T-5381-81
Blossom Patricia Reece (requérante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Guy
Bachand, en sa qualité de chef du Service de
l'immigration canadienne et le solliciteur général
adjoint du Canada (intimés)
et
D. Lapointe en sa qualité d'agent d'immigration
(mise-en-cause)
Division de première instance, juge Walsh—
Montréal, 14 décembre; Ottawa, 21 décembre
1981.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus,
prohibition — Demande de résidence permanente faite à l'inté-
rieur du Canada — Demande parrainée par le mari de la,
requérante, citoyen canadien — Expiration du visa de visiteur
de la requérante — La requérante reçoit de l'agent d'immigra-
tion une lettre l'informant qu'en vertu de l'art. 9 de la Loi, sa
demande de résidence permanente ne pouvait être prise en
considération au Canada, et que comme elle ne justifiait
d'aucun statut, un rapport serait établi conformément à l'art.
27(2)e) de la Loi — En vertu de l'art. 9, les visiteurs doivent
demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point
d'entrée — La, requérante sollicite un bref de mandamus
ordonnant au Ministre de rendre une décision sur la demande
pendante, et un bref de prohibition interdisant la tenue d'une
enquête visée à l'art. 27(3) de la Loi jusqu'à ce qu'une décision
ait été rendue à l'égard de la demande — Il échet d'examiner
si la lettre constitue une décision au fond sur la demande —
La Loi autorise-t-elle l'examen d'une demande parrainée faite
à l'intérieur du Canada? — La lettre vaut refus de prendre la
demande en considération — Un tel refus n'est pas susceptible
d'appel — Rien n'oblige à instruire une telle demande lors-
qu'elle n'a pas été faite à l'étranger — La demande de bref de
mandamus est rejetée — Il n'y a donc pas lieu à bref de
prohibition — La prohibition n'est pas conçue pour empêcher
un fonctionnaire d'exécuter un devoir qui lui est imposé par la
loi — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art.
6(1), 9(1), 27(2)e), 79(1),(2)b), 115(2) — Règlement sur l'immi-
gration de 1978, DORS/78-172, art. 19(3)e), 41(1),(2).
Jurisprudence: décisions appliquées: Gressman c. La
Reine, Cour fédérale, T-5078-78, jugement en date du 9
janvier 1979; Haywood c. Le ministre d'Emploi et Immi
gration Canada, Cour fédérale, T-2904-78, jugement en
date du 14 août 1978; In re la Loi sur l'immigration et in
re McCarthy [1979] 1 C.F. 128; Lawrence c. Le ministre
de l'Emploi et de l'Immigration [1980] 1 C.F. 779. Déci-
sions mentionnées: Le ministre de la Main-d'œuvre et de
l'Immigration c. Tsakiris [1977] 2 C.F. 236; 73 D.L.R.
(3') 157; Samra c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration [1981] 1 C.F. 626; (1980) 110 D.L.R. (3 e ) 693;
Taabea c. Le comité consultatif sur le statut de réfugié
[1980] 2 C.F. 316.
DEMANDES.
AVOCATS:
J. Westmoreland -Traoré pour la requérante.
N. Lemyre pour les intimés.
PROCUREURS:
J. Westmoreland -Traoré & Ass., Montréal,
pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La requérante sollicite un
bref de mandamus enjoignant au ministre de
l'Emploi et de l'Immigration de rendre une déci-
sion sur sa demande pendante de résidence perma-
nente et, accessoirement, un bref de prohibition
interdisant la tenue d'une enquête, à quelque
moment que ce soit, jusqu'à ce qu'une décision ait
été rendue à l'égard de sa demande parrainée de
résidence. La requête initiale visait CLAUDE
GRISSE en sa qualité de directeur de l'exécution de
la loi, Centre d'immigration du Canada, 980, rue
Guy, Montréal (Québec), mais comme il a été
établi entre-temps que c'est GUY BACHAND, chef
du Service de l'immigration canadienne, rue Jean-
Talon, Montréal, qui avait signé l'ordre d'enquête,
en application du paragraphe 27(3) de la Loi sur
l'immigration de 1976', la requête a été modifiée
à l'ouverture de l'audition pour le citer comme
intimé au lieu de CLAUDE GRISSE. L'intitulé de la
cause a été modifié en conséquence. Une deuxième
modification a été autorisée de manière à rempla-
cer, au paragraphe 4(ii) des conclusions de la
requête, les mots [TRADUCTION] «prévue pour le
10 novembre 1981» par [TRADUCTION] «à quelque
moment que ce soit, à la suite du rapport en date
du 21 octobre 1980 de l'agent d'immigration supé-
rieur E. Gilbert» car, bien que la date prévue pour
l'enquête fût reportée du 10 novembre 1981 au 14
décembre 1981, la requête devait être entendue à
cette dernière date, qui eût expirée avant qu'un
jugement ne pût être rendu. Il ressort de l'affidavit
déposé par la requérante à l'appui de sa demande
qu'elle est arrivée au Canada le 24 août 1979 en
S.C. 1976-77, c. 52.
