T-4656-75
Delbert Guerin, Joseph Becker, Eddie Campbell,
Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow
en leur nom propre et au nom de tous les autres
membres de la bande indienne Musqueam
(demandeurs)
C.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, 4 et 11 août 1981.
Pratique — Intérêt — En cause: le droit pour les deman-
deurs à l'intérêt sur les dommages accordés à compter de la
date du manquement à la fiducie jusqu'au jour précédant celui
du prononcement du dispositif du jugement — En cause: la
hausse du taux d'intérêt d'après-jugement — En cause: la
taxation des dépens et débours comme entre avocat et client —
Requête rejetée — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 35, 40 — Loi sur la Cour de l'Échiquier,
S.R.C. 1970, c. E- II, art. 47 — Lord Tenterden's Act, 1833 (3
& 4 Wm. IV), c. 42, art. 28 — Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3(I)b) — Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 61(2) — Loi sur l'intérêt,
S.R.C. 1970, c. I-18, art. 3 et 13 — Règle 344(1) et (7) de la
Cour fédérale, Tarif B.
Par requête, les demandeurs concluent à l'intérêt sur le
jugement et aux dépens. Il échet d'abord d'examiner si les
demandeurs avaient droit à un intérêt sur le montant des
dommages reconnus à compter de la date du manquement à la
fiducie jusqu'au jour précédant celui du prononcement du
dispositif du jugement. Les demandeurs soutiennent que la Loi
sur la Cour fédérale n'étant entrée en vigueur qu'en 1971, c'est
l'article 47 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier qui s'applique.
L'article 47 limitait le pouvoir de la Cour d'accorder l'intérêt
aux cas d'inexécution de contrat. Les demandeurs soutiennent
qu'en conséquence ils avaient un droit acquis à l'intérêt; que
l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale portait sur le fond; il
abrogeait le droit acquis, aussi ne pouvait-il avoir d'effet
rétroactif, à moins que cette intention ne soit manifeste dans la
loi modificatrice. Subsidiairement, les demandeurs font valoir
que le Lord Tenterden's Act, l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne et la Loi sur les Indiens autori-
saient d'accorder l'intérêt en l'espèce. L'alinéa 3(1)b) porte que
la Couronne est responsable des dommages à l'égard d'un
manquement à un devoir afférent à la propriété, à l'occupation,
à la possession ou à la garde d'un bien. La requête des
demandeurs serait fondée sur un manquement à un devoir
afférent à la propriété, à la possession ou à la garde de la
réserve. Le paragraphe 61(2) de la Loi sur les Indiens porte
que les intérêts sur les deniers détenus au Fonds du revenu
consolidé doivent être alloués à un taux que fixe, de temps à
autre, le gouverneur en conseil. On a soutenu qu'il fallait
«présumer que la Couronne avait emprunté le montant de
l'indemnisation des demandeurs, de sorte qu'il s'agissait de
`deniers des Indiens' détenus au Fonds du revenu consolidé».
Les demandeurs ont alors soutenu que la fiducie était un
contrat résultant de l'acte de cession intervenu entre la bande
indienne et la Couronne. Il échet d'examiner ensuite si le taux
d'intérêt d'après-jugement, de cinq pour cent, devrait être
haussé. L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale porte qu'à
moins qu'il n'en soit autrement ordonné, un jugement porte
intérêt à compter du moment où il est rendu, au taux prescrit
par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt. Les demandeurs ont
soutenu que l'article 40 autorise la Cour à modifier le taux
d'intérêt prévu par la Loi sur l'intérêt. Enfin, il échet d'exami-
ner si les dépens et débours devraient être taxés comme entre
avocat et client à cause de la quantité de travail et de la
difficulté et de l'importance de l'affaire. La Règle 344 prévoit
que la Cour peut ordonner le paiement d'un montant global au
lieu de taxer les dépens et qu'elle peut ordonner aussi, comme
directive spéciale, de hausser ou de diminuer le tarif.
