A-647-80
La Pioneer Grain Company Limited (Requérante)
c.
David Kraus (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge
Heald et le juge suppléant Maguire—Regina, 19
mars; Ottawa, 24 avril 1981.
Examen judiciaire — Relations du travail — Demande de
contrôle judiciaire de l'ordonnance de l'arbitre saisi de la
plainte de l'intimé contre la requérante pour congédiement —
Ordonnance de réintégration et d'indemnisation de l'intimé par
la requérante — II échet d'examiner si la Cour est compétente
en matière de semblable demande - Mises à pied de l'intimé
chaque hiver pendant un court intervalle — L'emploi de
l'intimé fut-il continu pendant douze mois consécutifs au sens
du par. 61.5(1) du Code canadien du travail — L'arbitre est-il
sorti de sa compétence, ou est-il devenu incompétent, lorsqu'il
n'a pas calculé la perte pécuniaire de l'intimé — Demande
rejetée — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art.
61.5(1),(6),(7),(8),(9),(10),(11), modifié — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28, 122(1).
Cette espèce est une demande de contrôle judiciaire d'une
ordonnance d'un arbitre nommé sur le fondement de l'article
61.5 du Code canadien du travail. Cet arbitre jugea que le
renvoi de l'intimé était injuste et ordonna à la requérante de
réintégrer l'intimé et de lui payer une indemnité équivalente au
montant qui lui aurait été payé n'eût été son renvoi. La
requérante soutient que l'arbitre était incompétent et ne pou-
vait être saisi de la question parce que l'emploi de l'intimé
n'avait pas été continu durant douze mois consécutifs aux
termes du paragraphe 61.5(1) du Code. L'intimé fut «mis à
pied» du 21 décembre 1979 au 7 janvier 1980. La requérante a
aussi fait valoir que l'arbitre était sorti de sa compétence
lorsqu'il n'a pas calculé la perte pécuniaire de l'intimé confor-
mément aux principes du droit. Le procureur général du
Canada a, par requête, demandé la cassation de la demande
motif pris de l'incompétence de la Cour. Il échet d'abord
d'examiner si la Cour est compétente en matière de semblable
demande vu le paragraphe 61.5(10) du Code. Il échet ensuite
de savoir si l'emploi de l'intimé a été continu durant douze mois
consécutifs. Il échet enfin de décider si l'arbitre est sorti de sa
compétence lorsqu'il n'a pas calculé la perte pécuniaire de
l'intimé.
Arrêt: la requête en cassation n'est pas fondée et la demande
de contrôle judiciaire est rejetée. La Cour détient la compé-
tence, en dépit du paragraphe 61.5(10) du Code, de contrôler,
sur une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, une décision arbitrale motifs pris d'excès de pouvoir,
d'absence de compétence ou de refus de l'exercer. Lorsque
aucune mention expresse de l'article 28 n'est faite dans une
clause privative, l'article 28 prévaut sur les clauses adoptées
après la promulgation de la Loi sur la Cour fédérale, comme
sur celles qui existaient lorsque l'article 28 a été adopté. Le
paragraphe 61.5(10) doit être interprété sous réserve de Parti-
de 28 de la Loi. C'est à celui qui demande un contrôle
judiciaire qu'il appartient de présenter à la Cour les pièces
nécessaires à la preuve de ce qu'il soutient. La preuve la plus
révélatrice dont dispose la Cour à cet égard est la déclaration
de la requérante où il est dit que Kraus a été «mis à pied« du 21
décembre 1979 au 7 janvier 1980. Cela pour le moins est
compatible avec le maintien de l'emploi au cours de la période
et sous-entend que l'arrangement était que l'employé devait
reprendre le travail au terme de la période. De plus on ne dit
pas que cette mise à pied fut causée par le manque de travail ou
la cessation d'une fonction. L'opposition de la requérante est
donc rejetée. L'ordonnance, quoiqu'elle ne fixe pas un montant
précis à payer, n'est pas un excès de pouvoir de la part de
l'arbitre. Il n'y a pas non plus excès de la perte brute que
l'intimé peut avoir subie. Il est manifeste qu'il a perdu son
salaire. Rien ne justifie de réviser l'ordonnance arbitrale.