qualité de visiteuse, et que son permis de séjour a
été prorogé à plusieurs reprises. Le 7 septembre
1979, elle épouse à Toronto un citoyen canadien,
Richard Boyd, qui, le 11 septembre, fait savoir aux
services d'immigration qu'il désire parrainer la
demande de résidence permanente au Canada de
la requérante. Un enfant est né du mariage le 24
mars 1981. Le 21 janvier 1980 ou vers cette date,
l'époux signe un engagement à l'effet de parrainer
la demande de résidence permanente de la requé-
rante et d'une fille de cette dernière, née le 26 avril
1968. La requérante reçoit à la même époque un
permis de travail. Elle soumet sa propre demande
écrite de résidence permanente et passe la visite
médicale. La dernière prorogation de son visa
expire le 30 avril 1980. Vers février 1981, le
service d'immigration de Toronto transmet son
dossier à celui de Montréal. En mai 1980, son
époux reprend ses études au collège George Brown
de Toronto. C'est pour cette raison et aussi à cause
de sa grossesse qu'elle demeurait à Montréal chez
son frère, son époux lui rendant visite chaque fois
qu'il le pouvait. En juin 1981, elle reçoit de l'agent
d'immigration D. Lapointe une lettre l'informant
que, l'article 9 de la Loi prévoyant qu'une
demande doit être faite à l'étranger, sa demande
ne pouvait être prise en considération au Canada,
et que comme elle ne justifiait d'aucun statut dans
ce pays, un rapport serait établi conformément à
l'alinéa 27(2)e). Le paragraphe 9(1) porte:
9. (1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout
immigrant et tout visiteur doivent demander et obtenir un visa
avant de se présenter à un point d'entrée.
Le paragraphe 27(2) porte:
27....
(2) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en posses
sion de renseignements indiquant qu'une personne se trouvant
au Canada, autre qu'un citoyen canadien ou un résident
permanent,
e) est entrée au Canada en qualité de visiteur et y demeure
après avoir perdu cette qualité,
doit adresser à ce sujet un rapport écrit et circonstancié au
sous-ministre, à moins que la personne concernée n'ait été
arrêtée sans mandat et détenue en vertu de l'article 104.
Dans son affidavit, la requérante affirme encore
que ce serait pour elle une dure épreuve que
d'avoir à se séparer de son mari, à quitter le
Canada et à retourner à la Jamaïque où elle n'a
plus sa maison, qu'en raison du bas âge de son fils,
qui est citoyen canadien de naissance, elle aurait à
l'emmener avec elle, qu'il lui serait pratiquement
impossible de trouver du travail à la Jamaïque et
qu'elle encourrait de grosses dépenses si elle devait
y retourner en attendant l'issue de sa demande de
visa d'immigration au Canada. La requérante con-
clut en affirmant qu'elle n'a pas reçu de décision à
l'égard de sa demande parrainée de résidence per-
manente au Canada, demande qui est toujours en
souffrance et en sollicitant un bref de mandamus
par ce motif que la décision de procéder à une
enquête est ultra vires et fondée sur une erreur de
droit ressortant du dossier, erreur qui consistait à
juger que la Loi sur l'immigration de 1976 n'auto-
rise pas l'examen d'une demande parrainée, faite à
l'intérieur du Canada. La requérante soutient aussi
qu'elle est traitée de façon injuste en ce qu'elle est
convoquée à une enquête avant qu'une décision
n'ait été prise à l'égard de sa demande de résidence
et, également, de façon arbitraire et discrimina-
toire, puisque sa demande parrainée de résidence
permanente n'a pas été instruite de la même
manière que dans les autres cas identiques de
membres de la catégorie de la famille.
