production de sa propre déclaration à une période de l'année cela lui convenait mieux. Il a toutefois admis qu'il aurait pu la remplir à temps car elle n'était pas compli- quée. Il a aussi admis qu'il avait délibérément choisi d'investir les fonds dont il disposait dans une ferme qu'il exploitait plutôt que de s'en servir pour acquitter l'impôt. Il a reconnu aussi ne pas avoir essayé d'emprunter afin de payer l'impôt en souf- france. Il s'est défendu cependant d'avoir eu l'in- tention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence de tout projet ou de plan destiné à le soustraire à l'imposition. Il a souligné qu'en 34 ans, le Minis- tère n'avait jamais mis en doute la justesse ou l'exactitude de ses déclarations et qu'aucune accu sation criminelle n'avait été portée contre lui en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Durant les années d'imposition 1972 à 1977, il s'était vu imposer la pénalité prévue au paragraphe 162(1) de la Loi 2 et l'avait payée, la considérant comme une conséquence naturelle du fait de ne pas pro- duire ses déclarations à temps. Lors de la produc tion de ses déclarations, il avait aussi acquitté le montant des impôts qu'il devait.
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de l'appelante soutient d'abord que l'imposition de
2 Le paragraphe 162(1), pendant toute la période visée, était rédigé en ces termes:
162. (1) Toute personne qui n'a pas fait de déclaration de revenu dans les formes et à la date prévues au paragraphe 150(1) est passible d'une pénalité
a) d'un montant égal à 5% de l'impôt non payé au jour la déclaration devait être envoyée, si l'arriéré de l'impôt payable en vertu de la présente Partie était inférieur à $10,000, et
b) de $500, si au jour la déclaration devait être envoyée, l'arriéré de l'impôt payable en vertu de la présente Partie était égal ou supérieur à $10,000.
pénalités en vertu du paragraphe 163(1) est justi- fiée dans les cas, comme celui dont il est question en l'instance, le contribuable a volontairement omis de produire une déclaration d'impôt dans les formes et à la date que prescrit la Loi, cette omission constituant une tentative volontaire d'élu- der le paiement de l'impôt. Je ne puis accepter cet argument. Le paragraphe 163(1) impose une sanc tion civile à toute personne qui tente volontaire- ment de se soustraire au paiement de l'impôt. La disposition correspondante de la Loi qui impose une sanction pénale est l'alinéa 239(1)d) qui pré- voit que:
239. (1) Toute personne qui
d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté d'éluder l'observation de la présente loi ou le paiement d'un impôt établi en vertu de cette loi, ...
est coupable d'une infraction ....
Quoique le libellé des deux dispositions ne soit pas identique, il est, à mon avis, très semblable et l'on retrouve le mot «evade» dans la version anglaise des deux textes*. J'ai donc trouvé très convaincant le passage du jugement dans l'affaire The Queen y. Paveley 3 dans lequel le juge Bayda qui était alors juge à la Cour d'appel de la Saskatchewan a affirmé:
[TRADUCTION] Il est donc clair que sur preuve du «refus volontaire» de produire une déclaration d'impôt—la «manière» dont on prétend que l'infraction prévue à l'alinéa 239(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu est commise—la Cour peut, et non pas doit, conclure que l'accusé a agi dans l'intention d'éluder le paiement de l'impôt. Si, en considérant l'ensemble de la preuve, la Cour estime que cette conclusion est appropriée en l'espèce, elle peut le faire. Si elle estime que ce n'est pas la conclusion appropriée ou qu'il subsiste un doute raisonnable, alors il n'y a pas lieu de le faire.
Le juge Harradence de la Cour d'appel a exprimé une opinion similaire dans l'affaire Medicine Hat Greenhouses Ltd. et al. v. The Queen 4 :
[TRADUCTION] Le fait de contrevenir à une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu ne constitue pas en soi une infraction au sens de l'alinéa 239(1)d). Une telle contravention peut être un élément qu'il faut prouver quand on porte une
*N.D.T. Dans la version française de la Loi de l'impôt sur le
revenu, on emploie au paragraphe 163(1) les mots «se sous-
traire» et à l'alinéa 239(1)d), le mot «éluder».
3 76 DTC 6415 (C.A. Sask), p. 6421.