Arrêts mentionnés: Le procureur général du Canada c. La
Commission des relations du travail dans la Fonction
publique [1977] 2 C.F. 663; Howarth c. La commission
nationale des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S.
453; Le ministre du Revenu national c. MacDonald [1977]
2 C.F. 189; Northern Telecom Liée c. Les Travailleurs en
communication du Canada [1980] 1 R.C.S. 115; Red Deer
College c. Michaels [1976] 2 R.C.S. 324. Arrêt appliqué:
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez [1975] 1
R.C.S. 228.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
D. K. MacPherson, c.r. et L. B. LeBlanc pour
la requérante.
M. F. Mulatz pour l'intimé.
L. P. MacLean pour le procureur général du
Canada.
PROCUREURS:
MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina,
pour la requérante.
Busch & Heinricks, Swift Current, pour
l'intimé.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Cette espèce est
une requête sur le fondement de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
c. 10, en contrôle judiciaire de [TRADUCTION] «la
décision ou ordonnance que prononça Robert W.
Mitchell le 8 septembre 1980 titre d'arbitre,
nommé sur le fondement de l'article 61.5 du Code
canadien du travail, saisi de la plainte de David
Kraus, selon ledit article 61.5, relative à son
emploi auquel la Pioneer Grain Company Limited
a mis fin». La décision dit que le renvoi de Kraus
par la requérante, la Pioneer Grain Company
Limited, était injuste et l'ordonnance requiert de la
compagnie qu'elle le réintègre et lui paie une
indemnité équivalente à la rémunération qui, n'eût
été le renvoi, lui aurait été payée entre le 21 mars
1980 (date de son renvoi) et le moment de sa
réintégration.
Les dispositions qui autorisent un arbitre à
rendre une ordonnance de ce genre se trouvent à la
Division V.7 du Code canadien du travail, S.R.C.
1970, c. L-1, modifié, intitulée «Congédiement
injuste». Elles ont été adoptées ainsi que certaines
autres modifications du Code par le chapitre 27
des Statuts du Canada 1977-1978, sanctionné le
20 avril 1978 et proclamé en vigueur le Zef septem-
bre de la même année. La Division a pour objet
d'offrir un nouveau recours aux individus congé-
diés qui y sont visés. Les trois premiers paragra-
phes de la Division en circonscrivent l'application.
Ils disposent:
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une
personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au
service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à une
convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur dans
le cas où elle a été congédiée d'une façon qu'elle considère
injuste.
(2) Une plainte présentée en vertu du paragraphe (1) doit
être formulée dans les trente jours qui suivent la date du
congédiement ou dans le délai plus long que le Ministre peut
accorder dans l'intérêt de la justice.
(3) Aucune plainte ne doit être reçue en vertu du présent
article
a) lorsque la personne a été mise à pied par suite de manque
de travail ou de la cessation d'une fonction; ou
b) lorsqu'une procédure de redressement a été prévue ailleurs
dans la présente loi ou dans toute autre loi du Parlement.
Au paragraphe (6), on prévoit la nomination
d'un arbitre dont les attributions sont fixées par les
paragraphes (7),(8) et (9) que voici:
(7) Un arbitre à qui une plainte a été soumise conformément
au paragraphe (6)
a) doit l'examiner dans le délai que le gouverneur en conseil
peut déterminer par règlement;
b) doit établir sa propre procédure, permettre à chaque partie
d'exposer pleinement son point de vue et de lui présenter des
preuves, et prendre connaissance des renseignements reçus
conformément au paragraphe (6); et
c) détient à cet effet les pouvoirs que les alinéas 118a), b) et
c) attribuent au Conseil canadien des relations du travail
relativement à toute procédure engagée devant le Conseil.
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congédie-
ment de la personne dont la plainte a été l'objet d'un renvoi en
vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision et expédier
une copie de sa décision et de ses motifs à chaque partie ainsi
qu'au Ministre.
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas
la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma-
lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
En outre, les paragraphes (10) et (11) prévoient:
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question
devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
(1 1) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne
peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par
ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari,
prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en
question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée
par un arbitre en vertu du présent article.
