T-6272-79
Frank L. Belliveau, détenu en la prison de
Dorchester, au Nouveau-Brunswick (Canada)
(Demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Dorchester, 11, 12, 13 et 14 mai; Vancouver, 27
mai 1981.
Couronne — Service des pénitenciers — Action du deman-
deur concluant à l'irrégularité de l'ouverture de sa »correspon-
dance privilégiée» par les fonctionnaires des pénitenciers, à
dommages-intérêts et à jugement déclaratoire que les fonc-
tionnaires ont mal calculé la date de sa libération — Condam-
nation du demandeur en juin 1977, nouveau procès et nouvelle
condamnation en 1978 — Modification des dispositions relati
ves à la réduction de peine par une nouvelle loi — Ouverture
irrégulière, ou non, de sa correspondance privilégiée — Opéra-
tion ou non de la nouvelle loi parce que contraire à la
Déclaration canadienne des droits — Action rejetée — Règle-
ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c.
1251, art. 2 — Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6,
modifiée, art. 24(1), 24.2.
Le demandeur conclut à l'irrégularité de l'ouverture de sa
«correspondance privilégiée» par des fonctionnaires des péniten-
ciers, et à des dommages-intérêts. Il conclut aussi à jugement
déclaratoire que ces fonctionnaires ont mal calculé la date de sa
libération. Le demandeur avait été condamné à sept ans en juin
1977. Après un second procès, il fut condamné à six ans en juin
1978. Une Directive du commissaire, en vigueur à cette époque,
définissait correspondance privilégiée comme «se rapportant à
des pièces dont les identificateurs et adresses sont indiqués
comme il se doit et dont la destination ou la provenance» était
certaines personnes. Le demandeur a déposé comme preuve du
courrier qui, d'après son serment, serait du courrier protégé; il
lui aurait été remis ouvert. La défenderesse reconnaît que son
personnel a par erreur ouvert certains plis protégés mais sou-
tient que le demandeur a exagéré le nombre de missives irrégu-
lièrement ouvertes et conteste la qualification que le demandeur
fait de plusieurs des missives. D'après la législation en vigueur,
lorsque le demandeur a été condamné, il voyait porter à son
crédit, automatiquement, une réduction statutaire du quart de
la peine, sauf déchéance, et une réduction méritée de trois jours
par mois. Une nouvelle loi a aboli la réduction statutaire et
donné au détenu droit à 15 jours de réduction méritée par mois.
L'article 24.2 prévoit que le détenu cesse d'avoir droit à la
réduction méritée de 15 jours par mois lorsque le total des
anciennes réductions de peine, statutaire et méritée, correspond
au tiers de la peine qu'il purge. Le demandeur, invoquant la
Déclaration canadienne des droits, soutient que l'article 24.2 de
la Loi devrait être déclaré inopérant parce que restreignant son
droit à une libération et créant une inégalité chez les détenus. Il
soutient aussi que les autorités pénitentiaires auraient dû porter
à son crédit la réduction de peine méritée pour le temps
d'incarcération écoulé entre sa première condamnation et sa
seconde.
Arrêt: l'action est rejetée. Le personnel a fait de son mieux
pour trier la correspondance et séparer ce qui était protégé de
ce qui ne l'était pas, mais l'erreur est humaine. Il n'y en a
quand même eu que relativement peu. Il n'y a aussi aucune
preuve d'ouverture délibérée du courrier protégé adressé au
demandeur. Il n'y a pas non plus preuve d'un manque de soin.
Il n'y a aucune preuve qui puisse appuyer un recours fondé sur
cette inexécution. La Cour suprême a jugé que les directives du
commissaire ne constituent pas des «lois„ au moins pour les fins
des articles 28 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Rien ne
justifie de déclarer l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers
inopérant. Le Parlement a le pouvoir de limiter l'importance de
la réduction de peine à laquelle un détenu peut avoir droit. Il
n'y a aucune disposition de la loi qui requiert que le temps de
détention soit soumis aux dispositions sur la réduction méritée
de peine.
Arrêts mentionnés: Martineau c. Le Comité de discipline
des détenus de l'Institution de Matsqui [1978] 1 R.C.S.
118; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution
de Matsqui [ 1980] 1 R.C.S. 602; Prata c. Le Ministre de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376.
