A-398-80
Marek Musial (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge
Pratte et le juge suppléant Culliton—Vancouver, 8
et 12 juin 1981.
Examen judiciaire — Immigration — Appel contre le rejet
par la Commission d'appel de l'immigration de la demande de
réexamen du statut de réfugié au sens de la Convention — Le
requérant avait mis sac à terre parce qu'il était opposé à l'idée
d'aller se battre en Afghanistan et, par conséquent, ne voulait
pas accomplir son service militaire en Pologne — Le requérant
soutient que son refus d'accomplir le service militaire entraî-
nerait des sanctions équipollentes à la persécution pour opi
nion politique — La Commission a conclu qu'il n'y avait pas
lieu de croire que la revendication pourrait être établie à
l'audition — Le requérant soutient que la Commission a
interprété de façon trop restrictive la définition de réfugié au
sens de la Convention — Il échet d'examiner si la Commission
a commis une erreur de droit — Demande rejetée — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 2(1), 70(1),
71(1) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c.
10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Andrew Wlodyka pour le requérant.
Alan Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Boucher & Company, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le requérant est
un jeune matelot polonais qui a mis sac à terre à
l'arrivée de son navire à Vancouver, le .9 janvier
1980. Sa demande, basée sur le paragraphe 70(1)
de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
c. 52, de réexamen de sa revendication du statut de
réfugié au sens de la Convention—que lui avait
refusé le Ministre—a été rejetée par la Commis
sion d'appel de l'immigration par ce motif qu'il n'y
avait pas lieu de croire que sa revendication pour-
rait être établie à l'audition.
Pour expliquer sa désertion, le requérant affirme
qu'il risque le service militaire s'il retourne en
Pologne, qu'il ne veut pas être enrôlé de peur
d'être envoyé en Afghanistan pour contribuer à
soumettre le peuple afghan à la domination com-
muniste, ce qu'il ne saurait admettre. N'eût été
cette éventualité, il aurait été disposé à accomplir,
même à contrecoeur, son service militaire en
Pologne.
Au cas où il serait requis de servir en Afghanis-
tan, il soutient que son refus entraînerait des sanc
tions équipollentes à la persécution pour opinion
politique.
Sa crainte des sanctions pour refus de servir là
où il serait requis de le faire, de même que sa
crainte des sanctions qui l'attendent en Pologne
pour désertion, est probablement fondée. En revan-
che, on peut s'interroger sur le bien-fondé d'une
crainte inspirée par la vague éventualité d'un ser
vice militaire en Afghanistan.
Dans cette demande, le litige porte sur la ques
tion de savoir si la Commission a commis une
erreur de droit dans sa conclusion. C'est en ces
termes que la Commission s'est prononcée sur la
crainte, invoquée par le requérant, de persécution
pour opinion politique:
[TRADUCTION] A l'appui de sa revendication du statut de
réfugié, M. Musial a surtout invoqué le service militaire qu'il
doit accomplir sous peu dans l'armée polonaise. Dans le même
ordre d'idées, il craint d'être envoyé en Afghanistan pour se
battre dans une guerre qu'il réprouve. La conversation suivante
prouve qu'en dépit des autres allégations de persécution, c'est la
question du service militaire qui l'a poussé à demander le statut
de réfugié:
.Q. ... Lorsque vous vous êtes engagé à bord du navire,
c'était bien votre intention de rentrer en Pologne, et c'est
seulement par la suite que vous avez pensé à la possibilité
d'être envoyé en Afghanistan, n'est-ce pas?
R. Oui, c'est vrai.»
Dans le même contexte, la Commission a eu déjà l'occasion
de se prononcer sur la question de la fuite pour cause de service
militaire obligatoire.
Dans l'affaire Kamel [Kamel (C.A.I. 79-1104), Scott, Trem-
blay, Loiselle, 1°' août 1979 (Voir CLIC, n° 15.11 du 28 mai
1980)], le requérant était dans le même cas que M. Musial,
parce que lui aussi avait quitté son pays pour se soustraire au
service militaire craignant que son pays natal, l'Égypte, ne
l'envoyât se battre contre les Israéliens. Cette décision porte
notamment:
«Il est évident que des mesures disciplinaires seront prises
contre M. Kamel lors de son retour dans son pays, mais tout
autre citoyen dans la même situation subirait les mêmes
conséquences.
Aucun article de la Convention couvre les déserteurs de
l'armée ou les objecteurs de conscience.»
Malgré la sympathie qu'elle éprouve pour ce jeune homme
qui décide, pour des raisons de conscience, de se soustraire au
service militaire qu'il réprouve, la Commission ne conclut pas
qu'il se qualifie pour la définition de réfugié politique au sens
de la Loi.
Par ces motifs, la Commission est d'avis qu'il n'y a pas lieu
de croire que la revendication, faite par le requérant, du statut
de réfugié au sens de la Convention, tel que visé par l'article
2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, pourrait être établie à
l'audition.
