T-3847-79
La Reine (Demanderesse)
c.
D r Beverley A. Burgess (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Toronto, 10 juin; Ottawa, 19 juin 1981.
impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt,
laquelle a autorisé la défenderesse à déduire de son revenu les
frais judiciaires que celle-ci a engagés pour obtenir une pen
sion alimentaire pour elle-même et pour ses enfants lors d'une
requête en divorce — La demanderesse soutient que ces frais
n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un bien au sens de
l'al. 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu — La défende-
resse fait valoir que son droit aux aliments est un «bien» au
sens de la définition du par. 248(1) — II échet d'examiner si
les frais judiciaires ont été subis dans le but de gagner un
revenu qui appartenait de droit à la défenderesse — II échet
d'examiner si le droit à une pension alimentaire est né du
mariage de la défenderesse ou est né de l'ordonnance de la
Cour — Appel accueilli — Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C.
1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 18(1)a),
56(1)b), 606), 248(1) — Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8,
art. 11(1)a),b).
Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt, laquelle a autorisé la défenderesse à déduire
de son revenu les frais judiciaires que celle-ci a engagés pour
obtenir une pension alimentaire pour elle-même et pour ses
enfants lors d'une requête en divorce. La demanderesse soutient
que ces frais n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un bien
ou d'une entreprise, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. La défenderesse fait valoir que son droit
aux aliments est un «bien» au sens de la définition du paragra-
phe 248(1). La définition de bien comprend un droit de quelque
nature qu'il soit. La défenderesse soutient implicitement que
son droit aux aliments est né au moment de son mariage et que
l'ordonnance alimentaire ne crée pas un droit nouveau mais ne
fait que confirmer son droit préexistant aux aliments. Il échet
d'examiner si la défenderesse a subi ces frais judiciaires pour
recevoir un revenu auquel elle avait droit et si le droit à une
pension alimentaire est un droit né du mariage de la défende-
resse ou né du jugement irrévocable de divorce.
Arrêt: l'appel est accueilli. Une pension alimentaire n'est pas
un bien au sens strict de ce terme. Toutefois, la définition de
bien au paragraphe 248(1) de la Loi comprend «un droit de
quelque nature qu'il soit» et cette définition est assez large pour
embrasser le droit aux aliments. Le revenu de la défenderesse
ne tient pas à un droit né du mariage. Le droit né du mariage
est le droit aux aliments pendant le mariage, et il s'est éteint à
la dissolution du mariage. Si les faits le justifient, la Cour qui
accorde le divorce peut également accorder, conformément à
son pouvoir souverain d'appréciation, un montant raisonnable à
titre de pension alimentaire. C'est l'ordonnance de la Cour qui
accorde à la défenderesse le droit à une pension alimentaire.
Les frais judiciaires représentent une dépense en immobilisa-
tions visant à constituer un droit, et non une dépense effectuée
dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit
d'un droit préexistant.
Arrêts approuvés: Hyman c. Hyman [1929] A.C. 601
(C.L.); Lilley c. Lilley [1959] 3 All E.R. 283 (C.A.);
Vnuk c. Vnuk (1976) 23 R.F.L. 117; Re Freedman (1924)
55 O.L.R. 206; In re Robinson (1884) 27 Ch. D. 160.
Distinction faite avec l'arrêt: Evans c. Le ministre du
Revenu national [1960] R.C.S. 391 (infirmant [1959]
R.C.E. 54).
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
R. B. Thomas et M. Boris pour la
demanderesse.
R. P. Startek pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Coombs, Woolcott & Startek, Stoney Creek,
pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La Cour a été saisie de
l'appel, interjeté pour le compte du ministre du
Revenu national, d'une décision de la Commission
de révision de l'impôt, en date du 9 avril 1979. A
la suite d'un aveu de la défenderesse, la Commis
sion a ajouté à son revenu de 1974 la somme de
$11,700, que lui avait payée son ancien mari en
exécution d'une ordonnance portant paiement
d'une pension alimentaire de $75 par semaine, à
elle-même et à chacun de ses deux enfants. La
Commission l'a par ailleurs autorisée à déduire de
son revenu imposable pour la même année, la
somme de $4,402.66 au titre des frais judiciaires
payés en vue d'obtenir la pension alimentaire dans
le cadre de l'action en divorce.