Arrêt: la requête est rejetée. L'article 35 de la Loi sur la
Cour fédérale confère à la Cour compétence en matière d'inté-
rêt à accorder, le cas échéant, contre la Couronne. Même si
l'argumentation des demandeurs au sujet de l'article 35 était
fondée, ils ne se heurteraient pas moins au principe de la
common law canadienne selon lequel «on ne peut accorder de
l'intérêt contre le trésor public à moins qu'une loi ou un contrat
ne le prévoit». Le Lord Tenterden's Act n'est pas en vigueur au
Canada en tant que loi fédérale. L'alinéa 3(1)b) de la Loi sur
la responsabilité de la Couronne porte sur la responsabilité
délictuelle, non sur une fiducie ou un manquement à celle-ci. Il
régit la responsabilité délictuelle de la Couronne selon le droit
de la responsabilité du gardien de la chose. Le paragraphe
61(2) de la Loi sur les Indiens parle de deniers réellement
détenus au Fonds du revenu consolidé. Il n'a aucune application
en l'espèce. En droit, une fiducie n'est pas un contrat. II n'existe
aucune preuve, ni aucun argument de droit, justifiant de pré-
tendre, comme le font les demandeurs, qu'un contrat tacite a
découlé de la création de la fiducie. Quant à l'intérêt d'après-
jugement, le seul pouvoir discrétionnaire que détient la Cour,
c'est de modifier le temps pendant lequel l'intérêt d'après-juge-
ment peut courir. Enfin, la longueur, la complexité et la
difficulté de l'affaire ne suffisent pas à justifier une directive
spéciale en matière de dépens.
Arrêts suivis: Smerchanski c. Le ministre du Revenu
national [1979] 1 C.F. 801; R. c. Carroll [1948] R.C.S.
126. Arrêt appliqué: McNamara Construction (Western)
Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654. Arrêts mentionnés:
Upper Canada College c. Smith (1921) 61 R.C.S. 413;
Dixie c. Royal Columbian Hospital [1941] 2 D.L.R. 138;
MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. c. Consolboard
Inc., non publié, A-266-78, jugement daté du 29 mai 1981.
Distinction faite avec l'arrêt: R. c. Nord-Deutsche Versi-
cherungs-Gesellschaft [1971] R.C.S. 849.
REQUÊTE.
AVOCATS:
M. R. V. Storrow, S. R. Schachter et J.
Reynolds pour les demandeurs.
Ian Binnie, c.r., et Cindy Roth pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
supplémentaires du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Par les motifs du jugement
en l'instance [page 385 précitée], j'avais donné aux
demandeurs la directive de présenter une requête
en jugement. La requête devait traiter de l'intérêt
à accorder sur le montant des dommages reconnus
et de toute autre question ou moyen qu'on aurait
fait valoir relativement aux dépens.
La requête fut instruite le 4 août 1981.
Les demandeurs soutenaient qu'ils avaient droit
à l'intérêt sur le montant des dommages accordés à
compter, à tout le moins, du 22 janvier 1958,
jusqu'au 12 juillet 1981. La première date est celle
de la passation du bail du club de golf. Il s'agirait
en fait de la date du manquement à la fiducie, date
où la bande indienne commença à subir le préju-
dice en découlant. La seconde est celle du jour
précédant celui du prononcement du dispositif. On
a dénommé au cours du débat cette demande
d'intérêt, l'intérêt d'avant-jugement. J'emploierai
aussi ce terme.
Les demandeurs soutiennent aussi que le taux de
5%, pour l'intérêt postérieur au jugement, que
prévoit la Loi sur l'intérêt', devrait être haussé au
niveau des taux d'intérêt actuels.
Quant aux dépens, les demandeurs requièrent
qu'il soit statué que les frais et débours recouvrés
de la défenderesse soient taxés tout à fait comme
entre avocat et client.
Les débats clos, j'ai rejeté les requêtes des
demandeurs. J'ai cependant donné certaines direc
tives au sujet de quelques points relativement
mineurs, notamment à l'égard du tarif de frais
applicable et de la taxation des frais de témoigna-
ge des experts.
