T-6252-79
Bernard N. Pollock (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, 8 septembre; Ottawa, 18 septembre
1981.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel —
Paiement reçu par le demandeur à la suite de son renvoi sans
préavis — Il échet d'examiner si la somme reçue constitue des
dommages-intérêts non imposables ou un revenu imposable —
Il y a à déterminer si un obiter dictum de la Cour suprême a
un caractère obligatoire.
Arrêts appliqués: R. c. Atkins 75 DTC 5263, confirmé à
76 DTC 6258; Prudential Exchange Co. Ltd. c. Edwards
[1939] R.C.S. 135. Arrêt examiné: Jack Cewe Ltd. c.
Jorgenson [1980] 1 R.C.S. 812. Arrêt approuvé: Davidson
c. McRobb [1918] A.C. 304.
APPEL.
AVOCATS:
André Gauthier pour le demandeur.
W. Lefebvre et J. Côté pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault,
Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Dust: Il s'agit, dans le présent appel,
d'examiner si la somme de $52,000 qu'a reçue le
demandeur à la suite de son renvoi, composée de
$50,000 et de la valeur d'une voiture de 1974, soit
$2,000, constitue des dommages-intérêts non
imposables comme l'a prétendu ce dernier, ou un
revenu imposable selon le ministre du Revenu
national.
Les parties n'ont pas contesté les faits impor-
tants de l'espèce. Le demandeur avait été, pendant
vingt ans, au service de GTE Sylvania Canada
Corporation («Sylvania») et ce, sans aucun contrat
de travail écrit. Le 15 septembre 1976, le deman-
deur, alors directeur général de division, fut convo-
qué par le président de la compagnie-mère de
Sylvania et renvoyé sans préavis.
Une offre de $42,500 fut faite au demandeur,
qui la refusa et consulta ses avocats. Après discus
sions et observations, Sylvania accepta de lui payer
la somme en litige et il signa une déclaration de
renonciation et de décharge la libérant pour tou-
jours de toute responsabilité [TRADUCTION] «née
de son renvoi sommaire».
Il est constant que les faits de l'espèce sont, en
grande partie, identiques, aux fins d'impôt sur le
revenu, à ceux de l'affaire Atkins', où mon collè-
gue le juge Collier a jugé qu'un tel paiement ne
devait pas être considéré comme revenu. Cette
décision a été confirmée par la Cour d'appel fédé-
rale 2 . Le juge en chef de l'époque dit ceci aux
pages 6258 et 6259:
En admettant, comme le fait l'appelante, que l'intimé a été
congédié «sans préavis», on ne peut considérer les sommes
d'argent qui lui ont été payées (à la suite d'une entente
subséquente) pour tenir «lieu de préavis» de congédiement
comme un «traitement», «salaire» ou «rémunération», ou comme
des prestations «qu'il reçoit ou dont il jouit ... à l'égard, dans le
cours ou en vertu de sa charge ou de son emploi». Les sommes
payées à cet égard (c.-à-d. pour tenir «lieu de préavis») l'ont été
à cause de la «rupture» du contrat d'emploi et non pas en tant
que prestations qui découlent du contrat ou de la relation qui
existait en vertu du contrat avant que cette relation ne prenne
fin de façon injustifiée. Le fait que l'on se réfère souvent à ce
paiement en parlant de tant de mois de «salaire» qui tiennent
lieu de préavis ne change rien à la situation. Les dommages-
intérêts relatifs à la rupture d'un contrat ne deviennent pas un
«salaire» simplement parce qu'ils sont évalués par rapport au
salaire qui aurait été payable si la relation n'avait pas pris fin,
ou parce qu'on les appelle communément «salaire». La situation
est bien différente lorsqu'un employé est congédié à la suite
d'un avis raisonnable et qu'on lui paie un «salaire» pour la
période couverte par le préavis même s'il n'est pas obligé
d'accomplir, durant cette période, les tâches qui relèveraient de
son poste. Si l'on tient compte du raisonnement que je viens
d'exposer, il est clair, selon moi, que le savant juge de première
instance a eu raison de décider que le paiement en question
n'est pas visé par l'article 5 de la Loi de l'impôt sur le revenu,
en vigueur pour l'année d'imposition en cause.
Quant à l'article 25 de la Loi, en autant qu'il s'applique, on
ne peut, d'après les faits, tirer un argument solide en disant que
le montant en question pourrait tomber sous le coup des
sous-alinéas (i), (ii) ou (iii) de cet article.
L'appelante n'a pas repris, devant cette Cour, l'argument
qu'elle avait soumis à la Division de première instance à savoir
que le montant en question constituait une «allocation de
retraite».
En ce qui concerne l'autre prétention avancée devant cette
Cour, selon laquelle le paiement constitue un revenu même si ce
n'est pas un revenu tiré d'une charge ou d'un emploi, disons que
cette prétention est fondée sur une jurisprudence qui, en autant
' La Reine c. Atkins 75 DTC 5263.
2 La Reine c. Atkins 76 DTC 6258.
qu'elle est pertinente, a décidé qu'une rémunération pour servi
ces rendus est un revenu. A mon avis, ces autorités ne s'appli-
quent pas aux cas de dommages-intérêts payés à la suite d'un
renvoi injustifié.
