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A-46-82
L'Association des économistes, sociologues et sta- tisticien(ne)s (requérante)
c.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique (intimée)
Cour d'appel, juges Heald et Urie, juge suppléant Kerr—Ottawa, 23 et 24 septembre 1982.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Fonction publique Compte tenu de l'art. 7 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, qui confère au Conseil du Trésor le pouvoir exclusif de classer les postes, la C.R.T.F.P. a-t-elle compétence pour ajouter à une convention collective des clauses portant sur le déclassement de postes et sur le droit des employés de refuser de travailler? Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 7, 70(1) Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7(1) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision arbitrale de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. La commission d'arbitrage a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour ajou- ter les conditions de travail suivantes:
a) le maintien des anciens taux de rémunération après le déclassement de certains postes;
b) le droit d'un employé de s'absenter du travail lorsqu'il a de bonnes raisons de croire que ses fonctions constituent un danger pour sa santé ou sa sécurité;
c) le droit d'un employé de refuser, sans s'exposer à des
mesures disciplinaires, de faire le travail d'employés en grève.
Arrêt: l'appel est accueilli à l'égard du point a). Une clause qui se rapporte aux taux de rémunération des employés touchés par la reclassification à un niveau inférieur n'empiète pas sur le pouvoir exclusif de classifier ou de reclassifier que l'article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique confère au Conseil du Trésor. La clause en question vise directement les «taux de rémunération» et à ce titre relève de la compétence d'une commission d'arbitrage.
L'appel est rejeté à l'égard des points b) et c). La clause visée au point b) porte essentiellement sur les conditions d'emploi relatives à l'hygiène et à la sécurité au travail. Bien que la clause visée au point c) soit liée à la sévérité des mesures disciplinaires qui peuvent être prises, au fond, elle ne relève pas de l'article 70.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
La Reine c. L'Alliance de la Fonction publique du Canada, [1980] 1 C.F. 801 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
La Reine c. L'Alliance de la Fonction publique du Canada, [1981] 2 C.F. 625 (C.A.).
AVOCATS:
Catherine H. MacLean pour la requérante. John E. McCormick pour l'intimée.
Joseph A. Pethes pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour la requérante. John E. McCormick, Ottawa, pour l'intimée. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision arbitrale de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique en date du 14 décembre 1981. La décision arbitrale se rapporte à un différend mettant en cause l'Asso- ciation des économistes, sociologues et statisticien- (ne)s (A.E.S.S.), la requérante en l'espèce, et Sa Majesté du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor. La commission d'arbitrage a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour tran- cher certaines questions dont elle avait été saisie par la requérante. Ces questions concernent les clauses suivantes:
a) La clause 16.08 proposée et les notes 10 14 sur la rémunération jointes en annexe;
b) La clause 25.01 proposée; et
c) Les clauses 30.02 et 30.03 proposées.
La requérante conteste les parties de la décision arbitrale portant sur ces clauses, d'où la présente demande fondée sur l'article 28.
a) La clause 16.08 proposée et les notes 10 14 sur la rémunération jointes en annexe
Les avocats des parties reconnaissent que la
situation des notes 10 14 sur la rémunération jointes à la clause 16.08 est identique à celle de ladite clause 16.08 et que la décision de la Cour relativement à cette clause s'appliquera tout autant aux notes sur la rémunération. J'aborde maintenant la clause 16.08 proposée, dont voici le texte:
16.08 Les employés dont le poste a été déclassé par suite de la reclassification du groupe des ES le 1" juillet 1981 doivent être payés au taux de rémunération de leur ancien niveau figurant à l'Appendice A jusqu'à ce que ce poste soit vacant.
La Commission se prononce ainsi sur cette ques tion (Dossier conjoint, page 079):
La commission est d'avis que le sujet de la nouvelle clause 16.08 proposée par l'Association ne ferait pas partie du champ d'application de l'article 70 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et qu'une commission d'arbitrage n'est donc pas habilitée à trancher cette question. Bien que l'Association prétende que sa proposition porte sur ]'»adminis- tration des salaires», celle-ci a pour objet essentiel de limiter les effets d'une reclassification à un niveau inférieur des postes d'employés particuliers. L'article 7 de la Loi établit le pouvoir exclusif du Conseil du Trésor de classifier les postes de la Fonction publique, et une décision arbitrale ne peut empiéter sur ce pouvoir en modifiant les effets de la classification (ou de la reclassification). Il peut être signalé que le Conseil du Trésor a établi un Règlement concernant la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition (sous-chapitre 510-1 du Manuel de gestion du personnel, 20 septembre 1978), dont la Partie I contient des dispositions sur les «titulaires de postes reclassifiés dans un groupe et (ou) à un niveau dont le taux de rémunération maximal est inférieur à celui de l'ancien groupe ou niveau».
