T-2645-81
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Susan
Holvenstot (Appelante)
Division de première instance, le juge suppléant
Verchere—Courtenay, 2 octobre; Vancouver, 26
octobre 1981.
Citoyenneté — Appel formé contre le rejet, en vertu de l'al.
20(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, d'une demande de citoyen-
neté — L'appelante avait été accusée d'un acte criminel, mais
les procédures avaient été arrêtées — Le juge de la citoyenneté
a décidé que puisque la Couronne pouvait, en vertu du par.
508(2) du Code criminel, reprendre les procédures arrêtées
dans un délai d'un an suivant la date de l'arrêt, l'appelante
était encore une personne contre laquelle pesait une accusation
portant sur un acte criminel — L'appelante a obtenu une lettre
disant que la Couronne n'avait pas l'intention d'entreprendre
d'autres procédures en vertu du même acte d'accusation — II
échet d'examiner si la lettre empêche la Couronne d'entrepren-
dre d'autres procédures en vertu du même acte d'accusation —
Il faut déterminer si l'impossibilité de reprendre les procédu-
res arrêtées rend nulle l'inculpation et inapplicable l'al. 20(1)b)
— L'appel est accueilli — Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-
75-76, c. 108, art. 20(1)b) — Code criminel, S.R.C. 1970, c.
C-34, art. 508(1),(2) — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c.
N-1, art. 6 — Règle 916 de la Cour fédérale.
Arrêt appliqué: Robertson c. Minister of Pensions [1949]
1 K.B. 227. Arrêt mentionné: R. c. McLeod (1970) 74
W. W.R. 319 (Cour suprême de C.-B.).
APPEL.
AVOCATS:
Susan Holvenstot pour son propre compte.
James E. Dow, amicus curiae.
PROCUREURS:
Susan Holvenstot pour son propre compte.
James E. Dow, Courtenay, pour l'amicus
curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: L'appelante
se pourvoit contre la décision d'un juge de la Cour
de la citoyenneté qui a refusé d'approuver sa
demande de citoyenneté. L'appel a été entendu
sous forme de nouvelle audition au cours de
laquelle une preuve supplémentaire a été apportée
par l'appelante. Il s'agissait d'une lettre, en date
du 27 avril 1981, qu'un associé de l'avocat chargé
par la Couronne de poursuivre les auteurs d'infrac-
tions relatives aux drogues dans la région de Cour-
tenay a remise au procureur qui représentait l'ap-
pelante à ce moment-là. Cette lettre se lisait
comme suit:
[TRADUCTION] Relativement à votre lettre du 9 avril 1981
concernant Mme Holvenstot, je vous informe que la Couronne
n'a pas l'intention d'entreprendre d'autres procédures contre
votre cliente sous l'inculpation de culture de marihuana. J'es-
père qu'il s'agit bien là de l'information que vous souhaitiez
obtenir ....
L'infraction mentionnée ci-dessus constitue clai-
rement un acte criminel: voir l'article 6 de la Loi
sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1. L'accusa-
tion avait été portée le 18 août 1980, mais aucune
suite n'y avait été donnée jusqu'au 18 mars 1981,
date à laquelle la Couronne arrêtait les procédures
conformément au paragraphe 508 (1) du Code cri-
minel, S.R.C. 1970, c. C-34, après que son exis
tence fut dûment portée à la connaissance du juge
de la citoyenneté lors de l'audition. L'audition
reprit le 31 mars 1981, et se termina le même jour
par un refus du savant juge d'approuver la
demande parce qu'elle était d'avis que la Couronne
pouvait, en vertu du paragraphe 508(2) du Code,
reprendre les procédures arrêtées dans un délai
d'un an suivant la date de l'arrêt, que l'appelante
était encore une personne contre laquelle pesait
une accusation portant sur un acte criminel, et
qu'il était, par conséquent, défendu, selon l'alinéa
20(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-
75-76, c. 108 de lui accorder la citoyenneté. Sur
ce, l'appelante se procura la lettre précitée et
déposa immédiatement son avis d'appel.
Au cours de l'appel, l'amicus curiae a soutenu
que la décision dont la lettre faisait état ne lierait
pas un autre procureur de la Couronne qui aurait
reçu des instructions de reprendre les procédures
arrêtées et qu'en conséquence, l'appelante demeu-
rerait une personne accusée de la commission d'un
acte criminel pendant la période d'un an suivant la
date de l'arrêt des procédures. Il n'a rien invoqué à
l'appui de son argument, mais celui-ci me paraît
soulever la question de l'application de la doctrine
de l'estoppel contre la Couronne, et celle de la
doctrine de la liberté d'action nécessaire à l'admi-
nistration. J'ai donc pris l'affaire en délibéré.