Les deux parties ont longuement débattu la
question de savoir si oui ou non, la lettre de Mme
Lapointe constituait une décision puisqu'elle ne
faisait qu'informer la requérante qu'il ne serait pas
donné suite à sa demande de résidence permanente
au Canada. La décision Lawrence c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration 2 a été invoquée à ce
sujet. Les faits de cette cause sont quelque peu
différents: Mme Lawrence parrainait la demande
de son époux, qui eût été inadmissible, mais ce
dernier n'a pas fait sa propre demande. La lettre
envoyée à cette occasion précisait que la loi n'auto-
risait pas l'agent d'immigration à prendre en consi-
dération un engagement séparément de la
demande d'admission formulée par l'époux, cette
demande ne pouvant être faite qu'à un bureau des
visas à l'étranger, ce qui fait que le parrainage ne
saurait être pris en considération tant que le mari
de la requérante n'aura pas fait cette demande. A
été également invoquée la décision Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration c. Sleiman, rendue
par la Commission d'appel de l'immigration le 26
2 [1980] 1 C.F. 779.
février 1979 sous le numéro V78-6209, à la suite
de l'appel formé par Mme Sleiman contre la déci-
sion du Ministère qui a rejeté, par lettre comme en
l'espèce, sa demande de parrainage en faveur de
son époux. Le Ministre soutenait que la Commis
sion d'appel de l'immigration n'avait pas compé-
tence pour connaître de l'appel interjeté par Mme
Sleiman en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi,
puisqu'il n'y avait pas eu rejet de la demande de
droit d'établissement de l'époux, et que l'engage-
ment d'un répondant ne pouvait être pris en consi-
dération en l'absence d'une demande d'admission
faite conformément à l'article 9 de la Loi. La
Commission reconnaissait qu'elle n'avait pas com-
pétence pour entendre l'appel formé par la répon-
dante en faveur de son époux. Comme le juge
suppléant Smith l'a souligné dans l'affaire Law-
rence, pareil appel eût été vain de la part de Mme
Lawrence. Il a toutefois ajouté cette précision à la
page 786:
Ce que les requérants veulent obtenir en l'espèce est une
décision du Ministère sur la demande de résidence permanente
de Donald Wayne Lawrence. La lettre du 21 décembre 1979 ne
tranche pas cette question, mais refuse simplement de donner
suite à la demande de parrainage de l'intéressée jusqu'à ce que
son mari ait fait une demande de résidence permanente au
Canada à un des bureaux des visas du Canada à l'étranger.
[C'est moi qui souligne.]
Aux pages 788 et 789, il s'exprime en ces termes:
A mon avis, il doit être donné suite à la demande de
parrainage de la demande de son mari présentée par Mme
Lawrence. Une fois la demande de M. Lawrence rejetée,—ce
qui, en droit, sera probablement la décision rendue,—ladite
demande de parrainage pourra être rejetée, au motif qu'en
vertu de l'article 79(1)b), l'intéressé ne satisfait pas aux exigen-
ces de la Loi ou de ses Règlements. Une des exigences prescri-
tes par la Loi est en effet que celui-ci doit demander et obtenir
un visa à un bureau des visas à l'étranger.
Le Ministère a envers M. Lawrence un devoir d'équité.
Compte tenu de l'existence de considérations humanitaires ou
de compassion qui pourraient peut-être justifier l'octroi du droit
d'établissement, ce devoir signifie que le Ministère devrait
statuer sur la demande de ce dernier. En outre, puisque M.
Lawrence est obligé, en vertu de l'avis d'interdiction de séjour
qui a été émis contre lui, de quitter le Canada au plus tard le 1"
avril 1980, la décision devrait être prise dans les meilleurs
délais. En toute justice, cette décision devrait du reste interve-
nir assez tôt pour que ses droits d'appel et ceux de son
répondant ne soient pas compromis. Une ordonnance sera
rendue à cet effet.