4 81 DTC 5100 (C.A. Alb.), p. 5104.
accusation en vertu de cet alinéa, mais on n'a pas prouvé qu'un contribuable a volontairement éludé le paiement de l'impôt quand on n'a prouvé que la contravention. Celle-ci peut être volontaire ou ne pas l'être.
Comme l'a souligné l'avocat de l'intimé, si l'on admettait cet argument de l'avocat de l'appelante, cela signifierait qu'un contribuable qui aurait volontairement produit sa déclaration en retard, en la remettant le l er mai d'une année donnée, serait passible de la même pénalité de base, équivalant à 50% de l'impôt non payé, que le contribuable qui a délibérément produit sa déclaration avec un ou deux ans de retard. On a admis qu'il est peu probable que le Ministre impose la sanction prévue au paragraphe 163(1) au contribuable qui produit sa déclaration une journée en retard. Mais une telle interprétation conduirait néanmoins à une situation des fonctionnaires du Ministère déter- mineraient arbitrairement ce qui constitue un retard suffisant pour justifier que soit imposée la très sévère pénalité prévue au paragraphe 163(1). Je ne crois pas que le législateur ait voulu que le paragraphe 163(1) s'applique automatiquement à tout contribuable qui produit sa déclaration en retard.
Comme l'a également souligné l'avocat de l'in- timé, le Parlement a considérablement augmenté la pénalité prévue pour la production tardive de la déclaration. En effet, il a récemment modifié le paragraphe 162(1) [S.C. 1980-81-82, chap. 48, art. 89] en abolissant le plafond antérieur de $500 prévu pour la pénalité de 5% et en augmentant cette dernière en lui ajoutant un montant équiva- lant à 1% de l'impôt impayé par mois de retard jusqu'à un maximum de 12 mois. Par cette modifi cation, le Parlement a augmenté la pénalité pour production tardive afin que celle-ci apparaisse une fois de plus comme un moyen de dissuasion effi- cace. Il s'agit d'une indication supplémentaire de la capacité et de la volonté du Parlement de s'attaquer au problème des productions tardives de déclarations sans avoir recours aux pénalités sévè- res que prescrit le paragraphe 163(1) pour la tentative volontaire de se soustraire à l'impôt. Donc, pour tous les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais ce premier argument.
L'appelante a soumis, comme argument subsi- diaire à celui sur lequel je me suis prononcé ci-des- sus, que compte tenu de la preuve figurant au
dossier et de la conduite de l'intimé, le juge de première instance aurait pu et aurait conclure que le retard délibéré de l'intimé à produire sa déclaration en 1977 constituait une tentative volontaire de se soustraire à l'impôt qui justifiait l'imposition de la pénalité prévue au paragraphe 163(1). L'appelante invoque à cet égard les omis sions répétées et délibérées de l'intimé de produire à temps ses déclarations d'impôt pour certaines années d'imposition antérieures à 1977 aussi bien que pour d'autres qui ont suivi cette date. La faiblesse de cet argument, c'est qu'il ne tient pas compte de l'ensemble de la preuve soumise au juge de première instance. Lors du témoignage non contredit qu'il a rendu à l'instruction, l'intimé a précisé les faits suivants qui, à mon avis, permet- traient au juge de première instance de prononcer un jugement favorable à l'intimé et de refuser de conclure à une tentative volontaire de se soustraire à l'impôt. L'intimé a produit ses déclarations de 1972, 1973 et 1978 sans qu'il soit nécessaire de le mettre en demeure de le faire. En ce qui concerne les déclarations portant sur les années d'imposition 1974, 1975, 1976 et 1977, l'intimé s'est conformé aux mises en demeure de produire une déclaration envoyées par le Ministre: pour chacune de ces années, la déclaration a été produite dans les deux mois qui ont suivi la réception de la mise en demeure. Les déclarations portant sur les années
d'imposition 1972 1978 ont toutes été produites dans l'année suivant la date fixée pour la produc tion et l'intimé a acquitté l'impôt payable de même que la pénalité prévue pour la production tardive lorsqu'il a produit les déclarations. L'intimé a spé- cifiquement nié avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt; il a nié aussi l'existence d'un plan destiné à le soustraire à l'imposition. En 34 ans, le Ministère n'a jamais mis en question la justesse ou l'exacti- tude des déclarations de l'intimé; il n'a jamais non plus porté contre ce dernier d'accusation criminelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Quoi- que les motifs prononcés par le juge de première instance soient très brefs, la phrase suivante: «Il ressort de la preuve présentée ... que le Ministre n'a pas fait la preuve des faits qui justifient l'impo- sition de la pénalité», constitue une indication qu'au vu de la preuve soumise, le juge a bien tiré la conclusion contraire à celle que propose l'appe- lante. Dans ces circonstances, je ne suis pas con- vaincu que cette conclusion tirée de l'ensemble de la preuve était injustifiée ou arbitraire. Pour ces
motifs, je rejetterais le premier des arguments subsidiaires présentés par l'appelante.
