A-425-78
Schlumberger Canada Limited (Appelante)
c.
Le commissaire des brevets (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Ryan et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 21 mai et 15 juin 1981.
Brevets — Appel formé contre la décision du commissaire
des brevets qui a rejeté une demande de brevet — La demande
porte sur un procédé par lequel les mesures des caractéristi-
ques du sol faites dans les trous de sonde sont enregistrées sur
bandes magnétiques, transmises à un ordinateur programmé
selon les formules mathématiques prévues dans les spécifica-
tions et converties en diagrammes, graphiques ou tableaux
Le commissaire a décidé que ce que l'appelante réclamait,
c'était un monopole sur un programme informatique qui ne
constituait pas une invention — Il échet d'examiner si la
demande révèle une invention brevetable — Appel rejeté — Loi
sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, art. 2.
APPEL.
AVOCATS:
D. A. Hill et L. Webster pour l'appelante.
A. Fradkin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La Cour est saisie de l'appel
formé contre la décision du commissaire des bre-
vets qui a rejeté une demande de brevet faite par
l'appelante.
L'invention revendiquée a pour objet de faciliter
la prospection du pétrole et du gaz. Cette prospec-
tion se fait normalement par le forage de trous de
sonde dans les formations géologiques jugées sus-
ceptibles de renfermer des hydrocarbures et par un
va-et-vient d'instruments le long de ces trous, dans
le sens de la hauteur, pour effectuer diverses mesu-
res des caractéristiques du sol. Pour des raisons sur
lesquelles il n'est pas nécessaire de s'étendre, ces
mesures ne sont pas toujours très utiles aux géolo-
gues. Cependant, les auteurs de l'invention reven-
diquée par l'appelante ont découvert que ces mesu-
res peuvent être combinées et analysées selon un
processus qui donne des informations plus utiles.
La demande de l'appelante porte sur un procédé
par lequel les mesures faites dans les trous de
sonde sont enregistrées sur bandes magnétiques,
transmises à un ordinateur programmé selon les
formules mathématiques prévues dans les spécifi-
cations, et converties par cet ordinateur en infor-
mations utiles sous forme intelligible (par exemple,
diagrammes, graphiques ou tableaux).
Le commissaire a fondé le rejet de la demande
de brevet de l'appelante sur les motifs invoqués par
la Commission d'appel des brevets dans sa recom-
mandation. Il appert que la Commission était par-
venue à cette recommandation après avoir conclu
que ce que l'appelante revendiquait, c'était un
monopole sur un programme informatique et que,
quand bien même ce dernier serait nouveau et
utile, il ne constituait pas une invention au sens de
l'article 2 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c.
P-4.'
L'appelante conteste la décision du commissaire
par ce motif qu'elle est fondée sur une fausse
caractérisation de l'invention en cause. Selon son
avocat, l'invention revendiquée n'est pas un simple
programme informatique, mais un procédé par
lequel de nombreux calculs sont effectués mécani-
quement de manière à extraire les informations
utiles de certaines mesures. L'application pratique
de l'invention requiert certes la programmation
d'ordinateurs, mais l'invention elle-même n'est pas
un programme informatique; il s'agit d'un procédé
compliqué, réalisé par ordinateur, de transforma
tion des mesures en informations utiles. La Loi sur
les brevets ne prévoyant ni expressément ni tacite-
ment la restriction du sens du terme «invention»
figurant en son article 2 de manière à en exclure
les inventions où interviennent les ordinateurs, on
ne saurait dire que la découverte revendiquée par
l'appelante, à supposer qu'elle soit nouvelle et
requière une création inventive, n'est pas une
invention brevetable au sens de l'article 2 de la
Loi.
' L'article 2 de cette Loi porte:
2. Dans la présente loi, ainsi que dans tout règlement ou
règle établie, ou ordonnance rendue, sous son autorité,
«invention» signifie toute réalisation, tout procédé, toute
machine, fabrication ou composition de matières, ainsi
qu'un perfectionnement quelconque de l'un des susdits,
présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité;
Pour savoir si une demande révèle une invention
brevetable, il échet d'examiner en premier lieu ce
qui, d'après la demande, a été découvert. Il est
indéniable qu'il n'y a rien de nouveau dans l'em-
ploi d'ordinateurs pour effectuer les calculs tels
qu'ils sont prévus aux spécifications. C'est précisé-
ment pour effectuer les calculs de ce genre qu'on a
inventé les ordinateurs. Ce qui est nouveau en
l'espèce, c'est la découverte des divers calculs à
effectuer et des formules mathématiques à
employer à cet effet. Si ces calculs devaient être
effectués par l'homme et non par un ordinateur,
l'objet de la demande se réduirait à des formules
mathématiques et à une série d'opérations pure-
ment mentales, lesquelles, à mon avis, ne sauraient
être brevetables. Une formule mathématique doit
être assimilée aux «simples principes scientifiques
ou conceptions théoriques» au sujet desquels le
paragraphe 28(3) prévoit qu'«il ne doit pas être
délivré de brevet». En ce qui concerne les opéra-
tions et processus mentaux, il est manifeste qu'ils
n'ont rien à voir avec les procédés dont fait état la
définition d'invention à l'article 2. Il se trouve
cependant qu'en l'espèce, les spécifications préci-
sent que les calculs doivent être effectués par
ordinateur. Il s'ensuit, si je comprends bien l'argu-
mentation de l'appelante, que ces calculs ne sont
pas des opérations mentales, mais des opérations
purement mécaniques qui constituent les diverses
étapes du procédé faisant l'objet de l'invention. Il
découlerait de cette argumentation, si elle est bien
fondée, que le seul fait de prescrire l'emploi d'ordi-
nateurs pour effectuer les calculs prévus dans les
spécifications aurait pour effet de transformer en
invention brevetable ce qui, normalement, ne l'est
pas du tout. L'invention de l'ordinateur aurait
donc pour résultat inattendu de modifier la Loi sur
les brevets en rendant brevetable ce qui ne l'est pas
sous le régime de la Loi actuellement en vigueur.
Cela est inadmissible. A mes yeux, le fait qu'un
ordinateur est employé ou requis pour l'application
d'une découverte ne change en rien la nature de
cette dernière. Ce que l'appelante revendique à
titre d'invention en l'espèce, n'est que la décou-
verte selon laquelle certains calculs effectués con-
formément à certaines formules, permettraient
d'extraire des informations utiles de certaines
mesures. Voilà qui ne constitue pas une invention
au sens de l'article 2.
Par ces motifs, je conclus au rejet de l'appel.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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