T-3534-79
Zoel Chicoine Inc. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
et
Davalmar Inc. (mise-en-cause)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, 9 et 10 juin; Ottawa, 19 juin 1981.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Reçu de nature
capitale ou revenu — Acceptation par la demanderesse de
fournir des services de gestionnaire en contrepartie de 10 pour
cent des profits annuels tirés du centre commercial et de 10
pour cent des profits de la vente du centre — Remise en 1974
de 10 pour cent du profit net de la vente à la demanderesse —
Cotisation de la demanderesse par le Ministre sur la base que
la somme était à compte de revenu, ayant été reçue à titre
d'honoraires de gestion — Selon la demanderesse, la somme
constituait un reçu de nature capitale obtenue à titre compen-
satoire, pour les dommages subis suite à la cessation des
relations bénéfiques entre les parties ou comme paiement reçu
suite à la disposition d'un droit à du revenu — Paiement et
acceptation de la somme à titre d'honoraires de gestion — Loi
de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 174.
Arrêts mentionnés: Front & Simcoe, Ltd. c. Le ministre du
Revenu national [1960] C.T.C. 123; Le ministre du
Revenu national c. Import Motors Ltd. 73 DTC 5530; H.
A. Roberts Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1969]
R.C.S. 719; Barr, Crombie & Co., Ltd. c. Commissioners
of Inland Revenue 26 T.C. 406; Courrier M. H. Inc. c. La
Reine 76 DTC 6331; Girouard c. La Reine 80 DTC 6151.
DEMANDE.
AVOCATS:
Marc Noël et Guy Du Pont pour la
demanderesse.
Jacques Côté et Lise Provost pour la
défenderesse.
Maurice Régnier, c.r., et Guy Masson pour la
mise-en-cause.
PROCUREURS:
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour la mise-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit ici d'un renvoi à la
Cour fédérale en vertu des dispositions de l'article
174 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C.
1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63,
art. 1. La question présentée à la Cour est la
suivante:
A savoir si une somme de $1,017,221.00 reçue par Zoel
Chicoine Inc. et payée par Davalmar Inc. (autrefois Centre
Laval Inc.) suite à la vente du Centre d'Achat Laval fut reçue
par Zoel Chicoine Inc. et payée par Davalmar Inc. à titre
d'honoraires pour services de gestion ou à titre compensatoire
pour dommages suite à un bris de contrat ou à tout autre titre
que cette Honorable Cour pourrait déterminer.
Au départ, les procureurs de la mise-en-cause et
de la Couronne ont tenté de limiter le débat sur
cette question à la nature purement civile du paie-
ment, sans égard au cadre fiscal dans lequel il se
situe. J'ai cru bon de ne pas retenir cette préten-
tion et d'ouvrir le débat suffisamment pour rejoin-
dre le vrai caractère de la transaction et les cir-
constances qui l'ont entourée, sans toutefois tenter
de régler le problème fiscal.
Après tout, le paragraphe 174(3) prévoit que la
Cour peut entreprendre de statuer sur la question
de la façon qu'elle le juge appropriée, si elle est
convaincue que la décision rendue concernant cette
question «influera sur des cotisations intéressant
deux ou plusieurs contribuables». D'ailleurs, une
simple décision d'ordre civil, sans égard à la Loi de
l'impôt sur le revenu, pourrait s'avérer totalement
académique et servir peu, ou mal, au dénouement
du problème'.
La demanderesse est une entreprise de gestion
dans le domaine immobilier dont les services con
sistent, entre autres, à gérer, promouvoir et admi-
nistrer des propriétés et plus particulièrement des
centres d'achat. Le principal actionnaire, Zoel
Chicoine, commença à travailler avec Max Fried-
man, Jack Friedman et Harry Glassman, vers les
années 1962 à Montréal. Ces derniers étaient les
propriétaires de différentes compagnies oeuvrant
dans la construction et l'opération de petits centres
d'achat, d'allées de quilles, et d'autres commerces.
' Vide le juge Cameron dans Front & Simcoe, Ltd. c. M.R.N.
[1960] C.T.C. 123, à la p. 132 et plus récemment le juge Urie
dans M.R.N. c. Import Motors Ltd. 73 DTC 5530, la p.
5534.
En 1966, ils ont offert à Chicoine de se joindre à
eux pour la promotion, la construction et l'opéra-
tion d'un grand centre d'achat à Laval. Ils lui ont
offert 10% des actions. Il a refusé, craignant une
situation d'actionnaire minoritaire et préférant des
revenus plus certains et plus immédiats. Il a donc
demandé 10% des profits annuels du centre et 10%
du profit de vente, si le centre d'achat était vendu.