Je suis d'accord avec la Commission que, si elle a compétence relativement à la clause 16.08, ce ne peut être qu'en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35. Ce paragraphe dispose:
70. (1) Sous réserve du présent article, une décision arbitrale peut statuer sur les taux de traitement, les heures de travail, les droits à des congés, les normes disciplinaires et autres condi tions d'emploi qui s'y rattachent directement.
Dans le passage précité tiré de ses motifs, la Commission mentionne également l'article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. En voici le texte:
7. Rien dans la présente loi ne doit s'interpréter comme portant atteinte au droit ou à l'autorité que possède l'employeur de déterminer comment doit être organisée la Fonction publi- que, d'attribuer des fonctions aux postes et de classer ces derniers.
La Commission a conclu que la clause 16.08 s... a pour objet essentiel de limiter les effets d'une reclassification à un niveau inférieur des postes d'employés particuliers» et que, puisque l'article 7 confère au Conseil du Trésor le pouvoir exclusif de classifier les postes de la Fonction publique, une décision arbitrale qui modifie les effets de la classi fication ou de la reclassification empiète sur ce pouvoir. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de ce point de vue. Je ne suis pas d'accord qu'une disposition comme la clause 16.08 qui se rapporte incontestablement aux taux de rémunération des
employés touchés par la reclassification à un niveau inférieur, empiète sur le pouvoir exclusif du Conseil du Trésor de classifier ou de reclassifier. Une réduction du traitement n'est qu'une des con- séquences que pourra entraîner une reclassification à un niveau inférieur. Comme l'a fait remarquer l'avocat de la requérante, il y a un bon nombre d'autres possibilités, dont la perte des avantages qui se rattachent au poste classifié au niveau supé- rieur'. Mais ces conséquences ne portent nulle- ment atteinte au droit du Conseil du Trésor de reclassifier. Je partage l'avis de l'avocat de la requérante que le paragraphe 7(1) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, établit une ligne de démarcation nette entre le pouvoir du Conseil du Trésor de classifier les postes d'une part et son pouvoir de déterminer et réglementer les traitements d'autre part. L'alinéa 7(1)c) habilite le Conseil du Trésor à: «prévoir la classification des postes et des employés au sein de la fonction publique» tandis que l'alinéa 7(1)d) l'investit du pouvoir de: «déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique en retour des services rendus, la durée du travail et les congés de ces personnes ainsi que les questions connexes». Le simple fait qu'une reclassification entraîne entre autres choses la modification des taux de rémuné- ration ne suffit pas, selon moi, pour enlever à une commission d'arbitrage la compétence que lui con- fère le paragraphe 70(1), précité. La clause 16.08 vise directement les «taux de rémunération» et à ce titre relève de la compétence d'une commission d'arbitrage. Dans l'arrêt La Reine c. L'Alliance de la Fonction publique du Canada 2 , j'ai dit:
Les questions qui d'après moi sont visées à l'article 70(1) par le terme «taux de traitement» sont des questions relatives au taux de traitement actuel des employés (augmentation, diminution ou renouvellement à son niveau actuel) ....
C'est ce dont il est manifestement question à la clause 16.08 en l'espèce'.
1 Ces avantages sont nombreux, par exemple: le droit au transport aérien de première classe, le droit à un secrétaire particulier, le droit à une voiture fournie par l'État, etc.
2 [1980] 1 C.F. 801 (C.A.), à la p. 804.
3 Comparer: l'arrêt La Reine c. L'Alliance de la Fonction publique du Canada, [1981] 2 C.F. 625 (C.A.), cette Cour a jugé que le paragraphe 70(1) habilite une commission d'arbi- trage à statuer sur une clause prévoyant le versement d'un montant supplémentaire à un employé qui a été renvoyé en application de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, car l'employé est censé avoir mérité ce versement par l'exercice des fonctions de son poste.