Les avocats des deux parties sont convenus
avant le procès de l'exposé des faits suivant:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
1. Au cours de l'année d'imposition 1974, le D' Burgess a reçu
de son ancien mari la somme de $11,700.00 titre de pension
alimentaire pour elle-même et pour ses enfants.
2. Au cours de l'année d'imposition 1973, le D' Burgess a versé
quelque $5,900.00 d'honoraires et de frais à ses avocats pour
obtenir un jugement irrévocable de divorce et une pension
alimentaire pour elle-même et pour ses deux enfants.
3. Ni la requête en divorce ni la demande de garde des enfants
n'ont été contestées.
4. La requête en divorce a été entendue pendant deux jours par
le juge Stark de la Cour suprême de l'Ontario.
5. Les questions du divorce, de la garde des enfants et du droit
de visite ont pris une demi-heure environ, et à peu près une
journée et demie des deux journées du procès a été consacrée à
la question de la pension alimentaire pour le D' Burgess et pour
ses enfants.
6. La Cour a accordé une pension alimentaire de $75.00 par
semaine au D" Burgess et une autre pension alimentaire de
$75.00 par semaine pour chacun des deux enfants, soit un total
de $225.00 par semaine:
7. Par décision en date du 9 avril 1979, la Commission de
révision de l'impôt a autorisé l'appelante à déduire de son
revenu pour l'année d'imposition 1974, la somme de $4,402.66,
c'est-à-dire, ainsi qu'il ressort de la décision de M. Bonner, qui
présida l'audition de la Commission, la fraction des $5,900.00
qui a été dépensée par la défenderesse en vue d'obtenir une
pension alimentaire pour elle-même et pour ses enfants.
J'ai supprimé des paragraphes 3, 4 et 5 les
renvois à la transcription du procès de divorce
parce que les faits allégués n'étaient pas contestés.
Je tiens cependant à préciser que le montant de
$4,402.66, jugé par la Commission comme étant la
fraction des frais judiciaires subis par la défende-
resse pour l'obtention de la pension alimentaire est
une allégation de fait figurant au paragraphe 5 du
mémoire de défense.
Le principal motif d'appel de la demanderesse
est que le montant dépensé par la défenderesse à
titre de frais judiciaires n'est pas déductible de son
revenu pour l'année d'imposition 1974, puisque ces
frais n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un
bien ou d'une entreprise au sens de l'alinéa 18(1)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c.
148, modifiée, qui porte:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a
été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un
revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un
revenu aux biens ou à l'entreprise;
La défenderesse réfute cet argument en faisant
valoir que son droit aux aliments est un «bien» au
sens du paragraphe 248(1) de la Loi qui porte en
partie:
248. (1) ...
«biens» signifie des biens de toute nature, meubles ou immeu-
bles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la
portée générale de ce qui précède,
a) un droit de quelque nature qu'il soit, ...
La défenderesse soutient implicitement que son
droit aux aliments est né au moment de son
mariage et, partant, que l'ordonnance alimentaire
ne crée pas un droit nouveau mais ne fait que
confirmer son droit préexistant aux aliments. Les
frais judiciaires ayant été subis pour faire valoir ou
reconnaître ce droit, la déduction réclamée n'est
pas défendue par l'alinéa 18(1)a) puisque la
dépense a eu pour objet de protéger un revenu
provenant d'un bien, c'est-à-dire son droit aux
aliments.
Les paiements reçus à titre de provision ou de
pension alimentaire doivent être inclus dans le
revenu du bénéficiaire pour l'année d'imposition
où il les reçoit, conformément à l'alinéa 56(1)b) de
la Loi de l'impôt sur le revenu. Par le jeu de
l'alinéa correspondant 60b), le contribuable qui
paie la provision ou la pension alimentaire peut la
déduire de son revenu pour la même année
d'imposition.