La Division prévoit aussi l'homologation par la
Cour fédérale de l'ordonnance arbitrale et préserve
les autres recours civils du congédié.
Avant d'instruire au fond la requête selon l'arti-
cle 28, la Cour a été saisie d'une requête selon la
Règle 1100 par le mandataire du procureur géné-
ral du Canada demandant la cassation de la
requête motif pris, vu le paragraphe 61.5(10), de
l'incompétence de la Cour. On a soutenu, bien que
la décision de l'arbitre eût été, n'était le paragra-
phe 61.5(10), soumise au contrôle judiciaire en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
et bien que de telles clauses privatives fassent
toujours l'objet d'un examen des plus soigneux,
que le libellé du paragraphe 61.5(10) a une portée
suffisamment large pour écarter la compétence de
contrôle judiciaire fondée sur l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale. En effet, fait-on remarquer,
le paragraphe 61.5(10) est postérieur à l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale et la Loi qui le
contient, le chapitre 27, comporte un nouveau
paragraphe 122(1), applicable aux décisions du
Conseil canadien des relations du travail, qui
expressément exclut de l'effet privatif les requêtes
selon l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédé-
rale. Toutefois, je ne crois pas que l'on aille jus-
qu'à soutenir que toute ordonnance que pourrait
rendre un arbitre en une matière ne relevant pas
normalement du paragraphe 61.5(1) ou qui ou-
trepasserait ses attributions selon le paragraphe
61.5(9) est exemptée par le paragraphe 61.5(10)
de tout contrôle judiciaire selon l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale.
Je ne crois pas que la réadoption du paragraphe
122(1) ni la mention qu'il fait du contrôle judi-
ciaire selon l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale doivent avoir quelque effet sur l'interpré-
tation du paragraphe 61.5(10). La disposition n'est
pas nouvelle. Elle ne fait que remplacer une clause
privative antérieure qui elle aussi excluait le con-
trôle judiciaire selon l'article 28 et n'a, d'après
moi, pour effet que de restreindre les motifs de
contrôle à ceux de l'alinéa 28(1)a), soit l'inobser-
vation d'un principe de justice naturelle ou autre
excès ou refus d'exercice de la compétence attri-
buée. Le paragraphe 61.5(10) est nouveau et il est
placé dans une nouvelle Division du Code. On doit
l'interpréter par lui-même et lui donner tout son
effet sans égard pour le paragraphe 122(1).
Je crois devoir dire tout de suite qu'il semble
clair que si compétence il y a de contrôler la
décision d'un arbitre aux termes de la Division V.7
du Code, c'est à notre juridiction, sur demande
selon l'article 28, qu'elle est attribuée. L'article 18
de la Loi sur la Cour fédérale transfère, je pense,
la compétence des cours supérieures provinciales à
la Division de première instance de la Cour fédé-
rale et comme ce genre de décision est de toute
évidence de nature judiciaire, la compétence de la
Division de première instance est à son tour trans-
portée, par la disposition liminaire de l'article 28, à
la Cour d'appel à laquelle elle donne le pouvoir de
contrôle judiciaire.
Dans l'arrêt Le procureur général du Canada c.
La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique', les trois membres de la Cour
ont été d'opinion que la disposition liminaire de
l'article 28 avait pour effet d'enlever toute portée
aux clauses privatives en existence lors de la pro
mulgation de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour
a donc résolu la question laissée ouverte par le juge
Pigeon dans l'arrêt Howarth c. La commission
nationale des libérations conditionnelles 2 :
Parce qu'à mon avis l'art. 28.1 de la Loi sur la Cour fédérale
est inapplicable en raison de la nature de la décision à exami
ner, il n'est pas nécessaire de considérer si les premiers mots
«Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi»
écartent une disposition telle que l'art. 23 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus ou s'ils visent seulement
des dispositions de la nature de celles que l'on retrouve à l'art.
18 de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire des dispositions
ayant pour objet d'attribuer une compétence à quelque cour ou
tribunal. Il est évident que si l'on interprète ces mots comme
écartant toutes dispositions limitant ou déniant le contrôle
judiciaire des décisions des organismes fédéraux non compris
dans l'exception énoncée, cela signifie qu'en plus d'un transfert
de compétence il y a eu modification importante du droit. Sur
ce point, je n'exprime pas d'opinion non plus que sur la question
de savoir si, nonobstant l'art. 23 de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, il existe quelque voie de recours
devant la Division de première instance de la Cour fédérale
dans un cas comme celui-ci.
