T-2865-81
United States Surgical Corporation (Demande-
resse)
c.
Downs Surgical Canada Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Toronto, 19 octobre; Ottawa, 23 octobre 1981.
Droit d'auteur — Contrefaçon — La demanderesse prétend
qu'elle est titulaire d'un droit d'auteur sur certains dessins
représentant les cartouches d'agrafes qu'elle vend et qui rem-
placent les sutures utilisées en chirurgie, et allègue que la
défenderesse a violé ce droit — La demanderesse a supprimé
certains renseignements des copies des dessins, au motif qu'elle
tient à les garder secrets et confidentiels — Il échet d'examiner
si une partie peut être recevable â affirmer son droit d'auteur
sur la totalité d'une oeuvre et à alléguer la violation de ce droit
tout en refusant de révéler la totalité de cette oeuvre — Règle
407(2) de la Cour fédérale.
Arrêt approuvé: Sitwell c. Sun Engraving Co., Ltd. [1937]
4 All E.R. 366.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Donald F. Sim, c.r., pour la demanderesse.
M. Eberts et D. Cameron pour la défende-
resse.
PROCUREURS:
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour la
demanderesse.
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit en l'espèce d'une
action en contrefaçon de certains brevets et aussi
en droit d'auteur dont la demanderesse revendique
la propriété au sujet de certains dessins. Il y a eu
requête de la défenderesse en communication des
détails sur le brevet. De son côté, la demanderesse
s'est fondée sur la Règle 433 pour introduire une
requête en jugement, mais sans trop insister. Ces
motifs portent uniquement sur la question du droit
d'auteur. Quant à mes vues sur les autres ques
tions, je les ai fait connaître à l'audience.
Le litige porte sur les cartouches d'agrafes qui
remplacent les sutures utilisées en chirurgie. Dans
la publicité pour ces dispositifs, la défenderesse
affirme qu'ils s'adaptent aux agrafeuses chirurgi-
cales de la demanderesse. Quant à la violation du
droit d'auteur, la demanderesse reproche essentiel-
lement aux cartouches de la défenderesse d'être la
matérialisation des descriptions des cartouches de
la demanderesse, telles qu'elles figurent sur les
dessins.
Par les paragraphes 31 38 de sa déclaration, la
demanderesse affirme son droit d'auteur sur les
dessins. A ce sujet, il suffit de reproduire le para-
graphe 31. Les autres paragraphes sont essentielle-
ment les mêmes pour ce qui est de cette demande.
[TRADUCTION] 31. La demanderesse est le titulaire canadien
du droit d'auteur sur une oeuvre littéraire ou artistique, savoir
le dessin enregistré le 13/7/71 sous le numéro C3853600.
L'auteur en est Paul Palansky, citoyen des États-Unis d'Améri-
que, qui vit encore et qui était, en vertu d'un contrat de travail,
au service de la demanderesse au moment où il a réalisé ce
dessin. Ce dernier a été réalisé dans l'exécution de son travail.
Il constitue la représentation des pièces de chargement jetables
que vend la demanderesse, sous les marques de commerce Auto
Suture, 30-3.5 et 30-4.8.
Le paragraphe 39a) allègue la violation du droit
d'auteur affirmé au paragraphe 31. A cet égard
non plus, il n'est pas nécessaire de reproduire les
alinéas b) à h) qui se rapportent aux dessins
décrits aux paragraphes 32 38.
[TRADUCTION] 39. Sans le consentement ni l'autorisation de
la demanderesse, la défenderesse a fabriqué directement ou par
personne interposée, importé au Canada, offert de vendre,
distribué et vendu au Canada, ou encore, a l'intention de
fabriquer directement ou par personne interposée, d'importer
au Canada, d'offrir de vendre, de distribuer et de vendre au
Canada des pièces de chargement jetables, lesquelles reprodui-
sent les oeuvres décrites aux paragraphes 31 à 38 ci-dessus, en
quoi la défenderesse viole ledit droit d'auteur de la demande-
resse. En particulier, les pièces de chargement disposables de la
défenderesse constituent la violation du droit d'auteur de la
façon suivante:
a) les pièces de chargement ou cartouches jetables de la
défenderesse, portant les désignations 30 MED et 30 LG
reproduisent l'ouvre représentée par le dessin numéro
C3853600, dont il est fait état au paragraphe 31
susmentionné;
Les Règles de la Cour fédérale portent:
Règle 407. .. .
(2) Une copie de chaque document mentionné dans une
plaidoirie doit être signifiée à chaque partie à laquelle ladite
plaidoirie est signifiée, soit au moment de la signification de
cette dernière, soit dans un délai de 30 jours à compter de ce
moment, à moins que
a) une partie ne renonce à son droit de recevoir ces copies; ou
que
b) la Cour, pour un motif spécial, n'en ordonne autrement.
En s'acquittant de l'obligation prévue par la Règle
ci-dessus, la demanderesse a supprimé certains
renseignements des copies des dessins. Ces rensei-
gnements relèvent de quatre catégories:
1. Références aux dessins des pièces et aux
numéros des éléments.
2. Descriptions des modifications apportées aux
dessins.
3. Spécifications et tolérances de montage.
4. Dans certains cas, les dates des dessins
originaux.