Naturellement, je me sens lié par cette décision,
et la Couronne ne se serait probablement pas
opposée au présent appel, n'eût été un obiter
dictum exprimé par le juge Pigeon dans une déci-
sion récente de la Cour suprême du Canada, l'af-
faire Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson 3 . Il ne s'agit
pas, à proprement parler, d'une décision portant
sur l'impôt sur le revenu. Cette décision traitait
néanmoins du quantum des dommages-intérêts
payable à Jorgenson à la suite de son renvoi injus-
tifié. La Cour a fait mention de l'affaire Atkins et
mis en doute sa validité; elle s'exprime en ces
termes (aux pages 814 816, 818 et 819):
Je doute fort du bien-fondé de ce raisonnement. Les domma-
ges-intérêts payables à cause de la rupture d'un contrat ne sont
certainement exigibles qu'en vertu de ce contrat; je ne vois pas
pourquoi ils ne pourraient être considérés comme des presta-
tions versées en vertu du contrat. Il est clair qu'ils ne provien-
nent d'aucune autre source.
A mon avis, il faut tenir pour juridiquement incertaine la
situation actuelle quant à l'impôt à percevoir sur cette alloca
tion «d'une somme identifiable pour perte de gain». Cette Cour
pourrait bien être en désaccord avec la conclusion de la Cour
d'appel fédérale dans l'arrêt Atkins. A cet égard, je tiens à
souligner que dans ce dernier arrêt seule semble avoir été
étudiée la question de savoir si les dommages-intérêts accordés
pour renvoi injustifié constituaient un revenu tiré «d'une charge
ou d'un emploi» au sens des art. 5 et 25 de la Loi de l'impôt sur
le revenu (S.R.C. 1952). La question plus large de savoir s'ils
peuvent être considérés comme un revenu en provenance non
spécifiée au sens de la disposition générale de l'art. 3 n'a pas été
examinée.
De plus, les dommages-intérêts alloués pour renvoi injustifié
sont des «gains» aux fins de l'assurance-chômage, ce mot si-
gnifiant, selon le Règlement sur l'assurance-chômage, un
revenu «tiré d'un emploi». Dans l'arrêt Procureur général du
Canada c. Walford ([1979] 1 C.F. 768), la Cour d'appel
fédérale a infirmé la décision d'un juge-arbitre selon laquelle le
paiement de dommages-intérêts pour renvoi injustifié n'était
pas un revenu. La Cour n'a pas considéré l'arrêt La Reine c.
Atkins comme une source jurisprudentielle pour l'interprétation
du Règlement sur l'assurance-chômage. L'anomalie qui con-
siste à considérer des dommages-intérêts pour renvoi injustifié
comme un revenu aux fins de l'assurance-chômage et non aux
fins de l'impôt sur le revenu constitue un motif additionnel de
mettre en doute le bien-fondé de l'arrêt Atkins.
L'avocat de la Couronne m'invite à me prévaloir
de cette opinion incidente pour ignorer la décision
3 [1980] 1 R.C.S. 812.
de la Cour d'appel fédérale, et à saisir hardiment
l'occasion d'adopter un nouveau principe régissant
l'imposition des dommages-intérêts pour renvoi
injustifié. Je l'ai informé à l'audience que je n'al-
lais pas accepter cette invitation.
La règle du stare decisis est bien connue.
Comme l'a exposé L.-P. Pigeon dans sa Rédaction
et interprétation des lois, elle ne s'applique qu'à la
ratio decidendi et non à un obiter dictum. Il
s'exprime en ces termes à la page 46:
La ratio decidendi s'oppose à l'obiter dictum. L'obiter
dictum, c'est l'opinion qu'un juge exprime en passant. Autre-
ment dit, c'est l'interprétation qu'un juge propose sans statuer.
L'obiter dictum n'est pas binding. On considère comme obiter
dictum tout ce qui n'est pas impliqué dans la décision.
Dans l'affaire Prudential Exchange Company
Ltd. c. Edwards 4 , décision qu'a rendue la Cour
suprême en 1938, le juge en chef Duff a cité lord
Dunedin pour appuyer son point de vue, selon
lequel les savants dicta de juges éminents n'ont pas
valeur de règle jurisprudentielle. Lord Dunedin
tient ces propos dans l'affaire Davidson c.
McRobb 5 :
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, je me rends compte que,
bien qu'ils aient toujours du poids, les dicta de nobles juges
de la présente Chambre n'ont pas valeur de règle jurispru-
dentielle et ne doivent pas être acceptés contre sa propre
opinion personnelle, à moins qu'on ne démontre qu'ils expri-
ment une proposition juridique constituant une étape néces-
saire pour arriver au jugement que la Chambre prononce en
l'espèce.
Incontestablement, la règle énoncée dans l'af-
faire Atkins par la Cour fédérale—tant par sa
division d'appel que par sa Division de première
instance—demeure maintenant «juridiquement
incertaine» dans l'état actuel de la jurisprudence.
Cette règle, actuellement en porte à faux, devra
être consolidée ou démolie d'un coup décisif. Étant
donné la règle du stare decisis, l'opération, qu'il
s'agisse de sauvetage ou de démolition, devra venir
d'en haut.
J'en arrive donc à la conclusion que la somme de
$52,000 constitue des dommages-intérêts non
imposables et j'accueillerai l'appel. Par suite d'un
accord antérieur, il n'y aura pas d'adjudication de
dépens.
4 [1939] R.C.S. 135.
5 [1918] A.C. 304 à la p. 322.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.