A-90-8 I
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Gary Schoen (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Urie et le juge
suppléant Verchere—Vancouver, 8 octobre;
Ottawa, 28 octobre 1981.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — Demande
d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le juge-
arbitre a jugé que la perte d'un emploi à temps partiel du fait
d'une grève ne rendait pas le prestataire inadmissible à rece-
voir des prestations pour l'emploi à temps plein qu'il avait
perdu en raison d'un manque de travail en juillet 1978
L'intimé a travaillé à temps partiel jusqu'en octobre 1978,
époque à laquelle il a perdu cet emploi à la suite d'un conflit
collectif — A partir de ce moment jusqu'à la fin de décembre
1978, l'intimé a reçu les prestations entières — La Commis
sion d'assurance-chômage a décidé qu'il était devenu, en
application du par. 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, inadmissible à recevoir des prestations après la fin
du mois d'octobre — Il échet d'examiner si le juge-arbitre a
eu tort de décider qu'en vertu du par. 44(1), le prestataire,
après avoir perdu un emploi à temps plein en raison d'un
manque de travail et après avoir perdu, du fait d'un conflit
collectif, un emploi à temps partiel qu'il avait occupé tout en
recevant des prestations d'assurance-chômage, n'était pas
inadmissible à recevoir des prestations pour son emploi à
temps plein — La demande est accueillie — Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 16(1)a),
27(2), 44(1) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
P. Partridge pour le requérant.
D. J. Egleston pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
D. J. Egleston, Vancouver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Cette demande fondée sur
l'article 28 tend à l'examen et à l'annulation de la
décision rendue par un juge-arbitre nommé en
vertu de la Partie V de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48.
Du 24 février 1978 au 7 juillet 1978, l'intimé
travailla à temps plein chez Rayonier Canada. Il
perdit cet emploi en raison d'un manque de travail
et, par la suite, travailla à temps partiel chez
Pacific Press Ltd., qui l'avait engagé les fins de
semaine depuis 1974. Le 27 juillet 1978, par suite
de la cessation de son emploi à plein temps chez
Rayonier Canada, il soumit une demande initiale
de prestations à la Commission d'assurance-chô-
mage qui, conformément à l'article 19 de la Loi,
établit à son profit une période de prestations
commençant le 23 juillet 1978. L'intimé ne com-
mença toutefois à recevoir des prestations que le 9
septembre 1978, puisque antérieurement à cette
date, le revenu qu'il tirait de son emploi à temps
partiel chez Pacific Press Ltd. et d'autres emplois
intermittents dépassait son taux de prestations. Du
9 septembre 1978 jusqu'à la fin d'octobre 1978, il
reçut des prestations réduites, compte tenu de son
revenu tiré du travail à temps partiel. A la fin
d'octobre, il perdit cet emploi et fut, par la suite,
constamment en chômage jusqu'à la fin de décem-
bre 1978. Au cours de cette dernière période, il
reçut les prestations entières. La Commission éta-
blit plus tard qu'il avait perdu son emploi à temps
partiel chez Pacific Press Ltd. du fait d'un conflit
collectif et qu'en conséquence, il était devenu, en
application du paragraphe 44(1) de la Loi', inad
missible à recevoir les prestations qui lui avaient
été versées après la fin du mois d'octobre. L'intimé
interjeta appel de cette décision devant un conseil
arbitral. Son appel fut rejeté. Il fit alors appel
devant un juge-arbitre. Le juge-arbitre accueillit
l'appel et renvoya l'affaire à la Commission pour
nouvelle décision à partir du principe que l'appe-
lant n'était pas, à l'égard de son emploi chez
Rayonier Canada, inadmissible à recevoir des
prestations en raison du conflit collectif chez Paci
fic Press. C'est cette décision que vise la demande.