Selon l'affidavit de Mme Lapointe, sa demande a
été instruite au Canada et les autorités compéten-
tes ont conclu qu'elle ne devait pas faire l'objet
d'une recommandation faite à l'intérieur du
Canada, mais selon la lettre du Ministère, la loi
n'autorise pas qu'une demande, comme celle de la
requérante, soit faite à l'intérieur du Canada, bien
que cette dernière ait épousé un citoyen canadien
après son arrivée dans ce pays et qu'elle y ait
donné naissance à un enfant issu de ce mariage.
L'avocat de la requérante cite le paragraphe 6(1)
de la Loi, qui prévoit ce qui suit:
6. (1) Sous réserve de la présente loi et des règlements, tout
immigrant, notamment un réfugié au sens de la Convention,
une personne appartenant à la catégorie de la famille et un
immigrant indépendant, peut obtenir le droit d'établissement
s'il établit à la satisfaction de l'agent d'immigration qu'il
répond aux normes réglementaires de sélection fixées en vue de
déterminer l'aptitude des immigrants à s'établir avec succès au
Canada.
L'avocat de la requérante fait remarquer qu'elle
est devenue une personne appartenant à la catégo-
rie de la famille après avoir été admise au Canada
à titre de visiteuse et pendant que son permis était
encore valide; il fait valoir qu'on peut conclure du
libellé de ce paragraphe que la demande pouvait
être faite, dans les circonstances, à l'intérieur du
Canada.
Pour ce qui est de l'applicabilité du paragraphe
9(1) de la Loi, la requérante se fonde sur le
membre de phrase «Sous réserve des dispositions
réglementaires» pour faire valoir qu'il existe des
cas où la demande peut être faite après le passage
par un point d'entrée. Elle cite également le para-
graphe 115(2) de la Loi, que voici:
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être
dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe (1)
ou que son admission devrait être facilitée pour des motifs de
politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le
gouverneur en conseil peut, par règlement, dispenser cette
personne du règlement en question ou autrement faciliter son
admission.
La requérante soutient que son cas appelle des
considérations d'ordre humanitaire qui justifie-
raient l'instruction de sa demande, et fait état des
arrêtés d'exemption à l'égard des règlements qui
paraissent régulièrement dans la Gazette du
Canada. Elle fait valoir que si, comme l'indique
l'affidavit de Mme Lapointe, il y a eu effectivement
instruction de sa demande malgré la lettre du 29
mai 1981 par laquelle Mme Lapointe l'a informée
qu'elle ne saurait donner suite à une telle demande
faite à l'intérieur du Canada, ce qui est certaine-
ment contradictoire, l'instruction n'a pas été faite
de façon équitable, puisque la requérante n'a pas
eu l'occasion de se faire entendre, de corriger ou
d'expliquer toute erreur ou tout malentendu quant
à ses lieux de résidence, quant à ses rapports avec
son époux, etc., autant d'éléments qui semblent
avoir été pris en considération. La requérante fait
valoir que la tenue, à ce stade, d'une enquête
fondée sur l'article 27 aurait pour effet de la priver
de tout droit d'appel, puisque la seule conclusion à
tirer serait qu'elle était entrée au Canada à titre de
visiteuse et y était demeurée après avoir perdu
cette qualité, ce qui est vrai d'ailleurs, et que selon
la décision Sleiman (précitée), il n'y avait pas lieu
à appel en pareil cas. Dans Jean c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, n° M79-1219, du 16
janvier 1981 où il s'agissait, à la différence de la
cause en instance, de l'appel formé par le répon-
dant devant la Commission d'appel de l'immigra-
tion, il a été jugé que, malgré le droit d'appel prévu
par le paragraphe 79(2) contre une lettre plus ou
moins similaire à celle que recevait la requérante
en l'espèce, le Ministère était en droit de se fonder
sur le paragraphe 9(1) de la Loi pour rejeter la
demande de parrainage puisque cette disposition
était absolue et qu'on ne pouvait y déroger par un
mariage valide et contracté de bonne foi. La Com
mission a toutefois envisagé d'appliquer l'alinéa
79(2)b), mais a conclu qu'il n'existait aucune
considération d'ordre humanitaire justifiant une
mesure spéciale. La requérante soutient qu'elle a le
droit de demander une instruction de sa demande
à la lumière de ces considérations, mais qu'elle en
sera privée si l'enquête fondée sur l'alinéa 27(2)e)
n'est pas interdite et s'il n'y a pas décision après
instruction au fond de sa demande de résidence
permanente, décision dont elle pourrait interjeter
appel. Il y a lieu toutefois de noter que l'article 79
prévoit l'appel interjeté par le répondant, et que
l'époux de la requérante, qui parrainait sa
demande, n'est ni requérant ni corequérant en
l'espèce.
