T-5210-80
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Douglas
Lawrence Chute (Appelant)
Division de première instance, le juge Walsh—
Toronto, 17 mars; Ottawa, 1" avril 1981.
Citoyenneté — Appel de la décision d'un juge de la citoyen-
neté rejetant la demande de citoyenneté présentée par l'appe-
lant pour son fils mineur — L'enfant est né hors du mariage
aux États-Unis en 1975 — La mère est citoyenne américaine;
le père est citoyen canadien — La naissance n'a pas été inscrite
à l'étranger — L'enfant est titulaire d'un visa de visiteur — Il
échet d'examiner si la citoyenneté doit être accordée à un
enfant mineur né à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la
nouvelle Loi sur la citoyenneté — Il échet de déterminer si la
Cour devrait recommander au Ministre d'exercer son pouvoir
discrétionnaire — Appel ajourné sine die — Loi sur la
citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, modifiée, art. 3(1)b),
5(1)6),(2),(4).
APPEL.
AVOCATS:
D. Chute pour son propre compte.
J. S. Lyons, c.r., amicus curiae.
PROCUREURS:
D. Chute, Toronto, pour son propre compte.
Jeffery S. Lyons, c.r., Toronto, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'un appel daté du 28
octobre 1980, interjeté pour le compte de son
enfant par le père d'un enfant mineur nommé
Jesse Robert Chute, né hors du mariage aux États-
Unis, le 21 avril 1975. L'appel est fondé sur l'arti-
cle 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-
75-76, c. 108, modifiée, aux termes duquel le
Ministre doit accorder la citoyenneté à toute per-
sonne qui «a été légalement admise au Canada à
titre de résident permanent». Avant de prendre une
décision, on a examiné attentivement, non seule-
ment les dispositions de la Loi sur la citoyenneté,
mais aussi celles de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52.
Les circonstances sont extrêmement compli-
quées. Le père de l'enfant est citoyen canadien, né
au Canada, et sa mère, Margaret Elizabeth Bliss,
citoyenne des États-Unis. Tous deux ont reconnu
la paternité dans l'acte de naissance de l'enfant.
L'article 5(1)b) de l'ancienne Loi sur la citoyen-
neté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19, exigeait,
dans le cas d'un enfant né hors du mariage, que la
mère fût citoyenne canadienne ou que le fait de la
naissance fût inscrit, en conformité des règlements,
au cours des deux années de la date de cet événe-
ment ou au cours de la période prolongée que le
Ministre pouvait autoriser en des cas spéciaux.
Cette disposition fut abrogée par la Loi sur la
citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108 actuellement
en vigueur. Le père a tenté de faire inscrire cette
naissance à l'étranger mais il n'a pu le faire car un
tel enregistrement n'aurait pas été conforme aux
dispositions de l'article 5(1)b) alors en vigueur.
Actuellement, l'enfant a le statut de citoyen améri-
cain avec la permission de résider au Canada
jusqu'au 4 avril 1981, et sa mère a le même statut.
Le père et la mère ont continué à vivre ensemble,
mais, pour des raisons personnelles, la mère refuse
de prendre l'une ou l'autre des mesures qui pour-
rait assurer qu'il serait fait droit à la demande de
citoyenneté présentée pour le compte de son
enfant. Étant catholique et divorcée, elle ne peut
contracter un nouveau mariage, sa religion le lui
interdisant; elle refuse donc de se marier avec le
requérant, quoiqu'ils continuent à vivre ensemble
comme des gens mariés et qu'ils aient deux autres
enfants nés de cette union, tous deux citoyens
canadiens. Elle refuse également de consentir à
l'adoption de l'enfant par le requérant, suggérée
comme issue à cette situation, parce que, à la
dissolution d'un mariage précédent, elle a perdu,
au profit du père, la garde d'un autre enfant né de
ce mariage. Elle ne veut donc donner au requérant,
relativement à l'enfant, aucun droit autre que celui
résultant de la reconnaissance de paternité, de
peur de perdre aussi la garde de l'enfant Jesse en
cas de dissolution de leur union. Au point de vue
juridique, un tel argument semble très faible étant
donné que, pour attribuer la garde d'un enfant, les
tribunaux tiennent principalement compte du bien-
être de ce dernier. Il est donc peu vraisemblable
qu'un changement dans le statut du père, résultant
de l'adoption de l'enfant, lui donnerait plus de
droits à la garde de l'enfant si les circonstances de
l'espèce indiquaient que l'attribution de la garde à
la mère serait plus appropriée. Bien que l'on puisse
peut-être comprendre la motivation de la mère, on
ne peut modifier l'application de la loi pour tenir
compte de motifs personnels.