Plus loin le juge Le Dain, dans l'arrêt La Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique, se demandait si une clause privative
assez semblable au paragraphe 61.5(10) pouvait,
même adoptée après la Loi sur la Cour fédérale,
interdire un contrôle judiciaire sur le fondement de
l'article 28.
Dans un arrêt antérieur, M.R.N. c. Mac-
Donald 3 , deux membres de la Cour avaient dit
qu'une disposition, quelque peu différente il est
vrai, de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage,
S.C. 1970-71-72, c. 48, adoptée après la Loi sur la
Cour fédérale, ne pouvait interdire le contrôle
judiciaire selon l'article 28. Aucun de ces arrêts
néanmoins ne fournit une réponse à la question
soulevée par l'espèce.
Dans mon optique, la requête en cassation sou-
lève deux questions. Premièrement, il faut savoir
s'il peut y avoir contrôle judiciaire de la décision et
de l'ordonnance. Dans l'affirmative, la requête doit
être rejetée. Mais en ce cas la demande de contrôle
soulève la question supplémentaire de savoir si la
I [1977] 2 C.F. 663.
2 [1976] I R.C.S. 453 la page 475.
3 [1977] 2 C.F. 189.
Cour doit se borner à décider de la compétence de
l'arbitre ou si ce contrôle peut être exercé pour l'un
des autres motifs qu'énonce l'article 28.
A la première question, je pense qu'on peut
répondre qu'il n'y a aucune raison de douter de la
compétence de la Cour, en dépit du paragraphe
61.5(10), de contrôler, sur une demande fondée
sur l'article 28, une décision arbitrale motifs pris
d'excès de pouvoir, d'absence de compétence ou de
refus de l'exercer. C'est là l'attitude traditionnelle
qu'ont les tribunaux face aux dispositions du genre
du paragraphe 61.5(10). Ainsi dans l'arrêt Com
monwealth de Puerto Rico c. Hernandez 4 , le juge
Pigeon a dit, à la page 236:
Le pouvoir de surveillance est une voie de recours de droit
commun qui ne peut être exclue que par une disposition
explicite. Il n'est pas nécessaire d'étudier les arrêts portant sur
les clauses privatives où on les a toujours considérées inopéran-
tes contre les vices de compétence.
A mon avis, donc, la requête en cassation n'est
pas fondée et doit être rejetée. La seconde question
qu'elle soulève sera traitée ci-dessous au moment
opportun.
L'argument principal de la requérante relatif à
la compétence de l'arbitre était que l'emploi de
Kraus, vu ce qu'on a appelé [TRADUCTION] «la
mise à pied hivernale» entre le 15 et le 21 décem-
bre 1979 et le 7 janvier 1980, n'avait pas été
«continu» aux termes du paragraphe 61.5(1)
durant douze mois consécutifs; il ne lui était donc
pas permis, en vertu de la Division V.7, de connaî-
tre de la plainte. A ce sujet, la plainte Kraus disait:
[TRADUCTION] Après 6 1 / 2 ans passés au service de la Pioneer
Grain Company Limited comme réparateur et sous-contremaî-
tre, j'estime avoir été injustement renvoyé par suite des événe-
ments qui ont eu lieu à Shawnavon le 21 mars 1980.
La réponse de la requérante, en date du 12 mai
1980, adressée à Travail Canada, dit, au paragra-
phe final:
[TRADUCTION] Veuillez prendre acte que M. David Kraus a
été mis à pied du 21 décembre 1979 au 7 janvier 1980.
Les notes sténographiques de l'instance devant
l'arbitre n'ont pas été produites devant la Cour.
Celui-ci n'a pas non plus remis à la Cour ni inclus
dans le dossier ses notes manuscrites relatives à la
4 [1975] I R.C.S. 228.
preuve administrée. Les seules autres pièces dont
dispose la Cour à ce sujet se résument à ce qu'on
peut tirer des motifs de la décision arbitrale et
c'est là-dessus seulement que se sont fondés les
avocats de la requérante pour en débattre. Kraus
qui a comparu personnellement, sans avocat, n'a
pas plaidé à ce sujet. Il a cherché à présenter sa
propre version des faits mais cela lui a été refusé.
