T-5238-81
City of Melville, Town of Watrous, Transport
2000 Saskatchewan et le procureur général de' la
Saskatchewan (Demandeurs)
c.
Le procureur général du Canada, le ministre des
Transports du Canada, Via Rail Canada Inc.,
Canadien Pacifique Limitée et les Chemins de' fer
nationaux du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Regina, 9, 10 et 11 novembre 1981.
Pratique — Requêtes en radiation des plaidoiries — Modi
fications par le gouverneur en conseil, de son propre mouve-
ment et sur le fondement du par. 64(1) de la Loi nationale sur
les transports, d'ordonnances de la Commission canadienne
des transports ayant pour effet de mettre fin à certains services
de trains de voyageurs — Invalidité prétendue du décret vu
l'absence d'ordonnance pertinente et actuelle de la Commission
statuant soit sur la viabilité économique du service, soit sur
son maintien dans l'intérêt public, le Plan définitif ne consti-
tuant pas une ordonnance de la Commission et le gouverneur
en conseil n'ayant pas respecté les règles de l'équité procédu-
rale — Contestation aussi du décret pour non-respect du délai
de l'art. 5 de la Loi sur les textes réglementaires — Articula
tion ou non dans la déclaration d'une cause raisonnable d'ac-
tion — Requêtes accueillies — Loi nationale sur les trans
ports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 48, 64(1) — Loi sur les textes
réglementaires, S.C. 1970-71-72, c. 38, art. 5 — Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 260(8).
Les défendeurs, le procureur général du Canada et Via Rail
Canada Inc. présentent des requêtes pour fin de non-recevoir,
motif pris qu'aucune cause raisonnable à la demande n'apparaît
dans la déclaration. Les compagnies défenderesses fournissent
des services transcontinentaux de transport de voyageurs par
train conformément à des ordonnances de la Commission cana-
dienne des transports. Le gouverneur en conseil, de sa propre
initiative et sur le fondement du paragraphe 64(1) de la Loi
nationale sur les transports, a modifié et révisé les ordonnances
de la Commission mettant fin à certains services de trains de
voyageurs. Le paragraphe 64(1) prévoit que le gouverneur en
conseil peut à toute époque, soit à la requête d'une partie, soit
de son propre mouvement, modifier ou rescinder toute ordon-
nance de la Commission. L'action engagée conclut à un juge-
ment déclaratoire disant que le décret est invalide parce que le
cabinet serait sorti de sa compétence. Les demandeurs soutien-
nent qu'il n'existait aucune ordonnance de la Commission,
pertinente et actuelle, statuant soit sur la viabilité économique
du service en question, soit sur son maintien dans l'intérêt
public. La Commission n'avait pas, disait-on, exécuté l'obliga-
tion, que lui imposait le paragraphe 260(8) de la Loi sur les
chemins de fer, de réexaminer les ordonnances avant qu'elles
n'aient cinq ans; les ordonnances' seraient donc caduques et le
cabinet n'aurait pu les modifier. Le Plan définitif, faisait-on
valoir, ne constituait pas une ordonnance de la Commission; il
ne pouvait donc être modifié ni rescindé sur le fondement du
paragraphe 64(1). Les demandeurs soutenaient que le gouver-
neur en conseil n'avait pas respecté les règles de l'équité
procédurale lorsqu'il avait agi de sa propre initiative sans que
n'ait été établi l'intérêt public pertinent et actuel; il ne disposait
ni de la documentation ni des renseignements qui lui auraient
permis de fonder sa décision. Les défendeurs disaient que la
seule condition préalable était que, avant que le cabinet ne
modifie ou ne rescinde une ordonnance de la Commission, cette
ordonnance devait exister. Les demandeurs répondaient que
l'ordonnance que l'on voulait modifier devrait être actuelle et
pertinente, que le Cabinet ne saurait détenir une compétence
plus large que la Commission elle-même, lorsqu'elle a rendu les
ordonnances contrôlées et que, si une ordonnance quelconque
de la Commission s'avérait invalide, le Cabinet n'aurait pas la
compétence de la modifier. Enfin les demandeurs ont prétendu
que le décret était sans effet; il n'y avait pas eu respect du délai
de l'article 5 de la Loi sur les textes réglementaires. Il échet
d'examiner si la déclaration indique une cause raisonnable
d'action.
Arrêt: les requêtes sont accueillies et la déclaration est
radiée. L'argument des demandeurs voulant que les ordonnan-
ces n'aient été ni actuelles ni pertinentes, paraît sans force.