Les alinéas 56(1)b) et 60b) portent:
56. (1) Sans restreindre la portée générale de l'article 3, sont
à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition,
b) toute somme reçue dans l'année par le contribuable, en
vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus
par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à
titre de pension alimentaire ou autre allocation payable
périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire,
des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et
des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé
en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un
accord écrit de séparation du conjoint ou de l'ex-conjoint
tenu de faire le paiement, à la date où le paiement a été reçu
et durant le reste de l'année;
60. Peuvent être déduites lors du calcul du revenu d'un
contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes
qui sont appropriées:
b) toute somme payée dans l'année par le contribuable, en
vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus
par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à
titre de pension alimentaire ou autre allocation payable
périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire,
des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et
des enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé,
en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un
accord écrit de séparation, du conjoint ou de l'ex-conjoint à
qui il était tenu de faire le paiement, le jour où le paiement a
été effectué et durant le reste de l'année;
A mon avis, les expressions «provision alimen-
taire» et «pension alimentaire» relèvent d'une ter-
minologie technique spécialisée. La «provision ali-
mentaire» désigne au sens strict une allocation
payée avant la dissolution formelle du mariage,
alors que la «pension alimentaire» désigne au sens
strict l'allocation payée après la dissolution du
mariage. En conséquence, l'allocation provisoire,
accordée par un jugement conditionnel de divorce
en attendant le jugement irrévocable, est une «pro-
vision alimentaire» alors que la même allocation,
accordée pour valoir après la dissolution du
mariage, est une «pension alimentaire». L'alloca-
tion accordée en cas de séparation de corps sanc-
tionnée en justice (mieux connue sous le nom de
séparation judiciaire) est une provision alimen-
taire, tout comme les paiements dont les conjoints
conviennent dans un accord écrit de séparation.
L'alinéa 56(1)b) prévoit à la fois la «provision
alimentaire» et la «pension alimentaire», cette der-
nière étant comprise dans les mots «autre alloca
tion payable ... pour subvenir aux besoins du
bénéficiaire»*.
Les parties ne contestent pas que la pension
alimentaire accordée à la défenderesse et à ses
deux enfants relève bien de l'alinéa 56(1)b).
Aussi n'ai-je cité ni l'alinéa 56(1)c) ni sa contre-
partie, l'alinéa 60c), ces deux dispositions ayant dû
être insérées dans la loi pour régir les cas moins
formels, telles les allocations accordées pour com-
penser l'absence de soutien, plutôt que les cas plus
formels de divorce, de séparation judiciaire ou de
séparation par accord écrit qui sont prévus à l'ali-
néa 56(1)b). Je n'ai pas à trancher ce point et je ne
le ferai pas.
Ni la provision ni la pension alimentaire ne
représentait un revenu pour le bénéficiaire ou une
somme déductible pour le débiteur d'aliments
avant 1942, date à laquelle la loi a accordé un
dégrèvement au débiteur d'aliments. Le chapitre
* N.D.T.: Dans la version française de cette disposition,
«alimony» a été traduit par «pension alimentaire«, alors qu'il
aurait fallu écrire «provision alimentaire«.
28 des lois de 1942-43 accordait à celui qui payait
les aliments une déduction à ce titre, cependant
que le bénéficiaire devait les inclure dans son
revenu et était cotisé en conséquence, bien qu'on
voie mal pourquoi les paiements de ce genre cons
tituent un revenu, une fois reçus par le bénéfi-
ciaire, et une déduction, plutôt qu'une dépense
personnelle, du débiteur d'aliments.
Il se trouve cependant que selon la loi, la pension
alimentaire accordée constitue un revenu du béné-
ficiaire. La défenderesse ne l'a pas nié. La loi ne
laisse aucun choix.
Il échet donc d'examiner si la défenderesse a
subi les frais judiciaires dont s'agit pour gagner un
revenu qui lui appartenait de droit. En d'autres
termes, il échet d'examiner si elle a subi ces frais
judiciaires pour recevoir un revenu auquel elle
avait droit. Si l'on répond à cette question par
l'affirmative, ces frais sont dès lors proprement
déductibles.
