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T-6565-82
Athanasou Ziatas (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
Division de première instance, juge Mahoney— Toronto, 18 août; Ottawa, 26 août 1982.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Commission nationale des libérations conditionnelles Sus pension de libération conditionnelle à la suite de la violation d'une de ses conditions La Commission a mis fin à une libération conditionnelle sans faire droit à la demande du détenu de se faire entendre Y a-t-il eu manquement à une obligation légale? Y a-t-il eu incompétence? Demande accueillie Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10, 16(1),(3) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, C.R.C., chap. 1248, art. 20, 20.1 modifié par DORS/81-318, art. 1 Charte cana- dienne des droits et libertés, étant la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9.
La libération conditionnelle du détenu a été suspendue, puis il y a été mis fin pour manquement présumé à l'une de ses conditions lui interdisant de s'associer avec certaines personnes. La Commission des libérations conditionnelles n'a pas accordé d'audience au détenu conformément au paragraphe 16(3) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus avant de pro- noncer sa décision. Il échet d'examiner si la Commission a commis un excès de pouvoir, même si elle était autorisée à annuler la suspension puis à révoquer la libération condition- nelle sans accorder d'audience. Le détenu demande un bref de certiorari pour casser la décision de la Commission qui met fin à la libération conditionnelle sans audience postérieure à la suspension.
Jugement: la demande est accueillie avec dépens. La Com mission aurait pu arriver à cette décision par une autre voie, mais comme elle a choisi d'agir sur le fondement du paragraphe 16(3) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, l'inobservation de ses dispositions en matière d'audience inva- lide sa décision. Le détenu a droit à toutes les garanties procédurales des articles 20 et 20.1 du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40. DEMANDE de contrôle judiciaire. AVOCATS:
R. G. Bigelow pour le requérant. B. Mann pour l'intimée.
PROCUREURS:
R. G. Bigelow, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le requérant a été relaxé, en liberté conditionnelle de jour, le 15 juin 1982. Sa libération conditionnelle de jour comportait la modalité suivante:
[TRADUCTION] Ne s'associer avec aucun membre que ce soit, passé ou actuel, des groupes Vagabond et Outlaw.
Il s'agirait de bandes de motards. A sa sortie de l'établissement, certains individus, que les autorités ont reconnus comme étant membres de l'un de ces groupes, sont venus chercher le requérant. Plus tard, le même jour, lorsqu'il s'est présenté, comme il le devait, à un centre correctionnel, sa libération conditionnelle a été suspendue pour violation caractérisée de cette condition et il a été réincar- céré. Le requérant a demandé une audition posté- rieure à la suspension. L'intimée, sans l'entendre, a mis fin à sa libération conditionnelle. Le requérant conclut à un bref de certiorari cassant cette déci- sion, motif pris d'incompétence et d'excès de pou- voir en ce que:
1. L'intimée a manqué au devoir que la loi lui impose en refusant de l'entendre avant de mettre fin à sa libération conditionnelle.
2. Elle a manqué à son devoir d'agir équitable- ment en ne lui accordant pas d'audience.
3. Elle a manqué à son devoir d'agir équitable- ment en ne lui faisant pas savoir qu'il ne lui serait accordé aucune audience et en ne lui permettant pas de faire valoir ses observations d'une autre manière.
4. Elle aurait porté atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, étant la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.
Par définition, une «libération conditionnelle de jour», c'est une «libération conditionnelle». Voici les autres dispositions pertinentes de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus':
10. (1) La Commission peut
e) à sa discrétion, révoquer la libération conditionnelle de tout détenu à liberté conditionnelle autre qu'un détenu à liberté conditionnelle qui a été relevé des obligations de la libération conditionnelle, ou révoquer la libération condition- nelle de toute personne qui est sous garde en conformité d'un mandat délivré en vertu de l'article 16 nonobstant l'expira- tion de sa condamnation.
(2) La Commission ou la personne que le président désigne à cette fin peuvent mettre fin à l'absence temporaire sans escorte accordée à un détenu en vertu des articles 26.1 ou 26.2 de la Loi sur les pénitenciers ou à la libération conditionnelle de jour de tout détenu et, par mandat écrit, autoriser l'arrestation et le renvoi en détention de ce détenu comme le prévoit la présente loi.