Rien dans les lois ne dispose qu'une ordonnance ne peut être
modifiée après cinq ans. D'ailleurs, le paragraphe 64(1) permet
expressément au cabinet de modifier ou de rescinder «à toute
époque». Après une lecture honnête de l'ordonnance R-26520, il
apparaît clairement que le Plan définitif y a été incorporé et
qu'il peut donc être modifié sur le fondement du paragraphe
64(1); quant à l'argument voulant que le décret du cabinet ait
été pris sans audience, l'affaire Inuit fournit la réponse. Le
cabinet n'a pas à respecter une procédure de ce genre. Aucune
«équité dans la procédure» n'est requise lorsque le cabinet
exerce les pouvoirs que lui accorde le paragraphe 64(1). Pour
ce qui est de l'argument voulant que le pouvoir discrétionnaire
qu'attribue le paragraphe 64(1) ne soit pas absolu: pourvu que
le cabinet agisse dans les limites de sa compétence, son pouvoir
discrétionnaire est «entier». La déclaration n'indique aucune
cause raisonnable d'action fondée sur des exceptions d'incompé-
tence quant à la validité du décret entrepris. Les dispositions
qui exigent une transmission en temps opportun au greffier du
Conseil privé n'enlèvent pas tout effet au décret.
Arrêts appliqués: Carota c. Jamieson [1977] 1 C.F. 19; Le
procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada
[1980] 2 R.C.S. 735; Montreal Street Railway Co. c.
Normandin [1917] A.C. 170.
REQUÊTES.
AVOCATS:
Richard Scott, c.r., et Karen Simonsen pour
les demandeurs City of Melville, Town of
Watrous et Transport 2000 Saskatchewan.
Peter Glendinning pour le demandeur le pro-
cureur général de la Saskatchewan.
E. A. Bowie, c.r., et I. G. Whitehall, c.r., pour
les défendeurs le procureur général du
Canada et le ministre des Transports du
Canada.
Marshall Rothstein, c.r., et M. Huart pour la
défenderesse Via Rail Canada Inc.
John Bowles et Christian Wendlandt pour la
défenderesse Canadien Pacifique Limitée.
Grant Nerbas et Paul Antymniuk pour la
défenderesse les Chemins de fer nationaux du
Canada.
PROCUREURS:
Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg,
pour les demandeurs City of Melville, Town
of Watrous et Transport 2000 Saskatchewan.
Rendek, Toews, Kaufman, Regina, pour le
demandeur le procureur général de la
Saskatchewan.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs le procureur général du
Canada et le ministre des Transports du
Canada.
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni-
peg, pour la défenderesse Via Rail Canada
Inc.
Service du contentieux du Canadien Pacifi-
que Limitée, Winnipeg et Montréal pour la
défenderesse Canadien Pacifique Limitée.
Service du contentieux des Chemins de fer
nationaux du Canada, Winnipeg, pour la
défenderesse les Chemins de fer nationaux du
Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE COLLIER: C'est à regret que j'ai dû
reprendre cette instance ce 11 novembre, jour du
Souvenir. Il ne faut pas y voir une entorse au
respect des traditions et à la raison d'être de ce
congé. Ces questions juridiques sont fort urgentes
et d'intérêt public et général.
Je juge que les fins de non-recevoir doivent être
accueillies.
Voici mes motifs:
Quatre requêtes ont été présentées sur lé fonde-
ment de la Règle 419(1)a). Les défendeurs, le
procureur général du Canada et Via Rail Canada
Inc., (ci-après appelés «le procureur général» et
«Via») opposent une fin de non-recevoir à tous les
défendeurs motif pris qu'aucune cause raisonnable
à la demande n'apparaît dans la déclaration. Les
autres défendeurs, (ci-après appelés «CP» et «CN»)
présentent des requêtes semblables qui ne visent
cependant que les actions engagées contre eux.
Les principes à appliquer dans le cas de procé-
dures sommaires du genre en cause en l'espèce ont
été énoncés et appliqués depuis plusieurs années.
L'acte de procédure ne doit être radié que dans les
cas patents ou (comme on l'a déjà autrement dit)
lorsque, au vu de la déclaration, la demande est
manifestement insoutenable ou ne saurait être
accueillie. J'ai déjà cité une jurisprudence impor-
tante à ce sujet dans l'espèce Carota c. Jamieson
[1977] 1 C.F. 19. Je ne la citerai pas à nouveau
ici.