Le 25 mai 1966, les quatre hommes d'affaires ont
passé un contrat entre M. M. Construction Inc.,
représentée par Max Friedman, son président, et
Rojel Homes Inc. (maintenant Zoel Chicoine Inc.)
représentée par Zoel Chicoine.
Les deux paragraphes introductifs du contrat se
lisent comme suit:
[TRADUCTION] CONSIDÉRANT QUE la partie de première
part désire obtenir les services de gestion de la partie de
seconde part pour s'occuper de promotion, de location et d'ad-
ministration relativement à son projet. Ce projet a trait à une
ferme dans laquelle la partie de première part possède une
participation de 50% et qui est connue sous le nom de ferme
1002, sise dans la ville de LaSalle. Ledit projet sera ci-après
appelé »le projet»;
CONSIDÉRANT QUE les parties désirent exposer ci-après leur
entente relative à la contrepartie à verser à la partie de seconde
part pour les services qu'elle aura à fournir.
Les paragraphes suivants sont essentiels à la
compréhension et à la solution du problème.
[TRADUCTION] 2. Pour les services susmentionnés que fournira
la partie de seconde part, la partie de première part lui versera
une somme égale à 10% (dix pour cent) des profits nets tirés
annuellement du projet, tel qu'il est décrit ci-après.
5. En cas de décès de M. Zoel Chicoine, président de Rojel
Homes Inc., le paiement de toute somme due à celle-ci mais
non encore reçu sera de plein droit annulé, et la partie de
première part sera quitte envers la partie de seconde part.
7. Au cas où l'une ou l'autre des parties dénoncerait le présent
accord, à défaut d'un règlement à l'amiable pour fixer la
somme due à la partie de seconde part, les experts comptables
de la partie de première part établiront alors un relevé arrêté à
la date de la résiliation de cet accord, et l'argent dû à la partie
de seconde part sera payable à même les profits nets jusqu'à
cette date, exactement comme s'il s'agissait d'une fin d'année
financière.
Si au moment de la résiliation de cet accord, la partie de
première part a construit un immeuble productif de revenus
(c.-à-d. produisant un revenu net), la partie de seconde part
aura alors droit à 10% des profits nets de l'immeuble jusqu'à la
vente de celui-ci, sous réserve du paragraphe 5 ci-dessus. En cas
de vente de l'immeuble, la partie de seconde part recevra 10%
du profit net de la vente, payable au fur et à mesure de la
réception du produit de la vente, et sous réserve des conditions
visées au paragraphe 8.
8. Si un immeuble construit dans le cadre du projet est vendu et
que la partie de seconde part ait droit à 10% du profit net de
ladite vente, alors le versement de ce pourcentage, lorsque le
prix de vente n'est pas payé en un seul versement, sera différé
et payable au fur et à mesure de la réception du produit de la
vente par la partie de première part, mais toujours jusqu'à
concurrence de 10% du profit de vente, jusqu'au paiement de la
totalité de la somme due, sous réserve toutefois des paragraphes
4 et 5 de cet accord.
14. Il est entendu que la partie de seconde part n'a aucune
participation à titre de propriétaire dans la partie de première
part, que les présentes ne constituent ni une coentreprise ni une
entreprise d'association, et que la partie de seconde part n'est
qu'un employé de la partie de première part.
A la même date, par voie d'une entente supplé-
mentaire, les parties en cause incorporèrent à l'en-
tente précitée un projet entrepris par Centre Laval
Inc. désigné sous le nom de Centre d'Achat Laval,
le centre dont il s'agit ici.
Le 21 janvier 1969, par le truchement d'une
autre entente supplémentaire, les mêmes parties
incorporèrent aux ententes précitées un autre
projet entrepris par le Centre Langelier Inc. et
désigné sous le nom de Centre Langelier. Ces
compagnies sont la propriété des Friedman et de
Glassman.
Au cours de l'année 1974, le Centre d'Achat
Laval fut vendu et la demanderesse reçut, confor-
mément aux ententes, 10% du profit net de la
vente, soit $1,017,221, de la façon suivante, à
savoir $957,221 au moment de la transaction, et
une somme à recevoir de $60,000.