ACTION.
AVOCATS:
Demandeur personnellement.
Martin C. Ward pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Demandeur personnellement.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le demandeur est actuelle-
ment détenu en l'établissement carcéral de Dor-
chester. Il purge une peine de six ans. Son action
comporte deux demandes:
a) la constatation qu'un grand nombre de lettres
qui lui étaient adressées et prétendues communi
quées «sous le sceau du secret» ont été irréguliè-
rement ouvertes par les fonctionnaires des péni-
tenciers de Springhill et Dorchester; d'où
réclamation de dommages-intérêts de $500,000;
b) un jugement déclaratoire disant que les fonc-
tionnaires des pénitenciers ont mal calculé la
date de sa libération.
Le 27 mai 1977, le demandeur fut reconnu
coupable de viol par un juge et un jury de Nou-
velle-Ecosse. Il fut condamné à sept ans de prison
à purger à Dorchester. Il fut aussi condamné à
purger une peine d'un an pour une infraction
connexe, avec confusion des peines.
Il commença à purger sa peine au début de juin
1977 l'établissement carcéral de Springhill. Au
début de mars 1978, il fut transféré à l'établisse-
ment Dorchester. Il forma appel de sa déclaration
de culpabilité. Le 4 avril 1978, la Division d'appel
de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse ordonna
un nouveau procès. Ultérieurement il fut transféré
de Dorchester à une prison provinciale où il atten-
dit son nouveau procès. Le 1" juin 1978, après un
second procès devant juge et jury, il fut à nouveau
déclaré coupable de l'accusation de viol. Il fut
condamné, cette fois-ci, à une peine de six,ans à
purger à l'établissement de Dorchester. Il est
incarcéré dans cet établissement depuis.
Je traiterai d'abord de la prétendue ouverture
irrégulière de la correspondance couverte par le
secret adressée au demandeur et reçue par lui tant
à Springhill qu'à Dorchester.
Voici les extraits pertinents de la Directive n°
219, modifiée, du commissaire, en vigueur entre le
26 septembre 1974 et le 30 septembre 1980, rela
tive à la correspondance des détenus:
5. ...
d. Sous réserve du paragraphe 8, chaque pièce de correspon-
dance envoyée ou reçue par un détenu peut être ouverte
par la direction de l'institution qui est chargée de prévenir
l'introduction d'objets de contrebande.
8. CORRESPONDANCE PRIVILÉGIÉE
a. La «correspondance privilégiée» est définie comme se rap-
portant à des pièces dont les identificateurs et adresses
sont indiqués comme il se doit et dont la destination ou la
provenance est une des suivantes:
(1) les sénateurs
(2) les députés fédéraux
(3) les députés provinciaux
(4) les Membres des conseils législatifs du Yukon et des
Territoires du Nord-Ouest
(5) le Solliciteur général
(6) le Commissaire aux services correctionnels
(7) le Président de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles
(8) l'Enquêteur correctionnel fédéral
(9) les Ombudsmans provinciaux (voir Annexe «A»)
(10) le Commissaire aux langues officielles
(11) le Président de la Commission canadienne des droits
de la personne
(12) le Commissaire à la protection de la vie privée
b. La correspondance privilégiée sera adressée au destinataire
sans avoir été ouverte.
c. Dans des cas exceptionnels où le personnel de l'établisse-
ment soupçonne qu'un envoi privilégié contient des objets
de contrebande, on obtiendra l'approbation du Commis-
saire avant d'ouvrir l'envoi.
La pratique des deux établissements, à compter
de 1977 et jusqu'à ce jour, a et est d'ouvrir le
courrier ordinaire qualifié de correspondance géné-
rale. Sauf lorsque la censure du courrier d'un
détenu a été ordonnée, le personnel de la prison ne
lit pas le contenu de la correspondance. Le but de
l'ouverture du courrier est de rechercher la contre-
bande. Ce terme est vague, somme toute. Il est
défini à l'article 2 du Règlement sur le service des
pénitenciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251,
comme suit:
«contrebande» désigne toute chose qu'un détenu n'est pas auto-
risé à avoir en sa possession;
De toute évidence, cela inclut les armes, tout ce
qui peut servir comme arme ou favoriser une éva-
sion, ainsi que les drogues. D'après l'un des
témoins de la défense, cela couvre, y compris
l'argent, tout ce qui n'est pas correspondance,
coupures de journaux et photographies.