Monsieur le juge Estey, rendant l'arrêt de la
Cour suprême du Canada dans Le procureur géné-
ral du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada
[1980] 2 R.C.S. 735, présente la chose comme
suit, à la page 740:
Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action
ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas
évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas «au-delà
de tout doute»....
Pour statuer sur les requêtes dont je suis saisi, il
faut considérer les faits articulés dans la déclara-
tion comme avérés.
La Commission canadienne des transports («la
C.C.T.») conformément aux pouvoirs que lui attri-
bue la loi, a rendu certaines ordonnances relatives
à certains services de trains de voyageurs. Voici les
ordonnances dont font état les demandeurs:
R-22125, en date du 29 janvier 1976.
R-22346, en date du 26 février 1976.
R-26520, en date du 8 mars 1978, cherchant
à mettre en oeuvre le Plan définitif.
R-30914, en date du 29 mai 1980.
R-31300, en date du 14 août 1980.
Je reproduis ici le paragraphe 11 de la
déclaration:
[TRADUCTION] 11. En vertu des ordonnances, des décisions et
des recommandations citées dans les paragraphes précédents,
VIA, CN et CP, au cours de l'année 1981 et jusqu'à ce jour,
ont fourni un service de trains de voyageurs est-ouest, quoti-
dien, de Montréal à Vancouver et vice versa, en passant par
Toronto, Winnipeg, Saskatoon, Edmonton et Jasper, dénommé
«Le Supercontinental», lequel traversait la province de Saskat-
chewan et les villes demanderesses, City of Melville et Town of
Watrous, empruntant la voie ferrée principale du CN.
Le 6 août 1981, le gouverneur en conseil, de sa
propre initiative, et sur le fondement du paragra-
phe 64(1) de la Loi nationale sur les transports,
S.R.C. 1970, c. N-17, modifia et révisa les ordon-
nances de la C.C.T. précitées.
Je crois que l'on peut dire que le gouverneur en
conseil est constitué, à toutes fins pratiques, par le
cabinet fédéral. L'effet du décret du 6 août 1981
est de mettre fin à certains services de trains de
voyageurs actuellement offerts à certaines localités
de la Saskatchewan. Parmi ces localités, il y a les
deux demanderesses, City of Melville et Town of
Watrous.
Les coupures effectuées dans ce service particu-
lier doivent prendre effet le 15 novembre 1981.
Le décret qui effectue la coupure dans ces servi
ces fut enregistré, conformément à la Loi sur les
textes réglementaires, S.C. 1970-71-72, c. 38, le 3
novembre 1981. Il fut publié dans la Gazette du
Canada le 6 novembre 1981 [DORS/81-892].
L'action fut intentée le 23 octobre 1981.
Les demandeurs concluent à jugement déclarant
que le décret du 6 août 1981 était invalide et nul,
le cabinet étant sorti de sa compétence, motif pris
de ce qu'énonce le paragraphe 14 de la
déclaration:
[TRADUCTION] 14. Ce faisant, le gouverneur général est sorti
de sa compétence et a commis un excès de pouvoir en ce que:
a) Il n'a pas rempli la condition nécessaire à l'exercice de sa
compétence car il n'existait aucune ordonnance, décision,
règle ou règlement de la Commission, pertinent et actuel,
statuant soit sur la viabilité économique du service de trains
de voyageurs en question soit sur son maintien malgré tout
dans l'intérêt public.
b) Le Plan définitif n'étant qu'une recommandation qu'a
faite la Commission au Ministre en octobre 1977, il ne
constitue ni une ordonnance ni une décision de la Commis
sion et, en conséquence, il ne saurait être modifié ni rescindé
sur le fondement de l'article 64(1) de la Loi nationale sur les
transports.
c) Ses prétendues directives à VIA et au CN au sujet des
services de trains de voyageurs fournis par VIA conformé-
ment au Plan définitif sont invalides et ne sauraient être
exécutées eu égard aux dispositions en vigueur des ordonnan-
ces R-26520 et R-30914 de la Commission.
d) Il n'a pas respecté les règles de l'équité procédurale
lorsqu'il a agi de sa propre initiative sans que n'ait été établi
l'intérêt public pertinent et actuel; il ne disposait pas de la
documentation ni des renseignements sur lesquels il aurait pu
fonder sa décision.