J'ai dit alors que je mettrais par écrit, élaborant
quelque peu, les brefs motifs que j'avais donnés
oralement. Voici ces motifs écrits.
' S.R.C. 1970, c. l-18, art. 13.
L'intérêt d'avant-jugement
L'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale 2
dispose que:
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne,
la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime
être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat
stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en
pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
Les demandeurs soutiennent que la Loi sur la
Cour fédérale et son article 35 ne sont entrés en
vigueur que le lef juin 1971 et que, d'après la Loi
sur la Cour de l'Échiquier', abrogée le 1" juin
1971, ils avaient, le 22 janvier 1958, un droit
acquis à l'intérêt d'avant-jugement vu leur droit
d'action pour manquement à une fiducie. L'article
qui précéda l'article 35 (l'article 47 de la Loi sur
la Cour de l'Échiquier) limitait le pouvoir de la
Cour de l'Échiquier d'accorder un intérêt contre la
Couronne aux cas d'inexécution de contrat; mais
les demandeurs, en l'espèce, avaient un droit
acquis; l'article 35 portait sur le fond, non sur la
procédure; il abrogeait un droit acquis. On ne
pouvait donner à une loi de ce genre un effet
rétroactif, à moins que cette intention ne soit
manifeste dans la loi «modificatrice» elle-même.
Je ne reconnais pas cet argument fondé.
J'admets, comme la défenderesse, que l'article
35 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour
une compétence matérielle en matière d'intérêt à
accorder, le cas échéant, contre la Couronne. La
jurisprudence qu'ont citée les demandeurs, par
exemple les arrêts Upper Canada College c.
Smith 4 et Dixie c. Royal Columbian Hospital 5 , ne
s'applique pas.
Les demandeurs ont intenté leur action devant
notre juridiction. Il est vrai qu'ils n'auraient pu
choisir un autre for. Mais notre juridiction a une
compétence liée. Sa compétence matérielle et sa
compétence personnelle, de même que les recours
auxquels elle peut faire droit, doivent être prévus
par la législation fédérale en vigueur ou la
common law fédérale 6 .
2 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
3 S.R.C. 1970, c. E-11.
(1921) 61 R.C.S. 413.
5 [1941] 2 D.L.R. 138.
6 McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977]
2 R.C.S. 654à la p. 658.
En l'espèce, la compétence matérielle de la
Cour est expressément prévue, et limitée, par
l'article 35.
Même si l'argumentation des demandeurs au
sujet de l'article 35 était fondée, ils ne se heurte-
raient pas moins au principe de la common law
canadienne arrêté par la Cour suprême du Canada
selon lequel:
[TRADUCTION] Il est bien réglé par la jurisprudence qu'on ne
peut accorder de l'intérêt contre le trésor public à moins qu'une
loi ou un contrat ne le prévoit 7 .
Les avocats des demandeurs ont prétendu
qu'une telle règle n'existait pas; les arrêts de la
Cour suprême du Canada étaient ou à mauvais
droit ou pouvaient être différenciés.
Le principe qu'énonce la Cour suprême du
Canada, qu'il soit fondé ou non, est clair. Comme
juge de première instance, je me dois d'obéir aux
arrêts de la Cour suprême.
Les demandeurs se sont particulièrement
appuyés sur l'arrêt La Reine c. Nord-Deutsche
Versicherungs-Gesellschaft 8 . On peut, à mon avis,
différencier cette affaire compte tenu des faits en
cause. On avait statué, vu les faits de cette espèce,
que la Loi sur la responsabilité de la Couronne
fournissait le fondement légal justifiant d'accorder
l'intérêt contre la Couronne fédérale.
Les demandeurs ont alors soutenu devant moi
que si l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale,
ou l'arrêt de la Cour suprême, s'appliquaient, il
existait alors des dispositions légales pertinentes
autorisant d'accorder l'intérêt en l'espèce. Voici les
lois invoquées: le Lord Tenterden's Act 9 , la Loi sur
la responsabilité de la Couronne 10 , la Loi sur les
Indiens".