L'une des expressions difficiles à interpréter de
cette directive se trouve à son paragraphe 8a: «La
`correspondance privilégiée' est ... des pièces dont
les identificateurs et adresses sont indiqués comme
il se doit et dont ... la provenance ...» [c'est moi
qui souligne].
Une nouvelle Directive n° 219 du commissaire,
en date du 30 septembre 1980, a remplacé l'an-
cienne. La définition de «correspondance privilé-
giée» y est substantiellement modifiée. L'expres-
sion «indiqués comme il se doit» a disparu. Voici
cette nouvelle définition:
5. «Correspondance privilégiée» s'entend de la correspondance
échangée entre un détenu et des fonctionnaires de l'Etat dont
la liste figure à l'annexe «A».
Voici l'annexe A:
CORRESPONDANCE PRIVILÉGIÉE
Voici la liste des correspondants privilégiés autorisés:
SECTION 1
CORRESPONDANTS MINISTÉRIELS PRIVILÉGIÉS
1. Le Solliciteur général *
2. Le Solliciteur général adjoint *
3. Le Commissaire aux services correctionnels *
4. L'Enquêteur correctionnel
5. Le Président de la Commission nationale des libérations
conditionnelles
6. L'Inspecteur général
SECTION II
CORRESPONDANTS GÉNÉRAUX PRIVILÉGIÉS
1. Le Président de la Commission canadienne des droits de la
personne
2. Le Commissaire aux langues officielles
3. Les députés fédéraux
4. Les membres des conseils législatifs du Yukon et des Terri-
toires du Nord-Ouest
5. Les députés provinciaux
6. Les sénateurs
7. Le Commissaire à la protection de la vie privée
8. Les juges et les magistrats des tribunaux canadiens
9. Les ombudsmen provinciaux
* Lorsque ces correspondants ont délégué à un ou plusieurs
agents le pouvoir de signer la correspondance adressée aux
détenus en leur nom, ladite correspondance doit être considé-
rée comme «privilégiée».
La procédure d'ouverture du courrier général,
du courrier ordinaire, est, elle aussi, modifiée:
Inspection
18. La correspondance d'ordre général adressée aux détenus
doit, à l'occasion, être examinée afin de prévenir l'introduction
d'objets interdits. On peut ouvrir ladite correspondance et en
vérifier le contenu sans cependant le lire. La vérification doit
s'effectuer en présence de deux membres du personnel. [C'est
moi qui souligne.]
Le courrier protégé est maintenant traité comme
suit:
Correspondance privilégiée
30. On doit fournir aux détenus qui désirent envoyer une lettre
aux correspondants privilégiés autorisés du papier et des enve-
loppes affranchies marquées «Correspondance privilégiée».
31. La correspondance privilégiée doit être expédiée au destina-
taire sans avoir été ouverte.
32. Lorsque la correspondance privilégiée est ouverte par
mégarde, l'agent des Visites et de la Correspondance doit
immédiatement en donner une explication verbale au détenu
concerné, puis la lui confirmer par écrit dans le délai d'un jour
ouvrable.
33. La correspondance privilégiée ne doit pas être soumise aux
procédures habituelles d'inspection visant à vérifier si elle con-
tient des objets interdits. S'il y a présomption d'abus, le direc-
teur peut autoriser, par écrit, l'inspection de la correspondance
privilégiée. Cette inspection doit se faire en présence du détenu
concerné.
34. La correspondance privilégiée ne doit être soumise à aucune
forme de censure.
35. Les détenus ne doivent pas se servir de la correspondance
privilégiée en guise de formule de grief. Il faut les renseigner
sur la façon appropriée de présenter des plaintes et des griefs et
de faire des demandes de renseignements.
Le demandeur a déposé comme preuve plus de
140 plis, qui, d'après son serment, constituent du
courrier protégé, qui lui auraient été remis ouverts.
La défenderesse, au paragraphe 5 de la défense,
reconnaît que:
[TRADUCTION] ... le courrier protégé du demandeur reçu de
députés fédéraux ou provinciaux a été ouvert par erreur ....