Subsidiairement, on prétend que le décret est
sans effet parce qu'il n'y a pas eu respect du délai
de l'article 5 de la Loi sur les textes réglementai-
res. La déclaration prétend qu'il n'y a pas eu
enregistrement conformément à l'article 9 de la
Loi. Mais le décret a été enregistré après qu'il y
eut production de la déclaration. Les parties recon-
naissent que l'article 5 constitue maintenant la
disposition applicable lorsqu'il s'agit de savoir si le
décret est sans effet.
Avant de considérer le bien-fondé des fins de
non-recevoir, je ferai le commentaire suivant:
aucun autre fait que pourrait établir un interroga-
toire préalable ou l'instruction ne saurait, à mon
avis, aider à résoudre le litige dont je suis saisi. La
situation en l'espèce se compare à l'affaire des
Inuit où il est dit, à la page 741:
Aucune plaidoirie additionnelle ni aucune preuve ne sont néces-
saires pour trancher cette question. Par conséquent, je souscris
à l'opinion du juge de première instance selon laquelle il s'agit
d'un cas où le tribunal peut à bon droit trancher pareille
question au stade préliminaire de l'action.
Au centre du litige en l'espèce, on trouve les
pouvoirs attribués au gouverneur en conseil par le
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les
transports:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
Est aussi central l'arrêt des Inuit et ce qu'on y a
dit au sujet du paragraphe 64(1).
Voici brièvement quels étaient les faits dans
l'arrêt des Inuit:
Bell Canada avait demandé au Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes (le C.R.T.C.) une hausse de tarif. Le
C.R.T.C. a tenu audience. Les demandeurs y ont
participé. Le C.R.T.C. a prononcé une décision.
Les demanderesses ont présenté des pétitions au
cabinet, demandant la modification de la décision
du C.R.T.C. Bell Canada a répliqué aux pétitions.
Le gouverneur en conseil refusa alors de modifier
la décision du C.R.T.C.
Les demanderesses soutinrent que la décision du
cabinet avait été rendue avant qu'elles n'aient eu le
temps de produire une réponse à Bell. Elles préten-
dirent aussi qu'elles n'avaient pu connaître, du
moins en substance, les autres documents dont
disposait le cabinet, ni eu la possibilité de se faire
entendre. Les demanderesses intentèrent une
action devant notre juridiction concluant, en fait, à
jugement déclaratoire que les décrets du cabinet,
refusant la modification, étaient invalides.
La Cour suprême du Canada confirma la déci-
sion du premier juge, rendue au sujet d'une fin de
non-recevoir, disant que la déclaration ne recelait
aucune cause raisonnable de demande (Règle
419(1)a)).
La Cour suprême a décrit les pouvoirs attribués
par le paragraphe 64(1) comme suit (pages 744 et
745):
J'en viens au texte de l'art. 64. Cette disposition découle de
L'acte des chemins de fer, 1868, 31 Vict., chap. 68 dont les par.
12(9) et 12(10) ont conféré au gouverneur en conseil le pouvoir
d'approuver les taux et tarifs de transport de marchandises par
rail. En 1903, cette responsabilité a été confiée à la Commission
des chemins de fer pour le Canada. L'article 64 a pris sa forme
actuelle dans l'Acte des chemins de fer, 1903, 3 Edw. VII,
chap. 58, art. 44. Toutes ces lois visaient d'abord les tarifs de
chemins de fer et ont ensuite été étendues de façon à s'appli-
quer aux tarifs de téléphone et de télégraphe. Entre temps, les
lois privées qui ont constitué la Compagnie canadienne de
téléphone Bell, par exemple l'Acte concernant la Compagnie
canadienne de téléphone Bell de 1892, 55-56 Vict., chap. 67,
art. 3 ont édicté des dispositions visant les tarifs de téléphone:
Les tarifs actuels ne seront pas élevés sans le consentement
du Gouverneur en conseil.
Dans sa forme actuelle, l'art. 64 crée un droit d'appel à la Cour
d'appel fédérale sur des questions de «droit ou ... de compé-
tence» et un droit illimité ou inconditionnel de demander par
requête au gouverneur en conseil de «modifier ou rescinder»
toute «ordonnance, décision, règle ou règlement» du Conseil.
Les modalités de ces deux voies de révision sont très différentes.
Le gouverneur en conseil peut modifier toute ordonnance de
son propre mouvement. Ce pouvoir n'est pas limité à une
ordonnance du Conseil mais s'étend à ses règles ou règlements.