Dans une lettre datée du 1" août 1980 et adres-
sée au requérant, qui est professeur à l'Université
de Toronto, S. G. Ramsay, du Centre d'immigra-
tion de Toronto, lui a signalé qu'il n'avait pas le
droit de parrainer l'admission de l'enfant au
Canada, lequel ne pouvait donc entrer au Canada
que provisoirement, à titre de visiteur, que, pour
fréquenter un établissement scolaire, il devait avoir
un visa d'étudiant délivré en dehors du Canada, et
qu'il ne pouvait rester au Canada indéfiniment.
La mère de l'enfant n'a pas le statut d'immi-
grante reçue et le juge de la citoyenneté a conclu
que l'article 5(4) ne devait pas servir à contourner
les autres dispositions de la Loi. On a mis Jesse à
une école maternelle au Canada. Son père doit
payer des frais de scolarité s'élevant à $1,194, et
une lettre de la Commission scolaire de Scar-
borough précise qu'aux termes de l'Éducation Act,
S.R.O. 1980, c. 129, tout résident vivant chez ses
parents ou chez son tuteur peut fréquenter un
établissement scolaire sans frais, mais que suivant
son interprétation, on ne peut considérer comme
résident le titulaire d'un visa de visiteur, d'autant
plus que ce visa spécifie ordinairement que le
titulaire ne doit fréquenter aucun établissement
scolaire. Ces frais de scolarité constituent une
charge lourde pour le requérant qui n'est pas
titularisé à l'université et qui, suivant ses propres
dépositions à l'appel, doit, avec un salaire annuel
de $11,000, subvenir à ses propres besoins, et à
ceux de ses trois enfants et de son épouse de fait.
En sa qualité de psychologue professionnel, le
requérant a déclaré que l'enfant souffrirait de
troubles émotifs si on le mettait dans une catégorie
distincte de celle des deux autres enfants, lesquels,
en tant que citoyens canadiens, n'ont pas à payer
des frais de scolarité, et ne sont pas susceptibles
d'expulsion à tout moment, en cas de non-renou-
vellement du permis de résidence temporaire. Pour
l'un de ces enfants, né à l'étranger, en Nouvelle-
Zélande, le 10 mai 1978, son père naturel, le
requérant, l'a fait inscrire à titre de Canadien, en
application de l'article 3(1)b) de la Loi, qui se lit
ainsi:
3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi,
est citoyen toute personne
b) qui est née hors du Canada après l'entrée en vigueur de la
présente loi et dont, au moment de sa naissance, le père ou la
mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien;
[c'est moi qui souligne]
Étant donné que l'article précise «après l'entrée en
vigueur de la présente loi», il n'a pas d'effet
rétroactif, et c'est pourquoi on a rejeté une
demande d'inscription de la naissance de Jesse
sous le régime de l'ancienne Loi, au consulat cana-
dien à Dallas, parce qu'à ce moment-là, seule la
mère de l'enfant né hors du mariage pouvait faire
la demande, alors qu'elle n'était pas et n'est tou-
jours pas citoyenne canadienne.
La demande initiale était faite sous le régime de
l'article 5(2) de la Loi qui se lit ainsi:
5....