Il ne fait aucun doute que la défenderesse avait
droit aux paiements, mais il s'agit de déterminer
les faits générateurs de ce droit. Ce droit est celui
en vertu duquel la défenderesse reçoit la pension;
c'est un «bien» au sens large de la définition sus-
mentionnée du paragraphe 248(1).
Il s'agit ensuite de déterminer les faits généra-
teurs du droit de la défenderesse à une pension
alimentaire. S'agit-il (1) d'un droit né lors du
mariage de la défenderesse, comme le prétend son
avocat? Ou (2) d'un droit né du jugement irrévo-
cable de divorce qu'a prononcé la Haute Cour de
l'Ontario, comme le soutiennent les avocats de la
demanderesse?
En d'autres termes, il échet d'examiner si le
jugement de la Haute Cour de l'Ontario a créé le
droit à la pension alimentaire ou s'il n'a fait que
confirmer et quantifier le droit acquis de la défen-
deresse aux aliments.
L'article 2 de The Judicature Act, S.R.O. 1970,
c. 228, investit la Cour suprême de l'Ontario de la
compétence, des pouvoirs et de l'autorité conférés
le 31 décembre 1912 son prédécesseur, dont le
pouvoir de prévoir une pension alimentaire jugée
raisonnable à une épouse dont le mariage a été
dissous. La nécessité d'un tel pouvoir est évidente.
Avant 1857, les tribunaux de l'Angleterre
n'avaient pas compétence pour dissoudre un
mariage. La dissolution du mariage se faisait par
Loi du Parlement. C'est en 1857 que les tribunaux
ont été investis du pouvoir de dissoudre le lien
conjugal par un jugement de divorce. Ce jugement
affecte non seulement les rapports entre les deux
époux, mais encore le statut de chacun d'eux.
Le divorce se distingue de la séparation judi-
ciaire et de toute forme d'accord de séparation. La
séparation judiciaire n'est que la sanction par le
tribunal d'un accord que les parties, si elles
l'avaient voulu, auraient pu tout aussi bien con-
clure entre elles. Le droit à une provision alimen-
taire, prévu dans cet accord, relève du contrat; il
est consacré par un jugement en cas de séparation
judiciaire. Le divorce est entièrement différent. Il
dissout complètement les liens du mariage. Par
suite de ce changement d'état, les cours de justice
peuvent accorder par jugement une pension
alimentaire.
A ce sujet, lord Atkin s'est prononcé en ces
termes dans Hyman c. Hyman [1929] A.C. 601
(C.L.), aux pages 628 et 629:
[TRADUCTION] Tant que subsistent les liens du mariage, le
mari est tenu par la loi à une obligation alimentaire envers sa
femme. Celle-ci, qui peut forcer l'exécution de cette obligation,
a le droit d'engager, à titre de mandataire, le crédit de son mari
pour s'assurer les nécessités de la vie si, les deux époux étant
séparés ... en vertu d'une ordonnance judiciaire, il ne lui verse
pas la provision alimentaire allouée en justice. L'obligation du
mari est aussi une obligation d'ordre public, dont l'Etat peut
forcer l'exécution en application des Vagrancy Acts et Poor
Relief Acts. La dissolution du mariage entraîne la disparition
de l'obligation alimentaire tenant aux liens du mariage. En
l'absence de tout texte de loi en la matière, la femme divorcée
serait dénuée de tout moyen d'existence, sauf le recours à
l'assistance sociale. A mon avis, c'est en partie dans l'intérêt
public que l'autorité judiciaire a été investie des pouvoirs
susmentionnés pour suppléer à l'obligation alimentaire du mari,
afin que la femme ne soit pas à la charge de la société.
Le litige dont lord Atkin était saisi portait sur la
question de savoir si une femme, qui avait convenu
dans un accord formel de séparation, de n'intenter
aucune action alimentaire contre son mari et qui
avait ensuite obtenu un jugement de divorce, pou-
vait, malgré son engagement, demander une pen
sion alimentaire en justice. La Chambre des lords
a jugé que rien ne l'en empêchait.