La révision par le gouverneur en conseil n'est pas limitée à une
ordonnance rendue par le Conseil inter partes ou à une ordon-
nance de portée limitée. Il faut noter dès maintenant qu'à la
suite du par. (2), qui octroie le droit d'appel à la Cour fédérale,
se trouvent cinq dispositions qui en règlent les détails. Rien
dans l'art. 64 ne restreint la liberté d'action du gouverneur en
conseil, il ne formule même pas de principe, de fond ou de
procédure, concernant l'exercice de ses fonctions en vertu du
par. (1).
Et, à la page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Et, à la page 755:
Je suis d'avis que le pouvoir de surveillance de l'art. 64, comme
celui en cause dans l'arrêt Davisville, précité, est conféré aux
membres du Cabinet pour leur permettre de répondre aux
préoccupations politiques, économiques et sociales du moment.
Les défendeurs disent que la seule condition
préalable en l'espèce dont je suis saisi est que,
avant que le cabinet ne modifie ou ne rescinde une
ordonnance de la C.C.T., une telle ordonnance doit
exister. En d'autres mots, le gouverneur en conseil
ne peut, de sa propre initiative, prononcer une
ordonnance. Pourvu que cette condition préalable
soit remplie, le gouverneur en conseil respecterait
les limites de la compétence que lui attribue le
paragraphe 64(1).
Les demandeurs disent qu'il ne suffit pas qu'une
ordonnance de la C.C.T. ait été rendue quelque
part à un moment quelconque par suite d'une
instance engagée sur le fondement de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, ou de la Loi
nationale sur les transports; l'ordonnance que l'on
veut modifier doit être actuelle et pertinente; le
pouvoir discrétionnaire du cabinet n'est pas sans
borne; il doit traiter d'un sujet pertinent unique-
ment; dans l'exercice de son pouvoir de contrôle
selon le paragraphe 64(1), le cabinet ne saurait
détenir une compétence plus large que la C.C.T.
elle-même lorsqu'elle rendit les ordonnances con-
trôlées; si une ordonnance quelconque de la C.C.T.
s'avérait invalide, n'avoir pas été autorisée ou
caduque, le cabinet n'aurait pas la compétence de
la modifier.
Les demandeurs prétendent que l'on peut raison-
nablement soutenir, ce qui mérite d'être instruit au
fond, que le cabinet en l'espèce est sorti de sa
compétence.
J'en viens maintenant aux divers motifs articulés
dans la déclaration.
Paragraphe 14a): Les demandeurs soutiennent
que la C.C.T. ne peut modifier les ordonnances
R-22125 et R-22346 prononcées en 1976; donc le
cabinet non plus. Ces ordonnances disent que les
services transcontinentaux du CN et du CP ne sont
pas rentables et que vraisemblablement, ils ne le
deviendront pas. Mais la C.C.T. a ordonné aux
chemins de fer de ne pas mettre fin à ces services.
L'existence de Via remonte à janvier 1977.
A mon avis, l'ordonnance R-26520 de la C.C.T.
adoptait et mettait en oeuvre le Plan dit définitif.
En outre, elle modifiait les divers horaires des
services de passagers et faisait en sorte que Via
puisse utiliser les voies ferrées du CP et du CN.
L'ordonnance R-30914 de la C.C.T. modifiait
certains des services énoncés dans l'ordonnance
R-26520.
L'ordonnance R-31300 constitue, selon moi, une
refonte en une seule ordonnance de tous les servi
ces de trains de voyageurs existant à l'époque. Je
n'accepte pas l'argument voulant qu'elle ait créé
un nouveau service. Au sujet de cette ordonnance,
les demandeurs ont soutenu qu'elle n'avait pas été
rendue à la suite des demandes des compagnies
ferroviaires conformément au paragraphe 260(2)
de la Loi sur les chemins de fer; il s'ensuivait que
la C.C.T. était sortie de sa compétence lorsqu'elle
l'avait rendue et donc que le gouverneur en conseil
ne pouvait la modifier.
J'ai déjà dit que l'ordonnance R-31300 n'est
qu'une refonte en une seule ordonnance des servi
ces de trains de voyageurs alors existants. Même si
les demandeurs avaient raison de prétendre qu'il
s'agissait en quelque sorte de la création d'un
nouveau service, la C.C.T. détient, à mon avis, le
pouvoir d'agir de son propre mouvement, sans qu'il
soit nécessaire qu'une compagnie ferroviaire pré-
sente une demande. L'article 48 de la Loi natio-
nale sur les transports confère à la C.C.T. de
vastes pouvoirs:
48. La Commission peut, de son propre mouvement, ou doit,
à la demande du Ministre, instruire, entendre et juger toute
affaire ou question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie
ou de la Loi sur les chemins de fer, instruire, entendre et juger
sur une demande ou sur une plainte, et, à cet égard, elle a les
mêmes pouvoirs que la présente loi lui confère pour statuer sur
une demande ou sur une plainte.