Le litige porte principalement sur la question de
savoir si la lettre du 29 mai 1981 vaut instruction
de la demande ou simplement refus de la prendre
en considération, cette dernière hypothèse parais-
sant la plus probable, comme l'a conclu le juge
suppléant Smith dans l'affaire Lawrence (susmen-
tionnée), à propos d'une lettre similaire. Le Minis-
tre lui-même avait fait cette affirmation à propos
d'une lettre similaire, dans l'exception d'incompé-
tence opposée à l'appel de Sleiman, affirmation
qui a été reprise à la page 2 de la décision en la
matière de la Commission d'appel de l'immigra-
tion: [TRADUCTION] «Ni la lettre en date du ler
décembre 1978 Roxanne Sleiman ni la lettre en
date du l er décembre 1978 Mohammed Sleiman
n'était un avis de rejet d'une demande de droit
d'établissement.» Il se trouve cependant que dans
l'affaire Jean (précitée) entendue quelque dix-neuf
mois après, la Commission d'appel de l'immigra-
tion a conclu qu'une lettre semblable valait une
décision susceptible d'appel. J'ai du mal à conclure
que la lettre constitue en soi une décision; il s'agit
plutôt d'une simple déclaration de non-recevabi-
lité.
L'intimé fait valoir en outre que si le paragraphe
115(2) de la Loi (précité) habilite le gouverneur en
conseil à exempter, par règlement, une personne de
l'application de tout règlement pris en application
du paragraphe (1), il n'autorise pas et ne peut pas
autoriser l'adoption de règlements pour exempter
qui que ce soit de l'application de quelque article
que ce soit de la Loi. Qui plus est, dit l'avocat de
l'intimé, la requérante n'a pas encore demandé
l'application de la dernière partie du paragraphe
115(2) de la Loi en vue de son admission pour des
raisons humanitaires, lequel paragraphe pourrait
très bien s'appliquer à son cas.
A l'appui de sa thèse voulant que la lettre
portant refus d'instruire la demande ne constitue
pas une décision à l'égard de cette demande, l'avo-
cat de la requérante invoque, par analogie, divers
articles de la Loi. Le paragraphe 79(1) en matière
d'appels par des répondants prévoit que «Le répon-
dant doit être alors informé des motifs du rejet.»
C'est seulement en cas d'appel interjeté par un
répondant que cette disposition prévoit la si
gnification des motifs du rejet, alors qu'il s'agit en
l'espèce du refus d'entendre une requérante qui a
fait sa demande à l'intérieur du Canada. Les para-
graphes 41(1) et (2) du Règlement sur l'immigra-
tion de 1978, DORS/78-172, prévoient que lors-
qu'un agent d'immigration rejette une demande
parrainée de droit d'établissement, présentée par
une personne appartenant à la catégorie de la
famille, il doit rédiger un résumé des renseigne-
ments sur lesquels se fondent les raisons de son
rejet et informer, par écrit, le répondant de son
droit, s'il est citoyen canadien, d'interjeter appel à
la Commission en vertu du paragraphe 79(2) de la
Loi. Il y a lieu cependant de noter que ce règle-
ment prévoit la procédure à suivre lorsqu'une
demande parrainée a été instruite au fond et reje-
tée, et qu'il ne prévoit nullement le droit à l'audi-
tion de pareille demande, audition qui, selon l'in-
timé, ne peut avoir lieu que si la demande de
résidence permanente a été faite à l'étranger. La
requérante soutient en outre que, par analogie, la
lettre portant refus d'instruire la demande ne sau-
rait être considérée comme une décision, puis-
qu'une décision doit être motivée en prévision d'un
appel proprement interjeté (voir, dans un autre
contexte, Taabea c. Le comité consultatif sur le
statut de réfugié 3 ). Toujours selon la requérante,
la lettre du 29 mai 1981 ne fait qu'annoncer
l'établissement d'un rapport fondé sur l'alinéa
27(2)e) pour justifier la fixation des dates de
l'enquête. Il convient de noter toutefois que le
membre de phrase suivant qu'on peut lire dans
cette lettre: [TRADUCTION] «Comme vous vous
trouvez actuellement au Canada sans aucune qua-
lité», donne l'explication du rapport, et que cette
lettre explique aussi l'irrecevabilité de la demande
par le fait qu'elle ne pouvait se faire qu'à un
bureau à l'étranger.