J'aborde maintenant ce que j'estime être le prin cipal argument que l'avocat de l'appelante a soumis dans sa plaidoirie en l'instance. Selon lui, le juge de première instance a appliqué aux faits de la cause un principe erroné. Selon l'avocat de l'appelante, la tentative de se soustraire à l'imposi- tion, infraction prévue au paragraphe 163(1), com- prend la tentative de se soustraire à l'imposition ou d'éluder le paiement de l'impôt de façon tempo- raire et il n'est pas nécessaire que cette manoeuvre soit faite dans le but d'éluder le paiement de l'impôt à tout jamais. Pour étayer cette opinion, l'avocat cite un extrait des motifs du juge Brown - ridge de la Cour d'appel dans l'affaire Paveley susmentionnée (page 6417): [TRADUCTION] «De la même façon, je ne suis pas convaincu qu'il n'y a pas d'évasion fiscale temporaire.» Il convient de noter d'abord qu'à cause des faits de cette dernière affaire, cet extrait n'est qu'un obiter dictum. Par suite de son omission de produire ses déclarations d'impôt pour trois années d'imposition après avoir été mis en demeure de le faire, une accusation fondée sur l'alinéa 239(1)d) de la Loi avait été portée contre l'intimé. C'est donc dire que l'affaire Paveley était un cas de non-production de déclara- tions tandis que la présente espèce est un cas de production tardive. De plus, l'extrait précité ne semble pas exprimer une opinion décisive. Pour ces motifs et comme les faits en l'instance diffèrent considérablement de ceux de l'affaire Paveley, pré- citée, l'argument fondé sur cet extrait ne saurait emporter la conviction de la Cour.
En exposant cet argument, l'avocat de l'appe- lante a soutenu que les mots «se soustraire» employés au paragraphe 163(1) sont synonymes du mot [TRADUCTION] «éviter». Cela, à mon avis, va à l'encontre de la jurisprudence, laquelle établit, en matière fiscale, une distinction entre le fait de se soustraire à l'imposition et celui de l'éviter'. La proposition de l'avocat de l'appelante implique aussi que l'on interprète le paragraphe 163 (1) comme si les mots «se soustraire» étaient suivis des mots [TRADUCTION] «pendant un certain temps»
5 Voir à titre d'exemple: The Queen v. Regehr (1968), 3 C.C.C. 72 (C.A. Yuk.); Ciglen c. La Reine, [1970] R.C.S. 804, à la p.812.
ou [TRADUCTION] «temporairement» ou d'autres mots de même nature. Il faudrait donc ajouter au paragraphe des mots qui n'y figurent pas. Dans l'affaire Magor et al. v. Newport Corporation 6 , la Chambre des lords a jugé que lorsque la Cour interprète une loi, son interprétation ne doit porter que sur les mots que le législateur a employés, que celle-ci n'a pas le pouvoir de combler les lacunes qu'elle détecte dans le texte et qu'agir de la sorte constituerait pour elle une usurpation des fonctions du législateur. Sur cette question, lord Simonds s'est exprimé ainsi à la page 191:
[TRADUCTION] La Cour est tenue d'interpréter les mots que le législateur a employés; il est possible que ces mots soient ambigus, mais, même lorsqu'ils le sont, le pouvoir et le devoir de la Cour de s'écarter du texte de la loi sont strictement limités ....