7 Le Roi c. Carroll [1948] R.C.S. 126, le juge Taschereau à
la p. 132, où l'on cite une jurisprudence antérieure de la Cour
suprême du Canada: Le Roi c. Roger Miller & Sons Ltd.
[ 1930] R.C.S. 293, Hochelaga Shipping & Towing Co. Ltd. c.
Le Roi [1944] R.C.S. 138, Le Roi c. Racette [1948] R.C.S. 28.
8 [19711 R.C.S. 849; jugement de première instance rapporté
en [1969] 1 R.C.É. 117.
9 1833 (3 & 4 Wm. IV), c. 42, art. 28.
10 S.R.C. 1970, c. C-38.
11 S.R.C. 1970, c. I-6, par. 61(2).
Le Lord Tenterden's Act n'est pas en vigueur au
Canada en tant que loi fédérale. Il ferait partie,
a-t-on jugé, du droit de la Colombie-Britannique.
Mais cela ne signifie pas qu'il peut en quelque
sorte s'appliquer dans le cas d'une demande ou
action qu'un justiciable de la Colombie-Britanni-
que engage contre la Couronne fédérale.
Les demandeurs invoquent l'alinéa 3(1)b) de la
Loi sur la responsabilité de la Couronne comme
disposition légale servant de fondement à l'alloca-
tion de l'intérêt. Le juge du fond en l'affaire
Nord-Deutsche s'était appuyé sur ce paragraphe
3(1) et la Cour suprême du Canada a, pour ce qui
est de l'intérêt, reconnu fondés ses motifs.
Voici ce paragraphe 3(1):
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne, ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la pro-
priété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
L'avocat des demandeurs soutient que l'alinéa
b) s'applique au cas des demandeurs; leur de-
mande aurait été fondée sur un manquement à un
devoir afférent à la propriété, à la possession ou à
la garde de 162 acres de la réserve.
On ne peut, à mon avis, interpréter cet alinéa de
la Loi de cette façon. Ce qui est en cause dans
celui-ci, c'est un délit, non une fiducie, ou un
manquement à celle-ci. Je conçois l'alinéa b)
comme lié à la responsabilité délictuelle de la
Couronne selon ce qu'on appelle communément le
droit de la responsabilité du gardien de la chose.
Le fondement légal déterminant qui justifierait
d'accorder l'intérêt se trouverait, dit-on, au para-
graphe 61(2) de la Loi sur les Indiens:
61... .
(2) Les intérêts sur les deniers des Indiens détenus au Fonds
du revenu consolidé doivent être alloués à un taux que fixe, de
temps à autre, le gouverneur en conseil.
On a soutenu qu'il fallait [TRADUCTION] «pré-
sumer que la Couronne avait emprunté le montant
de l'indemnisation des demandeurs, de sorte qu'il
s'agissait de `deniers des Indiens' détenus au Fonds
du revenu consolidé».
Je n'accepte pas cette fiction qui autoriserait
d'accorder l'intérêt en l'espèce. Le paragraphe
61(2) parle de deniers réellement détenus au
Fonds du revenu consolidé. Il n'a, à mon avis,
aucune application en l'espèce.
Les demandeurs ont alors soutenu que la fiducie
dont j'ai judiciairement constaté l'existence serait,
en quelque sorte, pour les fins de l'intérêt, devenue
un contrat. Voici comment on présente l'argument:
[TRADUCTION] «L'une des conditions du contrat,
implicite de par l'opération de la loi, est que, si la
Couronne devait manquer à son devoir de fidu-
ciaire, causant par là un préjudice aux bénéficiai-
res, il lui faudrait les indemniser en leur versant un
intérêt.» C'était la première fois que les deman-
deurs faisaient valoir ou soutenaient qu'un contrat
quelconque aurait résulté de l'acte de cession inter-
venu entre la bande indienne et la Couronne.