Lors de l'instruction, voici quelle a été l'argu-
mentation de la défenderesse: le demandeur aurait
exagéré le nombre de missives protégées ouvertes;
plusieurs plis, en fait, n'ont pas été ouverts; plu-
sieurs des pièces du demandeur ne peuvent être
considérées comme de la correspondance protégée;
les quelques missives couvertes par le secret qui
auraient été ouvertes l'ont été par erreur, de bonne
foi; le demandeur n'a subi aucun dommage écono-
mique ou pécuniaire; la preuve de dommages-inté-
rêts généraux n'a pas été faite.
Le demandeur a déposé comme preuve environ
47 plis, qu'il dit protégés par le secret, qui lui ont
été remis à Springhill. Ils lui auraient été remis,
dit-il, ouverts.
John F. Spence est le surveillant des visites et de
la correspondance à cet établissement depuis jan-
vier 1969. Le demandeur, manifestement, est un
épistolier prolifique. Il a reçu, de son propre aveu,
un courrier abondant tant de la part de correspon-
dants protégés que de correspondants ordinaires.
A Springhill, le courrier adressé aux détenus est
classé par ordre alphabétique. Celui que les fonc-
tionnaires considèrent comme identifié comme il se
doit et protégé par le secret est mis à part. Il n'est
pas ouvert. Le reste est ouvert et inspecté à la
recherche de contrebande. Le courrier ouvert est
poinçonné avec des poinçons spéciaux pour l'iden-
tifier comme étant parvenu par les voies normales.
Le courrier protégé n'est pas poinçonné. Un regis-
tre du courrier protégé est tenu. Le nom du détenu
destinataire et celui de l'expéditeur sont enregis-
trés.
Des 47 plis environ en cause, 25 peuvent, à mon
avis, être identifiés au registre du courrier protégé.
D'après la déposition de monsieur Spence, tout
courrier ainsi enregistré était remis sans avoir été
ouvert ni poinçonné. J'accepte ce témoignage. Je
n'accepte pas l'hypothèse du demandeur selon
laquelle des tiers, autres que les agents des visites
et de la correspondance peuvent avoir ou doivent
avoir ouvert les lettres objet des plaintes du
demandeur. Le registre de Springhill (pièce 171)
contredit le témoignage sous serment du deman-
deur. Cela rend tout son témoignage douteux.
Certaines des lettres qui font l'objet des récrimi-
nations du demandeur portent la trace d'un poin-
çon rond. D'après la déposition de monsieur
Spence, à Springhill on n'a jamais utilisé de poin-
çon de cette forme quoiqu'on ait utilisé des poin-
çons de formes différentes: des cœurs, des trèfles,
etc. Le demandeur a reconnu au cours de l'instruc-
tion qu'il avait en sa possession, à une certaine
époque, un petit poinçon qui lui servait à perforer
du cuir. Je juge que la marque au poinçon ronde a
été faite sur certaines pièces par le demandeur
lui-même dans le but de tenter de démontrer,
faussement, que sa correspondance avait été
ouverte et poinçonnée par les fonctionnaires du
pénitencier.
Des 20 autres plis incriminés, il ne reste que les
lettres, non les enveloppes. Dans son témoignage,
le demandeur dit que les enveloppes à un moment
ou l'autre ont disparu. Il reconnaît qu'il peut fort
bien, par force d'habitude, les avoir jetées. Plu-
sieurs de ces plis, même si on interprète libérale-
ment la directive du commissaire en vigueur au
cours de 1977 et au début de 1978, ne pouvaient
être considérés comme protégés. Il y avait, par
exemple, deux missives de Revenu Canada traitant
d'affaires fiscales. Il y a aussi d'autres exemples.
La preuve administrée m'a convaincu que peu,
relativement, des plis réellement protégés adressés
au demandeur ont été ouverts par erreur par le
personnel de Springhill. Mais, comme l'a concédé
la défense, certains l'ont été.
A mon avis, compte tenu des circonstances, il
n'y a pas eu carence de la part du personnel de
Springhill dans la façon dont ils ont traité la
correspondance protégée du demandeur. Il y avait
plus de 300 détenus dans l'établissement et un
courrier considérable. On peut comprendre que des
erreurs de bonne foi peuvent se produire au stade
de l'identification, ou de sa non-identification, du
courrier réellement protégé.