Plus loin dans ce jugement, il critique l'opinion que le lord juge Denning de la Cour d'appel a exprimée et selon laquelle la Cour, lorsqu'elle découvre l'in- tention du législateur et des ministres, doit com- bler les lacunes. Lord Simonds s'exprime ainsi à propos de cette opinion, à la page 191:
[TRADUCTION] Cela m'apparaît être, sous le mince prétexte de l'interprétation, une usurpation pure et simple des fonctions du législateur. Et cela se justifie d'autant moins quand la Cour doit deviner comment le législateur aurait comblé la lacune s'il l'avait découverte. Lorsqu'une lacune est décelée, c'est la modi fication législative qui est le remède.
Je suis donc arrivé à la conclusion qu'il faut aussi rejeter cet argument de l'appelante et que le juge de première instance n'a pas appliqué aux faits un principe erroné.
Comme je l'ai exprimé ci-dessus, j'estime que le texte du paragraphe 163(1) est clair et qu'il ne peut être interprété de la façon proposée par l'ap- pelante. Même en supposant que cette interpréta- tion est raisonnable, on ne pourrait encore donner raison à l'appelante parce que le paragraphe 163(1) impose une pénalité, et qu'à ce titre, il doit être interprété restrictivement et contre le fisc. Comme l'a affirmé lord Esher, M.R., dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester 7 la page 6381:
[TRADUCTION] S'il existe une interprétation raisonnable qui permette, dans un cas donné, d'éviter la pénalité, il faut l'adop- ter. S'il existe deux interprétations raisonnables, il faut adopter la plus clémente.
6 [1952] A.C. 189. 7 (1887), 19 Q.B.D. 629.
Pour tous les motifs exprimés ci-dessus, je suis d'avis qu'il faut rejeter l'appel et annuler la nou- velle pénalité imposée à l'intimé en vertu du para- graphe 163 (1) pour l'année d'imposition 1977.
LE CONTRE-APPEL
Le juge de première instance a condamné l'in- timé aux dépens malgré le fait que le jugement au fond ait été prononcé en faveur de ce dernier. Le juge a justifié sa décision sur les dépens comme suit:
[TRADUCTION] Considérant tous les faits mis en preuve et la conduite du demandeur, il s'agit en l'espèce d'un cas il convient de condamner le demandeur aux dépens. Le jugement accordera donc les dépens à la défenderesse contre le deman- deur; ce dernier sera tenu de payer à la défenderesse les frais de cet appel.
En toute déférence, je ne puis trouver aucune justification à la décision qu'a prise le juge, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur les dépens, d'adjuger ceux-ci en faveur de l'appelante et contre l'intimé malgré qu'au fond, il ait donné raison à ce dernier. La Règle 344(1) de la Cour fédérale prévoit que:
Règle 344. (I) Les dépens et autres frais de toutes les procédures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire ...
Les divers autres paragraphes de la Règle 344 précisent les circonstances qui peuvent donner lieu à une décision prescrivant qu'il ne sera pas accordé de dépens à la partie en faveur de qui le jugement a été prononcé ou adjugeant les dépens contre cette partie. Cependant, toutes ces circonstances sans exception ont trait au déroulement de la poursuite et non à ce qui a précédé le début de l'action. Rien dans la preuve soumise en l'instance n'établit que l'intimé s'est comporté pendant l'ac- tion d'une façon telle qu'il serait justifié d'adjuger les dépens contre lui. Sa coopération a été com- plète tout au long de l'action: il a accepté que soit produit à l'instruction un exposé conjoint des faits et a témoigné lors de l'instruction même si c'est le Ministre qui avait la charge de la preuve. Il ressort clairement de l'extrait de la décision du juge de première instance (cité ci-dessus) que ce qu'il sanctionnait en adjugeant les dépens contre l'in- timé, c'était la conduite de l'intimé consistant à
produire tardivement, à plusieurs reprises, ses déclarations d'impôt, ce qui, avait-il conclu aupa- ravant, n'enfreignait pas le paragraphe 163(1). L'effet de cette décision était d'imposer à l'intimé une pénalité que ni la Loi de l'impôt sur le revenu ni les Règles de cette Cour n'autorisaient.
En conséquence, j'accueillerais le contre-appel avec dépens et annulerais l'adjudication des dépens, en première instance, à l'appelante et contre l'intimé. J'adjugerais à l'intimé et contre l'appelante les dépens en première instance et en appel.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces motifs.
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