La phrase de lord Atkin qui nous intéresse est la
suivante:
La dissolution du mariage entraîne la disparition de l'obligation
alimentaire tenant aux liens du mariage.
Comme il l'a indiqué un peu plus bas, l'autorité
judiciaire a été investie du pouvoir de suppléer à
l'obligation alimentaire du mari.
Dans Lilley c. Lilley [1959] 3 All E.R. 283
(C.A.), lord Hodson a exposé, à la page 288, les
règles de common law comme suit:
[TRADUCTION] Le droit reconnu en common law n'était pas le
droit à une allocation, mais le droit d'être logé et nourri ....
En common law, la femme pouvait engager le
crédit de son mari pour s'assurer les nécessités de
la vie si son mari ne lui procurait pas ces nécessi-
tés, selon le mode de vie auquel elle avait droit. En
cas de divorce, le droit aux aliments et le droit
d'utiliser le crédit du mari s'éteignent tous deux
avec la dissolution du mariage.
Il appartient donc à la Cour de suppléer au droit
aux aliments.
A cet égard, elle est investie du pouvoir discré-
tionnaire de prévoir des mesures accessoires lors
du jugement conditionnel de divorce.
L'article 11 de la Loi sur le divorce, S.R.C.
1970, c. D-8, ne laisse aucun doute à ce sujet. Si
elle l'estime juste et approprié compte tenu de la
situation respective des deux parties, la Cour peut
rendre l'ordonnance visée à l'alinéa 11(1)a) pour
enjoindre au mari de contribuer à l'entretien de sa
femme ou, à l'inverse, enjoindre par l'alinéa
11(1)b) à la femme de contribuer à l'entretien de
son mari.
Le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 11 de
la Loi sur le divorce a été analysé par le juge
Fulton dans Vnuk c. Vnuk (1976) 23 R.F.L. 117.
Pour déterminer les circonstances visées par cet
article comme justifiant l'octroi d'une pension ali-
mentaire, il estime qu'il faut examiner en premier
lieu si l'épouse qui la demande est en mesure de
subvenir à ses propres besoins tout en maintenant
le même niveau de vie que pendant le mariage. Si
elle ne l'est pas, il faut déterminer si l'autre con
joint a les ressources nécessaires pour payer la
pension. Dans l'affirmative, la Cour doit alors
fixer un montant raisonnable pour la pension
alimentaire.
Dans cette affaire, la femme n'avait nullement
besoin d'une pension alimentaire, mais elle a
demandé une ordonnance [TRADUCTION] «préven-
tive» portant pension alimentaire d'un montant
annuel symbolique de $1, en prévision d'un éven-
tuel revers de fortune et en prévision de la répu-
gnance des tribunaux à rouvrir la question de la
pension alimentaire si celle-ci n'avait pas été
accordée au moment du jugement conditionnel de
divorce.
Le juge Fulton n'a pas accueilli la demande, par
ce motif à la page 122:
[TRADUCTION] Une ordonnance rendue sur cette base serait
motivée par la fausse présomption que la femme acquiert, du
simple fait de son mariage, le droit viager aux aliments, lequel
doit être préservé, même après le divorce et même si à l'époque
du divorce, rien ne justifiait une ordonnance de pension
alimentaire.
La fausse présomption relevée par le juge Fulton
est que la femme acquiert, du simple fait de son
mariage, le droit viager aux aliments.
Cette décision est conforme à la règle de droit
rappelée par lord Atkin dans Hyman c. Hyman
(supra) [à la page 628]: «La dissolution du
mariage entraîne la disparition de l'obligation ali-
mentaire tenant aux liens du mariage», et par lord
Hodson dans Lilley c. Lilley (supra), lorsqu'il
disait que le droit reconnu en common law n'était
pas le droit à une allocation, mais seulement le
droit d'être logé et nourri. Même ce droit réduit au
minimum s'éteint avec le divorce.
Dans Re Freedman (1924) 55 O.L.R. 206, le
juge d'appel Ferguson était saisi d'une requête en
ordonnance de séquestre, présentée par une femme
à titre de créancière, contre son ancien mari qui ne
lui payait pas périodiquement une provision ali-
mentaire en exécution d'une ordonnance de la
Cour.