J'en viens maintenant aux missives, objet des
plaintes du demandeur, reçues par lui à Dorches-
ter.
Il s'agit d'environ 97 plis.
A l'établissement carcéral de Dorchester, mal-
heureusement, il n'y avait pas, avant août 1979, un
système de registres comme à Springhill. A comp-
ter de cette date, comme à Springhill, le nom du
détenu destinataire a été enregistré ainsi que celui
de son correspondant dans le cas du courrier pro-
tégé. A Dorchester, on est allé plus loin. On a
demandé au détenu de parapher le registre comme
accusé de réception du courrier.
Environ 65 des missives qui font l'objet des
plaintes du demandeur ont été reçues avant que ce
système ne soit en vigueur. Le demandeur a été
incapable de produire les enveloppes de 40 environ
de ces 65 plis.
Les agents des visites et de la correspondance de
Dorchester semblent avoir adopté une interpréta-
tion plus étroite des directives du commissaire que
leurs homologues de Springhill. Par exemple, ils
n'estiment pas protégée une enveloppe identifiée
sur sa face externe comme émanant du bureau du
Premier Ministre du Canada. Certains des fonc-
tionnaires ont été d'avis que, pour qu'il y ait
identification régulière, le nom du député et son
timbre doivent apparaître sur l'enveloppe. Il y
avait aussi d'autres interprétations fort étroites.
De toute façon, la défense pourrait avec raison
soutenir qu'un grand nombre des 65 lettres, objet
des plaintes, reçues avant que le système d'enregis-
trement n'ait été mis en place, pouvaient être
considérées de bonne foi comme non protégées.
Je suis aussi convaincu qu'une partie du courrier
réellement protégé de même qu'une partie de celui
dont on aurait pu soutenir qu'il l'était a été remis
au demandeur sans avoir été ouvert.
J'en viens à cette conclusion à cause de la preuve
relative à Springhill qui démontre que des missi
ves, dont le demandeur prétend qu'elles ont été
ouvertes, lui ont, en fait, été remises intactes. On
peut déduire la même chose des dossiers de Dor-
chester pour la période ultérieure à l'instauration
du registre. Des 32 lettres environ dont on se
plaint, reçues après l'introduction du registre, 17
apparaissent dans les livres (pièces 17 A, B, C et
D), cataloguées comme protégées. Dans bien des
cas, le paraphe du demandeur apparaît en marge
de l'inscription.
Des 15 lettres environ restantes, 10, selon une
interprétation étroite de la directive du commis-
saire alors en vigueur, peuvent être considérées
comme n'étant pas protégées.
Ma conclusion, pour ce qui est de Dorchester,
est la même que dans le cas de Springhill. Le
personnel, à mon avis, a fait de son mieux pour
trier la correspondance et séparer ce qui était
protégé de ce qui ne l'était pas. Mais l'erreur est
humaine. Il n'y en a quand même eu que relative-
ment peu.
Le demandeur s'est violemment élevé contre
l'ouverture des lettres que lui et un autre détenu
avaient reçues de Buckingham Palace, des repré-
sentants de la Reine. Je ne puis considérer le
personnel de Dorchester comme en faute pour
avoir traité ces enveloppes comme échappant à la
dernière directive du commissaire. Il se peut que le
commissaire doive étudier la possibilité d'un ajout
à la directive pour couvrir ce courrier en
particulier.
Le demandeur en l'espèce a rédigé lui-même ses
actes de procédure et a agi en sa propre cause. Le
fondement de sa demande en dommages-intérêts
au sujet de l'ouverture irrégulière du courrier n'y
est pas réellement énoncé. La chose est compré-
hensible; il n'a pas de formation juridique.
Si le fondement de sa demande est la négligence,
à mon avis, en droit, celle-ci n'a pas été démontrée.
Le droit de la négligence n'exige pas la perfection
pour qu'il n'y ait pas responsabilité. Tout ce que
l'on peut demander du personnel de la prison
chargé d'interpréter la directive et de surveiller le
courrier est d'agir raisonnablement. Cela, je juge
qu'ils l'ont fait.