Je dois dire que l'audience s'est poursuivie, en
dépit du fait qu'il n'ait pas été représenté par un
avocat, à sa demande expresse que l'on procède
sans délai, sans ajournement.
D'après les Règles et la pratique de la Cour,
c'est à celui qui demande un contrôle judiciaire
selon l'article 28 présenter à la Cour les pièces
nécessaires à la preuve de ce qu'il soutient 5 .
Comme aucune requête n'a été faite pour que les
notes de l'arbitre relatives à la preuve administrée
devant lui ne soient incluses au dossier ou pour que
l'affaire soit modifiée par l'administration de preu-
ves supplémentaires à ce sujet, la Cour se trouve à
peu près dans la position où elle se trouvait face à
la question constitutionnelle dans l'arrêt Northern
Telecom Ltée c. Les Travailleurs en communica
tion du Canada (précité). Néanmoins, elle doit,
me semble-t-il, juger en s'appuyant sur les pièces
dont elle est saisie, si maigres soient-elles. Voici
comment les motifs de la décision résument
l'affaire:
[TRADUCTION] David Kraus a déposé une plainte sur le
fondement de l'article 61.5 du Code canadien du travail au
sujet de son renvoi par la Pioneer Grain Company Limited
(ci-après appelée la .Pioneer.). Le fondement de sa plainte est
qu'il considère son renvoi comme injuste.
Les efforts tentés pour régler la plainte se sont révélés
infructueux et, conformément au paragraphe (6) de l'article
61.5, le ministre du Travail m'a nommé comme arbitre saisi de
la plainte de M. Kraus.
J'ai rencontré M. Kraus et les représentants de la Pioneer
Grain Company Limited à Swift Current le 8 août 1980. Les
deux parties ont administré des preuves devant moi et ont fait
valoir leurs arguments au sujet de la plainte. Elles ont été
d'accord pour reconnaître que j'avais été régulièrement nommé
5 Voir Northern Telecom Ltée c. Les Travailleurs en com
munication du Canada [1980] 1 R.C.S. 115, le juge Dickson, à
la page 130:
La Cour d'appel fédérale semble avoir considéré la ques
tion de compétence comme une question de contrôle judi-
ciaire d'un organisme administratif qui a présumé qu'il était
compétent du point de vue administratif. A cet égard, il est
manifeste que le fardeau de la preuve incombe à la partie qui
demande le contrôle judiciaire ce qui, par conséquent, exclut
le syndicat.
arbitre selon l'article 61.5 et que j'étais compétent aux termes
de cet article pour connaître de la plainte. La Pioneer a aussi
reconnu que Kraus était à son service au moment de son renvoi
et qu'on avait bien mis fin à son emploi.
11 est important de signaler que si la Pioneer Grain Company
Limited reconnaît que je suis compétent pour connaître de la
plainte de M. Kraus, cette reconnaissance n'est pas sans
réserve; elle a soutenu que M. Kraus n'avait pas le droit de se
prévaloir de l'article en ce qu'il n'avait pas terminé douze mois
consécutifs d'emploi continu antérieurement à son renvoi.
Kraus travaillait comme ouvrier de la construction sur
l'équipe de maintenance de l'employeur. Il avait été au service
de cet employeur depuis 1973 jusqu'au jour de son renvoi.
La preuve administrée démontre que les ouvriers de l'équipe
de maintenance sont mis à pied entre le 15 décembre et le 21
décembre chaque année puis sont habituellement rappelés entre
le début de janvier et la fin de février ou le début de mars. C'est
ce que l'employeur appelle «la mise à pied hivernale». Au départ
des employés en décembre on leur verse les congés gagnés
jusqu'à cette date. Lorsqu'ils reprennent leur travail ils recom-
mencent à gagner des congés. Ils n'ont jamais droit à des
congés payés comme tels.