(2) Le Ministre doit accorder la citoyenneté
a) à l'enfant mineur d'un citoyen lorsque cet enfant a été
légalement admis au Canada à titre de résident permanent,
n'a pas depuis perdu ce titre conformément à l'article 24 de
la Loi sur l'immigration de 1976, et que la demande de
citoyenneté est présentée au Ministre par la personne que les
règlements autorisent à agir pour l'enfant; ...
Le problème semble être le même, savoir que Jesse
n'a pas été légitimement admis au Canada à titre
de résident permanent.
Il semble que le problème en l'espèce. résulte
davantage des dispositions de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 que de celles de la Loi sur la
citoyenneté, même si le présent appel porte sur une
question de citoyenneté. On ne peut critiquer la
manière dont les fonctionnaires à l'immigration
ont traité cette question et le juge de la citoyenneté
n'a pas tort de conclure qu'une application stricte
de la Loi sur la citoyenneté ne lui permettait pas
de recommander au Ministre d'appliquer l'article
5(4) de la Loi pour remédier à des situations
particulières et exceptionnelles de détresse car il
s'agirait, en l'espèce, de contourner les dispositions
de la Loi sur l'immigration de 1976 et d'accorder
la citoyenneté à Jesse, qui n'est même pas immi
grant reçu.
La solution la plus simple consisterait, pour la
mère de Jesse, à demander elle-même le statut
d'immigrants reçus pour elle-même et pour l'en-
fant. Il est douteux qu'elle puisse le faire sans
épouser l'appelant étant donné qu'elle n'a pas
d'emploi au Canada et ne fait pas partie de la
catégorie de personnes qui seraient normalement
admises au Canada pour prendre un emploi pour
lequel aucun Canadien n'a les qualités nécessaires.
Évidemment, en l'espèce, les circonstances ont
un caractère extrêmement touchant car ni la Loi
sur la citoyenneté ni la Loi sur l'immigration de
1976 n'ont pour objet de briser des familles dont
certains enfants mineurs sont citoyens canadiens,
ce que Jesse, en l'espèce, ne peut devenir selon une
interprétation stricte de la loi, car il est né à
l'étranger avant l'entrée en vigueur de la nouvelle
Loi sur la citoyenneté sanctionnée le 16 juillet
1976 et que, suivant le libellé même de l'article
3(1)b), les dispositions de la Loi sont applicables
seulement aux enfants nés après son entrée en
vigueur.
Il semblerait que l'équité exige qu'il faille une
décision du Ministre exerçant son pouvoir discré-
tionnaire ou même une décision du gouverneur en
conseil pour remédier à cette situation.
On a suggéré que des observations supplémen-
taires soient présentées au ministre de l'Emploi et
de l'Immigration pour lui demander d'examiner la
possibilité de prendre d'autres mesures, et qu'en-
tre-temps, aucune décision définitive ne soit
rendue en l'espèce.
A mon avis, il n'est pas approprié, à ce stade du
procès, de recommander au Ministre d'exercer sa
discrétion en application de l'article 5(4) de la Loi
parce que non seulement y a-t-il absence d'unani-
mité quant à savoir si une telle recommandation
peut être faite par un juge de la Cour fédérale
siégeant en appel contre une décision d'un juge de
la citoyenneté qui refuse de la faire mais encore,
l'expérience établit qu'on donne rarement suite à
de telles recommandations, ce qui met les juges de
cette Cour dans la situation déplaisante de voir
leurs recommandations, faites après l'audition d'un
appel, rejetées par le pouvoir exécutif, ce qui ne
peut que créer une situation indésirable.
En conséquence, l'appel est ajourné sine die et la
procédure pourra reprendre après que l'avocat de
l'appelant aura fait des observations supplémentai-
res au Ministre compétent. Je voudrais ajouter que
l'amicus curiae, qui fut d'un grand secours, est
d'accord avec cette recommandation.
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