A-2-80
La Reine (Appelante)
c.
Mount Robson Motor Inn Limited (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge
suppléant Maguire—Edmonton, 7 mai; Ottawa, 6
' juillet 1981.
Impôt sur le revenu — Allocation du coût en capital —
Appel d'une décision de la Division de première instance —
Droits sur des bâtiments et des améliorations (pavage) situés
sur un fonds loué, lesquels droits découlent d'un bail qui
permet au locataire (l'intimée) d'enlever du fonds les bâtiments
et améliorations — Il échet d'examiner si le juge de première
instance a commis une erreur en concluant que les droits de
l'intimée sur ces bâtiments et améliorations (pavage), ne cons-
tituaient pas un droit de tenure à bail au sens de la catégorie
13 de l'annexe B des Règlements de l'impôt sur le revenu —
Règlements de l'impôt sur le revenu, annexe B, catégories 1,
6, 13.
L'intimée a acquis des droits sur les bâtiments et les amélio-
rations (le pavage) par suite d'une entente conclue avec Mount
Robson Motels Ltd. en vertu de laquelle cette dernière lui a
, cédé tous les droits qu'elle tenait du bail intervenu entre elle et
la Couronne et tous ses droits dans les bâtiments du motel et
autres améliorations qu'elle avait érigés au cours du bail. Le
bail prévoyait le paiement d'un loyer annuel et prévoyait aussi
qu'à sa résolution, le locataire pourrait enlever du fonds les
bâtiments et les améliorations. Il échet d'examiner si le juge de
première instance a jugé à bon droit que les droits de l'intimée
sur les bâtiments et les améliorations (le pavage), situés sur un
fonds loué, ne constituaient pas un droit de tenure à bail au
sens de la catégorie 13 de l'annexe B des Règlements de l'impôt
sur le revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. Des constructions ordinaires et un
r revêtement d'asphalte comme les améliorations dont s'agit sont
normalement considérés comme immeubles par destination. Si
ces améliorations sont apportées par un locataire, elles revien-
nent au propriétaire du fonds. Les constructions et le revête-
ment d'asphalte n'auraient pu conserver leur nature de biens
meubles et demeurer la propriété du locataire que si le bail
l'avait expressément prévu. La clause 10 du bail qui donne au
locataire le droit d'enlever les constructions et améliorations à
la fin du bail n'a aucun effet sur la solution de la question
litigieuse puisque, tant qu'elle est attachée au fonds, une amé-
lioration apportée par le locataire demeure un immeuble par
destination quand bien même ce dernier pourrait l'enlever
pendant la durée ou à la fin du bail. Même si on pouvait aller
au-delà du contenu du bail pour déterminer l'intention com
mune des parties qui l'ont signé, les faits ne traduiraient pas
cette intention mais, plutôt, l'interprétation des effets juridiques
de ce contrat par certains employés des parties. C'est à la
lumière des principes de common law qu'il faut examiner si une
personne détient, aux fins de l'annexe B des Règlements de
l'impôt sur le revenu, un droit de propriété ou une tenure à
bail.
Arrêts mentionnés: La ville de Vancouver c. Le procureur
général du Canada [1944] R.C.S. 23; Cohen c. Le ministre
du Revenu national [1968] 1 R.C.E. 110; Rudnikoff c. La
Reine [1974] 2 C.F. 807.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
L. P. Chambers, c.r., et J. Dean pour
l'appelante.
J. V. Decore, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Decore & Company, Edmonton, pour l'inti-
mée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La Cour a été saisie de
l'appel formé contre le jugement de la Division de
première instance ([1980] 2 C.F. 591] qui a
accueilli le pourvoi de l'intimée contre la nouvelle
cotisation pour son année d'imposition. 1975. Aux
termes de ce jugement, l'intimée avait le droit,
dans le calcul de son revenu pour l'année en cause,
de déduire les allocations du coût en capital à
l'égard de ses immeubles et d'une aire de station-
nement asphaltée, au titre respectivement de la
catégorie 6 et de la catégorie 1 de l'annexe B des
Règlements de l'impôt sur le revenu, et non au
titre de la catégorie 13.