On a dit que la C.C.T. avait le devoir de
réexaminer les ordonnances de 1976 avant qu'elles
n'aient cinq ans (voir le paragraphe 260(8) de la
Loi sur les chemins de fer). La C.C.T. ne l'a pas
fait. Les ordonnances seraient donc caduques. Le
cabinet n'aurait pu les modifier. Il s'ensuivrait que
le cabinet, en cherchant à mettre fin aux services,
aurait en fait légiféré, rendu sa propre ordonnance,
et non révisé ni modifié celle-ci.
L'argument des demandeurs, que les ordonnan-
ces de 1976 n'étaient ni actuelles ni pertinentes,
me paraît sans force. Rien dans les lois ne dispose
qu'une ordonnance ne peut être modifiée par la
C.C.T., ou par le cabinet, après cinq ans. D'ail-
leurs, le paragraphe 64(1) permet expressément au
cabinet de modifier ou de rescinder «à toute
époque».
On a aussi soutenu que les ordonnances de 1976
avaient été prononcées après qu'ont été tenues des
audiences et administrées des preuves sur la renta-
bilité des services de trains de voyageurs en cause
et sur l'opportunité d'y mettre fin. Le décret du
cabinet du 6 août 1981, qui mettait fin à certains
de ces services, aurait été pris, prétend-on en outre,
sans audience ni, que l'on sache, sans documenta
tion, mise à jour, semblable à celle dont avait été
saisie la C.C.T. en 1976.
L'affaire des Inuit me fournit ma réponse. Le
cabinet n'a pas à respecter une procédure de ce
genre.
Les ordonnances R-26520, R-30914 et R-31300
peuvent, pour les mêmes raisons, en substance, être
modifiées sur le fondement du paragraphe 64(1).
Paragraphe 14b): Le Plan définitif ne serait ni
une ordonnance ni une décision de la C.C.T.
Je ne suis pas d'accord.
Après une lecture honnête de l'ordonnance
R-26520, il apparaît clairement à mon esprit que
le Plan définitif y a été incorporé. Il peut donc être
modifié sur le fondement du paragraphe 64(1).
Paragraphe 14c): Je fais mienne, telle qu'énon-
cée, la réponse que donne le procureur général
dans son exposé des faits et du droit:
[TRADUCTION] Les ordonnances R-26520 et R-30914 de la
Commission sont elles-mêmes modifiées par le décret, annexe
XV, paragraphe 3 et annexe XIV respectivement. Il est clair
que les compagnies ferroviaires défenderesses ont l'obligation
d'agir conformément, notamment, à ces deux ordonnances de la
C.C.T. que modifie le décret. Le décret ne cherche nullement à
donner des «prétendues directives à VIA et au CN». Il ne fait
que modifier les ordonnances de la C.C.T., y compris les
ordonnances R-26520 et R-30914 comme le législateur a auto-
risé le gouverneur en conseil à le faire.
Paragraphe 14d): En essence, on prétend ici
qu'en l'absence d'une audience récente de la
C.C.T., le cabinet ne disposait pas de documenta
tion ni d'informations à jour lui permettant de
fonder sa décision de mettre fin à certains services
de passagers. Je ne vois aucun fondement à cette
assertion.
Comme on l'a dit dans l'arrêt des Inuit, aucune
«équité dans la procédure» n'est requise lorsque le
cabinet exerce les pouvoirs que lui accorde le
paragraphe 64(1). On doit présumer que la déci-
sion a été prise de bonne foi; le cabinet, particuliè-
rement lorsqu'il traite des ordonnances de la
C.C.T. de son propre mouvement:
... doit être libre de consulter toutes les sources auxquelles le
législateur lui-même aurait pu faire appel s'il s'était réservé
cette fonction. [Pages 755 et 756.]
Et ces pouvoirs lui sont attribués:
... pour [lui] permettre de répondre aux préoccupations politi-
ques, économiques et sociales du moment. [Page 755.]