Une fiducie n'est pas, en général, un contrat en
droit et le manquement à une fiducie ne constitue
pas, non plus, toujours en droit, un contrat. Il
n'existe aucune preuve ni aucun argument de droit
qui justifie de prétendre, comme le font les deman-
deurs, qu'un contrat tacite de verser un intérêt
découle de la création de la fiducie en l'espèce.
Ces divers moyens ne sont donc pas fondés. A
mon avis, les demandeurs ne sont pas parvenus à
démontrer, dans un cas comme dans l'autre, qu'il y
avait lieu d'accorder un intérêt antérieurement au
jugement.
L'intérêt d'après-jugement
Quant à l'intérêt d'après-jugement, il faut exa
miner certaines dispositions légales particulières.
L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale 12
dispose:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
Les articles 3 et 13 de la Loi sur l'intérêt"
disposent:
3. Sauf à l'égard des obligations qui existaient immédiate-
ment avant le 7 juillet 1900, chaque fois que de l'intérêt est
exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et
qu'il n'est pas fixé de taux en vertu de cette convention ni par la
loi, le taux de l'intérêt est de cinq pour cent par an.
12 Précitée.
13 S.R.C. 1970, c. I-18.
13. Toute somme due en vertu d'un jugement porte intérêt au
taux de cinq pour cent par année, jusqu'à ce qu'elle soit payée.
Les demandeurs soutiennent que l'article 40 de
la Loi sur la Cour fédérale autorise la Cour à
modifier le taux d'intérêt comme le prévoiraient
les articles pertinents de la Loi sur l'intérêt. Je ne
reconnais pas ce moyen fondé. L'article 40 ne
peut, selon ce que j'en comprends, être interprété
de cette façon. Le seul pouvoir discrétionnaire de
la Cour, c'est celui de modifier le temps pendant
lequel l'intérêt d'après-jugement peut courir. Il n'y
a aucun pouvoir de modifier le taux.
Le jugement rendu en faveur des demandeurs en
l'espèce portera donc intérêt au taux légal à comp-
ter de la date de son prononcement: le 13 juillet
1981.
Les dépens
La règle générale de notre juridiction est que la
partie qui triomphe a droit aux dépens. Normale-
ment, il s'agit des frais judiciaires taxés entre
parties conformément au tarif B.
La Règle 344(1) prévoit que la Cour peut
ordonner le paiement d'un montant global au lieu
de taxer les dépens.
La Règle 344(7) prévoit que la Cour peut
donner des directives spéciales au sujet des dépens,
y compris les directives que prévoit le tarif B.
L'article 3 du tarif B dispose:
3. 11 ne doit pas être accordé, par taxation, entre parties,
d'autres sommes que celles indiquées ci-dessus; toutefois, tout
ou partie des sommes indiquées ci-dessus peuvent être augmen-
tées ou diminuées sur instructions données par la Cour dans le
jugement relatif aux dépens ou en vertu de la Règle 344(7).
Les demandeurs ont sollicité une directive qui
aurait dit de taxer les dépens de façon qu'ils soient
entièrement remboursés de tous leurs honoraires
d'avocats et autres débours. En d'autres mots, ils
ont demandé une ordonnance de taxation de leurs
dépens, aux frais de la défenderesse, tout à fait
comme entre avocat et client.
On a fait valoir plusieurs facteurs pour justifier
la hausse demandée des dépens en l'espèce. Je ne
chercherai pas à les énumérer tous. On a parlé
notamment de la quantité de travail abattue et de
la difficulté et de l'importance de l'affaire.
Dans Smerchanski c. M.R.N. 14 , le juge en chef
Jackett a dit ceci:
Finalement, j'estime que les documents à l'appui de la pré-
sente requête n'apportent rien qui puisse donner raisonnable-
ment ouverture à l'exercice par le juge du pouvoir discrétion-
naire d'augmenter les honoraires au titre des services de
solicitors et de conseils dans le cadre du présent appel. De telles
instructions doivent s'appuyer sur des motifs pertinents et ne
pas être arbitraires. On a seulement démontré en l'espèce que
l'intimé avait reçu un compte de frais extrajudiciaires très élevé
dans le cadre du présent appel. Ce fait aurait été pertinent si les
frais avaient été adjugés sur la base procureur-client; il ne l'est
généralement pas quand il s'agit de fixer les frais entre parties.