Il échet uniquement d'examiner en appel si le
juge de première instance a jugé à bon droit que
les droits de l'intimée sur certains bâtiments et
améliorations (le pavage), situés sur un fonds loué,
ne constituent pas un droit de tenure à bail au sens
de la catégorie 13 de l'annexe B des Règlements de
l'impôt sur le revenu.
Par bail en date du 22 juin 1959, Sa Majesté la
Reine du chef du Canada a donné à bail à Mount
Robson Motels Ltd. une parcelle de terre située
dans le parc national de Jasper, en Alberta, pour
une période de 42 ans à compter du lei avril 1959.
Le bail prévoit le paiement d'un loyer annuel de
$500 et contient les dispositions suivantes:
[TRADUCTION] 1. Pendant la durée du bail, le locataire paiera
le loyer précité, de même que toutes les taxes, redevances et
cotisations afférentes à ces terrains ou exigées de leur locataire.
2. Au plus tard six mois après l'entrée en vigueur du présent
bail, le locataire soumettra au surintendant, en triple exem-
plaire, les plans et les devis descriptifs du bâtiment que l'on
prévoit construire sur ces terrains, de même qu'un plan des
terrains montrant l'emplacement futur de ce bâtiment.
3. Après approbation par le surintendant de ces plans et de ces
devis descriptifs, le locataire aura jusqu'au P r avril 1960 pour
compléter la construction du bâtiment décrit dans ces plans et
devis.
4. Le locataire utilisera ces terrains dans le seul but d'y
exploiter un motel et évitera d'y exercer ou de permettre qu'il y
soit exercé des activités que le surintendant juge immorales ou
abusives.
6. Sans le consentement écrit du Ministre, le locataire ne peut
ni sous-louer les lieux, en tout ou en partie, ni céder ou
transférer le présent bail.
10. A l'expiration du présent bail, le locataire pourra, à ses
frais, démonter et enlever des terrains toutes les structures,
installations et améliorations qui y auront été fixées ou placées.
13. Les droits et obligations issus du présent bail se transmet-
tent de plein droit aux héritiers et successeurs de Sa Majesté, et
aux successeurs et ayants droit du locataire.
En exécution de ses obligations prévues au bail,
Mount Robson Motels Ltd. a érigé deux construc
tions à charpente de bois sur fondation de béton
coulé et asphalté une aire de stationnement.
Par accord daté du 15 mai 1973, Mount Robson
Motels Ltd. a cédé à l'intimée tous les droits
qu'elle tenait du bail du 22 juin 1959 et tous ses
droits dans les bâtiments du motel et autres amé-
liorations qu'elle a érigés au cours du bail.
Dans le calcul de son revenu pour l'année 1975,
l'intimée a revendiqué des allocations du coût en
capital, au titre des catégories 1 et 6 de l'annexe B
des Règlements, à l'égard de ces constructions et
améliorations comme si elle en était propriétaire.
Le Ministre a établi une nouvelle cotisation de
l'intimée d'où il ressort que les droits de cette
dernière sur ces constructions et améliorations ne
sont que ceux d'une tenure à bail relevant de la
catégorie 13 de l'annexe B. Saisie par l'intimée, la
Division de première instance a, comme je l'ai déjà
mentionné, infirmé la nouvelle cotisation, en con-
cluant que les droits de l'intimée sur ces construc
tions et améliorations ne sont pas ceux d'une
tenure à bail au sens de la catégorie 13 de l'annexe
B.
L'appelante soutient que les constructions et le
revêtement d'asphalte sont des immeubles par des
tination puisqu'ils ont été incorporés au fonds. Il
s'ensuit que les droits de l'intimée sur le fonds
étant ceux d'une tenure à bail, ses droits sur les
constructions et sur le revêtement d'asphalte sont
aussi ceux d'une tenure à bail.
Selon l'intimée cependant, il ressort des diverses
clauses et des conditions d'exécution du bail que
les parties au bail de 1959 étaient convenues que
les améliorations apportées par le locataire demeu-
reraient sa propriété malgré leur incorporation au
fonds. Elle soutient qu'il faut donner effet à cette
intention commune.