La demanderesse affirme qu'à l'exception de la
catégorie 4, les renseignements supprimés sont des
renseignements commerciaux de première impor
tance qu'elle tient à garder secrets et confidentiels.
Pour ce qui est de la catégorie 1, un concurrent
en possession des références aux dessins des pièces
et aux numéros des éléments pourrait demander
aux fournisseurs de la demanderesse de lui fournir
les dessins et les pièces identiques que la demande-
resse utilise pour ses cartouches. Quant à la caté-
gorie 2, la demanderesse reconnaît que les modifi
cations sont mineures, soutient que les précisions
relatives à leur nature précise et à leurs dates
fourniraient à un concurrent des renseignements
précieux sur le montage, la fabrication, la concep
tion et le contrôle de la qualité, pour ce qui est
d'identifier les parties où la demanderesse a fixé
les spécifications et les tolérances d'une impor
tance capitale. La nature des renseignements de la
catégorie 3 suffit à elle seule à expliquer la volonté
de la demanderesse de les garder confidentiels.
Cette dernière n'a cependant donné aucune raison
valable pour le refus de communiquer les rensei-
gnements de la catégorie 4; en fait, toutes ces dates
figurent dans la déclaration.
La jurisprudence dominante penche nettement
du côté de l'obligation de produire, en application
de la Règle 407(2), l'intégralité de tout document
visé dans une plaidoirie. Cette Règle investit
cependant la Cour d'un pouvoir discrétionnaire en
la matière. La défenderesse soutient que ce pouvoir
discrétionnaire ne s'applique qu'aux cas où il serait
matériellement difficile, sinon impossible, de pro-
duire un document tout entier, par exemple un
document si fragile et si long qu'il est impossible
de le photocopier ou de le reproduire de toute
autre manière. Je ne saurais accueillir cette inter-
prétation restrictive. Il pourrait bien y avoir des
cas où, par exemple, la Cour conclut qu'une partie
d'un document n'a rien à voir avec l'affaire et que
l'intéressé a de bonnes raisons de vouloir garder
cette partie par-devers soi.
Indépendamment de l'obligation prévue à la
Règle 407(2), il se pose une question bien plus
fondamentale, savoir si une partie peut être rece-
vable à affirmer son droit d'auteur sur la totalité
d'une oeuvre et à alléguer la violation de ce droit
tout en refusant de révéler la totalité de cette
œuvre. La réponse est, à l'évidence, négative. Cette
partie est tenue de révéler tout ce qui fait l'objet de
sa revendication du droit d'auteur; sinon, son
action sera sommairement déclarée irrecevable,
car un procès ne servirait pas à grand-chose dans
ce cas.
Dans Sitwell c. Sun Engraving Co., Ltd.', la
Cour d'appel d'Angleterre, statuant sur une ordon-
nance interlocutoire, s'est prononcée sur une action
en violation du droit d'auteur par suite de la
publication sans autorisation par la défenderesse
de six strophes du poème non publié du deman-
deur. Pour des raisons inconnues, le demandeur
estimait que l'ensemble de son poème ne jouissait
pas de la protection en matière de droit d'auteur.
Peut-être était-il obscène ou diffamatoire. Le
Maître des rôles s'est prononcé en ces termes à la
page 369:
[TRADUCTION] Je conviens que, si l'oeuvre faisant l'objet d'une
plainte de violation de droit d'auteur est l'oeuvre tout entière au
sujet de laquelle le demandeur revendique le droit d'auteur, ce
demandeur ne saurait évidemment pas, tout en affirmant le
droit d'auteur sur quatorze strophes, prétendre en dissimuler
douze ou deux, selon le cas. Mais, ce n'est pas ce que le
demandeur prétend faire en l'espèce. Il ne fait que dire: «Ceci
est mon œuvre, et c'est ce que vous avez violé.» Qu'il soit fondé
ou non en sa demande, voilà ce qui devra être tranché quand
cette question de droit viendra à être débattue, et quand les
faits pertinents seront portés devant la Cour. En cet état de la
cause, la Cour ne peut se prononcer que sur les conclusions
produites ainsi que sur les conclusions figurant dans la déclara-
tion du demandeur selon laquelle il y a violation du droit
d'auteur sur une œuvre, consistant dans les six strophes qui ont
été publiées. Je ne saurais accueillir l'argument voulant que,
avant de pouvoir soutenir une revendication de ce genre, il soit
tenu de produire quelques autres strophes dont sa déclaration
ne fait pas état et à propos desquelles il ne formule aucune
plainte.
' [1937] 4 All E.R. 366.
Si la demanderesse entend, comme elle le fait en
l'espèce, affirmer son droit d'auteur sur les dessins
tout entiers, il faut qu'elle les produise. Si, toute-
fois, elle n'entend revendiquer un droit d'auteur
qu'à l'égard d'une partie distincte et isolable de
chaque dessin, je ne vois pas pourquoi elle ne
pourrait pas limiter ses conclusions en conséquence
et, si tel est le cas, je ne vois pas pourquoi elle
devrait produire autre chose que cette partie. de
suis convaincu qu'il y aurait dans ce cas un motif
spécial, au sens de la Règle 407(2), pour ne pas
exiger de la demanderesse qu'elle produise les
parties des dessins décrits dans les catégories 1, 2
et 3.
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