Kraus fut sans travail durant la «mise à pied hivernale» pour
une période débutant entre le 15 et le 21 décembre 1979 et se
terminant le 7 janvier 1980, alors qu'il fut rappelé au travail.
La Pioneer soutient que cette mise à pied interrompt la
continuité de l'emploi de Kraus. Le gouverneur en conseil est
autorisé sur le fondement d'autres divisions de la Partie III du
Code canadien du travail à adopter des règlements définissant
les cas d'absence qui ne sont pas présumés constituer une
interruption de la continuité de l'emploi. Ce pouvoir réglemen-
taire est donné, par exemple, à la Division V.3 (Cessations
d'emploi individuelles) et à la Division V.4 (Indemnité de
départ). Des règlements ont été pris en application de ces
Divisions, qui montrent bien que, dans certains cas, une mise à
pied ne doit pas être considérée comme ayant interrompu la
continuité de l'emploi. M. Proctor a appelé l'attention sur le
fait que si selon la Division V.7 le gouverneur en conseil est
autorisé à prendre des règlements semblables, aucun ne l'a été.
Il y a du vrai dans cela, jusqu'à un certain point. Toutefois,
cela ne vient pas en aide à la Pioneer en l'espèce. La preuve
administrée démontre clairement que l'emploi de Kraus a
toujours été selon la modalité suivante. Il termine son année à
la mi-décembre et reçoit sa paye de vacances. Il est rappelé au
début de l'année suivante. En fait, il a été rappelé début janvier.
Cette rupture de l'emploi, tous les travailleurs de la construc
tion la subissent. Je ne saurais accepter que cette rupture prive
les ouvriers de la construction de la Pioneer Grain Company
Limited en général et Kraus en particulier du bénéfice de la
Division V.7. L'emploi de Kraus doit être considéré comme
continu aux termes de la loi.
Je constate donc que Kraus avait terminé plus de douze mois
consécutifs d'emploi continu au service de la Pioneer et, en
conséquence, qu'il a droit de déposer une plainte sur le fonde-
ment de la Division V.7.
De ceci il ressort que le seul facteur qui pourrait
faire que l'emploi de Kraus n'ait pas été continu
comme requis et rendre en conséquence l'arbitre
incompétent, c'est la description que ce dernier a
donnée de la période qui va du 15 et 21 décembre
1979 au 7 janvier 1980, période qualifiée par
l'employeur de «mise à pied hivernale». Les condi
tions de l'emploi ne sont stipulées nulle part. La
relation qui existe entre l'employeur et le salarié
au cours de la période ainsi appelée «mise à pied
hivernale» n'est pareillement stipulée nulle part.
La preuve la plus révélatrice dont dispose la Cour
à cet égard est la déclaration de la requérante dans
sa lettre du 12 mai 1980 où il est dit que Kraus a
été «mis à pied» du 21 décembre 1979 au 7 janvier
1980. Cela pour le moins est compatible avec le
maintien de l'emploi au cours de la période et
sous-entend que l'arrangement était que l'employé
devrait reprendre le travail au terme de la période.
Rien de ce que l'on rapporte de la décision n'est
incompatible avec une telle conclusion. De plus, on
ne dit pas que cette mise à pied fut causée par le
manque de travail ou la cessation d'une fonction.
Voir le paragraphe 61.5(3).
Dans ces circonstances, je ne suis convaincu ni
que l'emploi ne s'est pas poursuivi au cours de la
période pendant laquelle Kraus était «mis à pied»
ni que la conclusion de l'arbitre, que l'emploi de
Kraus doit être considéré comme «continu» aux
termes de la loi, était erronée. L'opposition de la
requérante est donc rejetée.
Les avocats de la requérante ont soulevé une
seconde question de fond: l'arbitre a-t-il commis
un excès de pouvoir ou est-il sorti de sa compé-
tence lorsqu'il n'a pas calculé la perte pécuniaire
de Kraus conformément aux principes du droit?