Je juge aussi qu'il n'y a aucune preuve d'ouver-
ture délibérée ou intentionnelle du courrier protégé
adressé au demandeur. Il n'y a pas non plus preuve
d'un manque de soin.
Si la demande du demandeur est fondée sur
quelque violation de ses droits, sur l'inexécution
d'une obligation légale, je dis alors qu'il n'y a
aucune preuve qui puisse appuyer un recours fondé
sur cette inexécution. Il est douteux que l'inexécu-
tion des directives du commissaire ordonnant de
transmettre le courrier protégé sans l'ouvrir puisse
justifier une demande en justice. Je n'exprime à ce
sujet aucune opinion définitive. Les directives du
commissaire ont été jugées ne pas constituer des
«lois» (au sens où l'on considère le Règlement sur
le service des pénitenciers) au moins pour les fins
des articles 28 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10'.
Même si l'inexécution d'une directive relative au
courrier protégé pouvait justifier la demande du-
demandeur, je juge qu'il n'y a eu en l'espèce
aucune inexécution justifiant des dommages-inté-
rêts. Il y a eu relativement peu de violations; ce
furent des erreurs commises de bonne foi.
L'ouverture systématique soit intentionnelle soit
par négligence du courrier protégé amènerait-elle
un résultat différent? A ce sujet, je n'exprime
aucune opinion.
Je ne saurais toutefois clore cette branche du
recours du demandeur portant sur le courrier pro-
tégé sans ajouter un dernier commentaire.
Je comprends quelques-uns des motifs des plain-
tes des détenus au sujet de l'ouverture du courrier
protégé. Il y a peut-être quelque fondement à cette
action. La directive antérieure du commissaire
aurait été source de confusion tant chez les déte-
nus que chez le personnel lorsqu'il s'agissait d'éta-
blir ce qui exactement constituait du courrier pro-
tégé. La plus grande difficulté provenait de l'usage
des termes précités: «indiqués comme il se doit».
J'ai déjà mentionné monsieur Spence de la prison
de Springhill; un autre témoin, monsieur David
Chitty, a été le surveillant des visites et de la
correspondance à Dorchester du 20 novembre
1978 au 23 décembre 1980. Tant monsieur Spence
que monsieur Chitty se sont révélés, à mon avis,
des témoins impartiaux et francs. Ils ont tous deux
reconnu que la directive antérieure était difficile à
interpréter et source de confusion.
' Voir Martineau c. Le Comité de discipline des détenus de
l'Institution de Matsqui [1978] 1 R.C.S. 118 (le juge Pigeon à
la page 129) et Martineau c. Le Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602 (le juge Dickson
à la page 609 et aux pages 613 et 614 et le juge Pigeon aux
pages 631 et 632).
Comme je l'ai dit précédemment, le personnel
des visites et de la correspondance de Springhill
avait donné une interprétation somme toute plus
large aux termes «indiqués comme il se doit» que
ne l'avaient fait leurs homologues de Dorchester.
Mais la preuve administrée révèle aussi que même
à Springhill, il arrivait qu'une missive soit considé-
rée par un fonctionnaire comme protégée et remise
intacte alors qu'une autre, du même correspondant
était, et cela pouvait se défendre, jugée par un
autre fonctionnaire comme ne l'étant pas.
Il y avait donc un comportement incertain de la
part du personnel chargé du courrier. Il en résul-
tait de la confusion, de l'incertitude et de l'irrita-
tion chez les détenus, conséquence de ce que je
viens de décrire.
A Dorchester, comme je l'ai dit, une interpréta-
tion plus étroite avait prévalu. Monsieur Spence a
franchement reconnu que certaines lettres considé-
rées à Dorchester comme non protégées auraient
été jugées telles par lui et son personnel à Spring-
hill. Monsieur Chitty a reconnu que certaines
pièces, considérées comme protégées à Springhill,
auraient probablement reçu un traitement diffé-
rent à Dorchester. Il a aussi reconnu que ses
quatre subalternes et lui-même à Dorchester
avaient parfois eu à ce sujet un comportement
contradictoire.