A la lumière d'une abondante jurisprudence, le
juge Ferguson a décidé qu'une provision alimen-
taire n'était pas un bien et était incessible.
Il a cité [à la page 211] le lord juge Cotton qui
s'est prononcé en ces termes dans In re Robinson
(1884) 27 Ch. D. 160, la page 164:
[TRADUCTION] Une provision alimentaire est une allocation
qu'accorde la Cour, compte tenu des ressources du mari et de la
femme, si elle estime juste qu'elle soit payée périodiquement.
La Cour peut modifier cette allocation ou y mettre fin comme
elle l'entend. Cette allocation n'est pas un bien mais seulement
de l'argent payé périodiquement, sur ordre de justice, pour
subvenir aux besoins de la femme.
et le lord juge Lindley, qui a tiré cette conclusion à
la page 165:
[TRADUCTION] Cela ne constitue pas à proprement parler un
bien, mais se rapproche d'une allocation payée par un mari à sa
femme ou par un père à son enfant.
Il est indéniable, à la lumière de ces décisions,
qu'une pension alimentaire n'est pas un bien au
sens strict de ce terme. Toutefois, la définition de
bien au paragraphe 248 (1) de la Loi comprend «un
droit de quelque nature qu'il soit» et cette défini-
tion est assez large pour embrasser le droit aux
aliments.
Le distingué membre de la Commission de révi-
sion de l'impôt s'est fondé sur l'arrêt Evans c.
M.R.N. [1960] R.C.S. 391, de la Cour suprême du
Canada pour conclure que la défenderesse pouvait
déduire la somme dont s'agit au titre des frais
judiciaires qu'elle avait payés pour obtenir un
jugement obligeant son mari à lui payer une pen
sion alimentaire pour elle-même et pour ses deux
enfants.
Dans l'affaire Evans, la Cour suprême du
Canada était saisie de l'appel formé contre la
décision du juge Cameron, rapportée à [1959]
R.C.É. 54, qui avait accueilli un recours contre
une décision de la Commission d'appel de l'impôt
sur le revenu.
Le juge Cameron, dont le raisonnement et la
conclusion étaient partagés par les juges Judson et
Fauteux qui exprimaient l'opinion dissidente en
Cour suprême, était d'avis que la somme de
$11,974.93 dépensée par Mme Evans en frais judi-
ciaires pour s'assurer le paiement d'un revenu
annuel de $25,000, provenant de la succession de
son beau-père, était une somme déboursée à
compte de capital, donc non déductible par appli
cation de l'alinéa 12(1)b) (actuellement l'alinéa
18(1)b)). Aussi a-t-il jugé inutile de déterminer si
cette somme relevait de l'alinéa 12(1)a) (actuelle-
ment l'alinéa 18(1)a)), à titre de dépense effectuée
dans le but de tirer un revenu de biens.
Le juge Cartwright, dont le jugement était par-
tagé par les juges Taschereau et Ritchie, a rejeté
la conclusion du juge Cameron selon laquelle le
droit en question était un bien en immobilisations.
En étudiant l'origine du droit à un revenu, il
s'est prononcé en ces termes à la page 397:
[TRADUCTION] En l'espèce, l'appelante a acquis le 20 sep-
tembre 1953, comme indiqué plus haut, le droit viager de
recevoir les revenus provenant d'un tiers du patrimoine. Le
fiduciaire demeure le propriétaire en titre de ce tiers, dont le
capital reviendra, à la mort de l'appelante, à ceux qui y ont
droit conformément au testament de Thomas Alexander Rus-
sell. L'appelante n'aura en aucun cas droit à une partie quel-
conque du capital; son droit se limite à demander au fiduciaire
de lui verser les revenus provenant de sa part; ce droit est
exécutoire en equity et tout montant reçu par l'appelante en
vertu de ce droit est imposable. Ce n'est pas le paiement des
frais judiciaires en question qui a donné naissance à ce droit, ou
à quelque autre bien ou avantage. Son droit au revenu ne tient
pas au jugement de la Cour, mais à l'effet combiné des
testaments de Thomas Alexander Russell et de John Alexander
Russell. C'est à tort que le fiduciaire a éprouvé des doutes,
probablement suscités par les réclamations de Mme Andersen,
quant à la question de savoir s'il fallait verser à l'appelante le
revenu auquel elle avait droit et qu'il a refusé de payer quoi que
ce soit jusqu'à ce qu'il soit statué par la Cour.