Rien n'indique que le déroulement de l'appel justifiait une
augmentation du tarif des frais entre parties. L'étude des
Règles pertinentes ne révèle pas l'existence de quelque principe
régissant la fixation des frais habituels entre parties. Toutefois,
il semble clair, à mon sens, que les frais entre parties ne visent
pas à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause de
ses frais extrajudiciaires. (Ce l'est à plus forte raison quand,
comme en l'espèce, la partie qui a gain de cause a choisi de
faire appel à un avocat qui exerce ailleurs qu'au lieu normal
d'audition de l'appel.)
L'avocat de l'intimé a fait référence à quatre ou cinq déci-
sions de la Division de première instance dans lesquelles le
montant des dépens prévu au tarif B a apparemment été
augmenté [TRADUCTION] aen raison surtout de l'importance du
travail de préparation ...D. J'hésite à admettre que le travail de
préparation à lui seul, ou doublé d'autres facteurs comme la
difficulté ou l'importance d'une affaire, justifie l'exercice du
pouvoir discrétionnaire du juge d'augmenter le montant des
frais prévus au tarif B. Il est certain, selon moi, que ces frais
sont si peu élevés par rapport aux sommes en litige dans la
plupart des cas qu'ils ne dédommagent pas intégralement la
partie qui a gain de cause des frais qu'elle a engagés dans le
litige. (De fait, en l'espèce, on demande une augmentation qui
n'indemniserait que très partiellement la partie qui a eu gain de
cause de ses frais extrajudiciaires.) Si, ainsi que je le pense, les
dépens entre parties en Cour fédérale ne sont pas destinés à
indemniser intégralement la partie à laquelle ils seront versés,
ils sont censés se limiter aux sommes tout à fait arbitraires
prévues par les règles, sous réserve des modifications autorisées
se fondant sur des facteurs relatifs au déroulement de la
procédure dont il s'agit. A mon avis, le vague principe proposé
par l'avocat de l'intimé obligerait très souvent la Cour à évaluer
des facteurs impondérables ou impossibles à définir pour adju-
ger une partie indéterminée des frais extrajudiciaires. A mon
sens, cette façon de justifier l'exercice du pouvoir discrétion-
naire prévu par le tarif B n'est pas acceptable; elle aurait,
d'ailleurs pour effet de compliquer notre pratique sans raison.
Il faut citer aussi l'arrêt MacMillan Bloedel
(Saskatchewan) Ltd. c. Consolboard Inc. 15 dans
14 [1979] 1 C.F. 801 aux pp. 805 et 806.
15 Non publié, A-266-78, jugement daté du 29 mai 1981.
lequel la Cour d'appel fédérale a appliqué les
principes de l'arrêt Smerchanski et a refusé de
donner une directive haussant les dépens. Les
affaires Smerchanski et Consolboard furent toutes
deux, tant en première instance qu'en appel, lon-
gues, compliquées et difficiles, comme fut la pré-
sente espèce. Mais ces facteurs ne suffisent pas, je
pense, à justifier une directive spéciale en matière
de dépens. Sans doute les tarifs de la Cour fédé-
rale, établis en 1971, sont, à cause de la hausse
considérable de l'inflation et du coût de la vie
durant les 10 dernières années, fort bas. Le remède
consiste, à mon avis, à hausser les tarifs, non à
permettre des hausses arbitraires dans chaque cas
d'espèce afin de compenser les hausses inflation-
nistes et économiques du passé.
Il y a lieu cependant de donner deux directives
au sujet des dépens:
1. Tous les états de l'instance seront considérés
comme des états de cause de classe III.
2. Les honoraires que les parties ont versés aux
experts qui ont déposé seront taxés en tenant
compte des dispositions de l'alinéa 4(2) du
tarif A.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.