L'argument se fonde sur une déclaration sous ser-
ment, un affidavit, qui dit qu'aucune preuve n'a
été administrée à ce sujet que ce soit par Kraus ou
la requérante. Ce n'est pas là, il me semble, une
question relative à la compétence de l'arbitre mais
c'en est une qui serait exclue du contrôle judiciaire
prévu par le paragraphe 61.5(10) si la compétence
de la Cour était limitée au contrôle des questions
de compétence. 11 faut donc déterminer si la com-
pétence de la Cour, fondée sur l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, de contrôler la décision
arbitrale conformément aux alinéas b) et c) du
paragraphe 28(1) a été abrogée par le paragraphe
61.5(10) du Code.
Je serais d'opinion que le paragraphe 61.5(10)
n'abroge pas la compétence de la Cour. Vu que la
Cour a décidé dans l'arrêt Le procureur général du
Canada c. La Commission des relations de travail
dans la Fonction publique (précité) que la disposi
tion liminaire de l'article 28 a prévalu sur les
clauses privatives existantes lorsque fut adoptée la
Loi sur la Cour fédérale et vu aussi la présomption
que le législateur n'entend pas supprimer le pou-
voir de surveillance et de contrôle des juridictions
ou cours supérieures, il me semble que, lorsque
aucune mention expresse de l'article 28 n'est faite
dans une clause privative, on est tout aussi fondé à
juger que l'article 28 prévaut sur ces clauses,
même quand elles ont été adoptées après la pro
mulgation de la Loi sur la Cour fédérale, qu'il y
en a à dire qu'il prévaut sur celles qui existaient
lorsqu'il a été adopté.
De plus, il me semble improbable que le législa-
teur ait voulu qu'une juridiction temporaire consti-
tuée sur le fondement du paragraphe 61.5(6) soit
au-dessus de la loi et échappe au contrôle de toute
juridiction supérieure quelle qu'elle soit dans son
exercice des attributions qu'il lui confère. On évite
ce résultat si on interprète le paragraphe 61.5(10),
comme je crois qu'il doit l'être, sous réserve de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Sur le fond de la question soulevée, ce que le
paragraphe 61.5(9) autorisait l'arbitre à faire,
c'était, entre autres choses, d'exiger de l'employeur
qu'il verse à l'employé renvoyé une indemnité «ne
dépassant pas la somme qui est équivalente au
salaire qu'[il] aurait normalement gagné [s'il]
n'avait pas été congédié».
Ce que l'arbitre a ordonné à la requérante de
faire, ce fut, notamment, de verser à Kraus [TRA-
DUCTION] «une indemnité équivalente au salaire
qu'il aurait normalement gagné entre le 21 mars
1980 et sa réintégration s'il n'avait pas été
congédié».
L'ordonnance donc, quoiqu'elle ne fixe pas un
montant précis à payer, n'est pas un excès de
pouvoir de la part de l'arbitre. Il n'y a pas non plus
excès du montant brut que Kraus aurait pu gagner
ni de la perte brute qu'il peut avoir subie. Il est
manifeste qu'il a perdu son salaire. Les opportuni-
tés dont il aurait pu profiter pour réduire sa perte
et les occasions, si occasions il y a eu, qu'il aurait
pu avoir, et qu'il aurait laissé échapper, de réduire
son dommage, le dossier ne les révèle pas. La Cour
ne dispose à ce sujet que d'une déclaration sous
serment, un affidavit, qui dit qu'aucune preuve n'a
été administrée devant l'arbitre au sujet du mon-
tant du salaire de Kraus ou de la perte pécuniaire
qu'il aurait subie ou qu'il aurait trouvé quelque
autre emploi ou gagné quelque revenu au cours de
la période qui a suivi son congédiement. A mon
avis, que Kraus ait perdu son salaire, quel qu'en ait
été le montant, découle de toute évidence de ce qui
a été déposé devant la Cour et c'est à la requérante
qu'il appartenait de démontrer, si elle le pouvait,
que Kraus a trouvé un autre emploi ou gagné
quelque autre revenu au cours de la période en
cause ou n'a pas pris les mesures qui s'imposaient
pour réduire sa perte 6 . Comme il n'y a aucune
preuve à ce sujet, rien à mon avis ne justifie de
réviser l'ordonnance arbitrale.
Je rejetterais donc la demande.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MAGUIRE: J'y souscris
aussi.
6 Voir Red Deer College c. Michaels [1976] 2 R.C.S. 324, le
juge en chef Laskin, à la page 331.
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