Le droit applicable en la matière semble raison-
nablement clair'. Lorsque des meubles sont atta-
chés à un fonds, ils peuvent soit conserver leur
nature de biens meubles soit s'incorporer au fonds,
auquel cas ils deviennent des immeubles par desti
nation. Puisqu'une fois attachés au fonds, les
immeubles par destination sont vraiment incorpo-
rés à celui-ci, ils appartiennent au propriétaire du
fonds. Il en est ainsi tant qu'ils demeurent attachés
au fonds, que la personne qui les y a attachés ait
conservé ou non le droit de les enlever.
Il peut être difficile dans certaines affaires de
déterminer si un meuble est attaché à un fonds de
telle manière qu'il devient immeuble par destina
tion. Il est indéniable toutefois que des construc
tions ordinaires et un revêtement d'asphalte
comme les améliorations dont s'agit sont normale-
ment considérés comme immeubles par destina
tion. Si ces améliorations sont apportées par un
locataire, elles reviennent au propriétaire du fonds.
Les constructions et le revêtement d'asphalte dont
s'agit ne pourraient conserver leur nature de biens
meubles et demeurer la propriété du locataire, à
supposer que cela soit possible, que si le bail l'avait
expressément prévu. La seule clause du bail qui, à
première vue, semble se rapporter à ce sujet est
l'article 10 qui donne au locataire le droit d'enlever
' Voir: Cheshire's Modern Law of Real Property, 12' édition,
pp. 138 et suivantes; Megarry et Wade, The Law of Real
Property, 4' édition, pp. 711 et suivantes; Anger et Honsberger,
Canadian Law of Real Property, 1959, pp. 454 et suivantes; La
ville de Vancouver c. Le procureur général du Canada [1944]
R.C.S. 23; Cohen c. M.R.N. [1968] 1 R.C.É. 110; Rudnikoff c.
La Reine [1974] 2 C.F. 807.
les constructions et améliorations à la fin du bail.
Cette clause n'a cependant aucun effet sur la
solution de la question litigieuse puisque, tant
qu'elle est attachée au fonds, une amélioration
apportée par le locataire demeure un immeuble
par destination quand bien même il pourrait l'enle-
ver pendant la durée ou à la fin du bail.
Selon l'avocat de l'intimée, il découle d'autres
conditions d'exécution (comme, par exemple, le
fait que l'assurance des bâtiments était payée par
l'intimée et non par la Couronne) que les parties
au bail étaient convenues que les améliorations
demeureraient la propriété du locataire. Je ne puis
accueillir cet argument. Même si on pouvait aller
au-delà du contenu d'un bail pour déterminer l'in-
tention commune des parties qui l'ont signé, les
faits invoqués par l'avocat de l'intimée ne tradui-
sent pas cette intention mais, plutôt, l'interpréta-
tion des effets juridiques de ce contrat par certains
employés des parties.
Je conclus donc que, en common law, les cons
tructions et améliorations dont s'agit étaient des
immeubles par destination et, en conséquence,
appartenaient à Sa Majesté tant qu'elles n'étaient
pas détachées du fonds. Aussi longtemps qu'a duré
cette situation, les droits de l'intimée sur ces
immeubles par destination n'étaient que ceux d'un
locataire.
Je ne pense pas que le juge de première instance
se soit prononcé sur cette affaire comme il l'a fait,
parce qu'il est parvenu à une autre conclusion que
la mienne, exposée ci-dessus. Au contraire, il a
expressément conclu que les constructions et amé-
liorations dont s'agit étaient des immeubles par
destination. A mon avis, sa décision tient à ce qu'il
a conclu que l'expression «tenure à bail» figurant à
l'annexe B des Règlements de l'impôt sur le
revenu a un sens particulier, dont sont exclus les
droits que détient la demanderesse sur ces cons
tructions et améliorations. Sauf le respect que je
lui dois, je ne puis souscrire à cette opinion. A mon
avis, l'expression «tenure à bail» de l'annexe B des
Règlements ne s'entend pas dans un sens spécial et
restrictif, et c'est à la lumière des principes de
common law qu'il faut examiner si une personne
détient, aux fins de l'annexe B, un droit de pro-
priété ou une tenure à bail. La question est résolue
si, en vertu de ces principes, cette personne possède
les droits d'un locataire.
Par ces motifs, la Cour accueille l'appel avec
dépens, infirme la partie du jugement de la Divi
sion de première instance se rapportant à l'année
d'imposition 1975 de l'intimée, et rejette avec
dépens l'action de l'intimée.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT MAGUIRE: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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