Enfin, au sujet de l'argument voulant que le
pouvoir discrétionnaire qu'attribue le paragraphe
64(1) ne soit pas absolu: pourvu que le cabinet
agisse dans les limites de sa compétence, son pou-
voir discrétionnaire est «entier». Je citerai une fois
encore l'arrêt Inuit, à la page 756:
Le gouverneur en conseil peut agir «à toute époque». Il peut
modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou
règlement «à sa discrétion». Les règles auxquelles le législateur
a astreint le CRTC ne sont pas répétées ni expressément ni
implicitement à l'art. 64. Cette fonction s'applique aux ordon-
nances générales, quasi législatives du Conseil, de même qu'aux
décisions inter partes. Bref, le gouverneur en conseil a entière
discrétion dans la mesure où il respecte les limites fixées à sa
compétence par le par. 64(1).
A mon avis, la déclaration ne recèle aucune
cause raisonnable d'action fondée sur des excep
tions d'incompétence quant à la validité du décret
entrepris. Je suis convaincu que l'action, fondée
sur ces motifs, ne saurait être accueillie.
Reste l'argument que le décret d'août est sans
effet parce qu'il n'aurait pas été remis pour enre-
gistrement au greffier du Conseil privé dans les
sept jours suivant le 6 août 1981.
Les avocats du procureur général ont soutenu
que le décret entrepris ne constituait pas un texte
réglementaire aux termes de la Loi sur les textes
réglementaires; son enregistrement, donc, n'était
pas requis.
Je n'entends pas trancher cette question. Je vais
présumer cependant que le décret est bel et bien un
texte réglementaire.
L'article 5 de la Loi porte:
5. (1) Dans un délai de sept jours après qu'elle a établi un
règlement ou, dans le cas d'un règlement établi en premier lieu
dans l'une seulement des langues officielles, dans un délai de
sept jours après l'avoir établi dans cette version, l'autorité
réglementante doit en transmettre des copies dans les deux
langues officielles au greffier du Conseil privé pour enregistre-
ment en application de l'article 6.
La loi ne poursuit pas en disant que le défaut de
transmission dans les sept jours invalide ou rend
sans effet un texte réglementaire. La Loi prévoit
cependant qu'un texte n'entre pas en vigueur, sauf
dans certains cas, avant son enregistrement.
Les demandeurs soutiennent que les dispositions
de l'article 5 sont impératives; en ne les respectant
pas, le décret, bien qu'il soit maintenant enregistré,
est devenu sans effet. Je n'admets pas que l'article
5 ait, en l'espèce, cet effet.
L'article, ainsi que la loi, a pour objet de forcer
les autorités réglementantes à rendre leurs règle-
ments publics. Mais les dispositions qui exigent
une transmission en temps opportun au greffier du
Conseil privé n'enlèvent pas, à mon avis, tout effet
à ce décret. Le principe qu'énonça l'arrêt Montreal
Street Railway Company c. Normandin [1917]
A.C. 170 s'applique à la situation en cause. Voici
un extrait de l'avis du Conseil privé, aux pages 174
et 175:
[TRADUCTION] Les lois sont silencieuses sur les conséquences
de l'inobservance de ces dispositions. On soutient au nom des
appelantes que cela a pour conséquence que l'instruction fut
coram non judice et qu'elle doit être considérée comme une
nullité.
Il est nécessaire d'examiner les principes adoptés pour l'inter-
prétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la
mesure où il y en a, sur le point particulier soulevé ici. On s'est
souvent demandé si les dispositions d'une loi étaient supplétives
ou impératives dans ce pays; on a répondu qu'aucune règle
générale ne pouvait être énoncée et qu'il fallait considérer
chaque cas d'espèce que visait la loi. On trouvera la jurispru
dence sur le sujet rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5e éd.,
aux pages 596 et suivantes. Lorsque les dispositions d'une loi
concernent l'exercice d'une fonction publique et que juger nuls
et non avenus des actes exécutés en ignorance de cette obliga
tion causerait des inconvénients généralisés sérieux, ou encore
une injustice à des individus n'ayant aucun contrôle sur les
responsables de cette fonction, tout en ne favorisant pas l'objet
principal recherché par le législateur, il a été d'usage de statuer
que ces dispositions n'étaient que supplétives et que cette
ignorance, quoique condamnable, n'invalidait pas ces actes.
La déclaration sera radiée et l'action, à l'égard
de tous les défendeurs, rejetée.