Il ressort nettement du libellé du paragraphe
508(2) précité, que le seul arrêt des procédures
n'empêche pas une action ultérieure de la Cou-
ronne. De fait, pendant la période mentionnée à ce
paragraphe, elle est expressément autorisée à
reprendre les procédures. Qui plus est, il a été jugé
qu'elle peut continuer les procédures arrêtées, sans
avoir recours à une nouvelle inculpation, même si
l'on fait complètement abstraction du paragraphe
508(2): voir Regina c. McLeod (1970) 74 W.W.R.
319 (Cour suprême de C.-B.). Par conséquent, je
suis parfaitement d'accord sur ce point avec le juge
de la citoyenneté, et j'en viens à étudier l'effet de
la lettre du 27 avril 1981 sur cette affaire.
Il a été dit, et je tiens pour exacte cette affirma
tion, que la doctrine de l'estoppel peut aussi lier la
Couronne: voir Robertson c. Minister of Pensions
[1949] 1 K.B. 227. Le juge Denning (tel était alors
son titre) a décidé qu'une lettre du War Office
adressée à l'appelant, laquelle reconnaissait
expressément la cause des blessures en raison des-
quelles une pension était demandée, était visée par
le principe selon lequel [TRADucTioN] «si une
personne estime être liée par une promesse faite ou
une assurance donnée, et s'attend à ce que le
bénéficiaire se prévale de cette promesse ou de
cette assurance, alors, une fois que ce dernier s'en
prévaut, cette personne est effectivement liée» [à la
page 231], et a rendu un jugement favorable à
l'appelant. Il s'agit donc de déterminer en l'ins-
tance si la lettre du procureur de la Couronne
satisfait à ces critères.
Il m'apparaît raisonnablement certain, étant
donné sa date, sa teneur, et le prompt usage que
l'appelante en a fait, que la lettre était en fait
destinée à cet usage. Ou, en d'autres termes, il est
fort probable que la lettre a été rédigée et remise à
l'avocat de l'appelante pour signaler qu'il n'était
plus nécessaire de tenir compte de l'accusation qui
avait empêché l'approbation de la demande de
citoyenneté de cette dernière. Le procureur de la
Couronne a, semble-t-il, pensé qu'advenant l'ob-
tention de preuves pour soutenir l'accusation, preu-
ves qui, a-t-il été dit, faisaient défaut à ce
moment-là, la Couronne pourrait toujours procé-
der en formulant une nouvelle inculpation. Ainsi,
aucune réserve voulant que la Couronne puisse
revenir sur sa décision comme il lui plairait n'a,
semble-t-il, été exprimée (il n'y en a pas eue de
tacite non plus), et il m'apparaît donc que toute
procédure reprise en vertu du même acte d'accusa-
tion doit être déclarée irrecevable, et que, de même
qu'il en a été décidé dans l'affaire Robertson, la
doctrine de la liberté d'action indispensable à l'ad-
ministration est inapplicable en l'espèce.
Cependant, peut-on dire que l'impossibilité pour
la Couronne de reprendre les procédures arrêtées
signifie, à toutes fins pratiques, que l'inculpation
est nulle, et qu'ainsi, l'alinéa 20(1)b) précité ne
peut plus s'appliquer? Je pense que pour les rai-
sons données, la réponse doit être affirmative. De
plus, il convient de noter qu'aucun indice ne laisse
croire que les avocats de la Couronne qui ont
ordonné l'arrêt des procédures, et écrit la lettre du
27 avril 1981, n'avaient pas prévu ce résultat, et
agi en conséquence. Même si on ne m'a pas
informé du contenu de la lettre que le procureur de
l'appelante a rédigée le 9 avril 1981, il est très
plausible de présumer qu'il demandait qu'un geste
soit posé, ou une déclaration faite pour soustraire
cette accusation à l'application de l'alinéa 20(1)b).
Aussi, faut-il ajouter que la Couronne possédant
seule la prérogative d'arrêter les procédures, et la
Cour n'y jouant aucun rôle, la conclusion voulant
que la lettre des avocats de la Couronne ait, à
toutes fins pratiques, annulé l'accusation ne peut
porter atteinte au pouvoir ou à la dignité de la
Cour provinciale devant laquelle l'accusation avait
été portée.
Par ces motifs, l'appel est accueilli, et puisque le
juge de la citoyenneté indiquait dans sa décision
que toutes les exigences de la Loi sur la citoyen-
neté avaient été respectées et que le seul obstacle
était l'interdiction mentionnée à l'alinéa 20(1)b),
je ne pense pas qu'il soit nécessaire de lui renvoyer
l'affaire.
En conséquence, un jugement approuvant la
demande de citoyenneté de l'appelante sera pro-
noncé, jugement que le greffe devra faire parvenir
à l'appelante, au juge de la citoyenneté concerné, à
l'amicus curiae et au Ministre, conformément à la
Règle 916.
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