La requérante soutient que le rapport susmen-
tionné n'est nullement justifié, puisqu'en applica
tion du règlement 19(3)e), elle a obtenu un permis
de travail, étant devenue une personne ayant une
demande pendante de droit d'établissement. Le
fait d'obtenir un permis de travail provisoire ne
donne aucun droit au statut d'immigrant reçu,
puisque ce permis pourrait être révoqué à l'issue de
l'instruction de la demande en cours. Il n'ajoute
rien non plus à l'argument selon lequel la demande
n'a pas été réglée par la lettre du 29 mai 1981.
Bref, bien que j'aie conclu que la lettre dont s'agit
ne constituait pas une décision au fond susceptible
d'appel, j'estime que rien n'oblige à instruire une
telle demande lorsqu'elle n'a pas été faite à
l'étranger.
Malgré l'iniquité de la décision qui déclarait
irrecevable sa demande de droit d'établissement
faite à l'intérieur du Canada, longtemps après que
3 [1980] 2 C.F. 316.
la requérante eut obtenu à plusieurs reprises la
prorogation de son visa de visiteuse, pour une
période totale dépassant un an et demi, et qu'elle
eut obtenu un permis de travail dans l'intervalle, la
Cour ne peut tenir compte de cette circonstance,
mais doit se limiter à décider si en fait, cette
décision a été rendue régulièrement et conformé-
ment à la loi et aux règlements.
La demande en bref de mandamus doit donc
être rejetée. Le fait que la requérante ne puisse
faire appel pour demander à la Commission d'ap-
pel de l'immigration de conclure, en vertu de l'ali-
néa 79(2)b), à l'existence de considérations d'ordre
humanitaire qui justifieraient une mesure spéciale,
n'interdit pas au gouverneur en conseil d'exercer le
pouvoir, qu'il tient du paragraphe 115(2) (susmen-
tionné), de faciliter son admission en raison des
considérations d'ordre humanitaire, si elle en fait
la demande. Puisque je ne suis pas saisi de cette
question, je ne me prononcerai pas sur la bonne
interprétation du paragraphe 115(2). L'avocat de
l'intimé fait valoir que le gouverneur en conseil
peut, par règlement, exempter une personne de
tout règlement pris en vertu du paragraphe (1),
mais qu'il ne peut la dispenser de l'observation des
dispositions de la Loi. Dans la seconde partie du
paragraphe (2), l'expression «faciliter [l']admis-
sion» est modifiée par l'adverbe «autrement», et,
comme le souligne l'avocat de la requérante, des
exemptions sont fort fréquentes.
Le second remède sollicité par la requérante est
un bref de prohibition interdisant la tenue d'une
enquête jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue à
l'égard de sa demande parrainée de résidence. La
demande en bref de mandamus ayant été rejetée,
j'estime qu'il n'y a pas lieu à bref de prohibition.