Le ministre du Revenu national cotisa la deman-
deresse pour son année d'imposition 1974 sur la
base que le $1,017,221 était à compte de revenu,
ayant été reçu à titre d'honoraires de gestion.
Dans sa déclaration amendée en date du 22 avril
1980, la demanderesse prit la position que ladite
somme constituait un reçu de nature capitale
ayant été reçue à titre compensatoire pour dom-
mages subis suite à la vente du Centre d'Achat
Laval. Par contre la mise-en-cause, Davalmar Inc.
(autrefois Centre Laval Inc.), a réclamé ladite
somme comme déduction à titre d'honoraires de
gestion.
Dans son plaidoyer oral le procureur de la
demanderesse prétend que sa cliente, dans le but
de recevoir la somme précitée, a dû disposer d'un
droit à des revenus annuels: elle a donc disposé de
l'arbre qui produit les fruits. Même si l'avènement
de la disposition était prévu au contrat, il s'agit
tout de même d'une telle disposition. Il prétend
également que le montant est une compensation
pour dommages encourus suite à la cessation des
relations bénéfiques entre les parties: en perdant
ses revenus annuels de 10% des profits du Centre
d'Achat Laval, Zoel Chicoine Inc. perdait 80% de
ses sources de revenu (l'autre 20% provenant d'au-
tres centres d'achat).
Le procureur n'allègue plus que sa cliente a un
droit réel de propriétaire vis-à-vis le centre
d'achat, ou la compagnie qui l'a érigé, puisque
Zoel Chicoine Inc. ne détient pas d'actions de cette
compagnie. Il s'agirait plutôt ici, toujours selon lui,
d'un paiement reçu suite à la disposition du droit à
un revenu, droit non dépendant de services rendus;
ou d'une compensation prévue dans l'éventualité
de la perte du contrat de gestion. Il rejette mainte-
nant l'allégation originale de bris de contrat don-
nant lieu à des dommages. Il se réfère aux déci-
sions suivantes: H. A. Roberts Ltd. c. M.R.N.;
Barr, Crombie & Co., Ltd. c. Commissioners of
Inland Revenue; Courrier M. H. Inc. c. La Reine;
Girouard c. La Reine 2 .
A mon sens, la lecture du premier contrat du 25
mai 1966 révèle clairement qu'il s'agit ici d'une
entente pour obtenir les services de gestion de Zoel
Chicoine (à la demande de ce dernier, Zoel Chi-
coine Inc.). Le langage des deux paragraphes
introductifs est limpide: «Considérant que la partie
de première part désire obtenir les services de
gestion de la partie de seconde part ... leur
entente relative à la contrepartie à verser à la
partie de seconde part pour les services qu'elle
aura à fournir». Ces deux paragraphes s'appliquent
autant au 10% des profits de vente du centre
d'achat, prévu au paragraphe 7, qu'au 10% des
profits annuels, prévu au paragraphe 2.
Finalement, le dernier paragraphe 14 ne peut
être plus direct: «Il est entendu que la partie de
seconde part n'a aucune participation à titre de
2 [1969] R.C.S. 719; 26 T.C. 406; 76 DTC 6331; 80 DTC
6151.
propriétaire dans la partie de première part . .. et
que la partie de seconde part n'est qu'un employé
de la partie de première part.» Le document, bien
sûr, est signé par Zoel Chicoine lui-même, un
homme d'affaires averti. Le contrat répond à ses
désirs: un pourcentage du profit annuel et final,
sans risque, en contrepartie de ses services.
La demanderesse ne peut donc prétendre qu'elle
a des droits de propriétaire, puisqu'elle n'a pas
épaulé le financement du centre d'achat, n'a
garanti aucun des emprunts, ne détient aucune
action, n'a participé à aucune perte, et ne jouissait
d'aucun contrôle quant à la vente du centre
d'achat.
On ne peut prétendre également que la deman-
deresse a subi des dommages. Aucune faute n'a été
démontrée, aucun lien de causalité, aucun préju-
dice. Elle a reçu précisément les montants aux-
quels elle avait droit, soit 10% des profits alors que
le centre d'achat fonctionnait et 10% du profit de
vente à la vente dudit centre d'achat. Ce dernier
montant ne pouvait donc être qu'un paiement pour
services rendus, tel que prévu au contrat.
La réponse à la question est donc que la somme
de $1,017,221 a été payée et reçue à titre d'hono-
raires pour services de gestion et non à titre com-
pensatoire pour dommages suite à un bris de con-
trat ou à tout autre titre.
Frais à suivre.
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