On peut comprendre l'irritation d'un détenu,
comme le demandeur, qui constate que le courrier
considéré protégé à Springhill est ouvert à Dor-
chester. Il faut, bien entendu, garder en mémoire
la toile de fond qui sous-tend l'existence des déte-
nus dans une prison: la monotonie, l'hostilité, la
violence qui couve, la méfiance envers le personnel
et envers les codétenus, tout cela dans une atmos-
phère de confinement explosive.
Et monsieur Spence et monsieur Chitty ont
reconnu que la dernière directive du commissaire
est, pour ce qui est du courrier protégé, plus claire
que la première. Ils ont aussi reconnu que ces deux
dernières années, une interprétation plus large a
prévalu. Mais ils pensent toujours qu'il y a contra
diction et incertitude à ce sujet; ce qui crée de la
confusion et des difficultés tant chez le personnel
que chez les détenus. La preuve administrée corro-
bore leurs opinions.
J'en viens maintenant à la deuxième branche de
la demande en l'espèce: un jugement déclaratoire
disant que les fonctionnaires des pénitenciers se
sont trompés dans le calcul de sa date de
libération.
Il y a deux points en litige ici. Le demandeur
s'en prend à l'article 24.2 de la Loi sur les péniten-
ciers 2 qui l'empêcherait d'obtenir, par son mérite,
une réduction de sa peine après le ler juillet 1979
environ.
La peine actuelle de six ans imposée au deman-
deur l'a été avant que certaines modifications à la
Loi sur les pénitenciers n'entrent en vigueur le 1"
juillet 1978 (lorsqu'il sera question des dispositions
antérieures au ler juillet en matière de réduction de
peine, je parlerai de l'«ancienne Loi» et, dans le cas
des nouvelles, postérieures au Zef juillet, de la
«nouvelle Loi»).
D'après l'ancienne Loi, le demandeur, à son
entrée au pénitencier, voyait porter à son crédit
automatiquement une «réduction statutaire de
peine» d'un quart de celle-ci. Cette réduction statu-
taire pouvait, dans certains cas, être frappée de
déchéance (voir l'article 22 de l'ancienne Loi). Il
pouvait aussi voir porter à son crédit une «réduc-
tion de peine méritée» de trois jours par mois (voir
l'ancien paragraphe 24(1)).
La nouvelle Loi a aboli la réduction statutaire
de peine et la disposition qui donne à un détenu
droit à une réduction méritée de peine de trois
jours par mois a été abrogée elle aussi. En lieu et
place, le détenu a droit à 15 jours de réduction
méritée pour chaque mois de sa peine (voir l'actuel
paragraphe 24(1)).
Dans le cas des détenus condamnés avant le ler
juillet 1978 qui avaient une réduction statutaire de
peine à leur crédit, il y a application du nouvel
article 24.2 que voici:
24.2 Le détenu qui bénéficie déjà d'une réduction statutaire
de peine, cesse d'avoir droit à la réduction méritée que prévoit
le paragraphe 24(1) le jour où le total des réductions suivantes
correspond au tiers de la peine qu'il purge alors:
a) le maximum de jours de réduction statutaire de peine
inscrit à son actif pour cette peine, en vertu de la présente loi
ou de la Loi sur les prisons et les maisons de correction;
2 S.R.C. 1970, c. P-6, modifiée par la Loi de 1977 modifiant
le droit pénal, S.C. 1976-77, c. 53, art. 41.
b) le nombre de jours de réduction de peine méritée accu-
mulé à son actif avant que le présent article n'entre en
vigueur; et
c) le maximum de jours de réduction de peine méritée inscrit
à son actif en vertu du paragraphe 24(1).
J'interprète cet article comme disant que le droit
de gagner 15 jours par mois de réduction de peine
cesse au jour où l'ancienne réduction statutaire,
ajoutée à toute réduction méritée antérieure,
donne un tiers de la peine du détenu.
En l'espèce, le droit du demandeur à 15 jours de
réduction mensuelle a pris fin vers le ler juillet
1979.
Celui-ci soutient que les dispositions de l'article
24.2 entrent en conflit avec le paragraphe 24(1);
l'article 24.2 devrait être déclaré inopérant car: a)
il restreindrait son droit à une libération anticipée
et, b) créerait une inégalité chez les détenus par
rapport à la loi. Au soutien des prétentions a) et
b), le demandeur invoque la Déclaration cana-
dienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970,
Appendice III].