Quoi qu'il en soit, le juge Pratte s'est prononcé en
ces termes à propos d'articles de la Loi et du
Règlement anciens, qui, à cet égard, ne diffèrent
pas considérablement de la Loi actuelle, dans Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
c. Tsakiris 4 , à la page 238 [Recueils de la Cour
fédérale] :
Une fois qu'un rapport en vertu de l'article 22 a été établi au
sujet d'une personne cherchant à obtenir (ou considérée comme
cherchant à obtenir) son admission au Canada, l'article 23(2)
prévoit que l'enquêteur spécial, à moins qu'il ne décide d'ad-
mettre cette personne, doit tenir une «enquête immédiate». Je
[1977] 2 C.F. 236; 73 D.L.R. (39 157.
ne vois rien dans la Loi qui laisse supposer qu'une demande de
parrainage présentée en vertu de l'article 31(1)h) du Règle-
ment relève l'enquêteur spécial du devoir que lui impose la loi
ou le prive de son pouvoir de tenir l'enquête. La situation serait
la même si la décision de tenir l'enquête avait été prise en vertu
de l'article 25 conformément à un rapport prévu par l'article
18. Il me paraît évident qu'une demande présentée par un
parrain n'a pour effet ni de priver le directeur de son pouvoir
d'ordonner la tenue d'une enquête en vertu de l'article 25 ni de
relever l'enquêteur spécial de son devoir de tenir une telle
enquête une fois qu'elle a été ordonnée.
Même si cela est suffisant pour disposer du présent appel, je
ne puis m'empêcher de faire observer, avant de conclure, que
l'avocat des intimés ne semblait pas comprendre parfaitement
la véritable nature d'un bref de prohibition. Le bref de prohibi
tion permet d'éviter qu'un tribunal d'instance inférieure n'ex-
cède sa juridiction; il ne doit donc pas être confondu avec une
injonction ou une simple suspension des procédures.
Voir aussi le jugement Gressman c. La Reine
rendu le 9 janvier 1979 sous le numéro T-5078-78,
où le juge suppléant Smith s'est prononcé en ces
termes à la page 5:
[TRADUCTION] La prohibition est un recours par lequel une
cour supérieure empêche une instance inférieure, un office ou
une commission de prendre une mesure qu'il n'a pas le pouvoir
de prendre, en d'autres mots de commettre un excès de pouvoir.
La prohibition n'est pas conçue, et il n'est pas pertinent de
l'utiliser, pour empêcher une instance inférieure ou un fonction-
naire d'exécuter, de façon normale, un devoir qui lui est imposé
par la loi, ce qui est le cas en l'espèce.
Mon collègue le juge Marceau a tiré la même
conclusion dans Haywood c. Le ministre d'Emploi
et Immigration Canada*, jugement rendu le 14
août 1978 sous le numéro T-2904-78, comme suit:
[TRADUCTION] La demande de parrainage présentée le 22 juin
1978 par l'épouse du requérant ne saurait d'elle-même ou par le
jeu d'une ordonnance de la Cour, avoir pour effet de libérer le
mis-en-cause de l'obligation, que lui impose la loi, de procéder à
l'enquête spéciale ouverte le 4 juin 1978.
Dans l'affaire Samra c. Le ministre de l'Emploi et
de l'Immigrations, où un bref de prohibition a été
sollicité pour interdire la poursuite de l'enquête
fondée sur l'alinéa 27(2)e) de la Loi en attendant
l'issue de l'appel formé devant la Commission
d'appel de l'immigration par la répondante du
requérant, référence a été faite, à la page 630
[Recueils de la Cour fédérale], à la décision In re
la Loi sur l'immigration et in re McCarthy [1979]
1 C.F. 128, où, à la page 130, le juge Cattanach a
* [Motifs du jugement non fournis—l'arrêtiste.]
5 [1981] 1 C.F. 626; (1980) 110 D.L.R. (3') 693.
décidé qu'une enquête prévue par la Loi était de
nature administrative et non judiciaire ou quasi
judiciaire et que, par conséquent, il n'y avait pas
lieu de décerner un bref de prérogative tel que le
bref de prohibition, pour empêcher l'exercice d'un
pouvoir administratif ou discrétionnaire. A la
lumière de cette décision et d'autres citées, le bref
de prohibition sollicité dans l'affaire Samra a été
refusé.
Par ces motifs, la demande en bref de prohibi
tion doit être également rejetée.
ORDONNANCE
Les demandes en bref de mandamus et en bref
de prohibition présentées par la requérante sont
rejetées avec dépens sur demande.
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