Le requérant soutient que la Commission a
interprété de manière trop restrictive la définition
de réfugié au sens de la Convention; et qu'en ce
qui concerne les opinions politiques, elle a limité
cette définition aux circonstances dans lesquelles
les sanctions infligées sont exclusivement fondées
sur les opinions politiques. Il prétend que pour
instruire le cas de la personne qui encourt délibéré-
ment les sanctions prévues par une loi applicable à
tous les justiciables de son pays, peu importent ses
opinions politiques, il faut néanmoins rechercher
les motifs qui l'ont poussée à violer la loi, et si ces
motifs s'expliquent par ses opinions politiques,
cette personne peut avoir droit au statut de réfugié
au sens de la Convention. Selon cet argument,
cette personne, au moment même où elle sera
punie pour avoir violé la loi, serait du même coup
persécutée pour ses opinions politiques, suivant la
définition de réfugié au sens de la Convention, et
une crainte fondée sur une pareille punition suffit
pour la placer dans les cas prévus par la loi et pour
justifier l'octroi du statut de réfugié.
Bien que compatissant à l'attitude et à la situa
tion fâcheuse du requérant, il m'est impossible de
conclure que la Commission n'a pas pris en consi-
dération les motifs du requérant ou qu'elle a
décidé que ces motifs n'étaient pas pertinents.
Peut-être les motifs de la Commission, publiés
quelque trois semaines après le prononcé de sa
décision, sont-ils mal formulés et donnent-ils l'im-
pression qu'à ses yeux, déserteurs et objecteurs de
conscience ne sont pas visés par cette définition,
mais à mon avis, ces motifs signifient tout au plus
que déserteurs et objecteurs de conscience ne sont
pas, à ce titre, visés par la définition. Ce qui, à
mon avis, ne revient pas du tout à dire que le seul
fait d'être déserteur ou objecteur de conscience
vous prive du droit d'être un réfugié au sens de la
Convention, et je ne pense pas que la Commission
soit parvenue à pareille conclusion. Tout ce qu'elle
a fait, c'était de souligner que la définition ne
prévoyait pas le cas des déserteurs et des objec-
teurs de conscience comme tels, pour instruire
ensuite au fond la demande du requérant, dont ses
motifs, et pour conclure qu'en l'espèce, le refus
éventuel du requérant de servir en Afghanistan ne
suffisait pas pour le distinguer d'autres insoumis,
et qu'en conséquence, il n'y avait pas lieu de croire
que la revendication, faite par le requérant, du
statut de réfugié au sens de la Convention pourrait
être établie.
Après avoir ainsi considéré l'obligation que le
paragraphe 71(1) impose à la Commission et con-
sidéré les faits de la cause, dont les mobiles du
requérant, je ne pense pas que la Commission ait
commis une erreur de droit dans sa conclusion.
Je rejetterais donc la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit en l'espèce d'une
demande fondée sur l'article 28 et tendant à l'exa-
men et à l'annulation de la décision prise par la
Commission d'appel de l'immigration prononcée
conformément au paragraphe 71(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976, et aux termes de laquelle le
requérant n'est pas un réfugié au sens de la
Convention.
Le requérant, originaire de Pologne, ne veut pas
y retourner, par crainte d'y être incorporé dans
l'armée et, selon toute vraisemblance, il déserterait
par crainte d'avoir à servir en Afghanistan, à
l'encontre de ses opinions politiques, et risquerait
poursuites et condamnation, comme tout déserteur
en Pologne.
L'avocat du requérant n'avance qu'un argument
sérieux contre la décision de la Commission. Il
soutient qu'elle a commis une erreur de droit en
présumant que la crainte, de la part du requérant,
des poursuites judiciaires et des pénalités pour
insoumission n'était pas la crainte des persécu-
tions, qui en ferait un réfugié au sens de la Con
vention conformément au paragraphe 2(1) de la
Loi sur l'immigration de 1976. Cet avocat soutient
que cette présomption n'est pas fondée car, à son
avis, il faut assimiler à la persécution pour opi
nions politiques toute punition infligée à une per-
sonne qui s'est soustraite au service militaire, dans
tous les cas où l'insoumission est motivée par les
opinions politiques. A l'appui, il a cité des déci-
sions européennes où le terme «réfugié» de la Con
vention internationale a reçu une [TRADUCTION]
«interprétation libérale».
A mon avis, il faut rejeter cet argument. Une
«interprétation libérale» de la définition du mot
«réfugié» va à l'encontre de la condition voulant
qu'il s'agisse d'une personne «craignant avec raison
d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à un groupe
social ou de ses opinions politiques». Si une per-
sonne est punie pour avoir violé une loi ordinaire
d'application générale, c'est en raison de l'infrac-
tion commise, non pour les opinions politiques qui
auraient pu l'inciter à commettre cette infraction.
J'estime en conséquence que la Commission a
conclu à bon droit qu'on ne pouvait dire qu'une
personne, qui a violé la loi de son pays d'origine
pour s'être soustraite au service militaire, et qui
craint seulement les poursuites judiciaires et les
sanctions à la suite de cette infraction à la loi,
craint d'être persécutée pour ses opinions politi-
ques quand bien même elle aurait été poussée à
commettre cette infraction par ses croyances
politiques.
Par ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CULLITON y a souscrit.
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