Rien, à mon avis, ne justifie de déclarer l'article
24.2 inopérant. Le Parlement a, selon moi, le
pouvoir de limiter l'importance de la réduction de
peine à laquelle un détenu peut avoir droit. La
Cour suprême du Canada 3 a dit:
... la Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes
les lois fédérales doivent s'appliquer de la même manière à tous
les individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de
personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l'accom-
plissement d'un objectif fédéral régulier ....
Il suffit de substituer, dans cette citation, aux
termes «individus» et «personnes», ceux de «déte-
nus» ou de «détenu».
Je comprends le demandeur. Le législateur a,
pour quelque raison, jugé bon de distinguer entre
les détenus condamnés avant le ler juillet 1978, qui
ont droit à la réduction statutaire de peine, et ceux
condamnés après le ler juillet 1978, qui eux ne
peuvent voir porter à leur crédit qu'une réduction
de peine méritée. Je n'en chercherai pas la raison.
Dans le cas du détenu condamné avant le ler juillet
1978, il peut espérer réduire sa peine, au mieux, du
3 Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion [1976] 1 R.C.S. 376à la p. 382.
tiers; dans celui du détenu condamné après le 1 e
juillet 1978, il peut espérer la réduire, possible-
ment, de la moitié.
Il existe, à mon avis, une autre distinction entre
ces deux catégories de détenus.
D'après l'ancienne Loi, un détenu reconnu cou-
pable d'une infraction disciplinaire pouvait voir sa
réduction de peine statutaire frappée de déchéance
en tout ou en partie (voir le paragraphe 22(3)).
Mais il pouvait, toujours selon l'ancienne Loi,
gagner trois jours de réduction par mois civil (voir
l'ancien paragraphe 24(1)). De cette façon, il pou-
vait, en quelque sorte, regagner une partie de la
réduction de peine frappée de déchéance.
D'après mon interprétation de la nouvelle Loi, le
demandeur, s'il devait voir sa réduction méritée
frappée de déchéance par suite d'une condamna-
tion pour une infraction disciplinaire, se verrait
empêché de gagner une réduction quelconque
après le 1er juillet 1979. Il lui est donc, en fait,
interdit de regagner en tout ou en partie une
réduction de peine frappée de déchéance.
Mais le détenu condamné sur le fondement de la
nouvelle Loi n'est pas ainsi défavorisé.
Le demandeur soutient aussi que les autorités
pénitentiaires auraient dû porter à son crédit la
réduction de peine méritée pour le temps d'incar-
cération écoulé entre sa première condamnation de
juin 1977 et la seconde de juin 1978.
Ici encore, le demandeur a toute ma sympathie,
mais il n'y a aucune disposition de la loi qui
requiert que ce temps de détention soit soumis aux
dispositions sur la réduction méritée de peine.
Tant que la première condamnation n'avait pas
été réformée, en avril 1978, le demandeur devait
purger une peine de sept ans ainsi qu'une peine
d'un an, avec confusion des peines. Rien dans la loi
n'autorise de porter à son crédit toute réduction
qu'il pourrait avoir méritée au cours de cette
période après qu'il a été condamné, à nouveau
pour la même infraction, et qu'une nouvelle peine
a été imposée. La loi est silencieuse.
Dans le cas du demandeur, la nouvelle peine fut
de six ans. La première peine était de sept ans. Il
se peut que le second juge, en imposant la nouvelle
peine, ait pris en compte l'année d'incarcération
déjà écoulée. Il se peut aussi que le juge n'ait pas
tenu compte de ce fait. Aucune preuve satisfai-
sante n'a été administrée à ce sujet.
Le législateur pourrait étudier la possibilité de
modifier la loi pour tenir compte des cas de ce
genre, particulièrement si la peine imposée lors de
la seconde condamnation est supérieure à la pre-
mière par exemple. C'est là, toutefois, l'affaire du
législateur, non des tribunaux. La loi est, comme je
l'ai dit, silencieuse à ce sujet en ce moment.
Il en résulte donc qu'en l'espèce, le demandeur
est débouté de son action. Il n'y aura pas attribu
tion des dépens.
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