Le droit de l'appelante au revenu provenant des
actions est né du testament de son beau-père et de
la désignation faite au testament de son mari, et
non du jugement de la Cour. Ce droit lui était
acquis avant l'introduction de l'action.
Pour ce qui est de l'objet des frais judiciaires
subis, le juge Cartwright a tiré cette conclusion à
la page 398:
[TRADUCTION] A mon avis, la forme sous laquelle l'affaire a
été soumise à la Cour n'a pas d'importance; l'appelante a
engagé ces frais judiciaires dans le but d'obtenir paiement d'un
revenu; il s'agissait de dépenses faites en vue de toucher un
revenu auquel elle avait droit, mais dont elle ne pouvait obtenir
paiement autrement. Dans cette perspective, on peut difficile-
ment douter que les dépenses fussent déductibles du revenu
imposable de l'appelante. Voilà, à mon avis, la conclusion à
tirer, peu importe que Mme Andersen ait prétendu à tort que
l'appelante n'avait droit à aucun revenu.
Ces frais judiciaires ont été subis en vue de
s'assurer le paiement d'un revenu auquel elle avait
droit.
M. Bonner, de la Commission de révision de
l'impôt, a cité dans les motifs de sa décision les
mêmes extraits précités de l'arrêt Evans, précédés
de cette prémisse:
Si la conclusion ci-dessus, selon laquelle l'appelante a payé dans
la présente affaire des honoraires d'avocat afin de produire un
revenu d'un droit qui a pris naissance au moment du mariage,
est exacte, la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Evans
fait obstacle à la prétention de l'intimé voulant que les dépenses
effectuées par l'appelante dans la présente affaire soient impu-
tables au capital.
Sauf le respect que je lui dois, je ne saurais y
souscrire.
Le revenu de la défenderesse ne tient pas à un
droit né du mariage. A mon avis, le droit né du
mariage est le droit aux aliments pendant le
mariage, et il s'est éteint à la dissolution du
mariage. Si les faits le justifient, la Cour qui
accorde le divorce peut également accorder, con-
formément à son pouvoir souverain d'appréciation,
un montant raisonnable à titre de pension alimen-
taire. C'est l'ordonnance de la Cour qui accorde à
la défenderesse le droit à une pension alimentaire.
Puisqu'il en est ainsi, les principes établis par
l'arrêt Evans ne s'appliquent pas en l'espèce.
Dans la cause Evans, l'appelante avait un droit
acquis au revenu; elle a subi des frais judiciaires
pour obtenir paiement de ce revenu qu'on refusait
de lui payer. L'action intentée portait sur ce
revenu.
En l'espèce, le droit de la défenderesse aux
aliments, né du mariage, s'est éteint avec le
divorce. Son droit à une pension alimentaire subsé-
quente est né de l'ordonnance de la Cour. L'action
intentée était une action en divorce et, accessoire-
ment, une action alimentaire.
En conséquence, les frais judiciaires dont s'agit
représentent une dépense en immobilisations visant
à constituer un droit, et non une dépense effectuée
dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui
est le produit d'un droit préexistant.
L'appel est en conséquence accueilli.
Les avocats des parties m'ont appris que les
décisions rendues par les divers membres de la
Commission de révision de l'impôt étaient contra-
dictoires, mais que le montant de l'impôt payable
qui fait l'objet de cet appel interjeté au nom du
Ministre ne dépasse pas $2,500.
Conformément au paragraphe 178(2) de la Loi,
le Ministre devra payer tous les frais raisonnables
et légitimes de la défenderesse dans cet appel.
Avec le consentement des avocats des parties,
j'ai fixé, conformément à la Règle 344(1), ces frais
à la somme de $1,000 au lieu des frais taxés.
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