Par conséquent, pour les motifs que viens d'exposer, je conclus que la Commission a eu tort de refuser d'exercer sa compétence relativement à la clause 16.08 proposée et aux notes 10 14 sur la rémunération jointes en annexe.
b) La clause 25.01 proposée Ce projet de clause est ainsi conçu:
25.01 Un employé ne fera l'objet d'aucune sanction, distinc tion injuste ou perte de traitement du fait qu'il exerce son droit de s'absenter du travail lorsqu'il a de bonnes raisons de croire qu'une condition ou un processus de travail directement relié à ses fonctions constitue un danger pour sa sécurité ou sa santé ou pour celles d'une autre personne.
La Commission s'est déclarée incompétente relati- vement à la clause 25.01 parce qu'elle a estimé qu'il s'agit d'une clause qui «porte essentiellement sur le droit des employés à certaines conditions d'hygiène et de sécurité au lieu de travail« et que «de ce fait, il est évident que cette clause ne tombe pas sous le coup du paragraphe 70(1) de la Loi et, par conséquent, elle n'est pas arbitrable». L'avocat de la requérante a fait valoir que le paragraphe 70(1) s'applique à la clause 25.01 parce que celle-ci porte sur les «normes disciplinaires et autres conditions d'emploi qui s'y rattachent direc- tement». Je rejette cet argument. A mon avis, la clause 25.01 vise surtout à permettre à un employé de s'absenter du travail lorsqu'il a de bonnes rai- sons de croire que sa sécurité ou sa santé ou celles d'une autre personne sont en danger. J'estime que cette clause, qui figure sous la rubrique «Sécurité et hygiène», porte essentiellement sur les condi tions d'emploi relatives à l'hygiène et à la sécurité au lieu de travail. Je conclus donc que la Commis sion n'a pas commis d'erreur en se déclarant incompétente relativement à la clause 25.01.
c) Les clauses 30.02 et 30.03 proposées Ces clauses sont ainsi rédigées:
30.02 L'employeur reconnaît à l'employé le droit de refuser, par acquit de conscience, de franchir une ligne de piquetage, et il n'imposera à l'employé qui exerce ce droit aucune mesure disciplinaire, autre que celles prévues par la LRTFP, qui soit plus sévère qu'une réprimande écrite.
30.03 L'employeur reconnaît à l'employé le droit de refuser, par acquit de conscience, de faire le travail d'employés en grève, et il n'imposera à l'employé qui exerce ce droit aucune mesure disciplinaire, autre que celles prévues par la LRTFP, qui soit plus sévère qu'une réprimande écrite.
Ici encore, la Commission s'est abstenue d'exercer compétence, estimant qu'il s'agit, dans le fond, de
questions non visées au paragraphe 70(1) de la Loi et, partant, non arbitrables. Et ici encore l'avocat de la requérante fait valoir que les clauses 30.02 et 30.03 relèvent de l'expression «normes disciplinai- res et autres conditions d'emploi» qui figure dans le paragraphe 70(1). Comme dans le cas de la clause 25.01, précitée, je rejette cet argument. La clause 30 est sous-intitulée «Grèves illégales» et, selon moi, ni la clause 30.02 ni la clause 30.03 ne portent essentiellement sur les «normes disciplinai- res». Je suis d'accord avec la Commission que: «Le fait que ces propositions sont liées à la sévérité de la mesure disciplinaire qui peut être imposée par l'employeur ne change rien au fond même de la question, laquelle n'est pas arbitrable.» Par consé- quent, j'approuve la décision de la Commission de se déclarer incompétente relativement aux clauses 30.02 et 30.03.
En résumé, je conclus que la Commission a commis une erreur en se déclarant incompétente relativement à la clause 16.08 proposée et aux notes 10 à 14 sur la rémunération jointes en annexe, mais qu'elle a eu raison de le faire relati- vement à la clause 25.01 proposée et aux clauses 30.02 et 30.03 proposées.
Je suis donc d'avis d'accueillir en partie la demande fondée sur l'article 28, d'annuler la déci- sion de la Commission dans la mesure celle-ci se déclare incompétente relativement à la clause 16.08 proposée et aux notes 10 à 14 sur la rémuné- ration jointes en annexe et de renvoyer l'affaire à la Commission parce que ces questions relèvent effectivement de sa compétence.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris à ces motifs.
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