Je n'ai pas énoncé par le menu détail tous les
arguments qu'ont avancés les parties. Je n'ai pas
non plus, dans les présents motifs, traité ces points
aussi à fond que je l'aurais souhaité. Les requêtes
furent instruites les lundi et mardi de cette
semaine. Étant donné l'imminence de la date de
réduction des services, le 15 novembre, j'ai pensé
que je devais remettre une décision, si brève soit-
elle, aussitôt que possible, quoique les avocats
aient toujours été présents, attendant de débattre,
si nécessaire, les requêtes en injonction interlocu-
toire.
Je n'ai pas non plus énoncé les divers moyens
que firent valoir individuellement Via, CP, et CN.
Sans aller jusqu'à rédiger des motifs à ce sujet, je
ne puis découvrir, d'après les faits articulés dans la
déclaration, une cause raisonnable à la demande
intentée contre ces trois défendeurs.
J'ajouterai que c'est à regret que je ne puis, en
droit, permettre à l'action de suivre son cours sans
entraves. Je suis conscient du tollé qu'a soulevé au
Canada cette décision du cabinet, une fois publi-
que. Les juges ne peuvent, comme êtres humains,
siéger dans un vide hermétique à l'actualité. Je sais
aussi que d'autres instances semblables sont
actuellement pendantes dans d'autres juridictions
et dans celle-ci. Je sais enfin que de nouvelles
instances sont aussi envisagées.
Mais, en tant que juge, je dois appliquer la loi
comme je l'interprète. Le législateur a attribué par
le paragraphe 64(1) certains pouvoirs au gouver-
neur en conseil. L'exécutif a choisi d'agir comme il
l'a fait en l'espèce plutôt que de laisser la question
être résolue à nouveau par la C.C.T. ou par quel-
que autre mode de consultation. Selon ma concep
tion du droit, le gouverneur en conseil pouvait faire
ce qu'il a fait; il a, ce faisant, agi dans les limites
de sa compétence. Ce n'est pas ma fonction de dire
que le gouverneur en conseil aurait peut-être dû
emprunter une voie différente. Le juge Estey, aux
pages 756 et 757 de l'arrêt Inuit, a bien su le dire:
On a parfois reproché à la procédure prévue au par. 64(1) de
constituer une intervention injustifiable dans le processus régle-
mentaire: voir Les organismes administratifs autonomes, docu
ment de travail n° 25 de la Commission de réforme du droit du
Canada (1980), aux pp. 96 98. La Commission a recom-
mandé que:
soient abolies les dispositions qui prévoient que le Cabinet ou
un ministre tranchera en dernier ressort les appels des déci-
sions d'un organisme, sauf pour ce qui concerne les instances
qui nécessitent l'équivalent de l'exercice du pouvoir de grâce
ou une décision fondée sur des considérations humanitaires
(à la p. 97).
Certains peuvent considérer inhabituel et même inefficace que,
dans une société organisée, le gouverneur en conseil puisse
infirmer la décision soigneusement pesée d'un organisme admi-
nistratif, rendue au terme d'une audition publique complète au
cours de laquelle on a fait valoir plusieurs points de vue.
D'autre part, le législateur est apparemment d'avis qu'il s'agit
là d'un domaine particulièrement vulnérable aux changements
des politiques d'intérêt public et il l'a par conséquent réservé à
l'Exécutif qui doit en dernier ressort les appliquer. Vu l'inter-
prétation du par. 64(1) que j'adopte, le gouverneur en conseil
n'a pas à motiver sa décision, à tenir quelque audience que ce
soit ni même à accuser réception d'une requête. Il n'appartient
pas à cette Cour, cependant, de décider si les appels interjetés
au Cabinet sont souhaitables ou non. Je n'ai qu'à décider si les
exigences du par. 64(1) ont été respectées.
Toute critique et sanction pour avoir eu recours
au paragraphe 64(1) en l'espèce appartiennent
sans doute au Parlement et finalement, naturelle-
ment, aux électeurs.
Cela étant dit, a-t-on des arguments à faire
valoir au sujet des dépens?
Me BOWIE: Je suppose qu'ils devraient suivre l'issue
de la cause, votre Seigneurie, mais personnelle-
ment je ne suis pas enclin à les demander.
LA COUR: Ah bon! Vous devez songer cependant
que l'affaire peut aller jusqu'au dernier degré de
juridiction d'appel; les dépens pourraient alors
devenir un facteur beaucoup plus important. Aussi
vais-je rendre l'ordonnance habituelle en matière
de dépens et ce sera aux défendeurs qu'il appar-
tiendra, s'ils le désirent, de s'abstenir d'en exiger
l'exécution.
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