16. (1) Un membre de la Commission ou la personne que le président désigne à cette fin, en cas de violation des modalités d'une libération conditionnelle ou lorsqu'il est convaincu qu'il est souhaitable sinon nécessaire d'agir ainsi pour empêcher une telle violation ou pour protéger la société, peut, par mandat écrit signé de sa main,
a) suspendre toute libération conditionnelle aux obligations de laquelle le détenu est encore assujetti;
b) autoriser l'arrestation d'un détenu en liberté condition- nelle; et
c) renvoyer un détenu en détention jusqu'à ce que la suspen sion soit annulée ou sa liberté conditionnelle révoquée.
(3) La personne qui a signé le mandat visé au paragraphe (1), ou toute personne que le président désigne à cette fin, doit, dès que le détenu en liberté conditionnelle qui y est mentionné est renvoyé en détention, réexaminer son cas, et, dans les quatorze jours qui suivent, si la Commission ne décide pas d'un délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer l'affaire devant la Commission.
Le Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, C.R.C., chap. 1248, porte:
20....
(2) Lorsque le cas d'un détenu a été soumis à la Commission conformément au paragraphe 16(3) de la loi et que le détenu a fait une demande d'audition en vue de l'examen de son cas pendant la période visée au paragraphe (1), la Commission doit
a) tenir l'audition dès que possible après avoir reçu la demande; et
b) informer le détenu de la date de l'audition au moins quatorze jours avant l'audition.
1 S.R.C. 1970, chap. P-2.
20.1 (1) Lors d'une audition selon le paragraphe 15(1) ou 20(2), la Commission doit permettre au détenu d'obtenir aide et assistance d'une personne de son choix.
(2) Il incombe au détenu de voir à ce que la personne visée au paragraphe (1) soit présente à l'audition.
(3) La personne visée au paragraphe (1) a le droit
a) d'être présente à l'audition tant que le détenu qu'elle assiste y est présent;
b) de conseiller le détenu relativement aux questions adres- sées à ce détenu par la Commission pendant l'audition; et
c) à la fin de l'audition, de s'adresser au nom du détenu et pendant une période de dix minutes, aux membres de la Commission qui dirigent l'audition.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 10 attri- buent à l'intimée des pouvoirs indépendants. La procédure que prescrivent les articles 20 et 20.1 du Règlement ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de mettre fin à une libération conditionnelle de jour sur le fondement du paragraphe 10(2). L'intimée serait, semble-t-il, autorisée à annuler une suspen sion de libération conditionnelle puis à exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 10(2). Mais ce n'est pas ce qui s'est passé en l'espèce. La suspension n'a pas été annulée. L'af- faire a été renvoyée à l'intimée conformément au paragraphe 16(3) de la Loi; il fallait donc respec- ter les articles 20 et 20.1 du Règlement. Le fait que l'intimée aurait pu arriver à cette décision par une autre voie ne change rien à cela, ni le fait que mettre fin à une libération soit une sanction moins sévère que la révocation, n'impliquant aucune perte de réduction de peine ni aucune adjonction à la peine d'un [TRADUCTION] «temps mort». En l'espèce, il n'y a eu aucun temps mort entre le moment de l'arrestation et celui de la suspension.
Ayant conclu, sur le premier moyen, que la demande est fondée, je n'ai pas à traiter des autres, et n'en traiterai pas, si ce n'est pour regretter d'avoir à juger inapplicable en l'espèce le critère proposé par lord Evershed dans son opinion dissi- dente dans l'espèce Ridge v. Baldwin 2 :
[TRADUCTION] Justice a-t-elle été rendue dans le cas d'espèce?
L'examen du dossier me convainc que, dans tous ses aspects, manifestement, justice avait été rendue.
2 [1964] A.C. 40à la p. 97.
JUGEMENT
La décision de l'intimée du 24 juin 1982, qui mettait fin à la libération conditionnelle de jour du requérant, est cassée. Le requérant a droit à ses dépens.
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