' Ce paragraphe est ainsi rédigé:
44. (I) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier
ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas
admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas
réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt de travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
Tout comme devant le juge-arbitre, il est cons
tant que l'intimé a perdu son emploi à temps
partiel chez Pacific Press «du fait d'un arrêt de
travail dû à un conflit collectif [au] ... local où il
exerçait un emploi», et qu'il ne saurait se prévaloir
du paragraphe 44(2). Il s'ensuit que la seule ques
tion que le juge-arbitre avait à trancher était de
savoir si, en vertu du paragraphe 44(1), un pres-
tataire qui, après avoir perdu un emploi à temps
plein à cause d'un manque de travail, travaillait à
temps partiel tout en recevant des prestations d'as-
surance-chômage, était inadmissible à recevoir cel-
les-ci s'il venait à perdre son emploi à temps
partiel du fait d'une grève à l'atelier où il exerçait
son emploi. Comme je l'ai déjà indiqué, la réponse
du juge-arbitre était que, dans les circonstances, la
perte de l'emploi à temps partiel ne rendait pas le
prestataire inadmissible à recevoir des prestations
pour l'emploi à temps plein auquel il avait été
auparavant mis fin en raison d'un manque de
travail.
Il m'est difficile de saisir la décision du juge-
arbitre. En vertu de la Loi, les prestations sont
payables à une personne qui remplit les conditions
requises pour les recevoir lorsqu'elle est en chô-
mage; les prestations ne sont pas payables à
l'égard des divers emplois qu'une personne peut
avoir exercés dans le passé. Dans un sens, il est
vrai que le prestataire qui est admissible au béné-
fice des prestations a acquis ce droit en exerçant
au préalable un emploi assurable. En effet, pour
avoir droit aux prestations, une personne doit avoir
occupé un emploi assurable pendant un certain
nombre de semaines et, en outre, le taux des
prestations payables à un prestataire est fixé en
fonction de ses gains au cours de ces semaines.
Toutefois, il ne s'ensuit pas que les prestations qui
sont payables à un prestataire sont payables à
l'égard de ces semaines de travail; elles sont
payables uniquement à l'égard des semaines au
cours desquelles il est en chômage. Par conséquent,
lorsque des prestations d'assurance-chômage sont
payées à un prestataire qui a, soit simultanément,
soit successivement, occupé bien des emplois diffé-
rents, la Loi ne prévoit pas le partage et la réparti-
tion de ces prestations en fonction des divers
emplois. Dans la mesure où la décision attaquée
était fondée sur la fausse idée qu'une telle réparti-
tion était possible sous le régime de la Loi, j'estime
qu'il y a lieu de l'annuler.
Il existe peut-être une autre façon d'expliquer la
décision du juge-arbitre. Bien qu'il ne l'ait pas dit,
il se peut qu'il ait interprété le paragraphe 44(1)
comme rendant un prestataire inadmissible à rece-
voir seulement les prestations ou la partie des
prestations qui, sans l'existence de ce paragraphe,
seraient payables par suite de la perte d'emploi due
à un conflit collectif. Autrement dit, d'après cette
interprétation, ce paragraphe ne rendrait pas un
prestataire dont la cessation d'emploi est due à un
conflit collectif inadmissible à recevoir les presta-
tions auxquelles il aurait eu droit s'il avait con-
servé cet emploi; il le rendrait simplement inadmis
sible à recevoir des prestations additionnelles par
suite de la cessation de son emploi due à un conflit
collectif. Cette interprétation produirait certaine-
ment des résultats équitables. J'ai toutefois conclu
qu'il fallait la rejeter. En vertu de la Loi, lors-
qu'une personne est, en raison de l'article 44,
inadmissible au bénéfice des prestations pour un
jour ou une période, cette personne perd son droit
de recevoir toute prestation pour ce jour ou cette
période. Cette mesure découle, à mon avis, de
l'alinéa 16(1)a) et du paragraphe 27(2) 2 . A mon
sens, il s'ensuit que le paragraphe 44(1) ne saurait
être interprété comme rendant un prestataire inad
missible à une partie seulement des prestations
qu'il serait autrement en droit de recevoir.
Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé a reconnu
que le juge-arbitre avait commis une erreur en
décidant que l'intimé n'était pas admissible au
bénéfice des prestations à l'égard de son emploi à
temps partiel chez Pacific Press. D'après lui, le
paragraphe 44(1) devrait être interprété de façon à
ne s'appliquer nullement à l'espèce. Toujours selon
l'avocat, ce paragraphe ne rendait aucunement
l'intimé inadmissible. Il ne put toutefois donner
une réponse satisfaisante lorsqu'on lui demanda
quelle devait être, pour arriver à ce résultat, l'in-
2 Ces dispositions portent ce qui suit:
16. (1) Dans la présente Partie,
a) «inadmissible» signifie non admissible en vertu de l'un
ou l'autre des articles 23, 25, 29, 36, 44, 45, 46, 54 ou 55
ou en vertu d'un règlement;
27....
(2) Si un prestataire est inadmissible ou exclu du bénéfice
des prestations pour un ou plusieurs jours ouvrables d'une
semaine de chômage non comprise dans le délai de carence, il
doit être déduit des prestations afférentes à cette semaine un
cinquième de son taux de prestations hebdomadaires pour
chacun de ces jours ouvrables.
terprétation à donner à ce paragraphe. Si je com-
prends bien, il suggéra simplement que ce paragra-
phe ne devrait pas s'appliquer aux personnes ayant
plus d'un emploi ni au travail à temps partiel, mais
qu'il ne devrait s'appliquer qu'à la perte du dernier
emploi avant l'établissement d'une période de pres-
tations. Je ne saurais accueillir aucun de ces argu
ments. Si le législateur avait voulu que le paragra-
phe ne s'appliquât qu'à la perte du dernier emploi
avant l'établissement d'une période de prestations,
il l'aurait dit, comme il l'a fait à l'article 41. De
plus, il serait difficile de concilier la non-applica
tion de ce paragraphe à la perte d'un emploi au
cours d'une période de prestations et le but évident
de cette disposition, soit de ne pas permettre que
les fonds de la Commission d'assurance-chômage
soient utilisés pour subventionner une partie à un
conflit collectif. Quant à la proposition que ce
paragraphe soit interprété comme ne s'appliquant
pas aux personnes ayant plus d'un emploi et aux
personnes travaillant à temps partiel, je ne vois pas
pourquoi on devrait ainsi restreindre le sens du
langage utilisé dans ce paragraphe.
J'estime donc qu'il y a lieu d'attribuer au para-
graphe 44(1) son sens normal, même si cela a
malheureusement pour conséquence, en l'espèce,
de rendre l'intimé inadmissible au bénéfice des
prestations sous le régime de la Loi. Bien que
j'eusse préféré arriver à une autre conclusion, je ne
vois aucun motif valable pour ne pas suivre la
décision rendue dans Giroux c. Le procureur gé-
néral du Canada (1°r mai 1980, n° de greffe
A-6-80). Dans cette affaire, la Cour de céans a
rejeté, sans motiver sa décision, une demande
fondée sur l'article 28 qui visait une décision
rendue par le juge Marceau à titre de juge-arbitre.
Il y avait décidé (CUB 5207A, 5 décembre 1979)
qu'en vertu du paragraphe 44(1), le bénéficiaire de
prestations d'assurance-chômage qui avait perdu
un emploi à temps partiel pour la raison prévue à
ce paragraphe était, de ce fait, devenu inadmissible
au bénéfice des prestations prévues par la Loi.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir
la demande, d'infirmer la décision du juge-arbitre
et de lui renvoyer l'affaire pour nouvelle décision à
partir du principe qu'en vertu du paragraphe
44(1), un prestataire qui, après avoir perdu un
emploi à temps plein en raison d'un manque de
travail, occupe un emploi à temps partiel tout en
recevant des prestations d'assurance-chômage, est
inadmissible au bénéfice des prestations prévues
par la Loi s'il perd cet emploi à temps partiel du
fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à
l'atelier où il exerce son emploi.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: Je souscris
aux motifs ci-dessus.
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